EPIGRAPHE
« Un écrivain africain qui essaie
d'éviter les grands problèmes sociaux et politiques de l'Afrique
contemporaine finira par manquer totalement d'à-propos comme cet homme
absurde du proverbe qui laisse sa maison en flamme pour suivre un rat fuyant
l'incendie »
(DJANGONE, N., « Chinua Achebe ou la recherche d'une
esthétique negro-africaine »,
in Colloque sur la littérature et esthétique
negro-africaine, NEA, Abidjan-Dakar, 1979, p. 2)
A mes regrettés parents,
A Valens, Virginie et Vérène,
A Cécile,
A vous aussi Christine,
Ce mémoire est dédié.
REMERCIEMENTS
Au terme de ce travail, qu'il nous soit permis d'exprimer ici
notre profonde reconnaissance à tous ceux qui, scientifiquement ou
moralement, ont contribué à son achèvement.
Nous tenons à remercier tout particulièrement
le professeur Josias SEMUJANGA qui a accepté de diriger ce
mémoire malgré ses multiples responsabilités. Sa rigueur
scientifique, son dévouement, ses conseils judicieux ainsi que ses
suggestions nous ont été d'une grande utilité pour la
réalisation de cette étude.
Nos sincères remerciements s'adressent ensuite
à tous les professeurs de la Faculté des Lettres et Sciences
humaines, département de langue et littérature françaises,
pour la formation scientifique et humaine qu'ils nous ont donnée.
Nos remerciements vont également à Silidio
HABIMANA, Jean Jacques SIBOMANA, Mariette MUREKATETE, Juvens KAREMANGINGO pour
leur contribution de tout ordre.
Nous nous en voudrions enfin, si nous passions sous silence
nos amis : Frédéric SEBARINDA et Védaste MBARUBUKEYE.
Leur esprit fraternel, leur chaleur conviviale, leur sens social ont
créé un climat de détente favorable à notre
formation ainsi qu'à nos recherches.
Emmanuel NDUNGUTSE
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
UTILISÉS
V.D. : La vie et demie
NEA : Nouvelles Ecritures Africaines
PUF : Presses Universitaires de France
Ed. : Edition
Op. cit. : Opere citato
UNR : Université Nationale du Rwanda
TABLE DES
MATIÈRES
Epigraphe
i
Dédicace ii
Remerciements
iii
Sigles et abréviations
utilisés
iv
Table des matières
v
INTRODUCTION GENERALE
1
0.1. Etat de la question
1
0.2. Choix du sujet et sa motivation
5
0.3. Approche méthodologique
6
0.4. Division du travail
10
CHAP. I LA VIE ET
DEMIE : UN ROMAN POLITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE
11
I.1 Introduction
11
I.2 L'oeuvre de l'auteur
11
I.3 Résumé de La vie et demie
12
I.4 La vie et demie et le thème du
désenchantement
13
I.4.1 Les avatars de la dynastie des guides
15
I.4.1.1 La cruauté des guides
15
I.4.1.2 L'immoralité ou avatar moral
18
I.4.1.3 La corruption
22
I.4.1.4 Le détournement des fonds publics
24
I.4.1.5 La fantaisie
26
I.4.1.6 La trahison des guides et la
déception du peuple
27
I.4.2 Le refus du pouvoir dictatorial
31
I.4.2.1 La révolte de Martial
31
I.4.2.2 Chaïdana
32
I.4.2.3 Le rôle des pistoletographes
34
I.4.3 La fin du pouvoir dictatorial
35
I.4.3.1 La division de la Katalamanasie
35
I.4.3.2 La guerre entre Katalamanasie et son
territoire Darmellia
36
Conclusion partielle
37
CHAP. II DE L'HISTOIRE POLITIQUE AUX
STRUCTURES NARRATIVES
39
II.0. Introduction
39
II.1 L'histoire dans La Vie et demie
40
II.1.1 Les parcours narratifs
40
II.1.2 Les personnages et leur
caractérisation dans La Vie et demie
43
II.1.2.1 Le Guide Providentiel : Obramoussando
Mbi
44
II.1.2.2 Martial
46
II.1.2.3 Chaïdana
48
II.1.2.4 Chaïdana - aux - gros - cheveux
50
II.1.2.5 Le docteur Tchi (Tchichialia)
51
II.1.2.6 Layisho
53
II.1.2.7 Henri-au-coeur-tendre
53
II.1.2.8 Jean Oscar-coeur-de-père
54
II.1.2.9 Patatra
55
II.1.2.10 Les trente Jean de la série C
56
II.1.3 L'intrigue
57
II.1.4 Du manichéisme narratif
59
II.2 Les structures narratives dans La vie et
demie
60
II.2.1 L'univers temporel
60
II.2.2 L'univers spatial dans La Vie et
demie
63
II.2.3 Le narrateur dans La Vie et
demie
67
Conclusion partielle
70
CHAP. III ECRITURE REVOLUTIONNAIRE ET LA
DYNAMIQUE DES GENRES DANS LA VIE ET DEMIE
72
III.0. Introduction
72
III.1 Ecriture
73
III.1.1 Sony Labou Tansi, son éducation et le
français
73
III.1.2 Le style sonien dans La vie et
demie
77
III.1.2.1 La parodie
77
III.1.2.2 L'ironie
79
III.1.2.3 L'animalisation humaine
80
III.1.3 Les figures de styles
81
III.1.3.1 La comparaison
81
III.1.3.2 La métaphore
82
III.1.3.3 La répétition
83
III.1.3.4 L'Euphémisme
84
III.1.3.5 La périphrase
85
III.1.3.6 La personnification
86
III.1.4 Les particularités lexicales
86
III.1.5 L'horreur et l'humour
88
III.2 La dynamique des genres dans La vie et
demie
92
III.2.1 Le fantastique
92
III.2.2 Le conte
93
III.2.3 Les chroniques
94
Conclusion partielle
95
CONCLUSION GENERALE
96
BIBLIOGRAPHIE
99
INTRODUCTION GENERALE
0.1. Etat de la question
L'histoire de la production littéraire en Afrique
révèle que l'une des préoccupations majeures aussi bien
des écrivains que des critiques est celle de la liberté humaine.
En effet, de la littérature orale à la littérature
écrite, à travers tous les genres principaux comme la
poésie, le récit, le théâtre et plus
particulièrement le roman qui fait l'objet de notre étude, il est
toujours question de la personne humaine, de ses rapports avec l'univers
environnant. C'est donc une lutte continue contre les forces surnaturelles
négatives et de son désir perpétuel d'un devenir
historique positif.
Ainsi, comme nous le savons, avant l'avènement de la
littérature écrite en Afrique, la littérature orale nous
révèle le fonctionnement et le fondement moral de la
société africaine précoloniale. Ce didactisme est
basé sur l'enseignement des responsabilités de l'individu envers
le groupe. Il s'agit donc, comme cela est très remarquable dans
plusieurs productions romanesques africaines, de la prise de conscience des
liens indissociables entre la survie de l'individu et celle du groupe à
travers les concepts de la solidarité, du don de soi, du patriotisme, du
respect mutuel, de la liberté du groupe et de la liberté
individuelle.
Au moment où l'histoire africaine était
caractérisée par le phénomène colonial, diverses
productions littéraires africaines ont pris une autre orientation :
il s'agit de lutter contre les méfaits de ce phénomène.
K.Echemin nous en précise les objectifs en ces termes :
« pour ce phénomène colonial, il
s'agit d'opposer un discours anti-assimilationniste et libérateur
à la dépersonnalisation et à l'exploitation dues au fait
colonial. Ainsi, Camara Laye dans son Enfant noir, affirme
l'authenticité et la validité de la culture noire, luttant par
conséquent contre son annihilation psychique et physique ; Mongo
Beti dans ses romans Le pauvre Christ de Bomba, Mission terminée
et Le Roi miraculé, révèle l'aspect
fondamentalement mystificateur du discours colonial ».1(*)
De là, nous pouvons dire que la production
littéraire en Afrique, réagissant aux réalités
historiques et socio-économiques, affirme la nécessité du
respect de la personne humaine, la reconnaissance de la différence et
surtout l'exigence de la libération politique et économique comme
condition préalable pour l'affirmation réelle de l'Africain.
Ainsi, après ce courant anti-colonialiste, vers les
années 1960, la littérature africaine a continué le
même combat, car comme l'indique Bernard Moularis :
« La révolte contre le pouvoir colonial a fait place
progressivement à partir de 1960 à une thématique de plus
en plus centrée sur les nouveaux pouvoirs africains de l'Afrique
indépendante. C'est d'un autre espace qu'il s'agit désormais,
celui de la nation et d'un autre temps aussi, celui au cours duquel l'Afrique
est entrée dans l'ère des soleils des
indépendances »2(*).
En empruntant alors la voie du genre romanesque, car ce
dernier s'avérait être le moyen le plus efficace pour
véhiculer leur message, les élites ou tout simplement les
romanciers ont pris la plume pour dénuder les maux dont souffrait le
peuple africain depuis l'époque coloniale et qui continuaient à
s'aggraver même au lendemain de ces « soleils des
indépendances ». Jacques Chevrier l'explique clairement en ces
termes :
« Les indépendances étaient
porteuses d'espoir et pourtant la plupart des romans écrits et
publiés après 1960 nous donnent à voir une image de
l'Afrique singulièrement désespérée. Un peu
partout, en effet, après un simulacre de démocratie, le pouvoir
s'y manifeste sous les formes d'un totalitarisme qui ne fait aucun scrupule
à réprimer, torturer, éliminer tous ceux qui tentent de
l'entraver et qui, à défaut d'une adhésion populaire,
tente de légitimer son action par un discours proliférant,
véritable logorrhée que raillent la plupart des
écrivains »3(*).
Ajoutons aussi que ces propos de Jacques Chevrier sont
complétés dans ce même ordre d'idées par ceux de
Lemotieu lorsqu'il résume fort bien au terme d'une étude sur
« le statut des indépendances africaines dans le roman
negro-africain » en disant :
« Bref, des indépendances
problématiques et des héros problématiques. On est
tenté d'ajouter que le roman negro-africain post-colonial est le reflet
de la situation inconfortable du nègre problématique dans un
monde aux lendemains peu rassurants. L'Afrique se rend compte que de la
colonisation à l'indépendance, les changements effectués
à grand renfort de publicité n'ont pas touché la structure
profonde de la situation d'aliénation qui persiste sous d'autres formes.
Le cercle de l'injustice et des aberrations tourne et charrie les mêmes
excréments »4(*).
La production romanesque à partir des années 60
et bâtie donc essentiellement sur un objectif bien clair, celui de
stigmatiser les tares des nouveaux pouvoirs installés sur le continent
africain. Cette littérature est connue sous le nom de littérature
de désenchantement ou de désillusion. Les écrivains de
cette époque se font des porte-parole du peuple et accusent la nouvelle
bourgeoisie d'abuser de la confiance de ses compatriotes. C'est ce que Sony
Labou Tansi dira lui-même dans un entretien avec Daniel Maximin :
« Au début des années 60, pour les
plus concernés d'entre nous [....] nous avions autre chose à
offrir au monde que des grimaces et que notre douleur nous rachetait le droit
d'être homme libre dans ce monde. Nous sommes des porteurs de
liberté et si maintenant elle est confisquée par ce pouvoir
concentrationnaire dont je parle, ce sont des phénomènes qui ne
pourront pas survivre parce qu'on ne peut pas bien sûr confisquer
l'histoire d'un peuple. Cela ne se fait pas. Si vous arrivez à
Brazzaville, vous voyez que les gens ont ce qu'on peut appeler la
liberté. Mais de mon point de vue, ce qui est réellement
confisqué c'est la parole. Beaucoup de gens n'ont pas le droit à
la parole alors qu'ils produisent à peu prés 80% de toutes les
ressources du pays »5(*).
Dès lors, les romanciers se font compteurs des erreurs
et dénoncent les multiples abus qui caractérisent certains Etats
africains indépendants. La dictature, la tyrannie, la corruption,
l'irresponsabilité et d'autres méfaits sont imposés au
peuple qui s'attendait aux changements et à l'amélioration de sa
condition de vie, mais hélas qui assiste à l'inconscience et
à l'intolérance de ses guides.
Dès qu'on parle des guides, nous pensons directement
au roman La Vie et demie dont il est question dans cette étude.
La Vie et demie relate l'histoire des différents guides
providentiels qui règnent à tour de rôle sur un pays
fictif, la Katalamanasie, et qui a pour capitale Yourma. Le premier guide
Obramoussando Mbi se heurte à une opposition que dirige Martial, et
celui-ci a blessé la République d'une vingtaine de guerres
civiles. Le guide parvient à mettre la main sur lui. Il le tue
atrocement. Chaïdana, la fille de Martial venge son père en
éliminant progressivement les grands du régime auquel elle sert
du champagne-empoisonné après avoir couché avec eux. Sa
fille Chaïdana- aux - gros -cheveux, devenue dans la suite Chaïdana
- à - la - grosse - viande passe une décennie chez les
pygmées. Après cette période, elle revient et conquiert
Yourma avec son sexe.
Au cours cette étude, il s'agit de voir si ce roman
prolonge réellement le thème du désenchantement comme le
dit Cécile Lebon : « Sony Labou Tansi écrivait
pour dénoncer des inepties, les absurdités des pouvoirs
dictatoriaux, ce qu'il appelle lui-même les mochetés ou les
fatigues de certaines réalités
africaines »6(*).
Dans cette étude, il est question d'analyser le roman
et de vérifier si La Vie et demie serait un roman
révolutionnaire, un roman qui traite de politique. Et si, la
réponse à ces interrogations est affirmative, il y a lieu de se
demander si ce choix du thème est en rapport avec les structures
narratives et le style. C'est pour cette raison que nous allons interroger le
texte, analyser les différents niveaux d'expression qu'offre ce texte
pour en dégager des interprétations.
0.2. Choix du sujet et sa motivation
Le choix de notre sujet n'a pas été un coup de
hasard. Il a été essentiellement motivé par divers
questionnements au sujet desquels les éclaircissements sont
nécessaires.
De prime abord, notre choix s'explique par le simple
goût que nous affichons pour la production littéraire et
l'engagement politique de Sony Labou Tansi. Nous abondons dans le même
sens qu'Arniel Denis selon qui : « parler d'un auteur, c'est
reconnaître que cet auteur mérite qu'on en parle ; c'est non
seulement affirmer son goût pour lui, mais aussi combattre pour qu'on lui
reconnaisse la place qu'il mérite »7(*).
Ainsi, Sony Labou Tansi, romancier congolais, est très
connu et classé parmi les grands romanciers africains de la
deuxième génération. Sa thématique et sa production
n'ont cessé de surprendre lecteurs et critiques. Quant à son
oeuvre, elle embrasse plusieurs genres littéraires : la
poésie, la nouvelle, le théâtre et le roman.
Sony Labou Tansi est connu pour sa composition rapide. Selon
Cécile LEBON : « Sony Labou Tansi [....] depuis 1979,
date de la publication de La vie et demie et de la création du
« Rocade zulu Théâtre », n'a cessé
d'enrichir son oeuvre de poète, de romancier et de
dramaturge »8(*).
Dans ce même ordre d'idées, Daniel Maximin dit que :
« La parole qui devait se perdre dans la
forêt vierge et voilà maintenant cette parole prend signes et
s'inscrit sur les pages qui deviennent des livres [....]. Je ne pense pas que
Sony puisse rester un moment sans prendre un crayon et se mettre à
écrire [....]. Son débit est à l'égal du
fleuve »9(*).
Marie-Noëlle Vibert, elle aussi, est surprise par
l'écriture abondante et étonnante de Sony lorsqu'elle dit :
« Sony Labou Tansi se mettait au monde par l'écriture.
Ecrire c'était pour lui se trouver, se créer lui-même sans
le geste de la création, lutter contre le silence, le vide, la mort
[...]. C'est pourquoi peut-être il écrivait sans cesse, en tous
lieux, en toutes circonstances. Gravement malade, sur son lit d'hôpital
il écrivait encore10(*) ».
En dehors de ces considérations intéressantes
portées à l'endroit de Sony Labou Tansi, une grande attention qui
a aussi motivé notre choix, a été l'avertissement de Sony
Labou Tansi à ses lecteurs dans La Vie et demie :
« La vie et demie, ça s'appelle par
étourderie, Oui, Moi qui inaugure l'absurdité du désespoir
- d'où voulez - vous que je parle si non du dehors ? A, une
époque où l'homme est plus que jamais résolu à tuer
la vie, comment voulez-vous que je parle ? J'ose renvoyer le monde entier
à l'espoir et comme l'espoir peut provoquer des sautes de viande, j'ai
cruellement choisi de paraître comme une seconde version de l'humain -
pas la dernière bien entendu - pas la meilleure - simplement la
différente. [...] Et, comme dit Ionesco, je n'enseigne pas, j'invente.
J'invente un poste de peur en ce vaste monde qui fout le camp. A ceux qui
cherchent un auteur engagé, je propose un homme engageant
[...] » (VD : 9).
Il s'agit donc de voir au cours de cette étude de quel
engagement parle Sony Labou Tansi.
0.3. Approche méthodologique
Dans le but d'analyser la dimension artistique et
esthétique d'une oeuvre littéraire en général et
d'un roman en particulier, plusieurs méthodes et techniques ont
été mises sur pied par les critiques de domaines
différents. Nous signalons ici à titre d'exemple les
méthodes en rapport avec la sociocritique et l'analyse du discours avec
le social, les méthodes qui décrivent le texte en relation avec
les autres textes comme l'intertexualité, la méthode
thématique qui s'appuie sur le texte, vecteur du message ou les
théories structuralistes.
Cependant, toutes ces méthodes et
procédés utilisés pour l'analyse d'une oeuvre
littéraire ou d'un roman pour le cas qui nous concerne, diffèrent
principalement de leurs postulats méthodologiques sans oublier les
problèmes spécifiques soulevés par celles-ci. Retenons
alors avec Tzevetan Todorov que : « ce qui existe, d'abord
c'est le texte, rien que lui, ce n'est qu'en le soumettant à un type
particulier de lecture que nous construisons, à partir de lui, un
univers imaginaire [....], le roman n'imite pas la
réalité, il la crée »11(*). Josias SEMUJANGA, de son
côté, affirme que « l'écriture romanesque se
nourrit de l'histoire en adoptant le mélange des genres artistiques dont
certains attributs sont rentabilisés et recyclés par
l'énonciation romanesque »12(*). Etant donné la nature de notre sujet, on
se rend compte tout de suite que la critique sociocritique, se prête
mieux à cette étude. Enfin, en étudiant le style, les
personnages, l'organisation du temps et de l'espace, donc l'écriture en
général, nous allons recourir aux théories
structuralistes.
0.3.1. De la
sociocritique
L'étude sociocritique garde une place
prépondérante dans des recherches littéraires qui
s'effectuent aujourd'hui. C'est une critique qui étudie les relations
existant entre une oeuvre littéraire et la société de
l'auteur. Elle fait une réflexion sur les manières de penser et
de se comporter des hommes de cette même société mais dans
la fiction romanesque. Claude Duchet13(*) précise que l'intention et la
stratégie de la sociocritique sont de restituer au texte sa teneur
sociale car comme l'affirme Josias Semujanga :
« Le texte romanesque étant d'abord et
avant tout un ensemble de faits linguistiques, se trouve par conséquent
porteur de faits sociaux et culturels, [...] ainsi relevant du culturel, le
discours romanesque devient explicatif du social dans le sens le plus large,
incluant le politique, le religieux et
l'idéologie »14(*).
Il est évident que la sociocritique fait une
analyse de la conscience des hommes d'une société, de leurs
structures, et de leurs fonctions dans leur vie quotidienne à travers
une oeuvre littéraire où elles se trouvent transposées. De
son côté, Straton Rurangirwa précise que la sociocritique
« recherche la compréhension de la façon dont un
texte s'insère dans les représentations sociales et dans les
visions du monde qui lui sont contemporaines »15(*).
Ainsi, comme nous le remarquons, la sociocritique consiste en
une étude mettant en évidence la véritable place à
accorder au groupe social dans la création littéraire. Ceci veut
dire que tout au long de cette analyse, il s'agit de déterminer les
rapports existant entre une oeuvre qui se présente comme un produit
social et la société humaine avec laquelle elle entre en jeu. Sur
ce point, concernant toute production littéraire en
général et le roman en particulier, Lucien Goldman affirme
que :
« La forme romanesque nous paraît
être en effet, la transposition sur le plan littéraire de la vie
quotidienne dans la société individualiste née de la
production pour le marché. Il existe une homologie rigoureuse entre la
forme littéraire du roman [....] et la relation quotidienne des hommes
avec les biens en général et par extension des hommes avec les
autres hommes dans une société »16(*).
Partant de cette homologie entre l'écriture
et le social, force est de constater que l'étude sociocritique renvoie
à un ensemble de recherches partant du fait que la société
est un sujet de création littéraire, pour dire que la
société est indissociable de la production littéraire. La
société offre une trame à la littérature que cette
dernière doit consommer et produire. A titre illustratif, la
société africaine d'après l'indépendance où
nous plaçons le roman La Vie et demie était
marquée par l'autoritarisme, le népotisme, la dictature et par
beaucoup d'autres maux qui caractérisaient la classe au pouvoir. Le
peuple africain s'attendait à une vie beaucoup plus aisée, mais
leur rêve allait s'estomper pour laisser place à la misère.
De ce fait, la production littéraire de cette génération
se reconnaît par : « la dénonciation des
injustices, des inégalités, de la démagogie, de la
tyrannie, du gaspillage,... et de bien d'autres
fléaux »17(*) qui sont l'apanage de la classe au pouvoir.
Cependant, même s'il y a une homologie entre la
société et la production littéraire, le roman n'est pas
une photocopie conforme à l'original de la société
productrice. L'homologie dont nous parlons ici, dans l'analyse sociocritique,
est une homologie des structures comme le dit Bernard Valette :
« Le principe avoué est celui d'une homologie entre les
superstructures culturelles et les infrastructures socio-économiques ou
politiques. Le roman serait ainsi une des formes d'inscription imaginaires de
la réalité sociale ou institutionnelle voire des appareils
idéologiques d'Etat »18(*).
Dans le but de comprendre ce qui vient d'être dit, il
est à noter trois éléments essentiels et
nécessaires pour la sociocritique : la société du
roman, la société de référence et le hors-texte.
Par société du roman, en paraphrasant Claude
Duchet, nous entendons cet espace qui, dans un roman est couvert de
diegèse, dans lequel évolue l'action des personnages et
d'où l'on entend la voix du narrateur. Ainsi le roman produit sa propre
société. Cette société est définie dans
l'espace et dans le temps diégétiques.
C'est une société fictive qui existe seulement
dans le roman. Mais cette société, bien qu'elle soit fictive,
elle renvoie par ses structures à une certaine réalité
sociale extra-textuelle. La société du roman, sans pour autant
être une photocopie d'une société quelconque,
présuppose une société de référence, puisque
nous voyons apparaître des grandes structures sociales telles que
l'organisation de la société, la religion, la culture, la
tradition, le pouvoir politique. C'est la société perçue
par l'écrivain selon son imagination ou sa vision du monde.
Un autre élément à ne pas
négliger dans la sociocritique est le hors-texte c'est-à-dire les
éléments cités par le roman notamment les faits
historiques, les dates, les toponymes, les anthroponymes, les zoonymes, les
hydronymes et d'autres codes sociaux comme la manière de se vêtir,
la manière de parler, de manger, la connotation de certains mots et bien
d'autres. Ce hors-texte a un rôle bien défini :
établir les rapports de la société du roman ou tout
simplement la société du texte avec la société de
référence grâce à l'évocation des lieux, des
faits historiques et sociaux.
Nous voyons donc en définitive que la méthode
sociocritique permet d'éviter la tentation de vouloir traiter l'oeuvre
de fiction comme un simple miroir du réel où l'on doit
s'arrêter à un constat de fidélité ou
d'infidélité au réel. Cette méthode permet
plutôt de montrer comment l'écriture retravaille le social,
c'est-à-dire qu'entre le texte et le social, il y a une médiation
qui est considérée comme un discours. Le discours dans le
récit inscrit la société de référence dans
la matière du texte. La sociocritique consiste alors à
repérer, à identifier, à localiser tout ce qui, dans le
texte, fait écho au discours social de la société de
référence, ce qui oblige à dire que l'écriture
littéraire est une transformation de ce déjà-là
social.
0.4. Division du travail
Notre travail s'articule autour de trois chapitres, en plus
de l'introduction générale qui réfléchit sur le
sujet et la méthodologie et de la conclusion générale qui
constitue la synthèse des résultants.
Le premier chapitre s'intitule « LA VIE ET
DEMIE : UN ROMAN POLITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE » et
consistera à présenter ce roman, à relever ce qui
constitue son caractère politique et à en faire une critique. Il
s'agira de dénicher les divers maux que subit le peuple Katalamanasien,
allégorie de tout peuple africain, au cours des différents
règnes des guides providentiels qui se sont succédé
à la tête de la Katalamanasie.
Dans le deuxième chapitre intitulé :
« DE L'HISTOIRE POLITIQUE AUX STRUCTURES NARRATIVES », nous
tâcherons de montrer comment la rupture politique a permis la rupture
discursive et narrative. Il sera question de présenter les parcours
narratifs, les différents personnages qui interviennent sans pour autant
oublier l'univers spatio-temporel dans lequel l'histoire politique est
racontée au lecteur.
Le troisième chapitre : « ECRITURE
REVOLUTIONNAIRE ET LA DYNAMIQUE DES GENRES DANS LA VIE ET
DEMIE » portera sur l'analyse du mode d'écriture. Nous
nous efforcerons, dans ce chapitre, d'interroger le texte du point de vue
scriptural pour mettre un accent particulier sur le caractère novateur
que nous y trouvons. Il sera aussi question de voir comment Sony revêt ce
caractère d'innovation par le fait qu'il semble renoncer au beau style
déjà existant, souvent par une grande faculté d'invention
du point de vue stylistique et lexical propre aux thèmes et
l'imbrication des genres que nous trouvons ici et là dans le roman.
CHAP.
I LA VIE ET DEMIE : UN ROMAN POLITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE
I.1 Introduction
De prime abord, nous nous proposons de présenter
La vie et demie. Ensuite, nous analysons l'aspect politique du roman.
Il s'agit ici de mettre en évidence tous les maux que subit le peuple
Katalamanasien, l'allégorie de tout peuple africain, du règne du
premier guide providentiel Obramoussando Mbi à celui du dernier. Nous ne
passerons pas sous silence l'opposition que dirige Martial, laquelle va
bénéficier du consentement de tout le peuple opprimé et
déçu par le pouvoir totalitaire des guides.
I.2 L'oeuvre de l'auteur
L'oeuvre de Sony Labou Tansi et riche, importante et
florissante. En effet, comme nous l'avons mentionné sommairement, il
faut dire qu'il excelle dans les quatre genres majeurs de la littérature
écrite, à savoir le roman, la nouvelle, la poésie et le
théâtre. Il a écrit :
- Conscience de tracteur (théâtre),
NEA/CRE, Dakar, Yaoundé, 1979
- Le Malentendu (Nouvelle), RFI, ACCT, Paris, 1973
- La Vie et demie (roman) Paris, Seuil, 1979
- Lèse-majesté (Nouvelle) Paris, RFI
ACCT, 1982
- La coutume d'être fou (théâtre)
Paris, RFI, ACCT, 1980
- Je soussigné cardiaque
(théâtre), Paris, Hatier, Coll. « monde
noir-poche », 1981
- La parenthèse de sang (théâtre),
Paris, Hatier, coll. « monde noir-poche », 1981
- L'Etat honteux (roman), Paris, Seuil, 1981
- L'Ante-peuple (roman), Paris, Seuil, 1983
- Les sept solitudes de Lorsa Lopes (roman), Paris,
Seuil, 1983
- Le commencement des douleurs (roman), Seuil,
1995
- Poèmes et Vents lisses, Paris, Ed. le bruit
des autres, 1995
I.3 Résumé de La vie et demie
L'histoire de La vie et demie se situe quelque part
sur le continent africain. On est en Katalamanasie, pays imaginaire d'Afrique
ayant pour capitale Yourma. La vie et demie s'ouvre sur
l'exécution barbare de Martial et s'enchaîne sur des meurtres sans
fin. Martial résiste, mais de quelle façon ! Un couteau de
cuisine, un revolver, deux chargeurs de pistolet mitrailleur, un sabre, divers
poisons mêlés au champagne ne parviendront pas à en finir
avec lui, car Martial ne veut pas mourir de cette mort.
Dès lors, son ombre restera, au-delà du corps
et marquera les choses et les êtres de son empreinte
indélébile. De génération en
génération des « Guides providentiels »,
sa fille Chaïdana, poursuivra la lutte en se prostituant avec les
dignitaires du régime, les tuant les uns après les autres. Elle
tue successivement les ministres et les officiers du régime qu'il
invitait dans sa chambre n° 38 de l'hôtel « La vie et
demie ».
Le Guide providentiel a beau créer des
expéditions chargées de mettre la main sur cette fille mettant
à mort grâce à son sexe et au champagne. Chaïdana
demeure insoupçonnée et insaisissable grâce à sa
ruse de falsifier les pièces d'identité qu'elle porte sur elle.
Avant de mourir, elle met au monde des triplets : deux garçons et
une fille qui naissent de la « gifle
intérieure » qu'elle reçut de son père
Martial. La gifle intérieure est la façon dont Martial viole sa
fille étant endormie. Les deux garçons moururent très
tôt. Seule restait Chaïdana qui, grâce à sa
beauté de fée, ne tarda pas à attirer les grands monarques
de la Katalamanasie.
Son union avec Jean Oscar-Coeur-de père donna un fils
du nom de Patatra. Chaïdana - aux - gros cheveux devenue ensuite
Chaïdana - à - la grosse - viande fut chassée par son
maître de Katalamanasie et se fixa au Darmellia, son pays d'origine.
Patatra qui avait succédé à son père ayant comme
nom de règne Jean-Coeur-de Pierre donnant naissance à une
génération de deux milles Jean, trente d'entre eux
rejoignirent leur grand-mère au Darmellia et s'y installèrent.
Ils travaillèrent durement pour développer leur pays. Le
Darmellia connut alors une prospérité dans plusieurs domaines.
Les Katalamanasiens n'en furent pas contents, ce qui poussa d'ailleurs le guide
qui régnait en ce moment là à déclarer la guerre au
Darmellia en vue de l'annexer à la Katalamanasie s'appuyant sur ses
troupes nombreuses et d'autres en provenance de la puissance
étrangère qui fournissait les guides. La Katalamanasie n'essuya
que des échecs retentissants sur tous les fronts. La ville de Yourma qui
avait changé de nom et devenu Félix-ville fut incendiée
par Jean Calcium. Les habitants, les animaux et les plantes furent
carbonisés. La guerre devait se terminer par la destruction de la ville
de Yourma et la chute totale de la dictature de la Katalamanasie.
La Vie et demie commence par la guerre et se
clôt par la guerre, c'est-à-dire que l'histoire recommence
à zéro.
I.4 La vie et demie et le thème du
désenchantement
Dès la période des indépendances, les
romanciers africains d'expression française, dits de la deuxième
génération, se sont orientés vers une thématique
bien claire : il s'agit du désenchantement. Dans ces romans, ce
n'est plus le colonisateur qui est attaqué comme c'était le cas
dans ceux de la première génération, mais les nouveaux
maîtres de l'Afrique. La production romanesque est donc marquée
par la protestation mais celle-ci ne s'adressant plus au colonisateur, mais
à l'homme africain qui a pris le relais de l'ex-colonisateur ne se
montrant d'ailleurs pas meilleur que lui, mais parfois pire que lui. Cette
thématique gagne du terrain chez les romanciers de cette période,
car, comme l'affirme Célestin Bizimungu, toutes les critiques
« s'accordent pour reconnaître une
thématique récurrente et dominante dans la production romanesque
des écrivains négro-africains de la période
post-coloniale : il s'agit du thème de désenchantement.
L'attitude des nouveaux dirigeants déçoit le peuple. Au lieu de
répondre positivement à ses attentes, ceux qui détiennent
le pouvoir recherchent avant tout leurs intérêts. Les
indépendances acquises après un dur combat profitent à une
poignée de gens qui prennent la place de l'ancien colonisateur et
oppriment scandaleusement leurs frères »19(*).
Ainsi, les romanciers de la deuxième
génération prennent pour cible la classe dirigeante et ses abus
dans différents états issus des indépendances, comme le
résume Bernard Mouralis :
« Un des traits les plus marquants dans
l'évolution littéraire de la production littéraire
africaine est sans aucun doute l'intérêt croissant que les
écrivains et notamment les romanciers portent, depuis le début
des années 60, à la question des nouveaux pouvoirs
indépendants [...] Cette évolution a abouti à un
renouvellement significatif du cadre spatio-temporel qui caractérisait
jusqu'alors la vision du monde des écrivains. A un regard qui opposait
l'Afrique d'avant la colonisation s'est substituée une perspective
opposant désormais l'Afrique d'après l'indépendance et qui
cherche à cerner la genèse et la signification de ce
phénomène politique complexe qui se développe à
partir de 1960 »20(*).
Nous sommes donc devant les romanciers politiquement
engagés qui veulent se faire des porte-parole du peuple et qui accusent
la nouvelle bourgeoisie d'abuser de la confiance de ses compatriotes.
Ces écrivains abondent, en effet, dans l'idée
d'Aimé Césaire lorsqu'il disait : « Ma bouche
sera la bouche des malheurs qui n'ont point de boucle, ma voix la
liberté de ceux qui s'affaissent au cachot du
désespoir »21(*).
En somme, par une lecture profonde et attentive, La vie
et demie, prolonge le roman du désenchantement. Il décrit et
dénonce les multiples abus qui caractérisent quelques Etats
africains en général, et la Katalamanasie, en particulier. Les
thèmes qui y sont développés montrent clairement qu'il
s'agit du roman de désenchantement. Il décrit les méfaits
causés en grande partie par la médiocrité et la tyrannie
de certains chefs d'Etat. C'est ce que nous allons essayer de démontrer
tout au long de cette étude. Nous commençons par montrer les
avatars de la dynastie des guides, entre autres la cruauté des guides,
leur immoralité, la corruption, le détournement des fonds publics
et leur fantaisie. Par après nous allons voir comment le peuple se
révolte contre ce pouvoir dictatorial et oppressif des guides
providentiels en jetant aussi un coup d'oeil sur sa fin.
I.4.1 Les avatars de la dynastie des
guides
A lire attentivement le roman, La vie et demie
expose au lecteur une société remplie d'abus et d'avatars d'un
pouvoir tyrannique. Tout au long du roman, ces avatars se résument en
une sorte de cruauté des guides, d'immoralité, de corruption, de
détournement de fonds publics, de fantaisie. A côté de tout
cela, on assiste à une description du peuple déçu par ses
guides qui est d'ailleurs, comme nous l'avons dit, l'allégorie de tous
les peuples africains.
I.4.1.1 La cruauté des guides
La tyrannie ou le pouvoir politique de la Katalamanasie est
marquée par la succession des guides caractérisés non
seulement par le pouvoir totalitaire, mais aussi par la terreur, la
cruauté souvent remplie de cynisme exacerbé. A travers ce roman,
la cruauté cynique des guides réside dans leur façon de ne
pas donner directement la mort à leurs victimes. Ils les soumettent
d'abord à une souffrance lente et excessive avant de les envoyer
à une mort atroce. La vie et demie s'ouvre sur un de ce cynisme
exagéré, exercé sur Martial.
« Le Guide providentiel enfonça le
couteau de table dans l'un puis dans l'autre oeil, il en sortit une
gelée noirâtre qui coulait sur les joues et dont les deux larmes
rejoignirent dans la plaie de la gorge, la loque-père continuait
à respirer comme l'homme qui vient de finir l'acte.
Maintenant qu'est-ce que tu attends ? [...]
Je ne veux pas mourir cette mort [...]
Alors le Guide Providentiel s'empara du revolver [...]
l'arma et en porta le canon à l'oreille gauche de la loque-père,
les balles sortirent toutes par l'oreille droite avant d'aller se fracasser
contre le mur [...].
La colère du Guide Providentiel monta [...] puis
revint vers l'homme [...] Quelle mort veut-tu mourir, Martial [...] Celle-ci
Martial ? Il tira un chargeur en répétant nerveusement
« celle-ci » ? Il tira un deuxième chargeur
à l'endroit exact où il devinait le coeur de la
loque-père » (V.D. : 13-14).
Ce sadisme du Guide Providentiel qui éprouve d'une
grande joie en tuant Martial, s'accompagne de l'obligation exercée sur
la famille de son opposant de manger sa chair : « vous allez
me bouffer ça, dit-il [...] il ordonna qu'on vînt prendre la
termitière et qu'on en fit moitié pâté et
moitié daube bien cuisiné pour le repas du lendemain
midi » (V.D. : 16). Martial n'est pas le
seul à subir ce coup sadique parce que toute sa famille est
éliminée c'est-à-dire ses sept enfants et sa femme ;
il ne reste que Chaïdana, âgée de quinze ans.
La cruauté des guides ne frappe pas seulement leur
opposant car le guide Obramousando Mbi tue son cartomancien Pueblo quand il lui
interdit de se coucher avec Chaïdana de peur que son père Martial
ne puisse revenir : « Le Guide Providentiel lui sauta
à la gorge, il serra tellement fort que les os se brisèrent, les
yeux de Kassar Pueblo sortirent entièrement des orbites et pleuraient
rouge » (V.D. : 25).
Tout au long du roman, les guides se montrent injustes,
cruelles, déraisonnables, immorales, tyranniques. Ils exécutent
sans merci leurs sujets, qu'ils soient coupables ou non. Les scènes de
torture et de cruauté sont nombreuses. Le Guide Providentiel part d'une
petite chose, d'un moindre soupçon pour tuer, pour torturer. Le temps
qu'a duré la dynastie des guides providentiels permet de dresser un long
bilan de pertes en vies humaines. Le guide providentiel se sert de plusieurs
moyens pour faire souffrir ses victimes. Avec son couteau de table, son
revolver, et divers poisons, il se joue de ses victimes et les tue après
leur avoir fait endurer plusieurs épreuves. Le martyre de tous ceux qui
comparaissent devant le guide providentiel dans son palais présidentiel
rappelle celui du Christ. En effet, chaque fois qu'un des condamnés est
introduit chez lui, nous attendons dire par la personne qui l'accompagne
« Voici l'homme », le fameux ecce homo
prononcé par Pilate.
Dans la République Katalamanasienne, le Guide
Providentiel revêt un caractère de cannibale, car c'est avec le
couteau utilisé pour couper sa viande achetée aux
« Quatre saisons » qu'il torture ses victimes.
« S'approchant des neuf loques humaines que le
lieutenant avait poussées devant lui en criant son « voici
l'homme », le guide providentiel eut un sourire très simple
avant de venir enfoncer le couteau de table qui lui servait à
déchirer un grand morceau de la viande vendue aux quatre saisons, le
plus grand magasin de la capitale, d'ailleurs réservée aux
gouvernements. La loque-père sourcillait tandis que le fer disparaissait
lentement dans sa gorge. Le guide providentiel retira le couteau de table et
s'en retourna à sa viande de « quatre saisons »
qu'il coupa et mangea avec le même couteau ensanglante. Le sang coulait
à flots silencieux de la gorge de la loque-père, les quatre
loques-filles, les trois loques-fils et la loque-mère n'eurent aucun
geste, parce qu'on les avait liés comme la paille, mais aussi et surtout
parce que la douleur avait tué leurs serfs » (V.D.
: 12).
Une lecture encore poussée de La Vie et demie
montre que le guide providentiel n'est jamais fatigué dans son acte
ignoble d'exterminer son peuple. Sa tyrannie absurde transforme le territoire
en un véritable abattoir. A cause de son sadisme poussé à
l'extrême, il n'hésite même pas à tuer ceux qui sont
chargés de sa sécurité personnelle. En effet, au cours de
multiples apparitions de Martial, le Guide Providentiel saisi d'une peur
prenait son pistolet mitrailleur et balayait tout ce qui était à
sa portée, hommes et objets confondus. Comme cette scène
où il tua ses propres gardes provoquait toujours des querelles, il donna
des explications vaines et mensongères comme quoi c'était Martial
qui était l'auteur du meurtre. Après la mort de Kassar Pueblo, le
cartomancien du guide et celle du docteur Tchi qui avait aidé
Chaïdana à s'évader, le Guide Providentiel se retournait
vers les autorités gouvernementales. C'est ainsi qu'il fit fusiller le
ministre de la défense accusé injustement de haute trahison.
Le Guide Providentiel Obramousando Mbi est remplacé
par plusieurs autres guides qui se succèdent à un rythme rapide
mais qui n'apportent aucun changement. Ils continuent eux aussi à
exercer la dictature, la tyrannie, la violence et beaucoup d'autres actes
inhumains.
En somme, la société Katalamanasienne est un
monde où la vie ne vaut pas la peine d'être vécue et
où la loi du plus fort, qui est toujours la meilleure, est en pratique.
Le peuple est une proie du guide et d'autres personnalités influentes du
régime et vit dans une perpétuelle terreur. Ceux qui
réclament leurs droits sont exécutés comme ce fut le cas
des étudiants de l'Université de Yourma qui protestaient contre
les politisations inconditionnelles des diplômes. Tous les trois mille
quatre-vingt-douze étudiants sont tués sur l'ordre du guide
Henri-au-coeur-tendre. La vie et demie met devant nous une
société où le sadisme des guides dépasse la mesure
et où le peuple se demande le sens de la vie dans le pays où les
hommes s'entretuent. A côté de ces cruautés des guides
s'ajoute une autre préoccupation seulement sur les femmes que nous
qualifierons d'immoralité.
I.4.1.2 L'immoralité ou avatar moral
Dans La vie et demie, la cruauté des guides
et le sexe sont des éléments importants et
interdépendants. Les guides, après leurs actes ignobles, se
divertissent en faisant des actes sexuels avec les plus belles filles de la
Katalamanasie. Ces guides participent à la trivialité et à
la sexualité. Ils sont des vrais assoiffés insatiables et se
livrent aux réjouissances sexuelles. De là, tout le roman est
rempli de scènes de sexualité des guides comme si c'était
une préoccupation de leur pouvoir. Cette virilité sexuelle des
guides est commentée par le narrateur en ces termes :
« [] et quand les reins du guide avaient
posé leur problème, on remplaçait les peaux collantes
directes par les êtres du sexe d'en face, les gardes assistaient alors
aux vertigineuses élucubrations charnelles du Guide Providentiel
exécutant sans cesse leur éternel va-et-vient en fond sonore aux
clapotements fougueux des chairs dilatées »
(V.D. : 20).
Cette façon du Guide Obramoussando Mbi d'offrir un tel
spectacle à ses gardes fait que la pratique sexuelle se propage dans
tout le pays. Les gardes et d'autres militaires qui sont chargés
d'assurer la sécurité à l'intérieur en profitent
pour engrosser les femmes et les filles en désordre et souvent par
force. Cette pratique allait se généraliser dans tout le pays et
donner lieu à la naissance de beaucoup de bâtards et d'enfants de
pères inconnus.
La sexualité exagérée des guides va
s'étendre à toutes les couches administratives à commencer
par les ministres. Ainsi chaque bureau du ministre était
aménagé de telle façon que le ministre avait une chambre
à part où il s'entretenait à huis clos avec les filles.
Par conséquent, chaque fille qui passait au bureau de tel ou tel
ministre pour demander l'une ou l'autre information, devait
impérativement être reçue par le ministre et le
secrétariat était au courant de tout ça. Les filles en
profitent pour trouver de l'emploi car l'acte sexuel est légitimé
et c'est un amusement de tous les dirigeants, une des tâches importantes
qui leur sont confiées.
Cependant, dans la Vie et demie, la puissance
sexuelle du Guide Providentiel se dégrade un peu plus tard en voulant se
marier avec Chaïdana. Le jour du mariage il attrape une impuissance
sexuelle temporelle et préfère enfoncer sa tête dans les
cuisses de Chaïdana ne fut-ce que pour goûter l'odeur qui s'en
dégageait, qui, d'après lui était vitale. Ceci se fait
après des longs préparatifs en buvant des boissons
alcoolisées et en prenant des régimes spéciaux pour
impressionner Chaïdana.
« Au troisième chant du coq, le Guide
Providentiel déclara que les huit jours de noces qui allaient se lever
seraient chômés et payés sur toute l'étendue de son
pays [...] Il fit mettre tous les serviteurs du palais dans les vérandas
et demanda qu'on fermât les portes de fenêtres [...] Dans sa
chambre, le guide providentiel eut une écoeurante surprise. Il avait
laissé tous ses habits devant la porte verte, il voulait impressionner
son épouse par son corps broussailleux comme celui d'un vieux gorille et
par son énorme machine de procréation taillée à la
manière de celle des gens de son clan et boutonnant sous de vastes
cicatrices artistiquement disposées en grappes
géométriques. Il bandait tropicalement, mais sur le lit où
il s'était tropicalement jeté, ses yeux encore embués de
vapeur de champagne providentiel, ses premières caresses
rencontrèrent non le corps formel de sa femme, mais simplement le haut
du corps de Martial saignant noir et frais sur son linge de noces [...]
Chaïdana attendait, mais dès que le Guide Providentiel la touchait,
le haut du corps remplissait les yeux du Guide [...] Il en devenait impuissant
sur le coup » (V.D. : 54-56).
Cette scène de l'impuissance du guide est
radiodiffusée et télévisée.
Par ailleurs, dans tout le roman, la sexualité n'est
pas seulement l'apanage des guides, elle frappe aussi les autres habitants du
royaume de Katalamanasie en commençant par des opposants du pouvoir.
Chaïdana en est un bel exemple. La chambre n° 38 de l'hôtel
La vie et demie est bel et bien un terrain très fertile de
prostitution. Chaïdana s'y installe pour venger son père et se
prostitue aux dignitaires de la Katalamanasie c'est-à-dire les
ministres, les militaires et les autres hauts fonctionnaires du pays. Tous
ceux-ci sont morts pour avoir couché avec Chaïdana.
Profitant de sa beauté, Chaïdana cherche d'abord
à séduire les ministres et à leur rendre visite dans leurs
bureaux. Elle profite de l'occasion pour présenter son invitation qui
est reçue positivement.
Dans la chambre n° 38 de l'hôtel « La
vie et demie », Chaïdana offre à ses visiteurs du
« Champagne Chaïdana » après l'acte sexuel. Ces
dignitaires meurent par après et personne ne découvre qu'il
s'agit du vin empoisonné.
« En deux ans, Chaïdana avait servi du
champagne à trente hauts personnages de la tragédie
Katalamanasienne. On commença à parler d'une
épidémie, mais puisque l'épidémie, si
épidémie il y avait ne frappait que les membres de la dictature
katalamanasienne, on conclut à l'étranger que cela ne pouvait
être qu'une des méthodes tropicales par lesquelles les Guides
Providentiels avait remplacé les élections souvent trop
coûteuses en république communautariste de Katalamanasie,
méthodes moins tempérées, mais finalement plus rapide pour
changer les membres de son gouvernement » (V.D. :
61-62).
Ainsi, l'acte sexuel accompli par Chaïdana n'est point
un fruit semé dans le désert, car sa fille
Chaïdana-aux-gros-cheveux va perpétuer le métier de sa
mère. Dans son existence, elle se fixe pour ambition de conquérir
Yourma. Ses armes sont son sexe et sa beauté extraordinaire. Le premier
bénéficiaire de son entreprise est le chef de l'Etat de
Katalamanasie qui devient son époux. Un peu plus tard, elle mettra au
monde un fils qui deviendra président de la république.
Dans La vie et demie de Sony Labou Tansi, la
sexualité ou tout simplement l'immoralité gagne un terrain vaste
et devient une affaire de tout le monde, même des prêtres. Ces
derniers, eux aussi, s'accouplent avec les femmes et savent souvent leur
plaire ; Chaïdana-aux-gros-cheveux en est un exemple typique.
« Cette nuit-là, elle rentrait d'une
longue promenade et la fatigue roulait ses muscles. Elle avait ouvert la
fenêtre après le bruit et fut surprise de voir Monsieur
l'Abbé [...] Merveilleuse nuit, elle reçut d'adorables
décharges de chaleurs dans les reins - six fois, elle avait crié
le ho-hi-hi-ho final avant de commencer une véritable rafale de
ho-hou-la-hé-, Monsieur l'abbé était un mal incomparable
[...] Sir Amanazavon était un zéro sexuel tout rond. Elle l'avait
gardé au lit tout le lendemain et ne l'avait lâché que le
soir vers l'heure de dîner » (V.D. :
117-118).
En lisant attentivement le roman, nous remarquons que
l'immoralité sexuelle est poussée à l'extrême
jusqu'à ce qu'on puisse penser à une bestialité notoire.
Les hommes s'accouplent avec les femmes avec une puissance rare chez les
humains. Dans La vie et demie, Jean-coeur-de-pierre a une
capacité comparable à celle des animaux. Celui-ci est capable de
féconder toutes les femmes du pays. La preuve en est qu'il
réussit à satisfaire cinquante jeunes vierges recrutées
dans tout le pays. La scène est télévisée et
radiodiffusée pour montrer sa capacité sexuelle :
« L'amusement et le plaisir étaient le
propre même de l'être de Jean - coeur - de - pierre [...] Pour
s'amuser Jean - coeur - de pierre instaura la nuit de l'opinion, celle 24
décembre où les tracts pouvait se jeter à volonté
[...]. A cette époque, Jean - coeur - de - pierre prétendit que
son père lui était apparu et lui avait donné des
instructions sur sa progéniture. On avait préparé
cinquante lits dans l'une des trois milles chambres du palais de Miroirs [...]
C'était dans la chambre rouge, la seule du palais des Miroirs qui ne fut
pas bleue [...] On fit entrer cinquante vierges choisies parmi les plus belles
du pays. Fraîchement baignées, massées, parfumées
[...] On déshabilla les vierges, on les coucha sur le lit dont le
numéro 1 correspondait à celui écrit sur le ventre juste
au-dessus du nombril. Le guide portait numéro 1, les vierges
étaient numérotées de 2 à 51. Jean - coeur - de -
pierre [...] accomplit son premier tour de lit en trois heures vingt-six
minutes et douze secondes » (V.D. : 146-148).
Le côté bestial se trouvant dans La vie et
demie se manifeste aussi par le viol, consommé par trois cent
soixante-trois jeunes miliciens, avec Chaïdana. Ces miliciens la laissent
évanouie :
« Après le pont du chemin de fer,
Chaïdana s'était dirigée vers le fleuve, avec la ferme
résolution de gagner sa deuxième manche contre le sang-cataracte
de son ignoble père [...] Le soir, comme elle n'avait pas bougé
de là, un groupe de quinze miliciens était venu se soulager sur
elle. Elle en tomba évanouie. Au premier chant du coq un autre groupe de
miliciens arriva qui la laissa pour morte et au petit matin vint une
dernière équipe plus fougueuse parce que le temps pressait. Elle
resta inanimée pendant trois nuits et pendant trois nuits elle encaissa
treize cascades de miliciens, soit un équivalent en hommes de trois
cent-soixante-trois » (V.D. : 71-72).
Disons en guise de conclusion que l'immoralité se
trouvant dans la Vie et demie nous renseigne sur les comportements des
dirigeants de nouveaux Etats africains après l'indépendance. Sony
Labou Tansi décrit un homme qui perd son caractère humain et qui
se lance dans la bassesse pour satisfaire ses instincts. Il nous met devant une
société où le sexe est une première occupation et
cela occasionne plusieurs méfaits. Dans cette société, les
dirigeants ou les dictateurs, pour mieux dire, usent de la violence pour
exterminer leurs opposants et par après se lancent dans la
sexualité dans un but récréatif. De ce fait, l'organe
administratif est paralysé et la corruption s'y installe de toutes ses
forces.
I.4.1.3 La corruption
Dans son roman, Sony Labou Tansi retrace une
société complètement corrompue. Tous les secteurs de la
vie communautaire de la Katalamanasie sont touchés par ce méfait
qui est devenu monnaie courante.
Le premier secteur touché par la corruption est celui
de l'enseignement. Les enfants des parents riches montent de classe sans
difficultés quel que soit leur niveau. Les bonnes notes ne sont pas le
critère de réussite pour ces enfants. Dès leur
scolarité primaire, ils ont l'assurance d'obtenir leur diplôme
sans fournir aucun effort. A cause de cela, la médiocrité
s'installe dans les écoles où la consommation des boissons
alcoolisées se pratique pendant les heures de cours. Les professeurs
sont alors tenus à respecter cette consigne qui veut que les enfants des
hauts placés aient toujours la meilleure note. Ceux qui veulent faire
régner la justice et l'équité dans leurs classes sont
punis sérieusement. Ils sont envoyés dans des écoles de
brousse où des conditions de travail sont désastreuses.
« Elle se rappela cette année où
Bébé-Hollandais avait donné un zéro à
l'enfant du maire de Yourma ; l'affaire s'était gâtée
et Bébé avait été envoyé avec sa philosophie
dans la forêt du Darmelia comme professeur de français au
collège, dans un centre d'attraction pour les
pygmées » (V.D. : 31).
La corruption est un droit de chacun et ceux qui
évitent ce défaut sont considérés comme anormaux.
Dans cette société où toute personne est corrompue, le
modèle de réussite sociale, c'est la vie des
« V.V.V.F. » pour signifier « Villa, Voiture, Vin
et Femmes ». Les plus corrompus apprennent aux non-initiés la
voie malhonnête du succès. La corruption est conseillée
pour devenir riche sans difficulté.
Le secteur de l'éducation n'est pas le seul à
être corrompu. La santé est aussi touchée. Le
Ministère de la santé, le docteur Tchi parvient à
s'enrichir illicitement. Il vend les médicaments, falsifie les chiffres
parce qu'un ministre est formé de 20% des dépenses de son
ministère. Au bout de 4 ans, après avoir suivi scrupuleusement
les conseils de son ami CHAVOUALA, ministre de l'Education, le docteur Tchi
commence à chercher des maîtresses pour lesquelles il construit
des villas et mène une vie « digne » d'un
ministre.
« Le Docteur Tchi, comme on l'appelait à
cette époque, mena la vie des VVVF qu'on appelait la vie avec trois V.
Il construisit quatre villas, acheta une voiture à huit belles filles.
Il construisit la maison pour deux maîtresses »
(V.D. : 36).
L'administration n'est pas non plus épargnée de
ce fléau de corruption. Les chefs usent du pouvoir comme ils veulent
suivant leurs intérêts. Obramoussando Mbi, le chef suprême
de l'Etat, change son identité la veille de son mariage avec
Chaïdana. Celle-ci devient mademoiselle Ayele née en Katalamanasie
maritime d'un riche commerçant de poissons et d'une institutrice, alors
que nous savons très bien qu'elle est fille de Martial, ancien
prêtre du prophète Mouzediba :
« Le lendemain soir, la voix de la
République démocratique Katalamanasienne annonçait le
mariage prochain du Guide Providentiel [...] avec la plus belle fille de la
Katalamanasie et donna les informations biographiques des deux fiancés.
Le curriculum vitae de Mlle Ayele la faisait naître en Katalamanasie
maritime d'un riche commerçant en poissons et d'une institutrice [...]
et tout le monde savait par coeur où était né le guide
providentiel [...], mais le commentateur refit les éloges de Samafou
Ndolo Petar qui leur avait rempli de meilleurs dons du monde »
(V.D. : 52).
Un autre abus qui vient se greffer à la corruption et
qui paralyse le pouvoir politique est le détournement des fonds
publics.
I.4.1.4 Le détournement des fonds publics
A travers La vie et demie, Sony Labou Tansi
révèle aux lecteurs une société dont les dirigeants
dilapident le trésor public. Les guides font des dépenses
énormes dans des projets qui ne profitent pas au peuple. A ce sujet
Célestin BIZIMUNGU nous dit : « Les guides
investissent là où ils ont un intérêt personnel
certain. Leur souci majeur est de construire des bâtiments,
extrêmement coûteux qui servent pour des résidences des
dignitaires »22(*).
Les caisses de l'Etat sont semblables à de
véritables puits où chacun vient puiser des richesses à
son aise. Effectivement, cette pratique est monnaie courante en Katalamanasie
où les finances publiques sont mal gérées et sont à
la merci de ceux qui participent au festin du pouvoir. Les ministres et autres
hauts cadres s'enrichissent rapidement sans que personne n'ose leur faire aucun
reproche. Tous les grands du pouvoir partagent une même conception de la
vie, celle de rechercher les femmes, les vins et l'argent. Ils inventent alors
de faux projets de développement ou des réaménagements
inutiles au sein du ministère pour pouvoir alimenter leurs comptes dans
des banques. L'exemple type est le conseil du ministre de l'Education à
son homologue de la santé nationale :
« ne pas faire comme tout le monde, c'est la
preuve qu'on est crétin : « tu verras : les trucs ne
sont pas nombreux pour faire de toi un homme riche, respecté, craint.
Car, en fait, dans le système où nous sommes, si on n'est pas
craint, on n'est rien. Et dans tout ça, le plus simple, c'est le pognon.
Le pognon vient de là-haut. Tu n'as qu'à bien ouvrir les mains.
D'abord tu te fabriques des marchés : médicaments,
constructions, équipements, missions. Un ministre est formé - tu
dois savoir cette règle du jeu - un ministre est formé de vingt
pour cent de dépenses de son ministère [...]. Comme tu es
à la santé, commence par le petit coup de la peinture. Tu choisis
une couleur heureuse, tu sors un décret : la peinture blanche pour
tous les locaux sanitaires. Tu y verses des millions. Tu mets ta main entre les
millions et la peinture pour retenir les vingt pour cent. Puis tu viendras aux
réparations » (V.D. : 34).
Pour les dirigeants de la Katalamanasie, une vraie vie, comme
nous l'avons dit, est celle menée avec des VVVF qu'on appelait
communément dans tout le pays la vie au trois V c'est-à-dire
villas, voitures, vins et femmes. Ils ne se soucient guère des
problèmes du bas peuple ni des salaires des fonctionnaires car
aussitôt que l'argent leur manque, l'Etat fait directement appel à
la puissance étrangère qui fournit des guides et le pays est
obligé de s'endetter auprès des pays étrangers. Ce qui est
malheureux est que la grande somme contractée rentre dans les poches du
Guide ou dans celles des techniciens ou conseillers militaires étrangers
qui sont bien payés. Certaines dépenses dans le pays
s'avèrent inutiles ou exagérées. L'enterrement du guide
Mallot - l'enfant - du tigre coûte sept milliards. La construction de la
maternité où naît Patatra, le futur guide
Jean-coeur-de-pierre, coûte douze milliards. Les travaux de construction
des « regardoirs » coûtent une bagatelle de quatorze
milliards empruntée à la puissance étrangère.
Par ailleurs, les finances publiques souffrent de la
fantaisie des guides qui semblent ne pas être sérieux. Tout ce
qu'ils font est ridicule. Cette fantaisie laisse penser à une certaine
folie.
I.4.1.5 La fantaisie
Dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, la
fantaisie est un point très remarquable pour un lecteur clairvoyant. A
travers tout le roman, le lecteur est mis devant les faits qui sont des
soi-disant chefs-d'oeuvre des guides mais qui ne font que rendre impossible la
gestion des finances publiques. L'exemple très éloquent qui
s'offre à nos yeux est quand le guide transforme le palais excellentiel
pour lui donner l'aspect du dehors.
« Chaïdana ne sortait plus selon les
recommandations du cartomancien Kassar Pueblo. Elle mangeait et faisait ses
besoins dans le lit excellentiel qui avait reçu des amendements
appropriés. Pour ne pas couper Chaïdana de l'extérieur et de
la nature, la chambre elle-même avait été
transformée en mini-dehors, avec trois jardins, deux ruisseaux, de
papillons, de boas, de salamandres, de mouches, avec deux marigots artificiels,
un pas très loin du lit et un entre deux ruisseaux où des crabes
de toutes les dimensions nageaient ; les gendarmes jacassaient aux douze
palmiers mais Chaïdana aimait surtout la mare aux crocodiles, ainsi que le
petit parc aux tortures, là où les pierres avaient des allures
humaines » (V.D. : 21).
Par fantaisie, les guides gaspillent à coeur-joie les
fonds publics. Ils créent des portefeuilles inutiles et
élèvent des monuments en or pour ceux qui, d'après eux,
sont tombés sur le champ d'honneur. Ils construisent dans leur village
des capitales inconcevables comme la capitale minière, la capitale du
ballon rond, la capitale de la bière. Aux fêtes inscrites au
calendrier du pays, ils ajoutent d'autres, de leur propre invention, pour
augmenter les jours de réjouissance et par là de repos. C'est
ainsi qu'ils instaurent la fête du dernier mariage du guide, la
fête du spermatozoïde, la fête du boeuf, la journée des
cheveux de Chaïdana, celle des lèvres, celle des ventres et bien
d'autres. Il y a donc autant d'occasions bien fantaisistes pour les guides afin
d'organiser des cérémonies aux frais de l'Etat.
Dans La Vie et demie, autant d'amusements qui s'y
trouvent témoignent du caractère fantaisiste des guides. Le guide
Jean-coeur-de-pierre change le nom du pays : Katalamanasie devient
Kawangatara, qui à son tour deviendra Bampotsuara. La capitale de la
Katalamanasie Yourma devient, elle aussi, Félix-ville. Ce même
guide déclare que le bleu est la couleur nationale. Tout objet est peint
en bleu : les vêtements, les voitures, les machines. On arrive
même à planter des fleurs bleues.
Cette façon de faire est fantaisiste de même que
la nuit de l'opinion qu'avait instauré Jean - coeur - de pierre,
c'est-à-dire le 24 décembre. Pendant cette nuit, le peuple
s'amuse uniquement en jetant les tracts dans la rue et en disant tout ce qu'il
pense sans crainte d'être arrêté. Pour le guide, cette nuit
d'opinion est un jeu qui lui procure une certaine satisfaction. La radio
nationale couvre de louanges les guides, qui, en réalité, n'ont
aucune qualité.
Cependant, la fantaisie des guides de Katalamanasie va
même pousser ceux-ci à une exagération
incontrôlée, comparée à une certaine idiotie. A
titre d'exemple le guide Félix-le Tropical veut fonctionner avec le
coeur et les reins d'une autre personne : « Vous ne
comprendrez pas le sang d'autrui. Mais toi, si tu continue, je prendrai ta
viande pour fonctionner avec. On me mettra ton coeur, on me mettra tes poumons
et tes reins, on me mettra ton sang » (V.D. :
163).
Le Guide veut que son ordre soit exécuté le
plus vite possible et cette façon de faire a un caractère
fantaisiste pure et simple. Dans cette optique, le guide
Jean-Oscar-Coeur-de-père, le mari de Chaïdana et père du
Guide Jean-coeur-de-pierre, fait voter une constitution comprenant uniquement
deux articles. Le deuxième est rédigé dans une langue
incompréhensible : « Bronaniniata mésé
batouété taou-taou ».
A cause de cette vantardise des guides, de leur cynisme
notoire, de la mauvaise gestion des biens publics, de la trahison des guides et
de leur fantaisie, le peuple souffre lourdement. Il ne profite pas du tout des
richesses dont dispose le pays. Contrairement aux attentes, le peuple est
déçu.
I.4.1.6 La trahison des guides et la déception du
peuple
L'on sait très bien que le peuple qui a tant
lutté pour l'indépendance nationale espérait une nouvelle
vie et des conditions d'existence meilleures que celles auxquelles il est
soumis. Ce peuple est déçu par l'indépendance, car les
nouveaux maîtres africains qui ont accédé au pouvoir ne se
soucient pas de lui et semblent prêts quand il s'agit de servir
l'étranger ; ils sont « occupés à se
hisser pour chier à la face de leurs
frères »23(*). Devant cette situation, Sony Labou Tansi se sent
responsable et décide de la dénoncer à travers La Vie
et demie. Cette décision, car il la partage avec les autres
romanciers noirs des années 1960.
« Les romanciers africains [...] qui ont
abordé la problématique des indépendances du continent
noir après 1960, ont exprimé surtout beaucoup d'amertume. En
dégageant la signification de ces indépendances et en observant
des réalités sur le terrain [...], rien n'a changé ou
même la situation socio-politique est pire qu'avant la
colonisation »24(*).
Ainsi, dans La Vie et demie, le peuple de
Katalamanasie est frappé par une misère provoquée par
l'équipe gouvernementale des guides et leurs proches collaborateurs qui
accaparent toutes les richesses et prélèvent de lourds
impôts sur un peuple qui ne dispose que d'un revenu très
réduit. Le peuple est tellement déconsidéré qu'il
n'a même pas accès à certains lieux.
« On ouvrit le Manguistra et ses trois
succursales, dont la propreté des produits était attestée
par des ordinateurs placés aux entrées. A la barrière des
prix des feues quatre saisons, on avait ajouté un texte - loi barrant,
et cette inscription aux entrées : « ce magasin n'est
ouvert qu'aux membres du gouvernement, aux élus du peuple et aux hauts
cadres de l'armée et de la police suivant l'ordonnance-loi
n° 183077/MJITGP du 24 août 19.. ». L'année
était souvent biffée par les gens de martial qui ne voulaient pas
que l'année de la mort du prophète Mouzediba correspondît
à une aussi sale entreprise » (V.D. :
66).
Devant cette situation, le peuple vit dans une misère
et une passivité poussées à l'extrême parce que tout
ce qu'il fait sert à engraisser le guide et les autres dirigeants.
Chaque souverain qui parvient au pouvoir n'améliore pas le sort du
paysan, au contraire, il l'exploite beaucoup plus que celui qu'il a
remplacé. En plus de cela, les gens qui sont mis au service du peuple
sont incapables et se rendent ridicules par leur inadaptation aux
métiers qu'ils exercent. L'exemple le plus frappant et qui
soulève le problème des commentaires est celui du cousin de Sir
Amanazavou qu'on avait envoyé à l'hôpital avec le titre de
docteur et qui plaçait le fémur au cou et l'omoplate au ventre.
Aussi ne faut-il pas passer sous silence ces infirmières - concubines
des hautes personnalités katalamanasiennes qui donnaient de la Nivaquine
pour soigner les plaies. Et c'est ça la compétence des cadres
chargés de s'occuper du progrès et du bonheur du peuple.
En outre, les impôts qui sont prélevés
sur le peuple se payent deux fois l'année et sont de plusieurs natures.
Ceux qui ne parviennent pas à payer tous les impôts sont
emprisonnés. Une fois versés, les impôts ne contribuent pas
au développement global du pays, mais ils servent à augmenter le
budget national qui est entre les mains du guide ou d'autres élus du
peuple.
« Ils venaient, ceux de Yourma, pour ramasser
les impôts, deux fois par an. Ils demandaient l'impôt du corps,
l'impôt de la terre, l'impôt des enfants, l'impôt de
fidélité au guide, l'impôt pour l'effort de la relance
économique, l'impôt des voyages, l'impôt de patriotisme, la
taxe de militant, la taxe pour la lutte contre l'ignorance, la taxe de
conservation des sols, la taxe de chasse... ceux qui n'avaient pas assez
d'argent empruntaient chez les voisins » (V.D. :
122).
Aussi le peuple est-il gouverné selon une constitution
qui se limite à deux articles seulement. Cette institution est
votée par force par crainte d'être emprisonné. Ces deux
articles sont ainsi formulés :
« Article premier : le pouvoir appartient
au guide, le guide appartient au peuple. Le deuxième article
était rédigé dans une langue que personne ne comprit
jamais. On disait que c'était la langue des fous.
Article deux : brananiat a mésé
boutoeété taou-taou, moro metani bamanasar barani meta yelo
yeloma mikata. Le bruit disait que yelomanikata signifiait
« souverain à vie ». N'empêche que le
référendum constitutionnel donna les résultats
plébiscitaires de 100% » (V.D. : 128).
A côté de cette constitution qui ne donne aucune
parole au peuple, les dirigeants se dotent d'un respect incomparable. Le Guide
Providentiel Jean-coeur-de-pierre est présenté par la presse
nationale comme un dieu rédempteur du peuple, père de la paix et
du progrès, fondateur de la liberté. Par contre, il se montre
comme un dirigeant qui ne sait pas dominer sa colère et qui, maintes
fois, prend des décisions insensées, comme celle-là qui
ordonne que tous les citoyens doivent être marqués aux initiales
de son nom de règne JCP sur leur front. Abréviation que les gens
de Martial traduisaient « Judas connu du peuple » ou
« jouet connu du pouvoir ».
Enfin, devant cette situation critique à laquelle le
peuple est réduit à une résignation où il
n'espère aucune transformation ou amélioration de son sort mais
plutôt accablé par toutes sortes d'acrobaties des autorités
pour jouer avec les richesses du pays, nous sommes d'accord avec David NDACHI
TAGNE qui dit que :
« Les indépendances qui avaient
été sous-tendus par promesses n'ont-elles pas simplement
débouchés sur une autre ère de dictature, d'exploitation,
de misère et de déception ? Les arrestations et les
emprisonnements, les séances des travaux forcés et de torture
[...] font partie du paysage quotidien »25(*).
Cependant, dans La Vie et demie, malgré la
puissance et l'oppression totale des guides, ces derniers se heurtent à
une opposition refusant totalement et carrément leur pouvoir. Cette
opposition est menée par Martial qui continue à hanter l'esprit
des dirigeants en place.
I.4.2 Le refus du pouvoir dictatorial
Le groupe qui se porte volontaire pour lutter contre le
pouvoir dictatorial des guides est composé premièrement de
Martial. Celui-ci meurt mais s'incarne dans sa fille Chaïdana qui,
à son tour, décide de conquérir la Katalamanasie par son
sexe et par sa beauté. Chaïdana est épaulée par les
jeunes pistolétographes qui se chargent d'écrire
« la célèbre phrase de son père ` je ne veux
pas mourir' » (V.D. : 44) pour déstabiliser
le pouvoir des guides et leur rappeler que l'opposition est toujours là.
Dans cette partie, il est question de dégager sommairement le rôle
de chacun, car nous y reviendrons en long et en large dans l'étude
concernant les personnages et leurs actions.
I.4.2.1 La
révolte de Martial
Dans La Vie et demie, Martial pose les jalons de la
lutte contre la tyrannie des guides. Sa révolte est très
puissante et terrible car celui que le guide croit avoir tué continue
à déranger son esprit et celui de ses successeurs par ses
apparitions subites et répétées, surtout avec des
tâches à l'encre noire dont il ne cessait de barbouiller tous les
lieux. « Ses apparitions répétées troublent
le Guide Obramoussandro Mbi et le conduit au désespoir. Il salit les
draps de lit du guide en les noircissant. Celui-ci ne parvient pas à
dormir »26(*). En faisant ces apparitions, Martial veut
déstabiliser les dirigeants en place et surtout protéger sa fille
Chaïdana contre le guide et la police du guide, car chaque fois qu'on va
mettre la main sur elle, il lui ordonne de quitter les lieux dans les meilleurs
délais.
Par la suite, beaucoup de gens de la masse populaire se
réclament du côté de Martial et se donnent le devoir de
continuer la lutte contre les tyrans sanguinaires de Katalamanasie. Ils sont
connus sous le nom de « gens de Martial ». Amedandio
et Layisho sont sans doute les plus remarquables de tous les partisans de
Martial. Ces gens de Martial jouent un rôle capital dans l'opposition
contre le pouvoir despotique des guides. Leur action se situe surtout dans les
meetings organisés par le Guide où Martial apparaît en sa
qualité de prophète Mouzediba et où ils entonnent
directement le chant de la résurrection du prophète.
« Le meeting s'était terminé en
queue de tortue pour la simple raison qu'il avait commencé en queue de
poisson. Au moment où les éléments de la milice mettaient
les présences sur les cartes de fidélité en attendant
l'arrivée du Guide providentiel, la foule avait cru entrevoir Martial
sur le podium. La blessure au fond saignait sous le tampon de gaz, sur sa
poitrine pendait la croix du prophète Mousediba, tout le monde eut la
gorge morte pendant un instant. Après un long murmure qui permit aux
assistants de confirmer leur vision, la foule explosa en délicieux
délire. En plusieurs régions de la multitude monta le chant de la
résurrection du prophète Mouzediba [...] On avait dû
abattre cinq jeunes cons qui avaient crié « à bas la
dictature ». Trois autres cons avaient été abattus pour
un délit plus grave : ils avaient crié « Vive
Martial ! » (V.D. : 38).
Martial n'apparaît pas seulement sous le règne
d'Obramoussando Mbi. Les différents guides qui ont régné
sur la Katalamanasie sont tourmentés par les apparitions obsessionnelles
de Martial qui se manifeste souvent en saignant et portant atteinte à la
physiologie du guide et empêchant le bourreau de dormir. Dans sa
révolte et sa lutte contre les tyrans, Martial est grandement
aidé par sa fille Chaïdana.
I.4.2.2
Chaïdana
Dans La Vie et demie, Chaïdana paraît
comme une envoyée céleste pour continuer la lutte de son
père, car elle est la seule à avoir résisté aux
tortures du guide et échappé ainsi à la mort. Elle utilise
tous les artifices de son corps et de son intelligence pour poursuivre la
lutte. Elle finit par acheter les consciences des dignitaires du régime,
les tuant même les uns après les autres.
« Chaïdana se montre courageuse [...] et survit aux
persécutions du « Guide Providentiel », elle
assassine alors l'un après l'autre presque tous les membres du
gouvernement »27(*).
En effet, Chaïdana doit donc donner la mort à
plusieurs autorités tant civiles que militaires de la Katalamanasie qui
avaient un faible pour le sexe féminin. Elle a une tactique qui est
propre à elle seule, celle de travailler seule sans s'allier à
personne d'autre. Par sa beauté de fée, Chaïdana
séduit les dignitaires du régime et invite tour à tour
ministres et généraux dans son logement situé dans la
chambre n° 38 de l'hôtel « La Vie et demie ».
Grâce à son sexe, elle parvient à priver la Katalamanasie
de ses plus grands ministres et de ses illustres généraux de
façon qu'on crût à une épidémie qui frappait
le pays.
« A ce moment, Monsieur le ministre arriva.
Chaïdana le reçut. Ils firent l'amour au champagne. Mais
c'était du champagne Chaïdana car, quelques semaines plus tard,
monsieur le ministre des affaires intérieures, chargé de la
sécurité, était frappé de paralysie
générale et devait mourir trois ans après son dernier acte
d'amour au champagne [...] Chaïdana avait terminé sa distribution
de mort au champagne à la grande majorité des membres les plus
influents de la dictature Katalamanasienne, si bien qu'à l'époque
de la mort du Ministre de l'intérieur, chargé de la
sécurité, il y eut des obsèques nationales pour trente-six
des cinquante ministres et secrétaires à la République que
comptait la Katalamanasienne » (V.D. : 49).
C'est donc à un véritable holocauste des
membres de la dictature Katalamanasienne que nous assistons à travers
tout le roman ; mais son objectif n'était pas encore atteint tant
qu'elle n'avait pas encore tué le Guide lui-même. De ce fait, les
pays étrangers commençaient alors à parler d'une
épidémie étrange qui ne frappait que les membres du
gouvernement, mais avaient vite conclu que c'était une des
méthodes « tropicales » du guide de remanier ses
gouvernements.
Ainsi, ce qu'il faut dire si l'on considère
l'envergure du combat que mène Chaïdana et le danger auquel elle
s'expose, c'est que l'on doit admirer la détermination avec laquelle
Chaïdana assume ses responsabilités : venger sa famille. C'est
pour cela qu'elle ne résiste pas à l'appel du sang.
Symbole des gens courageux, Chaïdana représente
l'axe de résistance contre les forces d'oppression. Pour se
protéger contre la répression des régimes sanguinaires,
elle exploite, nous l'avons dit, son sexe comme une arme principale avec
laquelle elle prend son pays assiégé par les dictateurs.
Ce moyen de lutte qu'est la prostitution se justifie par le
fait qu'elle lui permet de se débarrasser des ennemis du peuple sans
courir un grand danger. Mais parce qu'elle va à l'encontre de la
dignité humaine, cette stratégie de combat perd son
côté honorifique. Homme d'une grande dignité, Martial ne
cesse de demander à Chaïdana d'arrêter de
« déconner ». Devant son entêtement, il lui
donne « la gifle intérieure », c'est-à-dire
qu'il la viole.
Cet inceste provoque un sentiment de grande désolation
chez Chaïdana qui tente de se donner la mort. Abandonnée à
son désespoir, elle devient la proie de nombreux miliciens qui la
violent à leur tour. Plus tard, Chaïdana deviendra une mère
et mourra sans avoir atteint complètement son objectif.
Dès la mort de Chaïdana, sa fille Chaïdana
aux-gros-cheveux, reprend le bâton et continue l'oeuvre de sa mère
jusqu'à jurer de prendre la ville avec son sexe. Chaïdana, dans
cette lutte contre le pouvoir injuste et inégalitaire,
bénéficie non seulement d'une aide de sa fille, mais aussi d'une
importante aide de la part des jeunes pistoletographes.
I.4.2.3 Le
rôle des pistoletographes
Il s'agit en fait de jeunes adolescents ayant la
volonté de se libérer des injustices qui s'abattent sur eux
à tout moment. Ils se portent volontaires pour aider Chaïdana
à lutter contre le tyran oppresseur qu'est le guide. Aidée par
les jeunes pistoletographes qui se chiffrent à plusieurs centaines,
Chaïdana peut organiser une « véritable campagne
d'écritures » dont l'objet primordial est d'écrire des
injures et toutes sortes de menaces sur les murs et les maisons de Yourma.
Certains de ces pistoletographes, les moins craintifs sont parvenus à se
faufiler chez les grands du régime et à écrire sur leurs
maisons et même sur leurs corps. Cette campagne d'écriture est
terrible et bien préparée.
« Elle acheta de la peinture noire pour trois
millions, engagea un gérant avec fausse mission de revendre la peinture.
En réalité, elle organisa une véritable campagne
d'écriture. Elle recruta trois mille garçons chargés
d'écrire pour la nuit de Noël à toutes les portes de Yourma
la célèbre phrase de son père : « je ne
veux pas mourir cette mort ». Le beau bataillon de pistoletographes
avaient fonctionné à merveille : ils avaient pu
écrire la phrase jusqu'au troisième portail des murs du palais
excellentiel. Certains d'entre-eux, les plus audacieux sans doute, avaient
réussi à écrire la phrase sur le corps de quelques
responsables militaires tels que le général Yang, le Colonel
Obaltana, le lieutenant Colonel Fursia et bien d'autres. Amedandio disait avoir
écrit la phrase sur mille quatre-vingt-dix uniformes [...] Et Amedandio
proclamait [...] qu'il écrirait la phrase sur le cul du Guide
Providentiel » (V.D. : 44-45).
Ces jeunes pistolétographes s'illustrent
également par les tracts dont ne cessent d'inonder les rues de Yourma et
où ils jurent de traîner le guide nu dans toute la ville.
Nous voyons donc, en somme, que les guides se heurtent
à une résistance bien organisée, menée par Martial
qui continue à apparaître sur scène même après
sa mort. Le règne de ces guides n'allait pas se terminer en
beauté car le pays devait se scinder en deux camps, la Katalamanasie
d'un côté et le Darmellia de l'autre.
I.4.3 La fin du
pouvoir dictatorial
I.4.3.1 La division
de la Katalamanasie
Dès son accession à l'indépendance, la
Katalamanasie comprenait la région du Darmelia qui était
peuplée de pygmées et dépendait directement du Guide.
Cependant, le Darmelia semble être à l'écart, il n'est
connu de personne. Il s'étend sur les surfaces non encore
défrichées et ses habitants vivent en pleine forêt. Mais
sous l'initiative de Sir Amanazavou, divers projets de développement
commencent à se faire voir. L'Etat construit des écoles, des
hôpitaux et trace des routes.
C'est donc avec le rétablissement de Chaïdana
aux-gros-cheveux au Darmelia où d'ailleurs elle avait été
élevée que le Darmelia décide d'être territoire
à part, jouissant de son autonomie. Avec la venue des trente
chaïdanisés pour se rallier à leur grand-mère, le
Darmelia est complètement coupé de la Katalamanasie. Les trente
frères de la Série C des Jean avaient quitté leur pays
pour lutter contre la tyrannie de leur père, de leur grand-père
et de leur arrière-arrière-grand-père qui n'avaient
perpétré que l'inégalité sur tout le pays et
avaient transformé la Katalamanasie en un véritable enfer. Ils
avaient fui au Darmellia pour y trouver la liberté. Ils s'étaient
choisi parmi eux deux chefs à savoir Jean Coriace et Jean Calcaire.
Dès leur arrivé au Darmelia, ils s'adonnèrent avec
acharnement au développement du pays et dans un petit temps le Darmelia
avait dépassé la Katalamanasie dans tous les domaines :
« Chacun fonda une petite industrie : Jean
Coriace monta une tannerie, Jean Calcaire commença à exploiter
avec une compagnie belge le fer, le plomb, l'aluminium et l'uranium de
Darmellia et fonda le port de Granita ; il fit construire cinq mille deux
cent-douze kilomètres de chemin de fer dans la forêt. Jean Cuvette
assurait le transport des minerais, d'abord vers la puissance
étrangère qui fournissait les guides, puis vers d'autres pays.
Jean Caoutchouc créa l'International Hévéa, Jean Case
devint le patron de la West Construction des Ponts et Bâtiments, Jean
Calcium monta la West Research, Jean Chlorure la Continental of Wood and
Vegetation ... » (V.D. : 153).
Très vite, les frères chaïdanisés
proclament l'indépendance du Darmellia et une constitution et un
gouvernement provisoire qui autorisaient le tripartisme, sont mis sur pied. Le
pays connaît pour le moment une grande ère et une stabilité
politique. Les Katalamanasiens fuient leur territoire pour venir s'installer au
Darmellia. Très vite les élections sont organisées et
portent au pouvoir Jean Coriace avec son parti le PPDL (Parti Populaire pour la
Démocratie Libre). Le pays a aussi comme devise :
Fraternité, Foi, Travail, Paix.
Le refus d'une réunification possible aux
émissaires du Maréchal Kenka Moussa qui avait remplacé le
guide Jean-coeur-de-pierre devait engendrer une guerre finale entre la
Katalamanasie et le Darmellia.
I.4.3.2 La guerre
entre Katalamanasie et son territoire Darmellia
Il faut signaler d'emblée que cette guerre est
hâtée par la Katalamanasie qui d'ailleurs va subir des
conséquences provoquant beaucoup de pertes en vies humaines et de
lourdes pertes matérielles. Cette guerre est sanglante et atroce du
côté de la Katalamanasie.
« Ici la guerre ne peut venir que des voisins
[...] Nous devons connaître les faiblesses de nos ennemis, évaluer
leur force, les connaître le plus profondément possible pour que,
si jamais ils nous imposent la guerre, nous répondions en connaissance
de cause [...] Des années plus tard, quand Félix attaqua pour la
première fois le Darmellia, les théories de Jean Canon
prouvèrent leur diabolique efficacité. En quelques heures les
mouches de Jean Calcium avaient causé autant de ravages dans le camp
ennemi que n'en auraient causé dix années de guerre classique.
Les Fusils de la paix avaient attaqué quinze points stratégiques
à la même heure dans la même nuit du 12 avril,
détruit soixante-trois ponts routiers ou ferrés, bombardé
le quartier général de l'armée du Guide Félix,
lui-même enlevé et emmené comme otage au Darmellia [...]
C'était l'époque où Jean Calcium construisit des mouches
d'une capacité de trois cents-douze piqûres. Deux jours
après, Félix-ville puait » (V.D. :
167-168).
Cette guerre dont nous parlons entre Katalamanasie et
Darmellia est baptisée la guerre de Martial. En effet, les armes de
Félix le Tropical combattent à l'arme ordinaire tandis que les
adversaires utilisent les mouches qu'ils fabriquent dans leurs industries.
L'armée darmellienne encadrée par Jean Canon
appelé « Sergent terrible » inflige beaucoup de
défaites à l'armée Katalamanasienne qui, semble-t-il, n'a
pas de chef et qui est tout le temps en déroute.
Conclusion partielle
A la fin de ce chapitre, il faut préciser que Sony
Labou Tansi, par le biais de La Vie et demie, nous met devant une
société où le peuple est ballotté entre la tyrannie
des guides et la misère créée par un régime
totalitaire dont les autorités gaspillent l'argent de l'Etat pour leurs
affaires personnelles et se partagent le patrimoine du peuple.
A écouter ce qui se raconte dans ce roman et les
objectifs des romanciers de la deuxième génération,
c'est-à-dire de l'Afrique d'après les indépendances, qui
se faisaient compteurs des erreurs politiques ; sans pour autant oublier
les mots de Falola Toyin que : durant cette période
« Le silence est imposé pour permettre
aux dictateurs arrogants de gouverner comme ils l'entendent. On sait que les
opposants ont été tués, emprisonnés et les plus
chanceux vivent en exil. Plusieurs dirigeants africains ont lutté
pendant de nombreuses années pour conserver ce pouvoir à tout
prix, en bafouant les libertés »28(*),
on ne peut ne pas affirmer que La Vie et demie est
une violente satire contre certains régimes africains. Ceux-ci
dénient à l'homme les droits même les plus sacrés
notamment le droit à l'existence.
Le récit se déroule dans la République
imaginaire de la Katalamanasie. Le Président qui incarne la dictature,
se heurte à une violente opposition menée par Martial. Celui-ci
est tué atrocement, mais continue de vivre à travers sa fille
Chaïdana. Celle-ci poursuit la lutte et par un procédé
diabolique extermine beaucoup de dignitaires au pouvoir. Toutefois, cette
dictature sera déposée et détruite par une longue guerre
qui opposera la Katalamanasie à son territoire de Darmellia.
CHAP.
II DE L'HISTOIRE POLITIQUE AUX STRUCTURES NARRATIVES
II.0. Introduction
Nous connaissons jusque maintenant que Sony Labou Tansi,
à travers La Vie et demie, comme les autres romanciers
negro-africains d'expression française de son temps, se révolte
contre les nouveaux maîtres qui ont remplacé le colonisateur. Il
veut dénoncer les abus perpétrés par ceux-ci qui se
soucient peu du peuple et de sa misère. Cette révolte contre le
pouvoir en place de ce temps, oblige à Sony Labou Tansi de se
révolter contre beaucoup de pratiques sociales, jusqu'à rompre
avec les anciennes règles de la composition. SEWANOU Dabla nous
résume clairement cette rupture avec une tradition scripturale dans ces
mots :
« L'enchaînement, le refus d'asseoir les
personnages sur l'opposition manichéenne, le rôle du voyage qui ne
sert plus à avancer le récit mais qui prend plutôt l'allure
d'une errance circulaire, le manque de dénouement au récit, les
prolepses sont reléguées dans le passé
précédent tout discours ; les analepses évoquent juste un
souvenir ; elles ne décrivent pas les faits. Les inclusions de
l'auteur se chargent des prises de position proprement dite ; le recours
de l'oralité par l'exploitation des mythes, le merveilleux traditionnel
prend les dimensions qui situent le récit en marge de la perspective
réaliste ; le gigantisme des personnages et de leur action
relèvent d'un monde d'un autre ordre ; le temps n'est plus qu'une
durée vague sans contours apparents malgré les apparences qu'il
présente par des annotations évoquant une durée
objective ; il évoque un cercle mythique de temps
héroïques relaté dans les récits
traditionnels »29(*).
Cette rupture de Sony Labou Tansi avec les règles
classiques, à travers cette oeuvre se justifie par le fait qu'elle se
classe parmi les romans dits « nouveaux romans30(*) africains ». Et
les romans rangés sous cette rubrique naissent pour dénoncer
vigoureusement les crimes des régimes dictatoriaux, l'oppression du
peuple, celle de la femme, ... Leur objectif est de rompre avec le
passé.
Illustrons encore cette rupture avec les propos de
Désiré NKIZAMACUMU selon qui :
« La violence à exprimer, ainsi que le
souci de libération et de changement qui anime l'écrivain,
entraînent une rupture avec la tradition et le passé qui se
manifeste d'une manière distinctive au niveau structural des
catégories discursives. On aboutit à une écriture souvent
non conforme aux usages courant du genre romanesque de la langue
française »31(*).
A cet effet, pour mieux saisir l'histoire de La Vie et
demie ayant des aspects politiques que nous avons mentionnés et la
rupture en matière discursive et narrative qui en découle, nous
allons présenter au cours de ce chapitre, les parcours narratifs et les
différents personnages qui s'y greffent. Ensuite, nous dégagerons
l'intrigue générale. Ensuite, nous analyserons les structures
narratives proprement dites de La Vie et demie en commençant
par l'univers temporel et l'espace narratif dans lequel l'histoire politique
est livrée au lecteur. Et pour terminer, une étude sur le
narrateur sera indispensable pour voir comment cette histoire est transmise au
lecteur.
II.1 L'histoire
dans La Vie et demie
II.1.1 Les parcours narratifs
Quand l'histoire commence dans La Vie et demie, deux
parcours narratifs se construisent à partir d'une même quête
bien précisée à savoir le pouvoir politique, domine la vie
politique et économique. Le premier parcours est celui de Ramoussa et
son groupe, tandis que le second est celui de Marbiana ABENDOTI dit Martial,
lui aussi avec son groupe.
Le parcours de Ramoussa, sans être trop large, est
suivi dès l'abord par Ramousa lui-même qui est le guide
providentiel, puis par ses successeurs au trône ayant un même objet
comme nous l'avons montré, c'est-à-dire conquérir la vie
politique et économique de la République fictive de la
Katalamanasie. Dans cette entreprise, Ramoussa et ses successeurs sont
soutenus par la puissance étrangère qui vient souvent pour
régler les conflits entre les prétendants au trône
présidentiel en Katalamanasie.
Pour se maintenir au pouvoir, Ramoussa et son groupe usent de
la dictature et de la violence pour freiner quiconque tenterait d'entrer dans
son circuit. C'est pour cette raison d'ailleurs que le roman s'ouvre sur un
meurtre ignoble c'est-à-dire l'exécution barbare de Martial et
s'enchaîne sur d'autres meurtres sans fin :
« Voici, l'homme, dit le lieutenant [...] le
guide providentiel lui ordonna d'attendre un instant [...] s'approchant des
neuf loques humaines que le lieutenant avait poussées devant lui en
criant son amer « voici l'homme », le Guide Providentiel
eut un sourire très simple avant de venir enfoncer le couteau de table
qui lui servait à déchirer un gros morceau de la viande vendu aux
quatre saisons [...] Le Guide Providentiel enfonça le couteau de table
dans l'un puis dans l'autre oeil, il en sortit une gelée noirâtre,
qui coula sur les joues et dont les deux larmes se rejoignirent dans la plaie
de la gorge. La loque-père continuait à respirer comme un homme
qui vient de finir l'acte [...] Le Guide providentiel fit chercher son propre
PM où pendait un petit paquet fleuri de peau de tigre et de trois plumes
de colibri. Il planta le canon de l'armée au milieu de front de la
logue-père [...] Il tira un chargeur. Il tira un deuxième
chargeur à l'endroit exact où il devinait le coeur de la
loque-père » (V.D. : 11-14).
A côté de ce parcours dictatorial de Ramoussa et
son groupe se greffe un autre qui complète, mais différent du
premier. Il s'agit, en fait, de celui d'un groupe de personnages
représenté par MARBIANA ABENDOTI dit Martial. Ce groupe de
Martial, comme nous l'observons dans La Vie et demie, veut opposer une
justice sociale à la dictature du Guide. Dans cette entreprise, il
s'appuie sur la volonté du peuple. Ce dernier se mobilise pour soutenir
Martial afin d'assiéger le pouvoir politique des guides.
Tout au début, Martial réagit contre le pouvoir
établi en Katalamanasie. Il est déclaré ennemi national
par Obramousando Mbi. Ce guide se réserve le droit de le tuer comme il
le fait toujours, mais Martial refuse de mourir, car il continue à
exister après sa mort physique. Il revient souvent pour déranger
le guide et lui rappeler que le peuple est assez rassasié de son pouvoir
oppressif.
Par la suite, Martial sera aidé dans son projet par sa
fille Chaïdana qui va se prostituer afin de pouvoir trouver l'occasion
d'empoisonner les hauts dirigeants de la Katalamanasie et les éliminer
tous. Quand celle-ci est tuée, elle se transforma en une femme rebelle
« Chaïdana-aux-gros-cheveux. Celle-ci se transforme à son
tour en une petite tigresse qui se dit petite fille de Chaïdana la
première. Et plus tard, le combat va se poursuivre et il sera repris par
les groupes de Jean de la Série C.
Ce combat de Martial qui continue sans relâche
même après sa mort, n'est pas un fait de hasard, mais une action
symbolique et significative pour les pays où règne la dictature,
car Martial selon Josias SEMUJANGA :
« en refusant de mourir par le couteau ou par
l'une des armes à feu que lui présente le guide providentiel
[...] symbolise la Rébellion à laquelle aucune dictature ne peut
venir à bout, car toute la descendance de Martial continuera à
lutter contre la dictature, de Chaïdana (sa fille) à Chaïdana
aux-gros-cheveux (sa petite fille) jusqu'aux Trente Jean de la série C
(ses arrière-petits-fils) »32(*).
Il est bien clair que ce parcours narratif de Martial
s'inscrit dans le cadre d'établir une équité entre le
peuple comme nous le remarquons toujours avec SEMUJANGA qui affirme
que :
« Derrière le programme narratif de
Martial se lit en filigrane l'idéologie marxiste d'une
société sans classe. Martial et plus tard sa fille Chaïdana
luttent pour leur survie pour assurer le respect de la vie du peuple et pour
faire face à la bestialité causée par le pouvoir coercitif
du Guide providentiel »33(*).
Ainsi, retenons pour clore ce point que nous remarquons deux
parcours narratif dans La Vie et demie, qui se complètent et
ont une même quête à savoir le pouvoir politique ; ces
deux parcours sont suivis de différents personnages dans le même
récit. Nous comptons alors éclaircir et compléter cette
démonstration par une autre étude des personnages qui va
permettre de mieux saisir la portée du récit au niveau de
l'histoire narrée. Les personnages régissent l'univers de
l'action dans la mesure où ils créent et conduisent l'histoire du
récit jusqu'au dénouement.
II.1.2 Les personnages et leur caractérisation dans La
Vie et demie
Le Dictionnaire Larousse définit un personnage comme
étant « une personne mise en action dans une oeuvre
littéraire »34(*). Jean Superville dit qu'un personnage est
« un être imaginaire qui semble vivre et palpiter dans les
pages d'un roman »35(*). De là, il convient de prendre conscience
qu'un personnage n'est pas une personne, même si la conception du
personnage pourrait renvoyer à la conception historique de la personne.
Un personnage est un signe littéraire composé à l'aide de
procédés plus ou moins conventionnels qui se traduisent dans les
indices textuels ou dans le roman pour le cas qui nous concerne.
Signalons alors, dès le début, que le choix du
personnage dépend d'un romancier à l'autre, d'un courant à
l'autre, pour ne citer que ceux-là. Ainsi, le roman negro-africain de la
deuxième génération inaugure un traitement particulier des
personnages qu'il met en scène. Sony Labou Tansi met en
« oeuvre toutes les possibilités techniques pour dissoudre
le personnage. Un même personnage peut apparaître sous plusieurs
noms dans un même récit »36(*). A titre d'exemple, le nom de
Chaïdana est porté par deux personnages différents. Ceux-ci
se distinguent, comme nous le verrons, par leur beauté et leur
détermination de réussir par le sexe.
Dans La Vie et demie, lorsqu'un personnage meurt, il
est directement remplacé par un autre ayant les mêmes aptitudes
que le disparu. Si son remplaçant ne peut pas être trouvé,
le défunt continue d'agir comme il le faisait de son vivant, mais il
acquiert une force supérieure à celle des humains. Il
réapparaît et agit en silence en semant la terreur. Le personnage
disparaît quand il le veut après avoir harcelé son ennemi.
Martial le père de Chaïdana, meurt mais il n'est pas
remplacé. C'est pourquoi il continue à apparaître. Son
rôle revêt une grande importance. Personne ne peut prendre sa
place. Martial joue son rôle comme s'il était vivant. Les guides
le redoutent, en particulier Obramassando Mbi, son ancien protagoniste.
Chaïdana meurt au moment où ses deux enfants ont dix ans. Sa fille
Chaïdana aux-gros-cheveux la remplace après son séjour dans
la forêt des pygmées. Chaïdana change d'identité deux
cents-quarante fois pour échapper à la cruauté des guides
et pour pouvoir se faufiler dans la haute société afin de venger
son père. Obramassando Mbi lui-même change d'identité deux
fois. La première fois, il le fait pour éviter les poursuites
judiciaires, la deuxième fois pour pouvoir épouser
Chaïdana.
Dans La Vie et demie, Sony Labou Tansi nous met
devant un roman qui compte plusieurs personnages. Il y a même ceux qui
n'ont pas un rôle défini dans le récit, qui peuvent
revêtir le rôle de personnages secondaires ou de simples figurants.
Beaucoup d'autres figures participent activement à l'évolution de
l'action. C'est pour cette raison qu'au cours de notre analyse, nous n'allons
pas étudier tous les personnages. Nous allons seulement
considérer ceux qui reviennent dans le récit, dans l'action et
leur contribution dans l'évolution de l'intrigue politique que nous
trouvons dans La Vie et demie.
II.1.2.1 Le Guide Providentiel : Obramoussando Mbi
Dans La Vie et demie, le Guide Providentiel :
Obramoussando Mbi est le premier des grands personnages du récit. Ses
actions sont beaucoup plus récurrentes dans le roman. Son vrai nom est
Cypriano Ramoussa. Il est ancien voleur de bétail qui, pour
échapper aux poursuites judiciaires, change son identité et porte
le nom d'Obramoussando Mbi. Après cette manoeuvre bien menée, il
quitte sa région natale et intègre les forces armées de la
démocratie nationale et grâce à ses dix-huit
qualités d'ancien voleur de bétail, il se fait un chemin louable
dans la vie (V.D. : 26). Il réussit à occuper une
place importante dans la société Katalamanasienne en devenant le
chef de l'Etat du nouveau pays indépendant.
La formation du Guide Providentiel est nulle. Il n'est pas
à la hauteur de la lourde tâche d'un président ; c'est
pourquoi il recourt à la dictature, à la violence qui sont pour
lui une arme sûre pour s'imposer. Il ne tolère aucune opposition
dans son pays. Pour s'en débarrasser, il n'hésite pas à
égorger Martial, à révolvériser et sabrer Martial,
le chef charismatique et oblige la famille de celui-ci à manger ses
restes. C'est d'ailleurs sur cette scène que s'ouvre le roman comme
Marie-Noëlle VIBERT, elle aussi, l'a remarqué :
« La Vie et demie s'ouvre sur le massacre de
Martial par le guide providentiel, qui oblige ensuite la famille de celui-ci
à manger le reste du corps. "vous allez me bouffer ça [...] Il
ordonna qu'on vînt prendre la termitière et qu'on en fit
moitié pâté et moitié daube bien cuisinée
pour le repas du lendemain" »37(*).
Ce repas anthropophagique imposé par le guide
providentiel aux différents membres de sa famille vise bien sûr
à les humilier en niant leur dignité, mais aussi à les
obliger à participer à l'élimination totale de leur
parent, lequel, comme nous venons de le mentionner, réduit au sens
propre en chair pâté et en daube, doit être mangé par
les siens.
Au cours de son règne, Cypriano Ramoussa est beaucoup
troublé par Martial qui ne cesse plus de revenir. A cause de la peur
provoquée par ce dernier, le Guide Providentiel demande qu'on lui donne
les quarante soldats plus courageux de l'armée afin de le
protéger :
« C'était pour la plupart des hommes
grands comme deux, forts comme quatre et velus comme deux ours. Le guide
dormait entre quatre d'eux, collés à sa peau, tandis que le reste
du contingent s'ajoutait à une cinquantaine de soldats ordinaires qui
remplissaient les veillées de son excellence du bruit ferré de
leurs sinistres souliers »(V.D. : 20).
Dans La Vie et demie, le Guide providentiel croit,
pour conjurer les fort désagréables apparitions de Martial, qu'il
doit partager sa couche avec Chaïdana, la fille de Martial, tout en la
respectant. Mais au contraire, quand il fit des rapports sexuels avec
Chaïdana, c'est là où Martial lui apparaît vite. De ce
fait, c'est en se gardant alors de faire avec Chaïdana « ce
qu'on fait avec les filles » (V.D. : 21) que le
guide peut espérer tenir à distance le fantôme sanglant de
Martial.
« Mais son excellence doit absolument
éviter de faire la chose-là avec la fille de Martial. Pendant
trois ans le guide providentiel partagea ses nuits avec la famille de Martial
sans faire la chose avec elle, ni avec aucune autre femme. C'était
l'époque où il parlait à tout le monde de ses trois ans
d'eau dans la vessie » (V.D. : 21).
Par après, le Guide providentiel continuera à
être hanté par Martial jusqu'à ce qu'il exprime son
amertume et son désespoir en ces termes : « Enfin,
Martial ! sois raisonnable. Tu m'as assez torturé comme ça.
Tu deviens plus infernal que moi [...] Cesse d'être tropical, Martial.
J'ai gagné ma guerre, reconnais-moi ce droit-là »
(V.D., 58).
Le règne de Obramoussando Mbi dure 25 ans et est
toujours parsemé de plusieurs abus.
II.1.2.2 Martial
Dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, Martial
est un personnage très remarquable dans la construction de l'intrigue.
Au cours de cette analyse, nous n'allons pas beaucoup traîner sur lui
parce que nous avons tant parlé de cet homme qui a marqué
l'histoire de la Katalamanasie et qui a inauguré la lutte contre les
pouvoirs oppressifs.
Ce qu'il faut dire dès l'abord, c'est qu'il n'est pas
facile de caractériser ce personnage de Maribiana ABENDOTI dit Martial,
car cet homme qui subit une quantité de morts successives et
variées n'en est pas moins vivant et apparaît
régulièrement au Guide providentiel comme à Chaïdana.
C'est tantôt le « haut du corps » de Martial qui
apparaît au Guide, tantôt une marque indélébile du
« Noir de Martial » qui manifeste à Chaïdana la
désapprobation de son père. Souvent cette désapprobation
est muette. Ceci se remarque par des avertissements, des apparitions et des
signes à l' « encre de Martial » et Chaïdana ne
se débarrasse pas de ceci. Un autre élément, ce sont les
gifles cinglantes, qui s'abattent sur elle. Enfin, c'est l'inceste qui
équivaut à une mise à mort et consacre peut-être
aussi à la rupture des liens de sang unissant Martial et
Chaïdana :
« Le guide quitta la chambre tout nu, criant le
nom de Martial sur tout son chemin [...] Il criait non de peur, mais de
courroux et de presque folie. Il promettait d'ailleurs de revenir avec PM et
son sabre aux reflets d'or. Martial entra dans une telle colère qu'il
battit sa fille comme une bête et coucha avec elle, sans doute pour lui
donner une gifle intérieure. A la fin de l'acte, Martial battit de
nouveau sa fille qu'il laissa morte. Il cracha sur elle, avant de partir et
tous les écrits disparurent de la chambre, restaient ceux que
Chaïdana avait sur ses paumes » (V.D. :
69).
Martial continue donc à parler, même si comme
nous l'avons dit, il est réduit en pâté et mangé par
les membres de sa famille. Il vit toujours, il ne cesse pas de vivre et de
tourmenter le guide et ses successeurs tout au long d'une histoire qui
s'étale sur plusieurs générations. Sa présence est
aussi visuelle que tactile et le mort garde toute sa vigueur.
Ces apparitions répétées de Martial nous
font penser à sa réincarnation. Il apparaît plusieurs fois.
Le guide tente de le tuer à l'aide de son fusil très puissant,
mais en vain. Il refuse de mourir alors que physiquement il est
trépassé. A ce propos, Sony Labou Tansi, dans une interview ne
parle pas de réincarnation, mais plutôt
d'accomplissement :
« L'homme doit remplir sa vie. Lumumba n'a pas
rempli sa vie parce qu'on lui a imposé une mort dégradante [...]
la mort liée à la bêtise, je ne l'accepte pas. Le
progrès est dans la contradiction, Mandela [était] dans une
prison parce qu'il n'[avait] pas les mêmes idées que Botha. C'est
aussi une forme de mort [...] Il y a des gens qui sont morts à cause de
leurs idées. Je pense que la peine de mort est une bassesse pour
l'homme »38(*).
II.1.2.3 Chaïdana
Le personnage de Chaïdana apparaît beaucoup dans
La Vie et demie. C'est la fille de Martial, la seule qui a pu
résister aux persécutions, meurtres, tortures du Guide
providentiel. Chaïdana est une très belle fille comme son portrait
l'indique. Elle a « un corps parfaitement céleste [...] un
sourire chef des filles de la région côtière, les hanches
fournies et puissantes, délivrantes, le cul essentiel et
envoûtant » (V.D. : 42). Chaïdana est
« formellement belle, insinuante et
délicieuse » (V.D. : 55). Elle est
« la plus belle fille de la Katalamanasie »
(V.D. : 52). La beauté de Chaïdana a fait couler
beaucoup d'encres. Selon Drocella M. RWANIKA,
« Le corps de Chaïdana est un corps d'une
extrême beauté qui s'impose en maître et qui fait perdre le
contrôle à quiconque l'observe. Il met tous les sens en branle.
Son corps évoque en réalité une surenchère [...] Le
corps de Chaïdana est dispensé de tout
défaut »39(*).
Fille de Martial, comme nous le savons jusqu'alors,
Chaïdana entre en scène dans La Vie et demie sous le signe
de la vengeance. Témoin et victime du régime sanguinaire du guide
providentiel de la république de Katalamanasie, Chaïdana
décide de venger toutes les morts arbitraires et une série de
dignitaires succombent à sa beauté.
Tout au long du roman, Chaïdana va réaliser une
oeuvre grandiose. Pour elle, tous les moyens sont bons. Elle recourt à
l'inhumanité pour venger son père ainsi que les autres victimes.
Le poison qu'elle distribue à plusieurs dignitaires d'une façon
savamment préparée, est un indice de ténacité
c'est-à-dire un indice qui nous montre qu'elle tient beaucoup à
sa décision. La scène de torture à laquelle elle assiste
à quinze ans où le guide providentiel massacre tous les membres
de sa famille la rend méchante et elle prend la décision
d'éliminer tous les grands de ce régime tyrannique.
Ainsi, dans son entreprise, Chaïdana ne rencontre pas de
difficultés. Elle suit une voie linéaire et emploie la même
tactique pour tuer toutes les personnalités du régime
dictatorial. Elle paraît immorale car elle se prostitue pour atteindre
son but. Son acte s'accompagne d'une coupe de champagne empoisonné. Le
passage qui suit met en évidence une action de grande envergure.
« Au cours de la première année
qui suit son coup avec monsieur le ministre des affaires intérieures
chargé de la sécurité de Yourma, Chaïdana avait
terminé sa distribution de mort au champagne à la grande
majorité des membres les plus influents de la dictature
katalamanasienne » (V.D. : 59).
Dans l'Inscription féminine, Drocella M.
RWANIKA compare la vengeance de Chaïdana à celle des autres
déjà connus dans la littérature :
« Ses actes reflètent plus la vengeance
des personnes bibliques comme Athalie, Judith, Esther et Salomé ou des
personnages historiques comme Cléopatre et Tomyris que le simple
instrument du destin comme ce fut le cas pour Hélène, la
grecque »40(*).
Selon le même auteur, Chaïdana ressemble à
Awa, une héroïne de Le devoir de Violence de
Yambo Ouologuem, mais une petite dissemblance se dégage :
« Quoiqu'elle garde beaucoup de personnage de
Yombo Oulogwem, une légère différence quant au rôle
à jouer dans la résistance, est notoire : alors que Awa est
envoyée par le roi Saïf pour séduire puis empoisonner
l'administrateur blanc, Chevalier, c'est-à-dire l'ennemi, Chaïdana
s'engage elle-même dans ce combat. Elle cesse du coup d'être un
simple instrument, un commissionnaire salarié, pour la
réalisation d'un projet. Elle assume le rôle du sujet, car ayant
pris conscience de la gravité de la situation, elle passe
elle-même aux actes »41(*).
Dans La Vie et demie, Chaïdana change de noms
deux cents quatre fois afin d'arriver à son objectif. Dans sa
vieillesse, elle cesse de tuer et entreprend une autre forme de combat,
beaucoup plus digne : écrire des poèmes subversifs. Au moyen
d'écrits pamphlétaires, elle continue à secouer le
régime dictatorial et à troubler les fausses consciences des
tyrans de son pays.
A sa mort, Chaïdana, elle aussi, subit encore des coups
du guide. L'extrait suivant illustre clairement sa fin
désastreuse :
« la veille de son départ, le guide
Henri-au-coeur-tendre, fit savoir dans un discours de circonstance, sa
décision d'emmener Chaïdana - aux - gros cheveux, à Yourma
et d'en faire son épouse, malgré l'avis de ses conseillers
personnels qui objectaient que le nom de Chaïdana avait été
porté par la démoniaque fille de Martial, sous le guide
providentiel qui avait fait casser la tombe de cette infernale créature
et, l'ayant déclarée sinistre ennemie du peuple au grade de
commandatrice du déshonneur, avait fait jeter ses restes dans les rues
les plus populeuses de Yourma pour que tout le monde marchât sur elle et
qu'elle devînt littéralement, terre. On avait transformé
l'endroit de sa tombe en lieu maudit et on y avait construit le monument aux
traîtres, un gros crapaud de béton qu'essayait d'avaler un immense
hibou qu'on avait déclaré couleur du
démon » (V.D. : 123).
II.1.2.4 Chaïdana - aux - gros - cheveux
Chaïdana - aux - gros - cheveux est, elle aussi, un
grand personnage dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi. Elle est la
fille de Chaïdana, la première. Elle est très belle comme sa
mère. Le narrateur nous apprend qu' « elle est la plus
belle du monde » (V.D. : 114). Elle a « les
seins techniquement fermes, le menton sensuel » (V.D. :
104). Le Guide Henri-au-coeur-tendre la trouve « merveilleuse,
pétillante, appétissante » (V.D. : 121).
A la mort de sa mère, elle décide de continuer
le combat. Le narrateur précise ses objectifs dans les mots
suivants : « si le temps veut, je repartirai et je prendrai
la ville avec mon sexe, comme maman. C'est écrit dans mon
sang » (V.D. : 99).
Chaïdana - aux - gros - cheveux, bien qu'elle poursuive
les mêmes visées que sa mère, une légère
différence les sépare. Elle se prostitue aux grands sans la
moindre idée de les tuer. Elle compte sur sa beauté et son sexe
pour atteindre son but. Ici encore, comme le note Drocella RWANIKA
« Le sexe apparaît encore comme l'arme la
plus sûre pour attraper les hommes. Avec Chaïdana - fille, la guerre
prend une autre envergure et commémore l'historique des Dona Batrice du
Congo et d'Anne Zingha d'Angola, toutes deux personnages historiques
célèbres par leur bravoure et leur endurance dans le combat pour
libération de leurs peuples respectifs »42(*).
Au sujet de cette détermination pour la
libération du pays secoué par la dictature et l'injustice
sociale, interrogeons le passage suivant pour être sûr :
« Mon grand-père avait perdu la guerre.
Il avait perdu une guerre. J'en inventerai une autre. Pas celle que ma
mère avait perdue. Si je ne gagne pas, la terre tombera. Ces choses me
viennent comme si elles m'avaient habitée longtemps avant ma naissance.
Mon sang les crie. Va vaincre ! sans penser, car penser est
défendu ». Vaincre - respirer, le plus fortement du
monde » (V.D. : 99-100).
Il est clair que ces paroles se traduisent en
détermination qui devient presque un défi à lever. La
victoire longtemps recherchée par le grand-père Martial doit
être remportée à n'importe quel prix ; soit se
réfugiant dans la forêt chez les pygmées puis retournant en
jolie pygmée à la Katalamanasie.
Un peu plus loin dans La Vie et demie,
considérée comme une pygmée parce qu'elle y était
née, Chaïdana - aux - gros - cheveux atteindra ses objectifs
après avoir exploité son sexe et épousé le guide
Jean-Oscar-de père. Elle va rejoindre bel et bien le combat de son
père et concevoir une nouvelle force de guerre, c'est-à-dire la
lutte armée. C'est donc à ses trente petits-fils de Jean de la
série C qu'une guerre beaucoup plus redoutable, mais plus digne, mettra
fin à la tyrannie de la Katalamanasie.
II.1.2.5 Le docteur Tchi (Tchichialia)
Dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, ce
personnage occupe une place prépondérante. C'est un vrai partisan
du pouvoir dictatorial du guide. Il est ministre de la santé nationale,
ancien ministre de l'éducation, ancien président de
l'assemblée des élus, ancien ministre des affaires
extérieures, ancien chef du gouvernement. Docteur Tchi mène
vraiment une vie ministérielle de son temps du point de vue de ses
avoirs. Selon SEMUJANGA, le docteur, Tchi se présente comme :
« Le prototype du Nègre jouisseur comme
ces guides providentiels qui dirigent la République de Katalamanasie
avec leur style de vie VVVF (villas, voitures, vins et femmes) [...], le
narrateur raconte que celui-ci a construit quatre villas, acheté une
voiture à huit belles filles et a construit la maison pour deux
maîtresses avant d'ajouter que "c'était l'époque ou les
femmes bureaux et où l'on parlait sans gêne d'une neuvième
ou d'un dixième bureau". C'est ainsi que le docteur Tchi a vécu
"une vie vraiment ministérielle" »43(*).
Cependant, dans l'évolution de l'intrigue, le docteur
Tchi aide Chaïdana à sortir de la chambre du guide providentiel et
lui donne l'argent pour s'évader. Il lui donne aussi la clé de
l'hôtel « La vie et demie » où elle va
s'installer :
« Il lui tendit une grosse liasse de billets de
banque enroulée dans un chèque [..]
- vous connaissez l'hôtel La vie et
demie ?
- Allez m'attendre là-bas [...] je suis un client
spécial. J'ai loué la chambre pour trois ans. Ils ont confiance
en moi. La dernière fois, j'ai payé pour huit ans. Ils ont
confiance en moi. Bonne chance » (V.D. : 30).
Après ce geste à la fille de Martial, on ne
tarde pas à découvrir sa grande part lors de son évasion.
On lui réserve une mort atroce par une fourchette. On le traite comme un
traître et d'ailleurs « un traître doit mourir comme
un traître » (V.D. : 42).
Ainsi, à travers cette mort de Tchi, on ne peut pas ne
pas penser aux dictateurs africains qui, souvent, éliminent leurs
collaborateurs pour une raison vraie on fausse, cela dépend de leur
entendement. On se sert vite de la mort. Ceci constitue le non-respect des
droits de leurs compatriotes en particulier et les droits humains en
général.
II.1.2.6 Layisho
Dans La Vie et demie, Layisho est un vieux
pêcheur. Dans le déroulement de l'histoire, Layisho montre une
certaine humanité envers Chaïdana et a toujours pitié
d'elle. Il héberge celle-ci lors de sa poursuite et devient par
après son père d'identité. Il l'aide à mettre au
monde ses triplets qui prennent d'ailleurs son nom : Chaïdana
Layisho, Martial Layisho et Amendandio Layisho.
Du point de vue politique, Layisho joue un grand rôle.
Il distribue les écrits de Chaïdana pour inciter le peuple à
se révolter contre le pouvoir du guide providentiel. Dès qu'il
est arrêté par la police du guide providentiel pour avoir
hébergé Chaïdana et distribué ses écrits,
Layisho est torturé pendant quatre-vingt-huit ans. Ce vieux Layisho
moura à l'âge de cent-trente ans et neuf mois.
A la mort de Layisho, le guide Jean-Coeur-de-pierre qui a
succédé au successeur du guide providentiel, attend le
début de sa putréfaction pour enterrer son corps au
cimetière des maudits. Le début de sa putréfaction ne
viendra qu'un an et douze jours après sa mort. Nous apprenons à
la page 137 de La Vie et demie que le jour de l'enterrement de
Layisho, Martial accompagne les personnes qui sont chargées de
ça. Quand les prisonniers jettent le corps dans le trou et qu'ils ne
jettent qu'un peu de terre sur le mort, laissant même les jambes dehors,
Martial recommence l'enterrement et mit une couronne sur la tombe et une croix
de pierre merveilleusement jolie. La couronne porte l'inscription
suivante : « A Layisho Obabrinta, de la part de
Martial » (V.D. : 137).
II.1.2.7 Henri-au-coeur-tendre
Le personnage d'Henri-au-coeur-tendre n'est pas à
négliger dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, car il est
le prototype des guides de la République Katalamanasienne. Il aime les
vierges, la viande et les vins, c'est pourquoi on parle du pays des trois V. Au
moment de son séjour à Darmellia, on lui présente
Chaïdana . Il la trouve très belle et décide de se marier
avec elle malgré les avis de ses conseillers personnels qui objectent
que le nom de Chaïdana avait été porté par la
démoniaque fille de Martial. Il refuse en disant :
« Je l'emmènerais, même si elle était un
Satan, pour ses gros cheveux, pour sa grosse technicité »
(V.D. : 124).
Plus tard dans La Vie et demie, le guide
Henri-au-coeur-tendre deviendra fou lors de ses premières rencontres
avec Chaïdana aux-gros-cheveux et sera assassiné par son quart de
frère. Ce dernier prendra le pouvoir sous le nom de Jean
Oscar-coeur-de-père.
II.1.2.8 Jean Oscar-coeur-de-père
Son nom ordinaire est Kakara Mouchata. Il est le quart de
frère d'Henri-au-coeur-tendre comme nous l'avons déjà dit.
Il assassine ce dernier pour simple raison d'hériter Chaïdana
aux-gros-cheveux qu'on qualifie maintenant : « la toute
beauté mère de la Katalamanasie » (V.D. :
126). Cet acte ignoble de Jean Oscar-coeur-de-père nous renseigne sur
les coups d'Etats qui ne cessent de se perpétrer dans les Etats
africains ou tiers monde pour accéder tout simplement au pouvoir ou aux
intérêts personnels, non collectifs.
Ainsi, comme ses prédécesseurs, le guide Jean
Oscar-coeur-de-père aime les femmes. On nous apprend à la page
126 qu'il compose des vers en l'honneur de Chaïdana aux-gros-cheveux qu'il
vient de mériter après l'assassinat du guide
Henri-au-coeur-tendre. Ses vers sont appris dans toutes les écoles du
pays. Aux dires de la radio nationale, ce guide est le plus grand poète
de son siècle et la société des auteurs de
l'académie de Yourma le désigne comme lauréat du prix de
la République.
Le Guide Jean Oscar-coeur-de-père, après son
mariage avec Chaïdana - aux - gros - cheveux, va engendrer un fils du nom
de Patatra. A la naissance de celui-ci, le guide fait adopter une constitution
à deux articles que nous avons mentionnés au chapitre premier.
Néanmoins, ce guide ne change rien en matière
de d'administration, car la dictature, la violence continuent. On nous apprend
qu'au cours de son règne :
« le temps passait sur Yourma de la même
façon, toujours un temps de plomb, un temps de cris, un temps de peur
pour un oui, pour un non, les gens de forces spéciales[...] te faisaient
peur, te faisaient bouffer tes papiers, ta chemise, tes sandales »
(V.D. : 131).
A cause de cette subtilisation du pouvoir, ce guide
reçoit toujours des cadeaux de Martial, c'est-à-dire le mot
« enfer » qui est indélébile à son
corps. Vu que c'est impossible d'enlever ce mot sur lui, il décide sa
mort en disant « qu'on me brûle vif »
(V.D. :140). La décision ne tarde pas à être
exécutée.
II.1.2.9 Patatra
Patatra est le fils de Jean Oscar-coeur-de-père et
Chaïdana aux-gros-cheveux. Martial est pour lui un
arrière-grand-père et d'ailleurs le narrateur nous raconte que
Patatra a « les yeux noirs de Martial »
(V.D. : 130). Son nom de règne est Jean-Coeur-de-Pierre, un
nom qui revient beaucoup dans La Vie et demie.
Bien que Patatra soit du sang de Martial, il ressemble
beaucoup à ses successeurs en ce qui concerne l'amusement et le plaisir.
Sur ce point, le narrateur nous donne un témoignage :
« l'amusement et le plaisir étaient le propre même
de l'être de Jean-coeur-de pierre » (V.D :
146). Le premier signe de son amusement est sa décision de changer de
nom de son pays ; ainsi la Katalamanasie devient Kawangotara. Sans aucune
raison, ce guide demande que toutes les maisons de Kawangotara, tous les troncs
d'arbres, enfin tout ce qui peut frapper l'oeil soit peint en bleu :
« Il avait sacré le bleu couleur
nationale. Pour la concorde et la prospérité [...] aucun
Kawangotais, aucune Kawangotaise ne pouvait porter des vêtements d'une
autre couleur que le bleu [...] Toutes les voitures, toutes les machines, tous
les objets qui entraient dans le pays devaient être bleus [...], les
jardiniers ne devaient planter que les fleurs bleues [..] On parlait même
de produire le peuple en bleu » (V.D. : 144).
Aussi faut-il ajouter encore que pour s'amuser, le guide
Jean-coeur-de pierre instaure une nuit d'opinion, c'est-à-dire une nuit
du 24 décembre où les tracts peuvent être jetés
à volonté.
« Le matin de Noël, les rues étaient
inondées de tracts [...]. Beaucoup de gens du peuple passaient leur
temps à lire les tracts [...], les rues étaient pleines de
têtes qui se baissaient, de mains qui ramassaient, d'yeux qui lisaient,
de rires, de cris, de « venez voir un peu ça », de
« vous n'avez pas vu ceci ? », de
« fantastique », de « bien joué les
copains » (V.D. : 146).
Nous devons signaler que dans La Vie et demie, le
guide Jean-Coeur-de-pierre n'est pas moindre en matière des femmes.
C'est un héritier fidèle de ses prédécesseurs. Pour
satisfaire à ses besoins sexuels, il invente une semaine annuelle des
vierges pendant laquelle il choisit 50 vierges et chacun son lit. De ces
vierges, le guide donnera naissance à 50 garçons de la
série des Jean dont trente se détacheront de lui pour rejoindre
leur grand-mère dans la forêt. Ce guide Jean-coeur-de-pierre
mourra assassiné par son fils Jean-sans-coeur et sera jeté au
cimetière des maudits. Dès sa mort, on proclamera
l'indépendance de l'Etat du Darmellia par les tentes Jean dits
chaïdanisés.
II.1.2.10 Les trente Jean de la
série C
Les trente Jean de la série C sont des enfants du
guide Jean-coeur-de pierre qui s'étaient détachés de son
père pour rejoindre leur grand-mère dans la forêt chez les
pygmées. Ils ont un rôle prépondérant dans
l'évolution de l'intrigue de La Vie et demie, car ils
s'opposent courageusement au pouvoir dictatorial, oppressif, meurtrier de leur
père pour aller fonder une rébellion puissante au Darmellia.
Là, ils y sont aidés fortement par Chaïdana aux-gros-cheveux
qui avait refusé de rentrer à Yourma.
La première chose à faire par les trente Jean
de la série C, est de développer le territoire Darmellia qui est
jusque là habité par les pygmées qui se foutent de tout,
qui observent passivement, mais qui parviennent à connaître dans
très peu de temps ces Jean de la série C par leurs
entreprises.
« Ils connaissaient le nom de Jean Coriace
à cause de tout ce qu'il avait fait dans la forêt ; ils
connaissaient Jean Cochon qui avait apporté le gibier artificiel [...],
ils connaissaient Jean caoutchouc et ses immenses plantations de
sève ; ils connaissaient Jean Calcaire et les mines de fer [...],
ils connaissaient Jean Cuivre, Jean Calcium, Jean Carburateur et les usines
pétrochimiques de la côte ; ils connaissaient Jean Carbone,
Jean Cabane et les entreprises de l'habitat, Jean Caillou et ses mines de
Zouarnatara ; ils connaissaient tous les Jean quelque-chose à cause
de tout ce qu'ils avaient changé dans la forêt en trente
ans » (V.D. : 161).
En effet, le plus connu des trente chaïdanisés
est Jean Canon qu'on appelle souvent « le sergent
terrible ». Il est le chef d'Etat major de l'armée
darmellienne. On nous apprend que dès son retour des études, il
souhaite que l'armée darmellienne n'ait pas de grade supérieur
à celui de sergent, car dépasser ce niveau implique la
non-responsabilité, parce que les militaires passent leur temps en
quémandant leur honneur. Une autre grande figure des trente
chaïdanisés est Jean-Coriace. Celui-ci est le maître du
territoire de Darmellia. Du point de vue politique, pour mobiliser le peuple et
le développer, il fonde un parti politique du nom de PPDL,
c'est-à-dire Parti Populaire pour la Démocratie Libre. A la
longue, Jean Coriace sera appelé par le peuple « Le
père de la nation » mais c'est une qualification qu'il
déteste beaucoup, parce que pour lui :
Une nation n'a pas de parent, pour la simple raison
qu'elle doit naître tous les jours. La nation doit naître de chacun
de nous, autrement que voulez-vous que ça soit une nation ? La
nation ne peut pas venir des illusions de deux ou trois individus quelle que
soit la bonne volonté de ceux-ci » (V.D. : 176).
Retenons, pour ces 30 Jean de la série C après
quinze ans que dure la guerre entre Darmellia et Katalamanasie, qu'il ne reste
qu'un seul individu, c'est-à-dire Jean Calcium connu pour sa fabrication
des mouches.
Il faut dire enfin de compte pour clôturer cette
étude des personnages dans La Vie et demie, que Sony Labou
Tansi fait intervenir beaucoup de personnages. Cependant, une
caractérisation suffisante de ceux-ci est absente. L'auteur ne fait pas
une description consistante du personnage ; ceci se justifie dans la
mesure où un roman de 192 pages ne peut vraiment caractériser un
si grand nombre de personnages comme nous l'avons déjà
noté.
II.1.3 L'intrigue
Après avoir étudié les parcours
narratifs dans La Vie et demie, les personnages qui y interviennent,
il n'est pas très difficile de déceler l'intrigue qui est mis en
jeu. Pour Claude BREMOND, l'intrigue est « une série de
motifs [...], un thème dans laquelle diverses situations, divers motifs
sont impliqués »44(*). GOLDENSTEIN dit que l'intrigue est
« un élément constitutif essentiel du roman que le
lecteur a trop tendance à négliger au profit des personnages et
des péripéties »45(*). Jean SUPERVILLE, dans son ouvrage Théorie
de l'art et des genres littéraires, dit que
« l'intrigue porte sur l'idée d'enchaînements, c'est
la suite des faits logiquement liés. Comme ce qui est doué
d'unité organique, elle a un commencement, un milieu et une
fin »46(*).
Retenons alors que l'intrigue est l'enchaînement des faits et d'actions
qui forment la trame d'un roman.
Ainsi l'intrigue de La Vie et demie se libelle comme
suit : Le Guide providentiel Obramoussando Mbi use de la terreur, de la
dictature et de la violence pour se maintenir au pouvoir. Martial, le
protagoniste du guide Obramoussando Mbi continue à harceler ce dernier
par ses apparitions répétées. Il se montre un vivant alors
qu'il a été réduit en pâté et en daube par le
guide. Sa fille Chaïdana le venge en empoisonnant les grands du
régime corrompu. Elle meurt en laissant au monde deux enfants :
Martial et Chaïdana. Obramoussando Mbi fait arrêter et emprisonner
Layisho qui avait hébergé Chaïdana. Celle-ci est
condamnée à titre posthume à être privée de
tombeau, ses restes sont jetés sur la rue de la ville où les
passants les écrasent sous le poids de leurs pieds. Les successeurs
d'Obramoussando Mbi règnent de la même façon que lui. Ils
sèment partout la terreur et s'adonnent aux actes inhumains en opprimant
le peuple. La femme occupe une place prépondérante dans le milieu
politique. Elle est recherchée pour égayer et distraire les
grands. Tous les guides s'adonnent à la débauche sexuelle. Ils
entretiennent plusieurs maîtresses à côté de leurs
nombreuses épouses. Chaïdana-aux-gros-cheveux est
épousée par le guide Jean-coeur-de-père après un
séjour de onze ans dans la forêt des pygmées où elle
perd son frère Martial. Elle est répudiée quelques
années plus tard après avoir mis au monde un fils du nom de
Patatra. Celui-ci deviendra guide sous le nom de Jean-Coeur-de-Pierre. Sa
mère Chaïdana s'installe à Darmellia où trente de ses
nombreux petits-fils la rejoignent. Ils édifient une république
indépendante en mettant en pratique leurs différents talents.
Jean Coriace fonde une tannerie, Jean Calcaire exploite le plomb, l'aluminium
et l'uranium de Darmellia avec une compagnie belge. Des conflits naissent entre
Katalamanasie et le Darmellia. Une guerre éclate et enregistre
plusieurs victimes.
II.1.4 Du manichéisme narratif
A la lumière de l'étude des personnages que
nous avons déjà faite et de l'intrigue générale
déjà dégagée, un élément beaucoup
plus pertinent que l'on trouve dans La Vie et demie, paraît
être un certain manichéisme narratif. Ce procédé
narratif consiste à poser dans cette oeuvre deux univers opposés
sinon inconciliables.
Ainsi, comme le remarque Josias SEMUJANGA, dans son oeuvre
Dynamique des genres dans le roman africain. Elément de
poétique transculturelle, tous les personnages du roman
s'inscrivent dans les programmes narratifs manichéens dont la
confrontation débouche sur l'apocalypse de la République de
Katalamanasie, République des dictateurs et de la République de
Darmellia, fondé par les trente Jean de la série C. Ce dualisme
narratif est caractérisé donc par les visions antagonistes telles
qu'elles apparaissent dans les termes comme :
- dictature vs démocratie
- oppresseurs vs opprimés
- élite vs peuple
- peuple vs roi
- vie vs mort
Cependant, bien qu'il soit des programmes opposés
ayant un même objet de quête qu'est le pouvoir politique, nous
observons toujours différents personnages qui changent constamment de
position dans le roman. Il est d'ailleurs difficile de savoir qui est le
héros et qui est l'anti-héros dans cette fiction. Cet univers
où les valeurs sont renversées donne un sentiment de
l'absurde ; ceci revient à dire que cette stratégie
narrative finit par faire croire à une absence de morale,
c'est-à-dire que les valeurs deviennent ambivalentes, car le
résultat total est une guerre infinie.
En effet, pour illustrer ce que nous venons de dire, ce
schéma manichéen fonctionne parallèlement avec un autre
qui fait des héros du roman, des héros ambivalents comme nous
l'avons souligné, c'est-à-dire que les valeurs qu'ils
défendent sont ambiguës. A titre d'exemple, Chaïdana qui est
victime de la dictature du guide providentiel devient par ailleurs une
débauchée qui se prostitue avec ses bourreaux, en plus d'avoir
commis l'inceste avec son père Martial. Il est clair que Chaïdana
est une héroïne démoniaque, car elle incarne les valeurs
positives et négatives.
Cette technique narrative mettant en évidence la
suspension de jugement moral que nous trouvons dans La Vie et demie de
Sony Labou Tansi, Josias SEMUJANGA la partage avec ses contemporains
car :
« Une telle ambivalence narrative qui
disqualifie le héros et l'anti-héros fait réfléchir
le lecteur sur le processus d'écriture romanesque, car,
fragmenté, un tel schéma narratif se rencontre dans un grand
nombre de romans modernes comme si cette suspension de jugement moral
était la morale même du roman »47(*).
Ajoutons aussi que ce procédé de suspension de
jugement moral dans le roman n'est pas un fait de hasard, car comme le souligne
Milan Kundera :
« Suspendre le jugement moral n'est pas
l'immoralité du roman, c'est sa morale. La morale qui s'oppose à
l'indéracinable pratique humaine de juger tout de suite, sans cesse, et
tout le monde, de juger avant de comprendre [...]. Non que le romancier
conteste, dans l'absolu, la légitimité du jugement moral, mais il
le renvoie au-delà du roman »48(*).
II.2 Les structures
narratives dans La vie et demie
II.2.1 L'univers temporel
Le temps est un élément à ne pas
négliger dans l'étude d'une oeuvre comme La Vie et demie
de Sony Labou Tansi. Signalons que toute oeuvre, ou tout récit si nous
nous fions à la terminologie de Genette, est composé par une
dualité temporelle. On distingue le temps où se sont
passés les événements racontés (temps de
l'histoire) et le temps du récit, c'est-à-dire le temps du
signifiant. Au sujet de cette distinction, Christian METZ déclare que
« le récit est une séquence deux fois temporelle
[...] il y a le temps de la chose racontée et le temps du récit
(temps du signifié et temps du signifiant) »49(*). Le temps permet de fixer
et de situer le récit. Qu'en est-il alors de La Vie et
demie ?
Le temps connaît un traitement inhabituel dans La
Vie et demie. Au lieu de servir à situer et fixer le récit,
il contribue à le déstabiliser et à le rendre
irréel. Le temps historique est dilué dans le temps mythique et
fabuleux. Les lignes suivantes le montrent clairement :
« C'était l'année où Chaïdana avait eu
quinze ans [...] C'était au temps où la terre était encore
ronde, où la mer était la mer » (V.D. :
11).
Dans La Vie et demie, les marques temporelles se
réfèrent à un temps imprécis, irréel et
légendaire. « Ce soir-là, sans trop savoir
pourquoi »(V.D. : 25). « C'était le
jour où le Guide providentiel avait un grand meeting »
(V.D. : 25), « C'était l'époque où
Amedandio ne voulait plus » (V.D. : 78).
Les unités temporelles sont beaucoup plus
fantaisistes, le signifié s'éloigne du signifiant si bien que la
comparaison qui s'y trouve n'est pas claire : « trois mondes
en retard » (V.D. : 22). Le mot
« monde » devient une unité temporelle comme si on
connaissait sa mesure. La comparaison est établie entre le temps ancien
et le temps moderne, comme ce passage le montre :
« Chaïdana aimait les témérités de cet
homme qu'elle disait être trois mondes en retard derrière
elle » (V.D. : 22). Le docteur Tchi a un comportement
semblable à celui des temps passés alors qu'il est de
l'époque moderne. Le mot « monde » est
employé pour signifier « siècle » ou
« génération » ou bien encore
« époque ».
Dans La Vie et demie, là où Sony Labou
Tansi témoigne d'un souci de précision, nous remarquons qu'il ne
fait que compliquer davantage. L'exemple suivant suffirait à
l'illustrer : « on était sous le règne du
guide Henri-au-coeur-tendre, deuxième année, troisième
mois, première semaine » (V.D. : 102). Ici nous
constatons que le narrateur se réfère à la durée
d'un règne dont on ignore le début.
Dans La Vie et demie, le temps historique reste
imprécis. La durée des règnes des guides n'est pas
clarifiée. L'âge des personnages centraux qui évoluent dans
le roman, est de temps en temps précisé, mais l'auteur reste muet
sur certains épisodes pourtant importants. Chaïdana a quinze ans au
début du livre c'est-à-dire à la page 11, dix-huit ans
à la page 21, vingt ans à la page 50, vingt-quatre à la
page 59, trente-quatre ans à la page 78. Nous n'avons aucun
renseignement sur son enfance, sur sa vie adulte (25-33 ans) alors qu'elle est
héroïne de 77 premières pages.
Chaïdana-aux-gros-cheveux a dix ans à la page 77, dix-neuf ans
à la page 87, vingt-cinq ans à la page 90, trente ans à la
page 107, soixante-deux ans à la page 137 et 129 ans à la page
170. Ces détails ne fournissent aucun point de repère stable.
De temps en temps, la chronologie dans La Vie et
demie n'est pas linéaire. Quelques fois le narrateur use des
analepses que Gérard GENETTE définit comme « toute
évocation après coup d'un événement
antérieur au point de l'histoire où l'on se
trouve »50(*). Dans le roman, le narrateur fait recours aux
analepses pour retracer le passé de tel ou tel personnage afin
d'expliquer la situation présente de ce dernier par sa vie
passée. Par le même procédé, le lecteur apprend
quelle fut la jeunesse du guide providentiel qui dirige la république
Katalamanasienne. A la page 25, un passage vient rompre le rythme du
récit ; le guide providentiel se souvient de sa vie
antérieure au moment où il était voleur de vaches.
Mis à part cette technique rétrospective,
l'action narrative, dans La Vie et demie, anticipe quelques fois sur
les événements. C'est la prolepse que GENETTE présente
comme : « toute manoeuvre narrative consistant à
raconter ou évoquer d'avance un événement
ultérieur »51(*). Ce n'est pas alors très étonnant que
le guide Jean-Oscar-Coeur-de-Père, quatrième de la lignée
soit mis en relief à la page 81 alors que le premier guide Obramoussando
Mbi détient encore le pouvoir. Aussi, faut-il signaler que le narrateur
au lieu de décrire les événements importants, recourt
à des digressions. Il consacre les pages 31 et 32 à un
épisode étranger à l'histoire du roman. Le récit de
M. Delkamayota alias Bébé Hollandais-la-vache qui rit, n'a rien
à faire avec ce qui précède. Celui-ci est l'ex-professeur
de philosophie au « Lycée de la
Révélation » qui fut puni pour « avoir
donné un zéro à l'enfant du maire de
Yourma » (V.D : 31). Il reçut une mutation
disciplinaire. Il fut envoyé avec sa philosophie dans la forêt de
Darmellia comme professeur au collège, dans un centre d'attraction pour
pygmées (V.D. : 31).
Cependant, ce temps imprécis, ces anachronies
narratives et ces formes de digression que nous trouvons dans La Vie et
demie n'altèrent en rien l'intérêt et la
compréhension du récit. Par contre, ils en font partie
intégrante. Faisant corps avec le récit, ils renferment un
langage symbolique, une satire politique des nouveaux dirigeants de l'Afrique
nouvelle, qui n'ont aucune ligne de conduite mais qui ballottent plutôt
ici et là dans les choses inutiles dont le peuple profite peu.
II.2.2 L'univers spatial dans La Vie et demie
L'espace narratif est beaucoup plus significatif dans le
roman négro-africain, surtout de la deuxième
génération où nous plaçons La vie et demie
de Sony Labou Tansi. Rappelons tout d'abord avec Bernard Mouralis que :
« Un des traits les plus marquants dans
l'évolution littéraire africaine est sans aucun doute
l'intérêt croissant que les écrivains et notamment les
romanciers portent, depuis le début des années 60, à la
question des nouveaux pouvoirs indépendants»52(*).
Nous savons jusqu'alors, à partir même de cette
citation de Mouralis, qu'à travers cette thématique de
l'indépendance et cette focalisation sur les nouveaux pouvoirs
africains, se manifeste une réflexion sur la question du politique. Ceci
revient à dire que le roman de cette époque constitue une
excellente introduction à la compréhension de ce type de
problème.
Ainsi, ce problème politique chez ces écrivains
va de pair avec le choix du cadre spatial, où vont se dérouler
les exploits de leurs héros. Les uns choisissent de situer l'action de
leur roman dans un cadre socio-politique aisément identifiable et que le
lecteur a tout loisir de retrouver sur la carte de l'Afrique. Les autres, en
revanche, préfèrent un espace imaginaire pour mettre en
évidence cette question du politique, cette incessante interrogation sur
la nature de l'indépendance et cette dénonciation d'une
réalité socio-politique jugée intolérable. C'est
dans cette deuxième perspective que nous trouvons, pour ne citer que cet
exemple typique, Sony Labou Tansi et La Vie et demie. Dans ce roman,
l'histoire se déroule dans un pays dénommé la
Katalamanasie, un pays imaginaire qu'on ne peut classer ni en Afrique ni
ailleurs dans le monde.
Cependant, pour quelques romans, il est toujours possible au
lecteur, se référant à un certain nombre d'indices pouvant
se trouver dans les textes comme les toponymes, ethnonymes, anthroponymes,
zoonymes, hydromynes ou quelques allusions historiques, de reconnaître un
tel ou tel pays. Mais ceci n'est pas le cas dans La Vie et demie de
Sony Labou Tansi. Ce roman ne produit aucun message bien clair qui autoriserait
le lecteur à établir une identification complète de
l'espace imaginaire représenté dans la fiction et de l'espace
socio-politique correspondant à tel ou tel pays.
Ceci étant dit, les toponymes comme Katalamanasie,
Kawangotara, Darmellia, Yourma, Félix-ville et les antroponymes comme
Obramoussando Mbi, Martial, Chaïdana, Layisho,
Jean-oscar-Coeur-de-père, Jean Canon, Jean Calcium, etc. ne permettent
pas d'établir les rapports de la société romanesque avec
la société de référence. Disons plutôt que
seule la quatrième de la couverture nous renvoie au moins à
l'Afrique. C'est là où nous lisons les mots suivants :
« Grandeur et décadence de la Katalamanasie, immense pays
d'Afrique noire soumis à la plus sanglante mais aussi la plus absurde
des dictatures ».
En effet, cette technique romanesque qui permet
d'empêcher une identification complète de l'espace imaginé
avec un espace national bien précis, n'est pas une défaillance du
côté d'un romancier, mais une stratégie
préméditée qui vise à généraliser son
point de vue. Laissons Bernard MOULARIS nous expliquer :
« Si l'espace représenté dans la
fiction n'est pas identifiable avec un pays particulier, il peut se
révéler en revanche tout identifiable avec les pays africains en
général, voire même les pays du tiers
monde »53(*).
C'est d'ailleurs dans le même ordre d'idées que
Sony Labou Tansi, refuse l'étiquette d'écrivain congolais ou
africain. Il déclare dans une interview accordée à Jacques
Chevrier : « Je n'écris pas en tant que congolais,
pour les Congolais ou pour les Africains. Je pars d'une expérience
humaine, et cette expérience humaine peut être vécue par un
Africain, par un Européen ou par un Asiatique »54(*).
Si nous revenons enfin à l'espace intra-textuel de
La Vie et demie, c'est-à-dire cet espace qui entretient un
rapport entre les personnages et l'action, quatre lieux essentiels ont retenu
notre attention. Il y a d'abord le palais présidentiel où l'on
trouve la chambre ouverte des guides, l'hôtel « La vie et
demie » qui est un abri sûr de Chaïdana, la prison qui est
le lieu de ceux qui ne sont pas d'accord avec le régime du guide. Il y a
ensuite la forêt où vivent les pygmées et les autres qui
veulent échapper à la cruauté des guides.
Parlant du palais présidentiel dans La Vie et
demie, on remarque tout d'abord que c'est un palais somptueux qui a
coûté plusieurs milliards du budget national ou de recettes
perçues sur les impôts des paysans. C'est un lieu
réservé uniquement aux guides, seuls y ont accès ceux qui
sont à torturer ou les jeunes filles et femmes qui y sont
appelées pour satisfaire les désirs charnels des guides. Ce
palais est divisé en plusieurs compartiments, car il y a la chambre pour
les repas du guide, celle pour ses pratiques amoureuses, celle pour la torture.
Bref, c'est un immeuble très spacieux comprenant même une
arrière-cour avec des lacs artificiels où le guide va se divertir
dans ses heures de repos.
La chambre à coucher du guide providentiel est connue
sous le nom de chambre excellentielle où ont été
torturés successivement Kassar Pueblo le cartomancien du guide, le
docteur Tchi et Layisho. Ce palais apparaît comme un lieu de la violence
la plus excessive, un lieu de la mort car celui qui y est appelé pour
comparaître devant le guide n'en revient jamais. Ceux qui y sont
convoqués, sont tous tués.
Le palais présidentiel est aussi un lieu où le
guide prend ses repas prolongés et où se déroulent ses
longs préparatifs avant d'entamer tout acte sexuel. Il y est
massé par des masseurs étrangers, jouissant du statut de
coopérants, qui sont engagés pour nettoyer le corps du guide,
réviser toutes les parties de son corps.
Ce palais présidentiel dans La Vie et demie a
une signification claire, car il met en évidence un écart
très remarquable entre les dirigeants et le peuple. Il montre une
distance insurmontable et inaccessible entre les nouveaux dirigeants et leurs
compatriotes qui, auparavant, partageaient le même sort.
Le second lieu qui revêt un caractère
significatif dans La Vie et demie est l'hôtel « La vie
et demie ». Ce qu'il faut signaler c'est que cet hôtel porte le
nom du titre de l'ouvrage. Cet hôtel est un lieu de rendez-vous sûr
pour Chaïdana où elle exerce sa vengeance. Tous les partenaires
sexuels de Chaïdana y viennent sans crainte et se sentent en
sécurité à côté de ce jeune corps. Les
autorités de la République Katalamanasienne favorisent les
responsables de cet hôtel parce que ces derniers servent de trait d'union
entre la Katalamanasie et la puissance étrangère. L'hôtel
« La vie et demie » est un Etat dans un Etat. Il appartient
à des gens qui ne veulent pas suivre les lois dictées par le
guide. Nous apprenons à la page 63 que « malgré le
bannissement du noir en Katalamanasie, le drapeau noir et jaune de
l'hôtel continuait de flotter dans l'immeuble »
(V.D. : 63). L'hôtel « La vie et demie »
constitue un lieu où se cachent ceux qui ne respectent pas la loi. C'est
un abri sûr, car les autorités leur laissent la paix. Ceux qui y
vivent y compris le personnel de l'hôtel échappent aux lois
absurdes du guide.
Cependant, le jour où Obramousando Mbi se rendit
compte que la fille avec laquelle il allait partager le lit dans l'hôtel
« la vie et demie » était Chaïdana, son
épouse qu'il avait cru morte ou disparue, il détruisit
l'hôtel au moyen d'une dynamite. Beaucoup de personnes périssent
dans cet incendie. La destruction de cet hôtel est une perte
énorme pour le pays. Le personnel, les clients, les patrons y trouvent
la mort. Et le pays acquiert une mauvaise réputation. Ce qu'il faut dire
alors sur cette barbarie du guide, c'est qu'elle traduit l'inhumanité et
le non-respect des droits de l'homme de la part des nouveaux dirigeants
africains qui ne cessent d'éliminer les innocents pour les raisons
non-fondées ou imaginaires, afin de se maintenir au pouvoir.
Un autre lieu qui retient notre attention dans cette
étude sur l'univers spatial de La Vie et demie est la prison.
Dans cette république katalamanasienne, la violence, la torture des
guides n'épargnent personne, ni les paysans, ni les étudiants.
N'importe qui, est soupçonné d'être en désaccord
avec le régime en place. Celui qui ose s'opposer aux lois en exercice,
est arrêté et jeté en prison. A Yourma, il y a une prison
centrale où tous les détenus sont transférés pour y
être gardés.
Dans La Vie et demie, la prison est donc une cellule
au fond de laquelle on est coupé du monde extérieur, où
l'on vit dans une pénombre éternelle, où l'homme perd le
sens de la réalité, le sens de lui-même. C'est ainsi que
ceux qui font partie de la classe des élus du peuple libèrent
leurs frères, leurs connaissances et leur trouvent des
remplaçants innocents dans la masse paysanne. Le passage qui suit en dit
long :
« Souvent quand ça raillait, ceux des
grands qui avaient leurs cousins sur la liste des condamnés à
être passés par les armes leur trouvaient des remplaçants
obscurs parmi les prisonniers pour non-paiement d'impôts. Les
condamnés de marque allaient alors continuer la prison pour
l'à-exécuter de promotion. Ils en sortaient, le calme revenu, et
continuaient à vivre sous l'identité du mort en attendant les
faveurs d'un nouveau trafic d'identité. Parfois, l'exécuté
en titre gardait simplement l'état civil de son donneur
d'identité » (V.D. : 122-123).
Le dernier espace très remarquable dans La Vie et
demie est la forêt. Ceci apparaît comme un lieu
privilégié non seulement pour les pygmées, mais aussi pour
les autres voulant échapper à la torture et à la violence
des dirigeants comme nous l'avons mentionné bien avant.
A part les pygmées qui considèrent la
forêt comme leur milieu naturel où ils vivent paisiblement de la
chasse et des fruits sauvages, Chaïdana et ses descendants la trouvent
aussi favorable et accueillant. Ainsi, Chaïdana aux-gros-cheveux et
Martial Layisho regagnent la forêt après l'arrestation de leur
bienfaiteur Layisho. Celui-ci avait hébergé leur mère
quelques années avant sa mort. N'ayant personne pour s'occuper d'eux,
ils partent dans la forêt suivant les directives de leur
grand-père Martial. Celui-ci leur donne ce dont ils ont besoin dans
cette forêt naturelle. Ils marchent pendant longtemps avant d'atteindre
un endroit propice pour y construire leur case. Le narrateur nous apprend
qu'ils se nourrissaient des fruits sauvages. Là, ils sont à
l'abri de la méchanceté humaine et se sentent
protégés par le calme de la forêt. La forêt est
alors, pour eux, comme une mère providentielle, protectrice et
nourricière.
II.2.3 Le narrateur dans La Vie et demie
Il n'est pas rare que les lecteurs non avertis saisissent mal
la distance qui existe entre l'auteur c'est-à-dire l'écrivain et
le narrateur, celui qui, dans le roman, joue le rôle de rapporteur. Cette
confusion, assez commune, conduit assez souvent à des erreurs
d'interprétation. L'auteur est celui qui a conçu l'histoire,
celui qui l'a imaginée. C'est alors l'écrivain. Tandis que le
narrateur est celui qui prend en charge de présenter les
événements. Il assume la narration, pour dire la transformation
de l'histoire élémentaire en récit structuré.
Cependant, il est fort possible que le narrateur et l'auteur
coïncident en un seul personnage. Selon Gérard GENETTE, ces deux
formes narratives de base, que nous venons de voir, qui résultent de
cette distinction sont nommées respectivement la narration
hétérodiégétique et homodiégétique.
Ainsi, pour bien expliquer ce statut du narrateur interrogeons Figure
III, où Gérard GENETTE parle d'un tableau à double
entrée ayant quatre types fondamentaux du narrateur, c'est-à-dire
extra-hétérodiégétique,
extra-homodiégétique,
intra-hétérodiégétique et
intra-homodigétique :
« Si l'on définit, en tout récit,
le statut du narrateur à la fois par son niveau narratif (extra ou
intradiégétique) et par sa relation à l'histoire
(hétéro ou homodiégétique), on peut figurer par un
tableau à double entrée, les quatre types fondamentaux du statut
du narrateur :
1) Extradiégétique -
hétérodiégétique [...] narrateur au 1er
degré qui raconte l'histoire d'où il est absent ;
2) Extra-diégétique -
homodiégétique [...] narrateur au 1er degré qui
raconte sa propre histoire ;
3)
Intradiégétique-hétérodiégétique
[...] narrateur au second degré qui raconte une histoire d'où il
est généralement absent ;
4)
Intradiégétique-homodiégétique [...] narrateur du
second degré qui raconte sa propre histoire »55(*).
Dans La Vie et demie, il n'est pas question de voir
ces quatre types fondamentaux de statut du narrateur ; contentons-nous de
sa relation à l'histoire narrée. De ce fait, dans ce roman, le
narrateur reste toujours à l'extérieur de l'histoire qu'il
raconte. Il est donc absent du monde narré dans la mesure où il
rapporte des événements auxquels il ne participe pas, dans ce
cas, il sera qualifié d'extradiégétique. Ceci se montre
par la prédominance de la troisième personne du singulier
où le narrateur s'efface pour laisser les personnages jouer et
s'exprimer en présence du lecteur. Le narrateur fait une sorte de
représentation, de démonstration.
« Le docteur savait seulement qu'elle avait un
corps farouche [...] Il la comparait à une fleur au milieu des flammes,
qui ne se brûlait pas [...] Il n'était pas bon, mais peu laid non
plus » (V.D. : 22).
Cependant, dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi,
la première et la deuxième personnes interviennent pour donner
place aux discours des personnages :
« Ce fut à cette époque que
Chaïdana demanda au guide providentiel l'autorisation d'aller visiter ses
parents en Katalamanasie maritime.
- Ton odeur ! Il m'arrive plus à me passer de
ton odeur amère. Mes narines y sont accoutumées.
- Rien que trois jours.
- Que veux-tu que je fasse ? Tu es devenu
moi-même. Il enfonça la tête dans ses cuisses pour prendre
une bonne dose de cette odeur vitale.
- C'est un miracle : moi qui n'ai jamais aimé
une femme ! » (V.D. : 57).
Du point de vue de « la principale
détermination (qui) est évidemment sa position par rapport
à l'histoire »56(*), la narration que représente La Vie et
demie est ultérieure, c'est-à-dire que le récit
s'articule au passé. Son incipit le montre clairement :
« C'était l'année où Chaïdana avait eu
quinze ans [...] C'était le temps où la terre était encore
ronde, où la mer était la mer » (V.D. :
11).
Un autre aspect du narrateur dans La Vie et demie ne
manque pas à attirer notre attention. Il s'agit de cette tendance que le
narrateur adopte dans son récit d'occuper la place d'un conteur. En
effet, l'on serait amené à reconnaître la façon
qu'il a d'interpeller, d'associer le lecteur, de solliciter son intelligence,
la première proprement africaine de présenter le récit. Le
lecteur dans La Vie et demie se situe par rapport au narrateur de ce
récit comme un véritable auditeur. Cette caractérisation
est vraiment remarquable dans ce roman, au point qu'on aurait la tentation de
se demander s'il n'est pas la transcription graphique d'un récit qui a
d'abord été véhiculé oralement. Les exemples
suivants en disent long :
- « Merveilleuse nuit, elle reçut
d'adorables décharges de chaleur dans les reins. Six fois, elle avait
crié le ho-hi-hi final avant de commencer une véritable rafale de
ho-hou-ha-hé » (V.D. : 118).
- « Pendant trois bonnes minutes, le colonel
Greenman écouta, balançant continuellement des ouis de la
tête avant de lâcher le « compris » final suivi
de « your majesty » (V.D. : 54).
- « Monsieur l'Abbe terminait toutes ses phrases
par un « vous comprenez ce que je veux dire ? ». Mais
qui comprendrait ce qu'il allait dire ? » (V.D. :
171).
On aurait pu multiplier les citations pour illustrer ce point
de vue, tout le texte en comporte un grand nombre. Mais les quelques-unes qui
viennent d'être données et les proverbes, les mythes, les chants
garnis ici et là dans La vie et demie, suffisent amplement pour
montrer combien le narrateur accapare son lecteur, le prend à partie et
sollicite de façon fort renouvelée sa connivence, ce qui
résume en gros le rôle d'un conteur face à son
auditoire.
Conclusion partielle
Au bout de cette analyse sur l'histoire et les structures
narratives de La Vie et demie de Sony Labou Tansi, nous remarquons que
l'histoire politique qui est mise en jeu suit deux grands parcours. Il y a tout
d'abord le parcours narratif dominé par le guide providentiel
animé d'un esprit et d'une volonté de dominer le monde de la
République fictive de la Katalamanasie. Celui-ci est aidé, dans
cette entreprise, par la puissance étrangère et sa dictature
violente. Il y a ensuite un autre parcours narratif contre le pouvoir du
guide ; celui-ci est dirigé par Martial et le peuple est
rangé derrière lui.
Au cours du cheminement de l'histoire de La Vie et
demie, beaucoup de personnages interviennent. Il y a ceux qui participent
activement à l'évolution de l'histoire et d'autres qui n'ont pas
un rôle bien défini. Il y a même ceux qui changent souvent
de position qu'il n'est pas facile de savoir qui est héros et qui est
anti-héros. Ceci est clair, parmi le peuple, il y a ceux qui luttent
pour leur libération et leur survie. D'autres sont toujours amorphes et
attendent toujours ce qui leur arrivera. Il y a même ceux qui n'ont
aucune ligne de conduite, qui sont toujours versatiles.
L'univers spatio-temporel de La Vie et demie est
beaucoup plus complexe. Le temps, au lieu de situer clairement le récit,
contribue à le déstabiliser et à le rendre irréel,
souvent par des marques temporelles imprécises. L'espace intra-textuel
est très riche dans La Vie et demie. L'histoire se joue
tantôt dans le palais présidentiel, tantôt à
l'hôtel « La vie et demie », tantôt dans la
forêt, tantôt en prison et ailleurs.
Le narrateur extradiégétique, par le fait qu'il
raconte une histoire dont il est absent, nous réserve une narration
manifestement ultérieure à l'action ; mais le foisonnement
des scènes dialoguées, rapportées souvent au
présent et au discours direct, crée une narration
simultanée.
CHAP. III ECRITURE REVOLUTIONNAIRE ET LA DYNAMIQUE DES GENRES
DANS LA VIE ET DEMIE
III.0. Introduction
Dans La vie et demie, Sony Labou Tansi adopte une
écriture particulière. C'est une écriture qui correspond
aux thèmes qu'il développe c'est-à-dire la révolte
contre les nouveaux maîtres. Et dans ce roman, Sony Labou Tansi
revêt un caractère novateur par le fait qu'il semble renoncer au
beau style déjà existant. Le français employé par
Sony, mime les langues africaines, leur emprunte des tournures, y puise des
comparaisons. Il excelle, comme le souligne Marie-Noëlle Vibert
à : « secouer d'inertie du langage, animer les mots
en leur donnant une vie propre, réveiller la langue en lui donnant un
souffre nouveau »57(*), car selon Sony Labou Tansi lui-même, il
faut : « faire écraser cette langue frigide qu'est le
français, lui prêter la luxuriance et le pétillement de
notre tempérament tropical, les respirations haletantes de nos langues
et la chaleur folle de notre moi vital58(*) ».
Cette innovation de Sony a fait couler beaucoup d'encre pour
le féliciter de ce qu'il venait d'apporter à la
littérature africaine. Citons pour illustrer ces propos les exclamations
de Malanda en ces termes :
« Sony, vous êtes pour moi une
énigme pure dans le domaine que constitue la littérature
africaine. Vous apportez à cette littérature un style, un
lexique, des thèmes et des personnages singuliers. Tout cela, cette
littérature avait peur de l'inventer jusqu'ici59(*) ».
La nouveauté de l'entreprise scripturale de Sony Labou
Tansi a retenu aussi l'attention de Genies lorsqu'il affirmait :
« Sony, le public français l'a d'abord
découvert à travers son roman : La vie et demie (1979) [...]
une véritable révélation. Celle d'un écrivain qui
semble venir de partout à la fois. On le savait congolais et jeune, on
le devinait intrépide et vorace. Mais ce qui surprenait [...]
c'était un ton, une voix inimitable [...] absurde des situations,
absurde d'une langue à qui il tord le coup. La réalité
devient ici une forme exécutoire, immense champ de bataille où
les mots se chevauchent, dérapent, glissent, se percutent de plein
fouet. L'exercice est dangereux parce qu'il nécessite un
perpétuel renouvellement. Une énergie brutale. On ne touche pas
à une langue sans se brûler les doigts »60(*).
Disons alors à partir de ces observations que Sony,
à travers La vie et demie, se montre comme l'écrivain le
plus doué de sa génération, possédant une grande
faculté d'invention qui se manifeste par un style et un lexique propres
aux thèmes. Pour mieux comprendre cette écriture
particulière, nous allons interroger le texte du point de vue
scripturale et jeter aussi un coup d'oeil sur le mélange des genres dans
La vie et demie que l'auteur, l'éditeur et la critique
considèrent comme un roman.
III.1 Ecriture
Le texte de La vie et demie est truffé de
beaucoup d'éléments remarquables. Les mots se chevauchent et
prennent d'autres sens souvent par le recours aux parodies discursives, aux
tons comiques et tragiques, voire à la présence du surnaturel.
Aussi faut-il signaler encore que cette écriture sonienne est beaucoup
plus caractérisée par un grand nombre de figures de
rhétoriques qui s'étendent dans tout le texte. Ceci a un grand
impact sur la phrase dans La vie et demie surtout sur le choix des
mots, c'est-à-dire le lexique.
Cette écriture de Sony Labou Tansi, son choix de mots,
son agencement, son art de la suggestion voire l'insertion des langues
imaginaires sont peut-être dus à son éducation ou à
sa conception de la langue française que nous voulons d'abord essayer de
brosser en peu de mots avant de développer les poins susdits.
III.1.1 Sony Labou Tansi, son
éducation et le français
Il est à noter qu'à l'école, les
premières années de Sony Labou Tansi se sont faites en Kikongo,
sa langue maternelle. D'après le témoignage de Jean Michel
Devésa, Sony a commencé à apprendre le français,
seulement lorsque son oncle a décidé de le transférer au
Congo Brazzaville où vivait sa famille maternelle. Ceci ne lui a pas
été très facile, car lors d'un entretien avec Carcasso, il
dira :
« Là, moi qui ne connaissais pas un mot
de français, j'ai découvert un ami : « le
symbole ». C'est-à-dire qu'aux enfants qui faisaient des
fautes de français, on accrochait autour du cou une boîte de
« merde » pour les punir. Ils la gardaient jusqu'à
ce qu'un autre la mérite. J'étais un spécialiste du
« symbole », la cible préférée, bien
que j'essayais de me taire le plus possible. Je passais beaucoup de temps aux
toilettes parce qu'au moins là, on me laissait tranquille. Petit
à petit, j'ai fini par apprendre »61(*).
Tout en faisant l'école du type occidental,
Sony poursuivait son éducation informelle en Kikongo auprès de sa
grand-mère. D'après toujours Devésa :
« De ces premières années
passées au village, au contact des anciens, Sony a hérité
d'une grande maîtrise du Kikongo, de son usage symbolique et
crypté, de ses tournures métaphoriques et oraculaires
complètement hermétiques pour le locuteur pratiquant la langue
comme un simple outil de communication »62(*).
Au sujet de cette éducation, nous remarquons qu'il lui
est resté un attachement à la culture africaine qui paraît
évident dans son roman La vie et demie, surtout l'imaginaire
qui transparaît dans cette oeuvre plus ou moins proche du conte. C'est
également à la culture traditionnelle que Sony Labou Tansi doit
probablement l'art de suggérer ce qu'il y a au-delà du langage
comme il le dira lui-même : « Dans la langue de ma
mère est posé le langage un sous langage, sous le dire un
sous-dire qui agit de même manière que le sucre dans
l'amidon :il faut mâcher fort pour qu'il
sorte »63(*).
Du point de vue du français qui est un moyen le plus
privilégié, Sony en donne quelques raisons :
« J'écris en français, parce que c'est dans cette
langue-là que le peuple dont je témoigne a été
violé, c'est dans cette langue que moi-même j'ai été
violé. Je me souviens de ma virginité. Et mes rapports avec la
langue français sont des rapports de force majeure»64(*).
A d'autres occasions aussi, Sony faisait comprendre
que le français était pour lui une langue imposée :
« Je n'ai jamais eu recours au français, c'est lui qui a
eu recours à moi »65(*). Lors d'une rencontre avec des étudiants en
France, il est allé jusqu'à affirmer : « ce
n'est pas moi qui ai besoin de la langue française, c'est elle qui a
besoin de moi »66(*).
Malgré cette déconsidération de Sony
Labou Tansi vis-à-vis du français, il devait quand même
l'utiliser car son pays le privilégiait à cause de la
colonisation et celui-ci faisait partie de la réalité congolaise.
Sur ce, dans un entretien avec Bernard Magnier, il dit :
« je suis africain ; je vis africain. Je
suis à l'aise dans ma peau d'africain où que je sois. Cependant,
j'ai des choses à dire et ces choses je vais les dire à ceux qui
ont choisi le français comme compagnon d'existence. Ma
réalité congolaise se vit en français. L'école, les
discours, la constitution sont en français. La rue vit en
français. J'ai donc envie d'écrire en français pour ces
gens-là »67(*).
Cependant, même s'il était
nécessaire à Sony Labou Tansi d'écrire en français,
il ne s'agissait pas pour lui, le français des Français ; il
s'agissait plutôt de proclamer ses droits, de faire dire ce qu'on a
à dire à une langue façonnée à d'autres
usages. Dans un entretien avec M. ZALESSKY, il dira : « Nous
sommes les locataires de la langue française. Nous payons
régulièrement notre loyer. Mieux même : nous
contribuons aux travaux d'aménagement de cette
langue »68(*). Dans le même entretien, Sony continue à
dire en ce qui concerne la langue française que :
« la francophonie, c'est le courage qu'auront les Français
de savoir que les hommes font l'amour avec leur langue. Toute langue est le
premier lieu d'exercice de liberté. La liberté fait la promotion
de la différence, en naturalisant la
ressemblance »69(*).
Sans aller trop loin, nous voyons que Sony Labou Tansi n'a
jamais accepté le modèle de langue littéraire tel qu'il
venait de l'ancienne métropole. Pour lui, le français
était une réalité qui s'inventait chaque jour qu'on devait
l'utiliser pour dire ce qu'on voulait dire. Selon toujours lui :
« la langue, c'est la poésie et les
idées qu'il y a derrière, ce n'est pas le dictionnaire ni par la
syntaxe d'ailleurs. Je crois plutôt qu'il faut inventer un langage. Or,
ce qui m'intéresse, moi, ce n'est pas la langue française, c'est
le langage que je peux y trouver, à l'intérieur, pour arriver
à communiquer »70(*).
D'ailleurs c'est pour cette raison que Sony critiquait ses
prédécesseurs en ces termes :
« Il est vrai que les écrivains africains
avaient tendance à imiter les modèles français dont ils
étaient imprégnés par leur lecture. Par respect pour une
langue qu'ils ne maniaient pas. Je pense qu'il faut essayer de souffler dans
les mots, dans la syntaxe et créer sa propre
langue »71(*).
Vu alors cette conception de Sony Labou Tansi
vis-à-vis de la langue française, revenons sur l'écriture
de La vie et demie, qui est l'objet de notre étude. C'est un
roman écrit en français, mais métissé en certains
endroits par le fait qu'il y a interpellation des langues imaginaires ou
locales et la syntaxe y relative. Le roman est écrit dans une langue
où beaucoup de mots prennent un autre sens que le premier souvent par le
recours aux autres discours existants voire même l'enchevêtrement
de plusieurs procédés littéraires ; ce qui constitue
son style particulier.
III.1.2 Le style sonien dans La vie et
demie
III.1.2.1 La parodie
Le dictionnaire Nouveau Larousse définit la parodie
comme étant : « une imitation burlesque d'une oeuvre
littéraire ou artistique »72(*). Hutcheon ajoute qu'elle est
considérée comme : « une forme d'imitation,
mais une imitation caractérisée par l'inversion
ironique »73(*). Pour Josias SEMUIJANGA : « parce
qu'elle résulte d'une transtextualité
généralisée, la parodie passe par l'évocation, la
révocation et la réécriture du matériau discursif
antérieur »74(*).
On voit donc que la parodie se définit comme un
procédé littéraire ou romanesque qui consisterait à
recourir, à imiter d'autres textes ou à d'autres discours
déjà existants en littérature. Mais l'introduction de ces
textes ou discours pourrait occasionner un changement de sens de ces
derniers.
Ainsi, dans La vie et demie, ce
procédé littéraire est très remarquable pour un
lecteur attentif et mérite d'être relevé dans cette
étude. Signalons dès l'abord que beaucoup
d'éléments touchent à la bible. Les exemples sont
nombreux, mais retenons ceux qui sont beaucoup plus frappants. L'expression
« ecce homo » que nous trouvons à la page
41 et « voici l'homme » à la page 58 et 71
renvoient directement à « ecce homo » de la
Bible prononcée par Pirate au moment de livrer Jésus Christ.
L'expression « Sainte vierge douleur » à la
page 79 est la parodie de celle de la Bible : « la Sainte
Vierge Marie » ; même chose pour « la
Sainte Vierge noire » (V.D. : 65) qui parodie toujours
« la Sainte Vierge Marie ». La phrase
« On donna à Martial ce qui était à Martial
et au guide providentiel ce qui était au guide
providentiel » (V.D. : 86) est la parodie de celle de la
Bible : « Rendez à César ce qui appartient
à César et à Dieu ce qui appartient à
Dieu ». « Chers frères, chères
soeurs, je meurs pour vous sauver de moi » (V.D. : 142) est
la parodie de « Je meurs pour vous sauver du
péché ». La phrase comme « Gardez
mon nom comme un trésor » (V.D. : 142) est la
parodie de la phrase biblique « Faites ceci en la mémoire
de moi ». Aussi faut-il encore ajouter que la phrase
« la raison du guide était toujours la
meilleure » est la parodie de « la raison du plus
fort est toujours la meilleure ». La devise de Jean
Coriace : « Une tête saine sur un ventre
sain » (V.D. : 161), est la parodie de « Un
corps sain dans un esprit sain ».
A côté de cette parodie jouant sur des mots et
leur agencement dans la phrase, nous trouvons dans La vie et demie,
une autre sorte de parodie, se rapportant aux discours politiques et sociaux
voire même sur les institutions mises en place. Alors que nous
connaissons, dans des discours sociaux et politiques, que les militaires,
c'est-à-dire les maréchaux, les colonels et les autres sont des
hommes respectueux, honnêtes, gardiens de la paix, le narrateur de La
vie et demie nous apprend que :
« Les colonels, les généraux et
les maréchaux n'étaient que des soldats en titre qui
s'engraissaient, se battaient autour des jeunes filles et des vins mousseux
[...] et quand la puissance étrangère qui fournissait les guides
en avait décidé, ils prenaient le pouvoir et choisissaient un nom
de règne ; alors ils ouvraient des comptes écoeurants dans
les banques de la puissance étrangère qui fournissait les guides.
De temps en temps, ils « pérrochutaient » des
versets établis par leurs ancêtres en discours inaugural de ceci
ou de cela » (V.D. : 175).
Toujours par cette parodie portant sur les discours
officiels, le narrateur entre en contradiction avec les conventions reconnues
par l'ordre établie. Celui-ci tend à les valoriser au point que
les principaux personnages sont ridicules comme « le Guide
providentiel [qui] dansa avec la mariée toute la nuit si bien que les
mauvaises langues parlèrent de nationalisation »
(V.D. : 51). En parlant de cette nationalisation
pour acquisition de la femme d'autrui, Josias SEMUJANGA nous apprend que ce
mot, une sorte d'ironie « s'adresse au discours de la
nationalisation des entreprises et de ses abus comme si les choses et les
êtres appartenaient au Guide Providentiel dont l'absolutisme lui octroie
même les vieux droits de cuissage longtemps pratiqué dans les
sociétés médiévales »75(*).
Par ailleurs, alors que le discours social officiel donne du
Révérend Père Wang une image de sage incarnant la
pondération et la moralité publique, le narrateur lui donne une
autre image. Non seulement cet homme de Dieu est un débauché qui
« à trois heures quitta son lit au nom du père et
du fils [...] pour aller rejoindre sa maîtresse »
(V.D. : 110) mais aussi c'est un être brutal qui perd patience avec
ses chrétiens. En effet, il frappe souvent sur la table pour se faire
respecter « En demandant au seigneur de faire quelque chose pour
changer le coeur des pygmées » (V.D. : 109).
Notons, en guise de conclusion à ce point, que ce
procédé de déplacement de sens qu'est la parodie dans
La vie et demie est épaulée par l'ironie qui à
son tour, n'est pas à négliger dans cette analyse.
III.1.2.2 L'ironie
Pour Dällenbach et Jean Ricardou, l'ironie consiste
à « exprimer une chose par son opposé, son
contrarium »76(*). Ce procédé est beaucoup
exploité dans le roman que nous analysons. Ainsi, à titre
illustratif, quand le guide providentiel était frappé par
l'impuissance sexuelle, le narrateur nous apprend qu'il faisait son amour avec
Chaïdana à l'aide des doits et celle-ci se montrait
satisfaite :
« je ne peux plus me passer de toi, de ton odeur
amère... ça me suffit, l'orgasme digital. Ça me suffit
aussi que tu m'éparpille que tu me barbottes, que je gémisse, que
je vibre sous son poids » (V.D. : 56).
Ces mots de Chaïdana ne sont que simple ironie car
l'idée qui suit à la même page montre clairement que
Chaïdana mentait. Elle avait espéré un enfant avant de
mourir. A la page 106, le narrateur nous informe que Monsieur
l'Abbé : « ne péchait jamais des reins. Sa
queue savait se taire selon la volonté du Seigneur. Les
réalités de la chair ne venaient qu'après celles de
l'esprit. Le bas de son corps avait été réduit en
respectable silence » (V.D. : 106).
Ces mots ne sont qu'une information ironique car à la
page suivante, le narrateur ne tarde pas à nous dire que devant
Chaïdana :
« Monsieur l'Abbé était un mal
incomparable, il avait ajouté quelque chose d'indicible aux bruits de
son corps et creusé un délicieux vide dans son ventre. A vrai
dire, devant Monsieur l'Abbé, Sir Amanazavou était un zéro
sexuel tout rond. Elle l'avait gardé au lit tout le lendemain, ne
l'avait lâché que le soir vers l'heure du
dîner » (V.D. : 118).
Au sujet des indépendances africaines, le narrateur
dit que « ce sont les seules prières de noirs que Dieu
avait écoutées » (V.D. : 112). Le ton est
ironique et moqueur parce que l'idée qui continue dans les pages
suivantes est que les Africains ont lutté pour l'indépendance
sans être prêts à en prendre la responsabilité. Les
noms que Sony Labou Tansi donne à ses personnes dans La Vie et
demie revêtent aussi un caractère ironique. Il y a par
exemple « Guide providentiel »,
« Henri-au-coeru-tendre », apparemment par leurs
noms, ce sont des bons rois, mais ce sont des guides les plus criminels de la
République Katalamanasienne. Les exemples sont nombreux, on pourrait
mentionner beaucoup d'autres ; mais contentons-nous de ceux cités
pour donner place à d'autres points particuliers que nous trouvons dans
La Vie et demie, comme l'animalisation humaine.
III.1.2.3 L'animalisation humaine
Il faut d'abord signaler que nous empruntons ce terme
d'« animalisation humaine » à Cécile LEBON
dans son article que nous avons déjà cité. Selon cet
auteur, dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi :
« La dénonciation de la corruption et de
la tyrannie passe paradoxalement par une déformation de la
réalité. Niant toute forme mimétique, [Sony Labou Tansi]
préfère la démesure, l'accentuation des ruptures et
l'aggravation des contrastes. Sa représentation des figures
étatiques déforme les personnalités, réelles, joue
sur les lubies et les défauts de certains modèles. Elle casse
[...] le personnage pour le descendre de son piédestal, le
détrôner et en faire un bouffon. Ce bouffon peut adopter les
caractéristiques d'un animal »77(*).
Dans tout le roman, l'homme est décrit comme un
animal. Les exemples viennent aisément. Le Guide providentiel subit ce
processus d'animalisation avec « son corps broussailleux comme
celui d'un vieux gorille » (V.D. : 54). Il est
décrit comme une bête primaire, instinctive, essentiellement
dominée par ses pulsions : il mange, s'accouple, se soulage comme
une bête. Il est cannibale, carnivore, monstrueux comme un
animal :
« Le guide rugissait comme deux lions. La
fourchette brillait dans la main gauche, elle passerait bientôt dans la
main droite, quand la sentence serait prononcée. Bien que
déjà hors de vie, le docteur reconnaissait la fourchette
excellentielle pour avoir maintes fois assisté aux exécutions
entre deux bouchées de viande vendus aux quatre saisons »
(V.D. : 41).
Rappelons alors, comme nous l'avons
déjà dit, que ce processus d'animalisation humaine, ce
procédé selon lequel une personne est prise comme un animal,
n'est pas arbitraire. Ceci revient pour montrer les caractères inhumains
des figures du pouvoir, ou tout simplement les ridiculiser ou les rabaisser.
Cette stratégie littéraire dont Sony Labou Tansi use avec
aisance, est renforcée souvent par les figures de styles qui sont
parsemées ici et là dans La Vie et demie.
III.1.3 Les figures de styles
Tout texte devient très intéressant dans la
mesure où il est animé de tournures littéraires
techniquement appelées « figures de styles. Est figure de
style :
« L'expression d'une idée dans un
état d'âme déterminé. La figure nous présente
non pas l'idée isolée, mais l'idée dans son milieu
d'éclosion, c'est-à-dire qu'elle révèle, en
même temps l'idée, l'état d'imagination ou de
sensibilité qui l'a fait ce qu'elle est »78(*).
Ainsi, Sony Labou Tansi n'hésite pas à utiliser
des figures de styles pour capter l'attention du lecteur. Parmi celles
recensées dans La Vie et demie, il emploie souvent la
comparaison, la métaphore, la répétition,
l'euphémisme, la périphrase et la personnification.
III.1.3.1 La comparaison
La comparaison est une figure de style facile à
relever dans La Vie et demie. Elle opère une confrontation
entre deux objets ou réalités plus ou moins apparentés.
Elle sert de référence pour mieux expliquer une
réalité quelconque. Dans ce cas, on rapproche deux objets dont le
premier terme doit être mieux connu pour pouvoir concrétiser le
sens premier. Il importe de signaler maintenant que ce roman contient beaucoup
de comparaisons. Des exemples sont nombreux, laissons alors le texte parler
pour retenir quelques-uns qui frappent dès la première
lecture :
« Le soldat s'immobilisa comme un
poteau » (V.D. : 11).
« le visage de la loque-mère
s'était rempli d'éclairs ténébreux comme celui d'un
mort dont on n'a pas fermé les yeux » (V.D. :
12).
« La loque-père [...] respirait comme un
homme qui vient de faire l'acte » (V.D. : 12).
« Le Guide providentiel se leva [...] vint
devant la loque-père, les dents serrés comme des pinces et lui
cracha au visage » (V.D. : 12).
« Je ne veux pas mourir cette mort, dit la
loque-père toujours debout comme i » (V.D. : 13)
« C'était pour la plupart des hommes
grands comme deux, forts comme quatre et velus comme deux ours »
(V.D. : 20).
« Chaïdana tremblait comme une
feuille » (V.D. : 26).
« Le Guide providentiel vit sa femme
étendue au pied du lit, nue comme un verre de terre, belle comme un
songe de pierre » (V.D. : 55).
« Le corps [...] resta frais comme celui d'un
homme qui sort des bains ».
« Patatra grandissait. On l'élevait comme
un tigre, comme un lion » (V.D. : 130).
III.1.3.2 La métaphore
Selon Larousse, la métaphore est « une
figure de rhétorique qui consiste à donner à un mot un
sens qu'on ne lui attribue que par une analogie
implicite »79(*). Pour DOUTREPONT, la métaphore
« consiste à transporter un mot de sa signification propre
et physique à une autre signification d'ordre intellectuel ou moral en
vertu d'une comparaison implicite et sous-entendue. La métaphore est une
comparaison abrégée »80(*). Dans La Vie et
demie, les exemples ne manquent pas pour illustrer ce que nous venons de
dire : « J'en ai mal de frotter tout seul. Je me blesse la
queue » (V.D. : 24). Ici Sony utilise la queue pour
signifier le sexe de l'homme.
« Le guide providentiel eut une
écoeurante surprise. Il avait laissé tous ses habits devant la
porte verte, il voulait impressionner son épouse par son corps
broussailleux comme celui d'un vieux gorille et par son énorme machine
de procréation [...] » (V.D. : 54).
Ici, ce qui se dégage très vite c'est que Sony
utilise « machine de procréation » à la place
du « sexe d'un homme » c'est-à-dire le pénis.
« Quand le Guide providentiel entra [...], il ne
vit que la forêt d'inscription au noir de Martial qui pavoisaient
la pièce » (V.D. : 67).
« [...] Le Directeur central des Affaires
protocolaires arrangea la venue du guide qui arriva au milieu d'une
forêt de fusils » (V.D. : 37).
« La liste des interdits s'allongea rapidement
et on arriva à une forêt d'interdits »
(V.D. : 135).
Dans ces trois passages, le mot
« forêt » revêt un autre sens,
c'est-à-dire « beaucoup ».
« [...] cette sève qui vous gardait mort
pendant quinze soleils et quinze noirs »
(V.D. : 95).
Dans cette phrase, Sony compare les soleils aux jours et les
noirs aux nuits.
« Il luit tendit une grosse liasse de billets de
banque enroulée dans un chèque [...] Nous sommes dans la ville
à problèmes, ici le seul chemin, ce sont les
chiffons-là. Ça vous sauve de tout »
(V.D. : 30).
Par chiffons, Sony Labou Tansi veut dire l'argent.
On pourrait multiplier les exemples des métaphores
dans La Vie et demie, car ce roman en comporte un grand nombre, mais
celles qui viennent d'être citées parlent à haute voix et
nous pouvons passer à une autre figure qui a retenu beaucoup notre
attention, c'est-à-dire la répétition.
III.1.3.3 La
répétition
La répétition est une figure de style, selon
toujours DOUTREPONT, qui « consiste à ramener la
même idée dans les mêmes termes pour la souligner, pour y
insister ; cette figure marque l'énergie de la conviction ou la
vivacité du sentiment »81(*). Cette oeuvre nous offre une multitude de
répétitions. Retenons celles qui sont plus frappantes :
« Le temps passa. Le guide providentiel essaya
une fois encore et une fois encore Martial allant se plaindre
chez Kassar Pueblo et une fois encore Kassar Pueblo vint dans la chambre
excellentielle » (V.D. : 21).
Ici le mot « une fois encore » est
répété trois fois.
« Les morts auront toujours raison, dit le
docteur. Il n'a parlé sans doute à cause de la blessure. Les
morts auront toujours raison, répéta le docteur »
(V.D. : 28).
« On commença à parler d'une
épidémie mais puisque l'épidémie,
si épidémie il y avait, ne frappait que les membres de la
dictature [...] » (V.D. : 61).
Le mot « épidémie » est
répété trois fois pour marquer une certaine insistance sur
l'épidémie qui exterminait des membres de la dictature
katalamanasienne dans très peu de temps.
III.1.3.4 L'Euphémisme
L'Euphémisme est aussi une figure de style qu'on
trouve dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi. Henri Morier le
définit comme étant « Une figure de pensée
par laquelle on adoucit l'expression d'une idée jugée brutale ou
trop amère »82(*). Jean Dubois le traite comme « une
manière atténuée ou adoucie d'exprimer certains faits ou
certaines idées dont la cruauté peut
blesser »83(*).
En somme, remarquons qu'on s'accorde sur une même
idée, une même ligne de pensée. En effet, confronté
à des mots qui risqueraient de choquer, s'ils s'étaient
exprimés crûment, Sony Labou Tansi modèle son langage. Le
mot suivant est un exemple parmi tant d'autres : « Martial
entra dans une telle colère qu'il battit sa fille comme une bête
et coucha avec elle sans doute pour lui donner une gifle
intérieure » (V.D. : 69). Ici Sony utilise
maintes fois « donner gifle intérieure »
pour atténuer le mot « violer ».
III.1.3.5 La périphrase
Comme l'indique Suhamy, « La périphrase
est une figure qui combine l'allusion, la substitution et l'allongement [...],
la périphrase proprement dite est une désignation descriptive qui
remplace un mot »84(*).
Sony exploite beaucoup cette figure, d'une part pour
« parer aux divers inconvénients qui se trouvent
liés à l'emploi du mot propre [...] par son caractère de
signe motivé donc concret et pittoresque »85(*), d'autre part pour unifier la
pensée et témoigner de l'existence que mènent les gens.
Pour le premier cas, prenons un exemple comme « Faire la
chose-là qu'on fait avec les femmes » pour dire faire
l'amour.
« Le Ministre des finances avait rejeté
sa proposition de faire la chose-là qu'on fait avec les femmes dans
l'arrière-bureau où les structures d'accueil étaient
parfaitement adaptées » (V.D. : 65).
« On faisait la chose-là qui
déjà fait partie des occupations des
récréations » (V.D. : 65).
« Le guide Jean-Coeur-de-pierre se donna la
promesse de ne jamais faire la chose-là qu'on fait avec les femmes, en
dehors de la semaine annuelle des vierges » (V.D. :
148).
« Son excellence doit absolument éviter
de faire la chose-là avec la fille de Martial »
(V.D. : 20).
Pour le deuxième cas, les exemples suivants en disent
long :
- La liste des à-fusiller (V.D. : 29)
- La masse des à-surveiller (V.D. : 29)
- Des peut-être-vivants (V.D. : 35)
- Des pas-tout-à-fait-vivants (V.D. : 40)
- Place de l'Egalité-entre-l'homme-et-la-femme
(V.D. : 26).
Les noms de beaucoup de personnages de La Vie et
demie participent également à ce procédé de
périphrase :
- Henri-au-coeur-Tendre (V.D. : 121)
- Jean-coeur-de-père (V.D. : 127)
- Jean-l'Ami-des-peuples (V.D. : 143)
- Jean-le-simple (V.D. : 143)
- Jean-l'-audacieux (V.D. : 143)
- Jean-L'Ame-blanche (V.D. : 143)
- Jean-au-coeur-plein-de-souris (V.D. : 145).
III.1.3.6 La personnification
La personnification se définit comme :
« espèce de métaphore par laquelle on fait agir ou
sentir une chose comme un être animé »86(*). Dans le roman, les exemples
sont nombreux, mais contentons-nous de ceux qui sont pertinents.
« Même si le monde est mort au-dehors ne
me dérangez pas » (V.D. : 54).
Le monde ne peut pas mourir. Il est pris comme une
personne.
« La vie et morte, l'homme est devenu pire qu'un
animal » (V.D. : 73).
« mais la vie était sortie en paix. Elle
était sortie, personne ne pouvait dire quand »
(V.D. : 77-78).
Dans ces deux dernières phrases, il est bien clair que
le mot « vie » est personnifié. La vie ne peut pas
mourir.
Nous remarquons donc en somme, pour clore ce point sur les
figures de style dans La Vie et demie, que la métaphore, la
comparaison, la répétition, la personnification,
l'euphémisme et beaucoup d'autres que nous n'avons pas pu relever, se
combinent pour faire de La vie et demie une oeuvre de saveur
littéraire. Ces procédés littéraires propres
à l'écriture romanesque et que Sony Labou Tansi manipule avec
adresse, témoignent d'une parfaite maîtrise de la langue
française. Il reste à voir alors comment sa phrase est construite
et bien son choix de mots, c'est-à-dire le lexique.
III.1.4 Les particularités
lexicales
D'une façon générale, dans La Vie et
demie, Sony Labou Tansi utilise des mots simples et
compréhensibles. Ceux-ci sont agencés dans des phrases sobres,
correctement structurés et souvent marqués par la concision qui
conduit aux démembrements d'une phrase en plusieurs propositions
indépendantes et qui n'exclut pas d'ailleurs la beauté des
expressions.
Mais de temps en temps, cet auteur utilise des mots nouveaux
de sa propre création, soit pour enrichir la langue française de
formes nouvelles, soit tout simplement pour combler l'insuffisance du
français qui ne parvient pas à rendre toute la
réalité africaine. Ces mots sont donc des néologismes.
Avant d'entrer en détails de ces mots, il convient
tout d'abord de nous appuyer sur la définition de Marcel CRESSOT, pour
qui un néologisme est : « Un moyen qui s'offre
à l'usage de la langue pour remédier l'insuffisance du
matériel linguistique »87(*). Selon toujours lui, des néologismes
deviennent nécessaires
« pour désigner des choses nouvelles
-pour resserrer en une formule énergique une expression qui,
délayée dans un groupe périphrastique, serait exsangue-
pour se donner la possibilité d'une phrase plus souple en disposant
d'une série continue dans les différentes catégories
grammaticales »88(*).
Sony ne manque pas d'exploiter ce procédé
littéraire. Les néologismes que nous trouvons dans La Vie et
demie peuvent être classés en deux catégories
essentielles. D'une part, Sony Labou Tansi part des mots déjà
existants en français, procédant par commutation et jouant sur
l'axe paradigmatique, pour créer des nouveaux mots. Les exemples sont
nombreux, contentons-nous de ceux qui suivent :
Regardoir (V.D. : 132)
Regardeur (V.D. : 132)
Les pleureurs (V.D. : 62)
Les pistolétographes (V.D. : 44)
Infernalement (V.D. : 27).
Dans ce même ordre d'idée, c'est-à-dire
qu'en partant de mots existant dans le registre du français, Sony prend
un mot déjà connu dans son sens premier et lui donne un autre
sens adapté à la réalité qu'il veut exprimer. Ici,
prenons le cas du mot « choquer » qui normalement
désigne, selon le dictionnaire Larousse : « provoquer
une violente perturbation physique ou psychique »89(*), mais qui, à la page 72
de La Vie et demie, devient un substantif et désigne :
« toutes les techniques de provocation sexuelles
féminines ».
« De temps à autre passait un groupe de
miliciens qui lui demandaient ses papiers. Ils n'insistaient d'ailleurs que
dans ce but de cueillir un choquer sur cette beauté formelle
retapée par le fleuve » (V.D. : 71-72).
D'autre part, le narrateur procède à une
création presque fantaisiste qui va jusqu'à inventer des langues
qui sont censées être parlées dans la République
imaginaire de Katalamanasie. Pour comprendre le sens de ces langues, le lecteur
est renvoyé aux notes infra-paginales :
« Mocheno akanata buentani »
(V.D. : 95) : ils ont de sang pur.
« Kampechianata » (V.D. :
33) : plat de viande crue.
« Vouokani » (V.D. :
33) : le produit que Chaïdana mettait dans le champagne.
« Boulang-Outana » (V.D. :
89) : Soleil n'est pas mort.
« Manakeng » (V.D. :
91) : poison de liane
« Ocheminka akanatani »
(V.D. : 92) : S'ils ne meurent pas, c'est que ce sont des
démons.
« Onglouenimana chahtana yanka »
(V.D. : 95) : J'apporte tous les voeux du clan au pays des
tempêtes.
Ainsi, pour compléter cette courte étude sur le
lexique dans La vie et demie, il convient de signaler que ce choix de
mots ainsi que cette langue imaginée, produisent une grande horreur dans
certains passages et un effet humoristique. Ce mélange de tons
confère à La Vie et demie un certain équilibre
vraiment remarquable.
III.1.5 L'horreur et l'humour
La première impression qu'un lecteur de La Vie et
demie ressent, est un malaise. Celui-ci est dû à la violence
que charrient les mots et les structures. Les scènes de tortures dont
nous avons parlé, la description des crimes, s'éparpillent ici et
là dans le roman. Le viol des femmes qu'on décrit en long et en
large, l'exploitation et la misère du peuple, bref tout ce qui
revêt un caractère d'horreur, ne laisse personne
indifférent.
Cependant, Sony amortit le choc par son art particulier de
conter. C'est grâce au mélange de tons qu'il parvient à
accaparer le lecteur, à aller même jusqu'à lui arracher un
sourire et parfois un grand rire. La Vie et demie pourrait s'appeler
à juste titre « un pleurer-rire »90(*), car comme l'indique Charles
BONN, « Le comique et le rire font beau ménage chez Sony
Labou Tansi »91(*). Cela constitue son talent particulier comme nous le
révèle Francis Kpatindé en ces termes :
« Le talent de Sony Labou Tansi consiste
à faire sourire, sinon rire de certains drames. Dans un style alerte,
incisif, cynique et chantant [...] on rit à défaut de pleurer et
on pleure de trop rire »92(*).
Pour illustrer ces tons humoristiques dont nous parlons ici,
des exemples viennent aisément. Observons ceux qui suivent :
Chaïdana et son frère étaient seuls dans la forêt et
pour
« éviter de franchir la frontière
des choses et tomber dans cette tentation dont le pasteur Dikabana leur parlait
si souvent à l'école moyenne protestante, ils dormaient toujours
la tête de l'un dans les jambes de l'autre. Ils avaient
confectionné des culottes tellement grossières qu'elles leur
brûlaient des reins plus qu'elles ne les cachaient »
(V.D. : 90).
Toujours, par ce comique des mots, le narrateur nous apprend
à la page 90 que quand Chaïdana et son frère Layisho
étaient encore dans la forêt, ils
« pleuraient à tour de rôle. Le
soir en rentrant de la chasse ou de la pêche, Martial disait avec un rire
franchement jovial : c'était le tour de ma soeur. Elle prenait son
tour [...] Le matin était toujours le tour de Martial Layisho. Il
pleurait avant de partir à la chasse. » (V.D. :
90).
Ajoutons pour illustrer l'humour se trouvant dans La Vie
et demie, le passage où le narrateur raconte par exemple les
ratés de la construction d'un hôpital de luxe en pleine brousse
pour des pygmées, que ceux-ci désertent parce que :
« le quinoforme qu'on y donnait toujours affaiblissait le sexe
chez l'homme et rendait les femmes stériles »
(V.D. : 113). Et parce que le « garçon de salle,
cousin de Sir Amanazavou qu'on y avait envoyé avec la mention de docteur
[...] plaçait [...] le fémur au cou et l'omoplate au ventre, et
[parce que] les quatre-vingt-treize infirmières [servaient] de simples
meubles aux séjours répétés des hautes
personnalités et [...] donnaient de la nivaquine pour soigner les
plaies ».
Cependant, dans La Vie et demie, le rire est
beaucoup plus exagéré allant même jusqu'« au
grotesque des corps et leur laideur comme réalité du
monde »93(*). « Un souverain nu, c'était le
sommet de la laideur » (V.D. : 57). Ce corps nu jusque dans
ses parties les plus intimes, que d'habitude le discours officiel n'aborde pas,
devient l'objet du regard privilégié du narrateur :
« la chose qu'on fait avec les femmes »
(V.D. : 64). Le même langage se poursuit dans le passage
suivant : « Chaïdana était nue, avec deux coupes
de champagne, l'une posée sur le sein droit et l'autre sur le sexe. Elle
garda les yeux fermés. Le Guide allait aux toilettes pour une
dernière vérification de ses armes. Il s'y
déshabilla » (V.D. : 68).
La raison, pourrait-on dire, de ce grotesque, est le
désir acharné de vouloir nommer toute chose, car, pour Sony, la
littérature « c'est l'acte de nommer - certains disent la
bagarre de nommer. Je crois franchement qu'on ne peut pas s'engager dans une
telle bagarre sans risquer de nommer le sexe de sa
mère »94(*). Selon toujours Sony Labou Tansi
lui-même :
« de l'homme il n'y a rien à cacher. Le
caca est en nous, à côté des sucs digestifs. En quoi le
caca serait-il inférieur aux sucs et aux vitamines ? C'est l'homme.
Le vagin est un temple, pourquoi le cacher ? C'est le lieu des
naissances »95(*).
Toujours, de cette technique de nommer dans son oeuvre, Sony
continue à donner des témoignages : « En tant
qu'écrivain mon travail consiste à nommer. Nommer la peur, nommer
la honte, nommer l'espoir pourquoi pas ? Et je crois que dans tout ce que j'ai
écrit, j'ai nommé »96(*). La raison majeure de nommer
toute chose se clarifie bien dans un entretien avec Bernard Magnier :
« J'ai l'ambition horrible de chausser un verbe
qui nomme notre époque [...] Mon culte de la vie ne me laisse pas une
autre voix que celle du bouche à bouche avec la lucidité. On ne
change pas les choses tant qu'on ne les a pas nommées, tant qu'on ne les
a pas appelées par leur nom »97(*).
Il est évident donc que « nommer »
dans le langage ou sous la plume de Sony Labou Tansi signifie autre chose que
donner un nom. Paradoxalement, appeler les choses pour les communiquer, c'est
une attitude révolutionnaire et individuelle qui consiste à
refuser l'acceptation passive des règles imposées par les
autres ; car la nouvelle conception de l'écriture, selon toujours
lui, il s'agit de donner libre cour à l'imagination créatrice en
se passant de toute censure. L'écriture constitue un choix :
« J'éprouve un certain besoin d'amplifier les mots, de les
tendre comme des cercles de guitare. Pour moi, le style se traduit comme un
choix. Choix de la parole, choix de souffre [...]. Pour l'écrivain, le
style c'est sa manière de respirer. On n'a pas le temps de soigner sa
respiration [...] moi qui écris au galop, je n'ai pas toujours le temps
d'être coquet avec mon temps »98(*).
En définitive, disons avec Josias SEMUJANGA, pour
mettre fin à ce point, que le mélange des accents risibles et
tragiques donnent à La Vie et demie une véritable
dimension romanesque : dire l'indicible, nommer l'innommable en faisant
cohabiter, comme dans la vie de tous les jours, le philosophique au trivial, le
sérieux au banal, et l'absence au rationnel. Selon le même auteur,
ce roman incarne l'esprit du roman en général, qui est un
mélange de description d'un univers social fictif par la
médiation du narrateur analyste et critique de la vie et ses styles.
Remarquons toujours que ce mélange de tons que nous venons de remarquer
dans La Vie et demie va de pair avec le mélange des genres que
nous allons passer en revue dans les lignes suivantes.
III.2 La dynamique des genres dans La vie et demie
L'on sait jusque là que La Vie et demie de
Sony Labou Tansi est un roman. Et le roman, comme l'affirme le critique,
« n'est pas un genre fixe ni une essence, mais un genre
caractérisé par le mélange d'autres genres artistiques et
littéraires. C'est un genre impur dès sa
naissance »99(*). Ceci veut dire que le roman n'a pas de
règles. A ce sujet, donnons le feu vert à Françoise-Van
Rossum Guyou qui déclare que : « le roman n'a pas de
règles. Tout lui est permis. Aucun art poétique ne le mentionne,
ni ne dicte des lois »100(*).
En plus de ces considérations intéressantes et
enrichissantes des critiques, l'on se souvient que La Vie et demie est
un roman negro-africain. Et les romanciers negro-africains s'inspirent beaucoup
de la tradition orale. C'est ainsi qu'ils intègrent dans leurs romans,
les matériaux caractéristiques de la littérature orale.
Cette littérature, l'on sait bien, ne sépare pas les genres. Ce
mélange de genres se trouvant actuellement dans la littérature
écrite semble être très abondant dans la littérature
negro-africaine, car selon les affirmations de Jean Mayer :
« la séparation des genres est le dogme d'une certaine
littérature. Epopée, réalisme, confessions lyriques,
satires se mêlent souvent dans le roman negro-africain, car les tendances
correspondantes existent ensemble dans l'âme
africaine »101(*).
Sony Labou Tansi, dans La Vie et demie ne manque pas
alors à ce rendez-vous et use de ce mélange de genres, entre
autres le fantastique, le conte et les chroniques.
III.2.1 Le fantastique
Selon Todorov, le fantastique se définit comme
« un genre romanesque caractérisé par une
manière de raconter centrée sur une hésitation [...] entre
une explication des faits et une convocation du
surnaturel »102(*).
Ainsi, tout au long de La Vie et demie, beaucoup de
personnages apparaissent comme des êtres surnaturels. A titre d'exemple,
Martial, Layisho apparaissent comme des êtres surnaturels voire immortels
qui changent continuellement d'identité. La grossesse de Chaïdana a
duré dix-huit mois et seize jours et durant sa vie, elle a eu deux cents
quatre noms dont le dernier fut Chanka. Quant à Layisho, il fut
incarcéré pendant quatre-vingt-huit ans par les guides
providentiels avant de mourir à l'age de cent trente trois ans et neuf
jours. Après sa mort, il fit décider de ne l'enterrer que lorsque
commencerait la putréfaction de son corps. Celle-ci ne
« vint qu'un an et douze jours » et son corps
« resta frais comme celui d'un homme qui sort de
bain » (V.D. : 81).
Aussi faut-il dire que le retour des morts qui prennent la
parole dans le roman, fait partie de ce fantastique. Ainsi, Martial revient
pour régler ses comptes avec sa fille Chaïdana et avec le guide
providentiel qui l'a exécuté. Le feu Dashimo
« revenait chercher sa femme et ses poulets »
(V.D. : 113), tandis que le feu Dalanzo « criait et tout le
village entendait qu'il avait soif et qu'il faisait horriblement noir de
l'autre côté » (V.D. : 113). Aussi beaucoup
d'autres personnages victimes des guides entrent dans la mort de Martial pour
conjurer leur mort physique. Ainsi,
« le jour où l'Université de
Yourma protesta contre les « politisations inconditionnelles des
diplômes », le guide Henri-au-coeur-tendre donna l'ordre de
tirer, les trois milles quatre-vingt-douze morts entrèrent tous dans la
mort de Martial, puisque le soir du 20 décembre, on les vit marcher dans
les rues brandissant les drapeaux de sang, avec leurs blessures qui saignaient
toujours » (V.D. : 86).
A cela, le narrateur ajoute que « nombreux
étaient maintenant ceux qui voulaient mourir de la mort de Martial pour
avoir l'occasion de repasser dans la vie après la mort. Beaucoup
enviaient les étudiants » (V.D. : 86-87).
III.2.2 Le conte
Dès la lecture des premières lignes de
l'incipit de La Vie et demie, le narrateur renvoie le lecteur dans le
monde de conte. Ceci revient à dire que ce roman commence par une
formule propre au conte : « c'était l'année
où Chaïdana avait eu quinze ans. Le ciel, la terre, les choses tout
complètement par coeur. C'était au temps où la terre
était encore ronde, où la mer était la mer
[...] » (V.D. : 11).
Le narrateur utilise ces formules
« c'était l'année où » ou
d'autres motifs temporels comme « à cette
époque », « à l'époque
où », qui rappellent ainsi « il
était une fois » du conte : « c'est
à cette époque que trente-six des Jean de la série C avait
obtenu la permission d'aller voir leur grand-mère »
(V.D. : 150). « C'était un jour après son
rêve que le feu était la couleur de Dieu ».
Remarquons également que les formes de conte se
manifestent par l'usage des chiffres fréquents dans la narration des
faits. Les exemples sont nombreux :
« Ils s'éteignaient la troisième
nuit de la troisième semaine suivant le départ des pygmées
[...] pendant les dix-neuf mois et vingt-deux jours que le corps mit à
pourrir ; Kabahasu prit à ses pièges sept cent quarante deux
sangliers, deux cent vingt-huit civelles, huit cent-trois chacals,
quatre-vingt-treize chats, quatre crocodiles, deux léopards,
d'innombrables rats de toutes tailles, ainsi que quatre boas et treize
vipères » (V.D. : 92-93).
A côté de cette narration à la
manière d'un conte, le narrateur fait recours aussi à celle des
chroniques.
III.2.3 Les chroniques
Dans La Vie et demie, le narrateur utilise les
techniques narratives des chroniques, c'est-à-dire la succession de
règnes des rois. Les passages suivants sont des exemples parmi tant
d'autres dans le roman :
« le Guide Henri-au-coeur-Tendre courut tout nu
jusqu'à la première barrière des gardes ; il parlait
cette langue que personne ne comprenait : il parla cette langue jusqu'au
jour de son assassinat dans un asile après les six ans, quatre mois,
deux semaines et un jour de règne en son nom du colonel Kapitchianti qui
assurait toujours le peuple de sa guérison prochaine »
(V.D. : 125-126).
« [...] Le guide Jean-Coeur-de-père la
trouva évanouie, lui donna une cascade de huit gifles intérieures
et devin fou dans la même nuit, c'est-à-dire le trois cent
vingt-deuxième jour de son règne » (V.D. :
128).
« On était sous le règne du guide
Henri-au-coeur-tendre, deuxième jour de son règne »
(V.D. : 128).
Ces exemples suffisent pour illustrer ce genre des
chroniques, mais ce qu'il faut ajouter encore est que ces formes s'apparentent
à celles des récits dynastiques où chaque nom de
règne est associé à un univers symbolique en rapport avec
les événements qui vont survenir au royaume. Ainsi
Henri-au-coeur-tendre, qui est sympathique et libéral, s'inscrit dans un
cycle de rois de la paix et de la prospérité tandis que
Jean-Calcium, difficile et draconien, représente le cycle des guerres et
de la barbarie.
Conclusion partielle
Ce chapitre avait pour objectif d'étudier
l'écriture sonienne dans La Vie et demie. Au bout de cette
analyse, il faut remarquer qu'une écriture particulière se
dégage à travers cette oeuvre. Eu égard aux thèmes
qu'il développe, c'est-à-dire la révolte contre les
nouveaux pouvoirs africains d'après l'indépendance, Sony Labou
Tansi choisit un moyen d'expression, une langue où une écriture
qui convient à ce qu'il développe, bref, une écriture
révolutionnaire. Il fait donc une
« révolution » dans l'art d'écrire, il rompt
avec la tradition pour enfin présenter une oeuvre qui reflète la
société moderne africaine.
Cette écriture sonienne commence par briser les
règles traditionnelles de la langue française, car selon Sony
Labou Tansi, la langue est en perpétuelle mutation. Ceci montre ses
attitudes vis-à-vis de la langue française, car comme l'affirme
Drocella RWANIKA : « cet auteur n'hésite pas à
tordre le cou à la langue française pour créer la sienne
propre, qui puisse répondre à ses
besoins »103(*). Cette façon dont il conçoit la langue
permet d'ouvrir les horizons en montrant qu'il ne faut pas toujours s'atteler
au passé parce que les problèmes de ce temps diffèrent de
ceux de la société moderne.
Dans l'analyse qui vient de se clore, force est de constater
aussi, que La Vie et demie récupère d'autres discours
déjà existants, soit en les parodiant, soit en les ironisant.
Beaucoup de figures de rhétoriques interviennent pour embellir le
récit dans lequel le tragique, le risible font bon ménage. Notons
que ce récit qu'est La Vie et demie transcende les
règles des genres littéraires. A cet effet, le fantastique, le
conte, les chroniques en constituent des traits majeurs.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de ce travail qui avait pour but d'étudier le
politique et l'écriture à travers La Vie et demie de
Sony Labou Tansi, il importe de revenir sur certains points de l'analyse.
Tout au long de l'étude, il ressort que la dimension
politique de cette oeuvre est extrêmement importante. Le terme
« politique » a été abordé dans le
sens de la façon et des mécanismes mis en oeuvre pour
gérer un Etat ainsi que des réactions du peuple vis-à-vis
du pouvoir qui est exercé. De ce fait, l'imaginaire que nous avons dans
La Vie et demie est tout imprégné de politique. Le
récit se déroule dans la république imaginaire de la
Katalamanasie et le régime politique exercé par les
différents guides est loin de satisfaire les attentes du peuple ;
mais au contraire le peuple est déçu. La dictature et les maux
qui en découlent comme la violence et beaucoup d'autres, sont à
la base de tout le malheur du peuple qui attendait une vie meilleure.
Tout au début du roman, le guide providentiel,
dictateur, tue son adversaire Martial, son opposant politique ; peu
après, il rencontre une très belle fille Chaïdana, la fille
de Martial, et tombe amoureux d'elle. A chaque fois qu'il veut approcher la
jeune fille, l'image de l'homme qu'il a fait tuer s'interpose entre lui et
elle. Ceci est une simple imagination mais renvoyant à la
réalité, car selon Sony Labou Tansi lui-même dans un
entretien avec Pierrette Herzberger-Fofana :
« Cette image lancinante qui se
répète tout au long du roman est à la fois
allégorique et magique. J'ai écris La vie et demie dans la
douleur. Plusieurs de mes amis avaient été assassinés en
1977 sous le prétexte qu'ils auraient fomenté un coup d'Etat
contre le Président [...] Je reste convaincu que mes amis
n'étaient pas en mesure de commettre un tel crime politique. Leur
exécution était une sorte de règlement de comptes. L'Etat
voulait tout simplement se débarrasser d'individus
intelligents »104(*).
Un peu après l'exécution de Martial, la
violence et le meurtre s'étendent dans toute la république
katalamanasienne, l'allégorie des pays africains comme il a
été maintes fois démontré.
Aussi faut-il dire à la fin de ce travail que le
politique dans La Vie et demie réside dans le parti pris de
l'auteur. A travers cette oeuvre, Sony Labou Tansi adopte une attitude
révolutionnaire vis-à-vis des nouvelles autorités de
l'Afrique d'après les indépendances. Il prend le parti des
opprimés et dénonce les maux dont ils sont victimes. Dans cette
oeuvre, il honore ses engagements et intentions qu'il a mises en
évidence dans un entretien avec Bernard MAGNIER :
« Mon métier, c'est celui d'homme. Ma fonction celle de
révolté. Mon intention serait de prouver à tous les hommes
à quel point ils sont semblables. Je suis révolté contre
la bêtise, le mimétisme et l'arrogance »105(*).
Cet engagement de Sony Labou Tansi rappelle celui dont parle
Jean Paul SARTRE. Pour lui, l'engagement d'un écrivain se conçoit
comme la prise de conscience de ses responsabilités envers le peuple. Il
assigne à l'écrivain la mission d'éveiller la conscience
du peuple et sa situation en ces termes :
« Je dirais qu'un écrivain est
engagé lorsqu'il tâche de prendre la conscience la plus
entière d'être embarquée, c'est-à-dire lorsqu'il
fait passer pour lui et pour les autres, l'engagement de la
spontanéité immédiate au réfléchi.
L'écrivain est médiateur par excellence et son engagement, c'est
la médiation. »106(*).
Cette conception sartrienne de l'engagement est très
importante pour les pays où les masses ont besoin d'éducateur
consciencieux pour éveiller leur conscience. Sony Labou Tansi est un
exemple. Pour atteindre son idéal, il a adopté comme nous l'avons
vu, une certaine méthode, c'est-à-dire celle de
dévoilement. Il dévoile les abus de nouveaux pouvoirs africains,
leur cupidité, leur totalitarisme, leur incompétence, leur
mépris, bref, il veut montrer que la décolonisation n'est pas
terminée, invitant les masses à se défaire de leur peur
pour combattre le nouvel oppresseur.
Cependant, cette révolte du point de vue de la
thématique, comme nous l'avons démontré, a
occasionné la révolte contre les règles classiques de la
littérature en général et du français en
particulier. C'est pour cette raison qu'une étude sur l'écriture
s'est avéré nécessaire. Il est bien clair que dans La
Vie et demie, pour combattre la barbarie de certains dirigeants, leur
méfiance vis-à-vis du peuple, Sony Labou Tansi choisit un type
particulier d'écriture, un « paysage » dans ses
propres mots que nous trouvons dans la revue Le mois en Afrique
cité par Cécile LEBON : « Un écrivain
qu'on le veuille ou non, c'est quelqu'un qui va dans la forêt du langage,
et qui se met à débroussailler, et à éclaircir le
paysage où il va planter »107(*). Ceci veut dire que Sony, dans ses intentions
veut délaisser les lieux communs pour habiter, selon l'auteur
précité « les no man's land et les territoires
encore inexploités. Il ignore les espaces cloisonnés, les
modèles littéraires européens [...]
préférant abolir les frontières et jeter les ponts entre
les différents langages »108(*).
Dans La vie et demie, les mots et même des
structures subissent souvent les artifices qui sont autant de
déformations de la réalité. Les mots sont
travaillés, cassés et retravaillés encore pour prendre un
sens cher à son auteur, pouvant traduire les aspirations du peuple. Sony
joue sur les mots en les rapprochant, les accolant, les déformant. On
remarque clairement que les mots s'entrechoquent, s'accélèrent et
se perdent dans les discours parodiques, ironiques ou les figures de styles
prennent une place de choix. La Vie et demie, suivant l'étude
que nous avons faite, n'est pas un roman à intrigue unique, aux espaces
spatio-temporelles bien définis, c'est une oeuvre qui suit le
cheminement de l'imaginaire. Elle s'adapte aux souvenirs des personnages, aux
digressions du narrateur. L'intrigue se tend vers la complexification du
récit. Quant à l'action, elle s'éparpille pour finalement
créer un tout inextricable qui transcende les lois des genres. La
Vie et demie n'a non seulement les caractéristiques du roman, mais
aussi présente quelques points du conte, du fantastique, des
chroniques.
Disons, au bout du compte, que notre travail ne
prétend pas avoir épuisé tout le sujet. Nous avions pour
objectifs d'étudier le politique et l'écriture et de
dégager l'influence de l'un sur l'autre. Nous avons atteint nos
objectifs. Mais quelques travaux peuvent être réalisés sur
La Vie et demie. Nous citons à titre exemplatif,
« L'étude de grotesque dans La vie et
demie », « L'étude approfondie du personnage de
Chaïdana et de Martial », « Les procédés
de création dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi » et beaucoup
d'autres, car le champ de recherche est encore plus vaste chez lui.
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www.orient.uw.edu.politique/~krywic/ecriture.html.
* 1 K.Echemin,
« la liberté créatrice et option collective, la
problématique de la création romanesque en
Afrique » in Afrique littéraire n° 71-72, 1974, p.
14
* 2 MOURALIS, B.,
« La révolte contre le pouvoir colonial et
religieux », in Notre Librairie, n° 68, janvier - mars
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* 3 Jacques Chevrier
cité par Alphonse GATETE, La problématique du pouvoir noir
indépendante chez quelques romanciers negro-africains d'expression
française, mémoire de Licence, Ruhengeri, 1990, p. 20.
* 4 LEMOTIEU , M.,
« Le statut des indépendances africaines dans le roman
negro-africain » in recherche pédagogique et culture,
n°65-66, Janvier-avril 1984, p 137
* 5 MAXIMIN, D.,
« Tchikaya/Sony, le dialogue interrompu » in
notre Librairie, n° 92-93, mars-mai, 1988, p. 89
* 6 LEBON, C.,
« Sony Labou Tansi : Rêver un autre
rêve » in notre Librairie n° 125 (janvier-mars 1996)
p 102
* 7 DENIS, A., Julien
Gracq, Paris, Ed. Seghers,1978, p 12
* 8 LEBON, C., Op. cit.
p. 101
* 9 MAXIMIN, D., Op. cit.
p. 88
* 10 VIBERT, M.N, Op.
cit. p 121
* 11 TODOROV, T.,
Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, p. 176
* 12 SEMUJANGA, J.
Dynamiques des genres dans le roman africain. Eléments de
poétique transculturelle, Paris, l'Harmattan, 1999, p. 9.
* 13 DUCHET.C.,
Sociocritique, Paris, Ed. Fernand Nathan, 1979
* 14 SEMUJANGA, J.
« La littérature africaine des années
quatre-vingt : les tendances nouvelles du roman », in
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* 15 RURANGIRWA, S., La
quête de la nation dans prochain Episode d'Hubert Aquin, Essai
d'analyse sociocritique, Mémoire, U.N.R Butare, 1999, p. 10
* 16 GOLDMAN, L. Pour
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* 17 NDACHI TAGNE, D.,
Roman et réalités camerounaises, 1960-1985, Paris,
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* 18 VALETTE, B., Le
Roman, initiation aux méthodes et aux techniques modernes d'analyse
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* 19 BIZIMUNGU, C.,
L'oeuvre romanesque de Sony Labou Tansi, mémoire, Ruhengeri,
1987, p. 6.
* 20 MOURALIS, B.,
« Pays réels, pays d'Utopie », in Notre
librairie, n° 84, juillet - septembre 1986, p. 48.
* 21 CHEVRIER, J., Op.
cit., p. 183.
* 22 BIZIMUNGU, C., Op.
cit., p. 24.
* 23 ARMAH, Ayi, Kweyi,
cité par GATETE, A., Op. cit., p. 90.
* 24 NDACHI TAGNE, D.,
Roman et réalités camerounaises, l'Harmattan, Paris,
1986, p. 43.
* 25 Idem, p
241.
* 26 BIZIMUNGU, C., Op.
cit., p. 28.
* 27 VIBERT,
Marie-Noëlle, « Sony Labou Tansi : Entre morts et
vivants », in Notre Librairie, n° 125, p. 110.
* 28 TOYIN, F.,
«L'Afrique en perspective », in L'Afrique maintenant,
Paris, Karthala, 1995, p. 43.
* 29 SEWANOU, Dabla,
cité par DROCELLA, M. RWANIKA, L'inscription féminine :
le roman de Sony Labou Tansi, Kinshasa, éd. Anthologie, 1997, p.
6.
* 30 Signalons que ce terme
« nouveau roman » est déjà connu en France
depuis les années cinquante. Ceci apparaît comme la
résonance littéraire à la décadence sociale des
années trente et quarante-cinq en France. Les romanciers de cette
lignée visent le renouvellement du genre romanesque. Notons aussi que
les grands représentants de cette tendance en France sont Robbe-Grillet,
Michel Butor, Nathali Sarraute, Claude Simon et Robert Pinget.
* 31 NKIZAMACUMU, D.,
cité par BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 55.
* 32 SEMUJANGA, J.,
Dynamiques des genres dans le roman africain : Eléments de
poétique transculturelle, Paris, l'Harmattan, 1999, p. 143.
* 33 Idem, p.
133.
* 34 LAROUSSE, P.,
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* 35 SUPERVILLE, J.,
Théories de l'Art et des Genres littéraires, Paris,
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* 36 NKIZAMACUMU, D.,
cité par BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 69.
* 37 VIBERT, M.N., Op.
cit., p. 108.
* 38 Bingo, n° 401,
juin, 1986, cité par BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 29.
* 39 RWANIKA, M.D., Op.
cit., p. 97.
* 40 Idem, p.
96.
* 41 Idem, p.
97.
* 42 Idem, p.
101.
* 43 SEMUJANGA, J. ,
« De l'intérgénéricité comme forme de
baroque dans le roman de Sony Labou Tansi », in Nouvelles
écritures francophones vers un nouveau baroque, Montréal,
Presses Universitaires de Montréal, 2001, p. 206.
* 44 BREMOND, C., La
logique du récit, Paris, Seuil, 1973, p. 14.
* 45 GOLDENSTEIN, J.P.,
Le Roman, Bruxelles, A. De Boeck, 1980, p. 63.
* 46 SUPERVILLE, J., Op.
cit., p. 290.
* 47 SEMUJANGA, J., Op.
cit., p. 135.
* 48 KUNDERA, M.,
cité par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 135.
* 49 METZ, C., cité
par GENETTE, G., Op. cit., p. 77.
* 50 GENETTE, G., Op.
cit., p. 82.
* 51 Idem, p.
83.
* 52 MOURALIS, B.,
« Pays réels, pays d'utopie », in Notre
librairie, n° 84, juillet - septembre 1986, p. 52.
* 53 Idem, p.
54.
* 54 CHEVRIER, J.,
cité par RWANIKA, D., Op. cit., p. 9.
* 55 GENETTE, G., Op.
cit., pp. 255-256.
* 56 GENETTE , G.,
Op. cit., p. 228.
* 57 Vibert, M-N,
Op.cit, p. 122
* 58 Jacques Chevrier
cité par Vibert, M-N, Op.cit. p. 122
* 59 Malanda, A.S,
cité par Rwanika, D., Op. cit., p 7
* 60 DENIS, B., cité
par RWANIKA, D., Op. cit., p. 7.
* 61 CARCASSO, J.G.,
cité par DEVESA, J.M., Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte des
rives magiques du Congo, Paris, l'Harmattan, 19963, p. 61.
* 62 DEVESA, J.M., op.
cit., p. 61.
* 63 NGAL, G., cité
JUNUSZ KRZYWICK (Internet) http://www.uwa.edu.au/motspluriels/MP1099SLT.
Html ; fri, 10 aug 2001 13 :02 :30+0200 (CEST).
* 64 ORISHA, I.,
« Sony Labou Tansi face à douze mots », in
Equateur, n° 1, 1986, p. 30.
* 65 Idem, p.
31.
* 66 JANUSZ KRZYWICKI,
op. cit., p.4.
* 67 MAGNIER, B.,
« je ne suis pas à développer mais à prendre ou
à laisser », in Notre librairie, n° 79, juillet
- septembre 1986, p. 14.
* 68 ZALESSKY, M.,
Cité par JANUSC KRYWICKI, Op. cit., p. 5.
* 69 Idem, p. 6.
* 70 Ibidem.
* 71 Idem, p. 7.
* 72 Larousse, Op.
cit., p. 730.
* 73 HUTCHEON, cité
par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 140.
* 74 SEMUJANGA, J., Op.
cit., p. 140.
* 75 Idem, p.
144.
* 76 DÄLLENBACH, L. et
RICARDOU, J., Problèmes actuels de la lecture, Paris, Ed.
Clancier-Guénaud, 1982, p. 123.
* 77 LEBON, C., Op.
cit., p. 103.
* 78 DOUTREPONT, C.,
Littérature française, Namur, Wesmael-Charlier, 1944, p.
27.
* 79 Larousse,
Op. cit., p. 631.
* 80 DOUTREPONT, C., Op.
cit., p. 34.
* 81 Idem, p.
46.
* 82 MORIER, H.,
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* 83 DUBOIS, J. et alii,
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* 84 SUHAMY, H., Les
figures de style, Paris, PUF, 1981, p. 52.
* 85 CRESSOT, M., Le
style et ses techniques, Paris, PUF, 1959, p. 47.
* 86 DOUTREPONT, C., Op.
cit., p. 36.
* 87 CRESSOT, M., Op.
cit., p. 57.
* 88 Idem, p. 58.
* 89 Larousse, Op.
cit., p. 200.
* 90 Nous empruntons ce
terme au roman d'Henri LOPES, Le pleurer-rire, Paris, Seuil, 1980.
* 91 BONN, C.,
Littérature francophone, Paris, Hatier, 1977, p. 271.
* 92 KPATINDE, F.,
cité par RWANIKA, D., Op. cit., p. 10.
* 93 SEMUJANGA, J., Op.
cit., p. 145.
* 94 NDZANGA KONGA, A.,
« Sony Labou Tansi : un homme à la recherche de l'homme
perdu », in Recherche pédagogique et culture, n°
64, 1983, p. 72.
* 95 NZUJI, Mukala Kadima,
cité par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 145.
* 96 ORISHA, I., Op.
cit., p. 31.
* 97 MAGNIER, B.,
« Je ne suis pas à développer, mais à pendre ou
à laisser », in Notre Librairie, n° 79, 1986, p.
16.
* 98 MAGNIER, Op.
cit., p. 17.
* 99 SEMUJANGA, Op.
cit., p. 9.
* 100 VAN ROSSUM-GUYOU, F.,
Critique du roman, Paris, Gallimard, 1970, p. 11.
* 101 MAYER, J.,
cité par KABEJA, T., Op. cit., p. 35.
* 102 TODOROV, T.,
cité par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 136.
* 103 RWANIKA, D., Op.
cit., p. 9.
* 104 HERZBERGER-FOFANA,
P., Entretien avec Sony Labou Tansi,
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* 105 MAGNIER, B., Op.
cit., p. 12.
* 106 SARTRE, J.P.,
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98.
* 107 LEBON, C., Op.
cit., p. 106.
* 108 Idem, p.
102.
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