INTRODUCTION
La situation de la langue française dans le monde est
un sujet qui fait aujourd'hui débat dans bien des milieux autres que
linguistique et dans bien des pays autre que la France. Et la question de la
diffusion du français, de même, se pose tous les jours dans les
milieux culturels, artistiques, sportifs, scientifiques sur les cinq
continents. Les initiatives privées dans ce domaines sont très
nombreuses et indissociables de la chose publique. Ainsi les politiques
linguistiques ont souvent pour but de propager le français à
l'étranger (notamment à travers le réseau des alliances
française), alors que cette diffusion sur le territoire de France se
fait en réalité le plus souvent via des évènements
culturels. Ici comme à l'étranger, ces évènements
n'ont lieu que grâce à la participation de personnes
passionnées dont ce n'est pas le métier principal.
Parmi tous ces domaines artistiques et culturels qui
participent à l'évolution et à la propagation de la langue
française, il en est un qui reste éloigné des institutions
officielles et des pouvoirs publics : le punk/hardcore. Mouvement musical et
culturel, l'une de ses spécificités est de fonctionner en circuit
fermé, au sein d'un réseau international organisé et vieux
de 30 ans.
Ce mouvement culturel, comme beaucoup d'autres, fait la part
belle à l'anglais : les échanges entre personnes de langue
différente se font généralement en anglais pour
communiquer et organiser des tournées internationales pour les groupes
pratiquant ce style musical. Cependant la langue française trouve aussi
sa place dans ce milieu grâce à une scène vivante, à
travers des groupes et activistes reconnus, de Montréal à
Genève en passant par Saint-Etienne. Toute la problématique de ce
mémoire est de savoir quelle est cette place pour les francophones de ce
mouvement, et notamment par rapport à l'anglais. Pour développer
cette question je m'appuierai principalement sur mon expérience
personnelle, et sur l'organisation d'un concert punk/hardcore 100% francophone
à Saint-Etienne à l'occasion de la semaine internationale de la
francophonie, le samedi 19 mars 2011. Le rapport d'activité constitue
ainsi la première grande partie de ce mémoire.
Pour répondre à cette problématique, il
nous faudra tout d'abord faire le point sur différentes composantes :
présenter cette « scène » punk/hardcore, souvent
inconnue du grand public car assez limitée en nombre de personnes,
également victime de certains clichés et dont les aspects
positifs ont parfois du mal à se faire connaître. Nous en ferons
de même en ce qui concerne la diffusion du français. Pour cela il
sera nécessaire de définir un certain nombre de mots clés
de ce mémoire.
Ce n'est qu'ensuite que nous pourrons passer
véritablement à l'explication du concert : comment est née
l'idée, comment les groupes ont été contactés, la
préparation matérielle et logistique de
l'évènement, et le déroulement du spectacle à
proprement parler. Ensuite viendra le bilan de cette soirée, sur
différents aspects : quantitatif (public et finances), qualitatif
(satisfaction des participants) et bien sûr respect et analyse de
l'objectif principal : la diffusion du français. Nous ferons la part des
choses entre les aspects positifs et négatifs de cette soirée.
Nous nous concentrerons en fin de première partie sur
le message passé par les groupes qui ont joué ce soir là
et dans le punk/hardcore en général, en guise de transition vers
la partie recherche de ce mémoire.
La deuxième grande partie s'intéresse donc à
la langue française dans le mouvement punk/hardcore, et s'appuie non
plus sur un évènement concret mais sur les paroles des gens de
cette scène : leurs textes, ce qui est dit dans les chansons, mais aussi
leurs pensées, grâce à une série d'interviews.
D'abord nous verrons quelle méthodologie a été
utilisée pour cette recherche, puis le rapport des groupes à la
langue française premièrement via leurs paroles (champs lexicaux,
particularités grammaticales...) puis leurs réponses à
l'interview.
Nous élargirons ensuite notre horizon en s'ouvrant vers
d'autres langues que le français, pour comparer la situations de
celles-ci dans le mouvement punk/hardcore : nous aborderons les cas de
l'Allemagne, du Brésil et de deux langues régionales
françaises : le basque et le breton. Il s'agira de démontrer
comment ces langues sont diffusés grâce à ce style musical,
quel message est passé et s'il correspond à celui des artistes
qui chantent en français.
Enfin nous terminerons sur un retour à notre
problématique, en analysant les forces et les faiblesses de ce mouvement
en ce qui concerne la diffusion du français, quelles relations ces deux
disciplines entretiennent ou pourraient entretenir, en quoi elles ont à
voir avec les politiques linguistiques et culturelles et le Français
Langue Etrangère. Une fiche pédagogique à partir d'un
texte de la
formation de Rambouillet Los Tres Puntos démontrera que ce
mouvement culturel et le message qu'il véhicule peut avoir sa place en
classe de Fançais Langue Etrangère.
Ce mémoire était pour moi l'occasion de
confronter mes activités professionnelles et artistiques de
prédilection, de porter un autre regard sur celles-ci et de me poser des
questions quant aux rapports qu'elles pouvaient entretenir, si je pouvais
combiner les deux. En effet en ce qui me concerne la langue française au
sens large (politiques linguistiques, enseignement du FLE, diffusion du
français, utilisation du français dans les paroles de chansons)
et le mouvement culturel punk/hardcore sont aussi importants dans ma vie et pas
du tout antinomiques. Pour illustrer cela j'aimerais citer François
Begaudeau, que je n'ai malheureusement pas réussi à interviewer,
chanteur de feu Zabriskie Point, écrivain et palme d'or au festival de
Cannes en 2008 avec « Entre les Murs » : « Je considère
le punk rock comme un domaine artistique au même titre que pleins
d'autres domaines. Faire du punk rock c'est faire de l'art, pas mineur, et dans
mon parcours les RAMONES ont autant bouleversé ma vie esthétique
que Rimbaud. »
PREMIERE PARTIE
RAPPORT D'ACTIVITE : ORGANISATION
D'UN CONCERT PUNK/HARDCORE 100%
FRANCOPHONE LE SAMEDI 19 MARS 2011
I. Le punk/hardcore et le français
Voilà un titre qui peut sembler saugrenu à
première vue ! Quel rapport ces deux disciplines peuventelles entretenir
? C'est tout le sujet du présent mémoire.
Car, à y regarder de plus près, il s'agit en
fait de mettre en avant le rapport qu'entretient un style de musique et un
mouvement culturel avec une langue donnée. Alors, si pour le grand
public le punk/hardcore n'existe plus ou alors de manière
extrêmement marginale, nous verrons qu'il n'en est absolument rien pour
qui s'y intéresse. Non seulement c'est un mouvement vivant, mais c'est
en plus un mouvement de dimension internationale, regroupant des dizaines de
milliers de personnes (et donc un certain nombre de langues) à travers
la planète, pas seulement cantonné aux Etats-Unis et à
l'Europe de l'Ouest.
Afin de mettre en relation le domaine d'activité qu'est
le FLE et l'industrie musicale qu'est le punk/hardcore, il est capital de
rappeler ce qu'est le punk/hardcore, quelles sont les racines de ce mouvement
culturel et dans quelle situation il se trouve aujourd'hui. Ensuite nous
verrons pourquoi il peut s'agir d'un sujet intéressant dans le domaine
linguistique et celui de la diffusion du français : en effet, comme
beaucoup de domaines artistiques et internationaux, c'est un milieu où
l'anglais domine dans tous les échanges et la grande majorité des
productions.
1) Définitions
Il paraît nécessaire à l'auteur de donner
quelques définitions des mots-clés de ce mémoire pour bien
situer le domaine de recherche et de quel côté de ces termes nous
nous plaçons ici. Qu'est-ce que le « punk » ou le «
hardcore » pour le dictionnaire ? Qu'est-ce qu'un « mouvement
culturel » ? Nous parlerons beaucoup de la diffusion du français,
mais qu'entendons-nous par « diffusion » ?
1.1 « Punk » et « Hardcore »
· Dans le « Trésor de la Langue
Française » ou « Lexilogos », les dictionnaires en ligne,
les entrées « punk » ou « hardcore » sont tout
simplement introuvables... sur le site
www.ledictionnaire.com, on
trouve cette définition laconique :
punk : Adjectif singulier invariant en genre.
Désigne un mouvement culturel et musical apparu dans les années
70. Relatif à ce mouvement.
Nom singulier invariant en genre : adepte de ce mouvement.
· Quant au site
larousse.fr, on trouve une
définition approchante mais un peu plus étoffée : «
Se dit d'un mouvement culturel et musical apparu en Grande- Bretagne vers 1975
et dont les adeptes affichent divers signes extérieurs de provocation
(crâne rasé avec une seule bande de cheveux teints, chaînes,
épingles de nourrices portées en pendentifs, etc) afin de
caricaturer la médiocrité de la société. »
« Le Petit Robert » n'apporte pas
d'éléments plus pertinents dans ses définitions. Le mot
« hardcore », dans ces mêmes références, ne donne
lieu qu'à de très brèves définitions faisant
référence au cinéma....
On retiendra quand même de ces courtes
définitions la notion essentielle de « mouvement culturel et
musical » qui reste donc la principale assertion nous intéressant,
et qui concorde avec notre propos. Peut-être également la notion
de « provocation » est-elle appropriée pour définir le
punk/hardcore, mais elle n'entre pas en ligne de compte pour ce travail
universitaire, pas plus que les styles vestimentaires liés à ce
mouvement.
Ces définitions sont donc bien peu satisfaisantes
quantitativement, mais comme il s'agit de deux mots anglais à l'origine,
tournons nous du côté des dictionnaires bilingues
français-anglais puis unilingues anglais pour avoir de plus amples
informations.
Tout d'abord, les traductions :
· Selon le « Harrap's Shorter » bilingue 2004
:
punk : 1. (music fan, rebel etc) punk.
2. Am Fam Pej vaurien, crapule.
Hard-core : (reactionnary, supporter)
de la tendance dure. h. loyal : fidèle absolu
Voilà des points de vue qui nous en disent plus sur
l'origine de ces mots devenus des styles de musique... nous y reviendrons.
Passons maintenant au dictionnaire unilingue.
· Sur le dictionnaire en ligne
http://dictionary.cambridge.org
:
PUNK : a culture popular among young people,
especially in the late 1970s, involving opposition to authority expressed
through shocking behaviour, clothes and hair, and through fast loud music.
(also punk rocker) a person who wears punk clothes and likes punk music
Enfin, la seule définition intéressante de notre
point de vue sur le hardcore, également celle où nous le trouvons
en un seul mot, d'après le site
www.thefreedictionary.com
:
HARDCORE
n.
1. The most dedicated, unfailingly loyal faction of a group
or organization: the hard core of the separatist movement.
2. An intractable core or nucleus of a society, especially
one that is stubbornly resistant to improvement or change.
3. often hard·core A form of exceptionally harsh punk
rock.
4. (Music, other) a style of rock music characterized by
short fast numbers with minimal melody and aggressive delivery
5. (Music, other) a type of dance music with a very fast
beat
Nous voilà désormais mieux armés pour
cerner le sens de ces mots. D'abord, en ce qui concerne le mot « punk
», nous savons que cela vient d'un mot plutôt insultant (toutefois
en concordance avec l'attitude de nombreuses personnes se réclamant
« punk ») , mais qu'aujourd'hui ce terme fait davantage
référence à la musique et au style vestimentaire
liés à un mouvement contestataire né dans les
années 70. Puis, dans ce mouvement, un « noyau dur » («
hard core ») s'est formé, plus radical dans la contestation et dans
la musique.
C'est pourquoi nous choisissons le terme punk/hardcore pour
nommer la musique et les groupes dont nous parlons, dans le sens où les
groupes sur lesquels nous nous basons ne sont pas la frange commerciale et
politiquement correcte de la musique punk.
Enfin, il faut savoir que musicalement ces définitions
sont très réductrices, le hardcore étant souvent
considéré comme l'un des innombrables sous-genre du punk, comme
nous l'expliquerons plus en détail en 2).
1.2 « Mouvement Culturel » et « Diffusion
»
Difficile de définir un mouvement culturel puisque c'est
une notion qui associe deux termes. Toutefois elle apparaît dans les
deux définitions du mot « punk » données plus haut, et
il faut donc nous situer par rapport à cela. Quant à la
diffusion, c'est le thème principal de ce mémoire et bien
que sa signification semble évidente, il convient de
cadrer l'ensemble de notre réflexion au niveau sémantique.
Pour définir ces mots-clés, nous nous appuierons
sur deux sources bien différentes mais complémentaires : Le
Trésor de la Langue Française et le « Robert Plus » de
2007. La première est un dictionnaire sur internet très complet
et parfois même trop, où l'on se perd vite dans les exemples et
les hyperliens, mais il permet au moins de faire le tour de la question sans
passer à côté d'une éventuelle signification plus
rare des termes recherchés. La seconde est un dictionnaire papier,
beaucoup plus simple et, là encore, parfois même trop. On a donc
un point de vue nettement plus concis qui va droit au but.
De ces deux sources nous ne citerons que les passages pertinents
dans le cadre de notre recherche.
Selon le Trésor de la Langue Française :
MOUVEMENT : Action collective qui vise
à infléchir une situation sociale ou politique. Mouvement de
grève; mouvement d'insurrection.
e) Groupement, parti, organisation qui animent
des actions visant au changement politique ou social. Mouvement politique,
syndicaliste; mouvement de résistance, de libération; mouvement
fasciste, réformateur; mouvement de libération de la
femme.
Et aussi :
Déplacement en groupe de personnes ou d'animaux ayant
adopté un même comportement sous l'effet de causes diverses.
Mouvement de foule; mouvements de migration de certaines espèces
animales : on peut estimer que les progrès démographiques de la
république de Géorgie sont largement dus à la
natalité des autres nationalités; et que le poids croissant des
Géorgiens dans la république est davantage l'effet de
mouvements migratoires que celui d'un progrès de la
natalité. H. CARRÈRE D'ENCAUSSE, L'Empire
éclaté, Paris, France Loisirs, 1979 [1978], p. 66.
P. ext. Animation, remue-ménage, agitation : la
famille royale se dispersera dans le mois prochain, ainsi qu'une partie du
corps diplomatique, et du mouvement le plus rapide nous allons
passer au repos le plus complet. CHATEAUBR., Corresp., t. 2, 1821, p.
234
.
CULTUREL : En parlant d'associations,
de moyens de communication] Qui diffuse de la culture. Groupements
familiaux, professionnels, culturels, sportifs, artistiques, religieux
(RICOEUR, Philos.
volonté, 1949, p. 141). Quelques camarades
qui l'aidèrent à organiser à Reuilly un premier centre
culturel (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 180)
Et Selon le « Robert Plus » 2007 :
MOUVEMENT : fig. 1 Changement,
modification. Les mouvements de l'âme, mouvement d'opinion. 2
Action collective (spontanée ou dirigée) tendant à
produire un changement social. Mouvement de grève. Organisation
qui mène cette action. Mouvement syndical, artistique.
CULTURE : Ensemble des aspects
intellectuels, artistiques d'une civilisation. La culture orientale.
Ensemble des formes acquises de comportement dans les
sociétés humaines. Nature et culture.
En associant ces différentes assertions, nous gloserons
en affirmant qu'un « mouvement culturel » est une action artistique
collective. Dans le cadre du punk/hardcore, étant donné la
dimension sociale de son discours et de ses moyens de diffusion
indépendants, nous rajouterons l'aspect intellectuel de la chose visant
à bousculer l'ordre établi, et à agir de manière
parallèle à celui-ci.
Parce qu'il implique plusieurs personnes dont beaucoup de
musiciens, mais aussi de journalistes et de cinéastes, et parce qu'il
prend position sur des questions de société (et l'on peut voir
que les 2 définitions de « culture » utilisent le mot «
société ») et de politique, le punk/hardcore est bien un
mouvement culturel.
Blanchet et Coste 2010 disent quant à eux, que la culture
est un « ensemble d'oeuvres patrimoniales et/ou de
stéréotypes nationaux ».
Cette définition nous permet de mettre en avant le fait
que le punk/hardcore est un mouvement culturel transnational et qui ne peut
donc pas rentrer dans des « stéréotypes nationaux ».
Musicalement parlant, un groupe français ne sera pas très
différent d'un groupe japonais, et si les deux chantent en anglais,
alors la nationalité du groupe sera tout simplement indécelable.
L'appartenance au mouvement prend alors le pas sur la nationalité et
efface les frontières. On se retrouvera plus dans cette
définition donnée par M. Abdallah-Pretceille en 2003 : « Les
cultures se définissent moins par rapport à une somme de
caractéristiques et de traits communs que par rapport aux relations et
interactions entretenues entre les individus et les groupes. Le temps n'est pas
aux nomenclatures ni aux monades mais au contraire aux bigarrures, aux
métissages, aux transgressions car chaque individu a la
possibilité de s'exprimer et d'agir en s'appuyant sur des codes de
référence
librement choisis ».
Si dans bon nombre de situations on peut mettre en doute le
libre choix de ses codes de référence (pour les
sociétés très religieuses par exemple), cela s'applique en
revanche parfaitement pour la culture punk/hardcore, dont les membres ont tous
choisis à un moment de leur vie de s'affranchir des codes imposés
par la société et la culture ambiante pour faire partie de cette
culture internationale et marginale.
DIFFUSION :
Selon le TLF : Action de transmettre, de propager et
résultat de cette action.
1. Action de propager une idée, des connaissances, des
techniques ou de distribuer un bien dans un large public et résultat de
cette action. Diffusion de la culture, du français à
l'étranger; diffusion de la richesse. La résistance, souvent
violente, des français à la diffusion du protestantisme
(BAINVILLE, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 153).
2. [En parlant d'un ouvrage imprimé, d'un journal,
d'un tract, etc., et, p. ext., d'un disque ou d'un film] Action de le
distribuer dans le public. Tu as eu tort, ma chère amie, de
favoriser la diffusion de la Croix dans le département (FRANCE,
Bergeret, 1901, p. 265) :
Selon le « Robert Plus » 2007 : Action de diffuser,
fait de se répandre. ? DIFFUSER : 1. Répandre dans toutes les
directions. 2 Transmettre par la radio, la télévision. 3. fig.
Répandre dans le public. Diffuser une nouvelle.
Deux notions essentielles ici pour notre objectif de diffusion
: « répandre » ou « propager » et « public
». Nous avons un objet à propager, la langue française, dans
le cadre des journées de la francophonie, à un public, celui
présent au concert.
Il faut toutefois nuancer ce propos, dans la mesure où
je revendiquerai à plusieurs reprises dans ce mémoire, le fait
que la langue française ne doit pas selon moi être l'objet de la
propagation d'un message (« Il faut parler français et
défendre cette langue ») mais le canal, le moyen de propagation
d'un message («Ce message que je vous fait passer, je l'énonce en
français »).
La notion de public est par contre essentielle : pour propager
un message il faut au moins un locuteur et un destinataire. Mais plus le nombre
de destinataires est élevé, plus le message est
propagé.
Toutes ces définitions nous permettent de mieux cerner
la problématique du français et de la diffusion du
français dans le mouvement culturel punk/hardcore. Cette culture ou ce
pan de la culture (qui inclut donc principalement un style de musique, mais
aussi l'édition de fanzines, l'organisation de spectacles vivants, la
création visuelle à travers les affiches et les pochettes de
disque) permet donc la diffusion d'un discours, d'une façon de penser
et/ou de vivre à travers les langues qu'utilisent ses membres et ses
acteurs.
2) Présentation de la scène
punk/hardcore
Cette étude de cas ne s'intéresse donc ni
à une zone géographique, à une classe sociale ou à
une classe d'âge mais à un mouvement culturel international et
nécessite comme les autres un rappel historique. Nous allons donc tenter
de résumer 35 ans de punk.
La musique punk est née à Londres en 1976 avec
des groupes aujourd'hui entrés dans l'histoire du rock comme the Clash,
the Sex Pistols, The Damned ou The Buzzcocks. Pour beaucoup, le mouvement s'est
éteint aussi vite qu'il avait surgi, en 1978, avec la mort du bassiste
des Sex Pistols Sid Vicious. D'ailleurs, l'un des ouvrages les plus complets
sur cette période (« Punk. » de Stephen Colegrave et
Chris Sullivan) affirme que « L'ironie du punk, c'est qu'à peine
baptisé et défini, il cessa d'exister. »
« You can kill the protester But you can't kill the
protest » (Anti-Flag)
Alors, si les groupes précurseurs de Londres
n'étaient effectivement plus d'actualité dans les années
80, la révolte et la musique punk avaient toutefois eu le temps de se
propager, notamment aux EtatsUnis, chez une jeunesse tout aussi
révoltée. Après Thatcher en Angleterre, l'Amérique
connaissait l'ultra-conservatisme de Reagan. Les punks de Londres avaient
montré que l'on pouvait former un groupe de rock sans être un
virtuose de la musique, mais étaient gérés par des
managers qui s'occupaient de la distribution, de la production, du
merchandising des groupes. Les jeunes américains du début des
années 80 prouveront qu'en plus de faire soi-même de la musique
qui nous ressemble, on peut aussi créer des réseaux de production
de disques et d'organisation de concerts :
c'est la naissance du Do It Yourself, ou DIY, Fais-le toi
même, avec des groupes comme Dead Kennedys (et le label Alternative
Tentacles), Bad Religion (dont le guitariste Brett Gurewitz créera vite
Epitaph records, aujourd'hui l'un des plus gros labels indépendants du
monde) ou encore Black Flag. En 1981, le groupe canadien DOA sort un album
intitulé « Hardcore 81 », et le terme noyau dur,
« hardcore » perdurera pour désigner ce mouvement musical
alternatif.
Dans le même temps, au Royaume-Uni, naît
(déjà !) le mouvement « punk's not dead » avec les
groupes Exploited et GBH qui poussent la provocation encore un peu plus loin
avec des looks toujours plus extrêmes (crêtes colorées,
blousons cloutés) et surtout une musique plus brutale et rapide avec des
paroles simples au slogans sans ambiguïté (« I believe in
anarchy », « I hate cop cars »). Parallèlement, des
groupes comme Crass ou Discharge à Londres créent le mouvement
« Anarko-punk », plus politique que musical, et prônant un
rejet total de la société telle que nous la connaissons : c'est
le début des squatts, du mouvement « vegan »
(végétalien) et de la musique crust.
La France voit quant à elle naître le « rock
alternatif » (voir chapitre « punk en France »).
Depuis, avec des hauts et des bas, le mouvement punk/hardcore
est actif sur la quasi-totalité de la planète, de l'Argentine au
Canada, de l'Espagne jusqu'au Japon, même l'Indonésie ou la
Malaisie produisent des groupes. Diverses branches musicales se sont
créées (post-punk, crust, pop-punk, psychobilly, grindcore,
emocore, garage, et pléthore d'autres sous-sous-genres), et par souci de
simplification, nous utiliserons les termes punk ou hardcore suivant les
groupes, et punk/hardcore pour désigner la scène dans sa
globalité. Aussi, de nouvelles structures ont vu le jour, de nouveaux
groupes ont pris le relais. Quand on parle de la culture punk (incluant donc
non seulement la musique mais également des films, livres, magazines ou
sites internet ainsi que d'un certain positionnement politique) on ne
s'arrête donc pas à un pays ni même à un continent,
et on ne désigne pas non plus une classe sociale (comment pourrait-on
confondre la classe ouvrière anglaise et la classe ouvrière
colombienne ?). Il s'agit d'une « supra-culture », liant des gens du
monde entier autour d'un mouvement culturel.
Cette idée de DIY a fait des émules, et
aujourd'hui la scène fonctionne en circuit fermé,
indépendamment des salles de concerts et de l'industrie
(déclinante) du disque. Il est donc facile de trouver un café
concert, de faire quelques affiches, de contacter quelques groupes et
d'organiser soimême un concert, sans subvention et sans sponsor. En
général, conscients de cette situation et eux-
mêmes habitués à ce style de fonctionnement,
les artistes ne demandent pas beaucoup d'argent pour se produire et fournissent
une partie du matériel de son.
Cela permet au mouvement de rester en dehors du système
de subventions et la baisse ou la hausse des aides publics en matière de
spectacle vivant n'a guère d'incidence sur la fréquence des
concerts punks, là où les grosses structures vivent sous
perfusion des collectivités. Ainsi François Benhamou, dans «
L'économie de la culture » en 2011 nous apprend que «L'Etat
verse environ le tiers des aides publiques aux grandes structures de
création et de production (centres dramatiques nationaux et
régionaux, orchestres, opéras) et les collectivités
locales les deux tiers. Les recettes propres excèdent rarement 30% du
budget (15% pour les orchestres permanents) ». Pour mon concert les
recettes propres ont représenté 230€ d'entrées +
30€ du bar soit 260€ sur un total de 360€ (même si le
budget initialement prévu était de 450€), soit 72% du
budget.
Pour de plus amples informations sur la situation
économique du spectacle vivant en France, consulter le rapport au
ministre de la culture de Bernard Latarjet, « Pour un débat sur
l'avenir du spectacle vivant », Paris, 2004.
Ce fonctionnement basé sur l'initiative privée
(et donc très souvent sur l'amateurisme) comporte également son
lot d'inconvénients : qualité souvent très moyenne du son
(Brigitte Bop : « En concert, on présente souvent les morceaux,
mais c'est surtout prétexte à une blague ou à la
présentation du refrain, pour pallier la faible qualité sonore
»), la promotion est parfois mal assurée par les organisateurs
s'ils ne sont pas habitués ou si les groupes ne les intéressent
pas (et dans ce cas là ce sont ces derniers qui sont
lésés), non-reconnaissance par les professionnels du spectacle
vivant, beaucoup de difficultés pour les musiciens à devenir
intermittents, et en ce qui me concerne accès impossible à des
données chiffrées officielles.
On arrive quand même à trouver bon nombre de
formations, de productions et d'évènements amateurs de grande
qualité, ainsi : « Le développement des pratiques amateurs
met parfois à mal la frontière qui sépare le monde des
amateurs de celui des professionnels. [...] Cette particularité du mode
de socialisation professionnelle des artistes se manifeste notamment dans les
musiques populaires, du rock au rap, en passant par les musiques
électroniques. Le brouillage des frontières est redoublé
par les progrès de l'informatique musicale, qui offrent à
l'ensemble des musiciens amateurs des possibilités techniques
naguère seulement réservées aux professionnels [...].
» (Philippe Coulangeon, « Sociologie des pratiques culturelles
», 2005).
« La première fois que je croise la route du
punk, c'est quand on me met une affiche dans mon salon de coiffure, Rock
Hair, rue de la Ferronerie : une affiche qui annonce un concert des Sex Pistols
au
Chalet du Lac. Une affiche qui ne ressemblait pas à
une affiche. Avec des lettre découpées. Il y a dû avoir au
maximum dix affiches dans Paris. Des affiches fabriquées à
la main. Et je me dis : là il se passe un truc. Je décide
donc d'aller au Chalet du Lac. Et là, je vois mon premier concert punk.
Il devait y avoir moins de 100 personnes. »
Rocky, coiffeur punk et premier manager de Métal
Urbain.
Il en va de même pour l'édition (et le visuel en
général), dominée par les « fanzines » amateurs
dont le plus célèbre est Maximum Rock'n Roll, basé
à San Fransisco, crée en 1982 et qui existe toujours. Depuis
l'apparition du punk en 1976, les fanzines et les affiches en noir et blanc
font partie intégrante du mouvement.
Enfin, il faut savoir que généralement les
paroles sont très importantes dans ces styles musicaux, où
l'engagement est bien vu, et où les paroles doivent le laisser
transparaître. De même l'intégrité artistique est
essentielle pour qu'un groupe puisse se considérer et être
considéré par ses pairs comme « punk ».
La musique peut être de la meilleure qualité qui
soit, si le groupe chante des chansons d'amour « fleur bleue » dans
une soirée promotionnelle pour un supermarché ou une marque de
chaussure, c'est le bannissement assuré de la scène punk. C'est
pourquoi les groupes « mainstream » (célèbres et
diffusés en radio et télévision) comme Green Day ou Blink
182, musicalement punks, sont reniés par la grande majorité des
gens de la scène, aux Etats Unis comme en Europe : ils sont
maquillés, distribués par Universal Music ou une autre maison de
disque « Major » (par opposition aux labels indépendants comme
ceux cités plus haut), tournent des clips pour MTV et vont jouer en Irak
pour les Marines américains. Il serait trop compliqué de rentrer
dans la polémique « qui est punk et qui ne l'est pas », mais
il faut simplement garder à l'esprit qu'être une star, même
avec des cheveux rouges, des tatouages et des blousons à clous, n'est
absolument pas punk. A ce titre, si les Sex Pistols (qui avaient un manager et
ont sorti leur unique disque sur EMI) faisaient la même chose
aujourd'hui, ils seraient haïs par les punks. Aujourd'hui encore, ce
groupe est au centre de tous les débats à cause de ça.
3) Punk en France
« Il ne faut pas croire que c'était un mouvement
énorme. Ce n'était qu'une poignée de gens, le punk en
France. »
Marc Zermati, producteur et gérant de l'Open Market,
premier disquaire punk à Paris.
Pour une fois, la France n'était pas trop en retard
dans le mouvement punk, d'ailleurs le tout premier festival punk a eu lieu en
France, à Mont de Marsan le 21 août 1976 avec à l'affiche
notamment Eddie & the Hot Rods et the Damned. Paris accueillera
également un concert des Sex Pistols le 3 septembre de la même
année.
Quant aux groupes, le critique rock Patrick Eudeline fonde
dès 1978 le groupe Asphalt Jungle, Starshooter voir le jour à
Lyon un an plus tôt. Mais c'est surtout Metal Urbain qui restera dans
l'histoire, car grâce à son 45 tours « Paris Maquis »
sorti le 14 février 1978, il deviendra le premier et à ce jour
unique groupe français à être invité dans les
studios de la BBC pour les fameuses « John Peel Session ».
Le mouvement est donc présent en France dès ses
débuts, et avec des groupes qui chantent en français.
Malheureusement cette première vague (qui sera restée très
marginale et ne regroupe que quelques dizaines d'initiés dans le pays)
ne sera qu'un feu de paille. Il faudra attendre le début des
années 80 et la naissance du mouvement alternatif pour voir arriver une
nouvelle génération de groupes, qui choisiront eux aussi le
français pour s'exprimer.
De ce mouvement alternatif, grâce auquel naîtront
les structures nécessaires au développement d'un mouvement
musical (labels, fanzines, café concerts, studios) retenons deux groupes
majeurs : Bérurier Noir et Mano Negra.
Les premiers resteront toujours fidèles aux principes
d'indépendance et d'autogestion du mouvement punk ainsi qu'à une
musique minimaliste (guitare/boîte à rythme/voix), les seconds
connaîtront le succès populaire en signant sur Virgin et
s'éloigneront petit à petit de la scène en ajoutant
à leur musique des cuivres, des instrumentations et un travail studio
plus sophistiqué. Aujourd'hui encore, le succès et l'influence
des ces deux groupes sont très présents.
« Cette chanson, je n'ai pas encore écrit les
paroles, c'est la raison pour laquelle je vais la chanter en anglais
».
Gad Elmaleh
Dans les années 90, et après la dissolution de
Bérurier Noir en 1989 (commémorée par trois concerts
à l'Olympia immortalisés par l'album « Viva Bertaga »)
le mouvement alternatif est réduit à la portion congrue.
L'heure est au succès des groupes américains, et plus
précisément californiens :
The Offspring en tête, ainsi que Green Day, NOFX,
Rancid. La France « surfe sur cette vague » avec l'apparition de
groupes chantant en anglais et pratiquant pareillement ce nouveau style
qualifié de « hardcore mélodique » ou parfois de «
skate punk » (dû au mélange des deux disciplines par les
principaux intéressés) : Burning Heads (toujours en
activité), Second Rate, Seven Hate.
Les années 2000 seront un peu un mélange de ces
deux facettes du punk/hardcore, avec une frange plus « traditionnelle
» (chant en français, paroles engagées, musique moins
technique) et des groupes « à la californienne » comme ceux
que l'on vient de citer. Certains groupes particulièrement talentueux
arrivent à rallier les deux côtés du public à leur
cause comme les Sheriff (qui chantent en français, avec des paroles
« légères », mais de manière très
mélodique) ou les Burning Heads (qui par leur activité incessante
dans les petits concerts et la production d'autres groupes restent proches de
la scène alternative).
Inutile d'essayer de dresser une liste des groupes les plus
influents dans l'histoire ou aujourd'hui, elle serait toujours trop longue ou
trop courte et sujette à discussion, mais nous pouvons citer en France
quelques groupes « leaders » de cette scène en 2010 : Tagada
Jones, Guerilla Poubelle, La Fraction, les Apaches, Charge 69, Tanker Chaos,
Burning Heads, Banane Metalik, sans oublier les Wampas, seul groupe né
dans les années 80 à n'avoir jamais cessé de sortir des
albums et faire des concerts.
4) La recherche linguistique et la diffusion du
français.
Traditionnellement, la chanson francophone se
caractérise par ses textes et ses grands auteurs que sont Brel,
Brassens, Gainsbourg, Aznavour... tout naturellement, les styles musicaux
modernes et populaires chez les jeunes ont suivi : le rap a donné
naissance à des auteurs/compositeurs exceptionnels comme
Akhénaton pour IAM, Grands Corps Malade, Abd Al Malik ou encore MC
Solaar pour citer parmi les plus connus ; le reggae a vu l'éclosion des
groupes Sinsemillia, Tryo ou Babylon Circus. Le punk en français aussi a
eu sa période de gloire dans les années 80 avec Bérurier
Noir, Mano Negra,
Dans les années 90, une fois ces groupes
terminés, la mode vient d'outre Atlantique et c'est l'explosion des
groupes chantant en anglais comme Seven Hate, ou plus tard Uncommonmenfrommars
et Freygolo.
Depuis, le français peine à s'imposer dans les
textes des groupes de ce genre, surtout dans le hardcore où il est quasi
inexistant.
Alors que la langue française a parfaitement su s'adapter
à d'autres genres musicaux, pourquoi celui-
ci fait-il de la résistance à cette langue ?
Pour les groupes qui malgré tout l'utilisent, de quelle manière
le font-ils ? Pourquoi ce choix, quels messages cherchent-ils à
véhiculer dans cette langue ? Tel est le genre de questions auxquelles
nous tenterons de donner des éléments de réponse dans
cette recherche. Grâce à de nombreuses interviews et une analyse
de plusieurs textes, nous verrons ce qu'en pensent les gens impliqués
dans ce débat et quelles en sont les représentations
concrètes dans les paroles.
Autre différence entre les groupes punks et les autres
: la dimension internationale du mouvement. Pour continuer la comparaison avec
les formations rap ou reggae, il est très rare de voir celles-ci
traverser les frontières et se produire avec succès dans le reste
de l'Europe, voire du monde. Dans le punk/hardcore, ceci n'est pas un
problème. Comme on l'a déjà dit, la scène
fonctionne en circuit fermé, et quand on fait jouer un groupe allemand
par exemple, chez soi, on se crée un contact en Allemagne qui nous
renverra l'ascenseur un jour. Pour citer un exemple, un groupe comme La
Fraction (l'un des rares à chanter en français, justement), qu'on
n'entendra jamais à la radio ni ne verra à la
télévision, a tourné aux Etats-Unis sur plus d'un mois, en
Allemagne, en Scandinavie, en Europe de l'Est. Idem pour le groupe Rennais
Banane Metalik : tournées triomphales aux EtatsUnis, au Japon et au
Brésil. Que dire du groupe de hardcore tourangeau Nine Eleven ?(qui eux
chantent en anglais) il a quant à lui tourné pendant la quasi
totalité de l'année 2010 dans toute l'Europe, jusqu'en Russie et
en 2011 est parti en tournée en Indonésie et en Malaisie... ;
tandis que des groupes d'autres styles, infiniment plus connus en France ne se
produisent que très rarement, voire jamais, à
l'étranger.
L'échange marche dans les deux sens : la France
accueille des groupes du monde entier et rien qu'à Saint Etienne on a pu
voir se produire l'an passé les néo-zélandais d'EcoWar,
les Sud-africains The Mochines, les Singapouriens de Wormrot et nombre de
groupes venus d'Amérique du Nord et du Sud, d'Australie et de toute
l'Europe.
En ce qui me concerne, l'organisation de ce concert avait,
entre autres buts, celui de montrer que la langue française avait sa
place dans ce milieu, qu'il est possible de faire un groupe dans cette langue,
et de tourner comme les autres.
Quand on parle de « diffusion du français »,
on pense immédiatement à « à l'étranger
». Or si ces deux mots n'apparaissent pas dans le nom de cette discipline,
c'est bien qu'elle a également sa place sur les territoires où le
français est langue maternelle et en France notamment. Elle peut par
exemple se faire dans des milieux socio-professionnels où la langue
française peine à s'imposer même chez ses locuteurs natifs
comme l'informatique, la publicité, et donc le punk/hardcore. C'est
pourquoi j'ai décidé de prendre l'initiative en
joignant une passion à ma profession, à savoir ce style de
musique et le FLE.
« L'envahissement réel de la langue
française par des mots anglais témoigne d'abord d'une certaine
suprématie technologique des pays de langue anglaise, et si l'on
considère cela comme une « épidémie », il faut
alors étudier l'épidémiologie. »
(Louis Jean Calvet, « la guerre des langues »,
hachette 1999)
Attention, et je pense qu'il important de le préciser,
le but de cette manifestation n'était pas du tout de dire : « non
au punk hardcore en anglais » ou « vive le punk en français,
soyons fiers de nos couleurs ». La nationalisme n'a rien à voir
dans cette démarche, le message est plutôt : « il est
possible de faire du bon punk hardcore en français, la preuve ».
Comme on le verra dans les interviews, cela a déjà
été fait et perdure aujourd'hui, et surtout il existe trop de
groupes français chantant dans un mauvais anglais, avec un accent
à la limite du ridicule et parfois avec des fautes de langue qui
gâchent tout. Comme le disent les Vulgaires Machins dans leur interview :
« Je n'ai aucun intérêt pour les groupes qui chantent un
anglais cassé et mal écrit. Il existe trop d'excellents groupes
anglophones qui écrivent de très bonnes paroles et chansons pour
perdre mon temps avec ça. » On n'est pas dans une optique
« langue française versus langue anglaise », mais «
langue française avec langue anglaise ».
II. Préparation du concert
1) Présentation des groupes et du
lieu
Une brève présentation des artistes qui ont
participé à l'évènement s'impose pour savoir de qui
(et même avec qui) l'on parle. Notre sujet n'étant pas la musique
à proprement parler nous ne nous attarderons pas là dessus.
Toutefois, les quatre groupes possèdent des sites internet ou des blogs
« myspace » sur lesquels on peut lire leur biographie et
écouter certains de leurs morceaux pour faire plus ample connaissance
avec leur univers (voir par ailleurs en bibliographie, « liens internets
»).
· WHITE CARD
Groupe originaire de la ville même de Saint-Etienne,
White Card est un trio basse-batterieguitare/chant ; évoluant dans un
punk rock mêlant passages en son et chant clair mélodique et
passages en son saturé et chant hurlé. C'est le seul groupe dont
le nom est en anglais, nous y reviendrons. Après quelques démos
et EP (albums promotionnels de 5 ou 6 titres), leur premier album « Jeux
de mo(r)ts » autoproduit est sorti fin 2010.
· TADOS
Formation originaire de Béziers, également un
trio basse-batterie-guitare/chant. Musicalement, ils se rapprochent beaucoup du
groupe écossais Exploited, à savoir un punk rock très
rapide et agressif. Leur deuxième album, « Des gars, des eaux
» est sorti début 2011 grâce à la collaboration de
plusieurs associations et labels punks : Trauma Social, Has Been Mental,
Karameikos, Kanivo Kaos et Maloka. On peut le trouver pour 10€ sur les
listes de distribution de ces structures et pour 8€ lors des concerts.
· LES CRADES MARMOTS
C'est un duo basse/choeurs - guitare/chant formé en
1996 et qui nous vient de la petite ville ligérienne d'Estivareilles. La
section rythmique est assurée par une boîte à rythme. Cette
formation mélange punk rock et ska sur la plupart des ses morceaux. Leur
premier album « Le pouvoir des uns... » autoproduit est sorti en 2010
et est disponible gratuitement sur leur site internet.
· SOLIDAGITE
Groupe de punk hardcore, donc le plus « violent »
musicalement , de la soirée, originaire de Montpellier. L'unique quatuor
du concert, car le chanteur ne joue d'aucun instrument ! On a donc une section
musicale classique basse-batterie-guitare plus un chanteur. Leur premier album
« Une dose de rock'n roll » est sorti début 2011 sur les
labels Trauma Social, Has Been Mental et Karameikos.
Il s'agit d'une affiche à la fois éclectique et
cohérente : musicalement ces formations sont tous
assez différentes les unes des autres, mais suivent une
démarche d'indépendance dans la gestion du
groupe (autoproduction, collaboration de labels) et ont des
paroles engagés, sérieuses.
· L'ASSOMMOIR
C'est le café-concert où a eu lieu la
soirée. Je connais très bien le gérant Grégory
Lagoutte avec qui j'ai joué dans plusieurs groupes, et c'est bien
sûr l'une des principales raisons pour lesquelles j'ai organisé ce
concert à l'Assommoir.
C'est aussi parce que c'est le seul lieu à Saint
Etienne, avec le « Thunderbird », à proposer des concerts de
ce style. Contrairement à une salle de type Salle de Musique Actuelle
(SMAC) comme le Fil à Saint Etienne, ce genre d'endroit n'impose pas de
service de sécurité ou de démarches administratives
complexes pour l'organisation d'un événement et surtout la salle
est mise gratuitement à disposition, on ne la loue pas. En terme de
budget et de délai c'était donc le seul lieu possible pour moi,
puisque pour bénéficier de subventions il aurait fallu que je
démarre le projet un an plus tôt, le temps de faire les
démarches nécessaires. Aussi, étant seul et sans
association (donc sans trésorerie) avec moi, je ne pouvais me permettre
de me lancer dans l'organisation d'un « gros » concert en salle.
Seulement pour payer les groupes et sans compter les frais annexes (voir la
section « budget »), j'avais besoin pour ma soirée à
l'assommoir de 80 entrées à 5€. Pour en faire autant dans
une salle de concert, il m'aurait fallu d'abord faire jouer des groupes bien
plus connus (voir la partie 4 « de l'idée à la soirée
») pour ensuite faire une entrée à 8€ qui attire au
minimum 150 personnes.
J'ai donc choisi de ne pas prendre trop de risques financiers
et aussi bien sûr de rester dans l'esprit « Do It Yourself »
(voir « présentation de la scène punk/hardcore). Enfin
l'Assommoir propose très régulièrement des soirées
de ce type, Saint Etienne étant une ville qui compte beaucoup
d'associations spécialisées dans ce style musical, par
conséquent le public connaît le lieu et à l'habitude d'y
venir.
En terme de capacité et de logistique, l'Assommoir se
divise en 2 : en haut la salle du bar avec l'entrée, le comptoir, les
toilettes, des tables et des chaises, et en bas la salle de concert avec la
piste de danse et la scène. Un petit escalier sépare les deux
salles. La salle de concert en elle-même peut contenir jusqu'à 100
personnes quand le groupe est sur scène, la salle du bar une
cinquantaine.
Le bar met à disposition des groupes une sono avec
enceintes façades et retours, plus la table de mixage ainsi que deux
microphones avec pieds (pour plus de détails techniques voir l'annexe
« fiche technique »). Aux groupes ou associations de fournir les
instruments, à savoir en ce qui nous
concerne batteries, amplificateurs, guitares et basses, 1 autre
microphone avec pied.
Le bar fonctionne ainsi : les organisateurs du concert
réalisent toute leur recette sur les entrées. Les consommations
au bar des spectateurs vont dans la caisse du bar.
A savoir qu'un samedi soir réussi financièrement
pour l'Assommoir commence à partir de 800€ de recette. Donc, le
gérant étant un proche, si la soirée marchait bien, je
savais qu'il pouvait compléter mes recettes à hauteur de 50 voire
100€ si le public consommait suffisamment.
Pour résumer, ce lieu était vraiment l'idéal
pour moi puisqu'il fournissait du matériel de son, et pouvait le cas
échéant participer financièrement à la
soirée.
L'Assommoir se trouve au 9, rue de la Richelandière
à Saint Etienne (à 10 minutes de la gare de châteaucreux et
du centre ville). On peut consulter la programmation sur le blog myspace.
2) L'organisation : de l'idée à la
soirée
2.1 Le projet
Ma profession est : formateur en Français Langue
Étrangère dans la région de Saint Etienne, mais pour ce
mémoire et rapport d'activité, j'ai préféré
travailler en parallèle et de manière bénévole dans
l'organisation d'un événement pour la diffusion du
Français, plus en accord avec l'intitulé du diplôme et mon
projet professionnel.
J'ai cherché à lier ma carrière avec la
musique, pour « joindre l'utile à l'agréable ». La
musique punk/hardcore n'est pas conventionnelle et a souvent mauvaise presse,
mais j'ai choisi d'assumer ce que je suis, ce que j'aime vraiment et les gens
que je fréquente plutôt que de faire un concert de chanson
française dans un centre de langue et de ne pas prendre de risque.
Même si le projet s'était avéré être un
échec, il avait au moins du départ le mérite d'être
original et intègre. Au delà de ça, il me semble
intéressant de voir l'utilisation du français par les gens de la
culture punk/hardcore, et surtout dans quelle dimension interculturelle ce
mouvement peut s'inscrire dans la diffusion du français.
Après avoir soumis l'idée à Daniel
Véronique, il me fallait vite trouver les groupes et le lieu. Pour
la salle de concert, comme il a été dit en présentation
de l'Assommoir, il s'est imposé à moi tout naturellement, avec
une facilité d'accès inégalable, et un risque financier
quasi nul. Le seul
problème aurait pu être que la salle fût
déjà réservée à cette date, le week-end des
19 et 20 mars. Pour moi la démarche ne pouvait être
cohérente que si le concert avait lieu à cette date là,
lors de la semaine de la francophonie. Après avoir rapidement
constaté qu'il était trop tard pour obtenir des subventions de la
part des différents organismes de la francophonie ou le conseil
régional (nous étions alors le 15 novembre et les dossiers de
subvention étaient à retirer avant le 31 octobre...), j'ai
immédiatement téléphoné à l'Assommoir pour
réserver la salle sur les 2 jours, car je n'étais pas sûr
de faire la soirée le samedi 19 ou le dimanche 20. Tout allait
dépendre des groupes et de leur disponibilité.
Enfin il me fallait m'assurer de l'aide de quelques personnes
pour rendre le projet réalisable : j'ai donc fait appel à
Grégory Lagoutte gérant de l'Assommoir pour la salle et le
service au bar, Julien Gomez pour la sécurité lors de la
soirée et Florian Giroud pour le design de l'affiche.
2.2 Trouver les groupes
Ensuite il a fallu trouver des groupes à faire jouer,
ce qui ne fut pas le plus facile, tout d'abord pour la simple et bonne raison
qu'il existe peu de formations de ce style chantant uniquement en
français ! Cela réduit déjà considérablement
les possibilités. J'ai d'abord cherché à faire venir au
moins une bonne « tête d'affiche », un groupe de niveau
national ou international qui, seulement sur son nom, peut remplir la salle.
Malheureusement, dans un milieu où l'amateurisme est la règle et
où peu de groupes sont intermittents du spectacle (ce qui fait aussi le
charme du punk rock), des groupes comme Brigitte Bop (d'Orléans), Garage
Lopez (de Paris) ou The Hop Là! (de Montpellier) ne pouvaient venir le
dimanche soir car ils travaillaient le lundi, et étaient
déjà pris pour un autre concert le samedi soir. Il en va de
même pour le groupe québécois Vulgaire Machins, justement
en tournée en France à cette période mais qui rentrait au
Québec le dimanche même.
Pour d'autres groupes plus connus comme PKRK (de Metz) ou
Opium du Peuple (de Bordeaux), ils auraient pu jouer le dimanche soir, mais le
problème était d'ordre financier. Ces derniers exigeaient un
cachet plus élevé, et même si, probablement le concert
eût été un franc succès avec ces formations
là, j'ai préféré ne pas prendre le risque car un
dimanche soir à Saint Etienne, rien n'est moins sûr que d'attirer
150 personnes à un concert punk dont l'entrée est à
7€ : la plupart des gens travaillent le lendemain et rechignent donc
à sortir pour voir des groupes qu'ils ne connaissent pas et 7€ est
le « seuil psychologique » à ne pas franchir afin d'
éviter l'impression de prix excessif pour un concert punk.
J'ai également cherché à contacter des
groupes belges et suisses pour faire un concert véritablement de la
francophonie et pas seulement de « punk français ». Force est
de constater que les groupes qui chantent en français dans ces pays sont
encore plus rares qu'ici ! La distance à parcourir pour venir
exprès à Saint-Etienne (c'est à dire en dehors d'une
tournée) était un obstacle de plus, car le défraiement
aurait dû être entièrement couvert par la soirée.
J'ai donc malheureusement vite abandonné cette idée.
J'ai donc revu mes ambitions à la baisse en
arrêtant la date du samedi soir pour être sûr d'avoir assez
de public, et en contactant des groupes moins connus, par
l'intermédiaire du label de la région parisienne Trauma Social.
Tados et Solidagité, qui partagent le même batteur, m'offraient
donc un bon compromis entre notoriété dans la scène punk
et un cachet abordable.
Il me fallait aussi au moins un groupe local pour
différentes raisons :
1. Un concert punk présente toujours au minimum 3
groupes, il est très rare de voir des affiches annonçant
seulement deux formations. C'est un milieu où, pour 5€, on en veut
pour son argent. Or les groupes locaux en général ne prennent que
peu voire pas du tout d'argent.
2. C'est également une « tradition » que
d'aider les groupes locaux en les faisant jouer avec d' autres de
renommée nationale ou internationale, et cela leur fait toujours plaisir
de partager la scène avec des personnes plus
expérimentées.
3. D'un point de vue pratique, les groupes locaux peuvent
plus facilement fournir du matériel si besoin est, et viennent toujours
accompagnés de quelques proches, pour grossir la foule. De même
ils peuvent aider pour l'affichage et la promotion en générale,
c'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour ce concert.
J'ai tout de suite pensé à White Card que je
connaissais et qui sont l'un des seuls groupes stéphanois à
chanter en français. Quant au Crades Marmots, je les ai
découverts au mois de décembre lors d'un concert à
l'Assommoir justement où j'étais moi-même spectateur. Je
leur ai proposé de participer à ma soirée et ils ont tout
de suite accepté.
2.3 La promotion
Pour attirer du monde à un concert punk, inutile de
prévenir le journal local ou les programmes culturels municipaux.
Deux solutions à exploiter au maximum : l'affichage et internet.
L'affichage fait également partie du folklore punk où le noir
et blanc est la règle, avec une image simple en
fond, les noms des groupes, leur style
et la ville d'origine, le lieu du concert et le PAF
(Participation Aux Frais).
Dès que j'ai réuni les 4 noms des participants,
j'ai contacté un ami informaticien, Florian Giroud, qui a conçu
l'affiche lui même en quelques jours, à la fin décembre
(voir annexe).
Je suis ensuite aller imprimer 50 affiches en format A3 avec 500
flyers (même design que l'affiche mais en beaucoup plus petit, voir
annexe).
L'étape suivante est l'affichage. L'affichage sauvage
étant assez sévèrement réprimé de nos jours,
j'ai choisi de porter les affiches dans des établissements/institutions
où je savais qu'elles allaient rester jusqu'au jour du concert. A savoir
une douzaine de bars/pub/cafés concerts de la ville, des centres de
langues, les librairies/bibliothèques, magasins de musique,... je
laissais à chaque fois une affiche et une dizaine de flyers.
Pour la promotion sur internet, tout est certes plus simple et
gratuit mais non moins long. En effet souvent l'information est noyée
dans la masse et il faut cibler et insister pour être efficace. J'ai donc
posté l'affiche du concert avec une brève explication, sur des
forums consacrés à la musique punk, des forums stéphanois
pas forcément musicaux, et surtout sur myspace. Via le blog de mon
propre groupe, j'ai posté la même chose en commentaire sur plus
d'une centaine de profils de groupes, amis ou associations.
Le chanteur du groupe White Card m'a beaucoup aidé pour
l'affichage de la même manière, et chaque groupe a fait circuler
l'information sur internet, à travers des sites ou forums
spécialisés.
Enfin, pour une reconnaissance plus officielle de
l'évènement, j'ai aussi prévenu la presse
stéphanoise et différents organismes de la francophonie (voir
http://www.dismoidixmots.culture.fr/?
p=13079). Clairement, mon but ici n'était pas de ramener encore plus de
public, mais de donner à ma soirée un statut, une raison
d'être plus spécifique qu'une simple soirée punk rock parmi
tant d'autres. « La Tribune le Progrès », le quotidien local,
nous a effectivement contacté par téléphone mais n'a pas
donné suite (pas d'article sur le concert), mais le ministère de
la culture a, lui, inscrit l'évènement dans la programmation de
cette semaine là.
2.4 Budget prévisionnel et fiche technique
« In the performing arts, crisis is apparently a way of
life. »
William Baumol & William Bowen, « Performing arts. An
economic dilemma » MIT Press, 1966
Cette citation rend compte d'un fait : le spectacle vivant est
constamment déficitaire. Françoise Benhamou 1996 ajoute que
« la fragilité économique de ce secteur, nourrie par la
croissance des coûts et la quasi-absence de réserves de
productivité, justifie sans doute l'ampleur des aides publiques et de
l'appel au mécénat dans les pays traditionnellement
libéraux. Cette intervention massive, très inégalement
répartie, ne suffit pas à assurer au secteur un équilibre
financier durable. »
En me lançant seul et sans subvention dans
l'organisation de cet événement, je m'attendais donc à
perdre de l'argent. Mais je savais que les risques n'étaient pas non
plus énormes, dans la mesure où le punk/hardcore fonctionne
très souvent sans subvention et que les concerts et associations se
maintiennent malgré tout.
Il me fallait tout de même préparer un budget pour
évaluer les besoins.
· Budget
DEPENSES
|
RECETTES
|
Défraiement et cachet des groupes : Tados +
Solidagité = 350€ miminum Total = 350€
|
Entrées : 70 entrées à 5€ =
350€
|
Promotion, affichage : 50€
|
Investissement personnel = 50€
|
Nourriture et boissons pour les artistes : 50€
|
Participation du bar = 50€
|
Total dépenses = 450€
|
Total recettes = 450€
|
N.B. : Si le total des dépenses venait à
dépasser celui des recettes, il faudrait alors augmenter
l'investissement personnel et /ou la participation du bar pour combler la
différence. En cas de perte vraiment importante, on se verrait
forcé de diminuer le cachet des groupes.
Si le total des recettes venaient à dépasser celui
des dépenses, on diminuerait d'autant l'investissement personnel et la
participation du bar. En cas d'excédent encore plus important, les
bénéfices seraient reversés aux groupes.
· Fiche technique
Aspect important d'un concert : le matériel. S'il
manque un micro ou un ampli, le concert est annulé ! Et si le
matériel est de mauvaise qualité, c'est tout le son et la
qualité du concert qui en pâtissent.
L'assommoir met à disposition une sono complète
(console Yamaha 16 pistes, 2 Retours actifs Thomann 120 Watts, 2 enceintes
Thomann 300 Watts). C'est en général ce que les
groupes ne possèdent pas, et quand bien même ce serait le cas
c'est assez compliqué à transporter (encombrant et fragile).
La batterie est mise à disposition par le batteur de
Solidagité et Tados (sauf les cymbales et la caisse claire).
Les amplis guitare sont également fournis par les
musiciens de ces deux groupes (sauf les têtes d'amplis).
L'ampli basse est fourni par les Crades Marmots qui proposaient
la meilleure qualité de matériel. Les microphones sont
également fournis par les Crades Marmots ainsi que par l'Assomoir, de
nouveau dans un souci de qualité.
Chaque groupe doit donc fournir ses propres guitares, basses,
cymbales et caisses claires. Ces accessoires là « ne se
prêtent pas » : fragilité, réglages personnels et
facilité de transport en sont les raisons.
Quant aux têtes d'amplis, généralement
chaque groupe utilise la sienne (car chaque guitariste règle son propre
son sur sa tête d'ampli personnelle) mais pour cette soirée
certains groupes feront « backline commun » : c'est à dire
qu'ils joueront exactement sur le même matériel de son en ne
modifiant que les réglages (gain de temps pour les changements de
plateau).
En terme de programmation, le dernier groupe doit finir de
jouer au plus tard à 1 heure du matin pour que le bar puisse fermer
à 1h30. Il y a quatre groupes, et il faut compter un quart d'heure pour
les changements de plateau (simplifiés comme on l'a vu par le fait que
Tados et Solidagité partagent le même batteur et que les Crades
Marmots n'en ont pas), donc si chaque groupe joue 45 minutes, il faut que les
White Card commencent à 21h au plus tard.
La programmation définitive est la suivante :
Ouverture des portes à 19h30
White Card 21h00 - 21h45
Tados 22h - 22h45
Crades marmots 23h - 23h45 Solidagité 00h - 00h45
Fermeture des portes à 1h30
2.5 Les objectifs
D'un point de vue personnel, l'objectif clair est d'allier la
musique punk/hardcore et la diffusion du français. Je veux montrer aux
punks qu'il est possible de s'exprimer en français dans la musique qui
nous plaît, et je veux montrer aux institutions de la francophonie qu'il
est possible d'utiliser cette musique pour promouvoir notre langue. De plus il
y a bien sûr pour moi une obligation de réussite puisque
l'évènement constitue la base pratique de mon mémoire de
Master 2. L'un de mes buts était également de réaliser de
bonnes interviews avec toutes ces personnes réunies,
L'objectif d'un concert est toujours de faire découvrir
des artistes, aux fans comme aux profanes. C'est l'occasion pour chaque
formation, particulièrement celles qui viennent de loin, de diffuser sa
musique et de conquérir du public. L'argent n'est clairement pas un
objectif pour ce genre de concert, les recettes ne servant qu'à couvrir
les frais engendrés par l'organisation du l'évènement et
la participation des groupes.
Dans l'optique de la diffusion du français, en plus des
quatre groupes qui chantent dans cette langue, il faut noter également
la présence de la table de presse de Solidagité (voir photos en
annexe) qui propose au public des CD et des vinyles de groupes punk dont la
majorité chante en français comme Heyoka ou Cent Raisons, mais
aussi des DVD et des fanzines. On n'a donc pas seulement une soirée
ponctuelle et des groupes en direct mais aussi l'accès à des
supports non périssables en français.
III. Le concert
1) Accueil des groupes et
bénévoles
Nous étions 3 personnes à l'Assommoir pour
accueillir les groupes, confectionner les repas, faire les entrées,
veiller à la sécurité, au bon déroulement de la
soirée, à la durée des concerts de chaque groupe et servir
les consommations au public. En ce qui me concerne je me suis occupé des
entrées, du repas et des changements de plateau.
Les groupes sont arrivés comme prévu autour du
18 heures à l'Assommoir. Le matériel a été
installé par eux-mêmes en quelques minutes, car chaque groupe
partageait le matériel apporté. Puis les deux groupes de
Montpellier/Béziers, qui ont le même batteur, ont fait de courtes
balances : réglage de la batterie, puis de la basse, puis de la guitare
et enfin des chants (un chant principal avec 3 choristes). Ensuite les Crades
marmots (qui jouent avec une boîte à rythme, donc sans batteur) et
enfin les White Card (le groupe qui joue en premier effectue ses balances en
dernier, afin de n'avoir plus qu'à jouer le moment venu, sans retoucher
aux réglages). Pendant ce temps là les Tados et Solidagité
installent le stand de merchandising (voir photos en annexes).
A 19H30, tout le monde (11 musiciens plus 3
bénévoles) était à table pour le traditionnel
(puisque nourrissant et très bon marché) salade/pâtes
bolognaise des concerts punks !
2) Les concerts
20H15 : après avoir débarrassé nous
ouvrons les portes pour accueillir les premiers spectateurs. Les White Card
commencent leur prestation à 21h00 devant une salle encore
clairsemée. Comme prévu ils terminent à 21H45, pour que
Tados puisse commencer à jouer à 22h00, le temps de changer le
matériel qui n'est pas commun aux différents groupes (guitare,
basse, cymbales et caisse claire). Cette fois, le public est plus dense et
l'ambiance monte en puissance. A 22h40, je me rends compte que le groupe est
loin d'avoir terminé son set et je dois donc leur demander de le
raccourcir. Ils jouent encore 3 morceaux et laissent la place aux Crades
Marmots qui peuvent donc commencer à jouer autour de 23h. Eux aussi ont
un set nettement plus long que les trois quarts d'heure alloués à
chaque groupe et je dois donc de nouveau leur demander de sauter quelques
morceaux pour finir dans les temps. Vient enfin le tour de Solidagité,
qui joueront jusqu'à 00h45 environ, ce qui nous laisse tout juste le
temps de laisser les gens finir leur verre puis fermer le bar dans les temps,
à savoir 1h30 du matin. Ne resteront ensuite que les artistes et les
bénévoles pour finir la soirée tous ensemble et
interviewer chaque groupe.
L'ordre de passage des groupes était
déterminé à l'avance : l'habitude veut que les groupes
qui
viennent de loin jouent après les locaux. Mais dans
notre cas, le batteur étant la même personne pour les deux
formations non stéphanoises, il lui fallait un temps de repos entre ses
deux prestations scéniques. Cela aurait pu poser un problème de
temps au niveau du changement de plateau, mais comme les Crades Marmots
n'utilisent pas de batterie il n'était pas nécessaire de changer
les cymbales, caisse claire et autres réglages entre les 3 derniers
groupes.
Les interviews se dérouleront de manière
détendue et spontanée. En effet, à l'écoute de ma
précédente interview avec Reuno de Lofofora, je m'étais
rendu compte que j'étais beaucoup trop intervenu dans ses
réponses, je ne le laissais pas toujours finir ses interventions et
parfois je l'orientais même vers la réponse que je voulais
entendre... bref, j'étais déçu de ma prestation et je
voulais donc rectifier le tire ce soir là en laissant les gens
répondre à leur guise et surtout jusqu'à ce qu'ils aient
complètement fini leurs réponses. Je voulais aussi davantage
rebondir sur leurs propos plutôt que de suivre strictement mon
questionnaire. Par exemple, il me semblait intéressant d'aborder la
question de l'occitan puisque les Solidagité ont par exemple en projet
d'enregistrer un morceau dans cette langue, et le fils du batteur Ratboy va
à l'école en occitan quelques heures par semaine. Ces gens ont
donc une démarche en faveur des langues régionales et de leur
diffusion, sujet que mes questions à l'origine n'abordent pas du
tout.
3) Le public
Nous ferons en tout et pour tout seulement 46 entrées
payantes ! Il en manque donc une bonne dizaine pour rentrer dans les frais.
Tados et Solidagité avaient 3 invités, et comme trop souvent dans
les concerts à l'assommoir, plus d'une dizaine de personnes sont
arrivées après 23h, une fois que les entrées
n'étaient plus payantes...
En effet on ne peut pas demander aux gens de payer plein tarif
alors que plus de la moitié des groupes sont passés, et on ne
peut pas non plus laisser une personne en permanence aux entrées. C'est
le cas dans la majorité des petits concerts, et les gens le savent bien.
Donc, quand ils connaissent trop les groupes qui jouent (comme les groupes
locaux que tout le monde a déjà vu plusieurs fois) ou au
contraire pas du tout (car les « têtes d'affiche » ne sont pas
assez célèbres), il attendent la toute fin de la soirée
pour profiter de quelques morceaux et retrouver des gens, sans payer
d'entrée. Si ces gens avaient joué le jeu et étaient venus
plus tôt, j'aurais pu rentrer dans mes frais.
Cependant les groupes ont quand même pu se produire devant
une salle assez remplie puisqu'en tout
près de 70 personnes étaient réunies dans le
bar pour cette soirée, sans compter la quinzaine de
musiciens/organisateurs, et pour eux cela était agréable et
l'ambiance était bonne.
D'un point de vue financier, les entrées ont donc
représenté 230 euros. Pour payer les 2 groupes de
Montpellier/Béziers, j'ai donc rajouté 50€ et le bar
30€. Les Crades Marmots et White Card ont renoncé d'eux-mêmes
à me demander un cachet, merci à eux et heureusement pour moi
!
A ce niveau là il s'agit donc d'un échec,
puisque la communication sur le concert à été largement
suffisante mais n'a pas suffi. Pour preuve, il y avait ce soir là des
personnes venues de Lyon, Clermont-Ferrand et de Valence ! Les raisons
expliquant le peu d'assiduité des stéphanois sont à
chercher ailleurs et elles sont multiples.
La principale est que le punk/hardcore n'est pas
particulièrement à la mode en ce moment, et qu'il n'y avait pas
de tête d'affiche suffisamment célèbre pour attirer du
monde simplement sur un nom. Je veux dire par là que les gens
présents venus voir ces formations sont des personnes investies dans la
scène (musiciens ou organisateurs de concerts), et que cette
soirée n'a pas attiré d'amateurs « lambdas ».
On peut aussi évoquer une semaine chargée pour
les amateurs de musique, avec la veille à Saint-Etienne un gros concert
en hommage aux Ramones (légendaire groupe de punk rock), et le soir
même un concert de musique électro au Fil et un autre de folk/punk
dans une ville voisine (Saint Symphorien sur Coise), plus le match football de
l'Association Sportive de Saint Etienne, le club de football de la ville
attirant encore plus de 20 000 spectateurs à chaque match à
domicile. Par
conséquent, bien que le concert ska/punk/hardcore fut
annoncé depuis longtemps, les gens ont düfaire un
choix.
De plus, il faut admettre que tout n'est pas si rose pour la
scène punk française et que l'effet de bande joue
énormément dans les concerts : beaucoup n'iront qu'à ceux
organisés par des amis à eux et jamais à ceux des autres.
Chaque association a son public attitré et on peut regretter le manque
de partage et d'ouverture entre elles.
Enfin, il faut savoir qu'en Europe de l'ouest, la France fait
pâle figure en matière de fréquentation des spectacles
vivants, comparée à ses voisins. Voici des statistiques issues de
l'Eurobaromètre de 2001, portant sur la fréquentation du
théâtre, des concerts et de l'Opéra en Europe : sur 100
personnes de plus de 15 ans de chaque pays, ont été à un
concert au cours de l'année précédant l'enquête :
Italie : 27
France : 26
Royaume-Uni : 30 Allemagne : 32
Suède : 45
Moyenne UE : 30
On constate qu'il est bien plus habituel pour un suédois
ou un anglais d'assister à un concert que pour un français, tous
styles de musique confondus.
IV. Bilan de la soirée
1) Les points positifs
Si, en fin de compte, ce concert m'a coûté
personnellement près de 100€, tout n'est pas cependant aussi noir !
Tout d'abord l'ambiance de la soirée était très bonne,
aucun problème de sécurité n'a été a
déplorer, même des incidents mineurs très fréquents
(comme des gens qui fument à l'intérieur de la salle de concert)
ne se sont pas produits. Aucune violence ou rixe à signaler à
l'intérieur ni à l'extérieur de la salle. L'entente entre
toutes les personnes impliquées a été très bonne,
nous avons tous mangé ensemble de manière très
décontractée, et avons eu nombre de conversations vraiment
intéressantes les uns avec les autres, à propos de musique, de
politique, de punk en général et bien sûr des paroles en
français !
On peut dire aussi que les concerts se sont bien passés
même si la salle n'était pas pleine à craquer, les groupes
ont bien joué, le timing a été respecté et le
public content des prestations des artistes. De même le bar a bien
marché et lui en tous cas n'a pas perdu d'argent !
J'ai pu faire mes interviews sans problème, même
si j'aurais aimé qu'elles fussent plus longues et plus
détaillées. Certaines personnes n'étaient vraiment pas
très loquaces (cf interviews de Solidagité et Crades marmots).
2) Solutions aux problèmes rencontrés et
perspectives
Le manque de public et le déficit budgétaire
ainsi entraîné sont selon moi la conséquence d'un
problème important qui était présent dès le
départ, mais que mon inébranlable optimisme m'a
empêché d'anticiper efficacement : le fait que j'organisais
moi-même la soirée et que c'était la première fois
que je faisais cela de cette façon.
En clair il m'aurait fallu une association pour palier
à tous les manquements dont j'ai fait preuve. Sans l'aide de certaines
personnes comme Grégory le gérant du bar, Julien Gomez pour la
sécurité et le son, Mic de White Card pour la promotion ou Sly
des Crades Marmots pour le matériel, rien n'aurait pu se passer.
Clairement, pour un tel projet, il faut être plusieurs, et avec une
structure officielle pour avoir une trésorerie, et des perspectives
(comme refaire un autre concert plus tard qui pourrait éventuellement
rembourser les pertes). Je regrette de ne pas avoir organisé ce concert
de manière plus officielle avec une association et d'autres personnes
impliquées dans le projet. Plus qu'une initiative privée il
s'agissait d'une initiative personnelle voire solitaire ! De plus, le fait
d'avoir un statut associatif m'aurait sans doute beaucoup aidé du point
de vue institutionnel, les instances de la francophonie auraient sans doute
pris l'initiative plus au sérieux si il y avait eu une véritable
association à l'origine du projet.
Enfin, même si j'ai eu cinq mois pour organiser ce
concert, une anticipation antérieure eût sans doute permis un
événement plus important (avec par exemple des plus grands
groupes) et peut être d'obtenir des subventions.
3) La diffusion de la langue
française
L'objectif d'inscrire la soirée dans la semaine
internationale de la francophonie a également été atteint,
puisque toutes les formations ont joué, et ont tous chanté en
français. Même si le public était peu important, beaucoup
plus de personnes étaient au courant ( par exemple le sujet posté
sur
www.sainte-underground.org
pour annoncer la soirée a été vu plus de 180 fois, et
plusieurs personnes ont prévenu qu'elles ne pourraient pas venir pour
des raisons X ou Y).
Je ne sais pas si les groupes ont vendu des CD ou pas, je n'ai
pas eu accès aux ventes. Je ne peux donc pas affirmer si la diffusion du
français s'est effectuée parallèlement via ce
média.
Autre objectif que je considère atteint c'est le fait
que plusieurs personnes à cette occasion découvraient les
groupes, et quelques autres venaient de loin pour assister au concert et
soutenir cet événement et la scène française.
Enfin, comme on l'a rappelé précédemment,
je regrette que ce concert n'ait pas été rendu plus
officiel au niveau des instances de la francophonie.
3 .1 Lors de la soirée : les paroles et le
message
Des quatre groupes qui ont joué ce soir là,
aucun ne chante des chansons d'amour ou des poèmes pour enfants ! Comme
on le voit dans les interviews, les paroles ont une importances capitale dans
la démarche artistique de ces gens, démarche qui s'inscrit tout
d'abord dans un investissement sociopolitique. Les paroles ne sont donc pas
là uniquement dans le but d' apporter de la mélodie aux morceaux
mais bel et bien pour exprimer quelque chose d'important aux yeux des
différentes et de leur public. De ce fait on ne peut pas dire que les
paroles de mes invités respirent la joie de vivre... cependant, on peut
voir qu'au delà d'une vision très noire de la
société, un aspect de la vie des musiciens leur apporte de la
satisfaction et du plaisir : la musique. Voici quelques extraits des textes des
principaux thèmes abordés :
· Les violences policières et la
répression sécuritaire : « Débarque alors la
cavalerie/A coups de matraque ils m'ont pris/Ils m'ont foutu dans le panier/et
ont continué à frapper/C'était une pluie de matraques/Qui
vous détruit qui vous détraque » (Solidagité, «
Mort aux vaches ») ; « Sous surveillance, on avance/Soit disant
libres et en confiance/Nos droits reculent ça sent le rance/Vos
caméras ne tueront pas nos sens » (White Card, « Sous
surveillance) ; « Le soir d'un concert pour rien tu te fais embarquer/dans
la jolie bétaillère de ces gens de la
maréchaussée/Une fois passé à tabac, on remplit ta
déposition/On te remet dans le trou à rat en attendant ta
libération » (Les Crades Marmots, « Le pouvoir des uns... fait
la douleur des autres »)
· Le capitalisme et l'économie de
marché : « De Paname à Wall Street/C'est la
même odeur de fric » (Les Crades marmots) ; « Des centaines de
milliards pour sauver un navire/Capitaine en fuite s'attendant au pire »
(White Card, « Dessine moi un Espoir ») ; « Bonne nuit
patron/Dors comme un con/Protège ton système/On ne sera jamais
les mêmes » (Solidagité, « Salut Patron »)
· La musique et la fête : «
On fait de la musique/A l'opposé du fric/Juste pour s'éclater/Et
pouvoir s'exprimer » (Les Crades Marmots « Combat antifestif »)
; « Quand arrive le week end/On se retrouve dans les concerts/En marge de
la société » (Tados, « Sacré Week end ») ;
« La soirée passe à toute vitesse/Les groupes
s'enchaînent et se déchaînent/Après la
quatorzième rappel/La salle ressemble à une
poubelle » (Solidagité, « Une dose de rock'n roll!! »)
· Antiracisme et antifascisme :
« Ca fait mal de se rendre compte/qu'il n'y a pas que de vieux
fascistes/Il y a de quoi avoir honte/Car la France a mal vieilli » (Les
Crades marmots, « Croix de bois, Croix de fer ») ; « Penser est
dangereux/Dans ton système fasciste/La peur et l'ignorance/Feront de toi
un Dieu » (White Card, « Condamnés ») ; « Ne pas
laisser venir/Ne pas se faire envahir/Il faut être présent,
toujours devant/Des soirées avortées/Pour deux ou trois
pelés/Au crâne rasé, ça plus jamais »
(Solidagité, « L'ennemi »)
Le message social est donc capital dans la raison d'être
de ces formations musicales, composées de gens faisant face à ces
réalités au quotidien, mais tous se considèrent comme des
musiciens bien plus que des militants.
Aussi, on pourrait croire qu'ils « prêchent des
convertis » dans ce genre de soirée, mais d'une part il n'est
jamais inutile de répéter certaines valeurs essentielles au
punk/hardcore et constituant l'essence même de ce mouvement
(l'anticapitalisme, l'amateurisme en matière de musique, théories
directement appliquées par les groupes en pratiquant des prix bas pour
les concerts et les albums) ; et d'autre part la lutte contre le racisme est
encore loin d'être gagnée dans notre pays, ni même au sein
de ce mouvement. En effet la mouvance apolitique dans celui-ci fait beaucoup
d'adeptes, et d'aucuns considèrent que « qui ne dit rien acquiesce
» en matière de racisme.
Confrontons maintenant cette brève analyse à une
autre plus poussée d'un second corpus de textes. Les quatre formations
présentes à la soirée ska/punk/hardcore en français
ne sont ni très connues ni très anciennes. S'inscrivent-elles
dans la continuité ou au contraire dans la rupture de ce qui a
été fait jusqu'à aujourd'hui par les
références du punk français ?
DEUXIEME PARTIE :
RECHERCHE
Le punk/hardcore et la diffusion du français
:
comment ce style de musique s'inscrit-il dans
cette
démarche ? Quel message est
véhiculé dans cette
scène ?
Dans la deuxième grande partie de ce mémoire, je
m'efforcerai d'établir le lien entre le mouvement punk,
particulièrement français et francophone, et la diffusion de
langue/culture française, et comment les deux peuvent être
associées. Je partirai des paroles d'acteurs du mouvement culturel
qu'est le punk/hardcore (leurs textes de chansons et leurs réponses
à une interview) pour comprendre le rapport que ceux-ci entretiennent
avec la langue : comment l'utilisent-ils dans leur pratique musicale, pour dire
quoi ? Qu'en pensent-ils ?
Ensuite je m'appuierai sur d'autres exemples que le
français pour voir comment certains punks ont compris
l'intérêt de ce mouvement dans la diffusion d'une langue/culture.
Je ferai ensuite le lien entre ce mouvement culturel et la diffusion de la
langue française, notamment en liant les deux réseaux
implantés un peu partout dans le monde, et en montrant qu'il peut
être utilisé en cours de FLE, pour aborder notamment des sujets
d'actualité.
I. Méthodologie de la recherche
Pour appuyer mon travail de recherche, j'utiliserai deux
corpus distincts et complémentaires : une série d'interviews et
des paroles de chansons. J'analyserai à la fois les créations
d'artistes et leur réflexions sur celles-ci. Que disent-ils, pourquoi et
comment perçoivent-ils ce qu'ils disent ? Nous verrons le rapport du et
des punks à la langue française, à travers leurs
créations et la réflexion qu'ils ont sur celles-ci.
Notons que le corpus de chansons a été
élaboré avant que la toute première interview ait
été réalisée. Cela a son importance dans la mesure
où les réponses à la question « Quelles sont pour
vous les références du chant en français et pour quelles
raisons ? » n'ont pas influencé mes choix.
1) Les interviews
voir les réponses complètes en annexe
Interroger directement les acteurs de la scène
punk/hardcore était le moyen le plus simple et sans doute le plus
efficace pour avoir un avis sur la question de la langue française dans
ce milieu. J'ai donc rédigé une série de 13 questions
à poser sur ce sujet, les mêmes pour tous les interviewés.
Mon objectif était de poser des questions assez ouvertes pour voir si
malgré tout on trouvait des points communs dans les réponses, ou
au contraire pour constater de grandes différences et ainsi ouvrir
des
pistes. Par exemple, à la question « Que
pensez-vous des groupes qui chantent (mal) en anglais ? » on aurait pu
avoir des réponses comme « Je respecte vraiment les gens qui font
l'effort de chanter en langue étrangère pour coller aux standards
du punk/hardcore », mais force est de constater que c'est loin
d'être le cas (voir II).
J'aurais aimé faire des interviews très longues
pour avoir une importante base de donnée sur laquelle construire ma
recherche, mais les groupes auraient peut-être davantage rechigné
à répondre, surtout à l'écrit.
J'ai pu réaliser neuf interviews, certaines par
écrit et d'autres à l'oral, que j'ai retranscrites. Quelques-unes
des personnes interviewées sont des véritables figures de la
scène punk/hardcore francophone, comme Reuno de Lofofora, Manu qui
était le batteur des Sheriff avant de fonder The Hop Là en 2002,
et les Vulgaires Machins de Montréal au Québec. Garage Lopez,
Brigitte Bop et Heyoka sont également des groupes assez connus dans le
milieu, tous sont actifs depuis plus de 10 ans et ont fait des centaines de
concerts à travers la France et même l'Europe en ce qui concerne
Heyoka. Enfin, White Card, Solidagité et les Crades Marmots sont les
groupes qui ont participé au concert que j'ai organisé le 19 mars
2011 pour les journées de la francophonie.
Je suis très satisfait de toutes ces interviews et
j'aurais vraiment aimé en faire plus. Les réponses sont directes,
parfois inattendues, souvent très ironiques, et finalement... totalement
punks. (« d'abord je voudrais rappeler que je suis un
montpelliérain, mon langage est donc fleuri de cet accent typique des
régions méridionales... imagine un peu fernandel jouant du
shakespeare, ça le ferait pas. » ; « [Certains groupes de rap]
ont du mal à écrire leur nom de groupe sans faute d'orthographe,
ils ne vont quand même pas apprendre l'anglais quoi ! Regarde Sexion
d'assaut !!! SE-X-I-O-N A-S-S-A-U-T !! Mais retourne en 6eme !! »).
Toutefois je nourris également un certain nombre de
regrets vis-à-vis de cette méthode de recherche : au fur et
à mesure de son avancement je me suis rendu compte que j'aurais dû
élaborer une seconde interview pour les formations chantant en anglais
afin d'avoir d'autres points de vue sur la question. Au lieu de cela je pose la
question « Souvent d'ailleurs [les groupes qui chantent en anglais]
parlent de la mauvaise rythmique de la langue française pour le rock.
Qu'en pensezvous ? » et j'obtiens donc une réponse indirecte et
peut-être un peu biaisée ou partisane.
Surtout, j'aurais vraiment interviewer des groupes
francophones non français, et même si l'interview des Vulgaires
Machins est très intéressante (de par leur
notoriété et la qualité de leurs réponses), des
opinions venues de Suisse, de Belgique ou d'ailleurs auraient été
intéressantes. Enfin, j'aurais aimé interviewer François
Bégaudeau, professeur de français, écrivain, acteur,
réalisateur et chanteur de
Zabriskie Point.
2) Les Chansons
Voir les paroles en annexe
Les 11 morceaux que j'ai choisis pour fournir une base
à mon analyse et mes arguments n'ont pas été pris au
hasard ou suite à un quelconque classement des « meilleures
chansons punks en français ». J'ai d'abord cherché à
étaler mon choix dans le temps, puisque 25 années séparent
le premier morceau (« Panik » de Métal urbain) du dernier
(« La Peur d'exister » de La Fraction). Ainsi les différentes
époques du punk en français sont représentées, et
trois décennies sont couvertes.
J'ai également tenté de prendre des paroles des
groupes les plus connus, voire incontournables de par leur succès et
leur degré d'estime auprès des gens de la scène (comme
Métal Urbain, Bérurier Noir, Mano Negra ou Guerilla Poubelle).
Évidemment il est impossible de constituer un corpus vraiment
représentatif de l'ensemble de punk en français et beaucoup
manquent à l'appel (Parabellum, Banlieue Rouge, Les Wampas, Los Tres
Puntos,...). Il fallait garder en tête que ceci n'est pas une recherche
sur les paroles dans le punk mais sur la diffusion du français dans le
punk/hardcore.
Une fois les groupes sélectionnés, j'ai choisi
l'un de leur morceaux en fonction des paroles, sans chercher un thème ou
une longueur en particulier, simplement un morceau dont j'étais
sûr que les paroles me plaisaient. Il s'agit donc en dernier lieu d'un
choix on ne peut plus subjectif qui ne tient qu'à moi.
Je voulais en sélectionner dix pour faire un chiffre
rond, mais il m'a été bien trop difficile d'en enlever un de plus
sur les vingt que j'avais pris au départ. Je n'ai pas gardé tous
ces textes pour ne pas m'éparpiller dans une jungle de mots et de
thèmes, et tenter de coller à la problématique de
départ.
3) Les difficultés
Le principale difficulté rencontrée dans le
cadre de cette recherche universitaire fut le manque de sources scientifiques
sur lesquelles m'appuyer, on peut affirmer qu'il n'existe aucun ouvrage de ce
type concernant la problématique que je développe ici. Je suis
donc allé voir du côté des industries de la langue et de la
culture que sont l'industrie du disque et du spectacle vivant, ainsi que la
sociologie de la culture. Il est tout simplement impossible de
trouver des chiffres précis et fiables pour la grande majorité de
ce dont j'aurais eu besoin : ventes de disques, nombres de concerts
effectués dont ceux à l'étranger, nombre de spectateurs
sur les tournées, revenus des artistes de la scène punk/hardcore
(grâce à leur musique et dans le cadre de leur travail) et budget
des différentes formations, tout cela dans le but d'appuyer et
d'étayer mes idées, ainsi que pour comparer par rapport à
d'autres milieux musicaux.
D'autre part, du fait que cette recherche se base, entre
autres, sur des enquêtes de terrain, le temps, les déplacements et
les coûts que cela peut engendrer ont aussi été un obstacle
à des investigations plus avancées : il aurait été
extrêmement intéressant d'aller dans des pays étrangers
(voir III) réaliser des interviews et constater l'état
linguistique du mouvement, et même en restant en France j'aurais pu
assister à davantage de concerts pour rencontrer un plus grand nombre de
personnes et encore une fois les interroger afin d'obtenir le maximum
d'informations.
Concernant l'histoire du punk/hardcore, les groupes à
étudier et quelques sources bibliographiques ou discographiques, je me
suis servi des nombreux ouvrages journalistiques qui existent à ce sujet
: magazines, anthologies, documentaires. Cette partie du mémoire a
été moins compliquée à effectuer.
II. Les rapports des groupes à la langue
Avant d'aller plus en avant dans la réponse à ma
problématique, une étude pragmatique des documents dont je
dispose s'impose. Tout d'abord, je chercherai à voir ce qui est dit dans
les chansons constituant notre corpus, pour dégager les thèmes
principaux, le type de langue utilisé et le discours tenu par les
formations. Ensuite je m'intéresserai de la même manière
aux réponses données dans les interviews, afin de recouper ce qui
est dit dans les textes et ce qui est dit dans les entretiens. Cela me
permettra de dégager quelques lignes directrices indiquant quels
rapports les gens du milieux punk/hardcore entretiennent avec la langue
française.
1) Analyse des paroles
A partir du corpus de paroles de chansons disponible en annexe,
nous allons tenter une analyse
approfondie des textes de punk/hardcore en langue
française. Dans la revue « Glottopol » de janvier 2011,
Michaël Abecassis et Gudrun Ledegen affirment que « La chanson, comme
fait de société, possède de multiples fonctions
(métalinguistique, communicationnelle, artistique, culturelle, sociale,
politique, affective), et n'est donc pas un simple moyen de transmission d'un
message sémantique, mais également un vecteur et un symbole des
valeurs d'une génération, d'une communauté ou d'une nation
». L'objet de ce chapitre est de voir quelles valeurs sont transmises dans
le style de musique qui nous intéresse.
1.1 Les Champs lexicaux
Dès la première lecture des paroles du corpus,
plusieurs champs lexicaux s'imposent d'eux-mêmes :
· mort/mourir et vie : « Balance ta
vie Tu vis tu vas vivre Meurt le pouvoir » « La mort est noire mais
rions jaune » « De voir pleurer de voir mourir » « La mort
est lente mon général » « envie de m'faire sauter
les plombs » « envie de crever ton chat » « Ils vendent la
mort » « Pour une mort infecte » « On est tous mort »
« Trop pressé de mourir » « Une vie pourrie » «
s'ouvrir les veines » « La vie qui te tombe dessus »
· guerre/armes : « Sous les
casques verts le sang rouge » « La mort est lente mon
général » « Des bombes brulant d'agent orange En
étouffant de défoliant » « Sous les soleil rouge des
mortiers » « Un jeune soldat » « Techniques de combat,
opérations de survie » « la folie c'est la guerre »
« ce sont des bombes au napalm » « Des coups de matraque »
« Mais avec un flingue à la main Il vit la guerre au quotidien
» « Guerre des nerfs » «Victime complice de l'acte
terroriste. » « Bataille déjà perdue » « la
mitraille »
· pleurer/pleuvoir : « De voir
pleurer de voir mourir » « Il pleut des images » « il pleut
sur le Viêt-nam (Afghanistan, Liban, Nicaragua...) » « c'est
une pluie de sang » « Il ne peut pas pleurer » « Mais dans
la ville tous les hommes sont pluvieux » « demain il pleut »
«je fais mon possible pour ne pas pleurer »
· télé : « Allume la
télé » « Et regarder la télé »
« Radio fourre tout télé immonde » « Devant la
caméra en direct » « Panique sur les écrans »
« Qui va diffuser le premier Scoop à la télé, l'info
est plombée » « De son écran couleur éclairent
son dos » « une putain
d'émission » « heureusement qu'y a la page de
pub »
· grisaille/ville : « Tu agresses la
ville » « Portillons, escaliers mécaniques » «
Triste vie, triste ville » « Mais dans la ville tous les hommes sont
pluvieux »
· couleurs : « Rouge rouge rouge
et noir » « Sous les casques verts le sang rouge » «
bérets verts » « La mort est noire mais rions jaune »
« Des bombes brulant d'agent orange » « Sous les soleil rouge
des mortiers » « grosses lunettes noires » « Le ciel est-il
noir » « Carte orange » « De son écran couleur
éclairent son dos »
· musique : « J'entends au loin
les cris les chants Chants victorieux des plages Normandes » « Des
milliers de CD, des millions de chansons. Des concerts à qui, des qu'on
sert à quoi, des qu'on sert à rien. Des concerts dans des bouges
»
Nous avons clairement affaire ici à des textes
très négatifs qui ne respirent guère la joie de vivre...
on constate une tendance chez les musiciens punk/hardcore à
dépeindre une réalité urbaine triste et difficile. Des
liens sont tissés entre le fait de vivre en ville, l'aliénation
par la télévision, et la tristesse puis finalement la mort. En ce
sens l'analyse que nous avons faite en première partie sur les textes
des groupes qui ont joué le 19/03/2011 à l'Assommoir rejoint
cette première constatation.
On remarque également un vocabulaire de la guerre qui,
par contre, ne correspond absolument pas à la réalité
quotidienne de gens qui le chantent : on n'a ici que des groupes
français, donc des personnes qui n'ont jamais connu la guerre sur leur
territoire. Sans doute faut il voir ici le souci de s'ouvrir sur le monde et
sur les gens vivant une situation plus dure qu'en France, à
dénoncer les injustices qui ont lieu loin de chez nous.
L'agressivité de la musique est donc renforcée par
des textes pas forcément violents, ni insultants, mais plutôt
révoltés et pessimistes.
En ce qui concerne le niveau de langue, on a affaire à
un français courant, voire familier par endroit (« Comme envie d'me
faire sauter les plombs »), mais certainement pas soutenu (pas de
passé simple ou de vocabulaire particulièrement
recherché). Les paroles ne sont pas « codées » (pas de
verlan ou de vocabulaire particulier à un milieu social ou
géographique) et compréhensibles par tout le monde. Même si
certaines sont plus opaques que d'autres au niveau du sens global de la chanson
(comme « What is my punk? »), chacun peut comprendre de quoi il
s'agit dans tous les textes. Nous
nous trouvons donc face à un français populaire,
standard de l'oral.
Il faut également remarquer que les 11 textes sont
rédigés au présent de l'indicatif. Sans doute peut on y
voir là une volonté de décrire des réalités
et des soucis quotidiens, dans une dynamique liée à
l'oralité. Certains passages donnent d'ailleurs l'impression de
dialogue, comme si le narrateur attendait une réponse : « La mort
est lente mon général », « Comme envie de t'expliquer
comme ça/Que ton indifférence ne me touche pas ». D'ailleurs
beaucoup de textes comportent des questions : « La France est-elle
fière de ses bavures policières ? » ; « Lequel des deux
choisir ? » ; « Est-il fait de bric ou est-il fait de broc ? » ;
« Pourquoi n'es-tu plus le même ? ».
Tout cela confère aux textes la volonté de se
rapprocher de l'auditeur, en parlant la même langue et le même
langage que lui, de thèmes qu'il connaît, avec des interpellations
directes à son égard. Au début du XXeme siècle,
Maurice Chevalier et Charles Trénet utilisaient un vocabulaire populaire
pour raconter le Paris de la rue, comme le dit Michaël Abecassis dans son
article « From sound to music : voices from old Paris » :
« The popular speech they employed was often artificial and
contrived, and used tonguetwisters, puns, and non-standard vocabulary
repeatedly for comic effect ; The various linguistic signals (body movements,
verbal tics, complicit laughter, etc.) used by the performer to facilitate
interaction with his public were a key part of the artistic recreation of
popular speech. »
Aussi étonnant que cela puisse paraître si l'on
se tient à une comparaison purement musicale, on peut toutefois
rapprocher le punk/hardcore de la variété des années 1920
et 1930, qui à l'époque était aussi
considérée comme un «art mineur » ou une « musique
populaire » par opposition à « musique savante »
(Philippe Coulangeon, 2005), en cela que le but de chacune de ces musiques
cible un public qui lui correspond en employant le même langage que
lui.
1.2 Dimension sociale des textes
Comme on l'a déjà dit à plusieurs
reprises, le mouvement punk/hardcore ne se limite pas à une certaine
façon de faire de la musique, mais il englobe surtout la démarche
artistique et donc le message transmis via les textes des artistes. Mouvement
contestataire par essence, certains considéreront des groupes de rap aux
paroles engagés plus punk qu'un groupe musicalement punk mais avec des
paroles apolitiques (comme les américains de Blink 182 par exemple).
Après avoir apprécié le corpus de texte au
niveau lexical, intéressons nous ici cette fois à la
sémantique et au sens de ces textes.
Finalement, à quoi sert ce vocabulaire militaire et
morbide ? Quel message est transmis à travers ces mots forts ? En effet,
il nous faut constater qu'une seule chanson parle ouvertement de guerre, «
Sur les sentiers de la Gloire » de Ludwig Von 88. Mais pas n'importe
quelle guerre... une phrase nous permet de situer l'action : « A Dien Bien
Phu une pierre tombale ». Il s'agit donc du dernier affrontement entre les
forces coloniales françaises contre l'armée Viet Minh au
printemps 1954 et qui vit la France se retirer de la région après
cette défaite.
Au delà donc d'une première apparence de
violence gratuite derrière ces paroles, on trouve en fait la
dénonciation de l'empire colonial français et des guerres qu'il a
engendrées. Cette chanson, sortie en 1985 soit plus de trente ans
après cette bataille permet également d'informer de ce qu'a
été la guerre d'Indochine et la bataille de Dien Bien Phu, partie
de notre histoire bien souvent absente des programmes scolaires...
Le morceau suivant dans la chronologie, « SOS » de
Bérurier Noir, part des visions d'un grand blessé de guerre sur
son lit d'hôpital pour s'ouvrir sur la violence des divers conflits
mondiaux (on peut d'ailleurs constater que 25 ans plus tard, la plupart de ces
conflits sont toujours d'actualité : Liban, Palestine, Afghanistan...).
On a ici une vision plus humaine de la guerre, moins historique que dans «
Sur les sentiers de la gloire », mais dont le but est le même :
dénoncer l'absurdité de ces phénomènes.
La chanson « Chico » des Rats aborde le
problème sous un angle similaire, en parlant d'un petit garçon
qui « vit la guerre au quotidien ». Cette fois l'action n'est pas
située géographiquement, et ces paroles visent à
dénoncer deux autres aspects injustes de ce genre de situation : le
profit des uns (« eux ramassent les dollars ») et
l'indifférence des autres (« On vous a montré sa
misère/Devant la caméra en direct/Pour une mort infecte/Servie
à point dans votre assiette »).
Ce qui nous mène au deuxième thème
principal du corpus : l'aliénation par la télévision. Dans
leur morceau, les Rats parlent de l'indifférence générale
des gens dînant devant le journal télévisé du soir
face aux atrocités du monde.
Les Sheriff, dans « Jouer avec le feu », assument
le fait qu'eux-mêmes sont parfois hypnotisés par la
télévision et du coup ne font rien d'autre (« J'adore/Dormir
pendant la journée/Et regarder la télé/C'est sûr
c'est moins dangereux/Mais ça fait vivre plus vieux »), ce qui leur
permet de « vivre plus vieux » et donc de se fondre dans la masse.
Masse que les Cadavres, eux, dépeignent comme un troupeau de mouton, ou
plutôt comme des fourmis (« Le train charrie les fourmis
travailleuses »), en parlant également de cette indifférence
générale (« Radio fourre tout télé
immonde/Ne pas s'en faire, ainsi va le monde »).
Indifférence aidée selon Tagada Jones par une information
biaisée et orientée :
«Qui va diffuser le premier
Scoop à la télé, l'info est
plombée,
Qui a censuré la vérité »
puis
«Obnubilé,
l'oeil rivé,
l'esprit focalisé
Sans réaction ni même d'intuition
Empaffé, il digère à fond l'information
Eh! Eh! il se lève de son canapé
Eh! sans une critique »
Il apparaît que l'esprit critique et le souci de
l'actualité est un sujet récurent dans la chanson punk. Selon ces
artistes, il faut avoir conscience de ce qui se passe dans le monde et ne pas
se contenter de prendre les informations qu'on nous donne : il nous faut aller
chercher nous-même l'information juste. On note d'ailleurs qu'à
aucun moment les paroles ne se veulent prescriptives (« faites comme ceci,
regardez ou écoutez cela »), elles se contentent de pointer du
doigt des maux et de plaider l'autodétermination.
En terme de diffusion du français, l'aspect
socio-culturel est primordial, et cette apathie générale, cette
dénonciation du comportement des Français de la fin du
vingtième siècle est totalement ancrée dans son
époque. On peut tout à fait imaginer revenir un jour sur ce genre
de texte pour aborder le comportement de l'Etat français et de ces
citoyens à ce moment là de l'histoire. Ainsi Philippe Coulangeon
2005 affirme que « Les productions culturelles sont en effet soumises
à un cycle de vie. Des mouvements inverses de banalisation et de
réhabilitation culturelle déplacent périodiquement la
frontière qui sépare le domaine de la culture savante de celui de
la culture populaire. Cette dynamique temporelle entre de ce fait en
composition avec une série de clivages générationnels.
(..] Outre l'exemple du jazz ou de la chanson française, dont certains
textes (Brassens, Brel, Barbara, Ferré) voisinent aujourd'hui avec les
poèmes de Mallarmé ou de Villon dans les manuels de
l'enseignement secondaire, on peut constater qu'une grande partie de
l'opéra italien, qui relève aujourd'hui clairement du domaine de
la musique savante, était considérée, dans la
première moitié
du XIXe siècle, comme partie prenante de la culture
populaire [Di Maggio, 1982]. »
Loin de nous l'idée de considérer l'oeuvre de
Metal Urbain ou de Ludwig Von 88 comme de l'opéra, mais si le bassiste
d'Heyoka pense que « François et les Bérus ont
été les textes les plus concis qui frappaient le plus l'esprit
des gens, c'est vraiment quelque chose de terrible. Je pense que les
Bérus ont été une chance. Il y en a eu d'autres comme Brel
que j'adore ou Haine Brigade, je pense que dans 50 ans les gens les
écouteront encore. », peut être peut-on considérer ces
textes, si proches du quotidien d'une certaine frange de la population, comme
des témoignages uniques, véritables et poétiques d'une
époque (fin du XXe et début du XXIe siècle) et d'un pays
(la France), grâce à leurs paroles en français.
2) Analyse des interviews
2.1 Les interviewés
La seconde partie du corpus sur lequel nous nous basons pour
construire cette recherche est constituée de neuf interviews de groupes
punk/hardcore. Les quatre groupes qui ont joué le 19 mars 2011 sont
représentés (il n'y a qu'une seule interview pour les groupes
Tados et Solidagité car les deux formations partagent le même
batteur et sont très proches), et les six autres interviews sont celles
de personnes que je connais ou que j'ai eu la chance d'interviewer en allant
à leur concert. Une seule personne interviewée est
également impliquée dans la sélection de paroles de
chansons : il s'agit de Manu, aujourd'hui guitariste chanteur de The Hop
Là! et anciennement batteur des Sheriff. Toutefois, il n'est le parolier
d'aucun des deux groupes. Son avis est cependant de la plus haute importance
puisqu'il fréquente cette scène punk depuis plus de vingt ans et
a fait partie de la formation légendaire que sont aujourd'hui les
Sheriff.
Autre personnalité, plutôt issue de la
scène hardcore quant à lui, il s'agit de Reuno du groupe
Lofofora, également chanteur dans Mudweiser (dans lequel il chante cette
fois en anglais). De loin le groupe qui a vendu le plus de disques de tous ceux
interviewés (Lofofora a sorti des albums pour Virgin Music et BMG et
fait plusieurs apparitions télévisuelles comme dans la version
française de l'émission « Top of the Pops).
Les Vulgaires Machins sont la seule formation non
française de tout le corpus (chansons + interviews), et leur parole est
donc également très importante, sachant qu'ils sont sans doute le
plus populaire des groupes québécois en terme de ventes de
disques et sont forts d'une expérience scénique de centaines de
concerts à travers le Canada et la France principalement.
Heyoka est le groupe interviewé qui a le plus
tourné à l'étranger lors de sa principale période
d'activité entre 1994 et 1996. Brigitte Bop et Garage Lopez, sont deux
groupes aujourd'hui assez importants et surtout très actifs de la
scène punk en France, tous deux ont une discographie fournie et
également une importante expérience du live.
2.2 Les réponses
Comme tous les groupes ont répondu aux mêmes
questions, il est facile de dégager les points communs et les
différences d'opinion.
Première chose : personne ne déclare chanter en
français par obligation, autrement dit parce qu'il ne parle pas anglais.
La plupart affirment avoir la possibilité de chanter en anglais mais
préférer le français afin d'être plus honnête
et intègre. L'autre raison est que le public le plus proche étant
francophone, il doit être en mesure de comprendre tout de suite le
message (« je considère que le but de la personne qui écrit
des textes est que les gens qui sont en face comprennent. » pour Heyoka,
« Initialement, par choix (et pour être compris par la plus grande
partie du public ?!) » pour Solidagité).
On constate ensuite que l'intégralité des
personnes interrogées portent une importance toute particulière
à leurs paroles : lors de la composition tout d'abord, puis en les
incluant dans les CD. Tous les paroliers cherchent à écrire des
choses sensées, rythmées et/ou rimées (Crades Marmots :
« je recherche tout le temps des sonorités spécifiques, je
fais surtout attention aux rimes et à utiliser un français
correct. »). Tous les groupes jugent qu'il est important d'avoir de bonnes
paroles et de les rendre accessibles au public. D'ailleurs dans l'ensemble ils
considèrent que le public est sensible aux paroles et s'y
intéresse (voir réponses à aux questions 8 et 9). Pour
illustrer cela je citerai Vérole, le chanteur des Cadavres, dans une
interview donné pour le livre d'Arno Rudeboy, « Nyark Nyark !
:Fragments de la scène punk et rock alternatif en France (1976 - 1989)
», Broché, 2007 : « On était en France, notre public
immédiat c'était des gens que l'on connaissait, pour se faire
comprendre, il valait mieux chanter dans la langue du pays. [...] Il y avait
l'urgence, on avait des choses à dire, on les disait. Avec cette
volonté d'avoir des textes à slogans. Si, dans une chanson, tu
arrives à ce que les gens retiennent ne serait-ce qu'une phrase, et
qu'elle peut les faire réfléchir, tu te dis qu'au moins tu n'as
pas prêché dans le désert. »
Une première conclusion sans équivoque s'impose
à nous : les punk rockers ont un message à faire passer dans
presque tous leurs morceaux, et autant que faire se peut ils tentent d'y mettre
la forme. Les influences citées sont souvent celles que l'on retrouve
dans le corpus : Bérurier Noir, Zabriskie Point, Les Cadavres et Les
Sheriff principalement. En dehors du punk, deux autres grands noms de
la chanson en français reviennent à plusieurs
reprises : Noir Désir et Jaques Brel.
Quant à leur opinion sur le chant en anglais, et les
groupes francophones qui l'utilisent, deux attitudes sont adoptées par
les interviewés : la majeure partie d'entre eux n'y accordent aucune
importance dans la mesure où chacun doit faire comme bon lui semble
(« faut juste faire comme tu le sens » pour Reuno ou « chacun
est libre de s'exprimer comme il l'entend. » pour Manu).D'autres en
revanche sont nettement plus critiques: « Ils font n'importe quoi. »
pour les Crades Marmots ou « Je n'ai aucun intérêt pour les
groupes qui chantent un anglais cassé et mal écrit. » pour
les Vulgaires Machins. Il est vrai que la question est quelque peu
orientée avec le mot « mal » entre parenthèse, et on ne
parle donc pas des groupes qui chantent en anglais en général,
mais implicitement de ceux qui ne le maîtrisent pas parfaitement.
L'une des questions qui nous intéresse le plus dans le
cadre de notre recherche est la question n°6 : « Y a-t-il des mots ou
des thèmes qui reviennent régulièrement dans vos textes ?
». Heyoka parle du capitalisme sauvage, Reuno de la notion de
pêché et de l'influence de la
judéo-chrétienté sur l'inconscient des gens, Brigitte Bop,
«de bistrots et de personnages qui loosent », White Card «
d'injustice, de mort, d'idéologies dangereuses ... » et plus
largement pour les Vulgaires Machins de « la bêtise humaine
».
Cette question avait pour but de confronter les dires des
paroliers du punk/hardcore à leurs paroles, et de voir si le discours
était cohérent avec les faits. Et force est de constater que
c'est bien le cas ! On a vu les champs lexicaux en 1.1, ainsi la guerre est
à relier avec la réponse de White Card et des Vulgaires Machins,
et le capitalisme évoqué par Heyoka fait écho à
l'analyse des paroles des groupes qui ont joué le 19/03/2011 à
l'Assommoir (cf première partie du mémoire).
3.3 Conclusion
Nous avons donc une bonne partie de la scène pour qui
l'utilisation de la langue française dans sa pratique artistique (et
langagière évidemment) n'est absolument pas à remettre en
question. Bien qu'un nombre très important de groupes français
chantent en anglais, ceux qui choisissent le français ne le font pas par
hasard et la langue est pour eux le premier vecteur de leur message. Si
certains ont peur de « l'invasion » de l'anglais dans la langue en
général et dans la culture musicale en particulier, on peut
constater que malgré les apparences le punk rock est un terrain
où le français a sa place et pas seulement pour perpétuer
un éventuel « folklore » de la chanson en français,
mais bien pour évoquer l'actualité, la vie en France et
dénoncer des injustices. Inutile donc d'être
alarmiste par rapport à la situation du
français et à l'utilisation qui en est faite dans ce mouvement
culturel, finalement il est surtout représentatif de la situation du
français par rapport à l'anglais en général.
D'ailleurs, dans « Courrier International » n° 1058 du 10
février 2011, on trouvait l'extrait d'un article d'Andrex Hussey (lui
même professeur de français et doyen de l'Institut de
l'université de Londres à Paris) paru dans le journal anglais
« The Observer » disant que « L'enseignement du français
dans les universités du Royaume-Uni, déjà
sérieusement menacé, semble appelé à
disparaître d'ici quelques années. » et que, « en 2010,
pour la première fois, le français ne figurait plus parmi les dix
matières les plus étudiées par les élèves
britanniques » et enfin et surtout que « beaucoup ont vu dans cette
nouvelle le signe que le monde anglophone avait définitivement assis sa
suprématie culturelle. »
On peut être d'accord ou pas avec cette dernière
affirmation, effrayé ou pas, c'est en tous cas une situation qu'il faut
considérer comme plus ou moins acquise et probablement pour encore
longtemps.
Dans ce contexte, et en refusant toujours pour ma part de
considérer les langues du monde en compétition, voire en «
guerre », que peut on faire pour le français ? Je pense qu'il ne
faut pas prendre des initiatives ayant pour but de « contrer »
l'anglais mais plutôt visant à maintenir l'offre de
français disponible partout, toujours et dans le respect des langues en
présence,
Pour reprendre une image de Louis-Jean Calvet (« Pour
une écologie des langues du monde », Plon 1999), si une langue peut
se comparer à une espèce animale, avoir peur de la disparition du
français et militer pour sa survie équivaudrait à peu
près à s'inquiéter et à se battre pour la survie
des chats ou des pigeons face à la prolifération des rats ou des
moustiques. Il y a clairement dans ce domaine des langues/espèces
prioritaires à défendre de manière plus urgente que le
français. Enfin, pour continuer avec cette analogie, on sait qu'une
espèce qui prolifère trop, court à sa perte : sans
prédateur, les herbivores mangent toute l'herbe et finissent par
disparaître eux aussi. Il ne sert donc à rien de vouloir dominer
sans partage, seul l'échange est bénéfique.
III. Et les autres langues ?
Intéressons nous à la situation linguistique du
mouvement punk/hardcore dans 2 autres pays : l'Allemagne et le Brésil.
Ensuite nous approcherons le cas de deux langues régionales de France,
le basque et le breton.
Encore une fois, du fait du manque de données et de
recherches fiables sur la question, nous n'avons
pas choisi ces pays et ces zones là parce qu'ils
offrent des situations particulièrement intéressantes par rapport
à d'autres, mais parce que nous les connaissons bien après des
voyages et grâce à des contacts sur place.
Notre objectif ici est surtout de voir si, là-bas aussi,
l'anglais s'est imposé dans les habitudes des musiciens.
1) Le cas de l'Allemagne
En Allemagne le punk/hardcore est beaucoup plus populaire
qu'en France. Il suffit pour s'en rendre compte de regarder la liste
impressionnante de festivals de ce style pendant tout l'été,
outre-rhin, avec des têtes d'affiches de grande renommée :
- « Force attack festival » à Rostock, trois
jours, environ cinquante groupes, la majorité
allemands.
- « Punk & Disorderly » à Berlin, trois
jours et une cinquantaine de groupes également.
- « Spirit from the street », Magdeburg, trois jours,
trente groupes, la majorité allemands
- « With full force », près de Leipzig, trois
jours, environ soixante groupes (dont beaucoup de
métal), majorité de groupes non allemands.
Sans compter certains festivals où le punk/hardcore
est mélangé avec d'autres styles comme le ska ou le psychobilly.
En France, le seul festival digne de ce nom est le Hellfest mais c'est avant
tout le métal qui est à l'honneur là bas. En festivals
punk à proprement parler, on peut citer « les 24 heures du punk
» dans le Sud Ouest (la location change d'une année sur l'autre) ou
le « Kanivo Chaos » à Montréal dans l'Yonne, mais ils
sont beaucoup plus confidentiels : les festivals allemands attirent chacun
entre 7000 et 15000 spectateurs chaque année...
Maintenant, qu'en est-il de la langue utilisée par les
formations ? Comme partout ailleurs, l'anglais s'est imposé chez
certains groupes parmi lesquels Mad Sin, Bonehouse, Stage Bottles ou Cut my
skin, mais il existe également un nombre important de groupes qui ont
choisi l'allemand : Die Toten Hosen, Dritte Wahl, Normahl, Die Schnitter...
La particularité du punk/hardcore en Allemagne
réside surtout dans un phénomène que l'on ne retrouve que
très rarement ailleurs : un très grand nombre de formations qui
chantent tantôt en anglais, tantôt en allemand : Terrorgruppe,
Slime, Eight Balls, Wizo, Commandantes (qui chante aussi quelques morceaux en
espagnol et en français). Nina Hagen, LA figure internationale du punk
allemand pour plusieurs raisons (notamment parce qu'elle est là depuis
1977 et originaire de Berlin-
Est), fait partie de cette catégorie.
Certains d'entre eux mélangent parfois les deux langues
dans le même morceau, voire dans le même vers comme Mad Minority ou
Bubonix !
En voici d'ailleurs un exemple frappant, refrain du morceau
« Irrational Autoscooter » de Mad Minority :
« Kein Plan - feel my feelings! - weiss nur
nicht wohin damit!
My hear is an emotional Achterbahn
Verhaltensweisen - irrational, aber doch konsequent! My
heart is an emotional Achterbahn. »
Le groupe Dritte Wahl, qui chante exclusivement en allemand,
a entièrement réenregistré son album « Auge um Auge
» (« OEil pour oeil ») en anglais et l'a appelé
«Tooth for tooth » (« Dent pour dent »).
Ainsi, dans une approche « écologique » (cf
Calvet) des langues, on a là un contact bénéfique de deux
langues pour la création artistique avec un plurilinguisme
assumé, et duquel on s'amuse. L'échange entre l'anglais et
l'allemand, le mélange même qui en est fait par les groupes permet
une « mutualisation » des mots et donc du message, avec une
portée plus grande en terme d'audience. Phénomène
particulièrement intéressant « sociolinguistiquement »,
car l'alternance de code linguistique (ou « code switching »)
effectué ici par les locuteurs n'est pas dû à un contact de
langues en présence dans la même aire géographique ou
à une diglossie. L'allemand est la langue du pays et l'anglais la langue
du style musical, un code vient de la culture nationale et l'autre de la
culture musicale adoptée par les artistes (d'où l'idée du
punk/hardcore comme « supraculture »).
Bien sûr, cette situation a lieu en Allemagne mais pas
en Angleterre (où les groupes chantent uniquement en anglais), mais aux
Etats-Unis par exemple, l'espagnol fait de plus en plus son apparition dans les
paroles des formations américaines, de la même manière que
l'anglais « pénètre » l'allemand dans les compositions
punk/hardcore. Le groupe The Casualties a eu la même démarche que
Dritte Wahl en réenregistrant son album « On the front line »
en espagnol pour donner « En la linea del frente ». Toujours le
même but : rendre facilement accessible le message au plus grand
nombre.
2) Le cas du Brésil
Le documentaire « Botinada : a origem do punk no Brasil
» s'ouvre sur ces mots de Chico Buarque (un des plus grands artistes de
musique brésilien) : « Se o punk é o lixo, a miséria
e a violência, entâo nâo precisamos importa-lo da Europa,
pois jà somos a vanguarda do punk em todo o mundo. »
En effet, la naissance du punk/hardcore au Brésil est
bien différente de ce que l'on a connu en Europe puisqu'elle est
arrivée sous un gouvernement autoritaire et dans des conditions de
misère et de violence autrement plus graves que ce pour quoi les jeunes
anglais s'étaient révoltés... Les brésiliens
n'avaient donc un accès que très limité à
l'actualité du mouvement dans les pays du Nord (« Para você
conseguir um vinil era o pagamento do mês », Mineirinho, du groupe
Punk-SP) et se sont donc créé une identité propre.
Dès le début du mouvement, aucun groupe ne
chante en anglais. Voici la liste des formations punks brésiliennes que
dresse Antonio Bivar dans « O qué é Punk » en 1982 :
« As primeiras bandas datam de 1978 e tinham nomes como AI-5,
Condutores de Cadàver, Restos de Nada. Hoje elas nâo mais
existem, mas muitos de seus membros formaram outras bandas como a
Inocentes, Desequilibrio, Estado de Coma e a Hino Mortal.
[...] Além das citadas, os grupos Olho Seco, Colera, Fogo Cruzado,
Lixomania, Mack, Suburbanos, Ratos de Porâo, Desertores, Passeatas, [...]
e as bandas femininas Skizitas, Zona X e A Banda sem Nome - para citar apenas
metade delas. »
Cette longue énumération ne contient pas de nom
anglosaxon, et le chant en portugais apparaît aujourd'hui encore comme
l'évidence au Brésil. En effet la grande majorité des
groupes brésiliens (et même les formations de hardcore, genre dans
lequel, on l'a vu, l'anglais est encore plus répandu que dans le punk)
chantent en portugais, y compris celles qui s'exportent le plus à
l'international !
Voici ce qu'on peut lire sur le site officiel du groupe
Agrotoxico (
http://www.agrotoxicohc.com.br)
: « While they were trying to promote the CD, three Agrotóxico
members got an offer to join Fabio Sampaio to reform the legendary Olho Seco.
Naturally they took the offer and Marcos, Jeferson and André began to
jump from one band to the other between shows, a marathon that very few could
take... The first Olho Seco gig was at a sold out Hangar 110, with support
bands Phobia and Discarga. After that there were several local gigs until they
got their first European tour in their 20-year history! It was a tour that
covered 9 countries, among them some dodgy places like Amsterdam, Utrecht and
The Hague (Holland), Bilbao and Burgos (Spain), Lisbon and Loule (Portugal)
Lubjiana (Slovenia), Berlin, Leipzig, Hannover and Hamburg (Germany) Stockholm
(Sweden) etc. »
De même pour le groupe Ratos de Porâo : pour
commémorer le trentième anniversaire du groupe,
ils ont tourné dans de nombreux pays d'Europe dont la
France (entre autre le 13/07/2007 pour un festival à Callac (22), avec
notamment Heyoka) mais aussi la Pologne, la République Tchèque,
l'Allemagne, l'Espagne...
Autre exemple significatif de la vitalité de la langue
portugaise dans le punk/hardcore brésilien, le groupe Porcos Cegos.
Cette formation de l'état de Sao Paulo s'est effectuée en 1993
sous le nom anglais de Blind Pigs, puis a décidé en 2006 de
traduire son nom en portugais et de ne plus chanter que dans cette langue. Il
m'a été impossible de trouver la raison de ce choix.
Malgré le peu de ressources disponibles sur la
question, il est très simple de constater que l'immense majorité
des groupes brésiliens chantent en portugais (une brève recherche
sur internet confirme ce sentiment). Est-ce dû à
l'éloignement géographique du Brésil avec les pays
anglophones ? A l'envie de diffuser le portugais ? A un certainement
ressentiment vis à vis des Etats-Unis ?
Difficile de répondre à cette question, mais
cela nous permet au moins de dire qu'il est possible de chanter dans une autre
langue que l'anglais, de faire de la musique de qualité et de tourner au
niveau international.
3) Le cas du basque et du breton
Musique contestataire par excellence, le punk/hardcore a
trouvé chez les militants indépendantistes de France un terrain
fertile, et certains n'hésitent pas à le mélanger à
la musique traditionnelle pour rajouter au côté régional et
identitaire. Instauré par les irlandais The Pogues, le « Celtic
punk » (mélange de rock et de musique traditionnelle) a fait des
émules d'abord aux Etats-Unis puis en Europe. C'est notamment le cas en
Bretagne.
Il existe un grand nombre de groupes bretons, grâce
notamment à la présence de deux des plus grands labels
français en la matière : Mass Productions (depuis 1996) et
Enragé Productions (depuis 1995), mais la plupart chantent en anglais
(Mass Murderers, Burn at all, Nevrotic Explosion...) ou en français
(Tagada Jones, Core Y Gang, La Zone...). Toutefois quelques uns ont choisi de
s'exprimer en breton quand la cause régionaliste leur semble importante.
Le plus connu de ces groupes est : les Ramoneurs de Menhirs, grâce
à la présence du Loran, ex-guitariste de Bérurier Noir.
On peut également citer Trouz An Noz, Tri Bleiz Die...
La Bretagne est donc une région
particulièrement fournie en formations de punk/hardcore, mais la cause
bretonne reste marginale dans l'ensemble du mouvement, même si
l'avènement des Ramoneurs de Menhir a ramené le débat sur
le devant de la scène, au propre comme au figuré.
Le punk basque a choisi de marquer sa différence en
nommant (puisque « nommer c'est faire exister ») ce style « le
rock radical basque ». Principaux groupes : Kortatu, Eskorbuto, Skunk,
Negu Gorriak, Berri Txarrak... (NB : on ne fait pas de différence entre
les groupes basques côté français et ceux du
côté espagnol, tout simplement parce qu'il est parfois impossible
de le savoir !). Certains d'entre eux ont connu un grand succès à
l'international (et pas seulement au Pays Basque, en France et en Espagne).
Voici d'ailleurs un extrait d'article du magazine Punk Rawk
n° 34 à propos de Berri Txarrak: « Quand on est basque
signé sur un petit label, et que l'on défend la langue d'Euskadi,
difficile d'imaginer que l'on partira un jour à travers l'Europe avec un
groupe de la stature de Rise Against (célèbre groupe
américain, ndr).. [...] « Les premiers groupes que j'ai
aimés gamin étaient Negu Gorriak et Kortatu car ils chantaient
dans notre langue » se souvient le chanteur guitariste Gorka. «
Je suis fier d'effectuer cette tournée européenne avec Rise
Aigainst en chantant en basque. On nous dit souvent que si on chantait en
anglais, nous aurions plus d'ampleur. C'est peut être vrai mais le basque
est le fondement de Berri Txarrak (Mauvaises Nouvelles en VF). Notre
action dans ce sens est militante. »
Adeline Nguefak de l'université de Yaoundé a
étudié linguistiquement la chanson camerounaise et la place du
français dans celle-ci, au milieu des nombreuses langues nationales
présentes dans ce pays. Et voici ce qu'elle nous dit : « Lorsque
les chansonniers sont compétents dans leur langues locales et qu'ils les
utilisent dans leurs chansons, le choix de celles-ci répond alors
à deux logiques. La première est d'ordre identitaire. Elle
conduit les auteurs à affirmer leur identité ethnique ou
nationale en préférant les langues nationales véhiculaires
ou en leur accordant une place notable dans le répertoire. [...] Leur
usage permet au chansonnier d'affirmer son identité par rapport aux
groupes sociaux en présence, d'impliquer d'avantage les membres de ce(s)
groupe(s) dans le combat qui doit être mené dans et hors de la
chanson. [...] La deuxième logique est commerciale : il s'agit
d'utiliser le français ou l'anglais exclusivement, davantage ou au moins
autant que les langues nationales véhiculaires pour s'adresser à
un public international et inscrire ses productions dans une perspective de
carrière professionnelle »
Ces deux logiques peuvent également s'appliquer au rock
basque, et la deuxième démarche, celle
d'ordre commercial qui vise à toucher un public
international, peut même s'appliquer aux groupes francophones chantant en
anglais, comme on a pu le constater dans les interviews :
Heyoka :
« Donc pour toi c'est un argument défendable
d'écrire en anglais parce que ça sonne mieux sur la musique ?
Défendable, si tu vas jouer à l'étranger.
»
Pour revenir aux langues basque et bretonne, on a là une
analogie frappante avec ce que dit Adeline Nguefak des chansonniers
camerounais.
Pour conclure ce sujet, on peut dire que ces groupes de
langue régionale ont compris l'intérêt du fonctionnement
punk pour diffuser leur message via leur propre langue : possibilité
accrue de tourner plus que localement, public réceptif à un
message anti-autorité et pro-minorités.
IV. LE PUNK/HARDCORE ET LA DIFFUSION DU
FRANCAIS
1) Forces et faiblesses du mouvement
Nous allons tenter de voir ici quels sont les avantages et
les inconvénients de ce style de musique dans le domaine qui nous
intéresse. Forts de nos constatations dans les domaines
épistémologiques (quelles sont les recherches qui ont
été faites à ce sujet), linguistiques et
sémantiques (analyses des paroles et des interviews) et sociologiques
(notamment avec les exemples d'autres langues), voyons dans quelle mesure le
genre de musique punk/hardcore peut, et peut ne pas être utile à
la diffusion du français.
Le cloisonnement auto-imposé par le mouvement
punk/hardcore est sans nul doute sa plus grande force pour la constitution d'un
réseau solide et solidaire, ainsi que pour se maintenir loin des
courants de mode et des institutions ; mais aussi sa faiblesse majeure pour une
plus grande exposition populaire et une diffusion plus officielle.
On a pu voir qu'à travers son langage direct et
orienté vers l'audience, le style punk/hardcore permet aux groupes de
langues minoritaires d'accéder à une scène d'exposition
dépassant le simple cadre régional et « folklorique ».
De même, c'est un style de musique qui offre la possibilité
à ses acteurs de voyager et tourner dans des pays très
éloignés. Alors, même si l'exemple le plus « exotique
» qu'on a vu, le Brésil, est un pays extrêmement riche
culturellement et exporte une grande quantité de ses écrivains,
musiciens et sportifs, il est intéressant de voir comment un style
musical venu d'ailleurs a su être domestiqué et exploité
par les Brésiliens. Le réseau communautaire punk permet une
diffusion mondiale de cette musique, et au vu de l'importance des paroles dans
celle-ci, on ne peut nier qu'il s'agit d'un moyen de diffusion et
d'échange des langues très efficace.
De ce fait, on pourrait imaginer lier les deux
réseaux, celui du punk/hardcore et celui du FLE, dans un «
échange de bon procédé » : pour les groupes
francophones, cela les aiderait à trouver des dates dans des pays
où le milieu punk n'est pas très développé (comme
certains pays d'Asie ou d'Amérique latine), et pour les institutions de
la francophonie, faire venir des artistes francophones dans des pays où
cela est rare (souvent les mêmes !). La France a la chance de disposer
d'un réseau culturel important à travers le monde, et il ne faut
pas hésiter à se servir de ce réseau pour présenter
des artistes qui n'ont pas toujours droit à une exposition officielle.
Le principal atout du français dans son développement à
travers le monde est son réseau, unique en son genre, d'alliances
françaises et de centres culturels, présent dans presque tous les
pays du monde. Dans certains pays isolés comme le Laos ou la Bolivie,
ces centres représentent parfois le seul îlot de culture local
avec accès à des livres, à internet, et à des cours
de langue. Pourquoi pas aussi à des concerts ? Cette
accessibilité à la culture et à la langue française
est donc extrêmement importante pour le maintien de son influence dans le
monde, et bien que la diffusion du français soit toujours une
priorité pour le gouvernement (environ 40% du budget du Ministère
des Affaires Etrangères y est consacré), son maintien est loin
d'être assuré, comme le dit Jean Hourcade dans le monde du
20/01/2011 : « Paris a désormais prévu de supprimer dans les
trois ans 400 postes dans les SCAC (Service de Coopération et
d'Action Culturelle, ndr) que les ambassadeurs vont devoir
désigner. Ne subsisteraient, en Asie par exemple, que quelques gros
postes dans les pays émergents à la mode (Chine, Inde) alors que
notre fierté était de mailler la quasi-totalité des pays,
où la France jouissait (jouit encore pour le moment) de relais solides
qu'on va sacrifier et qui nous oublieront. »
Cependant, si la musique en général et le
punk/hardcore en particulier sont des moyens de diffusion et d'échange
efficaces, ce moyen est également assez limité, concernant ce
style musical, dans la mesure où le public reste justement communautaire
et a du mal à s'ouvrir au plus grand nombre. Les « mass
média » restent hermétiques au punk/hardcore et
réciproquement, donc le public touché
demeure restreint aux initiés.
Autre problème lié cette fois au style musical
intrinsèquement parlant : la diffusion du message lors des concerts,
pendant le spectacle vivant ou « produit éphémère
» qu'il constitue. Comme on le voit dans les interviews, la qualité
du matériel et/ou la rapidité et le volume de la musique ne
permettent pas une bonne compréhension des paroles en live (même
si ce n'est pas toujours vrai, certains groupes mélodiques
bénéficiant d'une notoriété suffisante pour jouer
sur du bon matériel - donc en général des
américains - chantent de manière tout à fait audible
même en concert). Cela constitue un frein indéniable à la
diffusion du message, auquel il est difficile de remédier. On peut
toutefois arguer qu'il incombe à l'auditeur de faire la démarche
volontaire de s'intéresser aux paroles si le spectacle lui a plu, ce qui
semble d'ailleurs être le cas dans le milieu punk/hardcore (Heyoka :
« Quand vous tournez à l'étranger, est-ce
que le public vous demande ce que vos paroles veulent dire ?
- Alors, non seulement les gens s'intéressent, mais...
[...] Nous ce qu'on propose, on livre les choses telles quelles, en fait,
après les gens l'acceptent ou l'acceptent pas, il faut faire des
efforts. Nous quand on était plus jeunes, maintenant on a la quarantaine
mais bon, quand tu voulais être punk, il fallait que ce soit toi qui
ailles vers les groupes parce que t'avais pas internet, t'avais pas des tas de
choses, donc tu leur écrivais, et t'avais une démarche volontaire
parce que tu t'intéressais à eux.
-Donc en général les gens s'intéressent
à ce que vous dites, que ce soit en France ou à l'étranger
?
-Complètement, ils cherchent à comprendre.
»)
Toujours dans cette idée de lier les deux
réseaux punk/hardcore et francophonie, il faudrait donc d'une part que
les artistes n'hésitent pas à venir jouer dans des lieux qui
leurs seraient inhabituels et d'autre part, il faudrait que les gérants
de ces lieux n'hésitent pas à accueillir des artistes d'un genre
inhabituel pour eux, et dans des conditions décentes.
2) Politique linguistique, politique culturelle et
punk/hardcore
Les politiques culturelles menées depuis André
Malraux dans les années 60 et surtout après mai 68 visent, dans
l'ensemble (et bien sûr avec des divergences de points de vue, de
méthode et d'efficacité selon les ministres et les
époques) à rendre la culture accessible au plus grand nombre,
à la démocratiser, et à réduire « la fracture
sociale » que constituait l'accès à la culture (Philippe
Douste-Blazy, ministre de la culture sous Jaques Chirac en 1995, disait que la
politique culturelle se
doit d'être « l'élément essentiel de
la réduction de la fracture sociale. »). Jean Caune, dans « La
démocratisation culturelle » (PUG 2006) : « Depuis les
années 70, en matière d'art et de culture, les responsables
politiques suivent la logique initiée par André Malraux :
favoriser l'accès aux biens culturels grâce à une politique
d'offre et de conservation du patrimoine. » et le préambule de la
Constitution française affirme que « la nation garantit
l'égal accès de l'enfant, de l'adulte, à l'instruction,
à la formation professionnelle et à la culture. »
Ainsi le Ministère de la Culture se fixe-t-il pour
objectif de faire en sorte que la culture au sens large (musique,
littérature, cinéma, théâtre...) ne soit pas
réservée à une élite. Mais de quelle culture
s'agit-il et comment s'emploie-t-on à atteindre ce but ?
Nous avons vu que l'immense majorité de structures
d'accès à la culture (opéras, théâtres,
bibliothèques) vivent ou survivent sous perfusion de l'Etat ou des
collectivités locales. En 2010, le budget du ministère de la
culture n'avait jamais été aussi élevé avec 3 079
millions d'euros, soit environ 1% du budget de l'Etat, mais il faut ajouter
à cela une part non négligeable de subventions plus locales et
d'autres ministères (comme Jeunesse et Sports). Et pourtant, les
professionnels de la culture ne se sont jamais autant plaint du manque de moyen
auquel ils doivent faire face (cf les grèves des intermittents du
spectacle en 2003 notamment). Le fait est que certaines structures « de
prestige » comme l'opéra de Paris abusent du caractère
automatique des subventions, diminuant d'autant la part des recettes propres
à leur budget, empiétant d'autant sur le fonctionnement des
petites structures.
Ainsi, le site de l'opéra de Paris affiche pour 2009 le
budget suivant : 58% des recettes en provenan ce de l'Etat, soit 104,6 millions
d'euros HT, les recettes de billetterie à 48,3 M€ (27%) , le
mécénat à 6,4 M€ (4%) et les autres recettes à
22 M€... sachant que « L'Opéra national de Paris investit
chaque année 14 M€ au titre de la rénovation de ses espaces
scéniques, de ses bâtiments et de la maintenance de ses
infrastructures. »
En ce qui concerne la diffusion audiovisuelle, on sait que la
France tient à son « exception culturelle » à travers
des quotas de chanson en français à passer à la radio,
s'élevant à 40% des diffusions. Cette loi semble en tout cas
efficace en terme de ventes puisque « la part de la chanson
française dans les ventes de disques est passée de 44,7% en 1993
à 62% en 2002, et 56% en 2009 » (Benhamou 2011).
Le seul problème de cette tradition républicaine
de diffusion de la culture et de la chanson francophone tient au fait que le
public n'a pas son mot à dire dans le type de culture qui lui
est proposé, d'ailleurs comme le dit le bassiste d'Heyoka dans son
interview : « on en discutait avec les
Tagada Jones qui eux, maintenant tournent un peu partout, ils
nous disaient qu'en Russie ou en Corée du Sud, les gens trouvaient des
radios rocks. C'est à dire que nous par exemple ce qu'on fait, ça
pourrait être diffusé sur des radios nationales. Ils ont une
espèce de culture de la musique que l' on n'a pas ici de manière
populaire, ça reste un truc très sectaire. Ça c'est
dommage. Je pense qu'on est un des rares pays au monde à avoir ce
problème là. »
Ces quotas de chanson en français n'ont pas seulement
à voir avec la question culturelle mais aussi évidemment avec la
question linguistique.
3) En classe de Français Langue
Etrangère
La diffusion du français se passant avant tout dans
les classes de FLE, voici un exemple de cours réalisé par
moi-même au Brésil, à l'Universidade Estadual Paulista
d'Araraquara en 2007, à partir du morceau « Les pieds dans le
béton » du groupe Los Très Puntos.
Public : 10 élèves universitaires
A2/B1
Durée : 1 heure
Objectifs langagiers : vocabulaire de la
musique (instruments, parties d'une chanson) compréhension orale d'un
français chanté confondu dans la musique Objectifs
culturels : découverte d'un style de musique (ska-punk)
problèmes écologiques liés à
l'urbanisation
Matériel : CD « 10 ans ferme !
» de Los Tres Puntos, poste CD, paroles de la chanson
réimprimées avec des mots manquants. Effacer les mots : «
asphalte » ; « génocide » ; « béton »
(dernier mot du premier couplet) ; « paysage » ; « la
colère du ciel » ; « tempête » ; « L'horizon
» ; « cité dortoir ».
Déroulement :
Première partie : écoute et
compréhension des paroles
· Première écoute de la chanson sans les
paroles. Quelles sont vos impressions ? Avez-vous compris des mots ou le sens
global des paroles ?
· Deuxième écoute, cette fois-ci
après avoir distribué les paroles. Consigne : n'essayez pas de
remplir les trous mais simplement de suivre le chant. Il s'agit ici de
comprendre le sens global du texte et de repérer les endroits où
il manque des mots.
· Troisième écoute : remplissez les
blancs. A chaque passage où il manque un mot, le professeur met sur
« pause », pour les laisser le temps aux élèves
d'écrire. On peut repasser
encore et encore chaque phrase incomplète pour que les
apprenants écoutent bien. Il s'agit d'un exercice difficile : les mots
effacés ne sont pas forcément connus des apprenants et le
débit de parole est très rapide.
· Quatrième écoute : on repasse la chanson en
entier sans appuyer sur « pause » pour une dernière
vérification.
· Cinquième écoute : correction. De
nouveau, on met « pause » à chaque partie manquante, on
recueille les réponses des élèves. On donne la
réponse correcte, on repasse la phrase pour que tout le monde se rende
bien compte de la prononciation, et on explique le mot en question.
· Sixième et dernière écoute :
chanson en entier avec les paroles complètes.
Deuxième partie : Analyse des paroles et aspects
culturels : production orale, échanges conversationnels
· Aspect musical : Expression orale :quels instruments
reconnaissez-vous ? (Los Tres Puntos est un groupe composé de 10
musiciens avec une importante section cuivre : ainsi les élèves
peuvent reconnaître une batterie, une guitare, une basse, une
percussionniste, un clavier, un saxophone, une trompette, un trombone à
coulisse, un tuba, et un guitariste-chanteur, sans compter les choeurs).
Connaissez-vous d'autres instruments de musique ? Connaissez-vous ce style de
musique ? Connaissez-vous des groupes de style similaire dans votre pays ?
· Compréhension des paroles : lecture par les
apprenants. Quels sont les mots que vous ne comprenez pas ? Explications de
certaines expressions : « regarder son nombril », de quels «
génocides » parle-t-on ici (destruction de la nature), « des
noms sont gravés sur son corps » (de quoi s'agit-il ici ?), «
cité dortoir »...
· Sens global des paroles : Expression orale : de quoi
parle la chanson ? Quels problèmes sont évoqués ?
Connaissez-vous des problèmes similaires dans votre pays ?
LES PIEDS DANS LE BETON
par Los Tres Puntos
J'ouvre ma fenêtre sur une ville encore plus sale Des gens
qui perdent la tête et qui étalent l'asphalte L'air imbibé
d'essence taraude ma conscience
Toi tu passes près de lui et tu te fous de sa
présence Si tu regardes tes mains plutôt que ton nombril
Tu y verras surement les traces de tes génocides Encore
une victime de notre civilisation
Qui finira ses jours les pieds dans le béton
REFRAIN :
Mais qu'avons-nous fait de notre dernier arbre ? Je le regarde
jaunir jour après jour
Mais qu'avons-nous fait de notre dernier arbre ? Je le regarde
mourir à son tour
La pluie qui coule sur mon visage me brûle les yeux
J ne vois plus les paysages et ses millions de pantins heureux
Tu piétines ses aillons qui pourrissent sur le sol
Tu te fous de son avenir car tu vis pour toi tout seul Il a
enduré la colère du ciel
La tempête des hommes pleins de vengeance et de haine
Partout des noms étranges sont gravés sur son corps
Le nom de ceux qu'on aime et de ceux qui sont morts
REFRAIN
L'horizon bétonné a détruit tous nos
espoirs
De n'plus voir nos paysages devenir cité dortoir Nous
n'aurons bientôt plus comme seul horizon Un soleil qui se couche sur un
monde de béton !
REFRAIN
L'étude d'un texte issu de cette scène
alternative présente deux principaux avantages en classe de FLE : elle
permet d'enchaîner sur un sujet d'actualité (ici l'écologie
et la sauvegarde de la nature) et de parler des différents styles
musicaux en présence dans le pays. Toutefois mieux vaut s'adresser
à un public jeune, ouvert à de nouveaux horizons musicaux et plus
à même d'échanger sur les genres à la mode ou
alternatifs dans leur pays.
CONCLUSION
Cette étude sur le mouvement punk/hardcore et la langue
française nous permet de dégager plusieurs conclusions et pistes
à suivre dans le domaine de la diffusion du français.
Tout d'abord, force est de constater que, comme tous les
styles musicaux, le punk/hardcore donne naissance à des artistes maniant
la langue avec talent et dispensant un message tout à fait
intéressant. Ainsi ce style peut avoir sa place dans une classe de FLE
comme on l'a vu dans le tout dernier chapitre, notamment avec un public jeune.
Maintenant, ce travail ne s'intéresse qu'aux groupes qui ont choisi la
langue française, et le sujet mériterait d'être
élargi à ceux qui chantent en anglais pour avoir un autre point
de vue. Il faut considérer ce mémoire comme le début d'un
travail sur la langue et le langage punk/hardcore où beaucoup de choses
restent à faire : on pourrait choisir un corpus de textes de groupes
français chantant en anglais avec une série d'interviews analogue
à celle utilisée ici. On pourrait aussi interviewer des groupes
anglais ou anglophones et leur demander leur avis sur la question des groupes
non anglophones qui chantent dans leur langue. De plus il serait
également très intéressant de choisir un corpus de textes
de groupes chantant en différentes langues (italien, français,
anglais, allemand, portugais, basque, espagnol, suédois...) afin de voir
si les thèmes abordés restent similaires à ceux
évoqués dans le chapitre « Les rapports des groupes
à la langue ».
A la suite de cela, je pense que d'un point de vue
scientifique, le concept de « supraculture » évoqué
à quelques reprises au long de ce travail me paraît
particulièrement intéressant à développer.
Rappelons que nous avons considéré le mouvement punk/hardcore
comme une supraculture car il relie entre elles des personnes issues de
langues/cultures différentes, de générations et de
catégorie socioprofessionnelles complètement différentes.
Ces gens là partagent une musique avec des références
particulières (certains groupes ayant acquis au fil des années le
statut de « culte » dans le mouvement, comme les Clash,
Bérurier Noir, NOFX, Black Flag, dans des styles différents),
ainsi
qu'une certaine vision artistique et éthique (le
Do It Yourself, la non recherche du profit...). A cette culture
particulière venant d'un mouvement culturel et artistique, peut-on
rapprocher un langage spécifique ? Les punks du monde entier
utilisent-ils le même vocabulaire que celui analysé à
travers le corpus de textes de ce mémoire ? C'est là une autre
question à laquelle une étude mérite d'être
portée. En effet, si tel était le cas, il ne s'agirait plus alors
d'une variation ni géographique, ni diachronique, ni diaphasique ni
même diastratique ! On pourrait de ce fait trouver une nouvelle variation
de la langue liée à la supraculture à laquelle se rattache
le locuteur.
En termes de diffusion du français, on pourrait
également analyser la situation dans d'autres « supracultures
» : par exemple, le jeu « StarCraft » réunissant
plusieurs joueurs à travers la planète développe un
univers tout à fait particulier et donne lieu à des rencontres,
des forums, des compétitions et des sites internet entièrement
consacrés à ce jeu. De nouveau, on a ici affaire à un
mouvement, de type « ludique » cette fois, qui rassemble des
personnes qui au départ n'ont ni la même langue ni la même
culture, mais qui échangent pourtant, se retrouvent (parfois
physiquement, c'est à dire qu'elles ne s'affrontent plus seulement via
internet mais dans des salles où les ordinateurs sont reliés en
réseau, autrement en dit en « lan ») pour des
compétitions et échangent entre elles. On appelle cela «
l'E-sport », un mouvement qui reste très peu connu du grand public.
J'invite le lecteur à visionner une partie en tapant par exemple «
Starcraft 2 replay » sur youtube, avec des commentaires en français
de parties de Starcraft 2 tout simplement incompréhensibles aux non
initiés !
Au sortir de ce mémoire, nous nous retrouvons donc avec
beaucoup plus de questions et de pistes à explorer que de
réponses, en tous cas en ce qui concerne la partie recherche. Au niveau
du rapport d'activité, une constatation s'impose et n'apporte aucune
nouveauté : il est toujours difficile d'organiser un concert et de
rentrer sans ses frais !
BIBLIOGRAHIE
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éduquer en contexte hétérogène. Pour un humanisme
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2010
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· Stephen Colegrave & Christophe Sullivan, «
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· Bernard Latarjet, et al., « Pour un débat
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culture, Paris, 2004
· Adeline Nguefak, « La chanson camerounaise comme
lieu d'expression et de construction de nouvelles entités linguistiques
», in Glottopol n°17, janvier 2011
· Arno Rudeboy, « Nyark Nyark ! : Fragments de la
scène punk et rock alternatif en France (1976 - 1989) »,
Broché, 2007
· George Weber in Language Today Vol.2, 1997
SITOGRAPHIE
·
www.wikipedia.org ,
l'encyclopédie libre sur internet
·
http://www.guardian.co.uk/music/musicblog/2011/mar/02/punk-rock-france
article de Louis Pattison Wednesday 2 March 2011 12.56 GMT
guardian.co.uk
·
http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_159_fr.pdf
site de l'eurobaromètre
·
http://www.operadeparis.fr/cns11/live/onp/L_Opera/L_Opera_de_Paris/activites_en_chiffre/
Budget_2009.php?lang=fr site de l'opéra de Paris
VIDEOGRAPHIE
· Adrew Hussey, « Liberty, Fraternity, Anarchy -
Le Punk Francais », BBC Radio 4 at 11.30am, 3 March 2011
· Don Letts, « Punk Attitude », Capitol
Entertainment, 2005
· Gastão Moreira, « Botinada : A origem do
punk no Brasil », ST2, 2006
· Paul Rachman, « American Hardcore »,
Sony Pictures, 2006
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