2. Dérive vers le « tout commercial »?
Ainsi, on peut voir des détournements vers un «
tout-commercial " au travers d'éléments dérivés de
l'événement. En effet, lors de ces manifestations, outre les
146 Cf. N. Descendre, Le Bottin des Lumières,
p.8.
147 Cf. F. Lucchini, op.cit, p.5.
publications éditoriales, les cartes postales des
oeuvres exposées et les actes de colloque, plusieurs produits
dérivés avaient été édités à
l'initiative de l'office de tourisme. On se situe dans une « logique de
production » où l'investissement consenti par la ville et la
Communauté Urbaine vient consolider le tissu économique du
territoire en cherchant à stimuler l'emploi et en favorisant
l'apparition de produits dérivés.148 Ainsi en 1999 et
2005, on pouvait se procurer des savons à l'effigie de l'année
à theme dont il était question, avec un packaging Art Nouveau (Le
savon Majorelle®) ou en forme de pavé aromatisé à la
bergamote149 (Le Pavé de Nancy®), une bière
spéciale inspirée de recettes du XVIIIe a été
produite pour le musée français de la brasserie de Saint-Nicolas
de Port150, de même on peut s'interroger quant à la
légitimité des broches, des « pains des Lumières
», des mugs et sous-verres à l'effigie de Stanislas ou des menus
inspirés du XVIIIe dans la mesure où l'on fait un usage
commercial d'un événement patrimonial et culturel. Certes, ces
éléments contribuent aux recettes de l'événement et
éventuellement à couvrir des pertes. Dans la mesure où
ceux-ci s'étendent sur une ligne de produits vendus entre un et soixante
euros, c'est à dire d'une « valeur transactionnelle
»151, accessible à tous, on suppose que leur coût
de production est moindre pour une plus-value qui a des conséquences
pour l'économie locale. On peut ainsi parler de produits d'appel
culturel. A titre indicatif, les ventes de la boutique de l'office de tourisme
s'élèvent à 336 729€ pour 2005 contre 155 054€
en 2004. Pour les produits dérivés spécifiques : les
ventes, échelonnées de 2004 à 2005, se sont
élevées à 60 465€.152. Certains produits
référencés parmi ceux vendus à l'office de
tourisme, sont mis en vente dans les musées. Les conservateurs des trois
musées paraissent sceptiques quant à l'idée sans
nécessairement l'évoquer comme tel :
« La boutique est gérée par la RMN, c'est donc
une délégation de service public sur laquelle nous n'intervenons
pas. » ;
« Il arrive, pour certaines expositions, que nous
mettions en vente des objets créés spécifiquement pour
l'occasion. Pour ceux qui sont en vente ailleurs qu'au musée, il me
paraît indiscret d'avoir à donner un avis personnel, quel qu'il
soit. » ;
148 Cf. F. Lucchini, op.cit., p.136. Françoise
Lucchini réemploie les idées de G.Roussel dans La
décentralisation culturelle ou la démocratie difficile,
Après Demain, 1990.
149 La bergamote est , avec les macarons , une des
spécialités de Nancy.
150 La ville ne dépend pas de la Communauté Urbaine
du Grand Nancy. Elle se trouve à 15km de Nancy. 151Cf. J.
Cam, « La boutique de musée, un vrai métier à
appréhender avec pragmatisme», pp.56-57.
152 Cf. « Nancy 2005, le temps des Lumières
», le bilan, p.32.
« En 1999, de nombreux produits dérivés ont
été créés par la Mission Ecole de Nancy et vendus
au MEN mais depuis, nous avons limité ces derniers car nous n'avons pas
le budget et le personnel pour leur réalisation. "153
Toutefois, la mise en vente de produits ne fait pas
l'unanimité. D'une part parce que certains opposants du maire ont
déposé en 2005, leur marque « Place Stanislas
"154, par provocation et pour tenter de limiter l'impact des
produits édités sous couverts de l'office de tourisme, dont la
municipalité et la Communauté Urbaine avaient la
responsabilité. En outre, on peut penser que si le patrimoine devient
une valeur marchande, il perd sa valeur symbolique155ou faire perdre
l'essence festive des éléments en les transformant en des
attractions touristiques156. Certains157 ont réagi
vivement contre les municipalités de Nancy et Saint-Nicolas de Port qui
ont déposé - en prévision de 2012 - à l'INPI les
quatre marques158 : « Saint Nicolas ", « Le marché
de la Saint Nicolas ", « Les fêtes de la Saint Nicolas " et «
La fête de la Saint Nicolas " se prévalant de la notion de
patrimoine commun, d'autres parlant d' « une vision boutiquière
d'un patrimoine culturel commun à tous les Lorrains " ou encore que les
termes déposés sont « dépourvus de caractère
distinctif au regard des produits et services visés dans leur
dépôt et ne peuvent donc être déposés au titre
de marque en France ". Certaines villes ont eu peur de ne plus pouvoir
célébrer la fête de St Nicolas ailleurs en Lorraine, en
étant obligées de demander à Nancy et Saint-Nicolas de
Port l'autorisation la fêter, mais aussi de la voir dériver en une
fête purement commerciale.159
Les institutions culturelles ne voient pas toujours d'un
très bon oeil l'association entre culture et tourisme. Le tourisme
étant considéré comme produisant un usage instrumental de
la culture, mettant en scène un exotisme non fidèle au message
des lieux. De même, on voit en lui, par la massification qu'il peut
générer, la création de nouveaux problèmes ou
contraintes telles un manque de responsabilités face aux oeuvres des
musées
153 Entretiens téléphoniques et e-mail des 3
conservatrices.
154 Sur la base des marques de l'Institut National de la
Propriété Industrielle, on trouve 3 marques « Place
Stanislas ", déposées en 2004. Cf.
http://bases-marques.inpi.fr/
155 Cf. H.P Jeudy, op.cit ,p.12
156 Cf. L.Botti, N. Peypoch, B.Solonandrasana, « De la
relation entre politique événementielle et attractivité
touristique ", p.30.
157 Cf. Annexes 2, 3 ,4.
158 Cf.Annexe n°5.
159 Rien n'empêche cependant de ne pas constater de
relation directe entre la Saint Nicolas et la Renaissance. En outre, par la
récupération qui en a été faite aux Etats-Unis avec
le Père Noël, on peut y voir un usage commercial amorcé
depuis plus longtemps...
et au patrimoine, de nouveaux enjeux de conservation à
mettre en oeuvre, des nouvelles documentations à fournir, des
modifications d'horaires d'accueil mais aussi des changements de communication
et d'information ou des tarifs préférentiels à procurer.
Cependant, « il est incontestable, en effet, que le développement
touristique est producteur de ressources ; correctement administrées,
celles-ci peuvent bénéficier directement aux institutions du
patrimoine et aux communautés parmi lesquelles elles se trouvent.
»160 Ressources économiques dans un premier temps puisque ces
produits apportent aux musées, à l'office de tourisme et plus
globalement à l'économie locale, des moyens pécuniaires.
Pour le musée, ces produits peuvent être une source
d'autofinancement. En outre, « en achetant un produit
dérivé, (...), le visiteur communique, exporte et commercialise
le musée sur son lieu de résidence »161. Le
souvenir, matérialisé par un objet, s'avére
nécessaire. Petits et grands se contentent de ce genre d'achats
complémentaires qui, d'une certaine façon, prolongent la visite.
Ce que Joël Cam dénomme la « valeur expérientielle
» de la visite.162. Les enfants y décèlent
souvent une remémoration voire une réminiscence grace à
l'objet, perçu comme un de leurs trésors, qui leur permet de
matérialiser leur venue au musée. L'objet n'est pas toujours un
gadget, ce peut être un livre, qui de fait apporte une valeur
pédagogique au produit dérivé. Le phénoméne
n'est pas forcément nouveau dans les musées, même s'il
n'est pas autant exploité que dans les musées anglo-saxons ou
américains, où les cohérences entre le musée et
l'objet ne sont pas toujours des plus aisées ! On peut penser que si
l'on s'inspire de ce modéle et que l'on réitére d'un grand
événement à l'autre, c'est aussi parce qu'il compte parmi
les retombées symboliques citées précédemment.
L'objet crée une permanence dans le quotidien des « visiteurs
consommateurs » (« la valeur relationnelle »163),
permettant à chacun d'eux de le communiquer à autrui par son
exhibition et par là même de lui proposer son propre regard
(« la valeur aspirationnelle » 164).
160 Principe n°1 de la proposition pour une
charte des principes pour les musées et le tourisme culturel,
ICOM. L'ICOM est d'ailleurs une instance qui permet de nuancer
les désaccords entre tourisme et culture
par un certain pragmatisme.
161 Cf. M.C Grasse, « Indispensable mais mal
aimée, la boutique de musée », p.7.
162 Cf. J.Cam, op.cit., p.56-57.
163 Ibid.
164 Ibid.
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