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Une difficulté majeure en psychologie de la santé : comment appréhender des refus de soins chez des malades atteints d'une maladie grave et d'un syndrome dépressif ?

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par Veronique DI MERCURIO
Université Paris 8 - Master 2 psychologie clinique 2008
  

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C.2 Interpretations possibles

N'étant pas atteinte de psychose chronique et n'ayant pas d'antécédents avérés, que ce soit sur le plan psychiatrique ou d'événements de vie traumatiques, nous tenterons donc de comprendre à partir de différents points de vue théoriques en psychologie, pourquoi notre patiente a présenté cette forme de dépression avec accès mélancolique.

C.2.1 Une explication psychosociale

La détresse émotionnelle est particulièrement intense chez les sujets confrontés au cancer. (Parle et al., 1996)

Concernant l'angoisse des malades atteints de cancer, il est intéressant de remarquer que pour chacun de nous, une dimension socio -culturelle vient alimenter la peur d'un individu face à cette maladie. Des peurs surdimensionnées se focalisent sur le terme de cancer et une hypertrophie de la crainte a été mise en évidence par Reynaert et al. (2000). La peur du cancer est donc très courante dans la population. Il a été montré qu'en Belgique, 73% des individus rapportent le cancer comme crainte principale en termes de santé tandis que 23% seulement seront touchés par cette maladie. Or, on ne retrouve pas cette discordance pour les maladies cardio-vasculaires. (Einborn, 1995)

Déjà Freud (1915) faisait remarquer que toute personne de notre société moderne, qui sera confronté à l'éventualité de sa propre mort subit une angoisse intense, car jusque-là elle vivait dans avec un sentiment de toute puissance, avec un fantasme d'immortalité.

C.2.2 La perte comme explication de la conduite suicidaire du malade atteint de cancer

En partant de l'hypothèse de Freud (1915), Lefetz et Reich (2006) expliquent la
finalité des conduites suicidaires par le fait que le cancer marque une rupture dans la

vie du patient. Celui-ci se retrouve confronté à l'éventualité de sa propre mort alors que jusqu'à présent, il vivait avec un sentiment de toute puissance, de fantasme d'immortalité. Sa vie se trouve bouleversée, ses projets annulés, son avenir devient incertain. Le malade se retrouve dans un travail psychologique de deuil de son corps sain qui devient un corps étranger qu'il ne peut plus contrôler. Il développe alors des stratégies d'adaptation qui ne sont pas toujours efficaces. Dans ce contexte, le suicide représente alors la seule solution efficace pour échapper à la souffrance. Cela reviendrait à détruire le corps pour détruire le mal (Pedinielli, 1989) et ainsi le malade reprendrait le contrôle sur sa maladie.

C.2.3 Rappels sur les conceptions psychanalytiques de la depression

Pour Karl Abraham (1911), éleve de Freud, la dépression est une disposition nerveuse du sujet. Il avance que le sujet dépressif possède certains traits de personnalité dont celui d'être incapable d'aimer autrui ainsi que des tendances sadiques retournées contre lui-même. Il s'agit d'une vulnérabilité acquise de maniere précoce au moment de la forma tion des processus d'identification et de l'acquisition de la capacité d'assumer les ambivalences dans les rapports interpersonnels et environnementaux.

Il rapproche, pour comparaison, le deuil et la mélancolie, et met en lumiere le mécanisme de projection. Le mélancolique possede un « sadisme refoule dans l'inconscient » et « tire son plaisir de ses souffrances ». Il observe une régression orale du mélancolique. De plus K. Abraham avait constaté chez ses patients des déceptions précoces dans la relation à leurs parents.

Dans notre cas, nous avons en effet observé une régression psychologique de la patiente dans la voix, le refus « non, non » et une fixation sur le refus d'alimentation par les voix orales qui ont mené aux perfusions.

L'incapacité d'aimer autre dont parle K. Abraham pourrait se retrouver quand la patiente nous exprime son incapacité à pleurer ou à se préoccuper de son époux. Nous ne nous avancerons pas cependant jusqu'à désigner cette attitude comme un trait permanent d'autant plus que le trait de personnalité qui ressortira après l'acces mélancolique sera plutôt « un soucis pour les autres plus que pour moi-même ».

Pour Freud (1915), qui reprendra en partie les écrits de K. Abraham, la dépression est sous-tendue par une perte et un process us de deuil à élaborer. Elle n'est donc pas une disposition mais un processus. Il compare pour les différencier le travail de deuil et la mélancolie.

Le travail de deuil est un phénoméne de la vie quotidienne, une maniere de gérer la tristesse face à une perte ou un but non atteint. Celui-ci débute à partir d'un événement de perte objectale. Plus précisément, l'épreuve de réalité montre que l'objet aimé n'existe plus et qu'il va y avoir un désinvestissement de la libido qui retire les liens qu'elle avait avec l'objet. Il s'ensuit un état dépressif de retrait momentané de désarroi du Moi qui est incapable de réinvestir sa libido sur un autre objet.

Le deuil renvoie aussi à la mort d'un être cher car on observe chez le patient des signes de tristesse. Pourtant, le sujet continue à s'intéresser à ce qui l'entoure et il lui reste quelques centres d'intérêt dans sa famille ou sa profession.

Ce processus de travail de deuil pourrait correspondre à l'attitude de repli et de retrait observé chez notre patiente juste après l'annonce du diagnostic, vécu comme une perte intérieure du sentiment d'être une personne en bonne santé. La mort de l'être cher dont parle Freud n'est pas évoqué, mais pour notre patiente, à travers l'annonce de sa maladie grave, c'est l'anticipation de sa propre mort prochaine dont il s'agissait. Pendant les quelques semaines d'acces mélancolique, la patiente ne s'intéressait plus à son environnement. L'acces passé, bien que son humeur était triste et anxieuse, elle recommen»ait à s'intéresser à ses proches et à ce qui l'entourait. Nous pouvons donc supposer que cette patiente a pu retrouver un état de travail de deuil après un acces mélancolique.

Plus précisément, le travail de deuil consisterait donc en la mentalisation d'une perte et est à rapprocher de la notion d'élaboration psychique nécessaire pour l'appareil psychique afin de lier les impressions traumatisantes. Il se caractérise par un manque d'intérêt pour le monde extérieur et le fait que toute l'énergie du sujet semble consacrée à la douleur et aux souvenirs jusqu'à ce que « É le moi, pour ainsi dire, oblige de decider s'il veut partager ce destin (de l'objet perdu), considérant l'ensemble des satisfactions narcissiques à rester en vie, se détermine à rompre son lien avec l'objet anéanti. « (Freud, 1915)

L'objet en question peut être «une personne aimée ou une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal., etcÉ «

Avec le cancer et à l'époque actuelle, on peut supposer que les abstractions tenant lieu d'investisse ments majeurs sont la santé, l'idéal de bien-être, l'avenir, le progr»s, etc...

Le travail de deuil consiste à:

· reconna»tre la réalité de la perte,

· procéder au détachement affectif de chaque souvenir, de chaque attente en lien avec l'investissement perdu.

Dans le cas du cancer, l'objet d'amour qui est perdu consiste en la représentation du soi projeté dans l'avenir et le patient doit renoncer à l'idéal de soi projeté dans un avenir sans faille et transformer le soi malade en un nouvel objet d'investissement satisfaisant. Dans le cas oü ce travail se fait difficilement, le sujet ressent un sentiment de déception intense de soi, qui s'exprime par des sentiments de dévalorisation, d'inutilité, d'impuissance, etc... Cela été le cas de notre patiente, Mme D.

D'après Freud, le renoncement à l'idéal du soi se fait à travers 3 grandes étapes :

1) La mise en représentation: processus d'élaboration et d'utilisation d'une image stable d'une chose à la place de cette chose. Lien entre les expériences de base et des images et des mots.

2) La symbolisation : fonction qui lie les représentations mentales pour aboutir à l'utilisation abstraite des représentations plutôt qu'à leur traitement concret (perceptif et non mis en pensée)

3) La mentalisation : « série d'opérations mentales incluant la mise en représentation et la symbolisation, et conduisant à une transformation chargées d'affects en structures mentales de mieux en mieux organisées. « (Lecours et Bouchard, 1997) Elle permet au sujet de tolérer et d'élaborer des conflits inte r- et intrapersonnels, mais en cas de menace de mort révélée brutalement la mentalisation n'est pas possible. Du temps est nécessaire pour cette mentalisation structurelle avec un dégagement d'énergie psychique pour faire face au surcro»t d'excitation dü à la menace mortelle.

L'alliance thérapeutique que notre équipe a maintenue avec Mme D. notamment, a permis à celle-ci d'exprimer avec des mots, ou bien d'entendre également, par les propos des psychiatries et psychologues, une mentalisation du processus de perte puis de renoncement et enfin de reconstruction d'une nouvelle image de soi. En effet, Mme D. parlera souvent avec les femmes de son corps : perte de ses cheveux, perte de son poids, et puis elle remarquera par la suite que ces femmes sont jeunes et minces, toujours élégantes. Elle observe ainsi notre tenue vestimentaire, nos chaussures, nos coiffures, en fera des commentaires positifs puis remarquera que sa perte de poids peut aussi être pour elle une occasion de « devenir une femme mince avec des cheveux courts. Ce sera plus moderneÉ »

Enfin, Freud aborde la mélancolie comparativement à la dépression. Il remarque que la perte dans la mélancolie est une perte de l'estime de soi en réaction à la perte inconsciente de l'être aimé comme objet d'amour. Dans la mélancolie, le Moi s'inscrit dans le vide et la pauvreté, tandis que dans le deuil, le sentiment de vide n'est que temporaire. Le délire courant du mélancolique est le « délire de petitesse ». La mélancolie est un processus qui peut parfois surgir lors d'un travail de deuil qu'il va bloquer.

Nous pourrions rapprocher cette forme de délire à celle que nous avons observé chez notre patiente, dans son sentiment délirant d'incurabilité et d'inutilité.

Mélanie Klein (1934) introduit la notion de position schizo-parano
·de
à laquelle succéde la position dépressive pour expliquer les états dépressifs des adultes. Il s'agit de modalités d'organisation du Moi formées à la petite enfance dans la relation entre l'enfant et la personne nourriciére, et qui se manifestent à certaines périodes de la vie, selon les situations et conditions traumatiques que vivra le sujet. La position schizo-paranoïde est marquée par une angoisse de persécution aboutissant à un clivage de l'objet en bon/nourricier et mauvais/persécuteur. L'issue de cette position est la position dépressive, avec un sentiment de détresse, de dépendance et l'acceptation des ambivalences vis-à-vis de l'objet dont on est dépendant. Cette position guide le travail de deuil et permet de réparer le Moi avec une internalisation de la partie bonne de l'objet. Pour M. Klein, la position dépressive ne se dépasse jamais vraiment et tout perte ultérieure ravivera l'angoisse

de perdre le bon objet internalisé. Elle compare le deuil avec un état maniaco- dépressif atténué et passager qui sera surmonté en répétant le processus de succession des positions vécu dans la petite enfance. La menace de l'effondrement et de la déchéance de soi est donc quasi présente lors de toute perte d'objet, lors de tout deuil. Le deuil pathologique consiste alors en une position dépressive qui ne sera pas surmontée.

Le cas de notre patiente pourrait tout à fait s'interpreter comme un moment oil la position depressive n'a pu être surmontée qu'en régressant dans une position schizo- parano
·de. L'épisode melancolique aurait dont été une période certes dangereuse pour la vie et le psychisme de notre patiente, mais egalement nécessaire pour terminer un processus de deuil qui était bloqué.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams