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Lee Konitz, l'art de l'improvisation

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par Yvonnick PRENE
Université Paris IV Sorbonne - Master 2 Musique et Musicologie  2011
  

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1.2.2 Une influence dissimulée ?

Konitz reconnaît avoir eu la chance de débuter son apprentissage avec Lennie Tristano avant d'avoir entendu Charlie Parker. Tristano détecta quelque chose d'unique dans son approche de la ligne. Cette sensibilité à la mélodie, conjuguée aux connaissances harmoniques et

48 PARKER Charlie, Complete Savoy Sessions, Savoy, New York, novembre 1945

50 JATP- Jazz at the Philharmonic était le nom attribué à une série de concerts, tournées et enregistrements produits par Norman Granz. De 1944 à 1983 le JATP engagea les musiciens de jazz parmi les plus reconnus de leur époque.

rythmiques transmises par Tristano, produisit une conception originale de l'improvisation. Il fut un maillon essentiel dans la formation de Konitz. Selon lui, « Tristano avait étendu les harmonies et les permutations rythmiques. C'était vraiment intriguant à cette époque et cela m'empêcha de succomber réellement, comme tout le monde, à l'influence de Parker. »51 Il invita Konitz à prendre un chemin différent de celui de Parker à travers l'étude poussée de l'harmonie, du rythme et des lignes mélodiques influencées par les compositeurs classiques comme Bach. Il

encouragea le jeune altiste à formuler sa propre voix sans tomber dans les sillons de Bird, comme tant d'autres à cette époque : Phil Woods, Gene Quill (1927-1988), Jackie McLean (1931-2006), Cannonball Adderley (1928-1975) , Sonny Stitt (1924-1982)... D'ailleurs, certains altistes des années 1950 tels que Jimmy Heath (1926), surnommé à l'époque « Little Bird », et Sonny Stitt passèrent au ténor, lassés d'être pris pour des imitateurs de Parker. L'originalité de Konitz ne passa pas inaperçu chez ses contemporains et fut une occasion de dissensions chez les musiciens. « A l'époque, il y avait une très forte désapprobation de mon jeu parmi les imitateurs de Charlie Parker. Ils ne me jugeaient pas très dans le coup. Maintenant on me remercie d'avoir

développé un concept personnel. »52

Au même moment, Prez et Bird étaient devenus les chefs de files de leurs instruments respectifs et avaient de nombreux admirateurs. La plupart des musiciens blancs qui imitant leurs styles rencontraient d'avantage de succès. Tristano perçut en son temps ce phénomène et le condamna: « Si Charlie Parker désirait invoquer les lois relatives concernant le plagiat il pourrait attaquer presque tout ceux qui enregistrèrent un album dans les dix dernières années.

Si j'étais Bird, j'aurais mis en prison tous les meilleurs boppers du pays ! »53 Au contraire,

51 «consulté en août 2010» http://www.jazzweekly.com/interviews/konitz.htm «Tristano had ideas of extending the harmonies and the rhythmic permutations. That was very intriguing at the time and kept me from really getting very involved, as everyone else was, with Charlie Parker's influence».

52 «consulté en août 2010» http://jazztimes.com/articles/27721-lee-konitz-a-q-a-by-ethan-iverson «Back then, there was a lot of disapproval of my playing on the part of those guys who played like Charlie Parker. They didn't think I was very hip. Now I get thanked for developing an idea of my own.»

53 TRISTANO, Lennie , Blindfold Test Down Beat, 1951 « If Charlie Parker wanted to invoke plagiarism laws he could sue almost everybody who's made a record in the last ten years. If I were Bird, I'd have all the best boppers in the country thrown into jail! »

Konitz est souvent décrit par les critiques tel que Andy Hamilton dans Conversations on the Improviser's Art comme le seul saxophoniste alto de la fin des années 1940 à être resté totalement étranger à l'influence de Parker. Durant mes recherches j'ai pu constater qu'il se défendait à chaque interview de cette affirmation. À vrai dire, il était difficile de s'isoler radicalement de son jeu tant son style était répandu dans le milieu du jazz. Les jazzmen s'écoutaient énormément les uns les autres, que ce soit par le biais des enregistrements, ou, de façon directe, au cours des jam sessions, ce qui permettait l'échange d'idées et à la musique de se développer. De plus, le jeune saxophoniste a rencontré Parker à de multiples reprises, notamment pendant une tournée du JATP au début des années 1950. En réalité la relation s'est faite en deux temps : Le rejet puis l'assimilation inévitable. L'interview récente de l'altiste par Bruno Pfeffer est révélatrice. « Oh, mais j'en ai toujours écouté. Un musicien

monumental ; ce type vole (il se met à chanter le solo de « Don't Blame Me »54 Vous Voyez ? Je

le connais par coeur. Simplement, je voulais amener autre chose. Alors je me suis interdit de jouer sa musique. Je me suis appuyé sur mes premières émotions. J'adorais Johnny Hodges. Le premier son que j'ai identifié. Ses ballades m'ont marqué. Comme celles de Lester Young. Ils sont mes influences majeures... Avec Louis Armstrong. »55 L'altiste nous laisse entendre qu'il tâcha de maintenir à bonne distance cette figure écrasante du père de l'alto moderne afin de pouvoir à son tour devenir un artiste original. Dans une interview accordée à 1996 dans Jack

Fifties Jazz Talk, Konitz révélait les raisons de son rejet premier de Parker. « À l'évidence Charlie Parker était une influence majeure à l'alto, mais pour ma part, je n'ai pas ressenti de difficulté à l'éviter car le tempérament de sa musique ne m'avait pas traversé. À cette époque je n'arrivais pas à m'identifier à l'intensité de sa musique. Finalement, c'était mon ego qui s'exprimait et je me rendis compte que je passais à côté du plus grand saxophoniste alto de tous les temps. Je commençai à apprendre sa musique sans pour autant adopter son vocabulaire parce que c'était une telle tentation de jouer ces belles mélodies comme tout le monde.

Néanmoins j'avais d'autres stimuli. »56 Afin de se dégager de Parker, Konitz nous suggère ici

54 PARKER Charlie, The Dial Masters: Original Choice Takes, Spotlite, 4 November 1947, New York.

55 PFEFFER, Bruno, Ca Va Jazzer, 2 009, http://jazz.blogs.liberation.fr/pfeiffer

56 GORDON, Jack, Fifties Jazz Talk: an Oral Retrospective. Lanham, Md: Scarecrow, 2004, p122

différentes influences lorsqu'il affirme « J'avais d'autres stimuli. » Il s'agit probablement de Lennie Tristano et Lester Young. Il emploie les termes « tempérament » et « intensité » pour définir ce qui le différencie de Parker. On peut se demander s'il évoque le « tempérament » du musicien noir par rapport à celui du jazzman blanc. Existe-il une différence sur le plan esthétique ? Franck Socolow, un saxophoniste blanc se remémore l'ambiance de Harlem à l'époque du be-bop. « Il n'y avait pas de place pour les conneries. Si un type blanc jouait du bon jazz, cela aurait été avec le feeling des noirs, parce que le type blanc qui jouait avec un feeling

authentique jouait la musique des Noirs. »57 C'est donc un certain type d'approche de la musique

que signifie le « feeling noir ». Si ces termes connotent un jeu musclé, bluesy voire funky, de ce point de vue Konitz est plus proche de Lester Young que de Parker : « J'admirais plus Charlie Parker quand il jouait quelque chose qui provenait de Lester. Dans les dernières années, Bird pouvait devenir un peu trop bluesy pour moi. » À son goût les phrases de Parker teintées de blues sonnaient de temps en temps comme des clichés et perdaient leur authenticité. Il ajoutait également dans le même registre « J'adore le défi qui consiste à jouer sur le blues de douze mesures. Mais, comme je ne peux pas m'identifier avec l'origine de la naissance du blues, c'est

simplement une forme de douze mesures sur laquelle je joue quelque chose qui a du sens. »58

Konitz se sert du blues comme d'un prétexte pour improviser sur sa structure et ces harmonies si caractéristiques. L'expression du blues se révèle ainsi différente chez les deux altistes. En dépit de ces divergences, on observe au cours des années 1950 que les critiques n'hésitèrent pas à comparer le jeune Konitz à Parker, alors affaibli par l'usage des drogues. Selon Robert Aubert et Jean-Francois Quievreux, « plusieurs influences semblent à l'origine de son style. L'influence de Charlie Parker prédomine chez lui, mais son jeu est plus terne, moins coloré et ses solos ne font jamais montre de la chaleur et de ces aspérités qui sont une de caractéristiques du jeu du Bird.

Et il ne possède ni le punch ni le swing énorme de Parker. »59 Pour décrire le jeu de Konitz, ils

28. «consulté en août 2010» http://thebadplus.typepad.com/dothemath/2009/08/1-18-with-lee-k.html « I admired Charlie Parker the most when he played something like Lester. In the later years, sometimes Bird could get too bluesy for me»

57 GITLER Ira, Swing to Bebop: An Oral History of the Transition in Jazz in the 1940s. 1985 :307

58 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, op cit p130 «I love the challenge of playing

a twelve-bar blues. But since I can't identify with the original birth of the blues, it is just a twelve - bar form to play something meaningful on it «

59 ROBERT Aubert, QUIEVREUX Jean-Francois, Lee Konitz, Jazz Hot, juillet- août 1950,7.

utilisent un adjectif comme « terne » et signalent en outre son absence de « chaleur », d'« aspérités », de « punch » et de « swing ». Cette critique met en lumiere les faiblesses du jeu de Konitz lorsque l'on le compare au style de Parker, mais c'est aussi ce son personnel, cette nouvelle approche du rythme et de la ligne, plus intuitive, qui différencient les deux saxophonistes. On le rappelle, à l'époque il fut presque impossible de trouver un saxophoniste à la mesure de Parker. Konitz ne débuta sérieusement l'apprentissage des thèmes be-bop et l'étude des solos qu'après la mort de ce dernier comme le suggéra Jackie McLean au cours d'un blindfold test du journal Down Beat. Selon McLean « Étrangement, le style de Lee s'est tourné plus vers Parker depuis cette période. Au milieu des années cinquante, il commença à être influencé par Bird, ce qui ne peut gêner personne. Plus tard, Lee avait l'habitude de paraphraser Parker dans ses progressions harmoniques, alors que dans ses jeunes années, il ne l'avait jamais fait. »60 Konitz s'est construit à l'ombre du be-bop afin de se préserver et créer son style propre.

De plus, il n'a jamais porté le costume des boppers et imité leurs extravagances. « J'ai toujours détesté le comportement des hippies, les drogues et tout le reste. Je ne m'identifiais pas avec le style de vie des Noirs ... Je me sentais comme un étranger. »61 Konitz remarquait que l'attitude et la personnalité de Parker hors scène eurent un rôle néfaste sur sa musique, contrairement à Lester Young : « Voilà, c'était cent pour cent de la musique. Il n'y avait pas d'ego impliqué, pas d'attitude, pas de Noir ni de Blanc, c'était de la musique pure,

contrairement à Charlie Parker parfois. Il y avait des choses extra musicales qui se mêlaient à sa musique. En revanche, quand il était au meilleur de sa forme, il sonnait superbement. Quand il ne saturait pas son jeu ou jouait de manière funky et tout, ce n'était pas ce que je préférais entendre chez lui. En outre, son jeu avec l'orchestre de Jay McShann, c'était quand il

commençait, ça c'était un son purement magnifique. »62

60 BIMBAUM Larry, Blindfold Test with Jackie Mclean, Down Beat,1965

61 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, p121

«I always hated the behavior of the hippies, with the drugs and all that. I didn't identify with the black

people's lifestyle -I felt pretty much like an outsider, actually.»

2 Consulté en août 2010, http://www.sawf.org/Newedit/edit09182000/musicarts.asp

«Well, it was one-hundred percent music. There was no ego involved, no attitudes, no black and white, it was pure music, and Charlie Parker less in a way. There were some problems

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore