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Le politique et l'écriture a travers La vie et demie de Sony Labou Tansi sous la supervision de prof. Josias Semujanga

( Télécharger le fichier original )
par Emmanuel NDUNGUTSE
Université Nationale du Rwanda - Licence en Langue et Litterature francaise 2001
  

Disponible en mode multipage

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EPIGRAPHE

« Un écrivain africain qui essaie d'éviter les grands problèmes sociaux et politiques de l'Afrique contemporaine finira par manquer totalement d'à-propos comme cet homme absurde du proverbe qui laisse sa maison en flamme pour suivre un rat fuyant l'incendie »

(DJANGONE, N., « Chinua Achebe ou la recherche d'une esthétique negro-africaine »,

in Colloque sur la littérature et esthétique negro-africaine, NEA, Abidjan-Dakar, 1979, p. 2)

A mes regrettés parents,

A Valens, Virginie et Vérène,

A Cécile,

A vous aussi Christine,

Ce mémoire est dédié.

REMERCIEMENTS

Au terme de ce travail, qu'il nous soit permis d'exprimer ici notre profonde reconnaissance à tous ceux qui, scientifiquement ou moralement, ont contribué à son achèvement.

Nous tenons à remercier tout particulièrement le professeur Josias SEMUJANGA qui a accepté de diriger ce mémoire malgré ses multiples responsabilités. Sa rigueur scientifique, son dévouement, ses conseils judicieux ainsi que ses suggestions nous ont été d'une grande utilité pour la réalisation de cette étude.

Nos sincères remerciements s'adressent ensuite à tous les professeurs de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, département de langue et littérature françaises, pour la formation scientifique et humaine qu'ils nous ont donnée.

Nos remerciements vont également à Silidio HABIMANA, Jean Jacques SIBOMANA, Mariette MUREKATETE, Juvens KAREMANGINGO pour leur contribution de tout ordre.

Nous nous en voudrions enfin, si nous passions sous silence nos amis : Frédéric SEBARINDA et Védaste MBARUBUKEYE. Leur esprit fraternel, leur chaleur conviviale, leur sens social ont créé un climat de détente favorable à notre formation ainsi qu'à nos recherches.

Emmanuel NDUNGUTSE

SIGLES ET ABRÉVIATIONS UTILISÉS

V.D.  : La vie et demie

NEA  : Nouvelles Ecritures Africaines

PUF  : Presses Universitaires de France

Ed.  : Edition

Op. cit.  : Opere citato

UNR  : Université Nationale du Rwanda

TABLE DES MATIÈRES

Epigraphe i

Dédicace ii

Remerciements iii

Sigles et abréviations utilisés iv

Table des matières v

INTRODUCTION GENERALE 1

0.1. Etat de la question 1

0.2. Choix du sujet et sa motivation 5

0.3. Approche méthodologique 6

0.4. Division du travail 10

CHAP. I LA VIE ET DEMIE : UN ROMAN POLITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE 11

I.1 Introduction 11

I.2 L'oeuvre de l'auteur 11

I.3 Résumé de La vie et demie 12

I.4 La vie et demie et le thème du désenchantement 13

I.4.1 Les avatars de la dynastie des guides 15

I.4.1.1 La cruauté des guides 15

I.4.1.2 L'immoralité ou avatar moral 18

I.4.1.3 La corruption 22

I.4.1.4 Le détournement des fonds publics 24

I.4.1.5 La fantaisie 26

I.4.1.6 La trahison des guides et la déception du peuple 27

I.4.2 Le refus du pouvoir dictatorial 31

I.4.2.1 La révolte de Martial 31

I.4.2.2 Chaïdana 32

I.4.2.3 Le rôle des pistoletographes 34

I.4.3 La fin du pouvoir dictatorial 35

I.4.3.1 La division de la Katalamanasie 35

I.4.3.2 La guerre entre Katalamanasie et son territoire Darmellia 36

Conclusion partielle 37

CHAP. II DE L'HISTOIRE POLITIQUE AUX STRUCTURES NARRATIVES 39

II.0. Introduction 39

II.1 L'histoire dans La Vie et demie 40

II.1.1 Les parcours narratifs 40

II.1.2 Les personnages et leur caractérisation dans La Vie et demie 43

II.1.2.1 Le Guide Providentiel : Obramoussando Mbi 44

II.1.2.2 Martial 46

II.1.2.3 Chaïdana 48

II.1.2.4 Chaïdana - aux - gros - cheveux 50

II.1.2.5 Le docteur Tchi (Tchichialia) 51

II.1.2.6 Layisho 53

II.1.2.7 Henri-au-coeur-tendre 53

II.1.2.8 Jean Oscar-coeur-de-père 54

II.1.2.9 Patatra 55

II.1.2.10 Les trente Jean de la série C 56

II.1.3 L'intrigue 57

II.1.4 Du manichéisme narratif 59

II.2 Les structures narratives dans La vie et demie 60

II.2.1 L'univers temporel 60

II.2.2 L'univers spatial dans La Vie et demie 63

II.2.3 Le narrateur dans La Vie et demie 67

Conclusion partielle 70

CHAP. III ECRITURE REVOLUTIONNAIRE ET LA DYNAMIQUE DES GENRES DANS LA VIE ET DEMIE 72

III.0. Introduction 72

III.1 Ecriture 73

III.1.1 Sony Labou Tansi, son éducation et le français 73

III.1.2 Le style sonien dans La vie et demie 77

III.1.2.1 La parodie 77

III.1.2.2 L'ironie 79

III.1.2.3 L'animalisation humaine 80

III.1.3 Les figures de styles 81

III.1.3.1 La comparaison 81

III.1.3.2 La métaphore 82

III.1.3.3 La répétition 83

III.1.3.4 L'Euphémisme 84

III.1.3.5 La périphrase 85

III.1.3.6 La personnification 86

III.1.4 Les particularités lexicales 86

III.1.5 L'horreur et l'humour 88

III.2 La dynamique des genres dans La vie et demie 92

III.2.1 Le fantastique 92

III.2.2 Le conte 93

III.2.3 Les chroniques 94

Conclusion partielle 95

CONCLUSION GENERALE 96

BIBLIOGRAPHIE 99

INTRODUCTION GENERALE

0.1. Etat de la question

L'histoire de la production littéraire en Afrique révèle que l'une des préoccupations majeures aussi bien des écrivains que des critiques est celle de la liberté humaine. En effet, de la littérature orale à la littérature écrite, à travers tous les genres principaux comme la poésie, le récit, le théâtre et plus particulièrement le roman qui fait l'objet de notre étude, il est toujours question de la personne humaine, de ses rapports avec l'univers environnant. C'est donc une lutte continue contre les forces surnaturelles négatives et de son désir perpétuel d'un devenir historique positif.

Ainsi, comme nous le savons, avant l'avènement de la littérature écrite en Afrique, la littérature orale nous révèle le fonctionnement et le fondement moral de la société africaine précoloniale. Ce didactisme est basé sur l'enseignement des responsabilités de l'individu envers le groupe. Il s'agit donc, comme cela est très remarquable dans plusieurs productions romanesques africaines, de la prise de conscience des liens indissociables entre la survie de l'individu et celle du groupe à travers les concepts de la solidarité, du don de soi, du patriotisme, du respect mutuel, de la liberté du groupe et de la liberté individuelle.

Au moment où l'histoire africaine était caractérisée par le phénomène colonial, diverses productions littéraires africaines ont pris une autre orientation : il s'agit de lutter contre les méfaits de ce phénomène. K.Echemin nous en précise les objectifs en ces termes :

« pour ce phénomène colonial, il s'agit d'opposer un discours anti-assimilationniste et libérateur à la dépersonnalisation et à l'exploitation dues au fait colonial. Ainsi, Camara Laye dans son Enfant noir, affirme l'authenticité et la validité de la culture noire, luttant par conséquent contre son annihilation psychique et physique ; Mongo Beti dans ses romans Le pauvre Christ de Bomba, Mission terminée et Le Roi miraculé, révèle l'aspect fondamentalement mystificateur du discours colonial ».1(*)

De là, nous pouvons dire que la production littéraire en Afrique, réagissant aux réalités historiques et socio-économiques, affirme la nécessité du respect de la personne humaine, la reconnaissance de la différence et surtout l'exigence de la libération politique et économique comme condition préalable pour l'affirmation réelle de l'Africain.

Ainsi, après ce courant anti-colonialiste, vers les années 1960, la littérature africaine a continué le même combat, car comme l'indique Bernard Moularis : « La révolte contre le pouvoir colonial a fait place progressivement à partir de 1960 à une thématique de plus en plus centrée sur les nouveaux pouvoirs africains de l'Afrique indépendante. C'est d'un autre espace qu'il s'agit désormais, celui de la nation et d'un autre temps aussi, celui au cours duquel l'Afrique est entrée dans l'ère des soleils des indépendances »2(*).

En empruntant alors la voie du genre romanesque, car ce dernier s'avérait être le moyen le plus efficace pour véhiculer leur message, les élites ou tout simplement les romanciers ont pris la plume pour dénuder les maux dont souffrait le peuple africain depuis l'époque coloniale et qui continuaient à s'aggraver même au lendemain de ces « soleils des indépendances ». Jacques Chevrier l'explique clairement en ces termes :

« Les indépendances étaient porteuses d'espoir et pourtant la plupart des romans écrits et publiés après 1960 nous donnent à voir une image de l'Afrique singulièrement désespérée. Un peu partout, en effet, après un simulacre de démocratie, le pouvoir s'y manifeste sous les formes d'un totalitarisme qui ne fait aucun scrupule à réprimer, torturer, éliminer tous ceux qui tentent de l'entraver et qui, à défaut d'une adhésion populaire, tente de légitimer son action par un discours proliférant, véritable logorrhée que raillent la plupart des écrivains »3(*).

Ajoutons aussi que ces propos de Jacques Chevrier sont complétés dans ce même ordre d'idées par ceux de Lemotieu lorsqu'il résume fort bien au terme d'une étude sur « le statut des indépendances africaines dans le roman negro-africain » en disant :

« Bref, des indépendances problématiques et des héros problématiques. On est tenté d'ajouter que le roman negro-africain post-colonial est le reflet de la situation inconfortable du nègre problématique dans un monde aux lendemains peu rassurants. L'Afrique se rend compte que de la colonisation à l'indépendance, les changements effectués à grand renfort de publicité n'ont pas touché la structure profonde de la situation d'aliénation qui persiste sous d'autres formes. Le cercle de l'injustice et des aberrations tourne et charrie les mêmes excréments »4(*).

La production romanesque à partir des années 60 et bâtie donc essentiellement sur un objectif bien clair, celui de stigmatiser les tares des nouveaux pouvoirs installés sur le continent africain. Cette littérature est connue sous le nom de littérature de désenchantement ou de désillusion. Les écrivains de cette époque se font des porte-parole du peuple et accusent la nouvelle bourgeoisie d'abuser de la confiance de ses compatriotes. C'est ce que Sony Labou Tansi dira lui-même dans un entretien avec Daniel Maximin :

« Au début des années 60, pour les plus concernés d'entre nous [....] nous avions autre chose à offrir au monde que des grimaces et que notre douleur nous rachetait le droit d'être homme libre dans ce monde. Nous sommes des porteurs de liberté et si maintenant elle est confisquée par ce pouvoir concentrationnaire dont je parle, ce sont des phénomènes qui ne pourront pas survivre parce qu'on ne peut pas bien sûr confisquer l'histoire d'un peuple. Cela ne se fait pas. Si vous arrivez à Brazzaville, vous voyez que les gens ont ce qu'on peut appeler la liberté. Mais de mon point de vue, ce qui est réellement confisqué c'est la parole. Beaucoup de gens n'ont pas le droit à la parole alors qu'ils produisent à peu prés 80% de toutes les ressources du pays »5(*).

Dès lors, les romanciers se font compteurs des erreurs et dénoncent les multiples abus qui caractérisent certains Etats africains indépendants. La dictature, la tyrannie, la corruption, l'irresponsabilité et d'autres méfaits sont imposés au peuple qui s'attendait aux changements et à l'amélioration de sa condition de vie, mais hélas qui assiste à l'inconscience et à l'intolérance de ses guides.

Dès qu'on parle des guides, nous pensons directement au roman La Vie et demie dont il est question dans cette étude. La Vie et demie relate l'histoire des différents guides providentiels qui règnent à tour de rôle sur un pays fictif, la Katalamanasie, et qui a pour capitale Yourma. Le premier guide Obramoussando Mbi se heurte à une opposition que dirige Martial, et celui-ci a blessé la République d'une vingtaine de guerres civiles. Le guide parvient à mettre la main sur lui. Il le tue atrocement. Chaïdana, la fille de Martial venge son père en éliminant progressivement les grands du régime auquel elle sert du champagne-empoisonné après avoir couché avec eux. Sa fille Chaïdana- aux - gros -cheveux, devenue dans la suite Chaïdana - à - la - grosse - viande passe une décennie chez les pygmées. Après cette période, elle revient et conquiert Yourma avec son sexe.

Au cours cette étude, il s'agit de voir si ce roman prolonge réellement le thème du désenchantement comme le dit Cécile Lebon : « Sony Labou Tansi écrivait pour dénoncer des inepties, les absurdités des pouvoirs dictatoriaux, ce qu'il appelle lui-même les mochetés ou les fatigues de certaines réalités africaines »6(*).

Dans cette étude, il est question d'analyser le roman et de vérifier si La Vie et demie serait un roman révolutionnaire, un roman qui traite de politique. Et si, la réponse à ces interrogations est affirmative, il y a lieu de se demander si ce choix du thème est en rapport avec les structures narratives et le style. C'est pour cette raison que nous allons interroger le texte, analyser les différents niveaux d'expression qu'offre ce texte pour en dégager des interprétations.

0.2. Choix du sujet et sa motivation

Le choix de notre sujet n'a pas été un coup de hasard. Il a été essentiellement motivé par divers questionnements au sujet desquels les éclaircissements sont nécessaires.

De prime abord, notre choix s'explique par le simple goût que nous affichons pour la production littéraire et l'engagement politique de Sony Labou Tansi. Nous abondons dans le même sens qu'Arniel Denis selon qui : « parler d'un auteur, c'est reconnaître que cet auteur mérite qu'on en parle ; c'est non seulement affirmer son goût pour lui, mais aussi combattre pour qu'on lui reconnaisse la place qu'il mérite »7(*).

Ainsi, Sony Labou Tansi, romancier congolais, est très connu et classé parmi les grands romanciers africains de la deuxième génération. Sa thématique et sa production n'ont cessé de surprendre lecteurs et critiques. Quant à son oeuvre, elle embrasse plusieurs genres littéraires : la poésie, la nouvelle, le théâtre et le roman.

Sony Labou Tansi est connu pour sa composition rapide. Selon Cécile LEBON : « Sony Labou Tansi [....] depuis 1979, date de la publication de La vie et demie et de la création du « Rocade zulu Théâtre », n'a cessé d'enrichir son oeuvre de poète, de romancier et de dramaturge »8(*). Dans ce même ordre d'idées, Daniel Maximin dit que :

« La parole qui devait se perdre dans la forêt vierge et voilà maintenant cette parole prend signes et s'inscrit sur les pages qui deviennent des livres [....]. Je ne pense pas que Sony puisse rester un moment sans prendre un crayon et se mettre à écrire [....]. Son débit est à l'égal du fleuve »9(*).

Marie-Noëlle Vibert, elle aussi, est surprise par l'écriture abondante et étonnante de Sony lorsqu'elle dit : « Sony Labou Tansi se mettait au monde par l'écriture. Ecrire c'était pour lui se trouver, se créer lui-même sans le geste de la création, lutter contre le silence, le vide, la mort [...]. C'est pourquoi peut-être il écrivait sans cesse, en tous lieux, en toutes circonstances. Gravement malade, sur son lit d'hôpital il écrivait encore10(*) ».

En dehors de ces considérations intéressantes portées à l'endroit de Sony Labou Tansi, une grande attention qui a aussi motivé notre choix, a été l'avertissement de Sony Labou Tansi à ses lecteurs dans La Vie et demie :

« La vie et demie, ça s'appelle par étourderie, Oui, Moi qui inaugure l'absurdité du désespoir - d'où voulez - vous que je parle si non du dehors ? A, une époque où l'homme est plus que jamais résolu à tuer la vie, comment voulez-vous que je parle ? J'ose renvoyer le monde entier à l'espoir et comme l'espoir peut provoquer des sautes de viande, j'ai cruellement choisi de paraître comme une seconde version de l'humain - pas la dernière bien entendu - pas la meilleure - simplement la différente. [...] Et, comme dit Ionesco, je n'enseigne pas, j'invente. J'invente un poste de peur en ce vaste monde qui fout le camp. A ceux qui cherchent un auteur engagé, je propose un homme engageant [...] » (VD : 9).

Il s'agit donc de voir au cours de cette étude de quel engagement parle Sony Labou Tansi.

0.3. Approche méthodologique

Dans le but d'analyser la dimension artistique et esthétique d'une oeuvre littéraire en général et d'un roman en particulier, plusieurs méthodes et techniques ont été mises sur pied par les critiques de domaines différents. Nous signalons ici à titre d'exemple les méthodes en rapport avec la sociocritique et l'analyse du discours avec le social, les méthodes qui décrivent le texte en relation avec les autres textes comme l'intertexualité, la méthode thématique qui s'appuie sur le texte, vecteur du message ou les théories structuralistes.

Cependant, toutes ces méthodes et procédés utilisés pour l'analyse d'une oeuvre littéraire ou d'un roman pour le cas qui nous concerne, diffèrent principalement de leurs postulats méthodologiques sans oublier les problèmes spécifiques soulevés par celles-ci. Retenons alors avec Tzevetan Todorov que : « ce qui existe, d'abord c'est le texte, rien que lui, ce n'est qu'en le soumettant à un type particulier de lecture que nous construisons, à partir de lui, un univers imaginaire [....], le roman n'imite pas la réalité, il la crée »11(*). Josias SEMUJANGA, de son côté, affirme que « l'écriture romanesque se nourrit de l'histoire en adoptant le mélange des genres artistiques dont certains attributs sont rentabilisés et recyclés par l'énonciation romanesque »12(*). Etant donné la nature de notre sujet, on se rend compte tout de suite que la critique sociocritique, se prête mieux à cette étude. Enfin, en étudiant le style, les personnages, l'organisation du temps et de l'espace, donc l'écriture en général, nous allons recourir aux théories structuralistes.

0.3.1. De la sociocritique

L'étude sociocritique garde une place prépondérante dans des recherches littéraires qui s'effectuent aujourd'hui. C'est une critique qui étudie les relations existant entre une oeuvre littéraire et la société de l'auteur. Elle fait une réflexion sur les manières de penser et de se comporter des hommes de cette même société mais dans la fiction romanesque. Claude Duchet13(*) précise que l'intention et la stratégie de la sociocritique sont de restituer au texte sa teneur sociale car comme l'affirme Josias Semujanga :

« Le texte romanesque étant d'abord et avant tout un ensemble de faits linguistiques, se trouve par conséquent porteur de faits sociaux et culturels, [...] ainsi relevant du culturel, le discours romanesque devient explicatif du social dans le sens le plus large, incluant le politique, le religieux et l'idéologie »14(*).

Il est évident que la sociocritique fait une analyse de la conscience des hommes d'une société, de leurs structures, et de leurs fonctions dans leur vie quotidienne à travers une oeuvre littéraire où elles se trouvent transposées. De son côté, Straton Rurangirwa précise que la sociocritique « recherche la compréhension de la façon dont un texte s'insère dans les représentations sociales et dans les visions du monde qui lui sont contemporaines »15(*).

Ainsi, comme nous le remarquons, la sociocritique consiste en une étude mettant en évidence la véritable place à accorder au groupe social dans la création littéraire. Ceci veut dire que tout au long de cette analyse, il s'agit de déterminer les rapports existant entre une oeuvre qui se présente comme un produit social et la société humaine avec laquelle elle entre en jeu. Sur ce point, concernant toute production littéraire en général et le roman en particulier, Lucien Goldman affirme que :

« La forme romanesque nous paraît être en effet, la transposition sur le plan littéraire de la vie quotidienne dans la société individualiste née de la production pour le marché. Il existe une homologie rigoureuse entre la forme littéraire du roman [....] et la relation quotidienne des hommes avec les biens en général et par extension des hommes avec les autres hommes dans une société »16(*).

Partant de cette homologie entre l'écriture et le social, force est de constater que l'étude sociocritique renvoie à un ensemble de recherches partant du fait que la société est un sujet de création littéraire, pour dire que la société est indissociable de la production littéraire. La société offre une trame à la littérature que cette dernière doit consommer et produire. A titre illustratif, la société africaine d'après l'indépendance où nous plaçons le roman La Vie et demie était marquée par l'autoritarisme, le népotisme, la dictature et par beaucoup d'autres maux qui caractérisaient la classe au pouvoir. Le peuple africain s'attendait à une vie beaucoup plus aisée, mais leur rêve allait s'estomper pour laisser place à la misère. De ce fait, la production littéraire de cette génération se reconnaît par : « la dénonciation des injustices, des inégalités, de la démagogie, de la tyrannie, du gaspillage,... et de bien d'autres fléaux »17(*) qui sont l'apanage de la classe au pouvoir.

Cependant, même s'il y a une homologie entre la société et la production littéraire, le roman n'est pas une photocopie conforme à l'original de la société productrice. L'homologie dont nous parlons ici, dans l'analyse sociocritique, est une homologie des structures comme le dit Bernard Valette : « Le principe avoué est celui d'une homologie entre les superstructures culturelles et les infrastructures socio-économiques ou politiques. Le roman serait ainsi une des formes d'inscription imaginaires de la réalité sociale ou institutionnelle voire des appareils idéologiques d'Etat »18(*).

Dans le but de comprendre ce qui vient d'être dit, il est à noter trois éléments essentiels et nécessaires pour la sociocritique : la société du roman, la société de référence et le hors-texte.

Par société du roman, en paraphrasant Claude Duchet, nous entendons cet espace qui, dans un roman est couvert de diegèse, dans lequel évolue l'action des personnages et d'où l'on entend la voix du narrateur. Ainsi le roman produit sa propre société. Cette société est définie dans l'espace et dans le temps diégétiques.

C'est une société fictive qui existe seulement dans le roman. Mais cette société, bien qu'elle soit fictive, elle renvoie par ses structures à une certaine réalité sociale extra-textuelle. La société du roman, sans pour autant être une photocopie d'une société quelconque, présuppose une société de référence, puisque nous voyons apparaître des grandes structures sociales telles que l'organisation de la société, la religion, la culture, la tradition, le pouvoir politique. C'est la société perçue par l'écrivain selon son imagination ou sa vision du monde.

Un autre élément à ne pas négliger dans la sociocritique est le hors-texte c'est-à-dire les éléments cités par le roman notamment les faits historiques, les dates, les toponymes, les anthroponymes, les zoonymes, les hydronymes et d'autres codes sociaux comme la manière de se vêtir, la manière de parler, de manger, la connotation de certains mots et bien d'autres. Ce hors-texte a un rôle bien défini : établir les rapports de la société du roman ou tout simplement la société du texte avec la société de référence grâce à l'évocation des lieux, des faits historiques et sociaux.

Nous voyons donc en définitive que la méthode sociocritique permet d'éviter la tentation de vouloir traiter l'oeuvre de fiction comme un simple miroir du réel où l'on doit s'arrêter à un constat de fidélité ou d'infidélité au réel. Cette méthode permet plutôt de montrer comment l'écriture retravaille le social, c'est-à-dire qu'entre le texte et le social, il y a une médiation qui est considérée comme un discours. Le discours dans le récit inscrit la société de référence dans la matière du texte. La sociocritique consiste alors à repérer, à identifier, à localiser tout ce qui, dans le texte, fait écho au discours social de la société de référence, ce qui oblige à dire que l'écriture littéraire est une transformation de ce déjà-là social.

0.4. Division du travail

Notre travail s'articule autour de trois chapitres, en plus de l'introduction générale qui réfléchit sur le sujet et la méthodologie et de la conclusion générale qui constitue la synthèse des résultants.

Le premier chapitre s'intitule « LA VIE ET DEMIE : UN ROMAN POLITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE » et consistera à présenter ce roman, à relever ce qui constitue son caractère politique et à en faire une critique. Il s'agira de dénicher les divers maux que subit le peuple Katalamanasien, allégorie de tout peuple africain, au cours des différents règnes des guides providentiels qui se sont succédé à la tête de la Katalamanasie.

Dans le deuxième chapitre intitulé : « DE L'HISTOIRE POLITIQUE AUX STRUCTURES NARRATIVES », nous tâcherons de montrer comment la rupture politique a permis la rupture discursive et narrative. Il sera question de présenter les parcours narratifs, les différents personnages qui interviennent sans pour autant oublier l'univers spatio-temporel dans lequel l'histoire politique est racontée au lecteur.

Le troisième chapitre : « ECRITURE REVOLUTIONNAIRE ET LA DYNAMIQUE DES GENRES DANS LA VIE ET DEMIE » portera sur l'analyse du mode d'écriture. Nous nous efforcerons, dans ce chapitre, d'interroger le texte du point de vue scriptural pour mettre un accent particulier sur le caractère novateur que nous y trouvons. Il sera aussi question de voir comment Sony revêt ce caractère d'innovation par le fait qu'il semble renoncer au beau style déjà existant, souvent par une grande faculté d'invention du point de vue stylistique et lexical propre aux thèmes et l'imbrication des genres que nous trouvons ici et là dans le roman.

CHAP. I LA VIE ET DEMIE : UN ROMAN POLITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE

I.1 Introduction

De prime abord, nous nous proposons de présenter La vie et demie. Ensuite, nous analysons l'aspect politique du roman. Il s'agit ici de mettre en évidence tous les maux que subit le peuple Katalamanasien, l'allégorie de tout peuple africain, du règne du premier guide providentiel Obramoussando Mbi à celui du dernier. Nous ne passerons pas sous silence l'opposition que dirige Martial, laquelle va bénéficier du consentement de tout le peuple opprimé et déçu par le pouvoir totalitaire des guides.

I.2 L'oeuvre de l'auteur

L'oeuvre de Sony Labou Tansi et riche, importante et florissante. En effet, comme nous l'avons mentionné sommairement, il faut dire qu'il excelle dans les quatre genres majeurs de la littérature écrite, à savoir le roman, la nouvelle, la poésie et le théâtre. Il a écrit :

- Conscience de tracteur (théâtre), NEA/CRE, Dakar, Yaoundé, 1979

- Le Malentendu (Nouvelle), RFI, ACCT, Paris, 1973

- La Vie et demie (roman) Paris, Seuil, 1979

- Lèse-majesté (Nouvelle) Paris, RFI ACCT, 1982

- La coutume d'être fou (théâtre) Paris, RFI, ACCT, 1980

- Je soussigné cardiaque (théâtre), Paris, Hatier, Coll. « monde noir-poche », 1981

- La parenthèse de sang (théâtre), Paris, Hatier, coll. « monde noir-poche », 1981

- L'Etat honteux (roman), Paris, Seuil, 1981

- L'Ante-peuple (roman), Paris, Seuil, 1983

- Les sept solitudes de Lorsa Lopes (roman), Paris, Seuil, 1983

- Le commencement des douleurs (roman), Seuil, 1995

- Poèmes et Vents lisses, Paris, Ed. le bruit des autres, 1995

I.3 Résumé de La vie et demie

L'histoire de La vie et demie se situe quelque part sur le continent africain. On est en Katalamanasie, pays imaginaire d'Afrique ayant pour capitale Yourma. La vie et demie s'ouvre sur l'exécution barbare de Martial et s'enchaîne sur des meurtres sans fin. Martial résiste, mais de quelle façon ! Un couteau de cuisine, un revolver, deux chargeurs de pistolet mitrailleur, un sabre, divers poisons mêlés au champagne ne parviendront pas à en finir avec lui, car Martial ne veut pas mourir de cette mort.

Dès lors, son ombre restera, au-delà du corps et marquera les choses et les êtres de son empreinte indélébile. De génération en génération des « Guides providentiels », sa fille Chaïdana, poursuivra la lutte en se prostituant avec les dignitaires du régime, les tuant les uns après les autres. Elle tue successivement les ministres et les officiers du régime qu'il invitait dans sa chambre n° 38 de l'hôtel « La vie et demie ».

Le Guide providentiel a beau créer des expéditions chargées de mettre la main sur cette fille mettant à mort grâce à son sexe et au champagne. Chaïdana demeure insoupçonnée et insaisissable grâce à sa ruse de falsifier les pièces d'identité qu'elle porte sur elle. Avant de mourir, elle met au monde des triplets : deux garçons et une fille qui naissent de la « gifle intérieure » qu'elle reçut de son père Martial. La gifle intérieure est la façon dont Martial viole sa fille étant endormie. Les deux garçons moururent très tôt. Seule restait Chaïdana qui, grâce à sa beauté de fée, ne tarda pas à attirer les grands monarques de la Katalamanasie.

Son union avec Jean Oscar-Coeur-de père donna un fils du nom de Patatra. Chaïdana - aux - gros cheveux devenue ensuite Chaïdana - à - la grosse - viande fut chassée par son maître de Katalamanasie et se fixa au Darmellia, son pays d'origine. Patatra qui avait succédé à son père ayant comme nom de règne Jean-Coeur-de Pierre donnant naissance à une génération de deux milles Jean, trente d'entre eux rejoignirent leur grand-mère au Darmellia et s'y installèrent. Ils travaillèrent durement pour développer leur pays. Le Darmellia connut alors une prospérité dans plusieurs domaines. Les Katalamanasiens n'en furent pas contents, ce qui poussa d'ailleurs le guide qui régnait en ce moment là à déclarer la guerre au Darmellia en vue de l'annexer à la Katalamanasie s'appuyant sur ses troupes nombreuses et d'autres en provenance de la puissance étrangère qui fournissait les guides. La Katalamanasie n'essuya que des échecs retentissants sur tous les fronts. La ville de Yourma qui avait changé de nom et devenu Félix-ville fut incendiée par Jean Calcium. Les habitants, les animaux et les plantes furent carbonisés. La guerre devait se terminer par la destruction de la ville de Yourma et la chute totale de la dictature de la Katalamanasie.

La Vie et demie commence par la guerre et se clôt par la guerre, c'est-à-dire que l'histoire recommence à zéro.

I.4 La vie et demie et le thème du désenchantement

Dès la période des indépendances, les romanciers africains d'expression française, dits de la deuxième génération, se sont orientés vers une thématique bien claire : il s'agit du désenchantement. Dans ces romans, ce n'est plus le colonisateur qui est attaqué comme c'était le cas dans ceux de la première génération, mais les nouveaux maîtres de l'Afrique. La production romanesque est donc marquée par la protestation mais celle-ci ne s'adressant plus au colonisateur, mais à l'homme africain qui a pris le relais de l'ex-colonisateur ne se montrant d'ailleurs pas meilleur que lui, mais parfois pire que lui. Cette thématique gagne du terrain chez les romanciers de cette période, car, comme l'affirme Célestin Bizimungu, toutes les critiques

« s'accordent pour reconnaître une thématique récurrente et dominante dans la production romanesque des écrivains négro-africains de la période post-coloniale : il s'agit du thème de désenchantement. L'attitude des nouveaux dirigeants déçoit le peuple. Au lieu de répondre positivement à ses attentes, ceux qui détiennent le pouvoir recherchent avant tout leurs intérêts. Les indépendances acquises après un dur combat profitent à une poignée de gens qui prennent la place de l'ancien colonisateur et oppriment scandaleusement leurs frères »19(*).

Ainsi, les romanciers de la deuxième génération prennent pour cible la classe dirigeante et ses abus dans différents états issus des indépendances, comme le résume Bernard Mouralis :

« Un des traits les plus marquants dans l'évolution littéraire de la production littéraire africaine est sans aucun doute l'intérêt croissant que les écrivains et notamment les romanciers portent, depuis le début des années 60, à la question des nouveaux pouvoirs indépendants [...] Cette évolution a abouti à un renouvellement significatif du cadre spatio-temporel qui caractérisait jusqu'alors la vision du monde des écrivains. A un regard qui opposait l'Afrique d'avant la colonisation s'est substituée une perspective opposant désormais l'Afrique d'après l'indépendance et qui cherche à cerner la genèse et la signification de ce phénomène politique complexe qui se développe à partir de 1960 »20(*).

Nous sommes donc devant les romanciers politiquement engagés qui veulent se faire des porte-parole du peuple et qui accusent la nouvelle bourgeoisie d'abuser de la confiance de ses compatriotes.

Ces écrivains abondent, en effet, dans l'idée d'Aimé Césaire lorsqu'il disait : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de boucle, ma voix la liberté de ceux qui s'affaissent au cachot du désespoir »21(*).

En somme, par une lecture profonde et attentive, La vie et demie, prolonge le roman du désenchantement. Il décrit et dénonce les multiples abus qui caractérisent quelques Etats africains en général, et la Katalamanasie, en particulier. Les thèmes qui y sont développés montrent clairement qu'il s'agit du roman de désenchantement. Il décrit les méfaits causés en grande partie par la médiocrité et la tyrannie de certains chefs d'Etat. C'est ce que nous allons essayer de démontrer tout au long de cette étude. Nous commençons par montrer les avatars de la dynastie des guides, entre autres la cruauté des guides, leur immoralité, la corruption, le détournement des fonds publics et leur fantaisie. Par après nous allons voir comment le peuple se révolte contre ce pouvoir dictatorial et oppressif des guides providentiels en jetant aussi un coup d'oeil sur sa fin.

I.4.1 Les avatars de la dynastie des guides

A lire attentivement le roman, La vie et demie expose au lecteur une société remplie d'abus et d'avatars d'un pouvoir tyrannique. Tout au long du roman, ces avatars se résument en une sorte de cruauté des guides, d'immoralité, de corruption, de détournement de fonds publics, de fantaisie. A côté de tout cela, on assiste à une description du peuple déçu par ses guides qui est d'ailleurs, comme nous l'avons dit, l'allégorie de tous les peuples africains.

I.4.1.1 La cruauté des guides

La tyrannie ou le pouvoir politique de la Katalamanasie est marquée par la succession des guides caractérisés non seulement par le pouvoir totalitaire, mais aussi par la terreur, la cruauté souvent remplie de cynisme exacerbé. A travers ce roman, la cruauté cynique des guides réside dans leur façon de ne pas donner directement la mort à leurs victimes. Ils les soumettent d'abord à une souffrance lente et excessive avant de les envoyer à une mort atroce. La vie et demie s'ouvre sur un de ce cynisme exagéré, exercé sur Martial.

« Le Guide providentiel enfonça le couteau de table dans l'un puis dans l'autre oeil, il en sortit une gelée noirâtre qui coulait sur les joues et dont les deux larmes rejoignirent dans la plaie de la gorge, la loque-père continuait à respirer comme l'homme qui vient de finir l'acte.

Maintenant qu'est-ce que tu attends ? [...]

Je ne veux pas mourir cette mort [...]

Alors le Guide Providentiel s'empara du revolver [...] l'arma et en porta le canon à l'oreille gauche de la loque-père, les balles sortirent toutes par l'oreille droite avant d'aller se fracasser contre le mur [...].

La colère du Guide Providentiel monta [...] puis revint vers l'homme [...] Quelle mort veut-tu mourir, Martial [...] Celle-ci Martial ? Il tira un chargeur en répétant nerveusement « celle-ci » ? Il tira un deuxième chargeur à l'endroit exact où il devinait le coeur de la loque-père » (V.D. : 13-14).

Ce sadisme du Guide Providentiel qui éprouve d'une grande joie en tuant Martial, s'accompagne de l'obligation exercée sur la famille de son opposant de manger sa chair : « vous allez me bouffer ça, dit-il [...] il ordonna qu'on vînt prendre la termitière et qu'on en fit moitié pâté et moitié daube bien cuisiné pour le repas du lendemain midi » (V.D. : 16). Martial n'est pas le seul à subir ce coup sadique parce que toute sa famille est éliminée c'est-à-dire ses sept enfants et sa femme ; il ne reste que Chaïdana, âgée de quinze ans.

La cruauté des guides ne frappe pas seulement leur opposant car le guide Obramousando Mbi tue son cartomancien Pueblo quand il lui interdit de se coucher avec Chaïdana de peur que son père Martial ne puisse revenir : « Le Guide Providentiel lui sauta à la gorge, il serra tellement fort que les os se brisèrent, les yeux de Kassar Pueblo sortirent entièrement des orbites et pleuraient rouge » (V.D. : 25).

Tout au long du roman, les guides se montrent injustes, cruelles, déraisonnables, immorales, tyranniques. Ils exécutent sans merci leurs sujets, qu'ils soient coupables ou non. Les scènes de torture et de cruauté sont nombreuses. Le Guide Providentiel part d'une petite chose, d'un moindre soupçon pour tuer, pour torturer. Le temps qu'a duré la dynastie des guides providentiels permet de dresser un long bilan de pertes en vies humaines. Le guide providentiel se sert de plusieurs moyens pour faire souffrir ses victimes. Avec son couteau de table, son revolver, et divers poisons, il se joue de ses victimes et les tue après leur avoir fait endurer plusieurs épreuves. Le martyre de tous ceux qui comparaissent devant le guide providentiel dans son palais présidentiel rappelle celui du Christ. En effet, chaque fois qu'un des condamnés est introduit chez lui, nous attendons dire par la personne qui l'accompagne « Voici l'homme », le fameux ecce homo prononcé par Pilate.

Dans la République Katalamanasienne, le Guide Providentiel revêt un caractère de cannibale, car c'est avec le couteau utilisé pour couper sa viande achetée aux « Quatre saisons » qu'il torture ses victimes.

« S'approchant des neuf loques humaines que le lieutenant avait poussées devant lui en criant son « voici l'homme », le guide providentiel eut un sourire très simple avant de venir enfoncer le couteau de table qui lui servait à déchirer un grand morceau de la viande vendue aux quatre saisons, le plus grand magasin de la capitale, d'ailleurs réservée aux gouvernements. La loque-père sourcillait tandis que le fer disparaissait lentement dans sa gorge. Le guide providentiel retira le couteau de table et s'en retourna à sa viande de « quatre saisons » qu'il coupa et mangea avec le même couteau ensanglante. Le sang coulait à flots silencieux de la gorge de la loque-père, les quatre loques-filles, les trois loques-fils et la loque-mère n'eurent aucun geste, parce qu'on les avait liés comme la paille, mais aussi et surtout parce que la douleur avait tué leurs serfs » (V.D. : 12).

Une lecture encore poussée de La Vie et demie montre que le guide providentiel n'est jamais fatigué dans son acte ignoble d'exterminer son peuple. Sa tyrannie absurde transforme le territoire en un véritable abattoir. A cause de son sadisme poussé à l'extrême, il n'hésite même pas à tuer ceux qui sont chargés de sa sécurité personnelle. En effet, au cours de multiples apparitions de Martial, le Guide Providentiel saisi d'une peur prenait son pistolet mitrailleur et balayait tout ce qui était à sa portée, hommes et objets confondus. Comme cette scène où il tua ses propres gardes provoquait toujours des querelles, il donna des explications vaines et mensongères comme quoi c'était Martial qui était l'auteur du meurtre. Après la mort de Kassar Pueblo, le cartomancien du guide et celle du docteur Tchi qui avait aidé Chaïdana à s'évader, le Guide Providentiel se retournait vers les autorités gouvernementales. C'est ainsi qu'il fit fusiller le ministre de la défense accusé injustement de haute trahison.

Le Guide Providentiel Obramousando Mbi est remplacé par plusieurs autres guides qui se succèdent à un rythme rapide mais qui n'apportent aucun changement. Ils continuent eux aussi à exercer la dictature, la tyrannie, la violence et beaucoup d'autres actes inhumains.

En somme, la société Katalamanasienne est un monde où la vie ne vaut pas la peine d'être vécue et où la loi du plus fort, qui est toujours la meilleure, est en pratique. Le peuple est une proie du guide et d'autres personnalités influentes du régime et vit dans une perpétuelle terreur. Ceux qui réclament leurs droits sont exécutés comme ce fut le cas des étudiants de l'Université de Yourma qui protestaient contre les politisations inconditionnelles des diplômes. Tous les trois mille quatre-vingt-douze étudiants sont tués sur l'ordre du guide Henri-au-coeur-tendre. La vie et demie met devant nous une société où le sadisme des guides dépasse la mesure et où le peuple se demande le sens de la vie dans le pays où les hommes s'entretuent. A côté de ces cruautés des guides s'ajoute une autre préoccupation seulement sur les femmes que nous qualifierons d'immoralité.

I.4.1.2 L'immoralité ou avatar moral

Dans La vie et demie, la cruauté des guides et le sexe sont des éléments importants et interdépendants. Les guides, après leurs actes ignobles, se divertissent en faisant des actes sexuels avec les plus belles filles de la Katalamanasie. Ces guides participent à la trivialité et à la sexualité. Ils sont des vrais assoiffés insatiables et se livrent aux réjouissances sexuelles. De là, tout le roman est rempli de scènes de sexualité des guides comme si c'était une préoccupation de leur pouvoir. Cette virilité sexuelle des guides est commentée par le narrateur en ces termes :

« [] et quand les reins du guide avaient posé leur problème, on remplaçait les peaux collantes directes par les êtres du sexe d'en face, les gardes assistaient alors aux vertigineuses élucubrations charnelles du Guide Providentiel exécutant sans cesse leur éternel va-et-vient en fond sonore aux clapotements fougueux des chairs dilatées » (V.D. : 20).

Cette façon du Guide Obramoussando Mbi d'offrir un tel spectacle à ses gardes fait que la pratique sexuelle se propage dans tout le pays. Les gardes et d'autres militaires qui sont chargés d'assurer la sécurité à l'intérieur en profitent pour engrosser les femmes et les filles en désordre et souvent par force. Cette pratique allait se généraliser dans tout le pays et donner lieu à la naissance de beaucoup de bâtards et d'enfants de pères inconnus.

La sexualité exagérée des guides va s'étendre à toutes les couches administratives à commencer par les ministres. Ainsi chaque bureau du ministre était aménagé de telle façon que le ministre avait une chambre à part où il s'entretenait à huis clos avec les filles. Par conséquent, chaque fille qui passait au bureau de tel ou tel ministre pour demander l'une ou l'autre information, devait impérativement être reçue par le ministre et le secrétariat était au courant de tout ça. Les filles en profitent pour trouver de l'emploi car l'acte sexuel est légitimé et c'est un amusement de tous les dirigeants, une des tâches importantes qui leur sont confiées.

Cependant, dans la Vie et demie, la puissance sexuelle du Guide Providentiel se dégrade un peu plus tard en voulant se marier avec Chaïdana. Le jour du mariage il attrape une impuissance sexuelle temporelle et préfère enfoncer sa tête dans les cuisses de Chaïdana ne fut-ce que pour goûter l'odeur qui s'en dégageait, qui, d'après lui était vitale. Ceci se fait après des longs préparatifs en buvant des boissons alcoolisées et en prenant des régimes spéciaux pour impressionner Chaïdana.

« Au troisième chant du coq, le Guide Providentiel déclara que les huit jours de noces qui allaient se lever seraient chômés et payés sur toute l'étendue de son pays [...] Il fit mettre tous les serviteurs du palais dans les vérandas et demanda qu'on fermât les portes de fenêtres [...] Dans sa chambre, le guide providentiel eut une écoeurante surprise. Il avait laissé tous ses habits devant la porte verte, il voulait impressionner son épouse par son corps broussailleux comme celui d'un vieux gorille et par son énorme machine de procréation taillée à la manière de celle des gens de son clan et boutonnant sous de vastes cicatrices artistiquement disposées en grappes géométriques. Il bandait tropicalement, mais sur le lit où il s'était tropicalement jeté, ses yeux encore embués de vapeur de champagne providentiel, ses premières caresses rencontrèrent non le corps formel de sa femme, mais simplement le haut du corps de Martial saignant noir et frais sur son linge de noces [...] Chaïdana attendait, mais dès que le Guide Providentiel la touchait, le haut du corps remplissait les yeux du Guide [...] Il en devenait impuissant sur le coup » (V.D. : 54-56).

Cette scène de l'impuissance du guide est radiodiffusée et télévisée.

Par ailleurs, dans tout le roman, la sexualité n'est pas seulement l'apanage des guides, elle frappe aussi les autres habitants du royaume de Katalamanasie en commençant par des opposants du pouvoir. Chaïdana en est un bel exemple. La chambre n° 38 de l'hôtel La vie et demie est bel et bien un terrain très fertile de prostitution. Chaïdana s'y installe pour venger son père et se prostitue aux dignitaires de la Katalamanasie c'est-à-dire les ministres, les militaires et les autres hauts fonctionnaires du pays. Tous ceux-ci sont morts pour avoir couché avec Chaïdana.

Profitant de sa beauté, Chaïdana cherche d'abord à séduire les ministres et à leur rendre visite dans leurs bureaux. Elle profite de l'occasion pour présenter son invitation qui est reçue positivement.

Dans la chambre n° 38 de l'hôtel « La vie et demie », Chaïdana offre à ses visiteurs du « Champagne Chaïdana » après l'acte sexuel. Ces dignitaires meurent par après et personne ne découvre qu'il s'agit du vin empoisonné.

« En deux ans, Chaïdana avait servi du champagne à trente hauts personnages de la tragédie Katalamanasienne. On commença à parler d'une épidémie, mais puisque l'épidémie, si épidémie il y avait ne frappait que les membres de la dictature katalamanasienne, on conclut à l'étranger que cela ne pouvait être qu'une des méthodes tropicales par lesquelles les Guides Providentiels avait remplacé les élections souvent trop coûteuses en république communautariste de Katalamanasie, méthodes moins tempérées, mais finalement plus rapide pour changer les membres de son gouvernement » (V.D. : 61-62).

Ainsi, l'acte sexuel accompli par Chaïdana n'est point un fruit semé dans le désert, car sa fille Chaïdana-aux-gros-cheveux va perpétuer le métier de sa mère. Dans son existence, elle se fixe pour ambition de conquérir Yourma. Ses armes sont son sexe et sa beauté extraordinaire. Le premier bénéficiaire de son entreprise est le chef de l'Etat de Katalamanasie qui devient son époux. Un peu plus tard, elle mettra au monde un fils qui deviendra président de la république.

Dans La vie et demie de Sony Labou Tansi, la sexualité ou tout simplement l'immoralité gagne un terrain vaste et devient une affaire de tout le monde, même des prêtres. Ces derniers, eux aussi, s'accouplent avec les femmes et savent souvent leur plaire ; Chaïdana-aux-gros-cheveux en est un exemple typique.

« Cette nuit-là, elle rentrait d'une longue promenade et la fatigue roulait ses muscles. Elle avait ouvert la fenêtre après le bruit et fut surprise de voir Monsieur l'Abbé [...] Merveilleuse nuit, elle reçut d'adorables décharges de chaleurs dans les reins - six fois, elle avait crié le ho-hi-hi-ho final avant de commencer une véritable rafale de ho-hou-la-hé-, Monsieur l'abbé était un mal incomparable [...] Sir Amanazavon était un zéro sexuel tout rond. Elle l'avait gardé au lit tout le lendemain et ne l'avait lâché que le soir vers l'heure de dîner » (V.D. : 117-118).

En lisant attentivement le roman, nous remarquons que l'immoralité sexuelle est poussée à l'extrême jusqu'à ce qu'on puisse penser à une bestialité notoire. Les hommes s'accouplent avec les femmes avec une puissance rare chez les humains. Dans La vie et demie, Jean-coeur-de-pierre a une capacité comparable à celle des animaux. Celui-ci est capable de féconder toutes les femmes du pays. La preuve en est qu'il réussit à satisfaire cinquante jeunes vierges recrutées dans tout le pays. La scène est télévisée et radiodiffusée pour montrer sa capacité sexuelle :

« L'amusement et le plaisir étaient le propre même de l'être de Jean - coeur - de - pierre [...] Pour s'amuser Jean - coeur - de pierre instaura la nuit de l'opinion, celle 24 décembre où les tracts pouvait se jeter à volonté [...]. A cette époque, Jean - coeur - de - pierre prétendit que son père lui était apparu et lui avait donné des instructions sur sa progéniture. On avait préparé cinquante lits dans l'une des trois milles chambres du palais de Miroirs [...] C'était dans la chambre rouge, la seule du palais des Miroirs qui ne fut pas bleue [...] On fit entrer cinquante vierges choisies parmi les plus belles du pays. Fraîchement baignées, massées, parfumées [...] On déshabilla les vierges, on les coucha sur le lit dont le numéro 1 correspondait à celui écrit sur le ventre juste au-dessus du nombril. Le guide portait numéro 1, les vierges étaient numérotées de 2 à 51. Jean - coeur - de - pierre [...] accomplit son premier tour de lit en trois heures vingt-six minutes et douze secondes » (V.D. : 146-148).

Le côté bestial se trouvant dans La vie et demie se manifeste aussi par le viol, consommé par trois cent soixante-trois jeunes miliciens, avec Chaïdana. Ces miliciens la laissent évanouie :

« Après le pont du chemin de fer, Chaïdana s'était dirigée vers le fleuve, avec la ferme résolution de gagner sa deuxième manche contre le sang-cataracte de son ignoble père [...] Le soir, comme elle n'avait pas bougé de là, un groupe de quinze miliciens était venu se soulager sur elle. Elle en tomba évanouie. Au premier chant du coq un autre groupe de miliciens arriva qui la laissa pour morte et au petit matin vint une dernière équipe plus fougueuse parce que le temps pressait. Elle resta inanimée pendant trois nuits et pendant trois nuits elle encaissa treize cascades de miliciens, soit un équivalent en hommes de trois cent-soixante-trois » (V.D. : 71-72).

Disons en guise de conclusion que l'immoralité se trouvant dans la Vie et demie nous renseigne sur les comportements des dirigeants de nouveaux Etats africains après l'indépendance. Sony Labou Tansi décrit un homme qui perd son caractère humain et qui se lance dans la bassesse pour satisfaire ses instincts. Il nous met devant une société où le sexe est une première occupation et cela occasionne plusieurs méfaits. Dans cette société, les dirigeants ou les dictateurs, pour mieux dire, usent de la violence pour exterminer leurs opposants et par après se lancent dans la sexualité dans un but récréatif. De ce fait, l'organe administratif est paralysé et la corruption s'y installe de toutes ses forces.

I.4.1.3 La corruption

Dans son roman, Sony Labou Tansi retrace une société complètement corrompue. Tous les secteurs de la vie communautaire de la Katalamanasie sont touchés par ce méfait qui est devenu monnaie courante.

Le premier secteur touché par la corruption est celui de l'enseignement. Les enfants des parents riches montent de classe sans difficultés quel que soit leur niveau. Les bonnes notes ne sont pas le critère de réussite pour ces enfants. Dès leur scolarité primaire, ils ont l'assurance d'obtenir leur diplôme sans fournir aucun effort. A cause de cela, la médiocrité s'installe dans les écoles où la consommation des boissons alcoolisées se pratique pendant les heures de cours. Les professeurs sont alors tenus à respecter cette consigne qui veut que les enfants des hauts placés aient toujours la meilleure note. Ceux qui veulent faire régner la justice et l'équité dans leurs classes sont punis sérieusement. Ils sont envoyés dans des écoles de brousse où des conditions de travail sont désastreuses.

« Elle se rappela cette année où Bébé-Hollandais avait donné un zéro à l'enfant du maire de Yourma ; l'affaire s'était gâtée et Bébé avait été envoyé avec sa philosophie dans la forêt du Darmelia comme professeur de français au collège, dans un centre d'attraction pour les pygmées » (V.D. : 31).

La corruption est un droit de chacun et ceux qui évitent ce défaut sont considérés comme anormaux. Dans cette société où toute personne est corrompue, le modèle de réussite sociale, c'est la vie des « V.V.V.F. » pour signifier « Villa, Voiture, Vin et Femmes ». Les plus corrompus apprennent aux non-initiés la voie malhonnête du succès. La corruption est conseillée pour devenir riche sans difficulté.

Le secteur de l'éducation n'est pas le seul à être corrompu. La santé est aussi touchée. Le Ministère de la santé, le docteur Tchi parvient à s'enrichir illicitement. Il vend les médicaments, falsifie les chiffres parce qu'un ministre est formé de 20% des dépenses de son ministère. Au bout de 4 ans, après avoir suivi scrupuleusement les conseils de son ami CHAVOUALA, ministre de l'Education, le docteur Tchi commence à chercher des maîtresses pour lesquelles il construit des villas et mène une vie « digne » d'un ministre.

« Le Docteur Tchi, comme on l'appelait à cette époque, mena la vie des VVVF qu'on appelait la vie avec trois V. Il construisit quatre villas, acheta une voiture à huit belles filles. Il construisit la maison pour deux maîtresses » (V.D. : 36).

L'administration n'est pas non plus épargnée de ce fléau de corruption. Les chefs usent du pouvoir comme ils veulent suivant leurs intérêts. Obramoussando Mbi, le chef suprême de l'Etat, change son identité la veille de son mariage avec Chaïdana. Celle-ci devient mademoiselle Ayele née en Katalamanasie maritime d'un riche commerçant de poissons et d'une institutrice, alors que nous savons très bien qu'elle est fille de Martial, ancien prêtre du prophète Mouzediba :

« Le lendemain soir, la voix de la République démocratique Katalamanasienne annonçait le mariage prochain du Guide Providentiel [...] avec la plus belle fille de la Katalamanasie et donna les informations biographiques des deux fiancés. Le curriculum vitae de Mlle Ayele la faisait naître en Katalamanasie maritime d'un riche commerçant en poissons et d'une institutrice [...] et tout le monde savait par coeur où était né le guide providentiel [...], mais le commentateur refit les éloges de Samafou Ndolo Petar qui leur avait rempli de meilleurs dons du monde » (V.D. : 52).

Un autre abus qui vient se greffer à la corruption et qui paralyse le pouvoir politique est le détournement des fonds publics.

I.4.1.4 Le détournement des fonds publics

A travers La vie et demie, Sony Labou Tansi révèle aux lecteurs une société dont les dirigeants dilapident le trésor public. Les guides font des dépenses énormes dans des projets qui ne profitent pas au peuple. A ce sujet Célestin BIZIMUNGU nous dit : « Les guides investissent là où ils ont un intérêt personnel certain. Leur souci majeur est de construire des bâtiments, extrêmement coûteux qui servent pour des résidences des dignitaires »22(*).

Les caisses de l'Etat sont semblables à de véritables puits où chacun vient puiser des richesses à son aise. Effectivement, cette pratique est monnaie courante en Katalamanasie où les finances publiques sont mal gérées et sont à la merci de ceux qui participent au festin du pouvoir. Les ministres et autres hauts cadres s'enrichissent rapidement sans que personne n'ose leur faire aucun reproche. Tous les grands du pouvoir partagent une même conception de la vie, celle de rechercher les femmes, les vins et l'argent. Ils inventent alors de faux projets de développement ou des réaménagements inutiles au sein du ministère pour pouvoir alimenter leurs comptes dans des banques. L'exemple type est le conseil du ministre de l'Education à son homologue de la santé nationale :

« ne pas faire comme tout le monde, c'est la preuve qu'on est crétin : « tu verras : les trucs ne sont pas nombreux pour faire de toi un homme riche, respecté, craint. Car, en fait, dans le système où nous sommes, si on n'est pas craint, on n'est rien. Et dans tout ça, le plus simple, c'est le pognon. Le pognon vient de là-haut. Tu n'as qu'à bien ouvrir les mains. D'abord tu te fabriques des marchés : médicaments, constructions, équipements, missions. Un ministre est formé - tu dois savoir cette règle du jeu - un ministre est formé de vingt pour cent de dépenses de son ministère [...]. Comme tu es à la santé, commence par le petit coup de la peinture. Tu choisis une couleur heureuse, tu sors un décret : la peinture blanche pour tous les locaux sanitaires. Tu y verses des millions. Tu mets ta main entre les millions et la peinture pour retenir les vingt pour cent. Puis tu viendras aux réparations » (V.D. : 34).

Pour les dirigeants de la Katalamanasie, une vraie vie, comme nous l'avons dit, est celle menée avec des VVVF qu'on appelait communément dans tout le pays la vie au trois V c'est-à-dire villas, voitures, vins et femmes. Ils ne se soucient guère des problèmes du bas peuple ni des salaires des fonctionnaires car aussitôt que l'argent leur manque, l'Etat fait directement appel à la puissance étrangère qui fournit des guides et le pays est obligé de s'endetter auprès des pays étrangers. Ce qui est malheureux est que la grande somme contractée rentre dans les poches du Guide ou dans celles des techniciens ou conseillers militaires étrangers qui sont bien payés. Certaines dépenses dans le pays s'avèrent inutiles ou exagérées. L'enterrement du guide Mallot - l'enfant - du tigre coûte sept milliards. La construction de la maternité où naît Patatra, le futur guide Jean-coeur-de-pierre, coûte douze milliards. Les travaux de construction des « regardoirs » coûtent une bagatelle de quatorze milliards empruntée à la puissance étrangère.

Par ailleurs, les finances publiques souffrent de la fantaisie des guides qui semblent ne pas être sérieux. Tout ce qu'ils font est ridicule. Cette fantaisie laisse penser à une certaine folie.

I.4.1.5 La fantaisie

Dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, la fantaisie est un point très remarquable pour un lecteur clairvoyant. A travers tout le roman, le lecteur est mis devant les faits qui sont des soi-disant chefs-d'oeuvre des guides mais qui ne font que rendre impossible la gestion des finances publiques. L'exemple très éloquent qui s'offre à nos yeux est quand le guide transforme le palais excellentiel pour lui donner l'aspect du dehors.

« Chaïdana ne sortait plus selon les recommandations du cartomancien Kassar Pueblo. Elle mangeait et faisait ses besoins dans le lit excellentiel qui avait reçu des amendements appropriés. Pour ne pas couper Chaïdana de l'extérieur et de la nature, la chambre elle-même avait été transformée en mini-dehors, avec trois jardins, deux ruisseaux, de papillons, de boas, de salamandres, de mouches, avec deux marigots artificiels, un pas très loin du lit et un entre deux ruisseaux où des crabes de toutes les dimensions nageaient ; les gendarmes jacassaient aux douze palmiers mais Chaïdana aimait surtout la mare aux crocodiles, ainsi que le petit parc aux tortures, là où les pierres avaient des allures humaines » (V.D. : 21).

Par fantaisie, les guides gaspillent à coeur-joie les fonds publics. Ils créent des portefeuilles inutiles et élèvent des monuments en or pour ceux qui, d'après eux, sont tombés sur le champ d'honneur. Ils construisent dans leur village des capitales inconcevables comme la capitale minière, la capitale du ballon rond, la capitale de la bière. Aux fêtes inscrites au calendrier du pays, ils ajoutent d'autres, de leur propre invention, pour augmenter les jours de réjouissance et par là de repos. C'est ainsi qu'ils instaurent la fête du dernier mariage du guide, la fête du spermatozoïde, la fête du boeuf, la journée des cheveux de Chaïdana, celle des lèvres, celle des ventres et bien d'autres. Il y a donc autant d'occasions bien fantaisistes pour les guides afin d'organiser des cérémonies aux frais de l'Etat.

Dans La Vie et demie, autant d'amusements qui s'y trouvent témoignent du caractère fantaisiste des guides. Le guide Jean-coeur-de-pierre change le nom du pays : Katalamanasie devient Kawangatara, qui à son tour deviendra Bampotsuara. La capitale de la Katalamanasie Yourma devient, elle aussi, Félix-ville. Ce même guide déclare que le bleu est la couleur nationale. Tout objet est peint en bleu : les vêtements, les voitures, les machines. On arrive même à planter des fleurs bleues.

Cette façon de faire est fantaisiste de même que la nuit de l'opinion qu'avait instauré Jean - coeur - de pierre, c'est-à-dire le 24 décembre. Pendant cette nuit, le peuple s'amuse uniquement en jetant les tracts dans la rue et en disant tout ce qu'il pense sans crainte d'être arrêté. Pour le guide, cette nuit d'opinion est un jeu qui lui procure une certaine satisfaction. La radio nationale couvre de louanges les guides, qui, en réalité, n'ont aucune qualité.

Cependant, la fantaisie des guides de Katalamanasie va même pousser ceux-ci à une exagération incontrôlée, comparée à une certaine idiotie. A titre d'exemple le guide Félix-le Tropical veut fonctionner avec le coeur et les reins d'une autre personne : « Vous ne comprendrez pas le sang d'autrui. Mais toi, si tu continue, je prendrai ta viande pour fonctionner avec. On me mettra ton coeur, on me mettra tes poumons et tes reins, on me mettra ton sang » (V.D. : 163).

Le Guide veut que son ordre soit exécuté le plus vite possible et cette façon de faire a un caractère fantaisiste pure et simple. Dans cette optique, le guide Jean-Oscar-Coeur-de-père, le mari de Chaïdana et père du Guide Jean-coeur-de-pierre, fait voter une constitution comprenant uniquement deux articles. Le deuxième est rédigé dans une langue incompréhensible : « Bronaniniata mésé batouété taou-taou ».

A cause de cette vantardise des guides, de leur cynisme notoire, de la mauvaise gestion des biens publics, de la trahison des guides et de leur fantaisie, le peuple souffre lourdement. Il ne profite pas du tout des richesses dont dispose le pays. Contrairement aux attentes, le peuple est déçu.

I.4.1.6 La trahison des guides et la déception du peuple

L'on sait très bien que le peuple qui a tant lutté pour l'indépendance nationale espérait une nouvelle vie et des conditions d'existence meilleures que celles auxquelles il est soumis. Ce peuple est déçu par l'indépendance, car les nouveaux maîtres africains qui ont accédé au pouvoir ne se soucient pas de lui et semblent prêts quand il s'agit de servir l'étranger ; ils sont « occupés à se hisser pour chier à la face de leurs frères »23(*). Devant cette situation, Sony Labou Tansi se sent responsable et décide de la dénoncer à travers La Vie et demie. Cette décision, car il la partage avec les autres romanciers noirs des années 1960.

« Les romanciers africains [...] qui ont abordé la problématique des indépendances du continent noir après 1960, ont exprimé surtout beaucoup d'amertume. En dégageant la signification de ces indépendances et en observant des réalités sur le terrain [...], rien n'a changé ou même la situation socio-politique est pire qu'avant la colonisation »24(*).

Ainsi, dans La Vie et demie, le peuple de Katalamanasie est frappé par une misère provoquée par l'équipe gouvernementale des guides et leurs proches collaborateurs qui accaparent toutes les richesses et prélèvent de lourds impôts sur un peuple qui ne dispose que d'un revenu très réduit. Le peuple est tellement déconsidéré qu'il n'a même pas accès à certains lieux.

« On ouvrit le Manguistra et ses trois succursales, dont la propreté des produits était attestée par des ordinateurs placés aux entrées. A la barrière des prix des feues quatre saisons, on avait ajouté un texte - loi barrant, et cette inscription aux entrées : « ce magasin n'est ouvert qu'aux membres du gouvernement, aux élus du peuple et aux hauts cadres de l'armée et de la police suivant l'ordonnance-loi n° 183077/MJITGP du 24 août 19.. ». L'année était souvent biffée par les gens de martial qui ne voulaient pas que l'année de la mort du prophète Mouzediba correspondît à une aussi sale entreprise » (V.D. : 66).

Devant cette situation, le peuple vit dans une misère et une passivité poussées à l'extrême parce que tout ce qu'il fait sert à engraisser le guide et les autres dirigeants. Chaque souverain qui parvient au pouvoir n'améliore pas le sort du paysan, au contraire, il l'exploite beaucoup plus que celui qu'il a remplacé. En plus de cela, les gens qui sont mis au service du peuple sont incapables et se rendent ridicules par leur inadaptation aux métiers qu'ils exercent. L'exemple le plus frappant et qui soulève le problème des commentaires est celui du cousin de Sir Amanazavou qu'on avait envoyé à l'hôpital avec le titre de docteur et qui plaçait le fémur au cou et l'omoplate au ventre. Aussi ne faut-il pas passer sous silence ces infirmières - concubines des hautes personnalités katalamanasiennes qui donnaient de la Nivaquine pour soigner les plaies. Et c'est ça la compétence des cadres chargés de s'occuper du progrès et du bonheur du peuple.

En outre, les impôts qui sont prélevés sur le peuple se payent deux fois l'année et sont de plusieurs natures. Ceux qui ne parviennent pas à payer tous les impôts sont emprisonnés. Une fois versés, les impôts ne contribuent pas au développement global du pays, mais ils servent à augmenter le budget national qui est entre les mains du guide ou d'autres élus du peuple.

« Ils venaient, ceux de Yourma, pour ramasser les impôts, deux fois par an. Ils demandaient l'impôt du corps, l'impôt de la terre, l'impôt des enfants, l'impôt de fidélité au guide, l'impôt pour l'effort de la relance économique, l'impôt des voyages, l'impôt de patriotisme, la taxe de militant, la taxe pour la lutte contre l'ignorance, la taxe de conservation des sols, la taxe de chasse... ceux qui n'avaient pas assez d'argent empruntaient chez les voisins » (V.D. : 122).

Aussi le peuple est-il gouverné selon une constitution qui se limite à deux articles seulement. Cette institution est votée par force par crainte d'être emprisonné. Ces deux articles sont ainsi formulés :

« Article premier : le pouvoir appartient au guide, le guide appartient au peuple. Le deuxième article était rédigé dans une langue que personne ne comprit jamais. On disait que c'était la langue des fous.

Article deux : brananiat a mésé boutoeété taou-taou, moro metani bamanasar barani meta yelo yeloma mikata. Le bruit disait que yelomanikata signifiait « souverain à vie ». N'empêche que le référendum constitutionnel donna les résultats plébiscitaires de 100% » (V.D. : 128).

A côté de cette constitution qui ne donne aucune parole au peuple, les dirigeants se dotent d'un respect incomparable. Le Guide Providentiel Jean-coeur-de-pierre est présenté par la presse nationale comme un dieu rédempteur du peuple, père de la paix et du progrès, fondateur de la liberté. Par contre, il se montre comme un dirigeant qui ne sait pas dominer sa colère et qui, maintes fois, prend des décisions insensées, comme celle-là qui ordonne que tous les citoyens doivent être marqués aux initiales de son nom de règne JCP sur leur front. Abréviation que les gens de Martial traduisaient « Judas connu du peuple » ou « jouet connu du pouvoir ».

Enfin, devant cette situation critique à laquelle le peuple est réduit à une résignation où il n'espère aucune transformation ou amélioration de son sort mais plutôt accablé par toutes sortes d'acrobaties des autorités pour jouer avec les richesses du pays, nous sommes d'accord avec David NDACHI TAGNE qui dit que :

« Les indépendances qui avaient été sous-tendus par promesses n'ont-elles pas simplement débouchés sur une autre ère de dictature, d'exploitation, de misère et de déception ? Les arrestations et les emprisonnements, les séances des travaux forcés et de torture [...] font partie du paysage quotidien »25(*).

Cependant, dans La Vie et demie, malgré la puissance et l'oppression totale des guides, ces derniers se heurtent à une opposition refusant totalement et carrément leur pouvoir. Cette opposition est menée par Martial qui continue à hanter l'esprit des dirigeants en place.

I.4.2 Le refus du pouvoir dictatorial

Le groupe qui se porte volontaire pour lutter contre le pouvoir dictatorial des guides est composé premièrement de Martial. Celui-ci meurt mais s'incarne dans sa fille Chaïdana qui, à son tour, décide de conquérir la Katalamanasie par son sexe et par sa beauté. Chaïdana est épaulée par les jeunes pistolétographes qui se chargent d'écrire « la célèbre phrase de son père ` je ne veux pas mourir' » (V.D. : 44) pour déstabiliser le pouvoir des guides et leur rappeler que l'opposition est toujours là. Dans cette partie, il est question de dégager sommairement le rôle de chacun, car nous y reviendrons en long et en large dans l'étude concernant les personnages et leurs actions.

I.4.2.1 La révolte de Martial

Dans La Vie et demie, Martial pose les jalons de la lutte contre la tyrannie des guides. Sa révolte est très puissante et terrible car celui que le guide croit avoir tué continue à déranger son esprit et celui de ses successeurs par ses apparitions subites et répétées, surtout avec des tâches à l'encre noire dont il ne cessait de barbouiller tous les lieux. « Ses apparitions répétées troublent le Guide Obramoussandro Mbi et le conduit au désespoir. Il salit les draps de lit du guide en les noircissant. Celui-ci ne parvient pas à dormir »26(*). En faisant ces apparitions, Martial veut déstabiliser les dirigeants en place et surtout protéger sa fille Chaïdana contre le guide et la police du guide, car chaque fois qu'on va mettre la main sur elle, il lui ordonne de quitter les lieux dans les meilleurs délais.

Par la suite, beaucoup de gens de la masse populaire se réclament du côté de Martial et se donnent le devoir de continuer la lutte contre les tyrans sanguinaires de Katalamanasie. Ils sont connus sous le nom de « gens de Martial ». Amedandio et Layisho sont sans doute les plus remarquables de tous les partisans de Martial. Ces gens de Martial jouent un rôle capital dans l'opposition contre le pouvoir despotique des guides. Leur action se situe surtout dans les meetings organisés par le Guide où Martial apparaît en sa qualité de prophète Mouzediba et où ils entonnent directement le chant de la résurrection du prophète.

« Le meeting s'était terminé en queue de tortue pour la simple raison qu'il avait commencé en queue de poisson. Au moment où les éléments de la milice mettaient les présences sur les cartes de fidélité en attendant l'arrivée du Guide providentiel, la foule avait cru entrevoir Martial sur le podium. La blessure au fond saignait sous le tampon de gaz, sur sa poitrine pendait la croix du prophète Mousediba, tout le monde eut la gorge morte pendant un instant. Après un long murmure qui permit aux assistants de confirmer leur vision, la foule explosa en délicieux délire. En plusieurs régions de la multitude monta le chant de la résurrection du prophète Mouzediba [...] On avait dû abattre cinq jeunes cons qui avaient crié « à bas la dictature ». Trois autres cons avaient été abattus pour un délit plus grave : ils avaient crié « Vive Martial ! » (V.D. : 38).

Martial n'apparaît pas seulement sous le règne d'Obramoussando Mbi. Les différents guides qui ont régné sur la Katalamanasie sont tourmentés par les apparitions obsessionnelles de Martial qui se manifeste souvent en saignant et portant atteinte à la physiologie du guide et empêchant le bourreau de dormir. Dans sa révolte et sa lutte contre les tyrans, Martial est grandement aidé par sa fille Chaïdana.

I.4.2.2 Chaïdana

Dans La Vie et demie, Chaïdana paraît comme une envoyée céleste pour continuer la lutte de son père, car elle est la seule à avoir résisté aux tortures du guide et échappé ainsi à la mort. Elle utilise tous les artifices de son corps et de son intelligence pour poursuivre la lutte. Elle finit par acheter les consciences des dignitaires du régime, les tuant même les uns après les autres. « Chaïdana se montre courageuse [...] et survit aux persécutions du « Guide Providentiel », elle assassine alors l'un après l'autre presque tous les membres du gouvernement »27(*).

En effet, Chaïdana doit donc donner la mort à plusieurs autorités tant civiles que militaires de la Katalamanasie qui avaient un faible pour le sexe féminin. Elle a une tactique qui est propre à elle seule, celle de travailler seule sans s'allier à personne d'autre. Par sa beauté de fée, Chaïdana séduit les dignitaires du régime et invite tour à tour ministres et généraux dans son logement situé dans la chambre n° 38 de l'hôtel « La Vie et demie ». Grâce à son sexe, elle parvient à priver la Katalamanasie de ses plus grands ministres et de ses illustres généraux de façon qu'on crût à une épidémie qui frappait le pays.

« A ce moment, Monsieur le ministre arriva. Chaïdana le reçut. Ils firent l'amour au champagne. Mais c'était du champagne Chaïdana car, quelques semaines plus tard, monsieur le ministre des affaires intérieures, chargé de la sécurité, était frappé de paralysie générale et devait mourir trois ans après son dernier acte d'amour au champagne [...] Chaïdana avait terminé sa distribution de mort au champagne à la grande majorité des membres les plus influents de la dictature Katalamanasienne, si bien qu'à l'époque de la mort du Ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité, il y eut des obsèques nationales pour trente-six des cinquante ministres et secrétaires à la République que comptait la Katalamanasienne » (V.D. : 49).

C'est donc à un véritable holocauste des membres de la dictature Katalamanasienne que nous assistons à travers tout le roman ; mais son objectif n'était pas encore atteint tant qu'elle n'avait pas encore tué le Guide lui-même. De ce fait, les pays étrangers commençaient alors à parler d'une épidémie étrange qui ne frappait que les membres du gouvernement, mais avaient vite conclu que c'était une des méthodes « tropicales » du guide de remanier ses gouvernements.

Ainsi, ce qu'il faut dire si l'on considère l'envergure du combat que mène Chaïdana et le danger auquel elle s'expose, c'est que l'on doit admirer la détermination avec laquelle Chaïdana assume ses responsabilités : venger sa famille. C'est pour cela qu'elle ne résiste pas à l'appel du sang.

Symbole des gens courageux, Chaïdana représente l'axe de résistance contre les forces d'oppression. Pour se protéger contre la répression des régimes sanguinaires, elle exploite, nous l'avons dit, son sexe comme une arme principale avec laquelle elle prend son pays assiégé par les dictateurs.

Ce moyen de lutte qu'est la prostitution se justifie par le fait qu'elle lui permet de se débarrasser des ennemis du peuple sans courir un grand danger. Mais parce qu'elle va à l'encontre de la dignité humaine, cette stratégie de combat perd son côté honorifique. Homme d'une grande dignité, Martial ne cesse de demander à Chaïdana d'arrêter de « déconner ». Devant son entêtement, il lui donne « la gifle intérieure », c'est-à-dire qu'il la viole.

Cet inceste provoque un sentiment de grande désolation chez Chaïdana qui tente de se donner la mort. Abandonnée à son désespoir, elle devient la proie de nombreux miliciens qui la violent à leur tour. Plus tard, Chaïdana deviendra une mère et mourra sans avoir atteint complètement son objectif.

Dès la mort de Chaïdana, sa fille Chaïdana aux-gros-cheveux, reprend le bâton et continue l'oeuvre de sa mère jusqu'à jurer de prendre la ville avec son sexe. Chaïdana, dans cette lutte contre le pouvoir injuste et inégalitaire, bénéficie non seulement d'une aide de sa fille, mais aussi d'une importante aide de la part des jeunes pistoletographes.

I.4.2.3 Le rôle des pistoletographes

Il s'agit en fait de jeunes adolescents ayant la volonté de se libérer des injustices qui s'abattent sur eux à tout moment. Ils se portent volontaires pour aider Chaïdana à lutter contre le tyran oppresseur qu'est le guide. Aidée par les jeunes pistoletographes qui se chiffrent à plusieurs centaines, Chaïdana peut organiser une « véritable campagne d'écritures » dont l'objet primordial est d'écrire des injures et toutes sortes de menaces sur les murs et les maisons de Yourma. Certains de ces pistoletographes, les moins craintifs sont parvenus à se faufiler chez les grands du régime et à écrire sur leurs maisons et même sur leurs corps. Cette campagne d'écriture est terrible et bien préparée.

« Elle acheta de la peinture noire pour trois millions, engagea un gérant avec fausse mission de revendre la peinture. En réalité, elle organisa une véritable campagne d'écriture. Elle recruta trois mille garçons chargés d'écrire pour la nuit de Noël à toutes les portes de Yourma la célèbre phrase de son père : « je ne veux pas mourir cette mort ». Le beau bataillon de pistoletographes avaient fonctionné à merveille : ils avaient pu écrire la phrase jusqu'au troisième portail des murs du palais excellentiel. Certains d'entre-eux, les plus audacieux sans doute, avaient réussi à écrire la phrase sur le corps de quelques responsables militaires tels que le général Yang, le Colonel Obaltana, le lieutenant Colonel Fursia et bien d'autres. Amedandio disait avoir écrit la phrase sur mille quatre-vingt-dix uniformes [...] Et Amedandio proclamait [...] qu'il écrirait la phrase sur le cul du Guide Providentiel » (V.D. : 44-45).

Ces jeunes pistolétographes s'illustrent également par les tracts dont ne cessent d'inonder les rues de Yourma et où ils jurent de traîner le guide nu dans toute la ville.

Nous voyons donc, en somme, que les guides se heurtent à une résistance bien organisée, menée par Martial qui continue à apparaître sur scène même après sa mort. Le règne de ces guides n'allait pas se terminer en beauté car le pays devait se scinder en deux camps, la Katalamanasie d'un côté et le Darmellia de l'autre.

I.4.3 La fin du pouvoir dictatorial

I.4.3.1 La division de la Katalamanasie

Dès son accession à l'indépendance, la Katalamanasie comprenait la région du Darmelia qui était peuplée de pygmées et dépendait directement du Guide. Cependant, le Darmelia semble être à l'écart, il n'est connu de personne. Il s'étend sur les surfaces non encore défrichées et ses habitants vivent en pleine forêt. Mais sous l'initiative de Sir Amanazavou, divers projets de développement commencent à se faire voir. L'Etat construit des écoles, des hôpitaux et trace des routes.

C'est donc avec le rétablissement de Chaïdana aux-gros-cheveux au Darmelia où d'ailleurs elle avait été élevée que le Darmelia décide d'être territoire à part, jouissant de son autonomie. Avec la venue des trente chaïdanisés pour se rallier à leur grand-mère, le Darmelia est complètement coupé de la Katalamanasie. Les trente frères de la Série C des Jean avaient quitté leur pays pour lutter contre la tyrannie de leur père, de leur grand-père et de leur arrière-arrière-grand-père qui n'avaient perpétré que l'inégalité sur tout le pays et avaient transformé la Katalamanasie en un véritable enfer. Ils avaient fui au Darmellia pour y trouver la liberté. Ils s'étaient choisi parmi eux deux chefs à savoir Jean Coriace et Jean Calcaire. Dès leur arrivé au Darmelia, ils s'adonnèrent avec acharnement au développement du pays et dans un petit temps le Darmelia avait dépassé la Katalamanasie dans tous les domaines :

« Chacun fonda une petite industrie : Jean Coriace monta une tannerie, Jean Calcaire commença à exploiter avec une compagnie belge le fer, le plomb, l'aluminium et l'uranium de Darmellia et fonda le port de Granita ; il fit construire cinq mille deux cent-douze kilomètres de chemin de fer dans la forêt. Jean Cuvette assurait le transport des minerais, d'abord vers la puissance étrangère qui fournissait les guides, puis vers d'autres pays. Jean Caoutchouc créa l'International Hévéa, Jean Case devint le patron de la West Construction des Ponts et Bâtiments, Jean Calcium monta la West Research, Jean Chlorure la Continental of Wood and Vegetation ... » (V.D. : 153).

Très vite, les frères chaïdanisés proclament l'indépendance du Darmellia et une constitution et un gouvernement provisoire qui autorisaient le tripartisme, sont mis sur pied. Le pays connaît pour le moment une grande ère et une stabilité politique. Les Katalamanasiens fuient leur territoire pour venir s'installer au Darmellia. Très vite les élections sont organisées et portent au pouvoir Jean Coriace avec son parti le PPDL (Parti Populaire pour la Démocratie Libre). Le pays a aussi comme devise : Fraternité, Foi, Travail, Paix.

Le refus d'une réunification possible aux émissaires du Maréchal Kenka Moussa qui avait remplacé le guide Jean-coeur-de-pierre devait engendrer une guerre finale entre la Katalamanasie et le Darmellia.

I.4.3.2 La guerre entre Katalamanasie et son territoire Darmellia

Il faut signaler d'emblée que cette guerre est hâtée par la Katalamanasie qui d'ailleurs va subir des conséquences provoquant beaucoup de pertes en vies humaines et de lourdes pertes matérielles. Cette guerre est sanglante et atroce du côté de la Katalamanasie.

« Ici la guerre ne peut venir que des voisins [...] Nous devons connaître les faiblesses de nos ennemis, évaluer leur force, les connaître le plus profondément possible pour que, si jamais ils nous imposent la guerre, nous répondions en connaissance de cause [...] Des années plus tard, quand Félix attaqua pour la première fois le Darmellia, les théories de Jean Canon prouvèrent leur diabolique efficacité. En quelques heures les mouches de Jean Calcium avaient causé autant de ravages dans le camp ennemi que n'en auraient causé dix années de guerre classique. Les Fusils de la paix avaient attaqué quinze points stratégiques à la même heure dans la même nuit du 12 avril, détruit soixante-trois ponts routiers ou ferrés, bombardé le quartier général de l'armée du Guide Félix, lui-même enlevé et emmené comme otage au Darmellia [...] C'était l'époque où Jean Calcium construisit des mouches d'une capacité de trois cents-douze piqûres. Deux jours après, Félix-ville puait » (V.D. : 167-168).

Cette guerre dont nous parlons entre Katalamanasie et Darmellia est baptisée la guerre de Martial. En effet, les armes de Félix le Tropical combattent à l'arme ordinaire tandis que les adversaires utilisent les mouches qu'ils fabriquent dans leurs industries.

L'armée darmellienne encadrée par Jean Canon appelé « Sergent terrible » inflige beaucoup de défaites à l'armée Katalamanasienne qui, semble-t-il, n'a pas de chef et qui est tout le temps en déroute.

Conclusion partielle

A la fin de ce chapitre, il faut préciser que Sony Labou Tansi, par le biais de La Vie et demie, nous met devant une société où le peuple est ballotté entre la tyrannie des guides et la misère créée par un régime totalitaire dont les autorités gaspillent l'argent de l'Etat pour leurs affaires personnelles et se partagent le patrimoine du peuple.

A écouter ce qui se raconte dans ce roman et les objectifs des romanciers de la deuxième génération, c'est-à-dire de l'Afrique d'après les indépendances, qui se faisaient compteurs des erreurs politiques ; sans pour autant oublier les mots de Falola Toyin que : durant cette période

« Le silence est imposé pour permettre aux dictateurs arrogants de gouverner comme ils l'entendent. On sait que les opposants ont été tués, emprisonnés et les plus chanceux vivent en exil. Plusieurs dirigeants africains ont lutté pendant de nombreuses années pour conserver ce pouvoir à tout prix, en bafouant les libertés »28(*),

on ne peut ne pas affirmer que La Vie et demie est une violente satire contre certains régimes africains. Ceux-ci dénient à l'homme les droits même les plus sacrés notamment le droit à l'existence.

Le récit se déroule dans la République imaginaire de la Katalamanasie. Le Président qui incarne la dictature, se heurte à une violente opposition menée par Martial. Celui-ci est tué atrocement, mais continue de vivre à travers sa fille Chaïdana. Celle-ci poursuit la lutte et par un procédé diabolique extermine beaucoup de dignitaires au pouvoir. Toutefois, cette dictature sera déposée et détruite par une longue guerre qui opposera la Katalamanasie à son territoire de Darmellia.

CHAP. II DE L'HISTOIRE POLITIQUE AUX STRUCTURES NARRATIVES

II.0. Introduction

Nous connaissons jusque maintenant que Sony Labou Tansi, à travers La Vie et demie, comme les autres romanciers negro-africains d'expression française de son temps, se révolte contre les nouveaux maîtres qui ont remplacé le colonisateur. Il veut dénoncer les abus perpétrés par ceux-ci qui se soucient peu du peuple et de sa misère. Cette révolte contre le pouvoir en place de ce temps, oblige à Sony Labou Tansi de se révolter contre beaucoup de pratiques sociales, jusqu'à rompre avec les anciennes règles de la composition. SEWANOU Dabla nous résume clairement cette rupture avec une tradition scripturale dans ces mots :

« L'enchaînement, le refus d'asseoir les personnages sur l'opposition manichéenne, le rôle du voyage qui ne sert plus à avancer le récit mais qui prend plutôt l'allure d'une errance circulaire, le manque de dénouement au récit, les prolepses sont reléguées dans le passé précédent tout discours ; les analepses évoquent juste un souvenir ; elles ne décrivent pas les faits. Les inclusions de l'auteur se chargent des prises de position proprement dite ; le recours de l'oralité par l'exploitation des mythes, le merveilleux traditionnel prend les dimensions qui situent le récit en marge de la perspective réaliste ; le gigantisme des personnages et de leur action relèvent d'un monde d'un autre ordre ; le temps n'est plus qu'une durée vague sans contours apparents malgré les apparences qu'il présente par des annotations évoquant une durée objective ; il évoque un cercle mythique de temps héroïques relaté dans les récits traditionnels »29(*).

Cette rupture de Sony Labou Tansi avec les règles classiques, à travers cette oeuvre se justifie par le fait qu'elle se classe parmi les romans dits « nouveaux romans30(*) africains ». Et les romans rangés sous cette rubrique naissent pour dénoncer vigoureusement les crimes des régimes dictatoriaux, l'oppression du peuple, celle de la femme, ... Leur objectif est de rompre avec le passé.

Illustrons encore cette rupture avec les propos de Désiré NKIZAMACUMU selon qui :

« La violence à exprimer, ainsi que le souci de libération et de changement qui anime l'écrivain, entraînent une rupture avec la tradition et le passé qui se manifeste d'une manière distinctive au niveau structural des catégories discursives. On aboutit à une écriture souvent non conforme aux usages courant du genre romanesque de la langue française »31(*).

A cet effet, pour mieux saisir l'histoire de La Vie et demie ayant des aspects politiques que nous avons mentionnés et la rupture en matière discursive et narrative qui en découle, nous allons présenter au cours de ce chapitre, les parcours narratifs et les différents personnages qui s'y greffent. Ensuite, nous dégagerons l'intrigue générale. Ensuite, nous analyserons les structures narratives proprement dites de La Vie et demie en commençant par l'univers temporel et l'espace narratif dans lequel l'histoire politique est livrée au lecteur. Et pour terminer, une étude sur le narrateur sera indispensable pour voir comment cette histoire est transmise au lecteur.

II.1 L'histoire dans La Vie et demie

II.1.1 Les parcours narratifs

Quand l'histoire commence dans La Vie et demie, deux parcours narratifs se construisent à partir d'une même quête bien précisée à savoir le pouvoir politique, domine la vie politique et économique. Le premier parcours est celui de Ramoussa et son groupe, tandis que le second est celui de Marbiana ABENDOTI dit Martial, lui aussi avec son groupe.

Le parcours de Ramoussa, sans être trop large, est suivi dès l'abord par Ramousa lui-même qui est le guide providentiel, puis par ses successeurs au trône ayant un même objet comme nous l'avons montré, c'est-à-dire conquérir la vie politique et économique de la République fictive de la Katalamanasie. Dans cette entreprise, Ramoussa et ses successeurs sont soutenus par la puissance étrangère qui vient souvent pour régler les conflits entre les prétendants au trône présidentiel en Katalamanasie.

Pour se maintenir au pouvoir, Ramoussa et son groupe usent de la dictature et de la violence pour freiner quiconque tenterait d'entrer dans son circuit. C'est pour cette raison d'ailleurs que le roman s'ouvre sur un meurtre ignoble c'est-à-dire l'exécution barbare de Martial et s'enchaîne sur d'autres meurtres sans fin :

« Voici, l'homme, dit le lieutenant [...] le guide providentiel lui ordonna d'attendre un instant [...] s'approchant des neuf loques humaines que le lieutenant avait poussées devant lui en criant son amer « voici l'homme », le Guide Providentiel eut un sourire très simple avant de venir enfoncer le couteau de table qui lui servait à déchirer un gros morceau de la viande vendu aux quatre saisons [...] Le Guide Providentiel enfonça le couteau de table dans l'un puis dans l'autre oeil, il en sortit une gelée noirâtre, qui coula sur les joues et dont les deux larmes se rejoignirent dans la plaie de la gorge. La loque-père continuait à respirer comme un homme qui vient de finir l'acte [...] Le Guide providentiel fit chercher son propre PM où pendait un petit paquet fleuri de peau de tigre et de trois plumes de colibri. Il planta le canon de l'armée au milieu de front de la logue-père [...] Il tira un chargeur. Il tira un deuxième chargeur à l'endroit exact où il devinait le coeur de la loque-père » (V.D. : 11-14).

A côté de ce parcours dictatorial de Ramoussa et son groupe se greffe un autre qui complète, mais différent du premier. Il s'agit, en fait, de celui d'un groupe de personnages représenté par MARBIANA ABENDOTI dit Martial. Ce groupe de Martial, comme nous l'observons dans La Vie et demie, veut opposer une justice sociale à la dictature du Guide. Dans cette entreprise, il s'appuie sur la volonté du peuple. Ce dernier se mobilise pour soutenir Martial afin d'assiéger le pouvoir politique des guides.

Tout au début, Martial réagit contre le pouvoir établi en Katalamanasie. Il est déclaré ennemi national par Obramousando Mbi. Ce guide se réserve le droit de le tuer comme il le fait toujours, mais Martial refuse de mourir, car il continue à exister après sa mort physique. Il revient souvent pour déranger le guide et lui rappeler que le peuple est assez rassasié de son pouvoir oppressif.

Par la suite, Martial sera aidé dans son projet par sa fille Chaïdana qui va se prostituer afin de pouvoir trouver l'occasion d'empoisonner les hauts dirigeants de la Katalamanasie et les éliminer tous. Quand celle-ci est tuée, elle se transforma en une femme rebelle « Chaïdana-aux-gros-cheveux. Celle-ci se transforme à son tour en une petite tigresse qui se dit petite fille de Chaïdana la première. Et plus tard, le combat va se poursuivre et il sera repris par les groupes de Jean de la Série C.

Ce combat de Martial qui continue sans relâche même après sa mort, n'est pas un fait de hasard, mais une action symbolique et significative pour les pays où règne la dictature, car Martial selon Josias SEMUJANGA :

« en refusant de mourir par le couteau ou par l'une des armes à feu que lui présente le guide providentiel [...] symbolise la Rébellion à laquelle aucune dictature ne peut venir à bout, car toute la descendance de Martial continuera à lutter contre la dictature, de Chaïdana (sa fille) à Chaïdana aux-gros-cheveux (sa petite fille) jusqu'aux Trente Jean de la série C (ses arrière-petits-fils) »32(*).

Il est bien clair que ce parcours narratif de Martial s'inscrit dans le cadre d'établir une équité entre le peuple comme nous le remarquons toujours avec SEMUJANGA qui affirme que :

« Derrière le programme narratif de Martial se lit en filigrane l'idéologie marxiste d'une société sans classe. Martial et plus tard sa fille Chaïdana luttent pour leur survie pour assurer le respect de la vie du peuple et pour faire face à la bestialité causée par le pouvoir coercitif du Guide providentiel »33(*).

Ainsi, retenons pour clore ce point que nous remarquons deux parcours narratif dans La Vie et demie, qui se complètent et ont une même quête à savoir le pouvoir politique ; ces deux parcours sont suivis de différents personnages dans le même récit. Nous comptons alors éclaircir et compléter cette démonstration par une autre étude des personnages qui va permettre de mieux saisir la portée du récit au niveau de l'histoire narrée. Les personnages régissent l'univers de l'action dans la mesure où ils créent et conduisent l'histoire du récit jusqu'au dénouement.

II.1.2 Les personnages et leur caractérisation dans La Vie et demie

Le Dictionnaire Larousse définit un personnage comme étant « une personne mise en action dans une oeuvre littéraire »34(*). Jean Superville dit qu'un personnage est « un être imaginaire qui semble vivre et palpiter dans les pages d'un roman »35(*). De là, il convient de prendre conscience qu'un personnage n'est pas une personne, même si la conception du personnage pourrait renvoyer à la conception historique de la personne. Un personnage est un signe littéraire composé à l'aide de procédés plus ou moins conventionnels qui se traduisent dans les indices textuels ou dans le roman pour le cas qui nous concerne.

Signalons alors, dès le début, que le choix du personnage dépend d'un romancier à l'autre, d'un courant à l'autre, pour ne citer que ceux-là. Ainsi, le roman negro-africain de la deuxième génération inaugure un traitement particulier des personnages qu'il met en scène. Sony Labou Tansi met en « oeuvre toutes les possibilités techniques pour dissoudre le personnage. Un même personnage peut apparaître sous plusieurs noms dans un même récit »36(*). A titre d'exemple, le nom de Chaïdana est porté par deux personnages différents. Ceux-ci se distinguent, comme nous le verrons, par leur beauté et leur détermination de réussir par le sexe.

Dans La Vie et demie, lorsqu'un personnage meurt, il est directement remplacé par un autre ayant les mêmes aptitudes que le disparu. Si son remplaçant ne peut pas être trouvé, le défunt continue d'agir comme il le faisait de son vivant, mais il acquiert une force supérieure à celle des humains. Il réapparaît et agit en silence en semant la terreur. Le personnage disparaît quand il le veut après avoir harcelé son ennemi. Martial le père de Chaïdana, meurt mais il n'est pas remplacé. C'est pourquoi il continue à apparaître. Son rôle revêt une grande importance. Personne ne peut prendre sa place. Martial joue son rôle comme s'il était vivant. Les guides le redoutent, en particulier Obramassando Mbi, son ancien protagoniste. Chaïdana meurt au moment où ses deux enfants ont dix ans. Sa fille Chaïdana aux-gros-cheveux la remplace après son séjour dans la forêt des pygmées. Chaïdana change d'identité deux cents-quarante fois pour échapper à la cruauté des guides et pour pouvoir se faufiler dans la haute société afin de venger son père. Obramassando Mbi lui-même change d'identité deux fois. La première fois, il le fait pour éviter les poursuites judiciaires, la deuxième fois pour pouvoir épouser Chaïdana.

Dans La Vie et demie, Sony Labou Tansi nous met devant un roman qui compte plusieurs personnages. Il y a même ceux qui n'ont pas un rôle défini dans le récit, qui peuvent revêtir le rôle de personnages secondaires ou de simples figurants. Beaucoup d'autres figures participent activement à l'évolution de l'action. C'est pour cette raison qu'au cours de notre analyse, nous n'allons pas étudier tous les personnages. Nous allons seulement considérer ceux qui reviennent dans le récit, dans l'action et leur contribution dans l'évolution de l'intrigue politique que nous trouvons dans La Vie et demie.

II.1.2.1 Le Guide Providentiel : Obramoussando Mbi

Dans La Vie et demie, le Guide Providentiel : Obramoussando Mbi est le premier des grands personnages du récit. Ses actions sont beaucoup plus récurrentes dans le roman. Son vrai nom est Cypriano Ramoussa. Il est ancien voleur de bétail qui, pour échapper aux poursuites judiciaires, change son identité et porte le nom d'Obramoussando Mbi. Après cette manoeuvre bien menée, il quitte sa région natale et intègre les forces armées de la démocratie nationale et grâce à ses dix-huit qualités d'ancien voleur de bétail, il se fait un chemin louable dans la vie (V.D. : 26). Il réussit à occuper une place importante dans la société Katalamanasienne en devenant le chef de l'Etat du nouveau pays indépendant.

La formation du Guide Providentiel est nulle. Il n'est pas à la hauteur de la lourde tâche d'un président ; c'est pourquoi il recourt à la dictature, à la violence qui sont pour lui une arme sûre pour s'imposer. Il ne tolère aucune opposition dans son pays. Pour s'en débarrasser, il n'hésite pas à égorger Martial, à révolvériser et sabrer Martial, le chef charismatique et oblige la famille de celui-ci à manger ses restes. C'est d'ailleurs sur cette scène que s'ouvre le roman comme Marie-Noëlle VIBERT, elle aussi, l'a remarqué :

« La Vie et demie s'ouvre sur le massacre de Martial par le guide providentiel, qui oblige ensuite la famille de celui-ci à manger le reste du corps. "vous allez me bouffer ça [...] Il ordonna qu'on vînt prendre la termitière et qu'on en fit moitié pâté et moitié daube bien cuisinée pour le repas du lendemain" »37(*).

Ce repas anthropophagique imposé par le guide providentiel aux différents membres de sa famille vise bien sûr à les humilier en niant leur dignité, mais aussi à les obliger à participer à l'élimination totale de leur parent, lequel, comme nous venons de le mentionner, réduit au sens propre en chair pâté et en daube, doit être mangé par les siens.

Au cours de son règne, Cypriano Ramoussa est beaucoup troublé par Martial qui ne cesse plus de revenir. A cause de la peur provoquée par ce dernier, le Guide Providentiel demande qu'on lui donne les quarante soldats plus courageux de l'armée afin de le protéger :

« C'était pour la plupart des hommes grands comme deux, forts comme quatre et velus comme deux ours. Le guide dormait entre quatre d'eux, collés à sa peau, tandis que le reste du contingent s'ajoutait à une cinquantaine de soldats ordinaires qui remplissaient les veillées de son excellence du bruit ferré de leurs sinistres souliers »(V.D. : 20).

Dans La Vie et demie, le Guide providentiel croit, pour conjurer les fort désagréables apparitions de Martial, qu'il doit partager sa couche avec Chaïdana, la fille de Martial, tout en la respectant. Mais au contraire, quand il fit des rapports sexuels avec Chaïdana, c'est là où Martial lui apparaît vite. De ce fait, c'est en se gardant alors de faire avec Chaïdana « ce qu'on fait avec les filles » (V.D. : 21) que le guide peut espérer tenir à distance le fantôme sanglant de Martial.

« Mais son excellence doit absolument éviter de faire la chose-là avec la fille de Martial. Pendant trois ans le guide providentiel partagea ses nuits avec la famille de Martial sans faire la chose avec elle, ni avec aucune autre femme. C'était l'époque où il parlait à tout le monde de ses trois ans d'eau dans la vessie » (V.D. : 21).

Par après, le Guide providentiel continuera à être hanté par Martial jusqu'à ce qu'il exprime son amertume et son désespoir en ces termes : « Enfin, Martial ! sois raisonnable. Tu m'as assez torturé comme ça. Tu deviens plus infernal que moi [...] Cesse d'être tropical, Martial. J'ai gagné ma guerre, reconnais-moi ce droit-là » (V.D., 58).

Le règne de Obramoussando Mbi dure 25 ans et est toujours parsemé de plusieurs abus.

II.1.2.2 Martial

Dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, Martial est un personnage très remarquable dans la construction de l'intrigue. Au cours de cette analyse, nous n'allons pas beaucoup traîner sur lui parce que nous avons tant parlé de cet homme qui a marqué l'histoire de la Katalamanasie et qui a inauguré la lutte contre les pouvoirs oppressifs.

Ce qu'il faut dire dès l'abord, c'est qu'il n'est pas facile de caractériser ce personnage de Maribiana ABENDOTI dit Martial, car cet homme qui subit une quantité de morts successives et variées n'en est pas moins vivant et apparaît régulièrement au Guide providentiel comme à Chaïdana. C'est tantôt le « haut du corps » de Martial qui apparaît au Guide, tantôt une marque indélébile du « Noir de Martial » qui manifeste à Chaïdana la désapprobation de son père. Souvent cette désapprobation est muette. Ceci se remarque par des avertissements, des apparitions et des signes à l' « encre de Martial » et Chaïdana ne se débarrasse pas de ceci. Un autre élément, ce sont les gifles cinglantes, qui s'abattent sur elle. Enfin, c'est l'inceste qui équivaut à une mise à mort et consacre peut-être aussi à la rupture des liens de sang unissant Martial et Chaïdana :

« Le guide quitta la chambre tout nu, criant le nom de Martial sur tout son chemin [...] Il criait non de peur, mais de courroux et de presque folie. Il promettait d'ailleurs de revenir avec PM et son sabre aux reflets d'or. Martial entra dans une telle colère qu'il battit sa fille comme une bête et coucha avec elle, sans doute pour lui donner une gifle intérieure. A la fin de l'acte, Martial battit de nouveau sa fille qu'il laissa morte. Il cracha sur elle, avant de partir et tous les écrits disparurent de la chambre, restaient ceux que Chaïdana avait sur ses paumes » (V.D. : 69).

Martial continue donc à parler, même si comme nous l'avons dit, il est réduit en pâté et mangé par les membres de sa famille. Il vit toujours, il ne cesse pas de vivre et de tourmenter le guide et ses successeurs tout au long d'une histoire qui s'étale sur plusieurs générations. Sa présence est aussi visuelle que tactile et le mort garde toute sa vigueur.

Ces apparitions répétées de Martial nous font penser à sa réincarnation. Il apparaît plusieurs fois. Le guide tente de le tuer à l'aide de son fusil très puissant, mais en vain. Il refuse de mourir alors que physiquement il est trépassé. A ce propos, Sony Labou Tansi, dans une interview ne parle pas de réincarnation, mais plutôt d'accomplissement :

« L'homme doit remplir sa vie. Lumumba n'a pas rempli sa vie parce qu'on lui a imposé une mort dégradante [...] la mort liée à la bêtise, je ne l'accepte pas. Le progrès est dans la contradiction, Mandela [était] dans une prison parce qu'il n'[avait] pas les mêmes idées que Botha. C'est aussi une forme de mort [...] Il y a des gens qui sont morts à cause de leurs idées. Je pense que la peine de mort est une bassesse pour l'homme »38(*).

II.1.2.3 Chaïdana

Le personnage de Chaïdana apparaît beaucoup dans La Vie et demie. C'est la fille de Martial, la seule qui a pu résister aux persécutions, meurtres, tortures du Guide providentiel. Chaïdana est une très belle fille comme son portrait l'indique. Elle a « un corps parfaitement céleste [...] un sourire chef des filles de la région côtière, les hanches fournies et puissantes, délivrantes, le cul essentiel et envoûtant » (V.D. : 42). Chaïdana est « formellement belle, insinuante et délicieuse » (V.D. : 55). Elle est « la plus belle fille de la Katalamanasie » (V.D. : 52). La beauté de Chaïdana a fait couler beaucoup d'encres. Selon Drocella M. RWANIKA,

« Le corps de Chaïdana est un corps d'une extrême beauté qui s'impose en maître et qui fait perdre le contrôle à quiconque l'observe. Il met tous les sens en branle. Son corps évoque en réalité une surenchère [...] Le corps de Chaïdana est dispensé de tout défaut »39(*).

Fille de Martial, comme nous le savons jusqu'alors, Chaïdana entre en scène dans La Vie et demie sous le signe de la vengeance. Témoin et victime du régime sanguinaire du guide providentiel de la république de Katalamanasie, Chaïdana décide de venger toutes les morts arbitraires et une série de dignitaires succombent à sa beauté.

Tout au long du roman, Chaïdana va réaliser une oeuvre grandiose. Pour elle, tous les moyens sont bons. Elle recourt à l'inhumanité pour venger son père ainsi que les autres victimes. Le poison qu'elle distribue à plusieurs dignitaires d'une façon savamment préparée, est un indice de ténacité c'est-à-dire un indice qui nous montre qu'elle tient beaucoup à sa décision. La scène de torture à laquelle elle assiste à quinze ans où le guide providentiel massacre tous les membres de sa famille la rend méchante et elle prend la décision d'éliminer tous les grands de ce régime tyrannique.

Ainsi, dans son entreprise, Chaïdana ne rencontre pas de difficultés. Elle suit une voie linéaire et emploie la même tactique pour tuer toutes les personnalités du régime dictatorial. Elle paraît immorale car elle se prostitue pour atteindre son but. Son acte s'accompagne d'une coupe de champagne empoisonné. Le passage qui suit met en évidence une action de grande envergure.

« Au cours de la première année qui suit son coup avec monsieur le ministre des affaires intérieures chargé de la sécurité de Yourma, Chaïdana avait terminé sa distribution de mort au champagne à la grande majorité des membres les plus influents de la dictature katalamanasienne » (V.D. : 59).

Dans l'Inscription féminine, Drocella M. RWANIKA compare la vengeance de Chaïdana à celle des autres déjà connus dans la littérature :

« Ses actes reflètent plus la vengeance des personnes bibliques comme Athalie, Judith, Esther et Salomé ou des personnages historiques comme Cléopatre et Tomyris que le simple instrument du destin comme ce fut le cas pour Hélène, la grecque »40(*).

Selon le même auteur, Chaïdana ressemble à Awa, une héroïne de Le devoir de Violence de Yambo Ouologuem, mais une petite dissemblance se dégage :

« Quoiqu'elle garde beaucoup de personnage de Yombo Oulogwem, une légère différence quant au rôle à jouer dans la résistance, est notoire : alors que Awa est envoyée par le roi Saïf pour séduire puis empoisonner l'administrateur blanc, Chevalier, c'est-à-dire l'ennemi, Chaïdana s'engage elle-même dans ce combat. Elle cesse du coup d'être un simple instrument, un commissionnaire salarié, pour la réalisation d'un projet. Elle assume le rôle du sujet, car ayant pris conscience de la gravité de la situation, elle passe elle-même aux actes »41(*).

Dans La Vie et demie, Chaïdana change de noms deux cents quatre fois afin d'arriver à son objectif. Dans sa vieillesse, elle cesse de tuer et entreprend une autre forme de combat, beaucoup plus digne : écrire des poèmes subversifs. Au moyen d'écrits pamphlétaires, elle continue à secouer le régime dictatorial et à troubler les fausses consciences des tyrans de son pays.

A sa mort, Chaïdana, elle aussi, subit encore des coups du guide. L'extrait suivant illustre clairement sa fin désastreuse :

« la veille de son départ, le guide Henri-au-coeur-tendre, fit savoir dans un discours de circonstance, sa décision d'emmener Chaïdana - aux - gros cheveux, à Yourma et d'en faire son épouse, malgré l'avis de ses conseillers personnels qui objectaient que le nom de Chaïdana avait été porté par la démoniaque fille de Martial, sous le guide providentiel qui avait fait casser la tombe de cette infernale créature et, l'ayant déclarée sinistre ennemie du peuple au grade de commandatrice du déshonneur, avait fait jeter ses restes dans les rues les plus populeuses de Yourma pour que tout le monde marchât sur elle et qu'elle devînt littéralement, terre. On avait transformé l'endroit de sa tombe en lieu maudit et on y avait construit le monument aux traîtres, un gros crapaud de béton qu'essayait d'avaler un immense hibou qu'on avait déclaré couleur du démon » (V.D. : 123).

II.1.2.4 Chaïdana - aux - gros - cheveux

Chaïdana - aux - gros - cheveux est, elle aussi, un grand personnage dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi. Elle est la fille de Chaïdana, la première. Elle est très belle comme sa mère. Le narrateur nous apprend qu' « elle est la plus belle du monde » (V.D. : 114). Elle a « les seins techniquement fermes, le menton sensuel » (V.D. : 104). Le Guide Henri-au-coeur-tendre la trouve «  merveilleuse, pétillante, appétissante » (V.D. : 121).

A la mort de sa mère, elle décide de continuer le combat. Le narrateur précise ses objectifs dans les mots suivants : « si le temps veut, je repartirai et je prendrai la ville avec mon sexe, comme maman. C'est écrit dans mon sang » (V.D. : 99).

Chaïdana - aux - gros - cheveux, bien qu'elle poursuive les mêmes visées que sa mère, une légère différence les sépare. Elle se prostitue aux grands sans la moindre idée de les tuer. Elle compte sur sa beauté et son sexe pour atteindre son but. Ici encore, comme le note Drocella RWANIKA

« Le sexe apparaît encore comme l'arme la plus sûre pour attraper les hommes. Avec Chaïdana - fille, la guerre prend une autre envergure et commémore l'historique des Dona Batrice du Congo et d'Anne Zingha d'Angola, toutes deux personnages historiques célèbres par leur bravoure et leur endurance dans le combat pour libération de leurs peuples respectifs »42(*).

Au sujet de cette détermination pour la libération du pays secoué par la dictature et l'injustice sociale, interrogeons le passage suivant pour être sûr :

« Mon grand-père avait perdu la guerre. Il avait perdu une guerre. J'en inventerai une autre. Pas celle que ma mère avait perdue. Si je ne gagne pas, la terre tombera. Ces choses me viennent comme si elles m'avaient habitée longtemps avant ma naissance. Mon sang les crie. Va vaincre ! sans penser, car penser est défendu ». Vaincre - respirer, le plus fortement du monde » (V.D. : 99-100).

Il est clair que ces paroles se traduisent en détermination qui devient presque un défi à lever. La victoire longtemps recherchée par le grand-père Martial doit être remportée à n'importe quel prix ; soit se réfugiant dans la forêt chez les pygmées puis retournant en jolie pygmée à la Katalamanasie.

Un peu plus loin dans La Vie et demie, considérée comme une pygmée parce qu'elle y était née, Chaïdana - aux - gros - cheveux atteindra ses objectifs après avoir exploité son sexe et épousé le guide Jean-Oscar-de père. Elle va rejoindre bel et bien le combat de son père et concevoir une nouvelle force de guerre, c'est-à-dire la lutte armée. C'est donc à ses trente petits-fils de Jean de la série C qu'une guerre beaucoup plus redoutable, mais plus digne, mettra fin à la tyrannie de la Katalamanasie.

II.1.2.5 Le docteur Tchi (Tchichialia)

Dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, ce personnage occupe une place prépondérante. C'est un vrai partisan du pouvoir dictatorial du guide. Il est ministre de la santé nationale, ancien ministre de l'éducation, ancien président de l'assemblée des élus, ancien ministre des affaires extérieures, ancien chef du gouvernement. Docteur Tchi mène vraiment une vie ministérielle de son temps du point de vue de ses avoirs. Selon SEMUJANGA, le docteur, Tchi se présente comme :

« Le prototype du Nègre jouisseur comme ces guides providentiels qui dirigent la République de Katalamanasie avec leur style de vie VVVF (villas, voitures, vins et femmes) [...], le narrateur raconte que celui-ci a construit quatre villas, acheté une voiture à huit belles filles et a construit la maison pour deux maîtresses avant d'ajouter que "c'était l'époque ou les femmes bureaux et où l'on parlait sans gêne d'une neuvième ou d'un dixième bureau". C'est ainsi que le docteur Tchi a vécu "une vie vraiment ministérielle" »43(*).

Cependant, dans l'évolution de l'intrigue, le docteur Tchi aide Chaïdana à sortir de la chambre du guide providentiel et lui donne l'argent pour s'évader. Il lui donne aussi la clé de l'hôtel « La vie et demie » où elle va s'installer :

« Il lui tendit une grosse liasse de billets de banque enroulée dans un chèque [..]

- vous connaissez l'hôtel La vie et demie ?

- Allez m'attendre là-bas [...] je suis un client spécial. J'ai loué la chambre pour trois ans. Ils ont confiance en moi. La dernière fois, j'ai payé pour huit ans. Ils ont confiance en moi. Bonne chance » (V.D. : 30).

Après ce geste à la fille de Martial, on ne tarde pas à découvrir sa grande part lors de son évasion. On lui réserve une mort atroce par une fourchette. On le traite comme un traître et d'ailleurs « un traître doit mourir comme un traître » (V.D. : 42).

Ainsi, à travers cette mort de Tchi, on ne peut pas ne pas penser aux dictateurs africains qui, souvent, éliminent leurs collaborateurs pour une raison vraie on fausse, cela dépend de leur entendement. On se sert vite de la mort. Ceci constitue le non-respect des droits de leurs compatriotes en particulier et les droits humains en général.

II.1.2.6 Layisho

Dans La Vie et demie, Layisho est un vieux pêcheur. Dans le déroulement de l'histoire, Layisho montre une certaine humanité envers Chaïdana et a toujours pitié d'elle. Il héberge celle-ci lors de sa poursuite et devient par après son père d'identité. Il l'aide à mettre au monde ses triplets qui prennent d'ailleurs son nom : Chaïdana Layisho, Martial Layisho et Amendandio Layisho.

Du point de vue politique, Layisho joue un grand rôle. Il distribue les écrits de Chaïdana pour inciter le peuple à se révolter contre le pouvoir du guide providentiel. Dès qu'il est arrêté par la police du guide providentiel pour avoir hébergé Chaïdana et distribué ses écrits, Layisho est torturé pendant quatre-vingt-huit ans. Ce vieux Layisho moura à l'âge de cent-trente ans et neuf mois.

A la mort de Layisho, le guide Jean-Coeur-de-pierre qui a succédé au successeur du guide providentiel, attend le début de sa putréfaction pour enterrer son corps au cimetière des maudits. Le début de sa putréfaction ne viendra qu'un an et douze jours après sa mort. Nous apprenons à la page 137 de La Vie et demie que le jour de l'enterrement de Layisho, Martial accompagne les personnes qui sont chargées de ça. Quand les prisonniers jettent le corps dans le trou et qu'ils ne jettent qu'un peu de terre sur le mort, laissant même les jambes dehors, Martial recommence l'enterrement et mit une couronne sur la tombe et une croix de pierre merveilleusement jolie. La couronne porte l'inscription suivante : « A Layisho Obabrinta, de la part de Martial » (V.D. : 137).

II.1.2.7 Henri-au-coeur-tendre

Le personnage d'Henri-au-coeur-tendre n'est pas à négliger dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, car il est le prototype des guides de la République Katalamanasienne. Il aime les vierges, la viande et les vins, c'est pourquoi on parle du pays des trois V. Au moment de son séjour à Darmellia, on lui présente Chaïdana . Il la trouve très belle et décide de se marier avec elle malgré les avis de ses conseillers personnels qui objectent que le nom de Chaïdana avait été porté par la démoniaque fille de Martial. Il refuse en disant : « Je l'emmènerais, même si elle était un Satan, pour ses gros cheveux, pour sa grosse technicité » (V.D. : 124).

Plus tard dans La Vie et demie, le guide Henri-au-coeur-tendre deviendra fou lors de ses premières rencontres avec Chaïdana aux-gros-cheveux et sera assassiné par son quart de frère. Ce dernier prendra le pouvoir sous le nom de Jean Oscar-coeur-de-père.

II.1.2.8 Jean Oscar-coeur-de-père

Son nom ordinaire est Kakara Mouchata. Il est le quart de frère d'Henri-au-coeur-tendre comme nous l'avons déjà dit. Il assassine ce dernier pour simple raison d'hériter Chaïdana aux-gros-cheveux qu'on qualifie maintenant : « la toute beauté mère de la Katalamanasie » (V.D. : 126). Cet acte ignoble de Jean Oscar-coeur-de-père nous renseigne sur les coups d'Etats qui ne cessent de se perpétrer dans les Etats africains ou tiers monde pour accéder tout simplement au pouvoir ou aux intérêts personnels, non collectifs.

Ainsi, comme ses prédécesseurs, le guide Jean Oscar-coeur-de-père aime les femmes. On nous apprend à la page 126 qu'il compose des vers en l'honneur de Chaïdana aux-gros-cheveux qu'il vient de mériter après l'assassinat du guide Henri-au-coeur-tendre. Ses vers sont appris dans toutes les écoles du pays. Aux dires de la radio nationale, ce guide est le plus grand poète de son siècle et la société des auteurs de l'académie de Yourma le désigne comme lauréat du prix de la République.

Le Guide Jean Oscar-coeur-de-père, après son mariage avec Chaïdana - aux - gros - cheveux, va engendrer un fils du nom de Patatra. A la naissance de celui-ci, le guide fait adopter une constitution à deux articles que nous avons mentionnés au chapitre premier.

Néanmoins, ce guide ne change rien en matière de d'administration, car la dictature, la violence continuent. On nous apprend qu'au cours de son règne :

« le temps passait sur Yourma de la même façon, toujours un temps de plomb, un temps de cris, un temps de peur pour un oui, pour un non, les gens de forces spéciales[...] te faisaient peur, te faisaient bouffer tes papiers, ta chemise, tes sandales » (V.D. : 131).

A cause de cette subtilisation du pouvoir, ce guide reçoit toujours des cadeaux de Martial, c'est-à-dire le mot « enfer » qui est indélébile à son corps. Vu que c'est impossible d'enlever ce mot sur lui, il décide sa mort en disant « qu'on me brûle vif » (V.D. :140). La décision ne tarde pas à être exécutée.

II.1.2.9 Patatra

Patatra est le fils de Jean Oscar-coeur-de-père et Chaïdana aux-gros-cheveux. Martial est pour lui un arrière-grand-père et d'ailleurs le narrateur nous raconte que Patatra a « les yeux noirs de Martial » (V.D. : 130). Son nom de règne est Jean-Coeur-de-Pierre, un nom qui revient beaucoup dans La Vie et demie.

Bien que Patatra soit du sang de Martial, il ressemble beaucoup à ses successeurs en ce qui concerne l'amusement et le plaisir. Sur ce point, le narrateur nous donne un témoignage : « l'amusement et le plaisir étaient le propre même de l'être de Jean-coeur-de pierre » (V.D : 146). Le premier signe de son amusement est sa décision de changer de nom de son pays ; ainsi la Katalamanasie devient Kawangotara. Sans aucune raison, ce guide demande que toutes les maisons de Kawangotara, tous les troncs d'arbres, enfin tout ce qui peut frapper l'oeil soit peint en bleu :

« Il avait sacré le bleu couleur nationale. Pour la concorde et la prospérité [...] aucun Kawangotais, aucune Kawangotaise ne pouvait porter des vêtements d'une autre couleur que le bleu [...] Toutes les voitures, toutes les machines, tous les objets qui entraient dans le pays devaient être bleus [...], les jardiniers ne devaient planter que les fleurs bleues [..] On parlait même de produire le peuple en bleu » (V.D. : 144).

Aussi faut-il ajouter encore que pour s'amuser, le guide Jean-coeur-de pierre instaure une nuit d'opinion, c'est-à-dire une nuit du 24 décembre où les tracts peuvent être jetés à volonté.

« Le matin de Noël, les rues étaient inondées de tracts [...]. Beaucoup de gens du peuple passaient leur temps à lire les tracts [...], les rues étaient pleines de têtes qui se baissaient, de mains qui ramassaient, d'yeux qui lisaient, de rires, de cris, de « venez voir un peu ça », de « vous n'avez pas vu ceci ? », de « fantastique », de « bien joué les copains » (V.D. : 146).

Nous devons signaler que dans La Vie et demie, le guide Jean-Coeur-de-pierre n'est pas moindre en matière des femmes. C'est un héritier fidèle de ses prédécesseurs. Pour satisfaire à ses besoins sexuels, il invente une semaine annuelle des vierges pendant laquelle il choisit 50 vierges et chacun son lit. De ces vierges, le guide donnera naissance à 50 garçons de la série des Jean dont trente se détacheront de lui pour rejoindre leur grand-mère dans la forêt. Ce guide Jean-coeur-de-pierre mourra assassiné par son fils Jean-sans-coeur et sera jeté au cimetière des maudits. Dès sa mort, on proclamera l'indépendance de l'Etat du Darmellia par les tentes Jean dits chaïdanisés.

II.1.2.10 Les trente Jean de la série C

Les trente Jean de la série C sont des enfants du guide Jean-coeur-de pierre qui s'étaient détachés de son père pour rejoindre leur grand-mère dans la forêt chez les pygmées. Ils ont un rôle prépondérant dans l'évolution de l'intrigue de La Vie et demie, car ils s'opposent courageusement au pouvoir dictatorial, oppressif, meurtrier de leur père pour aller fonder une rébellion puissante au Darmellia. Là, ils y sont aidés fortement par Chaïdana aux-gros-cheveux qui avait refusé de rentrer à Yourma.

La première chose à faire par les trente Jean de la série C, est de développer le territoire Darmellia qui est jusque là habité par les pygmées qui se foutent de tout, qui observent passivement, mais qui parviennent à connaître dans très peu de temps ces Jean de la série C par leurs entreprises.

« Ils connaissaient le nom de Jean Coriace à cause de tout ce qu'il avait fait dans la forêt ; ils connaissaient Jean Cochon qui avait apporté le gibier artificiel [...], ils connaissaient Jean caoutchouc et ses immenses plantations de sève ; ils connaissaient Jean Calcaire et les mines de fer [...], ils connaissaient Jean Cuivre, Jean Calcium, Jean Carburateur et les usines pétrochimiques de la côte ; ils connaissaient Jean Carbone, Jean Cabane et les entreprises de l'habitat, Jean Caillou et ses mines de Zouarnatara ; ils connaissaient tous les Jean quelque-chose à cause de tout ce qu'ils avaient changé dans la forêt en trente ans » (V.D. : 161).

En effet, le plus connu des trente chaïdanisés est Jean Canon qu'on appelle souvent « le sergent terrible ». Il est le chef d'Etat major de l'armée darmellienne. On nous apprend que dès son retour des études, il souhaite que l'armée darmellienne n'ait pas de grade supérieur à celui de sergent, car dépasser ce niveau implique la non-responsabilité, parce que les militaires passent leur temps en quémandant leur honneur. Une autre grande figure des trente chaïdanisés est Jean-Coriace. Celui-ci est le maître du territoire de Darmellia. Du point de vue politique, pour mobiliser le peuple et le développer, il fonde un parti politique du nom de PPDL, c'est-à-dire Parti Populaire pour la Démocratie Libre. A la longue, Jean Coriace sera appelé par le peuple « Le père de la nation » mais c'est une qualification qu'il déteste beaucoup, parce que pour lui :

Une nation n'a pas de parent, pour la simple raison qu'elle doit naître tous les jours. La nation doit naître de chacun de nous, autrement que voulez-vous que ça soit une nation ? La nation ne peut pas venir des illusions de deux ou trois individus quelle que soit la bonne volonté de ceux-ci » (V.D. : 176).

Retenons, pour ces 30 Jean de la série C après quinze ans que dure la guerre entre Darmellia et Katalamanasie, qu'il ne reste qu'un seul individu, c'est-à-dire Jean Calcium connu pour sa fabrication des mouches.

Il faut dire enfin de compte pour clôturer cette étude des personnages dans La Vie et demie, que Sony Labou Tansi fait intervenir beaucoup de personnages. Cependant, une caractérisation suffisante de ceux-ci est absente. L'auteur ne fait pas une description consistante du personnage ; ceci se justifie dans la mesure où un roman de 192 pages ne peut vraiment caractériser un si grand nombre de personnages comme nous l'avons déjà noté.

II.1.3 L'intrigue

Après avoir étudié les parcours narratifs dans La Vie et demie, les personnages qui y interviennent, il n'est pas très difficile de déceler l'intrigue qui est mis en jeu. Pour Claude BREMOND, l'intrigue est « une série de motifs [...], un thème dans laquelle diverses situations, divers motifs sont impliqués »44(*). GOLDENSTEIN dit que l'intrigue est « un élément constitutif essentiel du roman que le lecteur a trop tendance à négliger au profit des personnages et des péripéties »45(*). Jean SUPERVILLE, dans son ouvrage Théorie de l'art et des genres littéraires, dit que « l'intrigue porte sur l'idée d'enchaînements, c'est la suite des faits logiquement liés. Comme ce qui est doué d'unité organique, elle a un commencement, un milieu et une fin »46(*). Retenons alors que l'intrigue est l'enchaînement des faits et d'actions qui forment la trame d'un roman.

Ainsi l'intrigue de La Vie et demie se libelle comme suit : Le Guide providentiel Obramoussando Mbi use de la terreur, de la dictature et de la violence pour se maintenir au pouvoir. Martial, le protagoniste du guide Obramoussando Mbi continue à harceler ce dernier par ses apparitions répétées. Il se montre un vivant alors qu'il a été réduit en pâté et en daube par le guide. Sa fille Chaïdana le venge en empoisonnant les grands du régime corrompu. Elle meurt en laissant au monde deux enfants : Martial et Chaïdana. Obramoussando Mbi fait arrêter et emprisonner Layisho qui avait hébergé Chaïdana. Celle-ci est condamnée à titre posthume à être privée de tombeau, ses restes sont jetés sur la rue de la ville où les passants les écrasent sous le poids de leurs pieds. Les successeurs d'Obramoussando Mbi règnent de la même façon que lui. Ils sèment partout la terreur et s'adonnent aux actes inhumains en opprimant le peuple. La femme occupe une place prépondérante dans le milieu politique. Elle est recherchée pour égayer et distraire les grands. Tous les guides s'adonnent à la débauche sexuelle. Ils entretiennent plusieurs maîtresses à côté de leurs nombreuses épouses. Chaïdana-aux-gros-cheveux est épousée par le guide Jean-coeur-de-père après un séjour de onze ans dans la forêt des pygmées où elle perd son frère Martial. Elle est répudiée quelques années plus tard après avoir mis au monde un fils du nom de Patatra. Celui-ci deviendra guide sous le nom de Jean-Coeur-de-Pierre. Sa mère Chaïdana s'installe à Darmellia où trente de ses nombreux petits-fils la rejoignent. Ils édifient une république indépendante en mettant en pratique leurs différents talents. Jean Coriace fonde une tannerie, Jean Calcaire exploite le plomb, l'aluminium et l'uranium de Darmellia avec une compagnie belge. Des conflits naissent entre Katalamanasie et le Darmellia. Une guerre éclate et enregistre plusieurs victimes.

II.1.4 Du manichéisme narratif

A la lumière de l'étude des personnages que nous avons déjà faite et de l'intrigue générale déjà dégagée, un élément beaucoup plus pertinent que l'on trouve dans La Vie et demie, paraît être un certain manichéisme narratif. Ce procédé narratif consiste à poser dans cette oeuvre deux univers opposés sinon inconciliables.

Ainsi, comme le remarque Josias SEMUJANGA, dans son oeuvre Dynamique des genres dans le roman africain. Elément de poétique transculturelle, tous les personnages du roman s'inscrivent dans les programmes narratifs manichéens dont la confrontation débouche sur l'apocalypse de la République de Katalamanasie, République des dictateurs et de la République de Darmellia, fondé par les trente Jean de la série C. Ce dualisme narratif est caractérisé donc par les visions antagonistes telles qu'elles apparaissent dans les termes comme :

- dictature vs démocratie

- oppresseurs vs opprimés

- élite vs peuple

- peuple vs roi

- vie vs mort

Cependant, bien qu'il soit des programmes opposés ayant un même objet de quête qu'est le pouvoir politique, nous observons toujours différents personnages qui changent constamment de position dans le roman. Il est d'ailleurs difficile de savoir qui est le héros et qui est l'anti-héros dans cette fiction. Cet univers où les valeurs sont renversées donne un sentiment de l'absurde ; ceci revient à dire que cette stratégie narrative finit par faire croire à une absence de morale, c'est-à-dire que les valeurs deviennent ambivalentes, car le résultat total est une guerre infinie.

En effet, pour illustrer ce que nous venons de dire, ce schéma manichéen fonctionne parallèlement avec un autre qui fait des héros du roman, des héros ambivalents comme nous l'avons souligné, c'est-à-dire que les valeurs qu'ils défendent sont ambiguës. A titre d'exemple, Chaïdana qui est victime de la dictature du guide providentiel devient par ailleurs une débauchée qui se prostitue avec ses bourreaux, en plus d'avoir commis l'inceste avec son père Martial. Il est clair que Chaïdana est une héroïne démoniaque, car elle incarne les valeurs positives et négatives.

Cette technique narrative mettant en évidence la suspension de jugement moral que nous trouvons dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, Josias SEMUJANGA la partage avec ses contemporains car :

« Une telle ambivalence narrative qui disqualifie le héros et l'anti-héros fait réfléchir le lecteur sur le processus d'écriture romanesque, car, fragmenté, un tel schéma narratif se rencontre dans un grand nombre de romans modernes comme si cette suspension de jugement moral était la morale même du roman »47(*).

Ajoutons aussi que ce procédé de suspension de jugement moral dans le roman n'est pas un fait de hasard, car comme le souligne Milan Kundera :

« Suspendre le jugement moral n'est pas l'immoralité du roman, c'est sa morale. La morale qui s'oppose à l'indéracinable pratique humaine de juger tout de suite, sans cesse, et tout le monde, de juger avant de comprendre [...]. Non que le romancier conteste, dans l'absolu, la légitimité du jugement moral, mais il le renvoie au-delà du roman »48(*).

II.2 Les structures narratives dans La vie et demie

II.2.1 L'univers temporel

Le temps est un élément à ne pas négliger dans l'étude d'une oeuvre comme La Vie et demie de Sony Labou Tansi. Signalons que toute oeuvre, ou tout récit si nous nous fions à la terminologie de Genette, est composé par une dualité temporelle. On distingue le temps où se sont passés les événements racontés (temps de l'histoire) et le temps du récit, c'est-à-dire le temps du signifiant. Au sujet de cette distinction, Christian METZ déclare que « le récit est une séquence deux fois temporelle [...] il y a le temps de la chose racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du signifiant) »49(*). Le temps permet de fixer et de situer le récit. Qu'en est-il alors de La Vie et demie ?

Le temps connaît un traitement inhabituel dans La Vie et demie. Au lieu de servir à situer et fixer le récit, il contribue à le déstabiliser et à le rendre irréel. Le temps historique est dilué dans le temps mythique et fabuleux. Les lignes suivantes le montrent clairement : « C'était l'année où Chaïdana avait eu quinze ans [...] C'était au temps où la terre était encore ronde, où la mer était la mer » (V.D. : 11).

Dans La Vie et demie, les marques temporelles se réfèrent à un temps imprécis, irréel et légendaire. « Ce soir-là, sans trop savoir pourquoi »(V.D. : 25). « C'était le jour où le Guide providentiel avait un grand meeting » (V.D. : 25), « C'était l'époque où Amedandio ne voulait plus » (V.D. : 78).

Les unités temporelles sont beaucoup plus fantaisistes, le signifié s'éloigne du signifiant si bien que la comparaison qui s'y trouve n'est pas claire : « trois mondes en retard » (V.D. : 22). Le mot « monde » devient une unité temporelle comme si on connaissait sa mesure. La comparaison est établie entre le temps ancien et le temps moderne, comme ce passage le montre : « Chaïdana aimait les témérités de cet homme qu'elle disait être trois mondes en retard derrière elle » (V.D. : 22). Le docteur Tchi a un comportement semblable à celui des temps passés alors qu'il est de l'époque moderne. Le mot « monde » est employé pour signifier « siècle » ou « génération » ou bien encore « époque ».

Dans La Vie et demie, là où Sony Labou Tansi témoigne d'un souci de précision, nous remarquons qu'il ne fait que compliquer davantage. L'exemple suivant suffirait à l'illustrer : « on était sous le règne du guide Henri-au-coeur-tendre, deuxième année, troisième mois, première semaine » (V.D. : 102). Ici nous constatons que le narrateur se réfère à la durée d'un règne dont on ignore le début.

Dans La Vie et demie, le temps historique reste imprécis. La durée des règnes des guides n'est pas clarifiée. L'âge des personnages centraux qui évoluent dans le roman, est de temps en temps précisé, mais l'auteur reste muet sur certains épisodes pourtant importants. Chaïdana a quinze ans au début du livre c'est-à-dire à la page 11, dix-huit ans à la page 21, vingt ans à la page 50, vingt-quatre à la page 59, trente-quatre ans à la page 78. Nous n'avons aucun renseignement sur son enfance, sur sa vie adulte (25-33 ans) alors qu'elle est héroïne de 77 premières pages. Chaïdana-aux-gros-cheveux a dix ans à la page 77, dix-neuf ans à la page 87, vingt-cinq ans à la page 90, trente ans à la page 107, soixante-deux ans à la page 137 et 129 ans à la page 170. Ces détails ne fournissent aucun point de repère stable.

De temps en temps, la chronologie dans La Vie et demie n'est pas linéaire. Quelques fois le narrateur use des analepses que Gérard GENETTE définit comme « toute évocation après coup d'un événement antérieur au point de l'histoire où l'on se trouve »50(*). Dans le roman, le narrateur fait recours aux analepses pour retracer le passé de tel ou tel personnage afin d'expliquer la situation présente de ce dernier par sa vie passée. Par le même procédé, le lecteur apprend quelle fut la jeunesse du guide providentiel qui dirige la république Katalamanasienne. A la page 25, un passage vient rompre le rythme du récit ; le guide providentiel se souvient de sa vie antérieure au moment où il était voleur de vaches.

Mis à part cette technique rétrospective, l'action narrative, dans La Vie et demie, anticipe quelques fois sur les événements. C'est la prolepse que GENETTE présente comme : « toute manoeuvre narrative consistant à raconter ou évoquer d'avance un événement ultérieur »51(*). Ce n'est pas alors très étonnant que le guide Jean-Oscar-Coeur-de-Père, quatrième de la lignée soit mis en relief à la page 81 alors que le premier guide Obramoussando Mbi détient encore le pouvoir. Aussi, faut-il signaler que le narrateur au lieu de décrire les événements importants, recourt à des digressions. Il consacre les pages 31 et 32 à un épisode étranger à l'histoire du roman. Le récit de M. Delkamayota alias Bébé Hollandais-la-vache qui rit, n'a rien à faire avec ce qui précède. Celui-ci est l'ex-professeur de philosophie au « Lycée de la Révélation » qui fut puni pour « avoir donné un zéro à l'enfant du maire de Yourma » (V.D : 31). Il reçut une mutation disciplinaire. Il fut envoyé avec sa philosophie dans la forêt de Darmellia comme professeur au collège, dans un centre d'attraction pour pygmées (V.D. : 31).

Cependant, ce temps imprécis, ces anachronies narratives et ces formes de digression que nous trouvons dans La Vie et demie n'altèrent en rien l'intérêt et la compréhension du récit. Par contre, ils en font partie intégrante. Faisant corps avec le récit, ils renferment un langage symbolique, une satire politique des nouveaux dirigeants de l'Afrique nouvelle, qui n'ont aucune ligne de conduite mais qui ballottent plutôt ici et là dans les choses inutiles dont le peuple profite peu.

II.2.2 L'univers spatial dans La Vie et demie

L'espace narratif est beaucoup plus significatif dans le roman négro-africain, surtout de la deuxième génération où nous plaçons La vie et demie de Sony Labou Tansi. Rappelons tout d'abord avec Bernard Mouralis que :

« Un des traits les plus marquants dans l'évolution littéraire africaine est sans aucun doute l'intérêt croissant que les écrivains et notamment les romanciers portent, depuis le début des années 60, à la question des nouveaux pouvoirs indépendants»52(*).

Nous savons jusqu'alors, à partir même de cette citation de Mouralis, qu'à travers cette thématique de l'indépendance et cette focalisation sur les nouveaux pouvoirs africains, se manifeste une réflexion sur la question du politique. Ceci revient à dire que le roman de cette époque constitue une excellente introduction à la compréhension de ce type de problème.

Ainsi, ce problème politique chez ces écrivains va de pair avec le choix du cadre spatial, où vont se dérouler les exploits de leurs héros. Les uns choisissent de situer l'action de leur roman dans un cadre socio-politique aisément identifiable et que le lecteur a tout loisir de retrouver sur la carte de l'Afrique. Les autres, en revanche, préfèrent un espace imaginaire pour mettre en évidence cette question du politique, cette incessante interrogation sur la nature de l'indépendance et cette dénonciation d'une réalité socio-politique jugée intolérable. C'est dans cette deuxième perspective que nous trouvons, pour ne citer que cet exemple typique, Sony Labou Tansi et La Vie et demie. Dans ce roman, l'histoire se déroule dans un pays dénommé la Katalamanasie, un pays imaginaire qu'on ne peut classer ni en Afrique ni ailleurs dans le monde.

Cependant, pour quelques romans, il est toujours possible au lecteur, se référant à un certain nombre d'indices pouvant se trouver dans les textes comme les toponymes, ethnonymes, anthroponymes, zoonymes, hydromynes ou quelques allusions historiques, de reconnaître un tel ou tel pays. Mais ceci n'est pas le cas dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi. Ce roman ne produit aucun message bien clair qui autoriserait le lecteur à établir une identification complète de l'espace imaginaire représenté dans la fiction et de l'espace socio-politique correspondant à tel ou tel pays.

Ceci étant dit, les toponymes comme Katalamanasie, Kawangotara, Darmellia, Yourma, Félix-ville et les antroponymes comme Obramoussando Mbi, Martial, Chaïdana, Layisho, Jean-oscar-Coeur-de-père, Jean Canon, Jean Calcium, etc. ne permettent pas d'établir les rapports de la société romanesque avec la société de référence. Disons plutôt que seule la quatrième de la couverture nous renvoie au moins à l'Afrique. C'est là où nous lisons les mots suivants : « Grandeur et décadence de la Katalamanasie, immense pays d'Afrique noire soumis à la plus sanglante mais aussi la plus absurde des dictatures ».

En effet, cette technique romanesque qui permet d'empêcher une identification complète de l'espace imaginé avec un espace national bien précis, n'est pas une défaillance du côté d'un romancier, mais une stratégie préméditée qui vise à généraliser son point de vue. Laissons Bernard MOULARIS nous expliquer :

« Si l'espace représenté dans la fiction n'est pas identifiable avec un pays particulier, il peut se révéler en revanche tout identifiable avec les pays africains en général, voire même les pays du tiers monde »53(*).

C'est d'ailleurs dans le même ordre d'idées que Sony Labou Tansi, refuse l'étiquette d'écrivain congolais ou africain. Il déclare dans une interview accordée à Jacques Chevrier : « Je n'écris pas en tant que congolais, pour les Congolais ou pour les Africains. Je pars d'une expérience humaine, et cette expérience humaine peut être vécue par un Africain, par un Européen ou par un Asiatique »54(*).

Si nous revenons enfin à l'espace intra-textuel de La Vie et demie, c'est-à-dire cet espace qui entretient un rapport entre les personnages et l'action, quatre lieux essentiels ont retenu notre attention. Il y a d'abord le palais présidentiel où l'on trouve la chambre ouverte des guides, l'hôtel « La vie et demie » qui est un abri sûr de Chaïdana, la prison qui est le lieu de ceux qui ne sont pas d'accord avec le régime du guide. Il y a ensuite la forêt où vivent les pygmées et les autres qui veulent échapper à la cruauté des guides.

Parlant du palais présidentiel dans La Vie et demie, on remarque tout d'abord que c'est un palais somptueux qui a coûté plusieurs milliards du budget national ou de recettes perçues sur les impôts des paysans. C'est un lieu réservé uniquement aux guides, seuls y ont accès ceux qui sont à torturer ou les jeunes filles et femmes qui y sont appelées pour satisfaire les désirs charnels des guides. Ce palais est divisé en plusieurs compartiments, car il y a la chambre pour les repas du guide, celle pour ses pratiques amoureuses, celle pour la torture. Bref, c'est un immeuble très spacieux comprenant même une arrière-cour avec des lacs artificiels où le guide va se divertir dans ses heures de repos.

La chambre à coucher du guide providentiel est connue sous le nom de chambre excellentielle où ont été torturés successivement Kassar Pueblo le cartomancien du guide, le docteur Tchi et Layisho. Ce palais apparaît comme un lieu de la violence la plus excessive, un lieu de la mort car celui qui y est appelé pour comparaître devant le guide n'en revient jamais. Ceux qui y sont convoqués, sont tous tués.

Le palais présidentiel est aussi un lieu où le guide prend ses repas prolongés et où se déroulent ses longs préparatifs avant d'entamer tout acte sexuel. Il y est massé par des masseurs étrangers, jouissant du statut de coopérants, qui sont engagés pour nettoyer le corps du guide, réviser toutes les parties de son corps.

Ce palais présidentiel dans La Vie et demie a une signification claire, car il met en évidence un écart très remarquable entre les dirigeants et le peuple. Il montre une distance insurmontable et inaccessible entre les nouveaux dirigeants et leurs compatriotes qui, auparavant, partageaient le même sort.

Le second lieu qui revêt un caractère significatif dans La Vie et demie est l'hôtel « La vie et demie ». Ce qu'il faut signaler c'est que cet hôtel porte le nom du titre de l'ouvrage. Cet hôtel est un lieu de rendez-vous sûr pour Chaïdana où elle exerce sa vengeance. Tous les partenaires sexuels de Chaïdana y viennent sans crainte et se sentent en sécurité à côté de ce jeune corps. Les autorités de la République Katalamanasienne favorisent les responsables de cet hôtel parce que ces derniers servent de trait d'union entre la Katalamanasie et la puissance étrangère. L'hôtel « La vie et demie » est un Etat dans un Etat. Il appartient à des gens qui ne veulent pas suivre les lois dictées par le guide. Nous apprenons à la page 63 que « malgré le bannissement du noir en Katalamanasie, le drapeau noir et jaune de l'hôtel continuait de flotter dans l'immeuble » (V.D. : 63). L'hôtel « La vie et demie » constitue un lieu où se cachent ceux qui ne respectent pas la loi. C'est un abri sûr, car les autorités leur laissent la paix. Ceux qui y vivent y compris le personnel de l'hôtel échappent aux lois absurdes du guide.

Cependant, le jour où Obramousando Mbi se rendit compte que la fille avec laquelle il allait partager le lit dans l'hôtel « la vie et demie » était Chaïdana, son épouse qu'il avait cru morte ou disparue, il détruisit l'hôtel au moyen d'une dynamite. Beaucoup de personnes périssent dans cet incendie. La destruction de cet hôtel est une perte énorme pour le pays. Le personnel, les clients, les patrons y trouvent la mort. Et le pays acquiert une mauvaise réputation. Ce qu'il faut dire alors sur cette barbarie du guide, c'est qu'elle traduit l'inhumanité et le non-respect des droits de l'homme de la part des nouveaux dirigeants africains qui ne cessent d'éliminer les innocents pour les raisons non-fondées ou imaginaires, afin de se maintenir au pouvoir.

Un autre lieu qui retient notre attention dans cette étude sur l'univers spatial de La Vie et demie est la prison. Dans cette république katalamanasienne, la violence, la torture des guides n'épargnent personne, ni les paysans, ni les étudiants. N'importe qui, est soupçonné d'être en désaccord avec le régime en place. Celui qui ose s'opposer aux lois en exercice, est arrêté et jeté en prison. A Yourma, il y a une prison centrale où tous les détenus sont transférés pour y être gardés.

Dans La Vie et demie, la prison est donc une cellule au fond de laquelle on est coupé du monde extérieur, où l'on vit dans une pénombre éternelle, où l'homme perd le sens de la réalité, le sens de lui-même. C'est ainsi que ceux qui font partie de la classe des élus du peuple libèrent leurs frères, leurs connaissances et leur trouvent des remplaçants innocents dans la masse paysanne. Le passage qui suit en dit long :

« Souvent quand ça raillait, ceux des grands qui avaient leurs cousins sur la liste des condamnés à être passés par les armes leur trouvaient des remplaçants obscurs parmi les prisonniers pour non-paiement d'impôts. Les condamnés de marque allaient alors continuer la prison pour l'à-exécuter de promotion. Ils en sortaient, le calme revenu, et continuaient à vivre sous l'identité du mort en attendant les faveurs d'un nouveau trafic d'identité. Parfois, l'exécuté en titre gardait simplement l'état civil de son donneur d'identité » (V.D. : 122-123).

Le dernier espace très remarquable dans La Vie et demie est la forêt. Ceci apparaît comme un lieu privilégié non seulement pour les pygmées, mais aussi pour les autres voulant échapper à la torture et à la violence des dirigeants comme nous l'avons mentionné bien avant.

A part les pygmées qui considèrent la forêt comme leur milieu naturel où ils vivent paisiblement de la chasse et des fruits sauvages, Chaïdana et ses descendants la trouvent aussi favorable et accueillant. Ainsi, Chaïdana aux-gros-cheveux et Martial Layisho regagnent la forêt après l'arrestation de leur bienfaiteur Layisho. Celui-ci avait hébergé leur mère quelques années avant sa mort. N'ayant personne pour s'occuper d'eux, ils partent dans la forêt suivant les directives de leur grand-père Martial. Celui-ci leur donne ce dont ils ont besoin dans cette forêt naturelle. Ils marchent pendant longtemps avant d'atteindre un endroit propice pour y construire leur case. Le narrateur nous apprend qu'ils se nourrissaient des fruits sauvages. Là, ils sont à l'abri de la méchanceté humaine et se sentent protégés par le calme de la forêt. La forêt est alors, pour eux, comme une mère providentielle, protectrice et nourricière.

II.2.3 Le narrateur dans La Vie et demie

Il n'est pas rare que les lecteurs non avertis saisissent mal la distance qui existe entre l'auteur c'est-à-dire l'écrivain et le narrateur, celui qui, dans le roman, joue le rôle de rapporteur. Cette confusion, assez commune, conduit assez souvent à des erreurs d'interprétation. L'auteur est celui qui a conçu l'histoire, celui qui l'a imaginée. C'est alors l'écrivain. Tandis que le narrateur est celui qui prend en charge de présenter les événements. Il assume la narration, pour dire la transformation de l'histoire élémentaire en récit structuré.

Cependant, il est fort possible que le narrateur et l'auteur coïncident en un seul personnage. Selon Gérard GENETTE, ces deux formes narratives de base, que nous venons de voir, qui résultent de cette distinction sont nommées respectivement la narration hétérodiégétique et homodiégétique. Ainsi, pour bien expliquer ce statut du narrateur interrogeons Figure III, où Gérard GENETTE parle d'un tableau à double entrée ayant quatre types fondamentaux du narrateur, c'est-à-dire extra-hétérodiégétique, extra-homodiégétique, intra-hétérodiégétique et intra-homodigétique :

« Si l'on définit, en tout récit, le statut du narrateur à la fois par son niveau narratif (extra ou intradiégétique) et par sa relation à l'histoire (hétéro ou homodiégétique), on peut figurer par un tableau à double entrée, les quatre types fondamentaux du statut du narrateur :

1) Extradiégétique - hétérodiégétique [...] narrateur au 1er degré qui raconte l'histoire d'où il est absent ;

2) Extra-diégétique - homodiégétique [...] narrateur au 1er degré qui raconte sa propre histoire ;

3) Intradiégétique-hétérodiégétique [...] narrateur au second degré qui raconte une histoire d'où il est généralement absent ;

4) Intradiégétique-homodiégétique [...] narrateur du second degré qui raconte sa propre histoire »55(*).

Dans La Vie et demie, il n'est pas question de voir ces quatre types fondamentaux de statut du narrateur ; contentons-nous de sa relation à l'histoire narrée. De ce fait, dans ce roman, le narrateur reste toujours à l'extérieur de l'histoire qu'il raconte. Il est donc absent du monde narré dans la mesure où il rapporte des événements auxquels il ne participe pas, dans ce cas, il sera qualifié d'extradiégétique. Ceci se montre par la prédominance de la troisième personne du singulier où le narrateur s'efface pour laisser les personnages jouer et s'exprimer en présence du lecteur. Le narrateur fait une sorte de représentation, de démonstration.

« Le docteur savait seulement qu'elle avait un corps farouche [...] Il la comparait à une fleur au milieu des flammes, qui ne se brûlait pas [...] Il n'était pas bon, mais peu laid non plus » (V.D. : 22).

Cependant, dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi, la première et la deuxième personnes interviennent pour donner place aux discours des personnages :

« Ce fut à cette époque que Chaïdana demanda au guide providentiel l'autorisation d'aller visiter ses parents en Katalamanasie maritime.

- Ton odeur ! Il m'arrive plus à me passer de ton odeur amère. Mes narines y sont accoutumées.

- Rien que trois jours.

- Que veux-tu que je fasse ? Tu es devenu moi-même. Il enfonça la tête dans ses cuisses pour prendre une bonne dose de cette odeur vitale.

- C'est un miracle : moi qui n'ai jamais aimé une femme ! » (V.D. : 57).

Du point de vue de « la principale détermination (qui) est évidemment sa position par rapport à l'histoire »56(*), la narration que représente La Vie et demie est ultérieure, c'est-à-dire que le récit s'articule au passé. Son incipit le montre clairement : « C'était l'année où Chaïdana avait eu quinze ans [...] C'était le temps où la terre était encore ronde, où la mer était la mer » (V.D. : 11).

Un autre aspect du narrateur dans La Vie et demie ne manque pas à attirer notre attention. Il s'agit de cette tendance que le narrateur adopte dans son récit d'occuper la place d'un conteur. En effet, l'on serait amené à reconnaître la façon qu'il a d'interpeller, d'associer le lecteur, de solliciter son intelligence, la première proprement africaine de présenter le récit. Le lecteur dans La Vie et demie se situe par rapport au narrateur de ce récit comme un véritable auditeur. Cette caractérisation est vraiment remarquable dans ce roman, au point qu'on aurait la tentation de se demander s'il n'est pas la transcription graphique d'un récit qui a d'abord été véhiculé oralement. Les exemples suivants en disent long :

- « Merveilleuse nuit, elle reçut d'adorables décharges de chaleur dans les reins. Six fois, elle avait crié le ho-hi-hi final avant de commencer une véritable rafale de ho-hou-ha-hé » (V.D. : 118).

- « Pendant trois bonnes minutes, le colonel Greenman écouta, balançant continuellement des ouis de la tête avant de lâcher le « compris » final suivi de « your majesty » (V.D. : 54).

- « Monsieur l'Abbe terminait toutes ses phrases par un « vous comprenez ce que je veux dire ? ». Mais qui comprendrait ce qu'il allait dire ? » (V.D. : 171).

On aurait pu multiplier les citations pour illustrer ce point de vue, tout le texte en comporte un grand nombre. Mais les quelques-unes qui viennent d'être données et les proverbes, les mythes, les chants garnis ici et là dans La vie et demie, suffisent amplement pour montrer combien le narrateur accapare son lecteur, le prend à partie et sollicite de façon fort renouvelée sa connivence, ce qui résume en gros le rôle d'un conteur face à son auditoire.

Conclusion partielle

Au bout de cette analyse sur l'histoire et les structures narratives de La Vie et demie de Sony Labou Tansi, nous remarquons que l'histoire politique qui est mise en jeu suit deux grands parcours. Il y a tout d'abord le parcours narratif dominé par le guide providentiel animé d'un esprit et d'une volonté de dominer le monde de la République fictive de la Katalamanasie. Celui-ci est aidé, dans cette entreprise, par la puissance étrangère et sa dictature violente. Il y a ensuite un autre parcours narratif contre le pouvoir du guide ; celui-ci est dirigé par Martial et le peuple est rangé derrière lui.

Au cours du cheminement de l'histoire de La Vie et demie, beaucoup de personnages interviennent. Il y a ceux qui participent activement à l'évolution de l'histoire et d'autres qui n'ont pas un rôle bien défini. Il y a même ceux qui changent souvent de position qu'il n'est pas facile de savoir qui est héros et qui est anti-héros. Ceci est clair, parmi le peuple, il y a ceux qui luttent pour leur libération et leur survie. D'autres sont toujours amorphes et attendent toujours ce qui leur arrivera. Il y a même ceux qui n'ont aucune ligne de conduite, qui sont toujours versatiles.

L'univers spatio-temporel de La Vie et demie est beaucoup plus complexe. Le temps, au lieu de situer clairement le récit, contribue à le déstabiliser et à le rendre irréel, souvent par des marques temporelles imprécises. L'espace intra-textuel est très riche dans La Vie et demie. L'histoire se joue tantôt dans le palais présidentiel, tantôt à l'hôtel « La vie et demie », tantôt dans la forêt, tantôt en prison et ailleurs.

Le narrateur extradiégétique, par le fait qu'il raconte une histoire dont il est absent, nous réserve une narration manifestement ultérieure à l'action ; mais le foisonnement des scènes dialoguées, rapportées souvent au présent et au discours direct, crée une narration simultanée.

CHAP. III ECRITURE REVOLUTIONNAIRE ET LA DYNAMIQUE DES GENRES DANS LA VIE ET DEMIE

III.0. Introduction

Dans La vie et demie, Sony Labou Tansi adopte une écriture particulière. C'est une écriture qui correspond aux thèmes qu'il développe c'est-à-dire la révolte contre les nouveaux maîtres. Et dans ce roman, Sony Labou Tansi revêt un caractère novateur par le fait qu'il semble renoncer au beau style déjà existant. Le français employé par Sony, mime les langues africaines, leur emprunte des tournures, y puise des comparaisons. Il excelle, comme le souligne Marie-Noëlle Vibert à : « secouer d'inertie du langage, animer les mots en leur donnant une vie propre, réveiller la langue en lui donnant un souffre nouveau »57(*), car selon Sony Labou Tansi lui-même, il faut : « faire écraser cette langue frigide qu'est le français, lui prêter la luxuriance et le pétillement de notre tempérament tropical, les respirations haletantes de nos langues et la chaleur folle de notre moi vital58(*) ».

Cette innovation de Sony a fait couler beaucoup d'encre pour le féliciter de ce qu'il venait d'apporter à la littérature africaine. Citons pour illustrer ces propos les exclamations de Malanda en ces termes :

« Sony, vous êtes pour moi une énigme pure dans le domaine que constitue la littérature africaine. Vous apportez à cette littérature un style, un lexique, des thèmes et des personnages singuliers. Tout cela, cette littérature avait peur de l'inventer jusqu'ici59(*) ».

La nouveauté de l'entreprise scripturale de Sony Labou Tansi a retenu aussi l'attention de Genies lorsqu'il affirmait :

« Sony, le public français l'a d'abord découvert à travers son roman : La vie et demie (1979) [...] une véritable révélation. Celle d'un écrivain qui semble venir de partout à la fois. On le savait congolais et jeune, on le devinait intrépide et vorace. Mais ce qui surprenait [...] c'était un ton, une voix inimitable [...] absurde des situations, absurde d'une langue à qui il tord le coup. La réalité devient ici une forme exécutoire, immense champ de bataille où les mots se chevauchent, dérapent, glissent, se percutent de plein fouet. L'exercice est dangereux parce qu'il nécessite un perpétuel renouvellement. Une énergie brutale. On ne touche pas à une langue sans se brûler les doigts »60(*).

Disons alors à partir de ces observations que Sony, à travers La vie et demie, se montre comme l'écrivain le plus doué de sa génération, possédant une grande faculté d'invention qui se manifeste par un style et un lexique propres aux thèmes. Pour mieux comprendre cette écriture particulière, nous allons interroger le texte du point de vue scripturale et jeter aussi un coup d'oeil sur le mélange des genres dans La vie et demie que l'auteur, l'éditeur et la critique considèrent comme un roman.

III.1 Ecriture

Le texte de La vie et demie est truffé de beaucoup d'éléments remarquables. Les mots se chevauchent et prennent d'autres sens souvent par le recours aux parodies discursives, aux tons comiques et tragiques, voire à la présence du surnaturel. Aussi faut-il signaler encore que cette écriture sonienne est beaucoup plus caractérisée par un grand nombre de figures de rhétoriques qui s'étendent dans tout le texte. Ceci a un grand impact sur la phrase dans La vie et demie surtout sur le choix des mots, c'est-à-dire le lexique.

Cette écriture de Sony Labou Tansi, son choix de mots, son agencement, son art de la suggestion voire l'insertion des langues imaginaires sont peut-être dus à son éducation ou à sa conception de la langue française que nous voulons d'abord essayer de brosser en peu de mots avant de développer les poins susdits.

III.1.1 Sony Labou Tansi, son éducation et le français

Il est à noter qu'à l'école, les premières années de Sony Labou Tansi se sont faites en Kikongo, sa langue maternelle. D'après le témoignage de Jean Michel Devésa, Sony a commencé à apprendre le français, seulement lorsque son oncle a décidé de le transférer au Congo Brazzaville où vivait sa famille maternelle. Ceci ne lui a pas été très facile, car lors d'un entretien avec Carcasso, il dira :

« Là, moi qui ne connaissais pas un mot de français, j'ai découvert un ami : « le symbole ». C'est-à-dire qu'aux enfants qui faisaient des fautes de français, on accrochait autour du cou une boîte de « merde » pour les punir. Ils la gardaient jusqu'à ce qu'un autre la mérite. J'étais un spécialiste du « symbole », la cible préférée, bien que j'essayais de me taire le plus possible. Je passais beaucoup de temps aux toilettes parce qu'au moins là, on me laissait tranquille. Petit à petit, j'ai fini par apprendre »61(*).

Tout en faisant l'école du type occidental, Sony poursuivait son éducation informelle en Kikongo auprès de sa grand-mère. D'après toujours Devésa :

« De ces premières années passées au village, au contact des anciens, Sony a hérité d'une grande maîtrise du Kikongo, de son usage symbolique et crypté, de ses tournures métaphoriques et oraculaires complètement hermétiques pour le locuteur pratiquant la langue comme un simple outil de communication »62(*).

Au sujet de cette éducation, nous remarquons qu'il lui est resté un attachement à la culture africaine qui paraît évident dans son roman La vie et demie, surtout l'imaginaire qui transparaît dans cette oeuvre plus ou moins proche du conte. C'est également à la culture traditionnelle que Sony Labou Tansi doit probablement l'art de suggérer ce qu'il y a au-delà du langage comme il le dira lui-même : « Dans la langue de ma mère est posé le langage un sous langage, sous le dire un sous-dire qui agit de même manière que le sucre dans l'amidon :il faut mâcher fort pour qu'il sorte »63(*).

Du point de vue du français qui est un moyen le plus privilégié, Sony en donne quelques raisons : « J'écris en français, parce que c'est dans cette langue-là que le peuple dont je témoigne a été violé, c'est dans cette langue que moi-même j'ai été violé. Je me souviens de ma virginité. Et mes rapports avec la langue français sont des rapports de force majeure»64(*).

A d'autres occasions aussi, Sony faisait comprendre que le français était pour lui une langue imposée : « Je n'ai jamais eu recours au français, c'est lui qui a eu recours à moi »65(*). Lors d'une rencontre avec des étudiants en France, il est allé jusqu'à affirmer : « ce n'est pas moi qui ai besoin de la langue française, c'est elle qui a besoin de moi »66(*).

Malgré cette déconsidération de Sony Labou Tansi vis-à-vis du français, il devait quand même l'utiliser car son pays le privilégiait à cause de la colonisation et celui-ci faisait partie de la réalité congolaise. Sur ce, dans un entretien avec Bernard Magnier, il dit :

« je suis africain ; je vis africain. Je suis à l'aise dans ma peau d'africain où que je sois. Cependant, j'ai des choses à dire et ces choses je vais les dire à ceux qui ont choisi le français comme compagnon d'existence. Ma réalité congolaise se vit en français. L'école, les discours, la constitution sont en français. La rue vit en français. J'ai donc envie d'écrire en français pour ces gens-là »67(*).

Cependant, même s'il était nécessaire à Sony Labou Tansi d'écrire en français, il ne s'agissait pas pour lui, le français des Français ; il s'agissait plutôt de proclamer ses droits, de faire dire ce qu'on a à dire à une langue façonnée à d'autres usages. Dans un entretien avec M. ZALESSKY, il dira : « Nous sommes les locataires de la langue française. Nous payons régulièrement notre loyer. Mieux même : nous contribuons aux travaux d'aménagement de cette langue »68(*). Dans le même entretien, Sony continue à dire en ce qui concerne la langue française que : « la francophonie, c'est le courage qu'auront les Français de savoir que les hommes font l'amour avec leur langue. Toute langue est le premier lieu d'exercice de liberté. La liberté fait la promotion de la différence, en naturalisant la ressemblance »69(*).

Sans aller trop loin, nous voyons que Sony Labou Tansi n'a jamais accepté le modèle de langue littéraire tel qu'il venait de l'ancienne métropole. Pour lui, le français était une réalité qui s'inventait chaque jour qu'on devait l'utiliser pour dire ce qu'on voulait dire. Selon toujours lui :

« la langue, c'est la poésie et les idées qu'il y a derrière, ce n'est pas le dictionnaire ni par la syntaxe d'ailleurs. Je crois plutôt qu'il faut inventer un langage. Or, ce qui m'intéresse, moi, ce n'est pas la langue française, c'est le langage que je peux y trouver, à l'intérieur, pour arriver à communiquer »70(*).

D'ailleurs c'est pour cette raison que Sony critiquait ses prédécesseurs en ces termes :

« Il est vrai que les écrivains africains avaient tendance à imiter les modèles français dont ils étaient imprégnés par leur lecture. Par respect pour une langue qu'ils ne maniaient pas. Je pense qu'il faut essayer de souffler dans les mots, dans la syntaxe et créer sa propre langue »71(*).

Vu alors cette conception de Sony Labou Tansi vis-à-vis de la langue française, revenons sur l'écriture de La vie et demie, qui est l'objet de notre étude. C'est un roman écrit en français, mais métissé en certains endroits par le fait qu'il y a interpellation des langues imaginaires ou locales et la syntaxe y relative. Le roman est écrit dans une langue où beaucoup de mots prennent un autre sens que le premier souvent par le recours aux autres discours existants voire même l'enchevêtrement de plusieurs procédés littéraires ; ce qui constitue son style particulier.

III.1.2 Le style sonien dans La vie et demie

III.1.2.1 La parodie

Le dictionnaire Nouveau Larousse définit la parodie comme étant : « une imitation burlesque d'une oeuvre littéraire ou artistique »72(*). Hutcheon ajoute qu'elle est considérée comme : « une forme d'imitation, mais une imitation caractérisée par l'inversion ironique »73(*). Pour Josias SEMUIJANGA : « parce qu'elle résulte d'une transtextualité généralisée, la parodie passe par l'évocation, la révocation et la réécriture du matériau discursif antérieur »74(*).

On voit donc que la parodie se définit comme un procédé littéraire ou romanesque qui consisterait à recourir, à imiter d'autres textes ou à d'autres discours déjà existants en littérature. Mais l'introduction de ces textes ou discours pourrait occasionner un changement de sens de ces derniers.

Ainsi, dans La vie et demie, ce procédé littéraire est très remarquable pour un lecteur attentif et mérite d'être relevé dans cette étude. Signalons dès l'abord que beaucoup d'éléments touchent à la bible. Les exemples sont nombreux, mais retenons ceux qui sont beaucoup plus frappants. L'expression « ecce homo » que nous trouvons à la page 41 et « voici l'homme » à la page 58 et 71 renvoient directement à « ecce homo » de la Bible prononcée par Pirate au moment de livrer Jésus Christ. L'expression « Sainte vierge douleur » à la page 79 est la parodie de celle de la Bible : « la Sainte Vierge Marie » ; même chose pour « la Sainte Vierge noire » (V.D. : 65) qui parodie toujours « la Sainte Vierge Marie ». La phrase « On donna à Martial ce qui était à Martial et au guide providentiel ce qui était au guide providentiel » (V.D. : 86) est la parodie de celle de la Bible : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ». « Chers frères, chères soeurs, je meurs pour vous sauver de moi » (V.D. : 142) est la parodie de « Je meurs pour vous sauver du péché ». La phrase comme « Gardez mon nom comme un trésor » (V.D. : 142) est la parodie de la phrase biblique « Faites ceci en la mémoire de moi ». Aussi faut-il encore ajouter que la phrase « la raison du guide était toujours la meilleure » est la parodie de « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». La devise de Jean Coriace : « Une tête saine sur un ventre sain » (V.D. : 161), est la parodie de « Un corps sain dans un esprit sain ».

A côté de cette parodie jouant sur des mots et leur agencement dans la phrase, nous trouvons dans La vie et demie, une autre sorte de parodie, se rapportant aux discours politiques et sociaux voire même sur les institutions mises en place. Alors que nous connaissons, dans des discours sociaux et politiques, que les militaires, c'est-à-dire les maréchaux, les colonels et les autres sont des hommes respectueux, honnêtes, gardiens de la paix, le narrateur de La vie et demie nous apprend que :

« Les colonels, les généraux et les maréchaux n'étaient que des soldats en titre qui s'engraissaient, se battaient autour des jeunes filles et des vins mousseux [...] et quand la puissance étrangère qui fournissait les guides en avait décidé, ils prenaient le pouvoir et choisissaient un nom de règne ; alors ils ouvraient des comptes écoeurants dans les banques de la puissance étrangère qui fournissait les guides. De temps en temps, ils « pérrochutaient » des versets établis par leurs ancêtres en discours inaugural de ceci ou de cela » (V.D. : 175).

Toujours par cette parodie portant sur les discours officiels, le narrateur entre en contradiction avec les conventions reconnues par l'ordre établie. Celui-ci tend à les valoriser au point que les principaux personnages sont ridicules comme « le Guide providentiel [qui] dansa avec la mariée toute la nuit si bien que les mauvaises langues parlèrent de nationalisation » (V.D. : 51). En parlant de cette nationalisation pour acquisition de la femme d'autrui, Josias SEMUJANGA nous apprend que ce mot, une sorte d'ironie « s'adresse au discours de la nationalisation des entreprises et de ses abus comme si les choses et les êtres appartenaient au Guide Providentiel dont l'absolutisme lui octroie même les vieux droits de cuissage longtemps pratiqué dans les sociétés médiévales »75(*).

Par ailleurs, alors que le discours social officiel donne du Révérend Père Wang une image de sage incarnant la pondération et la moralité publique, le narrateur lui donne une autre image. Non seulement cet homme de Dieu est un débauché qui « à trois heures quitta son lit au nom du père et du fils [...] pour aller rejoindre sa maîtresse » (V.D. : 110) mais aussi c'est un être brutal qui perd patience avec ses chrétiens. En effet, il frappe souvent sur la table pour se faire respecter « En demandant au seigneur de faire quelque chose pour changer le coeur des pygmées » (V.D. : 109).

Notons, en guise de conclusion à ce point, que ce procédé de déplacement de sens qu'est la parodie dans La vie et demie est épaulée par l'ironie qui à son tour, n'est pas à négliger dans cette analyse.

III.1.2.2 L'ironie

Pour Dällenbach et Jean Ricardou, l'ironie consiste à « exprimer une chose par son opposé, son contrarium »76(*). Ce procédé est beaucoup exploité dans le roman que nous analysons. Ainsi, à titre illustratif, quand le guide providentiel était frappé par l'impuissance sexuelle, le narrateur nous apprend qu'il faisait son amour avec Chaïdana à l'aide des doits et celle-ci se montrait satisfaite :

« je ne peux plus me passer de toi, de ton odeur amère... ça me suffit, l'orgasme digital. Ça me suffit aussi que tu m'éparpille que tu me barbottes, que je gémisse, que je vibre sous son poids » (V.D. : 56).

Ces mots de Chaïdana ne sont que simple ironie car l'idée qui suit à la même page montre clairement que Chaïdana mentait. Elle avait espéré un enfant avant de mourir. A la page 106, le narrateur nous informe que Monsieur l'Abbé : « ne péchait jamais des reins. Sa queue savait se taire selon la volonté du Seigneur. Les réalités de la chair ne venaient qu'après celles de l'esprit. Le bas de son corps avait été réduit en respectable silence » (V.D. : 106).

Ces mots ne sont qu'une information ironique car à la page suivante, le narrateur ne tarde pas à nous dire que devant Chaïdana :

« Monsieur l'Abbé était un mal incomparable, il avait ajouté quelque chose d'indicible aux bruits de son corps et creusé un délicieux vide dans son ventre. A vrai dire, devant Monsieur l'Abbé, Sir Amanazavou était un zéro sexuel tout rond. Elle l'avait gardé au lit tout le lendemain, ne l'avait lâché que le soir vers l'heure du dîner » (V.D. : 118).

Au sujet des indépendances africaines, le narrateur dit que « ce sont les seules prières de noirs que Dieu avait écoutées » (V.D. : 112). Le ton est ironique et moqueur parce que l'idée qui continue dans les pages suivantes est que les Africains ont lutté pour l'indépendance sans être prêts à en prendre la responsabilité. Les noms que Sony Labou Tansi donne à ses personnes dans La Vie et demie revêtent aussi un caractère ironique. Il y a par exemple « Guide providentiel », « Henri-au-coeru-tendre », apparemment par leurs noms, ce sont des bons rois, mais ce sont des guides les plus criminels de la République Katalamanasienne. Les exemples sont nombreux, on pourrait mentionner beaucoup d'autres ; mais contentons-nous de ceux cités pour donner place à d'autres points particuliers que nous trouvons dans La Vie et demie, comme l'animalisation humaine.

III.1.2.3 L'animalisation humaine

Il faut d'abord signaler que nous empruntons ce terme d'« animalisation humaine » à Cécile LEBON dans son article que nous avons déjà cité. Selon cet auteur, dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi :

« La dénonciation de la corruption et de la tyrannie passe paradoxalement par une déformation de la réalité. Niant toute forme mimétique, [Sony Labou Tansi] préfère la démesure, l'accentuation des ruptures et l'aggravation des contrastes. Sa représentation des figures étatiques déforme les personnalités, réelles, joue sur les lubies et les défauts de certains modèles. Elle casse [...] le personnage pour le descendre de son piédestal, le détrôner et en faire un bouffon. Ce bouffon peut adopter les caractéristiques d'un animal »77(*).

Dans tout le roman, l'homme est décrit comme un animal. Les exemples viennent aisément. Le Guide providentiel subit ce processus d'animalisation avec « son corps broussailleux comme celui d'un vieux gorille » (V.D. : 54). Il est décrit comme une bête primaire, instinctive, essentiellement dominée par ses pulsions : il mange, s'accouple, se soulage comme une bête. Il est cannibale, carnivore, monstrueux comme un animal :

« Le guide rugissait comme deux lions. La fourchette brillait dans la main gauche, elle passerait bientôt dans la main droite, quand la sentence serait prononcée. Bien que déjà hors de vie, le docteur reconnaissait la fourchette excellentielle pour avoir maintes fois assisté aux exécutions entre deux bouchées de viande vendus aux quatre saisons » (V.D. : 41).

Rappelons alors, comme nous l'avons déjà dit, que ce processus d'animalisation humaine, ce procédé selon lequel une personne est prise comme un animal, n'est pas arbitraire. Ceci revient pour montrer les caractères inhumains des figures du pouvoir, ou tout simplement les ridiculiser ou les rabaisser. Cette stratégie littéraire dont Sony Labou Tansi use avec aisance, est renforcée souvent par les figures de styles qui sont parsemées ici et là dans La Vie et demie.

III.1.3 Les figures de styles

Tout texte devient très intéressant dans la mesure où il est animé de tournures littéraires techniquement appelées « figures de styles. Est figure de style :

« L'expression d'une idée dans un état d'âme déterminé. La figure nous présente non pas l'idée isolée, mais l'idée dans son milieu d'éclosion, c'est-à-dire qu'elle révèle, en même temps l'idée, l'état d'imagination ou de sensibilité qui l'a fait ce qu'elle est »78(*).

Ainsi, Sony Labou Tansi n'hésite pas à utiliser des figures de styles pour capter l'attention du lecteur. Parmi celles recensées dans La Vie et demie, il emploie souvent la comparaison, la métaphore, la répétition, l'euphémisme, la périphrase et la personnification.

III.1.3.1 La comparaison

La comparaison est une figure de style facile à relever dans La Vie et demie. Elle opère une confrontation entre deux objets ou réalités plus ou moins apparentés. Elle sert de référence pour mieux expliquer une réalité quelconque. Dans ce cas, on rapproche deux objets dont le premier terme doit être mieux connu pour pouvoir concrétiser le sens premier. Il importe de signaler maintenant que ce roman contient beaucoup de comparaisons. Des exemples sont nombreux, laissons alors le texte parler pour retenir quelques-uns qui frappent dès la première lecture :

« Le soldat s'immobilisa comme un poteau » (V.D. : 11).

« le visage de la loque-mère s'était rempli d'éclairs ténébreux comme celui d'un mort dont on n'a pas fermé les yeux » (V.D. : 12).

« La loque-père [...] respirait comme un homme qui vient de faire l'acte » (V.D. : 12).

« Le Guide providentiel se leva [...] vint devant la loque-père, les dents serrés comme des pinces et lui cracha au visage » (V.D. : 12).

« Je ne veux pas mourir cette mort, dit la loque-père toujours debout comme i » (V.D. : 13)

« C'était pour la plupart des hommes grands comme deux, forts comme quatre et velus comme deux ours » (V.D. : 20).

« Chaïdana tremblait comme une feuille » (V.D. : 26).

« Le Guide providentiel vit sa femme étendue au pied du lit, nue comme un verre de terre, belle comme un songe de pierre » (V.D. : 55).

« Le corps [...] resta frais comme celui d'un homme qui sort des bains ».

« Patatra grandissait. On l'élevait comme un tigre, comme un lion » (V.D. : 130).

III.1.3.2 La métaphore

Selon Larousse, la métaphore est « une figure de rhétorique qui consiste à donner à un mot un sens qu'on ne lui attribue que par une analogie implicite »79(*). Pour DOUTREPONT, la métaphore « consiste à transporter un mot de sa signification propre et physique à une autre signification d'ordre intellectuel ou moral en vertu d'une comparaison implicite et sous-entendue. La métaphore est une comparaison abrégée »80(*). Dans La Vie et demie, les exemples ne manquent pas pour illustrer ce que nous venons de dire : « J'en ai mal de frotter tout seul. Je me blesse la queue » (V.D. : 24). Ici Sony utilise la queue pour signifier le sexe de l'homme.

« Le guide providentiel eut une écoeurante surprise. Il avait laissé tous ses habits devant la porte verte, il voulait impressionner son épouse par son corps broussailleux comme celui d'un vieux gorille et par son énorme machine de procréation [...] » (V.D. : 54).

Ici, ce qui se dégage très vite c'est que Sony utilise « machine de procréation » à la place du « sexe d'un homme » c'est-à-dire le pénis.

« Quand le Guide providentiel entra [...], il ne vit que la forêt d'inscription au noir de Martial qui pavoisaient la pièce » (V.D. : 67).

« [...] Le Directeur central des Affaires protocolaires arrangea la venue du guide qui arriva au milieu d'une forêt de fusils » (V.D. : 37).

« La liste des interdits s'allongea rapidement et on arriva à une forêt d'interdits » (V.D. : 135).

Dans ces trois passages, le mot « forêt » revêt un autre sens, c'est-à-dire « beaucoup ».

« [...] cette sève qui vous gardait mort pendant quinze soleils et quinze noirs » (V.D. : 95).

Dans cette phrase, Sony compare les soleils aux jours et les noirs aux nuits.

« Il luit tendit une grosse liasse de billets de banque enroulée dans un chèque [...] Nous sommes dans la ville à problèmes, ici le seul chemin, ce sont les chiffons-là. Ça vous sauve de tout » (V.D. : 30).

Par chiffons, Sony Labou Tansi veut dire l'argent.

On pourrait multiplier les exemples des métaphores dans La Vie et demie, car ce roman en comporte un grand nombre, mais celles qui viennent d'être citées parlent à haute voix et nous pouvons passer à une autre figure qui a retenu beaucoup notre attention, c'est-à-dire la répétition.

III.1.3.3 La répétition

La répétition est une figure de style, selon toujours DOUTREPONT, qui « consiste à ramener la même idée dans les mêmes termes pour la souligner, pour y insister ; cette figure marque l'énergie de la conviction ou la vivacité du sentiment »81(*). Cette oeuvre nous offre une multitude de répétitions. Retenons celles qui sont plus frappantes :

« Le temps passa. Le guide providentiel essaya une fois encore et une fois encore Martial allant se plaindre chez Kassar Pueblo et une fois encore Kassar Pueblo vint dans la chambre excellentielle » (V.D. : 21).

Ici le mot « une fois encore » est répété trois fois.

« Les morts auront toujours raison, dit le docteur. Il n'a parlé sans doute à cause de la blessure. Les morts auront toujours raison, répéta le docteur » (V.D. : 28).

« On commença à parler d'une épidémie mais puisque l'épidémie, si épidémie il y avait, ne frappait que les membres de la dictature [...] » (V.D. : 61).

Le mot « épidémie » est répété trois fois pour marquer une certaine insistance sur l'épidémie qui exterminait des membres de la dictature katalamanasienne dans très peu de temps.

III.1.3.4 L'Euphémisme

L'Euphémisme est aussi une figure de style qu'on trouve dans La Vie et demie de Sony Labou Tansi. Henri Morier le définit comme étant « Une figure de pensée par laquelle on adoucit l'expression d'une idée jugée brutale ou trop amère »82(*). Jean Dubois le traite comme « une manière atténuée ou adoucie d'exprimer certains faits ou certaines idées dont la cruauté peut blesser »83(*).

En somme, remarquons qu'on s'accorde sur une même idée, une même ligne de pensée. En effet, confronté à des mots qui risqueraient de choquer, s'ils s'étaient exprimés crûment, Sony Labou Tansi modèle son langage. Le mot suivant est un exemple parmi tant d'autres : « Martial entra dans une telle colère qu'il battit sa fille comme une bête et coucha avec elle sans doute pour lui donner une gifle intérieure » (V.D. : 69). Ici Sony utilise maintes fois « donner gifle intérieure » pour atténuer le mot « violer ».

III.1.3.5 La périphrase

Comme l'indique Suhamy, « La périphrase est une figure qui combine l'allusion, la substitution et l'allongement [...], la périphrase proprement dite est une désignation descriptive qui remplace un mot »84(*).

Sony exploite beaucoup cette figure, d'une part pour « parer aux divers inconvénients qui se trouvent liés à l'emploi du mot propre [...] par son caractère de signe motivé donc concret et pittoresque »85(*), d'autre part pour unifier la pensée et témoigner de l'existence que mènent les gens. Pour le premier cas, prenons un exemple comme « Faire la chose-là qu'on fait avec les femmes » pour dire faire l'amour.

« Le Ministre des finances avait rejeté sa proposition de faire la chose-là qu'on fait avec les femmes dans l'arrière-bureau où les structures d'accueil étaient parfaitement adaptées » (V.D. : 65).

« On faisait la chose-là qui déjà fait partie des occupations des récréations » (V.D. : 65).

« Le guide Jean-Coeur-de-pierre se donna la promesse de ne jamais faire la chose-là qu'on fait avec les femmes, en dehors de la semaine annuelle des vierges » (V.D. : 148).

« Son excellence doit absolument éviter de faire la chose-là avec la fille de Martial » (V.D. : 20).

Pour le deuxième cas, les exemples suivants en disent long :

- La liste des à-fusiller (V.D. : 29)

- La masse des à-surveiller (V.D. : 29)

- Des peut-être-vivants (V.D. : 35)

- Des pas-tout-à-fait-vivants (V.D. : 40)

- Place de l'Egalité-entre-l'homme-et-la-femme (V.D. : 26).

Les noms de beaucoup de personnages de La Vie et demie participent également à ce procédé de périphrase :

- Henri-au-coeur-Tendre (V.D. : 121)

- Jean-coeur-de-père (V.D. : 127)

- Jean-l'Ami-des-peuples (V.D. : 143)

- Jean-le-simple (V.D. : 143)

- Jean-l'-audacieux (V.D. : 143)

- Jean-L'Ame-blanche (V.D. : 143)

- Jean-au-coeur-plein-de-souris (V.D. : 145).

III.1.3.6 La personnification

La personnification se définit comme : « espèce de métaphore par laquelle on fait agir ou sentir une chose comme un être animé »86(*). Dans le roman, les exemples sont nombreux, mais contentons-nous de ceux qui sont pertinents.

« Même si le monde est mort au-dehors ne me dérangez pas » (V.D. : 54).

Le monde ne peut pas mourir. Il est pris comme une personne.

« La vie et morte, l'homme est devenu pire qu'un animal » (V.D. : 73).

« mais la vie était sortie en paix. Elle était sortie, personne ne pouvait dire quand » (V.D. : 77-78).

Dans ces deux dernières phrases, il est bien clair que le mot « vie » est personnifié. La vie ne peut pas mourir.

Nous remarquons donc en somme, pour clore ce point sur les figures de style dans La Vie et demie, que la métaphore, la comparaison, la répétition, la personnification, l'euphémisme et beaucoup d'autres que nous n'avons pas pu relever, se combinent pour faire de La vie et demie une oeuvre de saveur littéraire. Ces procédés littéraires propres à l'écriture romanesque et que Sony Labou Tansi manipule avec adresse, témoignent d'une parfaite maîtrise de la langue française. Il reste à voir alors comment sa phrase est construite et bien son choix de mots, c'est-à-dire le lexique.

III.1.4 Les particularités lexicales

D'une façon générale, dans La Vie et demie, Sony Labou Tansi utilise des mots simples et compréhensibles. Ceux-ci sont agencés dans des phrases sobres, correctement structurés et souvent marqués par la concision qui conduit aux démembrements d'une phrase en plusieurs propositions indépendantes et qui n'exclut pas d'ailleurs la beauté des expressions.

Mais de temps en temps, cet auteur utilise des mots nouveaux de sa propre création, soit pour enrichir la langue française de formes nouvelles, soit tout simplement pour combler l'insuffisance du français qui ne parvient pas à rendre toute la réalité africaine. Ces mots sont donc des néologismes.

Avant d'entrer en détails de ces mots, il convient tout d'abord de nous appuyer sur la définition de Marcel CRESSOT, pour qui un néologisme est : « Un moyen qui s'offre à l'usage de la langue pour remédier l'insuffisance du matériel linguistique »87(*). Selon toujours lui, des néologismes deviennent nécessaires

« pour désigner des choses nouvelles -pour resserrer en une formule énergique une expression qui, délayée dans un groupe périphrastique, serait exsangue- pour se donner la possibilité d'une phrase plus souple en disposant d'une série continue dans les différentes catégories grammaticales »88(*).

Sony ne manque pas d'exploiter ce procédé littéraire. Les néologismes que nous trouvons dans La Vie et demie peuvent être classés en deux catégories essentielles. D'une part, Sony Labou Tansi part des mots déjà existants en français, procédant par commutation et jouant sur l'axe paradigmatique, pour créer des nouveaux mots. Les exemples sont nombreux, contentons-nous de ceux qui suivent :

Regardoir (V.D. : 132)

Regardeur (V.D. : 132)

Les pleureurs (V.D. : 62)

Les pistolétographes (V.D. : 44)

Infernalement (V.D. : 27).

Dans ce même ordre d'idée, c'est-à-dire qu'en partant de mots existant dans le registre du français, Sony prend un mot déjà connu dans son sens premier et lui donne un autre sens adapté à la réalité qu'il veut exprimer. Ici, prenons le cas du mot « choquer » qui normalement désigne, selon le dictionnaire Larousse : « provoquer une violente perturbation physique ou psychique »89(*), mais qui, à la page 72 de La Vie et demie, devient un substantif et désigne : « toutes les techniques de provocation sexuelles féminines ».

« De temps à autre passait un groupe de miliciens qui lui demandaient ses papiers. Ils n'insistaient d'ailleurs que dans ce but de cueillir un choquer sur cette beauté formelle retapée par le fleuve » (V.D. : 71-72).

D'autre part, le narrateur procède à une création presque fantaisiste qui va jusqu'à inventer des langues qui sont censées être parlées dans la République imaginaire de Katalamanasie. Pour comprendre le sens de ces langues, le lecteur est renvoyé aux notes infra-paginales :

« Mocheno akanata buentani » (V.D. : 95) : ils ont de sang pur.

« Kampechianata » (V.D. : 33) : plat de viande crue.

« Vouokani » (V.D. : 33) : le produit que Chaïdana mettait dans le champagne.

« Boulang-Outana » (V.D. : 89) : Soleil n'est pas mort.

« Manakeng » (V.D. : 91) : poison de liane

« Ocheminka akanatani » (V.D. : 92) : S'ils ne meurent pas, c'est que ce sont des démons.

« Onglouenimana chahtana yanka » (V.D. : 95) : J'apporte tous les voeux du clan au pays des tempêtes.

Ainsi, pour compléter cette courte étude sur le lexique dans La vie et demie, il convient de signaler que ce choix de mots ainsi que cette langue imaginée, produisent une grande horreur dans certains passages et un effet humoristique. Ce mélange de tons confère à La Vie et demie un certain équilibre vraiment remarquable.

III.1.5 L'horreur et l'humour

La première impression qu'un lecteur de La Vie et demie ressent, est un malaise. Celui-ci est dû à la violence que charrient les mots et les structures. Les scènes de tortures dont nous avons parlé, la description des crimes, s'éparpillent ici et là dans le roman. Le viol des femmes qu'on décrit en long et en large, l'exploitation et la misère du peuple, bref tout ce qui revêt un caractère d'horreur, ne laisse personne indifférent.

Cependant, Sony amortit le choc par son art particulier de conter. C'est grâce au mélange de tons qu'il parvient à accaparer le lecteur, à aller même jusqu'à lui arracher un sourire et parfois un grand rire. La Vie et demie pourrait s'appeler à juste titre « un pleurer-rire »90(*), car comme l'indique Charles BONN, « Le comique et le rire font beau ménage chez Sony Labou Tansi »91(*). Cela constitue son talent particulier comme nous le révèle Francis Kpatindé en ces termes :

« Le talent de Sony Labou Tansi consiste à faire sourire, sinon rire de certains drames. Dans un style alerte, incisif, cynique et chantant [...] on rit à défaut de pleurer et on pleure de trop rire »92(*).

Pour illustrer ces tons humoristiques dont nous parlons ici, des exemples viennent aisément. Observons ceux qui suivent : Chaïdana et son frère étaient seuls dans la forêt et pour

« éviter de franchir la frontière des choses et tomber dans cette tentation dont le pasteur Dikabana leur parlait si souvent à l'école moyenne protestante, ils dormaient toujours la tête de l'un dans les jambes de l'autre. Ils avaient confectionné des culottes tellement grossières qu'elles leur brûlaient des reins plus qu'elles ne les cachaient » (V.D. : 90).

Toujours, par ce comique des mots, le narrateur nous apprend à la page 90 que quand Chaïdana et son frère Layisho étaient encore dans la forêt, ils

« pleuraient à tour de rôle. Le soir en rentrant de la chasse ou de la pêche, Martial disait avec un rire franchement jovial : c'était le tour de ma soeur. Elle prenait son tour [...] Le matin était toujours le tour de Martial Layisho. Il pleurait avant de partir à la chasse. » (V.D. : 90).

Ajoutons pour illustrer l'humour se trouvant dans La Vie et demie, le passage où le narrateur raconte par exemple les ratés de la construction d'un hôpital de luxe en pleine brousse pour des pygmées, que ceux-ci désertent parce que : « le quinoforme qu'on y donnait toujours affaiblissait le sexe chez l'homme et rendait les femmes stériles » (V.D. : 113). Et parce que le « garçon de salle, cousin de Sir Amanazavou qu'on y avait envoyé avec la mention de docteur [...] plaçait [...] le fémur au cou et l'omoplate au ventre, et [parce que] les quatre-vingt-treize infirmières [servaient] de simples meubles aux séjours répétés des hautes personnalités et [...] donnaient de la nivaquine pour soigner les plaies ».

Cependant, dans La Vie et demie, le rire est beaucoup plus exagéré allant même jusqu'« au grotesque des corps et leur laideur comme réalité du monde »93(*). « Un souverain nu, c'était le sommet de la laideur » (V.D. : 57). Ce corps nu jusque dans ses parties les plus intimes, que d'habitude le discours officiel n'aborde pas, devient l'objet du regard privilégié du narrateur : « la chose qu'on fait avec les femmes » (V.D. : 64). Le même langage se poursuit dans le passage suivant : « Chaïdana était nue, avec deux coupes de champagne, l'une posée sur le sein droit et l'autre sur le sexe. Elle garda les yeux fermés. Le Guide allait aux toilettes pour une dernière vérification de ses armes. Il s'y déshabilla » (V.D. : 68).

La raison, pourrait-on dire, de ce grotesque, est le désir acharné de vouloir nommer toute chose, car, pour Sony, la littérature « c'est l'acte de nommer - certains disent la bagarre de nommer. Je crois franchement qu'on ne peut pas s'engager dans une telle bagarre sans risquer de nommer le sexe de sa mère »94(*). Selon toujours Sony Labou Tansi lui-même :

« de l'homme il n'y a rien à cacher. Le caca est en nous, à côté des sucs digestifs. En quoi le caca serait-il inférieur aux sucs et aux vitamines ? C'est l'homme. Le vagin est un temple, pourquoi le cacher ? C'est le lieu des naissances »95(*).

Toujours, de cette technique de nommer dans son oeuvre, Sony continue à donner des témoignages : « En tant qu'écrivain mon travail consiste à nommer. Nommer la peur, nommer la honte, nommer l'espoir pourquoi pas ? Et je crois que dans tout ce que j'ai écrit, j'ai nommé »96(*). La raison majeure de nommer toute chose se clarifie bien dans un entretien avec Bernard Magnier :

« J'ai l'ambition horrible de chausser un verbe qui nomme notre époque [...] Mon culte de la vie ne me laisse pas une autre voix que celle du bouche à bouche avec la lucidité. On ne change pas les choses tant qu'on ne les a pas nommées, tant qu'on ne les a pas appelées par leur nom »97(*).

Il est évident donc que « nommer » dans le langage ou sous la plume de Sony Labou Tansi signifie autre chose que donner un nom. Paradoxalement, appeler les choses pour les communiquer, c'est une attitude révolutionnaire et individuelle qui consiste à refuser l'acceptation passive des règles imposées par les autres ; car la nouvelle conception de l'écriture, selon toujours lui, il s'agit de donner libre cour à l'imagination créatrice en se passant de toute censure. L'écriture constitue un choix : « J'éprouve un certain besoin d'amplifier les mots, de les tendre comme des cercles de guitare. Pour moi, le style se traduit comme un choix. Choix de la parole, choix de souffre [...]. Pour l'écrivain, le style c'est sa manière de respirer. On n'a pas le temps de soigner sa respiration [...] moi qui écris au galop, je n'ai pas toujours le temps d'être coquet avec mon temps »98(*).

En définitive, disons avec Josias SEMUJANGA, pour mettre fin à ce point, que le mélange des accents risibles et tragiques donnent à La Vie et demie une véritable dimension romanesque : dire l'indicible, nommer l'innommable en faisant cohabiter, comme dans la vie de tous les jours, le philosophique au trivial, le sérieux au banal, et l'absence au rationnel. Selon le même auteur, ce roman incarne l'esprit du roman en général, qui est un mélange de description d'un univers social fictif par la médiation du narrateur analyste et critique de la vie et ses styles. Remarquons toujours que ce mélange de tons que nous venons de remarquer dans La Vie et demie va de pair avec le mélange des genres que nous allons passer en revue dans les lignes suivantes.

III.2 La dynamique des genres dans La vie et demie

L'on sait jusque là que La Vie et demie de Sony Labou Tansi est un roman. Et le roman, comme l'affirme le critique, « n'est pas un genre fixe ni une essence, mais un genre caractérisé par le mélange d'autres genres artistiques et littéraires. C'est un genre impur dès sa naissance »99(*). Ceci veut dire que le roman n'a pas de règles. A ce sujet, donnons le feu vert à Françoise-Van Rossum Guyou qui déclare que : « le roman n'a pas de règles. Tout lui est permis. Aucun art poétique ne le mentionne, ni ne dicte des lois »100(*).

En plus de ces considérations intéressantes et enrichissantes des critiques, l'on se souvient que La Vie et demie est un roman negro-africain. Et les romanciers negro-africains s'inspirent beaucoup de la tradition orale. C'est ainsi qu'ils intègrent dans leurs romans, les matériaux caractéristiques de la littérature orale. Cette littérature, l'on sait bien, ne sépare pas les genres. Ce mélange de genres se trouvant actuellement dans la littérature écrite semble être très abondant dans la littérature negro-africaine, car selon les affirmations de Jean Mayer : « la séparation des genres est le dogme d'une certaine littérature. Epopée, réalisme, confessions lyriques, satires se mêlent souvent dans le roman negro-africain, car les tendances correspondantes existent ensemble dans l'âme africaine »101(*).

Sony Labou Tansi, dans La Vie et demie ne manque pas alors à ce rendez-vous et use de ce mélange de genres, entre autres le fantastique, le conte et les chroniques.

III.2.1 Le fantastique

Selon Todorov, le fantastique se définit comme « un genre romanesque caractérisé par une manière de raconter centrée sur une hésitation [...] entre une explication des faits et une convocation du surnaturel »102(*).

Ainsi, tout au long de La Vie et demie, beaucoup de personnages apparaissent comme des êtres surnaturels. A titre d'exemple, Martial, Layisho apparaissent comme des êtres surnaturels voire immortels qui changent continuellement d'identité. La grossesse de Chaïdana a duré dix-huit mois et seize jours et durant sa vie, elle a eu deux cents quatre noms dont le dernier fut Chanka. Quant à Layisho, il fut incarcéré pendant quatre-vingt-huit ans par les guides providentiels avant de mourir à l'age de cent trente trois ans et neuf jours. Après sa mort, il fit décider de ne l'enterrer que lorsque commencerait la putréfaction de son corps. Celle-ci ne « vint qu'un an et douze jours » et son corps « resta frais comme celui d'un homme qui sort de bain » (V.D. : 81).

Aussi faut-il dire que le retour des morts qui prennent la parole dans le roman, fait partie de ce fantastique. Ainsi, Martial revient pour régler ses comptes avec sa fille Chaïdana et avec le guide providentiel qui l'a exécuté. Le feu Dashimo « revenait chercher sa femme et ses poulets » (V.D. : 113), tandis que le feu Dalanzo « criait et tout le village entendait qu'il avait soif et qu'il faisait horriblement noir de l'autre côté » (V.D. : 113). Aussi beaucoup d'autres personnages victimes des guides entrent dans la mort de Martial pour conjurer leur mort physique. Ainsi,

« le jour où l'Université de Yourma protesta contre les « politisations inconditionnelles des diplômes », le guide Henri-au-coeur-tendre donna l'ordre de tirer, les trois milles quatre-vingt-douze morts entrèrent tous dans la mort de Martial, puisque le soir du 20 décembre, on les vit marcher dans les rues brandissant les drapeaux de sang, avec leurs blessures qui saignaient toujours » (V.D. : 86).

A cela, le narrateur ajoute que « nombreux étaient maintenant ceux qui voulaient mourir de la mort de Martial pour avoir l'occasion de repasser dans la vie après la mort. Beaucoup enviaient les étudiants » (V.D. : 86-87).

III.2.2 Le conte

Dès la lecture des premières lignes de l'incipit de La Vie et demie, le narrateur renvoie le lecteur dans le monde de conte. Ceci revient à dire que ce roman commence par une formule propre au conte : « c'était l'année où Chaïdana avait eu quinze ans. Le ciel, la terre, les choses tout complètement par coeur. C'était au temps où la terre était encore ronde, où la mer était la mer [...] » (V.D. : 11).

Le narrateur utilise ces formules « c'était l'année où » ou d'autres motifs temporels comme « à cette époque », « à l'époque où », qui rappellent ainsi « il était une fois » du conte : « c'est à cette époque que trente-six des Jean de la série C avait obtenu la permission d'aller voir leur grand-mère » (V.D. : 150). « C'était un jour après son rêve que le feu était la couleur de Dieu ».

Remarquons également que les formes de conte se manifestent par l'usage des chiffres fréquents dans la narration des faits. Les exemples sont nombreux :

« Ils s'éteignaient la troisième nuit de la troisième semaine suivant le départ des pygmées [...] pendant les dix-neuf mois et vingt-deux jours que le corps mit à pourrir ; Kabahasu prit à ses pièges sept cent quarante deux sangliers, deux cent vingt-huit civelles, huit cent-trois chacals, quatre-vingt-treize chats, quatre crocodiles, deux léopards, d'innombrables rats de toutes tailles, ainsi que quatre boas et treize vipères » (V.D. : 92-93).

A côté de cette narration à la manière d'un conte, le narrateur fait recours aussi à celle des chroniques.

III.2.3 Les chroniques

Dans La Vie et demie, le narrateur utilise les techniques narratives des chroniques, c'est-à-dire la succession de règnes des rois. Les passages suivants sont des exemples parmi tant d'autres dans le roman :

« le Guide Henri-au-coeur-Tendre courut tout nu jusqu'à la première barrière des gardes ; il parlait cette langue que personne ne comprenait : il parla cette langue jusqu'au jour de son assassinat dans un asile après les six ans, quatre mois, deux semaines et un jour de règne en son nom du colonel Kapitchianti qui assurait toujours le peuple de sa guérison prochaine » (V.D. : 125-126).

« [...] Le guide Jean-Coeur-de-père la trouva évanouie, lui donna une cascade de huit gifles intérieures et devin fou dans la même nuit, c'est-à-dire le trois cent vingt-deuxième jour de son règne » (V.D. : 128).

« On était sous le règne du guide Henri-au-coeur-tendre, deuxième jour de son règne » (V.D. : 128).

Ces exemples suffisent pour illustrer ce genre des chroniques, mais ce qu'il faut ajouter encore est que ces formes s'apparentent à celles des récits dynastiques où chaque nom de règne est associé à un univers symbolique en rapport avec les événements qui vont survenir au royaume. Ainsi Henri-au-coeur-tendre, qui est sympathique et libéral, s'inscrit dans un cycle de rois de la paix et de la prospérité tandis que Jean-Calcium, difficile et draconien, représente le cycle des guerres et de la barbarie.

Conclusion partielle

Ce chapitre avait pour objectif d'étudier l'écriture sonienne dans La Vie et demie. Au bout de cette analyse, il faut remarquer qu'une écriture particulière se dégage à travers cette oeuvre. Eu égard aux thèmes qu'il développe, c'est-à-dire la révolte contre les nouveaux pouvoirs africains d'après l'indépendance, Sony Labou Tansi choisit un moyen d'expression, une langue où une écriture qui convient à ce qu'il développe, bref, une écriture révolutionnaire. Il fait donc une « révolution » dans l'art d'écrire, il rompt avec la tradition pour enfin présenter une oeuvre qui reflète la société moderne africaine.

Cette écriture sonienne commence par briser les règles traditionnelles de la langue française, car selon Sony Labou Tansi, la langue est en perpétuelle mutation. Ceci montre ses attitudes vis-à-vis de la langue française, car comme l'affirme Drocella RWANIKA : « cet auteur n'hésite pas à tordre le cou à la langue française pour créer la sienne propre, qui puisse répondre à ses besoins »103(*). Cette façon dont il conçoit la langue permet d'ouvrir les horizons en montrant qu'il ne faut pas toujours s'atteler au passé parce que les problèmes de ce temps diffèrent de ceux de la société moderne.

Dans l'analyse qui vient de se clore, force est de constater aussi, que La Vie et demie récupère d'autres discours déjà existants, soit en les parodiant, soit en les ironisant. Beaucoup de figures de rhétoriques interviennent pour embellir le récit dans lequel le tragique, le risible font bon ménage. Notons que ce récit qu'est La Vie et demie transcende les règles des genres littéraires. A cet effet, le fantastique, le conte, les chroniques en constituent des traits majeurs.

CONCLUSION GENERALE

Au terme de ce travail qui avait pour but d'étudier le politique et l'écriture à travers La Vie et demie de Sony Labou Tansi, il importe de revenir sur certains points de l'analyse.

Tout au long de l'étude, il ressort que la dimension politique de cette oeuvre est extrêmement importante. Le terme « politique » a été abordé dans le sens de la façon et des mécanismes mis en oeuvre pour gérer un Etat ainsi que des réactions du peuple vis-à-vis du pouvoir qui est exercé. De ce fait, l'imaginaire que nous avons dans La Vie et demie est tout imprégné de politique. Le récit se déroule dans la république imaginaire de la Katalamanasie et le régime politique exercé par les différents guides est loin de satisfaire les attentes du peuple ; mais au contraire le peuple est déçu. La dictature et les maux qui en découlent comme la violence et beaucoup d'autres, sont à la base de tout le malheur du peuple qui attendait une vie meilleure.

Tout au début du roman, le guide providentiel, dictateur, tue son adversaire Martial, son opposant politique ; peu après, il rencontre une très belle fille Chaïdana, la fille de Martial, et tombe amoureux d'elle. A chaque fois qu'il veut approcher la jeune fille, l'image de l'homme qu'il a fait tuer s'interpose entre lui et elle. Ceci est une simple imagination mais renvoyant à la réalité, car selon Sony Labou Tansi lui-même dans un entretien avec Pierrette Herzberger-Fofana :

« Cette image lancinante qui se répète tout au long du roman est à la fois allégorique et magique. J'ai écris La vie et demie dans la douleur. Plusieurs de mes amis avaient été assassinés en 1977 sous le prétexte qu'ils auraient fomenté un coup d'Etat contre le Président [...] Je reste convaincu que mes amis n'étaient pas en mesure de commettre un tel crime politique. Leur exécution était une sorte de règlement de comptes. L'Etat voulait tout simplement se débarrasser d'individus intelligents »104(*).

Un peu après l'exécution de Martial, la violence et le meurtre s'étendent dans toute la république katalamanasienne, l'allégorie des pays africains comme il a été maintes fois démontré.

Aussi faut-il dire à la fin de ce travail que le politique dans La Vie et demie réside dans le parti pris de l'auteur. A travers cette oeuvre, Sony Labou Tansi adopte une attitude révolutionnaire vis-à-vis des nouvelles autorités de l'Afrique d'après les indépendances. Il prend le parti des opprimés et dénonce les maux dont ils sont victimes. Dans cette oeuvre, il honore ses engagements et intentions qu'il a mises en évidence dans un entretien avec Bernard MAGNIER : « Mon métier, c'est celui d'homme. Ma fonction celle de révolté. Mon intention serait de prouver à tous les hommes à quel point ils sont semblables. Je suis révolté contre la bêtise, le mimétisme et l'arrogance »105(*).

Cet engagement de Sony Labou Tansi rappelle celui dont parle Jean Paul SARTRE. Pour lui, l'engagement d'un écrivain se conçoit comme la prise de conscience de ses responsabilités envers le peuple. Il assigne à l'écrivain la mission d'éveiller la conscience du peuple et sa situation en ces termes :

« Je dirais qu'un écrivain est engagé lorsqu'il tâche de prendre la conscience la plus entière d'être embarquée, c'est-à-dire lorsqu'il fait passer pour lui et pour les autres, l'engagement de la spontanéité immédiate au réfléchi. L'écrivain est médiateur par excellence et son engagement, c'est la médiation. »106(*).

Cette conception sartrienne de l'engagement est très importante pour les pays où les masses ont besoin d'éducateur consciencieux pour éveiller leur conscience. Sony Labou Tansi est un exemple. Pour atteindre son idéal, il a adopté comme nous l'avons vu, une certaine méthode, c'est-à-dire celle de dévoilement. Il dévoile les abus de nouveaux pouvoirs africains, leur cupidité, leur totalitarisme, leur incompétence, leur mépris, bref, il veut montrer que la décolonisation n'est pas terminée, invitant les masses à se défaire de leur peur pour combattre le nouvel oppresseur.

Cependant, cette révolte du point de vue de la thématique, comme nous l'avons démontré, a occasionné la révolte contre les règles classiques de la littérature en général et du français en particulier. C'est pour cette raison qu'une étude sur l'écriture s'est avéré nécessaire. Il est bien clair que dans La Vie et demie, pour combattre la barbarie de certains dirigeants, leur méfiance vis-à-vis du peuple, Sony Labou Tansi choisit un type particulier d'écriture, un « paysage » dans ses propres mots que nous trouvons dans la revue Le mois en Afrique cité par Cécile LEBON : « Un écrivain qu'on le veuille ou non, c'est quelqu'un qui va dans la forêt du langage, et qui se met à débroussailler, et à éclaircir le paysage où il va planter »107(*). Ceci veut dire que Sony, dans ses intentions veut délaisser les lieux communs pour habiter, selon l'auteur précité « les no man's land et les territoires encore inexploités. Il ignore les espaces cloisonnés, les modèles littéraires européens [...] préférant abolir les frontières et jeter les ponts entre les différents langages »108(*).

Dans La vie et demie, les mots et même des structures subissent souvent les artifices qui sont autant de déformations de la réalité. Les mots sont travaillés, cassés et retravaillés encore pour prendre un sens cher à son auteur, pouvant traduire les aspirations du peuple. Sony joue sur les mots en les rapprochant, les accolant, les déformant. On remarque clairement que les mots s'entrechoquent, s'accélèrent et se perdent dans les discours parodiques, ironiques ou les figures de styles prennent une place de choix. La Vie et demie, suivant l'étude que nous avons faite, n'est pas un roman à intrigue unique, aux espaces spatio-temporelles bien définis, c'est une oeuvre qui suit le cheminement de l'imaginaire. Elle s'adapte aux souvenirs des personnages, aux digressions du narrateur. L'intrigue se tend vers la complexification du récit. Quant à l'action, elle s'éparpille pour finalement créer un tout inextricable qui transcende les lois des genres. La Vie et demie n'a non seulement les caractéristiques du roman, mais aussi présente quelques points du conte, du fantastique, des chroniques.

Disons, au bout du compte, que notre travail ne prétend pas avoir épuisé tout le sujet. Nous avions pour objectifs d'étudier le politique et l'écriture et de dégager l'influence de l'un sur l'autre. Nous avons atteint nos objectifs. Mais quelques travaux peuvent être réalisés sur La Vie et demie. Nous citons à titre exemplatif, « L'étude de grotesque dans La vie et demie », « L'étude approfondie du personnage de Chaïdana et de Martial », « Les procédés de création dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi » et beaucoup d'autres, car le champ de recherche est encore plus vaste chez lui.

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2. GATETE, A., La problématique du pouvoir en Afrique noire indépendante chez quelques romanciers negro-africains d'expression française, mémoire, UNR, Ruhengeri, 1990.

3. KABEJA, T., Contribution à une typologie du roman d'Afrique noire francophone, thèse de doctorat de 3ème cycle, Montpellier, Université Paul Valéry, Montpellier III, avril 1979.

4. RURANGIRWA, S., La quête de la nation dans Prochain Episode d'Hubert Aquin. Essai d'analyse sociocritique, Mémoire, UNR, Butare, 1999.

E. Dictionnaires

1. DUBOIS, J., et alii, Dictionnaire de linguistique, Nouvelle édition revue et corrigée, Larousse, 1984.

2. MORIER, H., Dictionnaires poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1961.

3. Nouveau Petit Larousse, Paris, Larousse, 1977.

F. Sites Internet

1. www.arts.uwa.edu.au/Mots pluriels/MP1099SLT.html.

2. www.multimania.com/jecmaus/litterat.html.

3. www.orient.uw.edu.politique/~jkrywic/devesa.html.

4. www.orient.uw.edu.politique/~krywic/ecriture.html.

* 1 K.Echemin, « la liberté créatrice et option collective, la problématique de la création romanesque en Afrique » in Afrique littéraire n° 71-72, 1974, p. 14

* 2 MOURALIS, B., « La révolte contre le pouvoir colonial et religieux », in Notre Librairie, n° 68, janvier - mars 1983, p. 57.

* 3 Jacques Chevrier cité par Alphonse GATETE, La problématique du pouvoir noir indépendante chez quelques romanciers negro-africains d'expression française, mémoire de Licence, Ruhengeri, 1990, p. 20.

* 4 LEMOTIEU , M., « Le statut des indépendances africaines dans le roman negro-africain » in recherche pédagogique et culture, n°65-66, Janvier-avril 1984, p 137

* 5 MAXIMIN, D., « Tchikaya/Sony, le dialogue interrompu » in notre Librairie, n° 92-93, mars-mai, 1988, p. 89

* 6 LEBON, C., « Sony Labou Tansi : Rêver un autre rêve » in notre Librairie n° 125 (janvier-mars 1996) p 102

* 7 DENIS, A., Julien Gracq, Paris, Ed. Seghers,1978, p 12

* 8 LEBON, C., Op. cit. p. 101

* 9 MAXIMIN, D., Op. cit. p. 88

* 10 VIBERT, M.N, Op. cit. p 121

* 11 TODOROV, T., Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, p. 176

* 12 SEMUJANGA, J. Dynamiques des genres dans le roman africain. Eléments de poétique transculturelle, Paris, l'Harmattan, 1999, p. 9.

* 13 DUCHET.C., Sociocritique, Paris, Ed. Fernand Nathan, 1979

* 14 SEMUJANGA, J. « La littérature africaine des années quatre-vingt : les tendances nouvelles du roman », in Présence Francophone, n° 41, p 42

* 15 RURANGIRWA, S., La quête de la nation dans prochain Episode d'Hubert Aquin, Essai d'analyse sociocritique, Mémoire, U.N.R Butare, 1999, p. 10

* 16 GOLDMAN, L. Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1986, p 36

* 17 NDACHI TAGNE, D., Roman et réalités camerounaises, 1960-1985, Paris, l'Harmattan, 1986, p 194

* 18 VALETTE, B., Le Roman, initiation aux méthodes et aux techniques modernes d'analyse littéraire, Paris, Nathan, 1992, p 52

* 19 BIZIMUNGU, C., L'oeuvre romanesque de Sony Labou Tansi, mémoire, Ruhengeri, 1987, p. 6.

* 20 MOURALIS, B., « Pays réels, pays d'Utopie », in Notre librairie, n° 84, juillet - septembre 1986, p. 48.

* 21 CHEVRIER, J., Op. cit., p. 183.

* 22 BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 24.

* 23 ARMAH, Ayi, Kweyi, cité par GATETE, A., Op. cit., p. 90.

* 24 NDACHI TAGNE, D., Roman et réalités camerounaises, l'Harmattan, Paris, 1986, p. 43.

* 25 Idem, p 241.

* 26 BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 28.

* 27 VIBERT, Marie-Noëlle, « Sony Labou Tansi : Entre morts et vivants », in Notre Librairie, n° 125, p. 110.

* 28 TOYIN, F., «L'Afrique en perspective », in L'Afrique maintenant, Paris, Karthala, 1995, p. 43.

* 29 SEWANOU, Dabla, cité par DROCELLA, M. RWANIKA, L'inscription féminine : le roman de Sony Labou Tansi, Kinshasa, éd. Anthologie, 1997, p. 6.

* 30 Signalons que ce terme « nouveau roman » est déjà connu en France depuis les années cinquante. Ceci apparaît comme la résonance littéraire à la décadence sociale des années trente et quarante-cinq en France. Les romanciers de cette lignée visent le renouvellement du genre romanesque. Notons aussi que les grands représentants de cette tendance en France sont Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathali Sarraute, Claude Simon et Robert Pinget.

* 31 NKIZAMACUMU, D., cité par BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 55.

* 32 SEMUJANGA, J., Dynamiques des genres dans le roman africain : Eléments de poétique transculturelle, Paris, l'Harmattan, 1999, p. 143.

* 33 Idem, p. 133.

* 34 LAROUSSE, P., Nouveau Petit Larousse, Paris, Larousse, 1977, p. 765.

* 35 SUPERVILLE, J., Théories de l'Art et des Genres littéraires, Paris, édition de l'école, 1951, p. 438.

* 36 NKIZAMACUMU, D., cité par BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 69.

* 37 VIBERT, M.N., Op. cit., p. 108.

* 38 Bingo, n° 401, juin, 1986, cité par BIZIMUNGU, C., Op. cit., p. 29.

* 39 RWANIKA, M.D., Op. cit., p. 97.

* 40 Idem, p. 96.

* 41 Idem, p. 97.

* 42 Idem, p. 101.

* 43 SEMUJANGA, J. , « De l'intérgénéricité comme forme de baroque dans le roman de Sony Labou Tansi », in Nouvelles écritures francophones vers un nouveau baroque, Montréal, Presses Universitaires de Montréal, 2001, p. 206.

* 44 BREMOND, C., La logique du récit, Paris, Seuil, 1973, p. 14.

* 45 GOLDENSTEIN, J.P., Le Roman, Bruxelles, A. De Boeck, 1980, p. 63.

* 46 SUPERVILLE, J., Op. cit., p. 290.

* 47 SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 135.

* 48 KUNDERA, M., cité par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 135.

* 49 METZ, C., cité par GENETTE, G., Op. cit., p. 77.

* 50 GENETTE, G., Op. cit., p. 82.

* 51 Idem, p. 83.

* 52 MOURALIS, B., « Pays réels, pays d'utopie », in Notre librairie, n° 84, juillet - septembre 1986, p. 52.

* 53 Idem, p. 54.

* 54 CHEVRIER, J., cité par RWANIKA, D., Op. cit., p. 9.

* 55 GENETTE, G., Op. cit., pp. 255-256.

* 56 GENETTE , G., Op. cit., p. 228.

* 57 Vibert, M-N, Op.cit, p. 122

* 58 Jacques Chevrier cité par Vibert, M-N, Op.cit. p. 122

* 59 Malanda, A.S, cité par Rwanika, D., Op. cit., p 7

* 60 DENIS, B., cité par RWANIKA, D., Op. cit., p. 7.

* 61 CARCASSO, J.G., cité par DEVESA, J.M., Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte des rives magiques du Congo, Paris, l'Harmattan, 19963, p. 61.

* 62 DEVESA, J.M., op. cit., p. 61.

* 63 NGAL, G., cité JUNUSZ KRZYWICK (Internet) http://www.uwa.edu.au/motspluriels/MP1099SLT. Html ; fri, 10 aug 2001 13 :02 :30+0200 (CEST).

* 64 ORISHA, I., « Sony Labou Tansi face à douze mots », in Equateur, n° 1, 1986, p. 30.

* 65 Idem, p. 31.

* 66 JANUSZ KRZYWICKI, op. cit., p.4.

* 67 MAGNIER, B., « je ne suis pas à développer mais à prendre ou à laisser », in Notre librairie, n° 79, juillet - septembre 1986, p. 14.

* 68 ZALESSKY, M., Cité par JANUSC KRYWICKI, Op. cit., p. 5.

* 69 Idem, p. 6.

* 70 Ibidem.

* 71 Idem, p. 7.

* 72 Larousse, Op. cit., p. 730.

* 73 HUTCHEON, cité par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 140.

* 74 SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 140.

* 75 Idem, p. 144.

* 76 DÄLLENBACH, L. et RICARDOU, J., Problèmes actuels de la lecture, Paris, Ed. Clancier-Guénaud, 1982, p. 123.

* 77 LEBON, C., Op. cit., p. 103.

* 78 DOUTREPONT, C., Littérature française, Namur, Wesmael-Charlier, 1944, p. 27.

* 79 Larousse, Op. cit., p. 631.

* 80 DOUTREPONT, C., Op. cit., p. 34.

* 81 Idem, p. 46.

* 82 MORIER, H., Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1961, p. 465.

* 83 DUBOIS, J. et alii, Dictionnaire de linguistique, Nouvelle édition revue et corrigée, Larousse, 1984, p. 200.

* 84 SUHAMY, H., Les figures de style, Paris, PUF, 1981, p. 52.

* 85 CRESSOT, M., Le style et ses techniques, Paris, PUF, 1959, p. 47.

* 86 DOUTREPONT, C., Op. cit., p. 36.

* 87 CRESSOT, M., Op. cit., p. 57.

* 88 Idem, p. 58.

* 89 Larousse, Op. cit., p. 200.

* 90 Nous empruntons ce terme au roman d'Henri LOPES, Le pleurer-rire, Paris, Seuil, 1980.

* 91 BONN, C., Littérature francophone, Paris, Hatier, 1977, p. 271.

* 92 KPATINDE, F., cité par RWANIKA, D., Op. cit., p. 10.

* 93 SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 145.

* 94 NDZANGA KONGA, A., « Sony Labou Tansi : un homme à la recherche de l'homme perdu », in Recherche pédagogique et culture, n° 64, 1983, p. 72.

* 95 NZUJI, Mukala Kadima, cité par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 145.

* 96 ORISHA, I., Op. cit., p. 31.

* 97 MAGNIER, B., « Je ne suis pas à développer, mais à pendre ou à laisser », in Notre Librairie, n° 79, 1986, p. 16.

* 98 MAGNIER, Op. cit., p. 17.

* 99 SEMUJANGA, Op. cit., p. 9.

* 100 VAN ROSSUM-GUYOU, F., Critique du roman, Paris, Gallimard, 1970, p. 11.

* 101 MAYER, J., cité par KABEJA, T., Op. cit., p. 35.

* 102 TODOROV, T., cité par SEMUJANGA, J., Op. cit., p. 136.

* 103 RWANIKA, D., Op. cit., p. 9.

* 104 HERZBERGER-FOFANA, P., Entretien avec Sony Labou Tansi, http://www.arts;uwa.edu.au/mots pluriels/MP1099s/t.html.

* 105 MAGNIER, B., Op. cit., p. 12.

* 106 SARTRE, J.P., Qu'est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1948, p. 98.

* 107 LEBON, C., Op. cit., p. 106.

* 108 Idem, p. 102.






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