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Apéritif et sociabilité. Etude de la consommation ritualisée et traditionnelle de l'alcool

( Télécharger le fichier original )
par Anaà¯s Gayot
Université d'Aix-en-Provence - Master 1 d'anthropologie sociale et culturelle 2007
  

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M.M.S.H. d' Aix-en-Provence

Master 1 d'anthropologie sociale et culturelle

Parcours 3

Apéritif et sociabilité

Études de la consommation ritualisée et traditionnelle de l'alcool

Présenté par Anaïs Gayot, sous la direction de Valérie Feschet

Septembre 2007

Introduction

Un apéritif en famille

Boire et manger, une sociabilité autour de la table

De l'anthropologie du boire à l'anthropologie de l'alimentation

Une pratique résistante au temps

1ère partie - L'alcool à travers l'histoire

I - Les boissons fermentées dans l'histoire des civilisations

A - Le lien entre les dieux et la consommation d'alcool

a- Les premières traces d'alcoolisation

b- L'héritage gréco-romain

c- Le symbole du christianisme

B - La convivialité des banquets et symposions

a- L'enjeu politique et social des banquets mésopotamiens

b- La philosophie des banquets grecs

c- L'abondance romaine

d- Les festins du Moyen Âge

C - Breuvages aux vertus élémentaires

a- L'eau impure

b- Vin et bière comme remède

c- L'apport nutritionnel des boissons fermentées

II - Le paradoxe religieux : un impact sur la relation à l'alcool

A - Du rituel d'hospitalité...

a- Le vin, la boisson privilégiée

b- L'alliance par le vin

B - ... au péché

a- De sévères répressions

b- L'ivresse, un péché mortel

c- Une guerre contre les cabarets

2ème partie - L'apéritif à travers l'histoire et l'anthropologie de l'alimentation

I - L'émergence de l'apéritif dans l'histoire de l'alimentation

A - Du médical à la saveur

a- L'aspect thérapeutique des boissons apéritives

b- L'impact de l'influence publicitaire

c- La valeur gustative des boissons

B - L'évolution des moeurs de table : du Moyen Âge à aujourd'hui

a- Le début d'une révolution des principes de table

b- Standardiser les modes de vie et "civiliser" le peuple

c- L'estime de soi

C - L'alliance des vins et des mets : une évolution gastronomique

a- Le "coup d'avant" du "service à la française"

b- L'expansion de la restauration hors foyer

c- Plaisir et gastronomie

II - Une documentation spécifique à l'apéritif

A - Les descriptions des spécialités apéritives : une source ethnographique a- Les livres de recettes

b- La diversité des apéritifs : du vin au cocktail

1- Le vin populaire

2- La mode des cocktails

c- Les traditions régionales vues par les manuels de gastronomies

1- Les tendances fruitées du Nord-Est

2- Les vertus médicinales des plantes des hautes montagnes

3- Les saveurs méditerranéennes

4- L'origine des boissons apéritives dans l'Ouest

5- La valorisation du patrimoine régional

B - Les sources analytiques

a- L'anthropologie de l'alimentation

1 - Incorporer un aliment

2 - Les fonctions sociales de l'alimentation

3 - Le concept de "gastro-anomie"

4 - La structuration du temps

b- La philosophie du savoir-vivre

1 - La sobriété et le bon goût

2 - Les règles de la conversation

3 - Entre savoir-vivre et rituel

3ème partie - L'apéritif et ses normes sociales

I - Un espace temps privilégié et divertissant

A- "l'heure de l'apéritif"

a- Le temps de boire un verre

b- La pause des travailleurs

c- L'apéritif au sein du repas

1- L'ajustement des temps de repas

2- L'apéritif comme loisir

B - L'impact du milieu sur les manières de consommer

a- Le café, un lieu de consommation divertissant

b- La tendance des "apéros" au foyer

II - Des fonctions sociales et culturelles

A - Un jeu de rôle défini. Hommes et femmes face à l'alcool : des stéréotypes en phase d'évoluer ?

a- Le partage des taches domestiques b- Le boire viril

c- Le carcan du boire féminin

B - L'apéritif, un révélateur d'identité culturelle et socioprofessionnelle

a- La confrontation de deux cultures du boire

b- Appartenir à un groupe

C - Les règles du savoir-vivre et du savoir-boire dans la socialisation

a- La cohésion du groupe

b- L'apéritif dans les manuels de savoir-vivre

c- Le savoir-recevoir

d- Les enjeux du savoir-boire

4ème partie - Limites et ouvertures du champ d'étude

I- Les limites de l'anthropologie du boire

A - L'apéritif : une boisson alcoolisée

a- L'ambiguïté du phénomène d'alcoolisation

b- Le déterminisme des sciences biologiques

c- Le recours à l'analyse des comportements

B - La question de l'ivresse

a- Ivresse et socialisation

b- Les normes de l'ivresse

c- L'apprentissage de l'ivresse

d- Entre intégration et désintégration

C - Le tabou de l'alcoolisme

a- La naissance d'un concept

b- Alcoolisme et pathologie

c- Alcoolisme et anthropologie

II - L'apéritif, un champ d'étude vaste à explorer

A - La personnalité régionale des manières de boire

a- De nettes oppositions

b- Des exemples de moeurs régionales

B - L'étude du don

a- Le don comme convenance

b- Le système des "tournées"

c- Une obligation informelle

C - La problématique du seuil

a- Une frontière symbolique

b- Entre mesure et démesure

Conclusion

Bibliographie

À propos des auteurs

Introduction

* Un apéritif en famille

La consommation d'alcool, en France, est culturellement mais aussi historiquement ancrée dans les habitudes sociales et familiales. Chaque région cultive son cru ou au moins donne une attention particulière à une boisson préconisée. Dés lors, un savoir-boire se transmet indéniablement de génération en génération. C'est cet aspect qui m'a orientée vers la question de l'apéritif, en tant que moment de sociabilité enraciné dans les us et coutumes français.

L'intérêt de ma recherche s'explique par le caractère familier de l'apéritif, intrinsèquement lié à sa dimension transmissible. On peut le prendre avant le déjeuner dominical ou à l'occasion de visites impromptues ou non à l'heure convenue. Boire un apéritif permet avant tout d'offrir une boisson et un moment de détente, convergeant avec un certain nombre de conventions sociales. Il s'est avéré que, dans un contexte particulier, l'apéritif a pris pour moi une forme rituelle : ma grand mère réunissait sa famille, un soir dans la semaine, souvent le vendredi. Au début de manière informelle, puis de manière ponctuelle pour s'établir comme un moment indispensable à l'élaboration de la semaine. L'apéritif était alors un moyen pour elle de se sociabiliser puisque ce moment était également ouvert aux amis de ses enfants et petits-enfants. Par l'intermédiaire de l'alcool, elle devenait le centre de cette réunion et avait une certaine popularité aux yeux des jeunes qui en appréciaient l'usage.

L'exemple de cet apéritif matriarcal regorge de valeurs chargées symboliquement : le devoir ponctuel de se réunir en famille, le respect des règles d'alcoolisation, l'offrande d'alcool donnant lieu à la détente et à la parole et rapprochant les générations. On peut y voir également l'idée d'accomplir l'unification familiale autour d'un personnage "pilier".

* Boire et manger, une sociabilité autour de la table

Les motifs à prendre un apéritif sont divers et la moindre occasion peut être justifiée sans connotation péjorative mais au contraire très socialement valorisée. De la simple rencontre imprévue à l'organisation élaborée d'un dîner, l'alcool tisse le lien social. Il donne un air de fête aux réunions comme aux retrouvailles. D'où lui vient une telle popularité ? Son pacte avec la table n'aurait-il pas un effet sur les représentations qu'on lui octroie ? Religieuses, séculières, médicales ou festives, les pratiques traditionnelles de la consommation de boissons alcoolisées se sont, au cours de l'histoire, multipliées. Elles ont donné lieu à des significations particulières pour le consommateur, parfois à travers des rites qui ont émergé. Les pratiques ritualisées les plus traditionnellement répandues se situent sans aucun doute autour de la table. L'apéritif en occupe une place considérable puisqu'il amorce la cérémonie du recevoir, du repas ou de l'entrevue selon le contexte. Dans une culture où la gastronomie s'impose, l'art et la manière de déguster mets et boissons nécessitent des codes. Au même titre que le choix du vin accompagnant les plats ou du digestif proposé à la fin du repas, l'apéritif est une pratique sociale et culturelle codifiée par des normes. Ces codes ne jouent-ils pas un rôle prépondérant dans le procédé des échanges ?

À la maison, dans un bar ou dans n'importe quel lieu de rencontre (restaurant, salle des fêtes, banquet, cercle, vernissage, lieu de travail...), l'"apéro" peut être une habitude quotidienne ou hebdomadaire. Il est souvent lié à un évènement, plus ou moins important. De ce fait, l'apéritif fait l'objet d'un cérémonial qui le caractérise. Il aurait pour but, d'un point de vue médical, d'"ouvrir" l'appétit, comme le suggère l'étymologie du mot. Son sens actuel lui donne une place d'une autre importance : celui de communiquer, de rapprocher, de resserrer des liens, de communier. Ainsi, l'alcool dans sa prise traditionnelle et ritualisée, ne serait pas négligeable dans les rapports entre individus et avec le monde. Il est, en effet, l'occasion de se réunir entre amis, collègues ou en famille "autour d'un verre" pour se détendre et échanger des idées, tout en grignotant. Le moment de l'apéritif est un moment convivial mêlant divers ingrédients pour que l'ambiance "prenne". Les saveurs du palais, l'ébriété légère et les interactions sont de connivence. Les langues se délient, l'atmosphère se réchauffe et s'harmonise, la magie de ce moment privilégié se dégage, parfois dans la passion des conversations, d'autre fois, dans une douce complicité. Dans tous les cas, toujours rythmé par le levé des verres qui s'entrechoquent et par le toast porté à la "santé" de chacun.

* De l'anthropologie du boire à l'anthropologie de l'alimentation

Le thème de recherche "apéritif" n'est pas un thème très développé en anthropologie. Un bon nombre d'ouvrages aux disciplines diverses comme l'histoire, la sociologie, la psychologie et l'anthropologie survolent néanmoins le sujet. Le plus souvent ils étudient la sociabilité dans les cafés ou dénombrent et décrivent les consommations de catégories de personnes. Quand on aborde un sujet dont la connotation est festive et ambiguë par ses effets, il n'est pas surprenant que la littérature aboutisse régulièrement au problème des dérives que cela engendre parfois. Pour l'anthropologue Jean-Pierre Castelain1(*), les manières de boire sont aussi des manières de vivre. Ici, l'anthropologie de l'alcoolisation démontre que l'alcoolisme n'exclut pas la sociabilité dans un endroit où la boisson alcoolisée est fortement généralisée dans certain milieu socioprofessionnel. Nous verrons que la norme française, quant aux manières de boire, varie selon le groupe d'appartenance.

L'histoire et l'anthropologie du boire tente de montrer que l'acte de boire (de l'alcool) est une action anodine. Il fait partie intégralement aux moments de sociabilité et de festivité organisés par les collectivités. Les monographies historiques ont permis d'approfondir le sujet. Elles mettent le doigt sur les origines du lien entre la fête et la consommation de boissons alcoolisées. On tentera de comprendre de quelle manière la boisson alcoolisée prend cette place de façon si évidente. L'ouvrage de Gilbert Garrier2(*), par exemple, évoque le parcourt complexe du vin depuis la civilisation gallo-romaine jusqu'à aujourd'hui. Michel Faucheux3(*), quant à lui, aborde l'aspect festif du boire dans le cérémonial de la table. L'apéritif est évoqué, mais surtout quand il est question de la nature des boissons. Ses vertus thérapeutiques et médicinales lui sont alors attribuées. Quand il est question de ses effets portant atteinte à la morale et à l'ordre public, le rôle de l'Église est prégnant.

Ces ouvrages n'intègrent pas explicitement l'apéritif dans sa dimension alimentaire et ordinaire. C'est pourquoi, une documentation moins "scientifique" mais à valeur ethnographique viendra alimenter notre recherche. La documentation gastronomique telle que le Larousse gastronomique4(*) ou L'atlas de la France gourmande5(*) proposent des spécialités régionales, des descriptions et des définitions de boissons apéritives. Les livres de recette ainsi que les manuels de savoir-vivre et des manières de table sont également bénéfiques. L'histoire et l'anthropologie de l'alimentation s'offre à nous pour continuer à explorer le sujet. Elle permet d'observer l'impact de l'évolution des manières de table sur le rapport à l'alimentation. Elle complète la documentation du boire d'un point de vue de la structuration de la société au travers des repas. On se demande alors quel est l'avenir pour l'"heure de l'apéritif" devant la mutation du modèle traditionnel du repas français ?

Le champ d'étude du thème de recherche propre à l'apéritif, est vaste. Qu'il s'agisse de l'histoire et de l'anthropologie du boire ou de l'alimentation, de l'histoire des moeurs, de la documentation gastronomique, l'apéritif peut être étudié sous des angles multiples. Cet éventail n'est-il pas un handicap pour la recherche ? N'allons nous pas nous éloigner du vif du sujet pour simplement l'effleurer ?

* Une pratique résistante au temps

Quelque soit le milieu socioculturel, l'apéritif a su s'implanter dans chaque foyer, tout en s'adaptant aux besoins de son époque. Sa persistance au temps, son ancrage culturel et sa popularité lui pourvoit une valeur traditionnelle. De quelle manière l'apéritif a-t-il séduit la totalité de la population en France ? Comment s'est-il généralisé en tant que moment favorisant les liens sociaux, moment conforme aux normes sociales et morales ? Je tenterai de répondre à cette question par le biais de quatre angles de recherche.

Une approche historique et religieuse constitue un premier point. Elle porte sur la relation des hommes avec l'alcool en général. Il semble que les effets de l'alcool révèlent l'aspect spirituel que les hommes entretiennent avec la boisson. L'apéritif est une pratique culturelle où l'on s'alcoolise. Je souhaite donc d'abord étudier l'objet "alcool" pour trouver les origines de la pratique mais aussi ce qu'elle symbolise inconsciemment.

La seconde perspective de recherche s'appuiera essentiellement sur l'émergence du concept dans l'histoire de l'alimentation. Aujourd'hui, l'apéritif fait l'objet d'un protocole, propre aux normes issues de la société moderne. Il n'en demeure pas moins qu'il s'est façonné au fil du temps en accord avec l'évolution des pensées sociétales. Il serait intéressant de comprendre de quelle manière une telle pratique fut instaurée dans la société française comme indispensable à l'élaboration de tout type de réception. Comment est-il devenu si populaire pour s'exprimer hors de son contexte de table ?

Si le concept "apéritif " semble être une notion claire et homogène pour tous français, est-il pour autant pris selon les mêmes règles et pour les mêmes raisons ? La connotation conviviale et l'attribution de valeurs socialisantes, permettent à la tradition apéritive, la transmission de valeurs communes structurant la vie en société par le biais de pratiques ritualisées très codifiées. On peut alors se demander quelles sont ces valeurs communes, que supposent-elles ? Comment s'organisent et se traduisent les rendez-vous apéritifs ? Qu'apportent-ils à la société ?

La recherche bibliographique permettra d'étayer la réflexion et ouvrira d'autres portes. Les informations obtenues par l'anthropologie du boire sont conséquentes. Ne constituent-elles pas un obstacle dans la mesure où les manières de boire y sont parfois décrites d'un point de vue pathologique ? C'est pourquoi, bien que l'apéritif ne se réduise pas uniquement à son absorption d'alcool, il serait maladroit d'omettre l'ambiguïté qu'il cause. Il est possible d'étudier le moment de l'apéritif sous cet angle de recherche comme il est possible de l'étudier sous d'autres aspects. Ce que je tenterai de faire en guise d'ouverture.

1ère partie - L'alcool à travers l'histoire

L'habitude de prendre un apéritif n'est pas une coutume récente. Elle est liée à un passé fort attaché aux multiples effets procurés par l'alcool. Avant d'aborder en profondeur le thème précis de l'apéritif, je commencerai donc par traiter le sujet de l'alcool en général. Je propose d'analyser les consommations culturelles et conviviales des boissons alcoolisées et ce qu'elles ont impliqué. Nous verrons que les moindres occasions festives nécessitent la présence d'alcool. Il est d'ailleurs peu probable de concevoir un repas de fête sans son apport. On peut se demander pour quelles raisons les festivités requièrent tant sa présence. Je m'intéresserai à la notion historique des boissons. La place des boissons alcoolisées dans l'alimentation et la manière dont les hommes les ont consommées donnent, dans un premier temps, une vision globale à la recherche. Je pourrai ainsi évaluer les changements d'attitude et d'opinion vis-à-vis des boissons alcoolisées. Le second point, concernant la position de l'Église, nous y aidera.

Parcourir l'histoire, pour suggérer des hypothèses sur les fondements de l'apéritif, relève de l'approche religieuse et de l'histoire sociale et médicale de l'alimentation.

I - Les boissons fermentées dans l'histoire des civilisations

Les conduites alimentaires sont certainement antérieures à la maîtrise du feu, il y a 500 000 ans. Selon les préhistoriens, la maîtrise du feu permit, en premier lieu, à l'homme de faire cuire les aliments. Jean-Louis Flandrin, auteur d'une véritable encyclopédie de l'alimentation, expose le premier rôle de tous procédés culinaires. Cuire, assaisonner, mariner, broyer, trancher, filtrer mais aussi le séchage et le fumage des viandes, le salage et toutes sortes de fermentations, permettaient de "rendre les aliments digestes et non nocifs, autant ou plus que d'en améliorer le goût"6(*). Déjà, la maîtrise du procédé de fermentation permit d'améliorer l'hygiène de vie des hommes. La découverte de la fermentation métamorphose la vie des hommes. Ils créent des potions aux vertus "magiques", leur permettant d'accéder à un rang supérieur, proche des divinités. La boisson enivrante prend alors une dimension religieuse mais aura tendance à se répandre en un usage quotidien et récréatif.

Ce bref regard sur la préhistoire montre que les boissons fermentées et leurs effets sur le psychisme ont suscité un intérêt à toutes époques. C'est pourquoi l'histoire des boissons alcoolisées peut se révéler intéressante pour notre recherche.

A - Le lien entre les dieux et la consommation d'alcool

S'il est impossible de dater les premiers contacts avec les boissons fermentées, on sait que l'homme a utilisé l'alcool comme objet indispensable à l'élaboration de rites spécifiques. L'ivresse permettait d'entrer en contact avec les divinités. Les exemples les plus connus l'attestent. Lorsque les Grecs honoraient Dionysos, relayé par le Bacchus des Romains, ou encore lors de la célèbre eucharistie dans le christianisme au cours de la Cène. Toutes sortes de cérémonies spirituelles faisaient appel à une force surnaturelle et sacrée. Comme de nombreux chercheurs, Paul Balta, évoque ce passé lié au boire en Méditerranée7(*). Je tenterai, à mon tour, de retracer un bref historique des anciens modes de consommations, pour rendre compte de ce lien énigmatique.

a- Les premières traces d'alcoolisation

Quelque soit la discipline, les recherches autour du boire peuvent proposer un détour spatio-temporel. Je m'appuierai essentiellement sur les analyses du sociologue Robert Chapuis8(*). La compréhension du rapport aux aliments solides ou liquides trouve parfois une explication dans l'histoire. On remarque qu'un peu partout dans le monde, on a donné aux boissons fermentées un statut important au mode alimentaire. 300 avant Jésus-Christ, les Péruviens fabriquaient de la bière de maïs. En Inde, environ 1500 ans avant notre ère, les fidèles absorbaient un mélange de vin, de lait, d'eau et de miel, pour s'associer à l'ivresse divine. Dans l'Égypte pharaonique la bière était la boisson nationale, le repas s'appelait alors "pain-bière". Les Égyptiens produisaient des vins réputés, moins populaires toutefois que la bière, et réservés aux classes élevées de la société ainsi qu'au culte divin. Le sociologue indique que la fabrication du vin, dans cette région daterait de 3000 ans avant Jésus-Christ. La bière est également appréciée chez les Sumériens, en effet, à Babylone "Nidaba" était la déesse de la bière, 4000 ans avant notre ère. Dans l'Ancienne Mésopotamie, nous indique l'historien Michel Faucheux, le "banquet des dieux fonde le monde et le souverain humain, à l'imitation de la tablée divine, réunit ses sujets autour d'un festin pour mieux asseoir son pouvoir"9(*). La table est ici la source de la cohésion religieuse, politique et familiale.

On pourrait multiplier les références des représentations du sacré entre l'alcool et l'accès au divin. Toutefois si l'alcool est présent dans toutes les régions du globe, il n'a pas eu le même succès qu'en Occident jusqu'à aujourd'hui.

b- L'héritage gréco-romain

L'anthropologue Martine Xiberras10(*) retrace l'histoire des psychotropes, celle de leur usage et de leur connaissance dans les civilisations. Elle entreprend une recherche pour mettre en lumière les affinités entre ce qu'elle nomme les "Phantastica" et chaque territoire. Tenons-nous au choix de l'Occident et son goût privilégié pour les "Inibriantia". Ce sont les propriétés doubles de l'alcool conduisant à l'euphorie puis à la sérénité béate, qui ont intéressé la sensibilité occidentale. Ces états modifiés de conscience permettent, comme le suggère Martine Xiberras, "cette libération de l'âme de ses entraves terrestres, et procurent cette illumination intérieure, due au contact avec les formes surhumaines"11(*).

Ce sont les Grecs et leur culte voué à Dionysos qui scelle le lien des Européens avec l'alcool. Ce dieu du vin et de la musique est réputé pour son action d'exaltation sur les hommes et par ses cérémonies orgiastiques. Il prend possession de ses fidèles grâce à l'intermédiaire de ses pouvoirs ou de ses attributs pour leur donner l'enthousiasme et le dépassement de soi. La vigne et le vin firent ainsi, dans la Grèce Antique, l'objet d'une grande vénération, procurant l'ivresse mais aussi la richesse. Ils sont un symbole de puissance et de majesté divine, un signe de prospérité et de possession de la terre. Cette culture du vin sera reprise par les Romains. Ces derniers exploiteront le vin à des fins commerciales et étendront ainsi leur vigne sur les terres de Provence12(*). Les Romains, comme les Grecs, honoraient le dieu du vin, Bacchus, et Patina, déesse de la boisson. Les dieux, regardant les hommes manger, protègent la maison et s'assurent de la bonne marche du repas. En échange, les hommes nourrissent les dieux en leur donnant en offrandes prières et aliments ou en se livrant à des libations de vin13(*).

c- Le symbole du christianisme

La civilisation gréco-romaine lègue un riche héritage au christianisme. En effet, la Bible également abonde en référence à la vigne, symbolisant le terroir, le patrimoine, l'abondance, la fertilité du sol et la fécondité. Le vin devient alors le trait d'union entre le monde divin et la communauté humaine. La transformation de l'eau en vin par le Christ fait du vin le symbole naturel de ce dernier. Mais, comme nous le précise l'historien Jean Verdon14(*), si l'Église l'attentionne, sa diffusion profane est autant populaire. Avant l'ère chrétienne, la première représentation du vin incarnait la force fusionnelle entre le groupe et l'au-delà. Au départ, la recherche de l'ivresse correspondait à une démarche universelle souvent lors de manifestations festives à caractère religieux. Ensuite, souligne Robert Chapuis, le commerce profitera du succès du vin pour exporter le "bon vin". Peu à peu sa valeur religieuse, s'en jamais disparaître complètement, ira en décroissant.

On constate que les hommes, les boissons fermentées et les dieux forment un trio spécifique où chacun trouve sa place. On y repère une compréhension logique de l'ordre cosmique. Les hommes, en tant que créateur d'une substance "magique", soumis aux forces de la nature ; les boissons fermentées, permettant la rencontre avec l'au-delà ; et les dieux, donnant un sens à ces échanges, régulateurs de tensions. Quoi qu'il en soit, les boissons fermentées, particulièrement le vin, véhiculent symboliquement la vie.

B - La convivialité des banquets et symposions

Boire et manger est un acte essentiel à la survie de l'homme. La nourriture (aliments et boissons) revêt, de ce fait, un caractère spirituel. Les hommes établissent des règles culinaires et hygiéniques. Ils organisent des temps pour s'alimenter donnant lieux à des réunions familiales et tribales. Ces réunions sont l'occasion de remercier et de faire honneurs aux dieux. Mais un caractère profane s'en dégage également, permettant des entretiens concernant les préoccupations familiales et politiques. Le caractère profane accompagne le sacré, il est nécessaire à l'organisation et au fonctionnement de la communauté. Jean-Louis Flandrin souligne : "On pense généralement que le comportement alimentaire de l'homme se distingue de celui des animaux non seulement par la cuisine - plus ou moins étroitement liée à une diététique et à des prescriptions religieuses - mais par la convivialité et les fonctions sociales du repas"15(*). Se nourrir est ainsi une activité sociale et culturelle, les banquets en constituent le point d'orgue. Voyons ce que les historiens nous enseignent à ce sujet.

a- L'enjeu politique et social des banquets mésopotamiens

Dés le début du troisième millénaire à Sumer et au plus tard au deuxième millénaire dans d'autres régions de Mésopotamie et de Syrie, Jean-Louis Flandrin note que d'innombrables textes attestent l'existence de "banquets aux rites précis". Il s'agit essentiellement de banquets des dieux ou de princes. Ces banquets sont indispensables à l'élaboration d'une société où l'on tente d'harmoniser les rapports entre hiérarchies et entre associés : "Manger et boire ensemble, cela servait déjà à conforter l'amitié des égaux, à renforcer les relations du seigneur avec ses vassaux, ses tributaires, ses serviteurs, et mêmes les serviteurs de ses serviteurs. De même, à un moindre niveau social, les marchands scellaient leurs accords commerciaux au cabaret, devant un « pot » "16(*). L'alcool ("les boissons fermentées, cervoise, bière forte, boissons de dattes fermentées, vin, etc.") est caractéristique de la fête et de la relation conviviale.

En collaboration avec Jean-Louis Flandrin, Francis Joannès présente les deux fonctions essentielles des réjouissances mésopotamiennes à Sumer, en Babylonie ou en Assyrie. Celles de se réunir en un groupe célébrant sa solidarité et la mise en place d'un cérémonial. Quelque soit le type de banquets _ réunissant les dieux, la cour royale ou des particuliers _ les convives sont regroupés par ensembles distincts. Ces ensembles sont le signe de l'"expression d'une hiérarchie omniprésente"17(*). La circulation des mets et boissons entre les groupes donne lieu à des échanges de politesse. La retenue est une qualité essentielle à ces réunions. Bien que la consommation de boissons alcoolisées soit primordiale, il est tout aussi important de savoir se tenir correctement, pour le plus grand respect des convives. Les fonctions sociales du banquet mésopotamien sont ainsi régies par un ensemble de règles de courtoisie, auxquelles il sied de se conformer.

b- La philosophie des banquets grecs

Si les banquets mésopotamiens exigent la sobriété, les banquets grecs ne sont pas aussi rigoureux quant à l'ivresse. Le vin, ce présent de Dionysos, était apprécié par-dessus tout par la civilisation grecque. Elle développe d'ailleurs une véritable "philosophie de la table centrée autour du vin"18(*). La civilisation grecque permet à la vigne d'imposer sa royauté au monde occidental. Si Dionysos instaure à travers le vin une sorte de passion où l'homme exerce une violence contre lui-même et autrui, le vin est aussi un principe de philosophie et de socialité. C'est à partir de Platon que le banquet devient symposion (une réunion de buveurs exclusivement masculins, où la consommation de vin incite à philosopher). Loin de l'ivresse violente dionysiaque, il devient "un espace pacifié d'où la vigueur héroïque et brutal des anciens banquets homériques a été chassé"19(*).

Je me suis amplement appuyée sur les récits de Michel Faucheux qui décrit avec précision le déroulement de ces soirées. Les Grecs, dit-il, boivent peu en mangeant. Le vin est servi avant et après le repas. L'ancêtre de l'apéritif, une coupe de vin aromatisé appelée propoma, est d'abord proposée avant que le repas commence. Puis, ils se réunissent entre amis pour boire exclusivement du vin dans un symposion, en prolongement du dîner. Ce dernier répond à de règles définies. On commence par des libations en l'honneur de Dionysos. C'est le président du banquet, ultérieurement élu, qui fixe le dosage d'eau et de vin20(*). Il décide du nombre de coupes servies aux participants. On boit alors à la santé de chaque convive. Lors de ces banquets, on joue la démocratie. D'une part avec l'élection du président dont la tache est de modeler un ensemble de libertés, de mesures et une harmonie citoyenne ; d'autre part à l'occasion des grandes discussions. Le vin devient le médium avec lequel l'homme philosophe. Il se questionne sur sa condition humaine, sur la réalité, il fait de la politique et parle de l'amour. Le banquet grec se caractérise par la recherche constante de la vérité.

c- L'abondance romaine

Il en est autrement pour la civilisation romaine qui accorde, lors de ses banquets, une place nettement plus importante aux plats servis et à leur profusion. Parce que les Romains sont amateurs de bons vins, ils sont tout de même servis en abondance "selon les rites de la commissatio qui achève toujours la cena"21(*), mais ils ne possèdent pas la même valeur que dans le symposion. Le banquet grec est un espace de vérité alors que le festin romain illustre une philosophie de la gloutonnerie, une philosophie du ventre. La quantité et la démonstration des mets prédominent la saveur et le goût. D'une certaine manière, la civilisation romaine tend à s'éloigner des dieux par leur talent d'invention culinaire et par la maîtrise du corps, alors que les Grecs sont en perpétuelle communion avec les dieux par le biais de la boisson.

d- Les festins du Moyen Âge

Au Moyen Âge, on ne mange plus allongé mais assis à une grande table. Fêtes religieuses, mariages, évènements de toutes sortes sont prétexte à festoyer. Les festins sont également soumis aux saisons. La fin du printemps, l'été et l'automne sont des périodes d'abondance et l'occasion de banquets. L'importance d'un festin tient à l'abondance des mets. Le nombre de buffets se succédant varie en fonction du caractère plus ou moins exceptionnel de l'évènement. Toutes documentations propres à la cuisine médiévale, précise qu'elle se caractérise par ses saveurs épicées. Concernant les boissons, les épices permettent de camoufler des goûts indésirables. Par ailleurs, la recette du vin cuit fut mise en oeuvre pour améliorer le goût des vins verts et acides22(*).

On commence, nous rappelle les historiens Jean Verdon ou Michel Faucheux, le repas par un apéritif et le vin est servi à la demande des convives. Ce sont des vins forts et sucrés que l'on sert durant les banquets, les mariages (même pour les familles plus pauvres) ou lors de la réception de personnages importants. Ces circonstances particulières entraînent la consommation de breuvages liquoreux, comme l'hypocras. Cette boisson s'obtient en ajoutant au vin, miel et épices.

Il semble que la boisson "apéritive" s'inscrit dans un contexte festif, donnant lieu à des préparatifs et des raffinements. Elle apparaît alors, non pas comme une boisson de prestige mais, comme une boisson que l'on apprécie pour sa douceur au goût à des moments légers et privilégiés de la vie collective.

Quelque soit la civilisation et l'époque, les réunions plus ou moins orgiaques manifestent l'entente au sein d'une communauté. Alimenter par des spectacles théâtraux et musicaux, le lien social s'exprime autour de la table où les cinq sens sont en éveil. Elles sont le symbole de l'organisation de la société et l'idéologie vers laquelle elle tend. Les rapports entre les hommes et la hiérarchie s'expriment au travers des banquets, ne serait ce que par la place des convives. Les mets et boissons consommés, lors de ces fêtes, expriment la prospérité de la communauté et l'idée d'un bien être dans une société organisée régit par des règles.

C - Breuvages aux vertus élémentaires

La bibliographie montre les vertus alimentaires et bénéfiques pour la santé, des effets de l'alcool. Ces vertus sont des critères non négligeables à l'enracinement de l'alcool dans la culture occidentale.

a- L'eau impure

Durant l'antiquité, l'épuration des eaux s'est imposée difficilement. Peu de personnes avaient accès à l'eau potable. Au Moyen Âge, en Provence, seul certains privilégiés avaient des puits dans leur jardin23(*). On se méfiait alors, précise la psychologue Martine Morenon, des "boissons non fermentées [qui] étaient consommaient avec prudence" car l'eau était vecteur de maladie. D'ailleurs, Louis Pasteur considérait le vin comme "la plus saine des boissons" et il remarqua que les "eaux étaient souillées et vite corrompues par les germes, ceux-ci ne se développaient pas dans le vin, boisson toujours bactériologiquement stérile et donc salubre"24(*). L'alcool était alors un excellent moyen de lutter contre l'absorption d'eaux naturelles impures mauvaises pour la santé. Ainsi, dans l'imaginaire collectif, l'alcool s'approprie des valeurs vertueuses et ne pût qu'être élevé à un rang supérieur puisque bienfaiteur.

b- Vin et bière comme remède

Dans son ouvrage Boire au Moyen Age, Jean Verdon consacre son premier chapitre à l'eau. On réalise rapidement que si l'eau est répandue, le vin est la boisson favorite des hommes au Moyen Âge. Les hommes "trempent" ou "baptisent" leur vin d'eau car c'est le vin qui constitue la boisson normale à cette époque. On se méfiait de l'eau, contrairement au vin consommé parfois comme un médicament. Les médecins étaient habitués à le prescrire avec précaution et en petite quantité. Les vins doux sont réputés "chauds et nourrissants", alors que les vins amers sont considérés comme "froids et donnant de l'appétit"25(*). Les effets vantés de l'absorption du vin sont principalement : refaire la chaleur du corps et des membres, dissiper les mauvaises humeurs, déboucher les conduits du foie, de la rate, des reins et de la vessie et il facilite la digestion. Tous les médecins sont d'accord pour mettre en garde contre les excès, mais les vertus du vin l'emportent sur les dangers provoqués par l'abus26(*).

La bière avait aussi un avantage sur l'eau puisqu'elle aide à se prémunir contre les épidémies. Saint Arnould, un évêque de Soisson à la fin du XIe siècle, est devenu le "patron des brasseurs" en découvrant que les buveurs de cervoises étaient beaucoup moins sujets aux coliques que les buveurs d'eau. Il permit ainsi aux malades de guérir du choléra en leur faisant boire de la bière27(*).

c- L'apport nutritionnel des boissons fermentées

Les remèdes à l'alcool pourraient être une suggestion aux premiers penchants raisonnés des anciens pour les boissons fermentées. Si l'on se limite à ses propriétés médicinales, cet attrait pour le vin comme pour la bière s'expliquerait également pour son apport nutritionnel. Dans ce cas, l'alcool permettait de lutter contre la mal nutrition à une époque où le régime alimentaire n'était que très peu varié. Le chercheur anthropologue Dominique Fournier aborde cette question "des vertus nutritionnelles et des fonctions reconstituantes" procurées par les boissons fermentées "indispensable au travailleur de force"28(*). Philippe Gillet affirme qu'"une large part d'entre elles sont considérées comme des aliments à part entière". En effet "en buvant, on se restaure comme en mangeant". L'historien et gastronome ajoute que les fonctions nutritives de ces boissons étaient telles que certains voyageurs (dont il parle) attribuent l'embonpoint dans certaines régions où l'on abuse d'alcool29(*).

Ce constat éluciderait le changement de statut social et l'image que l'on se fait de l'alcool "dégradant", dans une société qui n'a plus les mêmes besoins alimentaires qu'à l'Ancien Régime et où l'assainissement des eaux s'est généralisé (dans les pays développés).

Les questions sanitaires ont joué un rôle primordial dans l'intégration de l'alcool de nos sociétés judéo-chrétiennes. Il me semble que l'apéritif et son acceptation au sein des membres des collectivités soient passés par cet aspect religieux, hygiénique et éthique. Véronique Nahoum-Grappe mentionne en note cet aspect séducteur du "boire médical" que suggèrent les termes d'"apéritif" et de "digestif"30(*). Les affiches publicitaires, dans l'ouvrage de Gilbert Fabiani31(*), illustrent autant les spécificités régionales des boissons que leurs vertus.

Manger et boire n'est pas un acte simplement physiologique. Il fut, néanmoins, autant associé au divin, qu' à la fête et qu'à ses vertus. Boire, encore plus que manger, amplifie la charge symbolique de l'imaginaire religieux. Par ses effets enivrants, l'alcool incite à la communion, il donne le sentiment d'être uni, une impression de symbiose. Les cultes, dans lesquels l'alcool revêt une place singulière, se sont souvent éteints dans nos sociétés. En revanche, dans la perpétuation des traditions ancestrales, actuellement, ils perdurent sous des formes différentes et souvent connotés religieusement. Ils peuvent se manifester de manière moins cérémoniale, dans une certaine intimité : souvent lors de réunions familiales, à des moments spécifiques de la vie. Les fêtes patronales ont également relayé les cérémonies anciennes, dans ce cas toute la communauté est conviée mais les raisons de l'évènement ont souvent été oubliées. L'alcool est ainsi ancré historiquement à nos habitudes sociales et culturelles.

II - Le paradoxe religieux : l'impact sur la relation à l'alcool

La culture occidentale a subi une vague d'influence en matière d'alcoolisation. L'alcool fut d'abord un médium pour vénérer les dieux, puis un remède fréquemment prescrit par les médecins ou un réconfort pour le travailleur de force. Aujourd'hui, il est d'un côté diabolisé en tant que "fléau social", d'un autre côté il a les faveurs de la gastronomie. Hier comme aujourd'hui, nos pratiques subissent des influences, voire des pressions. La religion, la politique et la médecine se nourrissent les unes des autres pour faire véhiculer des valeurs sociales communes32(*). Un facteur marquant joue dans l'évolution des pensées, celui de la religion. Puisque que la bibliographie s'y est souvent référée, je tenterai, ici, de comprendre quel a été le rôle de la religion, dans une société où le culte voué à Dieu est intimement lié au vin. L'influence de la doctrine chrétienne, dans notre société, eut un impact relatif sur les attitudes, les habitudes et les ressentis. Il semblerait que la morale instaurée par la religion s'accorde avec les pratiques actuelles de l'apéritif, dans son cadre le plus traditionnellement répandu.

A - Du rituel d'hospitalité ...

La place de la religion dans le boire et le manger est une approche incontournable de la recherche. En effet, les moines étaient réputés (de manière positive contrairement aux sorciers) pour leur connaissance des vertus des plantes. Les breuvages apéritifs, autrefois consommés à des fins thérapeutiques, entraient dans leur composition. Les moines et des membres du clergé, étaient aussi présents dans le domaine viticole.

a- Le vin, la boisson privilégiée

Sociologues, anthropologues ou historiens accordent une place relative à l'influence de l'Église dans le déroulement de notre lien avec la boisson alcoolisée et, dans un premier temps, avec le vin. Les Romains ont importé la culture du vin, mais c'est la liturgie eucharistique qui le fait connaître. Le vin devient la boisson chrétienne par excellence. Robert Chapuis nous révèle que la christianisation de la Gaule s'exprime sous la forme d'une "croisade du vin" (boisson chrétienne) "contre la bière" (boisson symbole du paganisme)33(*). Les chrétiens s'allient donc avec succès au vin. Les évêques deviennent très tôt les premiers viticulteurs des cités, veillant à la fois à l'entretien du vignoble et au commerce du vin. Le siège épiscopal du Moyen Âge se fonde alors dans ces lieux viticoles où l'on peut accomplir l'office divin. Il est une source de revenu importante. Il est aussi un lieu d'hospitalité où en échange de services rendus dans les vignes, le voyageur peut faire une halte et se restaurer. Le rôle du vin prend une fonction importante d'"utilité sociale"34(*). Il est de coutume de l'offrir à l'hôte. Plus l'invité est une personne appartenant à une catégorie élevée, plus on est fier de l'accueillir avec son meilleur vin, que l'on nommait "le vin d'honneur". Le vignoble, pour le monastère, revêtait alors un titre de gloire. Aussi, la renommée d'un vin était attribuée grâce à plusieurs arguments et le plus grand honneur pour un vignoble était qu'il soit le fournisseur du roi.

b- L'alliance par le vin

La sociologue Anne Gotman, dans « Alcool et hospitalité », décrit cette alliance temporelle, exprimée par l'alcool, entre "l'intégration de l'hôte et sa séparation nécessaire"35(*). Le vin est ainsi la récompense de l'hospitalité et l'hospitalité est considérée comme un "rite d'intégration". L'alcool en est l'objet central et intermédiaire. Il contribue donc à l'intronisation et au premier contact de la mise en relation. C'est là que le rôle actuel de l'apéritif prend tout son sens. Cette tradition d'offrir du vin à l'hôte s'est perpétuée jusqu'à aujourd'hui. Elle s'est peut-être même affinée puisque le vin n'est plus la boisson exclusive. Les boissons varient selon le moment de la journée. S'il fait chaud on préfèrera proposer un rafraîchissement. Le café ou le thé sont les boissons conforment aux visites de milieu de matinée ou d'après midi, plus communément en hivers. Quant à l'apéritif, il est souvent offert si la visite a lieu avant le repas, surtout en fin d'après midi. Quoi qu'il en soit, il est d'usage d'offrir "quelque chose à boire" à l'hôte de passage.

Devant les récits comptant l'histoire des vignobles français et l'émergence de nouvelles traditions dans les manières de boire, on constate une période ambivalente quant à la perception de l'alcoolisation. De la fin du Moyen Âge, où on élabore ce qui deviendra plus tard les apéritifs36(*), au XIXe siècle, période des premières campagnes anti-alcooliques.

B - ... au péché

Devant les regards sociaux dont Véronique Nahoum-Grappe fait allusion dans un article intitulé « Les "santés" du crocodile en larmes, ou quelques hypothèses sur l'histoire du buveur », l'historienne et anthropologue s'interroge sur l'histoire du buveur. L'"ivrogne", le regard de ses voisins mais aussi les autorités religieuses, morales et scientifiques, par des constats et jugements, ont constamment influencé l'image des "buveurs". Si la tendance bourgeoise a contribué à cette image par des réprobations mondaines (décrites dans la prochaine partie), les condamnations morales et religieuses ont fortement pesé sur les représentations collectives de l'enivrement.

a- De sévères répressions

Le procédé de la distillation et la plupart des apéritifs sont conçus par les moines. Ces derniers ont un lien privilégié avec le vin, en revanche l'Église condamne fermement l'ivrognerie. Les historiens Gilbert Garrier ou Thierry Fillaut, pour ne citer qu'eux, évoquent cet interdit de l'ébriété dénoncée dans les sermons au peuple. Qu'il s'agisse de la période gallo-romaine, du Moyen Âge ou du XIXe siècle, les prêtres proscrivent les toasts portés aux vivants, aux morts, aux saints et aux anges. Les évêques vitupèrent dans leurs sermons contre l'ivrognerie qui "use le corps et dégrade l'âme" relève Gilbert Garrier37(*). En effet, au Moyen Âge le peuple s'enivrait beaucoup lors des fêtes. Hormis ces moments, les dérives de l'ivresse furent l'objet d'une sévère répression. Par ailleurs, Charlemagne puis François 1er avaient institué des peines allant des châtiments corporels à l'exil38(*). Aussi, les blasphèmes dus à l'ivresse étaient jugés plus graves que les homicides ou autres inconvénients provoqués par l'ébriété.

b- L'ivresse, un péché mortel

"S'enivrer est un péché capital" explique Thierry Fillaut. Dans Les veillées d'un presbytère publiées à Vannes en 1848, l'historien cite les fautes conduites par l'ivresse : "perte de temps, paroles obscènes ou insensées, chansons infâmes, médisances, calomnies, violation du secret, actions impudiques, blasphèmes, colères, rixes, homicides, vols, outrages faits aux pères et mères, négligence de ses devoirs, mépris des lois de l'Église, scandale du prochain et peut-être encore bien d'autres péchés."39(*) La pensée religieuse est ainsi présente dans les textes moraux et normatifs, le Dictionnaire des cas de conscience, régulièrement mentionné par les chercheurs, réprouve les comportements excessifs faisant offense à Dieu. Celui du Père Pontas, paru en 1758, condamne l'ivresse comme un "péché mortel". Il dit : "si le vin est un présent de Dieu l'usage immodéré du vin est une invention du Diable"40(*). Il est toutefois considéré comme un réconfort pour le travailleur, une récompense de l'effort.

c- La guerre des cabarets

La bataille des forces religieuses et morales, parfaitement décrite par l'ethnologue Jocelyne Bonnet et par l'historien Gilbert Garrier, est fixée sur les consommateurs. Les cabaretiers sont, quant à eux, davantage méprisés puisqu'ils servent leurs boissons à toutes heures, jours de fête et dimanche inclus. Mais pire encore, le cabaret fait concurrence à l'église et occasionne bruit et désordre. Il est alors perçu comme une "contre Église", comme "la perte et la ruine de nos paroisses"41(*), comme le "parlement du peuple"42(*), que l'on cherche à fermer le dimanche. L'approche moralisante des temps de repos tentera, dans sa lutte contre le péché, de faire fermer les débits de boissons et de règlementer les distractions traditionnelles (consommation d'alcool et fréquentation des cabarets, chants et danses, fréquentation des spectacles...)43(*). Toutefois les interdits ne cessent d'être violés, le peuple est trop attaché à la détente et aux divertissements que procurent ces lieux. Il est clair que la consommation d'alcool suscite la crainte du pouvoir catholique et du pouvoir politique par extension. Ce dernier ne cessa d'augmenter les taxes liés aux débits de boissons. Lucienne Roubin expose les difficultés des chambrettes qui sont pour la plupart des "cabarets clandestins"44(*). Boire collectivement dans des endroits appropriés permet au peuple de se réunir, entraîne la solidarité autour de l'alcool, favorise les conversations contestataires, et ce dont craint le plus les autorités est sans doute l'éveil des consciences. Les réunions alcoolisées sont finalement perçues comme un contre pouvoir qu'il est préférable de maîtriser.

Le pouvoir ecclésiastique a ainsi conditionné durant de nombreux siècles les manières de boire. Les traces de ce façonnement des idées sont imprégnées dans les mémoires collectives. Qu'elle soit bonne pour la santé ou au contraire un poison pour le corps et l'esprit, la boisson alcoolisée revêt une double connotation toujours présentes dans les comportements. Bien que les moeurs aient évolué, nos gestes, paroles, actes et pensées sont ancrés et régis par un passé chargé d'interdits d'ordre moral.

Aujourd'hui, aller boire un apéritif à la sortie du travail, n'est-ce pas une manière conventionnelle et tolérée par tous, pour décompresser ? N'est-ce pas une adaptation sociale à une pression morale et religieuse anciennement exercée ? Lorsqu'on étudie la question du boire au travers la pensée religieuse, on s'intéresse finalement à une anthropologie politique qui explore, nous rappelles Lionel Obadia, "les institutions, formes du pouvoirs, luttes des idées et des hommes, mouvements anti et pro-alcooliques..."45(*). Effectivement, l'ambivalence dans laquelle se trouve la réflexion accordée aux boissons alcoolisées répond également à des enjeux économiques et politiques important que la littérature ne rapporte étrangement que succinctement.

On repère clairement la place des boissons fermentées dans les sociétés, depuis au moins l'époque sumérienne. Elles contribuent fortement à la cohésion du groupe, en s'intégrant régulièrement aux repas et aux fêtes religieuses, politiques ou autres. Pour revenir sur notre problématique précise, on remarque que ce travail historique met en valeur l'aspect thérapeutique des apéritifs et de l'alcool en général. On comprend mieux les "à votre santé !". Cette phrase qui résonne à chaque toast est finalement en décalage avec les idées actuelles définissant l'alcool comme mauvais pour la santé. Les gestes et les expressions du boire, si souvent empruntés lors de l'apéritif, sont le signe de la présence d'un passé enfui dans les mémoires mais toujours prégnant. On a vu comment les rôles positifs, attribués à l'alcool, se sont si fermement installés. La culpabilité, sentiment propre à l'idéologie chrétienne, de boire des boissons enivrantes, a probablement pu s'annihiler, ou s'atténuer, si on leurs accordait des raisons moralisantes et justifiées. Amado Millan évoque ainsi la question du scrupule alimentaire. Il place les boissons alcoolisées transparentes et les boissons pétillantes au plus haut degré de scrupule. Le contrôle social permet alors de maintenir l'ordre alimentaire et évite la transgression des normes46(*).

2ème partie - L'apéritif à travers l'histoire et l'anthropologie de l'alimentation

Dans les manières alimentaires, l'imprégnation ancienne des valeurs transmises et enseignées est telle, qu'on oublie parfois l'origine de gestes, de paroles ou de pratiques, pour agir mécaniquement. "Incorporer" des aliments, et plus encore des boissons alcoolisées, c'est, nous dit Claude Fischler, "incorporer" matériellement et symboliquement tout un imaginaire. Participer à un apéritif, boire une boisson provoque en chacun la représentation d'un moment enseigné par une tradition culturelle et familial, mais aussi fantasmé. Cette perception imaginée provient d'une histoire commune véhiculée par divers supports (oral, écrit, télévisé...).

Aujourd'hui, l'apéritif, intimement lié aux habitudes de table, fait d'autant plus l'objet de préparations imaginatives, qu'on le retrouve dans les milieux les plus variés de la société française. Comment, au fil du temps, s'est-il si parfaitement associé à l'organisation des habitudes alimentaires ? D'ailleurs, quelle est sa place dans l'alimentation actuellement ? La documentation nous donnera quelques éléments de réponses. Nous verrons, par une documentation historique son cheminement dans l'alimentation française. Par une bibliographie plus variée (ouvrages anthropologiques, livres de recettes et de savoir-vivre), nous poserons le regard actuel d'une pratique très en vogue.

I - L'émergence de l'apéritif dans l'histoire de l'alimentation

Lorsque l'on se réfère à l'histoire, on s'aperçoit que l'apéritif recouvre plusieurs visages. En effet, il existe une marge conséquente entre ce que l'on nommait apéritif au XIIIe siècle et l'apéritif que l'on connaît aujourd'hui. Le premier est un terme de médecine ancienne. Il désigne des "médicaments qui ouvrent les voix d'épuration, c'est-à-dire les sudorifiques, diurétiques, purgatifs ", nous enseigne Le Robert Dictionnaire Historique de la Langue Française47(*). Loin du sens qu'on lui confère aujourd'hui, l'apéritif est une boisson souvent accompagnée d'"amuse-gueules"48(*). On le prend avant le repas et de nombreux bars exploitent le concept en proposant toutes sortes de formules. Le "happy hour" en est une. Il attire la clientèle souvent de dix-huit à vingt-et-une heures. Durant ce lapse de temps, dés que le client achète un apéritif, l'établissement lui offre le même.

Comme nous l'avons constaté dans la partie précédente, les boissons fermentées se sont progressivement imposées au paysage alimentaire et spirituel des traditions humaines. Quand est-il alors pour l'apéritif ? Quelle est son histoire et qu'est-ce qui a pu faire sa particularité, celle d'être pris avant le repas, et sa singularité, celle d'être valorisée socialement ?

A - Du médical à la saveur

Il est intéressant de voir l'évolution d'une pratique. Celle de l'apéritif est rebondissante. Voyons, ici, les divers visages qu'il revêt.

a- L'aspect thérapeutique des boissons apéritives

Les boissons apéritives sont constituées à base de plantes reconnues pour stimuler l'appétit. On les utilisait au Moyen Âge à des fins thérapeutiques et non gastronomiques car on croyait aux vertus des vins herbés ou épicés. Peu de temps après, apparurent seulement "les hypocras, les vermouths, les amers et les vins doux"49(*). Aujourd'hui encore, le génépi, désignant la liqueur comme la plante, est reconnu, nous explique Pierre Lieutaghi, par tous les briançonnais comme une véritable panacée50(*). Dans ces régions des Hautes Alpes le climat est rude. De nombreuses liqueurs à base de plantes telles que le génépi, mais aussi la gentiane, l'hypose, le genièvre, le tulissage, la guimauve etc. sont des remèdes ancestraux contre les "coups de froid"51(*). Ceci dit, même si ces alcools n'étaient pas encore utilisés avant le déjeuner et le dîner, les Romains buvaient des vins dans le même but d'ouvrir l'appétit. "Ils [les apéritifs] s'inscrivent dans la très ancienne lignée des vins parfumés des Romains et des vins miellés et aromatisés des tables médiévales, comme l'hypocras. Leur fonction était bien déjà d'éveiller l'appétit" nous renseigne l'historien Gilbert Garrier52(*). Du XVIe au XIXe siècle, les muscats et les champagnes doux s'installent progressivement. Ils seront très appréciés après 1870. C'est d'ailleurs à la fin du XIXe siècle que les boissons apéritives se répandent, continue l'historien. Elles prennent leur statut actuel, par le biais de la littérature d'une part, et par les nombreuses campagnes publicitaires vantant les mérites de ces vins apéritifs.

b- L'impact de l'influence publicitaire

En 1900, explique Gilbert Garrier, le vin français se vend mal. Pour relancer le marché de l'alcool, on n'hésite pas à faire appel aux sciences médicales. Certes des plantes aux "qualités médicales incontestées" composent ces breuvages : des vins (Quinquina, Byrrh, Guignolet etc.) préconisés pour leurs vertus, sont dits "tonifiants", "toniques" et "régénérateurs". Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, les formules : "Appétit, force et plaisir, chaque jour buvez du Byrrh", "Au quina, au fer et à la viande", "Dubo, Dubon, Dubonnet" sont des slogans qui affluent53(*). Les apéritifs sont recommandés pour tous. On offre une image positive de la femme élégante, distinguée et "mondaine", buvant un verre. Ce sont alors des slogans, cette fois-ci, à connotation sexuelle qui fleurissent. On peut voir des affiches où un médecin et une demi-mondaine vante un apéritif, "l'absinthe parisienne", en proposant aux passants : " Bois donc, tu verras après"54(*). Ces campagnes, relançant le commerce de l'alcool, font l'apanage des distillateurs. Soulignons que "cette vogue des apéritifs" coïncide avec les campagnes massives anti-alcooliques55(*). Le concept d'anti-alcoolisme apparaît par ailleurs durant cette même période de la seconde moitié du XIXe siècle. L'alcoolisme, dont Véronique Nahoum-Grappe évoque, est considéré comme "maladie du corps et tare sociale"56(*). Si l'ivresse est condamnée par les textes religieux et moraux, elle ne l'est pas médicalement car "le geste de, l'invitation à, « boire un coup » est anodin moralement et bénéfique physiquement, puisqu'il s'agit le plus souvent de boire du vin ou de l'eau-de-vie, boissons qu'un médecin peut prescrire"57(*).

c- La valeur gustative des boissons

Aujourd'hui, boire un "verre" n'est plus connoté par sa représentation médicale, bien qu'elle en soit toujours imprégnée. La saveur des breuvages est plutôt mis en avant. Ainsi, Jean-Pierre Albert, dans un article intitulé « La nouvelle culture du vin »58(*), ou encore les « manières de boire » de Thierry Rosso59(*), exposent cette tendance de la "dégustation". Les goûts et les odeurs remplacent l'atout médical des boissons. Les "clubs d'oenologie" ou encore les "« bars à vin »", se multiplient. On souhaite devenir des amateurs et connaisseurs de vin. Éduquer son palais, boire intelligemment, distinguer le bien-boire du mal-boire par sa connaissance gustative est une attitude promue. Une affiche publicitaire, récemment, explore cet aspect gustatif. Deux grands verres de bière de marque Leff, et des assiettes garnies d'"amuse-gueules" suggèrent d'apprécier la qualité de leur boisson, enrichi par le slogan : "Autant de saveurs que d'apéritifs".

On réalise à quel point les prescriptions et influences médicales ou scientifiques, ainsi que les promoteurs des ventes d'alcool ont joué (et joue toujours) un rôle primordial dans le mouvement des comportements sociaux et dans les représentations collectives. Les arguments du XIXe siècle, prônant les effets sur la santé et sur la libido, ne pouvaient que porter ses fruits sur les manières de concevoir et d'approcher les boissons enivrantes. C'est justement parce qu'elles sont enivrantes et la cause de désordre public, social et moral, que les boissons alcoolisées suscitent toujours de l'ambivalence de la part, notamment, des instances religieuses. Cependant, diabolisé ou vénéré, l'alcool va au delà des questions religieuses, économiques ou sanitaires. Il est, en effet, ancré dans les pratiques populaires. Les arguments se succèdent et évoluent dans le temps, pour répondre aux besoins du consommateur.

Prendre un apéritif aujourd'hui ne suscite pas l'improbation de la société, bien au contraire. Comment a-t-il réussi à supplanter la vague anti-alcoolique du XIXe siècle ? Comment sommes-nous passés du médical à la saveur ?

B - L'évolution des moeurs de table : du Moyen Âge à aujourd'hui

Savoir se tenir à table, connaître les codes et les règles sont des comportements assimilés au fur et à mesure du temps, dans un objectif précis. Manger sur une table, se servir d'une fourchette et d'un couteau, boire dans un verre ou encore manger dans une assiette individuelle, sont des comportements acquis. Je m'appuierai essentiellement sur l'ouvrage de Norbert Élias, La civilisation des moeurs60(*), pour comprendre quelle idéologie est à l'origine de ce processus de changements des moeurs de table. Il y énonce des préceptes datant du XIIIe siècle et les analyse, dans un chapitre intitulé « Comment se tenir à table ».

a- Le début d'une révolution des principes de table

Trois termes, explique Norbert Élias, marquent trois étapes d'une évolution sociale : la "courtoisie", la "civilité" et la "civilisation".

C'est au Moyen Âge que l'on se préoccupe des façons de se tenir à table, en particulier au moment de la chevalerie féodale. À cette période, on mange avec les mains, la serviette de table n'est pas d'usage et le pain la remplace, les convives ont un verre pour deux, on mange dans un plat commun, etc. De nombreux changements se mettent doucement en place pour accéder à ce que Norbert Élias appelle la "civilisation des moeurs". Entre les XIIe et XVe siècles, on tente de codifier les manières de se tenir à table, à l'aide de guides de savoir-vivre. Souvent établis par les membres du clergé ou des poètes, ils demandent aux "enfants" d'adopter des attitudes respectables. On parle alors de "courtoisie". Apprendre à se contenir, créer un véritable art des convenances sociales orientent le comportement de l'homme en société. Selon Michel Faucheux, ces nouvelles manières tendent à renforcer le lien social par un idéal de partage de règles dites "civilisatrices"61(*). Un manuel de savoir-vivre du XVe siècle indique : "Enfant, se tu faiz en ton verre / Souppes de vin aucunement / Boy tout le vin entierement / Ou autrement le gecte à terre"62(*). L'exemple de ce vers est explicite. Respecter les règles d'hygiène était préférable, quand on sait que, lors d'un repas, deux personnes buvaient dans un même verre. Norbert Élias tente de nous montrer, dans son ouvrage, qu'au fil des années et des siècles, les indications se perfectionnent. Au Moyen Âge, par exemple, on préfère boire d'un trait. En revanche, à la Renaissance, on s'applique à boire de petites gorgées.

b- Standardiser les modes de vie et "civiliser" le peuple

La modification des moeurs de cour s'opère à travers les siècles, elle fait naître le sentiment de ce qui est honteux et dégoûtant. Elle privilégie alors le "raffinement". Être digne de la classe à laquelle on appartient nécessite la soumission à des règles de "civilité". Ces manières, d'abord associées aux classes supérieures de la société cherchant à se distinguer des autres classes, sont transmises, "médiatisées" par des manuels de savoir-vivre. Elles sont destinées a priori à l'aristocratie provinciale, désireuse de suivre les dernières modes de la cour. Suite à la Révolution, les bourgeois s'enrichissent et accèdent à un niveau social plus élevé. Ces mêmes manuels vont alors leur permettre d'imiter l'élite à laquelle ils s'identifient.

On assiste à une transformation rapide des manières de table entre le XVIe et XVIIIe siècle. Les "contraintes sociales s'exercent sur les convives visant à des normes nouvelles en matière de savoir-vivre et de tenue à table"63(*). Suivre ces normes, c'est respecter son rang, c'est être des gens "civilisés". Contrairement à l'aristocratie, la classe bourgeoise, à une époque des "lumières" où l'on souhaite réduire les inégalités sociales, veillera à standardiser les modes de vie. Aussi, les milieux ecclésiastiques contribuent avec d'autres, à vulgariser les usages de la cour, afin de "civiliser" le peuple. Dans une société non laïque, l'Église se donne la responsabilité d'éduquer les couches inférieures. Elle trouve dans ces "modèles", l'expression de ses valeurs : la normalisation et la réglementation des comportements, la maîtrise des affects, la discipline modérée sont propres à la morale chrétienne. C'est ainsi qu'à la fin du XVIIIe siècle, comme le rappelle Norbert Élias, les manières de table et le savoir-vivre sont acquises par les classes dirigeantes. Elles sont en train de se généraliser à la société tout entière, bientôt "civilisée".

Jean-Nicholas Deumeunier qui récapitule, à la fin du XVIIIe siècle, le savoir anthropologique de son temps, nous explique succinctement en quoi consiste les solennités accompagnant le repas : "Quelques unes sont relatives à la propreté, on en institua d'autres pour entretenir l'esprit des sociétés et se donner mutuellement des marques d'amitié"64(*). Contrairement à Norbert Élias, l'auteur apporte une explication concrète aux "cérémonies" de table. L'importance de l'hygiène dans un premier temps, les manifestations de considération qu'implique une société digne dans un second temps.

c- L'estime de soi

La ritualisation de notre vie actuelle et quotidienne s'est ancrée dans un processus temporel et hiérarchique. Boire et manger en société, faire partie d'un groupe , entraînent des règles. La bienséance doit alors être respectée pour manger et boire en compagnie, ce que maints auteurs ont enseigné à travers les époques. Aujourd'hui, les différentes formes de savoir-vivre semblent être stabilisées. Évidemment, il existe des variantes entre les classes sociales. Celles-ci, néanmoins, sont moins flagrantes qu'auparavant. Les inégalités sociales ne sont pas bien vues dans notre société moderne. Aussi, l'imprégnation de ces codes, l'ethnocentrisme qui en découle, est tel que les sociétés modernes font souvent l'amalgame entre la pauvreté et la tradition. On cherche à se conformer aux convenances, devenues des normes, pour ne pas se sentir étranger aux moeurs de la société, voir même provoquer le dégoût chez l'autre.

La pratique ritualisée de l'apéritif s'enclave dans ce dynamisme. Elle s'insère dans cette volonté d'acquérir des règles raffinées dictant une attitude qui ne dérange pas. L'invitation à l'apéritif, nous le verrons, requière un dispositif particulier de savoir-faire, d'acquisitions de règles pour mettre à l'aise les convives. Finalement, la convivialité recherchée se situe dans l'estime de soi, insinué par le regard des hôtes.

L'adoption des heures de repas, la composition de ceux-ci, l'alliance des plats et des vins, les manières de table et l'ordre des plats servis aident à l'entendement du modèle alimentaire. Il est le résultat d'un processus de standardisation soumis à une volonté de différencier le "sauvage" du "civilisé". Voyons quel a été le poids de la gastronomie naissante dans cet environnement. Quelle place donne-t-on à l'apéritif ?

C - L'alliance des vins et des mets : un impact pour la gastronomie

La fin du Moyen Âge est un moment précurseur dans l'évolution des moeurs. Dans ce même temps, et particulièrement le XIXe siècle, la place de l'alcool sera désormais incorporée à la gastronomie française.

a- Le "coup d'avant" du "service à la française"

Jusqu'alors, l'héritage des tables du Moyen Âge offrait de nombreux plats dont on avait le choix, mais le vin ne s'apportait que si on en demandait. On buvait alors pour assouvir la soif en début et fin de repas, ou d'un trait à la santé ou en l'honneur à autrui65(*). Le sociologue Jean-Pierre Poulain nous éclaire sur les origines de l'apéritif66(*). Durant l'Ancien Régime, les aristocrates utilisaient une procédure de services en trois tables successives. On la nomme le "grand service à la française". Ces services suivent des règles précises. De nombreux plats sont à la disposition des convives qui grappillent dans les séries de mets. Chaque service, continue le sociologue, se découpe en trois "coups". Le coup d'avant est servi lors du premier service. On boit un vin ordinaire souvent coupé d'eau, tout au long du repas. Alors que pour le coup du milieu et le coup d'après, les vins varient. Le coup d'avant est clairement perçu comme l'ancêtre de l'apéritif contemporain. Accompagné de hors d'oeuvres, le coup d'avant, nous rappellent les textes anciens, détenait des qualités apéritives. Notons que selon sa place à table, on était plus ou moins avantagé dans le choix des mets. La hiérarchie sociale s'exprime explicitement dans cette organisation. C'est pourquoi après la Révolution, le "service à la Russe", dans les années 1880, nous précise Michel Faucheux67(*), prend le relais du "service à la française" médiéval. Le "service à la Russe" se caractérise par une succession de plats individuels, en un ordre préétabli, dans un menu unique. La qualité sera donc privilégiée à la quantité.

Bien qu'il s'accompagne de l'idéologie égalitaire pré-révolutionnaire, ce changement de statut prend forme avec l'essor d'une nouvelle société qui souhaite se distinguer par les valeurs de la table. Le choix de mets, accompagnés de vins de renommés et à la mode comme le champagne68(*), permet cette distinction.

b- L'expansion de la restauration hors foyer

La tradition associant plats et vins fut empruntée à une "montée en puissance de la restauration hors foyer"69(*) dont le XVIIIe siècle se caractérise. Avant la naissance du restaurant moderne, les auberges sont très répandues. Se sont des débits de boissons alcoolisées, destinées aux voyageurs, auxquels on servait des repas. Mais l'objet principal de ce commerce était de proposer du vin, de la bière ou de l'eau-de-vie. Jean-Robert Pitte précise que ces établissements, "destinés à une convivialité bruyante", servaient davantage des plats simples et bon marché plutôt que des plats élaborés70(*). On pourrait voir, dans ce genre de structure, un héritage aux "bars tapas" contemporains.

L'expansion des restaurants s'effectue avec l'habitude aristocratique de prendre de bons repas aux restaurants. Ces derniers suivent le modèle du "service à la Russe". Le nombres de plats étant réduits, on propose des vins d'accompagnement. Il n'y a pas encore une recherche véritable entre vins et mets. Il faut savoir que ce n'est qu'au début du XIXe siècle que les vins auront la particularité d'être associés aux plats. Gilbert Garrier fait un excellent résumé de ces changements précurseurs de nouvelles manières de table : "La levée progressive des intérêts religieux, la recherche de la distinction aristocratique par la table et la cave, l'émergence d'une bourgeoisie fortunée désireuse de copier les habitudes des grands, les opinions émises par les écrivains et des artistes ont contribué, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, à la mise en place de nouveaux rapports sociaux et culturels avec le vin. Par la caution des gastronomes, un lien est désormais établi entre la cave et la table : il ne cessera de se renforcer au XIXe siècle de la bourgeoisie triomphante et au XXe siècle des nouveaux raffinements dans l'art de vivre"71(*).

c- Plaisir et gastronomie

Jean-Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), considéré comme le premier et le plus grand des gastronomes, excelle en matière de gastronomie, de savoir recevoir, et de savoir-vivre. Il vante les plaisirs de la table et attache la moindre importance aux détails de celle-ci, jusque dans l'ordre des boissons. Ainsi, lors d'un repas, il est recommandé de commencer par les boissons "les plus tempérées" et de finir avec les "plus fumeuses et parfumées"72(*). Boire du bon vin, apprécier les délicatesses de la table, la dégustation sont des qualités requises. La convivialité, le goût, l'alcool qualitatif et la sobriété sont les éléments nécessaires aux soirées bourgeoises que propose cette nouvelle culture du boire.

Pierre Andrieu73(*), quant à lui, en 1939, dans une "théorie et pratique de l'ordonnance des vins dans le menu", conseille d'ouvrir l'appétit par un bon champagne ou du vin blanc sec. Incontestablement, l'apéritif se répand avec finesse dans ces réceptions où les plaisirs du goût en sont indissociables. A cet égard, Didier Nourrisson invoque "le début d'une révolution des pratiques du boire", quand il fait l'étude des romans de l'humaniste Eugène Sue (XIXe siècle), il ne peut s'empêcher de remarquer "la présence de vins apéritifs". Il précise que le personnage Dr Gasterini est un bon vivant qui sait marier les vins aux mets74(*). Selon lui, l'éloge du boire et de la gourmandise, chez Sue, "doit se comprendre dans une perspective sociale" puisque la consommation alimentaire relance les industries dont elles dépendent. De ce fait, elle permet d'améliorer les conditions de vie, en matière de besoins et d'envies alimentaires, des masses. Un souci d'ordre social et humaniste se précise à cette époque au travers l'alimentation. Il accompagne logiquement l'évolution des comportements de la table et la volonté de généraliser ces comportements à l'ensemble de la société.

La gastronomie s'est imposée progressivement dans le paysage français, d'abord à travers l'aristocratie puis la bourgeoisie "triomphante", pour se généraliser à l'ensemble des familles de tous les milieux sociaux. Cette gastronomie ne favorise pas seulement les préparations culinaires et ses associations avec le vin. Elle privilégie également la rencontre, les conversations, l'art de recevoir et le savoir-vivre. L'apéritif s'inscrit dans cette conception idéologique.

La naissance des apéritifs s'est établie à une époque en constante mutation. La qualité et le goût supplantent la quantité et le médical. La volonté de s'élever dans un monde où l'on tente de contrôler ses émotions autant que la matière, renforce le pouvoir des classes supérieures qui sont un modèle pour le reste de la société.

Le bouleversement des données économiques et sociologiques sont survenues avec l'industrialisation, les pensées humanistes et les progrès de la médecine. Ces éléments sont venus révolutionner les comportements sociaux surgissant. L'apparition de l'apéritif prend forme dans ce dynamisme culturel et idéologique. Il continue aujourd'hui encore à s'affiner, à travers les diverses pratiques qu'on lui accorde.

II - Une documentation spécifique à l'apéritif

Les sciences humaines et sociales proposent une documentations diversifiées sur les questions du boire. Excepté l'article de René Clarisse75(*) et le rapport de presse conduit par Jean-Pierre Poulain76(*), seulement quelques lignes, parfois un paragraphe, sont consacrés au sujet précis de l'apéritif. Il est alors souvent cité en exemple venant alimenter les arguments d'une alcoolisation en dehors ou intégrant le repas77(*). Dans les textes anciens, sa valeur est tantôt positive par son rôle médical, tantôt négative quand on s'y réfère pour dénoncer les ravages de l'alcool. Les récits, plus récents, lui confèrent une dénomination assez positive liée à la famille, aux amis et à la sociabilité. Je vais distinguer, dans ce chapitre, deux types de documentations. Une documentation descriptive à valeur ethnographique et les sources analytiques.

A - Les descriptions des spécialités apéritives : une source ethnographique

Les sources ethnographiques sont abondantes. On les retrouve plus précisément dans des livres cherchant à revaloriser un patrimoine culturel à travers des recettes "retrouvées"78(*). On les retrouve également dans des guides alimentaires ou dans des dictionnaires spécialisés dans l'alimentation et la gastronomie. Des ouvrages anthropologiques sont aussi des sources descriptives essentielles.

La France, multiculturelle quant au choix de ces breuvages apéritifs ou non, offre une diversité de boissons. On les apprécie selon des préférences régionales liées à l'agriculture _ et donc au sols producteurs _ ou aux lieux de production de l'alcool. Les exemples du champagne à Reims, du pastis à Marseille, ou encore du vermouth à Chambéry, nous prouvent qu'"avant de passer à table, la France, se montre - une fois de plus - multiple"79(*). Chaque région de France honore de manière traditionnelle et singulièrement une ou des boisson(s) apéritive(s). Quelles sont-elles ? Pourquoi de telles préférences ? En quoi sont-elles révélatrices d'un sentiment identitaire ?

a - Les livres de recettes

L'effervescence des manuels de recettes apéritives confirment que "le rituel de l'apéritif", est une pratique courante en France. L'expression "rituel de l'apéritif" s'est d'ailleurs vulgarisée par l'intermédiaire de ces ouvrages.

La mode des réceptions apéritives appartient à la sphère privée et donne la possibilité de proposer une multitude de boissons et de "mises en bouche". Le raffinement se doit d'être pensé. Vins Apéritifs Maison de Marie-Françoise Delargière et Chantal James80(*), ou encore L'heure de l'apéritif de Georgeanne Brennan81(*), proposent des compositions de boissons. Elles suggèrent également des astuces pour que la réunion apéritive soit originale et prenne des allures de fête. Bougies, napperons, verres et bouteilles décorés sont suggérés. Dans Vins Apéritifs Maison, on préfère nommer les apéritifs "vin maison", "vin parfumé", "élixir de convivialité", "bonheur à savourer" ou encore "saveurs à déguster"82(*). Ces ouvrages prennent des formes de manuel de savoir-vivre notamment quand Marie-Françoise Delargière et Chantal James suggèrent aux lecteurs : "Si vous voulez honorer la personne la plus âgée d'un repas de famille, réservez-lui le plus beau verre de votre collection"83(*).

Devant le regard obscur des ouvrages de "société", la documentation gastronomique donne un autre regard sur les pratiques ritualisées et traditionnelles de la consommation d'alcool. Elle propose un éventail de recettes, des recettes de cocktails et d'apéritifs, des diversités locales, des conseilles de mariage entre plats et boissons. Elle incite au boire, sous-entendant le "bien-boire" et le rôle majeur de la dégustation des saveurs. On ne parle pas d'"alcoolisation" mais de convivialité et de goût. En effet, l'objectif de ces guides cherche à transmettre l'art de la convivialité et de la réception à travers les plaisirs du palais. L'objectif est aussi de permettre de retrouver un savoir-faire perdu. À l'inverse des manuels de savoir-vivre, le concept de gloutonnerie ou de modération ne sont jamais invoqués. Ils ne font pas l'objet du contenu de ces volumes, qui sont surtout des appels à la détente.

b- La diversité des apéritifs : du vin au cocktail

Les français semblent être attachés au moment de l'apéritif. Il est parfois tant attendu, qu'Annie-Hélène Dufour, décrivant l'ambiance des cafés de Provence durant cet intervalle, le définit comme un "moment où le café devient forum"84(*). Le café devient le lieu où l'on peut, plus facilement qu'au domicile, lister les boissons consommées.

1- Le vin populaire

Si l'on répertorie les bouteilles dans un bar, on s'aperçoit rapidement que les boissons apéritives devancent en nombre le reste des boissons. Déjà, en 1902, dans les anciennes Chambrettes des provençaux, Lucienne Roubin, dénombre les liquides. Lors de l'approvisionnement de fond de la cave de la chambrette de la Bâtie-Neuve, elle y compte : "593 litres de vin, 15 litre d'eau-de-vie, 10 litres d'absinthe, 5 litres d'amer Picon, 3 litres de curaçao, 3 litres de grenadine, 2 litres de sirop d'orgeat, 4 litres de vermouth, 4 litres de cassis, 2 litres de chartreuse, 2 litres de rhum, 2 litres de gentiane, 1 litre de malaga, 2 litres de citronnade" ; complété un mois et demi plus tard de : "4 bouteilles de Pernod, 1 litre de Bitter, 2 litres de liqueur jaune, 2 bouteilles de china-china, 2 bouteilles de cognac, 1 bouteille de Genepy, 1 bouteille de Kirsch, 1 bouteille de peppermint, 1 bouteille de ratafia, 4 bouteilles de grenadine, 4 bouteilles d'orgeat, 36 litres d'eau-de-vie jaune, 10 litres de citronnade, 11 litres de gentiane"85(*). Remarquons que la consommation de boissons apéritives se place après la consommation de vin et d'eau-de-vie. La diversité des alcools se trouve cependant dans les apéritifs. Cette chambrette, que l'on pourrait définir aujourd'hui comme un cercle voir même, plus communément, comme un bar associatif, comptait 94 adhérents. Bien que les chambrettes n'ouvraient que le soir et le week-end, on entrevoit la diversité des produits consommés et donc des préférences de l'époque. Il serait intéressant de comparer ces chiffres à un approvisionnent actuel sur diverses régions.

2- La mode des cocktails

Aujourd'hui, il apparaît qu'en France la consommation de "cocktail" a pris le pas sur la consommation de vin qui est devenue plus sélective. Comme l'anthropologue Claude Fischler, le directeur de l'Organisation International du Vin, Robert Tinlot repère ce constat. Il semblerait que l'on consomme moins d'alcool, mais, qu'en contre partie, on s'intéresse davantage à ce que l'on boit86(*). Les consommations évoluent vers "le haut de gamme"87(*). Jacqueline Freyssiney-Dominjon et Anne-Catherine Wagner remarquent un changement plus structurel des pratiques de consommation. Elles ne seraient pas sans rapport avec la modernisation des manières de boire en France qui se rapproche des tendances des autres pays industrialisés. En effet, il existe en France un recul du vin et du cidre au profit du whisky, de la vodka et de la bière. Les jeunes, explique également Claude Fischler, n'aiment pas le goût de l'alcool, d'où le succès des cocktails au goût fruité mais avec les effets de l'alcool88(*).

D'origine américaine, né vers la fin du XIXe siècle, le cocktail fut très prisé par les parisiens entre les deux guerres. Le cocktail est un mélange d'alcool et de différents éléments, en proportions variables : "liqueur, jus de fruits, sirop, aromates..."89(*). La variété de ces mélanges est alors indénombrable. Notons que l'alcool n'est pas indispensable à ses préparations. On les sert "secs" ou "allongés", on les appelle alors "short drinks" ou "long drinks". On les prépare à l'aide d'un "shaker". Aujourd'hui, comme l'apéritif, il désigne autant la boisson que le caractère spécifique lié à une soirée. D'ailleurs, Berthe Bernage, dans son ouvrage des Convenances et bonnes manières, ne fait pas la distinction entre les "cocktails" et les "apéritifs", quand elle explique en quoi consiste ce genre de soirée90(*).

Georgeanne Brennan, quant à elle, propose distinctement trois catégories de boissons apéritives. Les apéritifs à base de vin (rouges, rosés, blancs ou mousseux et de vin doux plus ou moins renforcé en alcool), les apéritifs à base d'alcool aromatisé aux herbes et épices (pastis et campari) et les boissons apéritives à base de fruit avec ou sans alcool91(*).

Quoiqu'il en soit, peut-on réellement rattacher une boisson spécifique à un moment particulier ? L'apéritif prend t-il son sens ou se caractérise t-il uniquement par les boissons proposées à cet effet ? A contrario, une boisson peut-elle être exclusivement confectionnée à un usage apéritif ?

c- Les traditions régionales vues par les manuels de gastronomies

Parcourons maintenant la France, pour découvrir les spécialités régionales des apéritifs traditionnels et ainsi s'interroger sur les représentations symboliques des différentes boissons. Les ouvrages anthropologiques n'étant pas très riche concernant les coutumes apéritives régionales, je me cantonnerai aux descriptions faites par Sylvie Girard et Élysabeth de Meurville dans L'atlas de la France gourmande92(*), complétées par celles du Larousse Gastronomique93(*).

1- Les tendances fruitées du Nord-Est

Dans le Nord de la France, on consomme surtout le genièvre. C'est une eau-de-vie94(*) très aromatique préparée avec les baies du genévrier. Née en Hollande, elle est apparue en France par Dunkerque pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les gens du Nord (les "Ch'tis") sont également de fervents buveurs de bière, reconnu par le label : "bières spéciales du Nord".

La région de la Champagne Ardenne se distingue par son très réputé champagne, mis au point au XVIIe siècle par le bénédictin Pierre dom Pérignon. Précisons que cette boisson "sera servit frais à une température d'environs 8° dans des flûtes qui mettent en valeur sa mousse et préserveront son bouquet ", et que "les amateurs préfèrent le déguster en début de repas"95(*). Le ratafia est aussi une spécialité de cette région.

Tout le Nord-Est de la France semble apprécier les eaux-de-vie de fruit. La Lorraine s'est spécialisée dans la production de mirabelle, suscitant quelques conflits entre Messins et Nancéens96(*). L'Alsace, quant à elle, fait pousser des cerisiers destinés à la fabrication du Kirsch (les cerisiers donnant les meilleures eaux-de-vie étant ceux qui poussent sur les flancs des Vosges). Les eaux-de-vie de prunes, de mûres, de fraises, de pêches et plus rarement de l'eau-de-vie de houx font aussi le renommée de la région. Fougerolles, en Franche-Comté, se proclame "la capitale du Kirsch" (élaboré à partir de guignes, de poires, de framboises, de baies...). Cette région montagneuse se distingue par ses nombreuses plantes au vertus médicinales et très aromatisées, tel que la liqueur97(*) de sapin. Pontarlier, continue L'atlas de la France gourmande, fut la capitale de l'absinthe. L'anis de Pontarlier (qui est une eau-de-vie de gentiane, à base d'anis verte, d'hypose, de mélisse...), lui succéda après son interdiction. Enfin, mise au point au XIXe siècle, la crème de cassis est la spécialité dijonnaise. On peut lui ajouter de l'eau-de-vie de vin ("mêlé-cass") ou du vin blanc ("vin blanc cassis") ou encore du bourgogne rouge ("communard").

2- Les vertus médicinales des plantes des hautes montagnes

En Savoie, "Le Vermouth de Chambéry", vin d'herbes datant du XVIe siècle, connu son essor au XVIIIe siècle par les piémontais et en 1821 grâce au distillateur Chavosse. Il mis au point un vermouth de sa composition.

Plus au sud, dans le Dauphiné et le Vivarais, c'est la "liqueur des Chartreuses" définit comme un "élixir de longue vie" qui caractérise la région. Décryptée au XVIIIe siècle, après un siècle de recherche, cette liqueur verte, composée de plus de 130 plantes, connut dés le XIXe siècle une "renommée mondiale".

Comme le Jura, on trouve du génépi dans les hautes montagnes. Ce sont ses vertus médicinales qui firent la renommée des Basses et Hautes Alpes, explique l'ethnologue Annie-Marie Topalov98(*) et Denise Delcour dans un ouvrage ethnobotanique99(*). Aujourd'hui, pour ses vertus apéritives et digestives, l'essence de la gentiane est un tonique amer entrant dans la composition de nombreux apéritifs, suggère le Larousse Gastronomique100(*).

3- Les saveurs méditerranéennes

Le pastis, très associé à la ville de Marseille, serait l'alcool le plus consommé en France. Datant seulement de 1938, il est apparut suite à l'interdiction de l'absinthe en 1915. On le boit allongé d'eau. Sa teinte troublée lui aurait valu son nom. En provençal, "pastis" qualifie une situation embrouillée101(*). Le pastis est si lié aux Marseillais que le chercheur Laurent Marie considère Marseille "dans la constitution d'un imaginaire culturel populaire"102(*) indissociable au pastis, au basilic, à l'aïoli, à la bouillabaisse, aux cigales et à Pagnol.

En Corse, l'un des apéritif les plus apprécié est le "Cap Corse", composé de gentiane, myrtille, fève de cacao, colombo, écorce d'orange amère, écorce de quinquina, et vin. Sa vertu : "faire tomber la fièvre" !103(*). La myrte et le cédrat sont des liqueurs également très typiques provenant d'un arbrisseau du maquis.

4- L'origine des boissons apéritives dans l'Ouest

C'est dans L'atlas de la France gourmande que Sylvie Girard et Élysabeth de Meurville nous conte le parcourt et les anecdotes liés aux préparations des boissons. Celles-ci datant parfois du XVIe siècle.

Dans le Tarn, la liqueur de menthe est une spécialité de Revel. Elle est tonique et parfumée. On la connaît plus dans le monde sous la marque "Pippermint Get". Elle est mise au point en 1796. L'armagnac, eau-de-vie de vin, demeure ancré dans les "traditions gasconnes, artisanales, divers et rustiques". L'izarra Basque signifie "étoile", la recette a été achetée au XIXe siècle à de vieilles dames. Jaune ou vert, on le concocte à partir de nombreuses plantes. L'apéritif typique de Bordeaux est la Marie Brizard. Cette anisette de Bordeaux est "à boire fraîche sur des glaçons". En Auvergne, on aime la grande gentiane jaune, dont on tire les liqueurs à partir de la racine. Les limousins préfèrent la liqueur de noix. En Charente, un vigneron charentais du XVIIIe siècle distilla son vin qu'il n'arrivait plus à vendre. Il obtint le cognac. Le guignolet est une liqueur de cerise qui a pour patrie l'Anjou. Le muscadet est né à Nantes au XVIIe siècle. Le cidre appartient autant aux Bretons qu'aux Normands. Les Normands ont pour eux le calvados, qui se boit plutôt à la fin du repas ou avec son café sur "le zinc". La bénédictine est une liqueur très aromatique de couleur jaune. Elle est un élixir inventé au XVIe siècle par un bénédictin et retrouvé par un commerçant fécanpois en 1863.

5- La valorisation du patrimoine régional

Il apparaît que les XVIIIe et XIXe siècles sont une époque favorable quant à l'explosion des découvertes de boissons apéritives variées. Chaque région a su imposer sa spécialité. Chaque maison a ses pratiques et ses secrets quant à l'assemblage des ingrédients. Il en résulte un élan régional qui a permis l'acquisition d'une renommée grâce à la fabrication d'alcool. Sa valeur symbolique créée par l'aspect ancestral, thérapeutique et secret des apéritifs y apparaît "mystique". Elle donne l'impression d'un voyage dans le temps. Les apéritifs, comme les digestifs, par leur caractère très varié, d'un point vue gustatif, mais aussi au niveau de leur couleur ou de leur texture, ont permis de redynamiser le marché de l'alcool. Il ont également aidé à revaloriser une identité régionale, au même titre que les recettes culinaires et des produits alimentaires comme le fromage ou la charcuterie par exemple. Ces derniers étant d'ailleurs souvent consommé en accompagnement au moment de boire l'apéritif. Le caractère historique et artisanal de ses boissons renforce leur valeur économique et culturelle. Elles deviennent une compensation à l'industrialisation. Les traditions gastronomiques locales ont ainsi un intérêt pour, ce que nomme Jean-Pierre Poulain, "le tourisme vert"104(*).

À travers ces documents descriptifs, on remarque que les boissons apéritives suivent une tradition spécifique aux valeurs du terroir. Elles répondent à des normes propres à la culture française et ses mutations. Comme tout phénomène de mode, la consommation de boissons fermentées passe par des périodes plus ou moins attractives. La qualité, la marque, la substance, le degré d'alcool, les effets sont des critères évalués. Les influences politiques et médiatiques, l'influence de modèles à copier et plus généralement l'évolution de la société dans un système mondial contribuent aux choix des tendances gustatives. Néanmoins, on constate une recrudescence des valeurs du patrimoine rural à travers son alimentation. Les alcools traditionnels sont alors, autant ou plus, des produits recherchés par les touristes que par les autochtones.

B - Les sources analytiques

La documentation analytique concernant l'apéritif est moins importante. On la retrouve, cependant, dans les ouvrages d'anthropologie de l'alimentation. Le sujet est abordé de manière détournée. On parlera davantage de la boisson au sein du repas ou du cérémonial du repas.

a- L'anthropologie de l'alimentation

L'apéritif peut être une pratique isolée mais généralement il fait partie du cérémonial du repas. L'intérêt de l'anthropologie de l'alimentation se révèle dans ce contexte puisqu'elle réintègre la place de la boisson alcoolisée au sein du régime alimentaire. Elle ne cantonne pas uniquement l'alcoolisation à un acte de consommation. Au contraire, les fonctions économiques et sociales, ainsi que le rôle symbolique des boissons sont mis en avant. Boire et manger est loin d'être un acte aux conséquences exclusivement biologiques. Les raisons cérémonielles et sociales sont également fondamentales dans la pratique alimentaire.

1 - Incorporer un aliment

Boire et manger, c'est incorporer les propriétés des aliments mais aussi des symboles et de l'imaginaire. En ce sens, Claude Fischler explique que "l'incorporation fonde l'identité"105(*). Elle fonde l'identité individuelle par l'absorption d'aliments qui nous modifient de l'intérieur. Elle fonde l'identité collective et donc l'altérité par le partage d'une même nourriture au sein du groupe. De tous les aliments, l'alcool est certainement celui qui, dans "le principe d'incorporation", a la fonction symbolique et imaginative la plus puissante. Les effets psychotropes et l'histoire de chaque boisson permet à l'alcool d'accéder à ces fonctions. L'anthropologue nous donne l'exemple de la consommation de whisky. Cette boisson véhicule un imaginaire résultant de la littérature et du cinéma anglo-saxon de l'après guerre106(*). Cette intériorisation symbolique a par ailleurs favorisé la diffusion sociale du Scotch, en provoquant des différences au sein des classes sociales. Elle a instauré une hiérarchisation définie par la qualité et par le prix de la boisson.

2 - Les fonctions sociales de l'alimentation

L'ethnographie, avec le fonctionnalisme britannique, mis l'accent sur les fonctions sociales de l'alimentation plutôt que sur les aspects religieux, précise Claude Fischler. Le rôle alimentaire, dans la socialisation des individus à l'intérieur d'un groupe, s'exprime à travers un système qui s'articule autour de règles et de normes alimentaires propre à chaque culture. Les règles d'ordonnancement des repas, la préparation culinaire, le service, les transgressions, les prescriptions et les prohibitions jouent un rôle sur les jugements moraux. Les manières de consommer sont des éléments qui contribuent à l'organisation sociale d'un groupe. En effet, l'alimentation est un fait social dont l'analyse, nous rappelle Jacques Barou, peut renvoyer "à la question de l'appartenance sociale, culturelle ou communautaire de ceux qui s'alimentent"107(*). Les pratiques alimentaires sont régies par la communauté et c'est socialement qu'elles prennent leur sens et leur fonction. Aussi, boire un apéritif seul ou en compagnie ne revêt pas la même fonction ni la même signification au niveau des représentations. Bien que boire un apéritif seul, pour décompresser de sa journée de travail, n'est pas mal jugé, le "boire ensemble" est plus valorisé. Le genre, dans ce cas de figure, est un facteur à prendre en considération.

Tous ces modes et modèles nécessaires à la vie collective permettent, selon Claude Rivière, la "ritualisation du manger"108(*) et la transmission de valeurs morales, culturelles et sociales par la famille. De ce fait, les pratiques solitaires seraient-elles considérées comme "anomiques" ?

3 - Le concept de "gastro-anomie"

Un concept mis en valeur et fort exploité par les anthropologues ressort : la "gastro-anomie"109(*). La déstructuration des modèles standards du repas et des habitudes alimentaires traditionnelles est favorisée par la société moderne et industrialisée. Jean-Pierre Poulain, reprenant le raisonnement de Claude Fischler, distingue deux grandes structures comportementales : "le commensalisme alimentaire" _ dans lequel le repas est fortement ritualisé par la structure sociale _ et "le vagabondage alimentaire" _ où les prises alimentaires sont fractionnées et individualisées110(*). Face à cette réalité, on peut se demander où se situe le moment de l'apéritif et quel est son avenir dans une société où les pratiques individuelles progressent ? L'enjeu économique prend une place prépondérante dans ce phénomène social.

4 - La structuration du temps

Dans ce système aux enjeux socio économiques, la notion de l'espace temps111(*) est impérative en anthropologie de l'alimentation. Se nourrir demande une organisation spatiotemporelle quotidienne. Effectivement, les usages par lesquels s'organisent et se structurent la société sont soumis aux rythmes sociaux définis par les deux états de la société : celui du temps de travail et celui du temps libre. Le repas (comme le moment de l'apéritif), ponctue la journée, ce que les chercheurs tentent d'analyser dans l'ouvrage Le temps de manger : Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux112(*). Le rapport entre les besoins physiologiques et les rythmes sociaux fait ainsi l'objet de nombreux questionnements. Pourtant, si les boissons alcoolisées ne sont pas indispensables aux besoins de l'organisme humain, l'alcool, comme le souligne Henriette Touillier-Ferabend113(*), est un aliment qui structure socialement le temps.

L'anthropologie sociale et l'anthropologie de l'alimentation ouvrent de nombreuses portes à notre réflexion. L'apéritif, en tant qu'aliment, est un produit et un acte culturel qui structure socialement le temps par ce que l'on nomme les "pauses" du quotidien. Il est parfaitement intégré à la vie collective française. Sa vulgarisation dans les manuels de cuisines (comme nous l'avons vu précédemment) et dans les manuels de savoir-vivre (ce que nous traiterons plus loin) en est la preuve.

b- La philosophie du savoir-vivre

L'apéritif, en tant que moment de convivialité et de sociabilité, entre dans le champ des bonnes manières de vivre. Les relations sociales sont soumises à des règles, des bonnes et des mauvaises façons de se conduire sont énoncées pour vivre en conformité avec la société à laquelle on appartient.

1 - La sobriété et le bon goût

Le moment de l'apéritif n'échappe pas aux règles de savoir-vivre. Celles-ci, nous explique Dominique Picard, ne reposent pas seulement sur la sobriété mais "sur tout un jeu de valeurs comme l'amabilité, la finesse, la modestie, la distinction, la propreté, la modération, la dignité, la sobriété, le sens de la justice..."114(*).

Qu'il s'agisse de Jean-Anthelme Brillat-Savarin, d'Emmanuel Kant ou de Dominique Picard, tous, dans la description des attitudes à adopter en société, condamnent l'ébriété. Les aphorismes de Jean-Anthelme Brillat-Savarin sont explicites. L'un d'entre eux : "Ceux qui s'ingurgitent et s'enivrent ne savent ni boire ni manger"115(*), dénonce l'avidité et la voracité. Pour ce grand gastronome du XVIIIe siècle, l'art et la manière de boire et de manger sont des valeurs primordiales au fondement de la vie en société, de la civilité. Le goût en fait partie. Apprécier la saveur des aliments relève autant de la connaissance des usages du monde que les règles de politesse. Le bon goût (quel qu'il soit) s'associe aux bonnes manières et s'ajuste ainsi à la sociabilité.

2 - Les règles de la conversation

Les rencontres autour d'un repas ou d'un verre n'ont pas seulement pour objet la "satisfaction physique" mais le "plaisir social dont chaque individu doit sembler n'être que le véhicule" écrit Emmanuel Kant116(*). La sociabilité autour de la table amène indubitablement à des manières de se tenir, à la normalisation et à des règles de conversation. En tant qu'élément de culture, la conversation, précise Dominique Picard, demeure l'activité noble qui symbolise la convivialité à laquelle il est bon de participer. Emmanuel Kant approfondit la réflexion. Il prescrit la discrétion dans un groupe de convives. Il considère que l'aspect privé et intime de la réunion autour de la table instaure la confiance, la franchise et la confidentialité. Il n'empêche qu'il est incorrect pour un convive de rester silencieux. Celui-ci met mal à l'aise. Un convive qui garde la mesure, nous explique le philosophe, "représente un observateur qui fait attention aux fautes des autres". Puisque la boisson "délie la parole", la suspicion pourrait se jeter sur le silencieux117(*).

3 - Entre savoir-vivre et rituel

L'apéritif, en tant que réunion d'un groupe de convives autour d'un objet (boisson), répond aux mêmes exigences du savoir-vivre au cours d'un repas ou d'une réception. Il n'est pas étrange qu'un bon nombre d'ouvrages parle de "rite" de l'apéritif comme ils parlent de "rite" de table ou "rite de repas". Comme dans de nombreux sujets anthropologiques dans lesquels on s'intéresse à une pratique codifiée et répétitive, la question du "rituel" se pose. Les manuels de cuisine ou de savoir-vivre utilisent ce terme de la même manière qu'il a pu être banalisé dans le langage courant. Claude Rivière invoque les "rites profanes"118(*) pour qualifier les règles constituant les normes culturelles alimentaires dans le savoir-vivre. Contrairement aux idées de René Clarisse, qui cherche à démontrer que l'apéritif est un rituel social119(*), comme Sylvie Fainzang, on préfèrera parler de "pratiques ritualisées". Bien que la question soit intéressante, je m'arrêterai à ce constat. Selon moi, notre objet d'étude n'entre pas dans ce champ. Néanmoins, ce raisonnement sur les règles du savoir-vivre et le "rite", me conduisent à me demander si cette ritualisation des manières de table fonde le savoir-vivre, ou bien est-ce le savoir-vivre qui fonde les pratiques ritualisées ?

Des sources ethnographiques aux sources analytiques de l'anthropologie de l'alimentation, le sujet de l'apéritif est abordé de façon plus ou moins légère. C'est une littérature qui touche de plus prés la coutume, dans le fond comme dans la forme. L'apéritif est décrit comme une boisson et analysé comme une pratique sociale et culturelle. Il est tantôt un produit à vendre et vanté, tantôt un moment à partager confiné par des normes à respecter.

Cette seconde partie est riche de renseignements. L'histoire et l'anthropologie de l'alimentation orientent la réflexion au-delà de l'aspect spirituel et festives des boissons fermentées. L'apéritif est avant tout une nourriture, intégré au régime alimentaire français. L'histoire de l'alimentation nous informe sur l'évolution d'une pratique émergeante au sein du repas, lui-même en perpétuel mouvement. On remarque que le long processus du changement des manières de table remanie le statut de l'apéritif. Sa charge thérapeutique a quasiment disparu et il est essentiellement devenu un moment convivial où l'on apprécie de boire une boisson. On peut se demander si les progrès de la médecine moderne n'ont pas eu, également, un effet direct sur la représentation de ce moment privilégié. La bibliographie explorée traite la question de façon diverse et propose de nombreuses perspectives. La valorisation de la pratique en est une. Elle passe par la connaissance des produits consommés et de règles propres à l'alcoolisation et à la sociabilité autour de la table.

3ème partie - L'apéritif et ses normes sociales

En termes de données scientifiques et statistiques, l'apéritif est considéré comme une prise alimentaire, au cours de la journée, en dehors des trois repas principaux. Il s'intègre parfaitement à la dynamique des pratiques sociales, d'autant plus qu'il est plus ou moins institutionnalisé et soumis à des règles de ritualité. De ce fait, l'étude d'un moment tel que l'apéritif nous conduit indubitablement, à travers l'anthropologie sociale et culturelle, à des questions de temporalités, de rythmes, d'environnements, de genres, d'interdits et de licences, de contextes, de formes sociales et culturelles, de système de transmission. Si la littérature anthropologique reste encore mince, précisément sur ce sujet, il n'en demeure pas moins que l'apéritif est une coutume française très répandue. Un sondage rappelle que 90% des français déclarent prendre l'apéritif au moins une fois par semaine.120(*)

En France, aller boire un apéritif est donc devenu une banalité connue et pratiquée par tous. Si l'apéritif se caractérise par des "lois" communes, les pratiques ne sont pas uniformes, dans la mesure où les circonstances varient selon les personnes avec qui on partage ce moment, selon le lieu, l'heure, la saison et l'objet de la rencontre apéritive. Quelles sont les normes auxquelles il convient de se tenir pour ne pas être dans l'interdit social ? Que révèlent-elles ?

I - Un espace temps privilégié et divertissant

La société s'organise de façon homogène par l'intermédiaire de règles communes. Ces règles progressent dans le temps et s'adaptent aux nouvelles exigences socio-économiques. Le moment de l'apéritif suit les mouvements des rythmes sociaux induits par la standardisation des horaires de travail et par conséquent, par les heures de repas. Si l'apéritif se définit par sa place dans un temps déterminé, il prend des formes différentes selon les facteurs environnementaux.

A - "L'heure de l'apéritif"

L'anthropologie du boire et de l'alimentation évoquent toutes deux la ponctuation de la journée par des activités contraignantes ou ludiques. La première discipline favorise l'analyse des "pauses cafés", la seconde préfère se concentrer sur l'évolution des prises alimentaires. L'apéritif entre en jeu dans ces conceptions, puisqu'il constitue autant une pause sommaire qu'un moment précédent le repas. Jean-Pierre Poulain dans une recherche auprès de personnes organisant des apéritifs, note que, devant la progression de la pratique, "l'apéritif est passé d'un produit consommé à un moment privilégié"121(*). L'apéritif est un acte répétitif qui vient ponctuer les moments charnières de la vie sociale. Il rythme le cérémonial du repas en l'amorçant. Il scinde la journée ordinaire de travail en soulignant les fins de demi-journées. Il annonce la fin de la semaine de travail. Ou encore de manière "extra" ordinaire il marque un évènement. En somme, il est le symbole des vacances, des moments de détentes et de loisirs.

a- Le temps de boire un verre

Comme le digestif lors d'un repas permet de bien se quitter, l'apéritif permet de bien commencer la réception. De la même manière que pour l'apéritif des étudiants, dont Jacqueline Freyssiney Dominjon et Anne-Catherine Wagner122(*) rapportent les propos, le guide de savoir-vivre de Sabine Denuelle123(*) précise qu'il aide à faire patienter en attendant les derniers invités et à instaurer l'ambiance. Les étudiants expliquent que l'apéritif désigne plutôt un type de boissons consommées tout au long d'une soirée, qu'un moment pour le boire. Il est alors dans ce cas lié à la fête.

L'apéritif est autant un moment programmé collectivement qu'un moment spontané non réfléchi à l'avance. Véronique Nahoum-Grappe nomme ce second moment "le boire occasionnel". L'historienne et anthropologue expose le détour improvisé du buveur du XVIIIe siècle (que l'on peut restituer à notre époque). Il se permet de casser le rythme prévu de ses taches et de son itinéraire pour aller "boire un coup" : "une pause dans le travail, une rencontre lors d'une promenade, une fatigue ou une lubie peuvent entraîner le buveur à la consommation"124(*). L'heure à laquelle on s'arrête prendre un verre, coïncide généralement avec l'heure de l'apéritif, dans la mesure où l'on est soumis à l'ordre des activités sociales. Cette manière occasionnelle de boire est sans doute la plus caractéristique de la société urbaine occidentale. Devant la contrainte des emplois du temps chargés des citadins, elle offre une prise de pouvoir du sujet sur son temps, elle permet "un clivage d'avec l'organisation dominante du monde social"125(*).

b- La pause des travailleurs

Les trois pauses au cabaret dans la longue journée de travail de l'ouvrier parisien ou lyonnais du XVIIIe siècle, ne sont plus de l'ordre de l'occasionnel mais de l'habituel. Gilbert Garrier décrit le rythme des consommations de l'ouvrier : "il ouvre à six heures par un gobelet de vin blanc, la coupe avec une chopine de clairet sur son frugal repas de midi et la clôt vers dix-neuf heures par un pot fraternellement partagé"126(*). L'alcool est parfaitement inséré à la journée de travail et au rythme quotidien de la vie urbaine. Cette habitude quotidienne se retrouve également chez les dockers havrais étudiés, à la fin des années 80, par Jean-Pierre Castelain. Leur journée est ponctuée par les pauses "casse-croûte" dans les débits de boissons. Elles s'intègrent parfaitement au déroulement du travail et à l'organisation des échanges sociaux. Ces pauses constituent le moment idéal pour échanger des informations127(*). L'apéritif, ici, se confond aux autres modes de consommations marquant la rupture du temps de travail.

Nous pourrions continuer la liste des descriptions de ces pauses-café. Des militaires aux travestis algériens (évoqués dans Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérive de Carmen Bernand), les chercheurs s'accordent sur le fait que l'apéritif, ou l'alcool, marque l'alternance entre le temps de travail et le temps de repos. Les ouvriers sont, dans la majorité des recherches, l'exemple le plus cité. Est-ce un moyen de montrer la corrélation entre les obligations utilitaires et matérielles qu'impliquent le temps de travail et les pauses méritées qui en découlent ? Est-ce que cette corrélation ne s'exprime pas chez des cadres supérieurs ? Je ne le pense pas. En tous cas, il est certain que cela suscite moins d'intérêts. Ou encore, est-ce une manière de souligner une alliance permettant de surmonter la fatalité des durs labeurs de la vie ? Un "coup de pouce" qui efface les inégalités sociales ? Nonobstant, quelque soit la profession, l'âge ou le sexe, la consommation de boissons alcoolisées structure socialement le temps et les relations interpersonnelles. Elle permet de créer des temps de sociabilité, des occasions collectives et de renforcer la solidarité des travailleurs et partenaires. Des préférences implicites, du moment pour boire, sont en harmonie avec les pratiques du groupe social.

c- L'apéritif au sein du repas

La temporalité est souvent évoquée en anthropologie de l'alimentation. La prise alimentaire traditionnelle se définissant par un horaire défini, la question de la déstructuration des repas lié à la société moderne et industrielle se pose. Où se situe la place de l'apéritif dans ces formes de repas anomiques ? Si le temps de repas n'est plus respecté, l'apéritif pourrait se différencier totalement du repas. Mais il est encore trop tôt pour la bibliographie actuelle d'analyser la question. En effet, il ne s'agit encore que d'une légère progression vers des habitudes dites "anomiques". Claude Fischler explique qu'effectivement la majorité des français (environs 80% de la population) reste dans le schéma traditionnel dans lequel on mange à heure fixe128(*).

1- L'ajustement des temps de repas

"Les trois repas sont l'héritage du XIXe siècle, pendant lequel s'opère un ajustement des horaires alimentaires en fonction des nouvelles conditions de la vie professionnelle et sociale" souligne Claude Rivière129(*). La standardisation des repas a donné lieu à l'uniformisation des comportements et des rythmes sociaux. L'élaboration progressive des règles du protocole, incluant les horaires de la table, pourrait ainsi être considérée comme, ce que qualifie Stephen Mennell, un "symptôme de rationalisation"130(*). Ce qui permettrait de rejeter certaines pulsions et satisfactions. La structuration du temps, dit-il, est un produit de la société, subissant l'impact du besoin alimentaire. Le temps de l'alimentation est alors un moment à part, écarté des autres activités. Toutefois, Claude Fischler explique que "l'alimentation quotidienne tend à subir de plus en plus l'emprise de l'univers du travail". La cantine ou le "restaurant d'entreprise", l'explosion de la restauration rapide (pour manger vite), les produits industriels modernes (pour cuisiner vite) sont des facteurs qui favorisent la désintégration du repas socialisé. C'est pourquoi selon l'anthropologue "l'alimentation ne structure plus le temps, c'est le temps qui structure l'alimentation"131(*). De ce point de vue, le repas socialisé et ritualisé reprend sa place lorsqu'il s'inscrit dans des temps de loisirs. L'apéritif s'épanouira dans ce contexte.

2- L'apéritif comme loisir

Le rythme hebdomadaire dans lequel prend forme le repas quotidien familial se différencie nettement du rythme plus lent des week-ends. Ceux-ci donnant lieux à des rencontres autour de la table et à des repas plus élaborés. C'est lors de ces invitations entre amis, de ces réunions de famille où le temps n'est plus compté que le repas devient une cérémonie fort ritualisée. L'apéritif s'exprime alors, nonchalamment et avec soin, dans ce contexte. C'est le moment propice pour se faire plaisir par l'échange et en savourant le contenu de la boisson. En effet, il apparaît que selon les circonstances plus ou moins importantes, qu'il s'agisse d'une fête religieuse ou profane, qu'il s'agisse d'une réunion plus ou moins intime ou officielle, l'apéritif donne le ton à la festivité, aussi bien par la qualité de la boisson que par la qualité de l'échange relationnel. Le dimanche est le jour opportun de l'apéritif. Selon Jocelyne Bonnet, l'apéritif du dimanche suit une très ancienne tradition marquant l'espace-temps festif de ce jour. Si le samedi soir semble être favorable à l'apéritif entre amis, le dimanche midi réunit la famille éparpillée la semaine132(*). Le premier ne précède pas automatiquement le repas à l'inverse du second. L'apéritif solennel, suivi du repas, semble être un moment privilégié dont la volonté est de marquer un jour ou un évènement particulier.

En semaine, quand il est spontané, l'apéritif s'inscrit rarement dans l'articulation apéritif/repas. Cela s'explique par les contraintes journalières des horaires de travail ou des obligations familiales. Alors que le week-end est propice à la détente, aux discussions qui peuvent ainsi se prolonger et même s'il n'est pas prévu, peut se poursuivre par un repas "à la bonne franquette"133(*). Ce constat n'est toutefois pas une réalité pour les jeunes sans enfants et les étudiants134(*).

B - L'impact du milieu sur les manières de consommer

Prendre l'apéritif chez soi ou dans un café n'exprime pas tout à fait la même chose. Le lieu tant que les personnes avec qui on partage un verre sont des éléments à considérer. Le comportement adopté en dépend.

L'intimité de l'espace privé peut permettre certaines libertés. Cependant si la réunion est familiale le respect qu'exige le protocole des générations, en retire. L'espace public, quant à lui, donne lieu aux regards extérieurs et donc suppose un caractère réservé aux réunions et suggère quelques retenues. Néanmoins, le café est un lieu qui reste tolérant et admet ainsi certains débordements, en comparaison avec le lieu de travail ou le restaurant plus conventionnels. La nature des fréquentations, chics ou populaires des lieux, agit sur les codes s'exprimant différemment. La sociabilité, le partage et la convivialité liés à ce moment ne revêtiront pas la même symbolique. "Chaque lieu peut ainsi être considéré comme une sorte de "territoire" sur lequel on a plus ou moins de droits et de devoirs"135(*).

a- Le café, un lieu de consommation divertissant

Il ressort involontairement de la recherche bibliographique, une documentation centrée sur la sociabilité dans les cafés. On remarque rapidement que la boisson n'est pas la chose que l'on vient chercher dans un café. Bien que l'heure de l'apéritif attire toujours plus de monde. C'est un lieu qui marque une coupure avec le lieu de travail et le foyer familial. Il permet ainsi la détente, la rencontre et les discussions. Excepté la consommation de boissons qui est obligatoire, deux fonctions "ludiques" principales sont mises en avant dans les cafés provençaux étudiés par Annie-Hélène Dufour136(*) : la discussion et le jeu. Des discussions sérieuses, portant sur "les nouvelles locales, nationales, économiques, politiques, sportives" alimentant "les conversations souvent polémiques et bruyantes du comptoir", aux discussions légères, décrites par l'ethnologue telle une "fête verbale", chacun trouve sa place. Le plaisir d'être ensemble prédomine le reste. Des journaux mis à la disposition des consommateurs et la télévision contribuent aux échanges quotidiens centrés sur l'événement sportif et politique. Une sorte de théâtralisation propre à chaque café s'exprime. Du premier rôle du patron aux rôles principaux et secondaires des consommateurs, l'ambiance dégagée attire des publics appropriés.

Si le café est un lieu propice aux discussions parfois passionnées, le jeu également régule les relations. Il est un paramètre essentiel au choix d'un établissement : cartes, dés, boules, jeux électroniques, baby-foot, ping-pong, P.M.U sont autant d'éléments permettant la distinction des fréquentations. Ainsi, les Chambrettes provençales du début du siècle dernier, rassemblent les hommes pour plusieurs raisons. Cet espace exclusivement masculin, permet aux hommes d'être plus ouverts envers leurs congénères et donc d'être moins complexés pour exprimer leur sentiment. On se console et se délasse en toute impunité. Le jeu est également essentiel à cette sociabilité masculine. Le jeu de carte, le billard, et les parties de boules sont les divertissements favoris dont on n'oublie pas de mettre en jeu "bouteille de vin", "vin chaud" ou "café à goutte" selon les saisons137(*).

Pour attirer la clientèle, on propose diverses soirées à thème, comme le suggère la sociologue Anne Steiner, dans les cafés de Belleville. Devant le changement de ce quartier en rénovation, les propriétaires et gérants doivent relancer leur commerce. Ils font preuves d'inventivité et de dynamisme : "« apéros concerts », soirée poésie, animations diverses qui attirent le soir une clientèle jeune"138(*). Le moment de l'apéritif semble captiver un maximum de gens dans les cafés. Il reste un lieu opportun pour se rencontrer et pour commencer les soirées. Bien que l'on cherche à charmer une clientèle assez diversifiée, un nombre d'éléments l'oriente dans des lieux plus que d'autres. L'âge, le genre, la condition sociale et le style de vie, ou encore les heures de fréquentation et même parfois le choix de boissons conditionnent le choix des différents établissements. Les opinions politiques, souligne Patrick Le Guierrec, favorisent ces choix. Dans le bourg étudié par l'anthropologue, la population du "bar « socialiste »" se distingue de celle du "bar des « Blancs »" ou de celui des "« chasseurs »139(*).

Aller "boire l'apéro" est sans doute le meilleur prétexte pour s'échapper de son quotidien. Néanmoins, la raison pour laquelle on fréquente un lieu public ne semble pas résidée dans cette unique activité. Non pas que la consommation d'alcool ou d'autres boissons ne soit pas sans intérêt. Elle doit seulement se joindre à l'échange, occasionné par la rencontre et les loisirs, pour prendre la valeur qu'on lui connaît. Sans quoi, son caractère en deviendrait morose et l'on préfèrerait peut-être rester chez soi.

b - La tendance des "apéros" au foyer

Contrairement à toutes mes données, l'unique document faisant référence à l'apéritif à domicile est celui de Jean-Pierre Poulain. En effet, ce sociologue, spécialiste de l'alimentation s'intéresse au phénomène d'"alimentarisation" de l'apéritif, donnant parfois lieu à une "culinarisation". Par conséquent, le chercheur s'intéressera davantage aux apéritifs découlant des invitations à domicile. Ceux-ci mettent en évidence l'importance des mets préparés à cet effet et les manières de recevoir.

Bien que ma recherche bibliographique se réfère quasiment exclusivement aux lieux publics, Jean-Pierre Poulain précise que contrairement à l'augmentation de la restauration hors foyer, l'apéritif tend de plus en plus à se prendre chez soi. Il ajoute que le nombre de cafés est passé de 79 000 en 1983 à 50 740 en 2000. Devant cette baisse, le sociologue met en parallèle, ce qu'il nomme, la "privatisation" de l'apéritif. Elle est mise en lien avec l'augmentation des invitations à domicile. Ce déplacement de l'extérieur vers l'intérieur des foyers s'exprimerait, d'abord tout doucement, à partir de la fin de la seconde Guerre Mondiale et se serait largement amplifié aujourd'hui.

On reconstitue alors l'espace public dans l'espace privé. L'apéritif, que l'on prenait sur la table haute de la salle à manger ou de la cuisine, se prend dans un salon muni de canapés, de fauteuils et d'une table basse. La télévision aurait-elle un lien avec cette mutation ? L'aspect confortable alliant intimité et liberté de créer sa propre ambiance sans contraintes, serait-il la cause de ce dynamisme ? Cette "privatisation", ajoute-t-il, s'inscrit dans la tendance du "nesting" vu comme l'évolution du "cocooning" des années quatre-vingt. "Le cocooning s'apparente à un phénomène de repli sur soi et de recentrage sur la maison (...). Par contre le nesting du début des années 2000, désigne un retour des individus vers une maison moins cloisonnée, (...) plus ouverte sur la famille et les amis"140(*). L'espace privé est ici mis en avant. Il concerne avant tout des invitations familiales ou entre intimes, puisque faire entrer quelqu'un dans son intérieur c'est lui dévoiler une partie de soi. Aussi, préfère-t-on prendre l'apéritif dans des cafés comme premier rendez-vous car il demande moins d'implication, renchérit le sociologue.

Face au conformisme grandissant et aux lois sur l'alcoolisation de plus en plus stricte, il est fort possible que la tendance des pratiques privées s'accentue. Dans cette même lignée, les actions du type "repas de quartier" ou "apéritifs de quartier" sont des initiatives venant contrebalancer cette tendance, afin de relancer la sociabilité.

On réalise l'impact de l'espace temps sur le comportement et les envies de chacun. Ainsi, le confirme Dominique Picard : "dans la mise en scène de la convivialité, l'espace et le temps ne sont pas de simples décors, mais des éléments qui participent à la définition des situations."141(*) L'alcoolisation nécessite d'un espace et d'un temps précis, conjugués par la société pour exister en toute légitimité. L'apéritif, par la stabilité de ses horaires et de ses espaces, est une expression évidente de cette nécessité sociale. De plus, il peut s'exprimer de diverses manières, ce qui amplifie l'engouement occasionné et la persévérance de la pratique. Pour être socialement accepté comme un acte traditionnel et donc respecté par tous, il doit répondre à des conditions enracinées dans le temps.

II - Les fonctions sociales et culturelles de la coutume

Bien que le système de pensée mondial tend à s'uniformiser depuis les grandes vagues de colonisations, chaque société continue à fonctionner selon ses propres règles. Des règles qui évoluent certes, mais qui sont définies par une forme de logique ancestrale. Aussi, face à l'histoire ancienne et tumultueuse des modes d'absorption d'alcool, chaque catégorie de personne a su adopter des comportements, en matière d'alcoolisation, convenant parfaitement à leur statut et aux situations. Comment se traduisent ces attitudes préconisées pour être en accord avec les normes sociales françaises ? Quel rôle joue l'apéritif dans ces conduites d'alcoolisation ?

A - Un jeu de rôle défini. Hommes et femmes face à l'alcool : des stéréotypes en phase d'évoluer ?

Si la mixité progresse dans les sociétés occidentales, des différences significatives préexistent selon le genre dans les façons de pensées, de se tenir et d'agir. Les manières de boire et les activités s'y attachant, sont un exemple imparable mettant en évidence ce type de ségrégation.

a- Le partage des taches domestiques

La pratique apéritive met en valeur les distinctions sexuelles, aussi bien dans le choix des boissons que dans la distribution des rôles. En effet, on attribut facilement les tâches culinaires aux femmes alors qu'on réserve aux hommes tout ce qui touche aux boissons alcoolisées. La répartition des taches domestiques s'établissant naturellement au sein des couples classiques. Claude Rivière décrit ce partage complémentaire dans les ménages. Les femmes font les achats, elles semblent connaître parfaitement les goûts de la famille, les manques et les besoins de chacun. Elles s'occupent davantage de l'approvisionnement, des préparations culinaires et de la décoration de la table. Quant aux hommes, l'ethnologue leur confère un rôle plus centré que celui des femmes et spécifique au domaine de l'alcool. Le choix des vins accompagnant le repas, le service des apéritifs, du pousse-café et des cigares sont des activités typiquement masculines142(*). Ces notions peuvent paraître dépassées, pourtant dix ans plus tard, Jean-Pierre Poulain établit le même constat. Il observe, dans les apéritifs au domicile, la préparation et la mise en scène de l'apéritif au travers de la nourriture et des accessoires enjolivant la table par les femmes. Les hommes sont, eux, associés au choix et au service des alcools. Le sociologue va même jusqu'à spécifier ce moment comme un "moment privilégié pour la maîtresse de maison". Elle peut participer pleinement à la réception des invités puisque les va-et-vient à la cuisine sont restreints par la commodité des préparatifs alimentaires143(*). Notons que ces clichés sont propres aux habitudes familiales et non aux apéritifs d'étudiants et de célibataires.

b- Le boire viril

Les manières de boire et le choix des boissons répondent également à des normes précises selon son appartenances sexuelles. Il est encore fréquent d'associer l'alcool à la virilité. Cette vision du boire exclut totalement les femmes et privilégie les corporations masculines. Ainsi, dans le bourg de Scrignac, les femmes ne sont pas admises dans les bars, excepté à l'occasion des fêtes patronales, explique Patrick Le Guirriec. D'ailleurs la rue et les alimentations, où elles se rencontrent pour faire leurs achats et discuter, sont des espaces dans lesquels les hommes ne préfèrent pas s'attarder. Par contre, la mairie, le garage et le bistrot sont les lieux de l'activité masculine par excellence. On y discute politique ou travail, c'est pourquoi les femmes n'ont rien à y faire. De plus, une consommatrice pourrait facilement être accusée de négliger son foyer, alors qu'un homme qui ne fréquente pas le bistrot est condamné à l'"isolement social"144(*).

Cette forme de machisme liant alcool et virilité est encore plus marquant dans certains corps professionnels. Des enquêtes établies par Robert Chapuis, dans des villes de France, en 1989, démontrent cette réalité. "Boire de l'alcool, c'est d'abord être un homme, passer avec succès une sorte de brevet de virilité, épreuve d'initiation supplémentaire proposée au jeune lors de son 1er emploi". Ce constat, d'après le sociologue, est une réalité pour 20% des hommes interrogés145(*). Cet aspect viril est également décrit par Jean-Pierre Castellain. Le travail dure et physique des dockers s'accompagne systématiquement d'alcool, lui conférant ainsi des attributs virils et fraternels.

Il est aussi question d'honneur dans ces manières de boire, qui constitue de ce fait une épreuve puisqu'il s'agit de boire beaucoup mais "comme un homme", c'est-à-dire ne pas mettre en scène une ivresse corporelle décadente146(*). Les "compétitions à boire" symbolisent cette quasi obligation de boire toujours plus. Elles sont un moyen de prouver sa force, de mieux connaître son compagnon de boisson et soi-même, par la maîtrise de son corps et de son caractère.

c- Le carcan du boire féminin

Si cette sociabilité masculine est socialement valorisée et renforce l'identité virile, il en est autrement pour les femmes. Elles sont d'ailleurs le plus souvent exclues des bars, de ces métiers dures et des compétitions à boire. Cependant, bien que l'on ne parlera pas de corporation féminine dans le boire, les femmes aussi participent aux festivités alcoolisées.

On dit de la femme ivre qu'elle perd sa vertu. Elle est ainsi plus dénoncée socialement que l'homme ivre. Le boire modéré et le savoir-boire s'exprime et prend forme peut-être davantage à travers le boire féminin. Les femmes, analyse Véronique Nahoum-Grappe, se doivent alors de boire des boissons légères, douces et sucrées "comme elle(s)". L'exemple du vin de Champagne est explicite : ses bulles, sa distinction, son aspect précieux et ses effets légèrement euphoriques conviennent parfaitement à notre imaginaire de la femme qui boit avec distinction selon des codes qui ne la dénigrent pas. Contrairement à la "pocharde", la "poissarde", la "buveuse" ou "l'ivrognesse" qui ne s'accorde pas avec la représentation de la femme épouse, mère nourricière et gardienne du foyer dont les femmes ont du mal à se défaire.147(*)

Comme la dégustation de vin à table, le moment de l'apéritif correspond à ce type de boire modéré et distingué féminin. Par ses normes, ses codes et ses convenances, il intègre parfaitement les femmes dans le jeu de l'échange et de la convivialité mais à certaines conditions. Le neuropsychiatre Jean Rainaut repère ces différences sexuelles suscitées par les normes de l'alcoolisation. La consommation des boissons alcooliques répond à des normes de quantité, de lieu, de fréquence, de vitesse, de qualité, ou de manière de consommer. Il est préférable pour les femmes de boire au cours du repas, dans les espaces privés, accompagnée par un ou plusieurs hommes, sans boire successivement des verres d'un trait, préférant le kir au pastis, assises à une table plutôt que debout au comptoir, etc.148(*).

Les règles de la distinction sexuelle en matière d'alcoolisation tendent à s'amoindrir. Les interdits, en termes de représentation, sont également moins rigides. Pourtant, ces "quelques idées reçues" caractérisent le boire féminin, qui est cantonné dans les préjugés plus profondément que le boire masculin. De ce fait, pour reprendre le raisonnement ironique de Véronique Nahoum-Grappe, si la belle femme ne boit pas, l'homme fort doit savoir boire. On peut se demander pourquoi ces clichés perdurent ? N'est-ce pas par la complaisance d'une certaine complémentarité dans des jeux de rôle féminins et masculins ?

B - L'apéritif, un révélateur d'identité culturelle et socioprofessionnelle

Comme n'importe quelle pratique favorisant le regroupement, l'apéritif encourage les réunions entre pairs et les revendications culturelles souvent exprimées par une boisson emblématique.

a- La confrontation de deux cultures du boire

Un petit détour dans l'histoire s'impose, pour rendre compte des premiers jugements moraux portés sur les pratiques culturelles hétérogènes. Les manières de boire et les particularités contextuelles du boire en constituent un excellent exemple. Deux manières de boire complètement différentes se sont côtoyées en Europe. Celles des civilisations Gréco-romaines et celles des Celtes. Également, sont nées deux formes de vénérations symbolisées par le fruit de la fermentation : le raisin et le vin pour les Romains, la pomme et le cidre pour les Celtes. Chacun, nous informe Stewart Lee Allen, en vouant un culte à sa boisson totem, renforçait l'identité du groupe au travers cette boisson149(*). La boisson est un marqueur d'identité, fonctionnant sur les représentations symboliques communautaires. Dans le but de diaboliser les païens, explique Robert Tinlot, l'Église catholique romaine aurait fait de la pomme le fruit défendu alors qu'il s'agissait "sans doute du raisin"150(*).

Il est évident que devant le choc culturel des civilisations, la normalité chez certains, n'était que bizarrerie pour d'autres. Face à des modes d'absorption qui diffèrent, la pratique commune (ici celle de consommer une boisson fermentée) est reconsidérée. Elle apparaît étrange pour les observateurs détenant leurs propres codes, leurs propres modes de représentation, imprégnés de valeur. Il est naturel d'étiqueter d'emblée la coutume nouvelle rencontrée, explique l'anthropologue Maryon Mac Donald151(*). Quand les Romains ou les Grecs observent les habitudes ritualisées du boire des Gaulois, enrichit Gilbert Garrier, ils dénoncent leur comportement de "soiffard". Les Gaulois buvaient de manière épisodique, rapidement et en grande quantité. Ils s'enivraient volontairement et surtout buvaient du vin pur. Ces manières de boire sont condamnées par les Romains qui les considéraient, de ce fait, comme des "barbares". "Boire en barbare, ce n'est pas boire beaucoup ni souvent, c'est boire le vin pur, en solitaire ou dans une convivialité orgiaque bien éloignée du strict rituel des symposia et des banquets"152(*). Estimés comme des buveurs "civilisés", les Romains et les Grecs buvaient modérément et surtout coupaient leur vin avec de l'eau, ce qui, pour eux, était un critère de civilisation.

Cette culture de la consommation sophistiquée de l'alcool se retrouve plus tard au XVIIIe siècle comme je l'ai décrit précédemment. Pareillement, le constat de la rencontre de deux cultures de la boisson suscitait de vives critiques d'ordre moral. Celle de la Bretagne rurale ("un monde de consommation d'alcool épisodique, célébratoire, et quantitatif"), et celle des voyageurs "instruits" côtoyant le " monde de convivialité de salon"153(*). Cette confrontation continue finalement aujourd'hui encore, quand Guy Caro en 1990 organise le colloque à Rennes, et multiplie les études concernant le boire excessif en Bretagne.

b- Appartenir à un groupe

Cette dissonance dans les manières de boire ne s'explique pas seulement par des conflits culturels. Elle se perçoit également dans les différences sociales. L'alcool favorisant l'état sectaire d'un groupe. D'après l'enquête menée dans le cafés par Annie-Hélène Dufour, l'heure de l'apéritif, du midi comme du soir, correspond au retour du travail. La fréquentation des bars, à ce moment de la journée devient alors un véritable lieu de passage et par conséquent un moment de pause mêlé de sociabilité. Patrick Le Guirriec nous en fait une description lors de son étude à Scrignac. La fréquentation des cafés, dans ce bourg communiste breton, a une valeur de sociabilité et d'intégration à la vie sociale et politique. Ce lieu, débiteur d'alcool, devient donc "obligatoire" si l'on veut participer à la vie publique et faire parti intégralement de la communauté. Il semblerait que des codes spécifiques de l'alcoolisation sociable soient régulés par les classes socioprofessionnelles. Dans ce cas particulier, ce sont les petits cultivateurs qui fréquentent quotidiennement les cafés. À l'île de Balz (Nord du Finistère), Patrick Le Guirriec note que les cultivateurs ne les côtoient que le dimanche, contrairement aux pêcheurs et aux retraités de l'île. Il apparaît ici que "les manières de boire sont propre à chaque communauté et sont susceptibles de varier lorsqu'on change de culture"154(*). Il en est de même quant à la nature des boissons. Le groupe social des "petits cultivateurs", ouvriers et paysans, boit plutôt du "gros rouge" tandis que le groupe social des "notables locaux" s'en abstiennent.

L'appartenance à un groupe social se détermine, dans ce contexte, à travers ce que l'on boit. Elle donne l'opportunité au groupe d'affirmer son identité. L'ethnologue Agnès Jeanjean enquête à Montpellier auprès des "employés au Service d'Égouts de Montpellier"155(*). Les employés s'autorisent des pauses café pendant leur journée de travail. Bien que les travailleurs n'ont pas installé de "hiérarchie officielle" entre eux, la nature des consommations diverge quelque peu selon les groupes. Sans évoquer le café du matin, l'ethnologue constate que les égoutiers consomment plutôt de la bière et parfois du vin et du pastis. Les cadres en revanche, optent souvent pour de la bière, du pastis ou du whisky quand il s'agit de boissons alcoolisées. Sinon ils s'accommodent au groupe en buvant sirop, limonade ou café. Contrairement aux égoutiers, les rencontres entres cadres ne sont pas uniformes. Selon l'entente partagée, ils pourront parfois s'attarder à l'heure de l'apéritif. Chose impossible pour les égoutiers. Ceux-ci ne pouvant pas se permettre de se faire trop remarquer par l'arrêt de leur camion trop voyant. La variante des alcools consommés n'est pas vraiment significative, excepté peut-être la différence de coût entre le vin et le whisky, permettant pour les plus aisés le choix d'une boisson socialement et symboliquement valorisée. Dans tous les cas, boire l'apéritif présente un bon prétexte pour les deux groupes de s'arrêter. Mais il n'est pas seulement un prétexte pour boire, il est un moment où l'on continue d'échanger sur son activité et où les employés "expriment et défendent des conceptions du travail et d'eux-mêmes". C'est par ce moyen qu'ils revalorisent leur identité professionnelle.

Comme les ethnologues Maryon Mac Donald ou Patrick Le Guierriec, le psychiatre Guy Caro synthétise cette réalité liant de manière quantitative ou qualitative, chacun à une boisson156(*). Effectivement l'âge, le sexe, le milieu professionnel, social et culturel, "influencent sensiblement" les rapports entretenus avec ces liquides tant prisés et éveillant tant de polémiques.

C - Les règles du savoir-vivre et du savoir-boire dans la socialisation

Au cours de mes lectures, la distinction entre dégustation et gloutonnerie est mis en lumière. Savoir vivre en société et apprécier de vivre en collectivité, c'est pouvoir assimiler ces notions. Cette satisfaction passe par des règles à suivre, de manière à être en harmonie avec son groupe. Les règles de l'alcoolisation sont ainsi soumises à une volonté de partager un moment privilégié entre amis, famille, intimes, collègues ou simples connaissances. Le plaisir gustatif et socialisant découle alors du respect des règles du savoir-vivre.

a- La cohésion du groupe

On peut considérer l'apéritif comme une activité structurante et organisatrice du lien social, à partir du moment où les individus suivent des règles communes. Ces règles de la pratiques apéritives fondent les normes de l'alcoolisation de la société française. Par le biais d'un modèle culturel d'alcoolisation, elles deviennent dés lors socialisantes. Ainsi, le savoir-boire comme le savoir-vivre fonctionne, nous dit Dominique Picard, comme "tous rituels sociaux"157(*). Répondre aux mêmes codes renforce la cohésion d'un groupe et permet de l'opposer à un autre groupe. En partageant un même "rite", les individus se sentent proches et solidaires. Le savoir-vivre permet de rendre compte des différences entre membres de catégories par des pratiques apprises. Ainsi, renchérit le psycho sociologue, les codes du savoir-vivre "bourgeois" n'ont pas cours dans d'autres milieux ou prennent d'autres formes. D'ailleurs, l'apéritif rassemble plutôt des voisins ou des amis des milieux populaires158(*).

b- L'apéritif dans les manuels de savoir-vivre

Des manuels de savoir-vivre suggèrent, souvent de manière succincte, les façons de concevoir l'apéritif. Des nuances selon les époques et auteurs semblent se révéler. Si l'apéritif se répand après la seconde guerre mondiale, il apparaît qu'au début des années soixante, l'"apéritif" n'est pas un terme très réputé. Effectivement, Berthe Bernage, dans un ouvrage datant de 1962159(*), consigne au lecteur qu'il vaut mieux éviter le mot "apéritif", sans donner de raisons. Était-il un mot à consonance péjorative car trop populaire ? Cette connotation n'apparaît plus dans le guide du savoir-vivre des années quatre-vingt-dix de Sabine Denuelle160(*). Dans les deux cas, il y a une confusion entre le cocktail et l'apéritif. Une seconde divergence se situe au niveau du temps. Le premier précise que l'on doit attendre tous les convives avant que le "maître de maison" serve à boire. Le second précise que l'apéritif aide à faire patienter en attendant les derniers arrivants. Enfin, il apparaît clairement qu'il est plus actuel de servir des petits plats cuisinés en accompagnement alimentaire (mini-pizzas, canapés...) en faveur des traditionnels gâteaux apéritifs (amandes grillés, cacahouètes...).

c- Le savoir-recevoir

De manière générale, l'importance réside dans la manière de recevoir ces invités par l'intermédiaire de la qualité des boissons et de la manière de les servir. Porto, Whisky, Cinzano, Raphaël, Vermouth, Byrrh, Pernod sont les apéritifs traditionnels. On peut aussi servir du champagne dans des coupes ou des flûtes qui conservent plus longtemps au vin son pétillement. Les jus de fruits ne sont pas omis et l'on précise qu'ils doivent se servir dans des grands verres. Les liqueurs et les vins chauds se servent dans des petits verres. Le punch ou la sangria, "boissons exotiques", rajoute Sabine Denuelle, peuvent être prévu dans des verres à vins. Une fois les préparatifs ajustés, les boissons sont toujours servies soigneusement par le maître de maison161(*). Ce dernier donne le signal pour boire en levant son verre à la santé de ses hôtes162(*). On peut considérer le toast comme le top départ à la consommation d'alcool, qui, précise Carmen Bernand, ennoblit de façon formel le geste du boire. L'anthropologue décrit le toast comme "une forme de dédicace de la boisson effectuée par un homme". On doit suivre des gestes précis : le verre doit être rempli, on lève son verre, la posture du corps est cambrée, on prononce une allocution et enfin on boit ou on fait semblant. D'après les manuels français de savoir-vivre, il est préférable de porter le toast avec du vin.

Ces règles de savoir-vivre, sous-entendant le respect des règles des manières de recevoir et d'être reçu, sont plus ou moins respectées selon le milieu dans lequel on est convié. Chaque étape est codifiée : "la manière de lancer les invitations, le choix du menu, la façon de dresser la table, d'accueillir les invités, de les placer et même de les pousser gentiment dehors s'ils s'incrustent". Comme le souligne Dominique Picard, "cet « art de recevoir » a son corollaire en « l'art d'être reçu ». Car l'invité n'est pas passif et le couple que forment l'hôte et l'invité illustre bien la complémentarité des rôles dans le savoir-vivre."163(*). Bien que l'apéritif demande moins d'obligeance qu'un dîner, le savoir-boire est une qualité requise quelque soit le milieu.

d- Les enjeux du savoir-boire

La question du savoir-vivre, et plus précisément celle du savoir-boire, se mêle aux questions délicates du plaisir et de l'enjeu moral qu'il induit. Claude Fischler explique que "le choix des aliments et le comportement du mangeur sont inévitablement soumis à des normes religieuses, médicales, sociales, et donc sanctionnés par des jugements"164(*). Comme le sucre ou la viande, l'alcool est marqué par l'ambivalence car ils sont associés au plaisir et à des usages sociaux fondés sur le don, le partage et à des circonstances festives. C'est pourquoi, la consommation solitaire de ces produits est réprouvée et même culpabilisée, continue Claude Fischler. Par conséquent, seul l'usage convivial et sociable des sucreries comme de l'alcool est légitime. Dans cette même perspective, le glouton comme l'ivrogne sont perçus comme des transgresseurs. Ils ne répondent pas à la règle du partage "qui est la substance même du lien social"165(*). Ils menacent la sociabilité élémentaire dans la mesure où ils accaparent et dévorent. La nécessité de festoyer et de trinquer joue donc son rôle dans la représentation du savoir-vivre, garant du lien social.

Offrir de l'alcool reste en France le modèle le plus répandu de comportements socialisants, à condition qu'il réponde aux normes dictées par la société.

Comme toutes pratiques sociales et culturelles, l'apéritif répond à des règles communes. L'écoute et la régularité de ces normes font de l'apéritif une pratique fortement codifiée. C'est justement parce qu'elle est codifiée et répétitive que des manuels emploient à tort, ou naïvement, le mot "rite" ou "rituel" pour qualifier cette coutume. Toute habitude n'est pas rituelle. Les normes actuelles de l'habitude française de prendre un apéritif seraient nées dans l'Algérie coloniale. Les soldats, nous dit Carmen Bernand166(*), prirent l'habitude d'ajouter de l'eau à l'absinthe. L'alimentation au moment de l'apéritif, nous dit Jean-Pierre Poulain167(*), est quelque chose de récent, il daterait des années 1960. Avant, l'apéritif n'était qu'une prise liquide. On constate que les normes de l'apéritif sont constamment en mouvement. C'est pourquoi il pourrait être intéressant de travailler sur les nouvelles normes de l'apéritif. La documentation a, effectivement, donné des informations intéressantes surtout concernant les périodes du XIXe et XXe siècle mais trop peu au XXIe siècle.

4ème partie - Limites et ouvertures du champ d'étude

Tout un pan de la littérature sur le boire évoque les attributs sanitaires et dangereux pour la santé des boissons alcoolisées. L'apéritif étant une boisson alcoolisée n'échappe pas à ces constats relativement contemporains. Mais notre sujet ne se réduit pas à ces analyses théoriques. C'est pourquoi, après avoir étudié l'aspect alcoolisé de la boisson apéritive, dans un second temps, il sera intéressant d'évoquer de nouvelles possibilités d'études. Nous verrons que la documentation parcourue regorge d'informations, parfois contradictoires mais souvent complémentaires.

I- Les limites de l'anthropologie du boire

Des Notes sur la fonction sociale de l'alcool de Claude Fischler168(*) à l'Histoire sociale et culturelle du vin de Gilbert Garrier169(*), les manières de boire sont étudiées sous des angles divers. Régulièrement, reviennent les thèmes de l'alcoolisme, de l'ivresse et des dérives, qui sont abordés avec précision par des travaux englobant des disciplines variées. Ces caractéristiques propre au boire170(*), bien qu'elles participent à la compréhension du système dans lequel se trouve la pratique sociale de l'apéritif, ne sont pas représentatives de cette sociabilité, mais il est important d'en tenir compte.

Précisons que le substantif "boire", nous dit Lionel Obadia dans un article de Socio-Anthropologie, ne dissocie pas l'objet de la pratique : "le « boire » recouvre tout autant la substance elle-même (la boisson) que les pratiques sociales et significations culturelles qui entourent sa consommation et qui confèrent au « boire » alcoolisé (ici, au boire) son originalité."171(*)

A - L'apéritif : une boisson alcoolisée

La recherche bibliographique du sujet "apéritif" et par conséquent celle des consommations ritualisées et traditionnelles de l'alcool, m'a naturellement orientée, dans un premier temps, sur les questions du boire. Divers spécialistes traitent ces questions.

a- L'ambiguïté du phénomène d'alcoolisation

L'alcoolisation, tel un "processus", nous dit Robert Chapuis172(*), est un sujet très étudié qui n'est guère dissocié des problèmes d'alcoolisme. Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérive est un ouvrage collectif dirigé par Carmen Bernand173(*). La majorité des auteurs sont des anthropologues et des sociologues. Ils décrivent et analysent les différentes manières de boire dans leur contexte. De l'alcoolisme au Bien Boire, dirigé par Guy Caro174(*), réunit de nombreux spécialistes tels que des psychiatres, des anthropologues, des alcoologues ou encore des historiens. Les problèmes liés aux excès d'alcool, particulièrement en Bretagne, y sont traités. Les spécialistes tentent d'objectiver la question en prônant une consommation mesurée. La monographie de Véronique Nahoum-Grappe : La culture de l'ivresse175(*), analyse minutieusement les comportements culturels de l'état d'ébriété, au sein de notre société. Ces trois ouvrages sont des exemples significatifs de la pensées occidentales actuelles. Ils évoquent les valeurs positives de l'alcool soulignées par les mots rite, bien boire et culture. Cependant, les mots dérive, alcoolisme, ivresse composant également le titre, entachent l'attribution précédente. Par ce procédé, les auteurs expriment-ils la crainte de valoriser une pratique qui suscite des dégâts d'ordre social et sanitaire ?

b- Le déterminisme des sciences biologiques

L'alcoologie est, par définition, une discipline médicale traitant l'alcoolisme et sa prévention. En France, elle ne fut que tardivement étudiée par les sciences sociales, contrairement aux États-Unis. Les sciences humaines et sociales, nous explique l'anthropologue Lionel Obadia176(*), ont alors du trouver leur place dans les "prédéterminations" des sciences biologiques.

Comme Lionel Obadia le fait, Claudine Fabre-Vassas, dans un article de 1989177(*), expose clairement le piège dans lequel se confine l'analyse des pratiques d'alcoolisation. L'influence des sciences de la vie, qui évaluent précisément les effets d'une absorption, heurte la réflexion anthropologique. Depuis le XIXe siècle le concept d'alcoolisme est tellement imprégné dans les pays industriels qu'il est difficile pour les sciences sociales d'en faire abstraction. Aussi, nous dit Claudine Fabre-Vassas, la notion d'"anomie" fut très souvent employé et avec elle le constat de conduites de désordre et asociales liées à l'alcool. Ne plus suivre les codes et les normes de la société provoque l'exclusion du buveur.

c- Le recours à l'analyse des comportements

Pour recentrer la recherche anthropologique, de manière objective, extirpée du travail des biologistes, Mary Douglas, citée par Claudine Fabre-Vassas, opte pour l'analyse des comportements, au travers la boisson consommée du groupe. Des questions relatives au rituel, à la place cérémonielle due au partage et à l'échange symbolique, au rôle de la boisson dans les relations sociales, pourront voir le jour. L'ébriété comme la pathologie, pourront être examinées de nouveau, sous un angle différent.

L'étude de l'apéritif en tant que moment de sociabilité entre dans ce champ. Et, si parfois aller "boire l'apéritif" s'accompagne d'abus d'alcool, l'ivresse reste collective s'inscrivant alors dans un principe d'organisation et de valeur. Notons que les dictionnaires définissent l'apéritif comme une boisson alcoolisée consommée avant le repas et par extension comme un moment de la journée. Aucune allusion au fléau alcoolique ou à l'ivresse n'est décrite. Au contraire, on parle de "fraîcheur" dans l'apéritif du matin et de "puissance de pensée" et de "sagesse" dans l'apéritif du soir178(*). On porte l'accent sur la composition des apéritifs, leurs vertus et leurs goûts particuliers et divers. La littérature romanesque, quant à elle, rectifie cette vision. Elle fait amplement allusion aux dérives et excès causés par les pauses apéritives, largement décrit dans Le populaire à table : Le Boire et le Manger au XIXe et XXe siècles179(*). Des professeurs d'universités reprennent et analysent les descriptions du boire et du manger des personnages de la littérature et des films populaires. Une distinction très nette se fait entre l'alcoolisme et la gloutonnerie, la mesure et la dégustation.

Bien que l'apéritif ne désigne pas systématiquement l'ivresse, et suggère au contraire la tempérance et la bienséance, nous ne pouvons délaisser cette question qui fait l'objet d'une conséquente bibliographie.

B - La question de l'ivresse

L'apéritif désigne la boisson alcoolisée et le moment durant lequel on le boit. Cette double attribution ne le confine pas dans un carcan exclusivement lié à l'alcool, puisqu'on peut participer à un apéritif sans s'alcooliser. Mais la règle veut que des boissons alcoolisées soient proposées (sinon on parle plutôt de thé, de goûter, de "casse-croûte" etc.). Par sa dénomination première, elle implique la consommation d'alcools "doux", "sucrés", "amers", "liquoreux", ou d'alcools forts. Par conséquent l'apéritif s'accompagne toujours d'ivresse, ne fusse-t-elle légère.

a- Ivresse et socialisation

Véronique Nahoum-Grappe180(*) élabore une réflexion à ce sujet. Par le biais de l'histoire et l'anthropologie du boire elle démontre que l'imaginaire social du buveur et la perception actuelle est le résultat d'une longue construction historique. L'acte de boire est alors un geste banal qui regorge de valeurs positives liées à son passé. L'ivresse occasionnée fait elle-même partie de ce passé. Comme l'une des conséquences du boire, elle est une évidence, une banalité à l'intérieur d'une même culture. L'auteur la nomme alors : La culture de l'ivresse, puisqu'elle constitue une norme. Elle se référencie à Mary Douglas qui précise que "l'ébriété exprime aussi une culture, dans la mesure où elle prend toujours la forme de comportements appris, hautement élaborés, qui varient d'une culture à l'autre (...) La teneur générale de la perspective anthropologique, c'est que la fête est normale dans la plupart des cultures et que l'alcool est un adjuvant non moins normal de la fête. Boire est essentiellement un acte social accompli dans un contexte social reconnu. Si l'on doit mettre l'accent sur l'abus d'alcool, le travail de l'anthropologue suggère alors que la façon la plus efficace de le contrôler passe par la socialisation"181(*). La sociabilité de l'apéritif entre dans ce processus de socialisation. L'ivresse procurée par un apéritif convivial est légitimée par la norme sociale, par une conduite répétée.

Puisqu'il est une pause dans la journée du travailleur, il en devient une récompense. C'est pourquoi l'ivresse ne peut pas être l'équivalent de l'ébriété des grandes fêtes. Le moment propice de l'apéritif peut cependant être choisi de manière imprévisible pour fêter une bonne nouvelle ou pour se consoler quand elle est mauvaise. L'ébriété est alors tolérée par tous.

b- Les normes de l'ivresse

Le "savoir social particulier du boire"182(*), nous rappelle Véronique Nahoum-Grappe, s'organise naturellement autour de règles, de représentations et de significations. Malgré la relative tolérance face à l'ivresse, des moments appropriés pour s'enivrer sont préconisés : le moment de l'apéritif en est un, à la fin d'un repas de fête et le moment le plus opportun reste le soir. Une ivresse qui n'est pas à sa place fait "sale", "désordre", elle "souille", au sens où l'anthropologue Mary Douglas l'entend. L'ivresse doit être en harmonies avec les pratiques sociales183(*). De la même manière, l'ivresse n'est pas recommandée aux femmes. Bien que celles-ci prennent leur place lors des festivités, leur statut est différent. D'ailleurs, le savoir-boire est une "louange virile"184(*) dans le sens où il s'agit autant de savoir "tenir l'alcool", c'est-à-dire savoir boire beaucoup, que de contrôler l'excès et la manière d'être ivre. La déchéance est une "défaite identitaire" pour l'homme mais encore plus pour la femme. A ce propos, Emmanuel Kant, dans Anthropologie d'un point de vue pragmatique, consacre un passage de son oeuvre à l'ivresse. Il évoque "l'insouciance et la témérité " que procure l'ivresse et que "les femmes, les gens d'Église, et les Juifs" ne doivent pas atteindre ou ne pas laisser paraître puisqu'ils sont "dans un état d'infériorité civique". Le regard de la communauté sur les valeurs qu'ils inspirent ne leur permet pas cette relâche que produit l'alcool185(*).

Le regard philosophique d'Emmanuel Kant nous apprend beaucoup sur la psychologie du buveur et sur les effets des boissons. Il distingue "l'ivresse taciturne" provoquée le plus souvent par la bière. C'est une ivresse qui a quelque chose de honteux puisqu'elle ne favorise pas les relations sociales et la discussion. Alors que celle due au vin, entraîne la joie et le bavardage. Le philosophe expose un certain nombre de règles et manières de se tenir, telle que la maîtrise de soi, et en explique les raisons. Celles des règles du savoir-recevoir exigent que les invités repartent repus et satisfaits. La sobriété est souvent peu probable, néanmoins la maîtrise de soi prouve un respect à l'égard du groupe avec qui on a bu et une estime de soi186(*). Véronique Nahoum-Grappe ajoute que le spectacle de l'ivresse perturbe le jeu des définitions sociales, qu'elles soient sexuelles, identitaires, culturelles ou hiérarchiques.

c- L'apprentissage de l'ivresse

L'expérience de l'ivresse est, pour la société occidentale, une épreuve qui s'apprend entre paires. Si la famille initie le jeune adolescent, et dans certains milieux socioculturels l'enfant, autour de pratiques traditionnelles, on initie plutôt au goût et à une consommation modérée. Mais cette première approche avec l'alcool n'est qu'une introduction avant que le jeune ne devienne adulte. L'analyse de Robert Chapuis187(*) clarifie cet apprentissage naturel et valorisé dans les familles. Il met en avant le concept d"alcoolisation" et l'héritage culturel dans lequel grandit chaque petit français. Selon le sociologue, la transmission des pratiques alcooliques joue un rôle prépondérant dans la perception que l'on a de la "réalité-alcool". L'acte de boire ensemble est associé au temps fort de la convivialité sociale et familiale. En dehors du contexte familial, le jeune adolescent expérimente les états d'ivresse. Il s'éloigne ainsi des valeurs enseignées. Dans l'étude des manières de boire des étudiants de Jacqueline Freyssiney-Dominjon et Anne-Catherine Wagner, l'adolescent de 13 et 17 ans découvre l'alcool et l'ivresse. Cette découverte, pour le jeune adulte, est une pratique structurante de la sociabilité188(*). La période étudiante est un moment propice aux expériences d'ivresses. Aussi, l'apéritif familial ne suffit plus à assouvir le "désir d'expérimentation des choses de la vie adulte"189(*).

Il apparaît clairement que ce sont les effets de l'alcool qui intriguent les jeunes pratiquants et non son goût. La consommation de boissons alcoolisées est-elle un moyen d'échapper à la réalité, comme le suggère Robert Chapuis, ou une motivation exclusivement sociale, comme le soulignent Jacqueline Freyssiney-Dominjon et Anne-Catherine Wagner ?

d- Entre intégration et désintégration

L'anthropologue Claude Fischler résume clairement le paradoxe de l'alcool. Il s'agit en effet d'une question de dose (celle-ci étant soumise aux usages d'une culture). À faible dose, l'alcool a une fonction sociale car elle désinhibe naturellement les individus. Elle efface provisoirement et facilite la communication. En levant les "obstacles formels" temporairement, l'alcool est "intégrateur". En revanche, à forte dose il devient "désintégrateur", dans le sens où la personne trop ivre s'éloigne des comportements socialement attendus190(*).

Ces conduites socialement rejetées atteignent leur paroxysme lorsqu'elles provoquent des désordres et des dommages. L'historien Jean Verdon191(*) explique comment au Moyen Âge, des querelles provoquées par l'enivrement collectif peuvent se poursuivre par des rixes ou pire par des crimes. À ce sujet, des enquêtes ont démontré que des récits de violences et de meurtres sont précédés par une consommation excessive d'alcool. On pourrait expliquer cette association par le fait qu'à cette époque, l'ivresse est une circonstance atténuante fréquemment invoquée.

Si la question de l'ivresse ne constitue pas l'objet de la recherche, elle en compose un élément. La littérature, nous le voyons, y fait souvent allusion. On la traite, par ailleurs, de nombreuses façons : anthropologues, sociologues, philosophes, historiens, psychologues ou médecins s'intéressent aux effets directs de l'alcool sur le corps comme sur les relations sociales. Hier comme aujourd'hui les anecdotes affluent. Le regard sur l'ivresse suscite le rire ou le dégoût. La "pocharde", souligne Véronique Nahoum-Grappe, inquiète, gène, alors que l'ébriété masculine amuse192(*). La mesure comme l'idée que boire en groupe est la norme à laquelle on doit adhérer, sont des facteurs qui s'ajoutent à ces jugements de valeur. L'ivresse s'accompagne d'idées préconçues, qui ne semblent pas s'écarter de la règle de l'apéritif. Une personne qui boit vite, trop et seule se voit rapidement marginalisée. La question de l'alcoolisme se pose et à une autre échelle, celle de l'abstinence.

C - Le tabou de l'alcoolisme

L'objectif de mon étude ne se centrait nullement sur les problématiques que supposent l'alcoolisme et le "fléau social" dont il fait l'objet. Mais les sciences sociales, quand elles étudient le "boire", y font trop souvent allusion pour que cette question soit négligée. Bien que les conduites d'alcoolisation peuvent être excessives et revêtir un caractère pathologique, pourquoi les chercheurs ont-ils tant de mal à offrir une autre réalité _ complémentaire _ à ce phénomène ?

a- La naissance d'un concept

Un détour historique nous apprend que c'est Magnus Huss qui inventa le concept d'"alcoolisme" en 1849. On pense dés lors différemment l'excès d'alcool. Effectivement, l'"ivrognerie" avant le XIXe siècle était jugée moralement mais très rarement institutionnellement. La médicalisation de l'alcoolisation, faisant de l'alcoolisme une maladie psychiatrique à la fin du XIXe siècle, marque une nouvelle ère dans la manière de concevoir le buveur. Indépendamment de l'ivresse, la toxicité de la molécule d'éthanol pour l'organisme est mise à jour. Les grandes polémiques entre addiction déviante et plaisir festif prennent donc naissance à cette période.

La médicalisation du phénomène est, d'une part, attribuée au fait que l'on a dénoncé la déchéance morale de certaines personnes trop alcoolisées comme facteur de la criminalité, d'après Robert Chapuis193(*). D'autre part, considérant que l'"ivrognerie" touchait principalement les couches populaires, ou du moins se sont elles que l'on désignait ainsi, l'alcoolisme, nous rappelle Jean-Pierre Castellain, apparut quand la bourgeoisie fut à son tour "victime des effets négatifs de ses apéritifs"194(*). Notons qu'à cette période, il est courant de boire de l'absinthe. Cette boisson, consommée en apéritif et interdit pour ses ravages occasionnés, pour sa folie engendrée, était très prisée. De nombreux ouvrages y font références, les récits de descriptions de scènes où l'on s'alcoolise abondent, notamment dans Le populaire à table : Le Boire et le Manger au XIXe et XXe siècles. Antoine Court décrit avec précision les breuvages absorbés par le personnage Alphonse Allais. L'absinthe se boit à 17 heures en apéritif. Ce garçon, qui appréciait toutes sortes de boissons, admet que les apéritifs sont des "cochonneries" qui "démolissent la santé". Mais il ne peut s'en passer195(*). La sociologue Anne Steiner, explique que dans les cafés de Belleville au XIXe siècle, les blanchisseuses se font payer la "zézette" (mélange d'absinthe et de vin blanc) par la patronne. Alors qu'au contraire, les femmes qui ne travaillent pas, buvant absinthe ou autre alcool fort dans un bar, font figure d'alcooliques196(*). Le bien-boire est, sans conteste, l'ami du travailleur ou de la travailleuse. L'alcoolisme, lui, est lié "aux transgressions des normes du groupe"197(*). L'apéritif se répand à cette période. Le concept d'alcoolisme également. La littérature s'empare du premier et la médecine du second. La main mise de la médecine sur ce phénomène, à long terme, n'a-t-elle pas altéré la recherche ?

b- Alcoolisme et pathologie

Lionel Obadia, dans un article intéressant, dont le titre explicite « Le "boire" : une anthropologie en quête d'objet, un objet en quête d'anthropologie »198(*), ne s'y trompe pas. Le privilège de l'approche biomédicale ne laisse que peu de place à la collaboration transdisciplinaire. L'impact des idées selon lesquelles l'alcoolisation revêt une dimension "pathologique", sur la réflexion des sciences sociales, est tel, qu'il est difficile de s'en défaire. L'apport transdisciplinaire de l'alcoologie est alors prégnant. Selon l'anthropologue, il en résulterait un double intérêt : "Le premier consiste évidemment dans le fait d'accorder les violons de la recherche sur les enjeux et politiques sanitaires en ouvrant à la compréhension du phénomène complexe qu'est l'alcoolisme. Le second réside dans la formulation de modèles combinatoires associant les aspects biochimiques et socioculturels, les facteurs environnementaux et les mécanismes de socialisation, la psychologie du buveur et l'identification de phases singulières, socialement signifiantes, de l'alcoolisation". Il est ainsi nécessaire que les sciences de l'homme se distinguent des conceptions médicales. Elles analysent autrement les manières de s'alcooliser, sans pour autant exclure l'approche biomédicale. À travers l'histoire, les contextes et les significations d'une pratique sociale et culturelle, telle que l'apéritif, dans ce cas précis l'anthropologie tente de s'en affranchir. On peut considérer qu'actuellement le regard social porté sur "le spectacle du buveur est d'autant plus oblique que la menace d'une pathologie spécifique a été objectivée par la science"199(*). Les sciences sociales pourront-elles rectifier le tire pour que cette perception soit plus nuancée ?

c- Alcoolisme et anthropologie

L'anthropologie sociale et culturelle donne l'opportunité à l'anthropologie du boire d'analyser les conduites d'alcoolisation inscrites dans des pratiques codifiées et signifiantes. Ces conduites culturelles, révélatrices de normes, sont étudiées par Patrick Le Guirriec dans un bourg de Bretagne. Selon lui, l'alcoolisme ne peut pas être expliqué culturellement. L'ethnologue termine son article en affirmant : "lorsqu'on passe des manières de boire à la dépendance, on atteint très vite les limites de l'ethnologie ". Il continue par : "rien ne permet d'affirmer que l'alcoolisation est un phénomène culturel"200(*). Ces affirmations me paraissent excessives, d'autant plus que l'alcoolisme est définit différemment selon les groupes d'appartenance. En effet, l'exemple de Jean-Pierre Castellain, contredit les affirmations de Patrick Le Guirriec. Cet anthropologue travaille en centre hospitalier. Dans son ouvrage Manières de Vivre, Manières de Boire, sur le terrain, il cherche à se situer entre le "tout médical" de l'alcoologie et le "tout culturel" de l'anthropologie. Se dire alcoolique, dit-il, c'est admettre l'individualisme et la culpabilité par rapport au reste de la communauté. Ainsi, "les « symptômes alcooliques » ne sont reconnus qu'après la rupture préalable du lien social et l'exclusion de la communauté"201(*). L'alcoolisme est tabou pour les dockers du Havre parce que l'alcool fonde la corporation virile et fraternelle des travailleurs. L'alcool agit comme moyen d'ouverture aux autres et comme une possibilité d'échanges. Dans sa fonction positive il est porteur de l'expression d'une relation au collectif. L'"abstinent" ne peut être qu'exclu, comme l'usage individuel, marquant ainsi négativement la rupture de ce lien.

La discipline anthropologique, on le voit, tente de décrire une réalité sociale et culturelle dans laquelle il serait plus correct de parler de processus d'alcoolisation. La réalité "pathologique" ne peut pas être niée par l'ethnologie. Sylvie Fainzang en fait l'expérience, en orientant ses recherches sur "une ethnologie du déboire" dans laquelle elle est en contact avec des anciens alcooliques202(*). Un article de Caroline Magny, est encore plus explicite. L'ethnosociologue souhaite réintégrer l'objet d'étude anthropologique "alcoolisme en France" en tenant compte du point de vue des alcooliques et abstinents mais également celui des membres de leur famille. Elle souhaite, pour une recherche plus générale, ouvrir le champ d'étude sur le milieu socioprofessionnel comme sur l'environnement médical des personnes étudiées203(*).

Ces trois exemples montrent qu'il est possible d'étudier de manière ethnologique la "maladie alcoolique". Au travers l'analyse de la sociabilité autour de l'alcool, il est possible d'observer des comportements à tendance alcoolique, comme d'autres comportements, les "abstinents" par exemple. Ceux qui ne boivent pas d'alcool sont, en effet, autant perçus comme suspects que ceux qui boivent trop et seul. Robert Chapuis expose cette réalité qu'il dénonce comme étant "la contrainte sociale à consommer de l'alcool"204(*).

L'alcoolisation est ainsi sujette à des normes précises auxquelles il faut se plier pour ne pas se voir exclure. Ces normes ne sont-elles pas le résultat de l'ambiguïté que suppose l'alcool ?

L'anthropologie du boire aide à l'entendement des réalités de l'alcool, de ses valeurs positives comme négatives. Cependant une partie de la bibliographie délimite l'objet de la recherche à sa dimension alcoolique, ce qui n'est certes pas rien, mais d'autres perspectives sont à envisager pour ne pas donner des éléments de réponse stéréotypés à la problématique. Aussi, bien que la pratique apéritive soit un moment où l'on s'alcoolise, le plus souvent, il est avant tout un acte social marqué par la convivialité.

II - L'apéritif, un champ d'étude vaste à explorer

La consommation ritualisée et traditionnelle de l'alcool peut être étudiée sous divers angles. Notre intérêt anthropologique pour l'aspect convivial et sociable d'une pratique telle que l'apéritif réduit cette infinité de points de vue. Le champ d'étude reste vaste et il est impossible d'analyser toutes les perspectives en profondeur. On peut néanmoins envisager quelques possibilités d'ouvertures. De nombreux points périphériques touchent chaque objet d'étude. Trois points, dont il aurait été captivant d'approfondir la recherche, ont attiré mon attention. Les comportements régionaux, le don et les limites supposées par la pratique sociale sont des thèmes parfois effleurés par la bibliographie entreprise. Ils méritent d'être succinctement repris.

A - La personnalité régionales des manières de boire

La documentation aborde, souvent de façon superficielle et fugitive, les goûts et les attitudes régionaux. Je vais tenter de les mettre en avant. Il me semble qu'une étude plus approfondie des pratiques actuelles pourrait nous apprendre beaucoup sur les particularités régionales.

a- De nettes oppositions

Étrangement, la recherche bibliographique m'a souvent amenée vers deux directions dans les manières de boire. La première est consacrée à l'alcoolisme des bretons et la seconde au boire et au manger en Méditerranée. Ce sont deux régions de France très distinctes par leur opposition géographique, les influences que cela suppose, leur climat (favorisant telle ou telle production) et forcement dans les pratiques sociales comme dans les manières de concevoir la vie. Les différences et les manières de boire locales sont-elles si éloignées au sein d'un même pays ? Peut-on définir une identité culturelle d'un lieu, au travers ses manières de boire et de son alliance avec un breuvage plus qu'avec un autre ? Étudier le moment de l'apéritif en tant qu'acte de sociabilité est un excellent moyen de mettre en évidence et en comparaison ces divergences. Ces dernières, supposées par la relation particulière à l'alcool, s'exprimeraient avec l'"âge", le "sexe", les "groupes professionnels et sociaux", d'une part, et d'autre part "selon les productions, cultures et traditions régionales et nationales" nous explique Guy Caro205(*). Les sociologues et anthropologues constatent effectivement des différences significatives entre les régions, sans que, précise Lionel Obadia, "ces variations ne trouvent statistiquement d'explication"206(*). Il serait donc intéressant de recourir à des descriptions fines des manières de faire. Les particularités régionales pourront être évaluées à travers l'observation des habitudes, des traditions et des moments de consommation.

b- Des exemples de moeurs régionales

Robert Chapuis tente de repérer quelques généralités dans des régions de France. Une place particulière à la coutume du boire et à ce qu'elle représente pour la vie sociale des familles est d'autant plus valorisée que l'on doit suivre les moeurs de la communauté afin de pleinement l'intégrer. Par exemple, le sociologue remarque qu'en Vendée "un besoin de boire collectif (...) est considéré comme sacré ou presque"207(*). Le boire fait donc partie du conformisme social imposé aux familles. Dans le Nord on admet que les femmes comme les hommes ont l'habitude quotidienne de boire de la bière. En Bretagne, Robert Chapuis concède la réputation d'ivrogne aux bretons par les écrivains voyageurs du XIXe siècle. Lors de grandes fêtes l'ivresse bénéficiait de l'indulgence sociale. Comme nous l'avons décri dans la seconde partie (II A c), chaque région privilégie une sorte de boisson totem. On voit clairement des représentations liées à la boisson et donc des comportements qui persistent à la globalisation identitaire nationale et européenne208(*).

Des études quantitatives ont été avancées dans ce domaine. Les statistiques en évoquent les faits. Pourtant, sans établir de fausses vérités ou des stéréotypes, l'étude délicate des comportements régionaux, en matière de consommation traditionnelle et non pathologique de l'alcool, pourrait s'avérer fructueuse et riche en données qualitatives autant que quantitatives.

B - L'étude du don

Recevoir pour l'apéritif, offrir l'"apéro", se retrouver au café autour d'un verre à l'apéritif etc., sont des occasions répandues de participer à une sociabilité conviviale riche en communication et relation. Le partage d'un moment de détente est alors prétexté par la boisson bue en commun. Ces entrevues sont soumises à des règles communément adoptées, notamment décrites dans les ouvrages de savoir-vivre. Une règle fondamentale pour l'harmonie des relations est celle de la réciprocité, celle du don et du contre-don. En effet, l'attente tacite d'un retour de faveur est encore plus explicite quand il s'agit d'une invitation ou d'une boisson offerte. On "rend" l'invitation de convives en décalé alors qu'on "remet" la boisson (le plus souvent alcoolisée) dans l'immédiat.

a- Le don comme convenance

L'alcool est figuré comme un cadeau de l'hospitalité par Anne Gotman. Il constitue l'échange entre l'hôte et le visiteur en soudant la relation. L'usage veut que le premier offre à boire tel un présent et que le second l'accepte en réponse. La sociologue évoque cette "obligation réciproque" qu'exige le fait de "donner à boire et boire"209(*). Par cette contrainte, la relation amicale entre donneur et receveur s'établit. De même, apporter du vin lors d'une invitation à dîner signifie l'anticipation du convive sur cet échange. Une autre réciprocité s'exprime dans les règles de l'invitation à prendre un verre : accepter le verre offert c'est s'engager à boire la totalité de son contenu, explique le gastronome français Alexandre Grimod de La Reynière210(*). Il s'agit également d'apprécier la valeur du don tel un art de vivre, en prenant la peine de déguster la boisson proposée en guise de remerciement et de reconnaissance. Dans cet perspective relevant de la sphère privée, on est devant un échange de don matériel et d'un contre-don immatériel.

b- Le système des "tournées"

La "tournée" dans les cafés provençaux, décrit à l'heure de l'apéritif tel un rite par Annie-Hélène Dufour211(*), obéit à de nombreux codes. Précisons qu'il s'agit d'une sociabilité masculine dont les femmes sont généralement exclues. À partir du moment où l'on intègre un groupe dans lequel se succède des "tournées", la coutume veut que l'on s'engage à contribuer à cet échange jusqu'à ce que le tour complet soit révolu. Ainsi, chaque convive "paye sa tournée". Il est alors préférable que le contenu des tournées soit équitable. L'équilibre financier mais aussi la connivence des états d'ébriété sont assurés. Patrick Le Guirriec, par ses observations en milieu rural breton, repère également "l'échange et la réciprocité"212(*) existant entre collègues de travail, aussi bien dans le fonctionnement des équipes de travail qu'à l'intérieur des cafés. Les lois de la "tournée" répondent, comme en Provence, à des règles précises qu'il est préférable de se plier pour ne pas être ridiculisé publiquement. Ne pas rendre la tournée offerte peut être la source de petites frictions.

c- Une obligation informelle

Cette tradition est caractéristique du système de don / contre-don étudié par Marcel Mauss. Nombre de chercheurs s'y réfère en observant ce devoir auquel on ne peut échapper. Offrir, accepter et rendre sont les obligations qui prouvent la bonne intégration au groupe de buveurs et l'acceptation des règles collectives auxquelles tous doivent contribuer. On remarque ainsi que cet échange de dons sous " forme désintéressée et obligatoire en même temps "213(*) est ancré dans la sociabilité des bars. L'abstinent, dans cet enjeu, est perçu comme un étranger qui ne participe pas à ces échanges d'alcool. Celui qui ne boit pas d'alcool subit ainsi la "pression sociale normative" mentionnée par Robert Chapuis214(*). Par conséquent, le "buveur d'eau" se voit écarté du cercle. Le système intégratif du don pourrait dans ces conditions se révéler comme une forme d'intolérance.

Plus généralement, l'acte de boire et d'offrir à boire s'inscrit, souligne Robert Chapuis, dans une pratique d'échange. Cet échange passe, en premier lieu, par la communication et par la boisson comme un trait d'union à la relation établie. Il révèle ainsi la valeur socialisante de la boisson au même titre que la parole. C'est pourquoi refuser une invitation à boire ou négliger de retourner une invitation n'est pas convenable dans les moeurs de la sociabilité occidentale. Cela équivaut implicitement à "refuser l'alliance et la communion"215(*). De là, dépend subséquemment la cohésion du micro groupe renforcée par ce système de dons et de contre-dons.

L'apéritif est le moment idéal pour mettre en avant, de manière spontanée mais codifiée, ces échanges. Bien qu'elle soit fortement conseillée, si la réciprocité n'est pas obligatoire c'est qu'on l'a convenue par avance. En revanche, sans être énoncée, il est d'usage de rendre l'invitation à l'apéritif dans un temps indéterminé, quand celle-ci s'organise en lieu privé216(*).

C - La problématique du seuil

De manière conventionnelle, se retrouver pour boire l'apéritif ne signifie pas que l'on va s'enivrer. Au contraire, l'ivresse n'est pas le but recherché et l'apéritif est surtout un prétexte à la sociabilité qui se maintient grâce à la sobriété. L'émergence des apéritifs non alcoolisés "Mister cocktail" atteste cette réalité. La question du seuil est une notion pleine d'intérêt pour notre sujet. Elle s'exprime à deux niveaux distincts : d'une part à travers sa place dans un espace temps donné et d'autre part sur les effets encourus par l'absorption d'alcool.

a- Une frontière symbolique

La littérature sur le boire fait souvent référence à cette question du seuil, en évoquant l'action d'intermédiaire de la boisson alcoolisée. Cette dernière, nous dit Carmen Bernand, permet à "l'étranger de franchir le seuil qui le sépare de son amphitryon"217(*). L'apéritif en tant que pratique donnant lieu à la suggestion à boire joue un rôle d'autant plus symbolique qu'il introduit la rencontre. L'alcool permet ainsi de se rapprocher, de faire connaissance, d'entrer en relation. L'étrangeté et l'intimité se côtoient, la frontière est levée par l'échange du geste de boire. L'apéritif invite à dépasser cette frontière, comme l'on peut franchir la porte d'un lieu. Celui du café encore plus qu'ailleurs, nous fait passer dans une autre réalité et répond à des étapes soulignées par la boisson. De plus, le fait de boire à un moment précis de la journée, avant midi et avant le couché du soleil accentue le sentiment de franchir une frontière autant relationnelle que spatiotemporelle.

b- Entre mesure et démesure

Un second point, d'une autre envergure, est à mettre en lumière. La question du seuil se réfère également à l'état d'ébriété dans lequel peut éventuellement s'adonner le groupe de buveur. La mesure et la démesure sont des comportements à adopter plus ou moins strictement selon le contexte. L'apéritif, en soi, est plutôt un moment de détente propice à la communication et à l'échange relationnel nécessitant une retenue appropriée. L'excès d'alcool engendré par une consommation collective provoque des conduites démesurées, explique Véronique Nahoum-Grappe. Ces situations sont alors programmées par le groupe dans certaines occasions qui se répètent et auxquelles le sujet ne peut que difficilement échapper218(*). La maîtrise de soi reste, néanmoins, l'attitude conventionnelle à adopter. Le risque d'ivresse se joue sur un fil et l'enjeu est de ne pas dépasser la limite définie implicitement par la société, par les règles de la sociabilité. Pour Antoine Furetière "le seuil de la démesure se situe au troisième coup"219(*) auquel cas les "dégâts" commencent. Pourtant, allusionne Emmanuel Kant, "la frontière de la maîtrise de soi" peut facilement être franchie puisque la rencontre conviviale sollicite la satisfaction commune induisant, quand il s'agit d'une invitation, que l'hôte reparte "pleinement satisfait"220(*).

L'apéritif répond à des normes plus ou moins souples et non formelles. Il se situe dans un espace temps précis qui implique une attitude à tenir. Encadré par des horaires, par des lieux et par des activités (le travail et le repas), il n'est pas conforme de dépasser un certain seuil au risque d'être en décalage avec la société.

Le thème de l'apéritif pourrait, on le voit, être étudié dans des directions multiples. À travers les spécificités régionales, une recherche sur les comportements pourrait établir des types de personnalités culturelles propres aux coutumes locales. Quant au concept de don, l'accent est mis sur l'aspect relationnel suggéré par une coutume ancestrale du boire. En revanche, on se focalisera, par le biais de l'étude du seuil, sur les limites de la pratique régies par des lois sociales. La liste des perspectives d'études pourrait être longue car la bibliographie survole de nombreux points.

Cette partie montre la double facette d'une pratique sociale et culturelle dont l'objet principal est l'alcool. La bibliographie propre à l'apéritif propose des informations touchant régulièrement les dérives de l'alcool. Cet état de fait constitue une limite à notre recherche dont l'objectif était d'analyser les objets légitimes de l'alcoolisation. La bibliographie propose également des ouvertures innombrables qui, là aussi, ne permettent pas une étude entièrement approfondie de l'apéritif. Cette réalité nous enferme, mais permet des objectifs de terrains très variés.

Conclusion

Malgré les premières difficultés à trouver la documentation en anthropologie, il s'avère que nous sommes en possession de riches informations. La recherche bibliographique sur le thème "Apéritif et sociabilité" est finalement un sujet aux possibilités infinies. En cherchant, dans un premier temps, des sources auprès de l'histoire de la pratique apéritive, j'ai pu voir son évolution. Les étapes, par lesquelles elle est passée, sont liées aux transformations du régime alimentaire. Elles sont aussi indissociables au fait que la boisson apéritive est, à l'origine, une boisson alcoolisée. Une réflexion sur le boire alcoolisé était donc nécessaire.

Au fil des lectures, un obstacle s'est posé à l'encontre de l'étude culturelle et non pathologique de la pratique. On réalise que l'alcool est confiné dans des représentations sociales liées à un passé fortement déterminé par une morale chrétienne. Celle-ci se bat, avec l'aide d'autres institutions, contre les états subversifs de la société. Il n'est donc pas étonnant de remarquer que le concept d'alcoolisme soit apparu à la même époque que les premières allusions littéraires aux pratiques apéritives, telles que nous les connaissons aujourd'hui. En effet, l'apéritif n'a pas toujours eu une dénomination valorisée par la société. Un film du début du XXe siècle, cité par Didier Nourrisson221(*), s'intitule "Apéritif, l'Héritage qui détruit la race". Un autre exemple illustre cette diabolisation : un article de 1926 parut dans La presse sociale par M. Lettule dénonce : « L'apéritif, maladie sociale ». À cette époque la coutume prenait forme et comme toute nouveauté, avant qu'elle soit régulée pour convenir à l'ensemble de la communauté, on constate qu'elle suscita de vives critiques. C'est pourquoi la tempérance est, depuis des centaines d'années, le comportement attendu. La volonté de contrôler les conduites excessives se retrouve analysée dans les sciences médicales et dans les sciences humaines et sociales. La sobriété est recommandée par les règles de savoir-vivre et indirectement supposé par les manuels de recettes. La dimension collective et conviviale de la pratique apéritive est alors expressément exprimée par ces littératures. Les orgies et beuveries ne sont plus à l'ordre du jour, au contraire la "modération" est devenue une vertu contemporaine vantée dans les publicités.

C'est la complémentarité disciplinaire de la bibliographie qui a permis de riches renseignements et une meilleure objectivité. Il apparaît clairement que l'apéritif, par son aspect alcoolisé, est soumis aux exigences de la société contemporaine. La bibliographie montre précisément l'ambivalence dans laquelle se trouvent toutes pratiques culturelles où l'alcool a une place prépondérante. On peut diviser la documentation en deux sections. La première dénonçant les dérives liées aux consommations d'alcool, la seconde décrivant les manières de boire. Bien que l'apéritif soit ancré culturellement dans les mentalités, il reste imbriqué entre un savoir-vivre et une déchéance sociale. La religion et la médecine influencées par la politique économique ont contribué à cet amalgame. Le savoir-boire est l'intermédiaire préconisé. Le directeur de l'O.I.V.222(*) Robert Tinlot "souhaite vivement que l'on apprenne à boire des boissons fermentées de manière raisonnable"223(*). Il ne peut en être autrement, l'économie de marché du vin représente des ressources trop conséquentes pour satisfaire, par d'autres mesures plus excessives, les professionnels de la santé. Ainsi l'apéritif traditionnel, comme la consommation de vin à table, offrent une image parfaite aux exigences économiques, libérales, sociales et culturelles contemporaines.

L'anthropologie du boire fait écho à la boisson alcoolisée que représente l'apéritif. Les ouvrages touchant à l'alimentation se réfèrent, quant à eux, à la prise alimentaire et à sa temporalité, c'est-à-dire avant le repas.

Devant ce constat, il a été difficile de réhabiliter la boisson et la pratique apéritive dans son contexte alimentaire et sociale. Pourtant des documents divers évoquent l'importance d'une pratique alimentaire telle que l'apéritif. Cette coutume française est indéniablement une source de valeurs positives de sociabilité. Ce que montre l'étude anthropologique des manières de boire et l'anthropologie de l'alimentation. Ces valeurs sont véhiculées par des règles de manières de table et plus généralement des manières de faire. "Toutes les civilisations, nous dit Léo Moulin, y compris les plus primitives (selon nos critères Occidentaux), ont accordé de l'importance au fait de manger et de boire. Toutes ont célébré par des repas de mariages ou funérailles, victoire sur l'ennemi ou naissance, accession à la puberté ou venue du printemps. Nous ne mangeons pas n'importe quoi, à n'importe quelle heure, n'importe comment, avec n'importe qui, fût-ce dans la vie quotidienne. Que dire alors dans les grands moments de la vie ?"224(*). Léo Moulin souligne brièvement la place fondamentale que revêt l'alimentation dans nos sociétés. Notamment, son importance lors de moments clés, bénéfiques au fonctionnement de la communauté. Il apparaît clairement que respecter les règles du boire et du manger, c'est respecter les normes et l'organisation sociale. En respectant ces normes, la cohésion et l'identité du groupe se fortifie et perdure. D'ailleurs, la culture alimentaire de l'être humain est l'un des pôles fondamental à la structure de son identité. L'apéritif, en tant qu'élément conjugué ou détaché du repas, est entaché de préceptes culturels et identitaires.

Au travers de l'étude des consommations nationales et régionales, au moment de l'apéritif, une identité culturelle des manières de boire et de manger pourrait ressortir. À ce propos, une chose apparaît rarement dans ma recherche : la description de l'alimentation autour de la boisson, puisque actuellement l'apéritif se caractérise par cette alliance. D'autre part, la description de la valorisation nationale ou régionale des boissons et nourritures typiques de l'apéritif ne suffisent plus. Les habitudes apéritives ne se cantonnent pas aux simples traditions régionales mais au contraire proposent des boissons et des mets toujours plus originaux dans leur élaboration. Il n'est pas rare d'observer des apéritifs, au café comme à la maison, dont les thèmes affluent. On emprunte, alors, les traditions culinaires et gustatives d'autres pays, qui offrent des perspectives élargies pouvant probablement troubler le sens actuel de l'apéritif à proprement parler. On pourrait se demander, dans une recherche plus affinée, quelles sont les nouvelles formes de tendances consommatrices qui se manifestent lors de rencontres apéritives ? Mes lectures n'ont pas été fructueuses à ce sujet c'est pourquoi il pourrait être bon d'ouvrir ce champ d'étude. Bien que l'apéritif ne soit plus vraiment destiné à ouvrir l'appétit, comme sa définition le suggère, il se prend avant le repas c'est pourquoi il sous-tend la faim. Ainsi, pour s'adapter aux habitudes émergentes, on a servi des mets en complément de la boisson apéritive : traditionnellement des "gâteaux apéritifs" composés de cacahouètes, amandes grillées, olives, "bretzels", et une multitudes d'autres gâteaux secs et salées. Aussi, la préparation de ces accompagnements s'est diversifiée avec le temps. Les canapés et les amuse-gueules, aux préparations élaborées, sont servies en guise de hors d'oeuvre. La tendance actuelle s'oriente vers le multiculturalisme et l'on recherche de nouvelles saveurs en restant chez soi. Les tapas, les mézés, le zakouski, les "gnamagnamas" ou encore les "kémias" respectivement d'influences espagnole, orientale, russe, africaine et nord africaine, sont autant de saveurs à découvrir que des suggestions de soirées apéritives à thème. Il semble que la pratique apéritive évolue en concordance avec la progression du modèle de repas anomique décrit par Claude Fischler. Le grignotage apéritif peut alors parfois équivaloir à un repas. "Les apéritifs « dînatoires »" décrit par Jean-Pierre Poulain225(*) en constituent un parfait exemple.

Cette première recherche est la porte ouverte à des analyses plus approfondies. Nous l'avons vu, les questions régionales, le don, le seuil mais aussi l'alimentation ou encore l'apéritif comme objet de transmission culturelle au sein des familles pourraient être des sujets d'études. Ces approches seraient davantage réfléchies sous l'angle d'une anthropologie de l'alimentation. Ainsi un regard moins obscur serait envisagé. BIBLIOGRAPHIE

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* A propos des auteurs

Albert Jean-Pierre, Centre d'anthropologie des sociétés rurales - Toulouse.

Amiel Christiane, Centre d'anthropologie des sociétés rurales - Toulouse.

Balta Paul est directeur honoraire du Centre d'études de l'Orient contemporain à Paris-III-Sorbonne.

Barou Jacques, C.E.R.A.T., Grenoble.

Bernand Carmen est anthropologue, professeur à l'université de Paris X.

Bonnet Jocelyne est professeur d'ethnologie européenne à l'université Montpellier III. Elle crée en 1998 au Conseille de l'Europe un réseau européen de coopération scientifique entre universitaires et chercheurs francophones ethnologues et historiens, le réseau F.E.R. Eurethno, qui tient chaque année un atelier européenne comparée.

Brécourt-Villars Claudine est professeur de lettres à Paris. Se passionne pour la cuisine et la gastronomie à travers les âges.

Brillat-Savarin (1755-1826), promoteur de la gastronomie française.

Caro Guy est psychiatre, directeur de recherche "Bretagne, alcool et santé" Rennes.

Castelain Jean-Pierre est anthropologue à l'hôpital psychiatrique du Havre. Associé au Centre d'ethnologie française et au C.E.T.S.A.H.

Chapuis Robert est sociologue.

Chaudat Philippe, U.M.R. - Technique et Culture / C.N.R.S. - Paris.

Cheynet Hélène est Maître de conférence, université Jean Monnet, Saint Étienne.

Clarisse René est psychosociologue.

Constans Ellens est professeur émérite à l'université de Limoge.

Court Antoine est professeur à l'université Jean Monnet, Saint Étienne.

Cuisenier Jean a été successivement professeur à l'université de Tunis, directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique, directeur du Musée national des arts et traditions populaires et du Centre d'ethnologie française. Il est directeur de la revue trimestrielle Ethnologie française.

Delcours Denise est analyste des connaissances haut-alpines, en relation avec la flore.

Deumeunier Jean-Nicholas (XVIIIe siècle), homme politique, "précurseur" de l'anthropologie sociale.

Disegni Sylvia est professeur à l'université Federico II, Naples.

Élias Norbert (1897-1990) philosophe de formation et sociologue.

Fabre-Vassas, C.N.R.S. - Centre d'anthropologie des sociétés rurales - Toulouse.

Fainzang Sylvie est ethnologue

Faucheux Michel est historien

Fischler Claude est chargé de recherche au C.N.R.S. - C.E.T.S.A.P, groupe d'anthropologie de l'alimentation, maison des sciences de l'homme, Paris.

Fournier Dominique est chercheur à la Maison des sciences de l'homme au C.N.R.S.

Flandrin Jean-Louis est directeur d'étude à l'E.H.E.S.S., professeur émérite à l'université Paris VIII - Vincennes.

Garrier Gilbert est professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Lumière-Lyon-II. Il intervient aussi à l'université du Vin de Suze-la-Rousse. Depuis sa thèse sur le Beaujolais, il a publié de nombreux ouvrages sur l'histoire de la vigne et du vin.

Gillet Philippe est historien, spécialiste de l'histoire du goût et des comportements alimentaires.

Gotman Anne est chercheur en sociologie au C.N.R.S.

Jeanjean Agnès, département d'ethnologie - université de Nice - Sophia Antipolis.

Lee Allen Stewart est écrivain globe-trotter, Amérique.

Le Guirriec Patrick est ethnologue, spécialiste de la Bretagne.

Le Juez Brigitte est Maître de conférence, Dublin City University.

Lieutaghi Pierre est attaché au Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris.

Mac Donald Maryon est anthropologue sociale à l'université de Cambridge.

Marie Laurent est Maître de conférence, National University of Ireland, Dublin.

Millan Amado, C.T.A. - facultad de veterinaria, Universitad de Zaragosa

Millot Hélène est Chargée de Recherche au C.N.R.S. de Lyon.

Mennell Stephen est directeur du Centre d'Étude sur l'Europe Occidentale à l'université d'Exeter.

Morenon Martine est psychologue.

Moulin Léo est professeur émérite aux universités de Louvain et de Namur et au Collège d'Europe à Bruges, vice-président de la Fédération internationale de la presse gastronomique et du vin.

Pitte Jean-Robert est professeur à l'université de Paris IV - Sorbonne.

Nahoum-Grappe Véronique est historienne et anthropologue, chercheur en sciences sociales, C.R.H. - E.H.E.S.S. - C.N.R.S.

Nourrisson Didier est professeur à l'I.U.F.M. de Lyon, professeur agrégé, docteur en histoire.

Obadia Lionel, faculté de sociologie et d'anthropologie, université Lyon2 - Lumière.

Picard Dominique est professeur de psychologie sociale à l'université Paris XIII.

Poulain jean-Pierre est sociologue

Rainaut Jean est spécialiste en neuropsychiatrie.

Rivière Claude est professeur à la Sorbonne, Paris V, il a été doyen de la faculté en Guinée, fondateur du Togo du département de philosophie et sciences sociales et directeur du laboratoire d'ethnologie de l'université René-Descartes.

Rosso Thierry, laboratoire d'anthropologie « Mémoire Identité et Cognition Sociale » Université de Nice - Sophia Antipolis

Roubin Lucienne A. est anthropologue.

Segalen Martine est professeur de sociologie à l'université Paris X.

Steiner Anne est sociologue à l'université Paris X.

Stouff Louis est professeur d'histoire médiévale à l'université de Provence à Aix.

Tinlot Robert est directeur de l'O.I.V. (organisation international du vin)

Topalov Anne-Marie est ethnologue, chargée de recherche au C.N.R.S.

Touillier-Feyrabend Henriette, C.N.R.S., Centre d'Étude de l'Écriture. Paris.

Xiberras Martine est docteur en anthropologie sociale et culturelle, diplômée de l'université René Descartes, Paris V. Enseigne actuellement à l'université de Toulouse-le-Mirail.

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* 4 _ 2000. Larousse Gastronomique, avec le concours du comité gastronomique présidé par Joël Robuchon. Paris : Larousse.

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* 8 _ CHAPUIS, Robert. 1989. L'alcool, un mode d'adaptation social ? Paris : L'Harmattan, p. 44.

* 9 _ FAUCHEUX, Michel. 1997. Fêtes de table. Paris : Félin.

* 10 _ XIBERRAS, Martine. 1989. La société intoxiquée. Paris : Meridiens Klincksiek. Chap. II : « L'historicité des produits et les toxicomanies classiques », p. 63-108.

* 11 _ XIBERRAS, Martine. 1989. Ibid ., p. 68.

* 12 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. cit., p. 47.

* 13 _ FAUCHEUX, Michel. 1997. Op. cit., p.21.

* 14 _ VERDON, Jean. 2002. Boire au Moyen Age. Tours : Perrin, p. 102.

* 15 _ FLANDRIN, Jean-Louis et MONTANARI, Massimo (dir.). 1996. Op. cit., p. 25.

* 16 _ FLANDRIN, Jean-Louis et MONTANARI, Massimo (dir.). 1996. Ibid., p. 59.

* 17 _ JOANNES, Francis. 1996. « Les fonctions sociales du banquet dans les premières civilisations ». In J.L. Flandin (dir.) : Histoire de l'alimentation. Paris : Foyard, p. 59.

* 18 _ FAUCHEUX, Michel. 1997. Op. cit., p. 40.

* 19 _ FAUCHEUX, Michel. 1997. Op. cit., p. 43.

* 20 _ Les Grecs, comme les Romains, boivent leur vin mélangé à de l'eau.

* 21 _ FAUCHEUX, Michel. 1997. Op. cit., p. 52.

* 22 _ VERDON, Jean. 2002. Op. cit., p. 162. Cette recette, précise t-il, est donné par l'auteur du Le Mesnagier de Paris. Jean-Louis Flandrin explique (dans Fête gourmande : au Moyen Âge. 1998. Paris : Imprimerie Nationale) que Le Mesnagier de Paris est un riche bourgeois qui commence son traité d'économie domestique par la partie culinaire. Cet un ouvrage, composé à la fin du XIVe siècle, était destiné à sa jeune épouse en lui fournissant une liste de 28 menus.

* 23 _ STOUFF, Louis. 1996. La table provençale : Boire et manger en Provence à la fin du Moyen Âge. Le Pontet : A. Barthélemy.

* 24 _ MORENON, Martine. « À votre santé ! », Cabinet de psychologie de Martine Morenon, [En ligne], URL : http://perso.orange.fr/martine.morenon/eauxnatu.htm.

* 25 _ VERDON, Jean. 2002. Op. cit., p. 160.

* 26 _ VERDON, Jean. 2002. Ibid., p. 272-273.

* 27 _ VERDON, Jean. 2002. Ibid., p. 71.

* 28 _ FOURNIER, Dominique. 1995. « Ferments de culture ». In S. Bessis (dir.) : Mille et une bouches : Cuisines et identités culturelles. Paris : Autrement, p. 37.

* 29 _ Les voyageurs Locatelli (LOCATTELI, 1905. Voyage en France, Paris) en Bourgogne et Lister (LISTER, 1873. Voyage de Lister à Paris en 1698, Paris : éditions françaises) à Paris au sujet des liqueurs fortes et des boissons sucrées.

* 30 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1989 b. « "Boire un coup..."», Terrain, n°13, (Boire).

* 31 _ FABIANI, Gilbert. 2002. Élixirs et boissons retrouvés. Barbentane : Équinoxe.

* 32 _ Ce que nous analyserons plus en profondeur dans la dernière partie.

* 33 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. cit., p. 51.

* 34 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Ibid., p. 52.

* 35 _ GOTMAN, Anne. 2000. « Alcool et hospitalité ». In C. Bernand (dir.) : Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérives. Paris : Autrement, p. 73.

* 36 _ Le chapitre sur "les traditions régionales" de l'apéritif le témoigne.

* 37 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Histoire sociale et culturelle du vin. Paris : Larousse, p.37.

* 38 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. Cit., p. 55.

* 39 _ FILLAUT, Thierry. 1990. « L'Église catholique et l'anti-alcoolisme en Basse Bretagne à la veille de la 1ère guerre mondiale ». Paris : l'Harmattan, p. 123.

* 40 _ GARRIER, Gilbert. 1989. Op. Cit., p. 114.

* 41 _ Abbés Reguis. 1773. La voix du pasteur. Discours familier d'un curé à ses paroissiens... Cité par GARRIER, Gilbert. 1989. Ibid., p. 189.

* 42 _ Balzac. 1823. Les Paysans. ... Cité par GARRIER, Gilbert. 1989. Ibid., p. 185.

* 43 _ BONNET, Jocelyne. 2004. Dimanche en Europe. Strasbourg : éditions du Signe, p.22.

* 44 _ ROUBIN, Lucienne A. 1970. Chambrettes des provençaux : Une maison des hommes en Méditerranée septentrionale. Paris : Plon, 61-62.

* 45 _ OBADIA, Lionel. 2006. « Le "boire" : une anthropologie en quête d'objet, un objet en quête d'anthropologie », Socio-Anthropologie, n°15, (Boire).

* 46 _ MILLAN, Amado. 2000. « Le scrupule alimentaire : une approche socio-culturelle ». In (dir.) : Alimentation et pratique de table en Méditerranée, éd. GERIM, p.131-133.

* 47 _ DREY Alain (dir.), TOMI Marianne, HORDÉ Tristan et al. 1998. Le Robert Dictionnaire Historique de la Langue Française, tome 1 [A-E]. Paris : Dictionnaire Le Robert, p. 160.

* 48 _ BRÉCOURT-VILLARS, Claudine. 1996. Mots de table, mots de bouche : dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie. Paris : Stock, p. 34.

* 49 _ 2000. Larousse Gastronomique, avec le concours du comité gastronomique présidé par Joël Robuchon. Paris : Larousse, p. 52.

* 50 _ LIEUTAGHI, Pierre. 2004. « Plantes et histoire des sociétés ». In G. Bëtsch et H. Cortot (dir.) : Plantes qui nourrissent, plantes qui guérissent dans l'espace alpin. Éd. De la librairie des Hautes Alpe, p. 24.

* 51 _ DELCOUR, Denise. 2004. « Savoir Populaire alpins. Soigner le "coup de froid" dans le briançonnais ». In G. Bëtsch et H. Cortot (dir.) : Plantes qui nourrissent, plantes qui guérissent dans l'espace alpin. Éd. De la librairie des Hautes Alpes, p. 165-170.

* 52 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Histoire sociale et culturelle du vin. Paris : Larousse, p. 275.

* 53 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Ibid., p. 276.

* 54 _ NOURRISSON, Didier. 1990. « Le discours par l'image : l'iconographie anti-alcoolique ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 115.

* 55 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Op. Cit., p. 276.

* 56 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. « Les "santés" du crocodile en larmes, ou quelques hypothèses sur l'histoire du buveur ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 106.Nous explorerons cet aspect dans la 4ème partie, "le tabou de l'alcoolisme".

* 57 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1989 b. « "Boire un coup..."», Terrain, n°13, (Boire).

* 58 _ ALBERT, Jean-Pierre. 1989. « La nouvelle culture du vin », Terrain, n°13, (Boire).

* 59 _ ROSSO, Thierry. 2006. « Manière de boire - L'apprentissage de la dégustation dans les "bars à vin" », Socio-Anthropologie, n°15, (Boire).

* 60 _ ÉLIAS, Norbert. 1973. La civilisation des moeurs. Paris : Calmann-Lévy. Chap. IV : « Comment se tenir à table ».

* 61 _ FAUCHEUX, Michel. 1997. Fêtes de table. Paris : Félin, p.84.

* 62 _ Cité par ÉLIAS, Norbert. 1973. Ibid., p. 191.

* 63 _ ÉLIAS, Norbert. 1973. Op. Cit., p. 228.

* 64 _ DEUMEUNIER, Jean-Nicholas. 1988. L'esprit des usages et des coutumes des différents peuples, tome 1, préface de Jean Pouillon. Paris : Jean Michel Place, p. 22.

* 65 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Op. Cit., p. 227.

* 66 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. « Nouveau regard sur les français et l'apéritif », Rapport de presse de La Collective des Apéritifs à Croquer, [En ligne], URL : http://www.instantcroquant.com/upload/presse_20051125030.pdf, p.6.

* 67 _ FAUCHEUX, Michel. 1997. Op. Cit., p. 85.

* 68 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Op. Cit., p. 155.

* 69 _ BALTA, Paul. 2004. Boire et manger en Méditerranée. Arles : Actes Sud, p.140.

* 70 _ PITTE, Jean-Robert. 1996. « Naissance et expansion des restaurants ». In J.L. Flandin (dir.) : Histoire de l'alimentation. Paris : Foyard, p. 768-769.

* 71 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Op. Cit., p. 227.

* 72 _ BRILLAT-SAVARIN, Jean-Anthelme. 1982. Physiologie du goût. Paris : Flammarion, p. 19.

* 73 _ Pierre Andrieu, 1939. Les vins de France et d'ailleurs. Comment les choisir, les servir, les déguster et les utiliser en cuisine. Paris : Flammarion. Cité par Gilbert Garrier. 1998. Op. Cit., p. 285.

* 74 _ NOURRISSON, Didier. 2005. « La gourmandise chez Sue, là où il y'a Eugène, y'a du plaisir ». In M. Piarotas : Le populaire à table. Le Boire et le Manger au XIXe et XXe siècles. Saint-Étienne : Publications de l'Université de Saint-Étienne, p. 181 et 184.

* 75 _ CLARISSE, René. 1986. « L'apéritif : un rituel social », Cahiers internationaux de Sociologie, vol. LXXX, p. 53-61.

* 76 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. Op. Cit.

* 77 _ Nous explorerons cet aspect dans la dernière partie.

* 78 _ voir l'ouvrage FABIANI, Gilbert. 2002. Élixirs et boissons retrouvés. Barbentane : Équinoxe.

* 79 _ GIRARD Sylvie, MEURVILLE Élysabeth de. 1990. L'atlas de la France gourmande, sous la direction de Jean Sellier. Paris : Jean Pierre de Monza, p. 24.

* 80 _ DELARGIERE, Marie-Françoise, JAMES Chantal. 2002. Vins Apéritifs Maison. Aix-en-Provence : Édisud.

* 81 _ BRENNAN, Georgeanne. 1997. L'heure de l'apéritif. Traduit de l'anglais et adapté par Valérie Julia. Paris : Flammarion.

* 82 _ DELARGIERE, Marie-Françoise, JAMES Chantal. 2002. Op. Cit., p. 2.

* 83 _ DELARGIERE, Marie-Françoise, JAMES Chantal. 2002. Ibid., p. 6.

* 84 _ DUFOUR, Annie-Hélène. 1989. « Cafés des hommes en Provence », Terrain, n°13, (Boire).

* 85 _ ROUBIN, Lucienne A. 1970. Chambrettes des provençaux : Une maison des hommes en Méditerranée septentrionale. Paris : Plon, p. 68.

* 86 _ TINLOT, Robert. 1990. « Les aspects culturels du vin ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan, p. 43.

* 87 _ FISCHLER, Claude. 1990. « Note sur les fonctions sociales de l'alcool ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan, p. 167.

* 88 _ FREYSSINEY-DOMINJON, Jacqueline, WAGNER, Anne-Catherine. 2003. L'alcool en fête : Manière de boire de la nouvelle jeunesse étudiante. Paris : L'Harmattan, p.20, et FISCHLER, Claude. 1990. Ibid., p. 167.

* 89 _ 2000. Larousse Gastronomique, avec le concours du comité gastronomique présidé par Joël Robuchon. Paris : Larousse, p. 294.

* 90 _ BERNAGE, Berthe. 1962. Convenances et bonnes manières : c'est tout l'art du savoir-vivre. Paris : Gautier-languerau, p. 36.

* 91 _ BRENNAN, Georgeanne. 1997. L'heure de l'apéritif. Paris : Flammarion, p. 18.

* 92 _ GIRARD Sylvie, MEURVILLE Élysabeth de. 1990. op. Cit.

* 93 _ 2000. Larousse Gastronomique. Op. Cit.

* 94 _ Les eaux-de-vie distillées industriellement se consomment quelquefois en cocktail ou en apéritif (gin, vodka, whisky), alors que les eaux-de-vie naturelles, distillées de façon artisanale et à l'arôme prononcé se dégustent plutôt en digestif. (2000. Larousse Gastronomique, Op. Cit., p. 414).

* 95 _ GIRARD Sylvie, MEURVILLE Élysabeth de. 1990. Op. Cit., p.44.

* 96 _ GIRARD Sylvie, MEURVILLE Élysabeth de. 1990. Op. Cit., p. 51.

* 97 _ Tout comme l'eau-de-vie, la liqueur (boisson spiritueuse, obtenue par mélange d'alcool et d'eau-de-vie avec des aromates) se boit pure à la fin des repas, comme digestif, parfois allongée d'eau comme apéritif. (Larousse Gastronomique, 2000 : 622).

* 98 _ TOPALOV, Anne-Marie. 1998. La vie des Paysans Bas-Alpins à travers leur cuisine. De 1890 à nos jours. Aix-en-Provence : Édisud, p. 70.

* 99 _ DELCOUR, Denise. 2004. « Savoir Populaire alpins. Soigner le "coup de froid" dans le briançonnais ». In G. Bëtsch et H. Cortot (dir.) : Plantes qui nourrissent, plantes qui guérissent dans l'espace alpin. Éd. De la librairie des Hautes Alpes, p. 165.

* 100 _ 2000. Larousse Gastronomique. Op. Cit., p. 521.

* 101 _ GIRARD Sylvie, MEURVILLE Élysabeth de. 1990. Op. Cit., p105.

* 102 _ MARIE, Laurent. 2005. « Les oursins de l'Estaque : Le boire et le Manger dans les films de Robert Guédiguian ». In M. Piarotas : Le populaire à table. Le Boire et le Manger au XIXe et XXe siècles. Saint-Étienne : Publications de l'Université de Saint-Étienne, p. 266.

* 103 _ GIRARD Sylvie, MEURVILLE Élysabeth de. 1990. Op. Cit., p. 109.

* 104 _ POULAIN, Jean-Pierre. 1997. « Goût du terroir et tourisme vert à l'heure de l'Europe ». In J. Cuisenier (dir.) : Ethnologie Française, Pratiques alimentaires et identités culturelles. Paris : Colin, p.18.

* 105 _ FISCHLER, Claude. 2001. L'Homnivore : Le goût, la cuisine et le corps. Paris : Odile Jacob, p. 66.

* 106 _ FISCHLER, Claude. 1990. « Note sur les fonctions sociales de l'alcool ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan, p. 163.

* 107 _ BAROU, Jacques. 1997. « Dis-moi que manges... ». In J. Cuisenier (dir.) : Ethnologie Française, Pratiques alimentaires et identités culturelles. Paris : Colin, p. 7.

* 108 _ RIVIÈRE, Claude. 1995. Les rites profanes. Paris : PUF, p. 197.

* 109 _ FISCHLER, Claude. 2001. Op. Cit.

* 110 _ POULAIN, Jean-Pierre. 1997. Op. Cit., p. 21.

* 111 _ La 3ème partie consacre un chapitre à cette notion.

* 112 _ AYMAR Maurice, GRIGNON Claude, SABBAN Françoise (dir.). 1993. Le temps de manger : Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux. Paris : La Maison des sciences de l'homme.

* 113 _ TOUILLIER-FERABEND, Henriette. 1997. « Des images pour consommer ». In J. Cuisenier (dir.) : Ethnologie française, Pratiques alimentaires et identités culturelles. Paris : Armand Colin.

* 114 _ PICARD, Dominique. 2003. Politesse, savoir-vivre et relations sociales. Paris : PUF, p. 74.

* 115 _ BRILLAT-SAVARIN, Jean-Anthelme. 1982. Physiologie du goût. Paris : Flammarion, p. 19.

* 116 _ KANT, Emmanuel. 1979. Anthropologie d'un point de vue pragmatique. Traduit par Michel Foucault. Paris : Librairie philosophique J. Brin, p. 129.

* 117 _ KANT, Emmanuel. 1979. Ibid., p. 50.

* 118 _ RIVIÈRE, Claude. 1995. Op. Cit., Paris : PUF.

* 119 _ CLARISSE, René. 1986. Op. Cit.

* 120 _ Enquête Sofrès auprès de 2000 personnes âgées de 15 ans et plus, en février 2005. Cité par POULAIN, Jean-Pierre. 2005. « Nouveau regard sur les français et l'apéritif », Rapport de presse de La Collective des Apéritifs à Croquer, [En ligne], URL : http://www.instantcroquant.com/upload/presse_20051125030.pdf, p. 1.

* 121 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. Ibid., p. 8.

* 122 _ FREYSSINEY-DOMINJON, Jacqueline, WAGNER, Anne-Catherine. 2003. Op. Cit., p. 32.

* 123 _ DENUELLE, Sabine. 1999. Le savoir-vivre : guide des règles et des usages d'aujourd'hui. Paris : Larousse, p. 68.

* 124 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. « Les "santés" du crocodile en larmes, ou quelques hypothèses sur l'histoire du buveur ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 111.

* 125 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. Ibid., p. 113.

* 126 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Histoire sociale et culturelle du vin. Paris : Larousse, p. 189.

* 127 _ CASTELAIN, Jean-Pierre. 1989. Manières de Vivre Manières de Boire : alcool et sociabilité sur le port. Paris : Imago, p.63.

* 128 _ FISCHLER, Claude. 2001. L'Homnivore : Le goût, la cuisine et le corps. Paris : Odile Jacob, p. 215.

* 129 _ RIVIÈRE, Claude. 1995. Les rites profanes. Paris : PUF. Chap. XVIII : « Le cérémonial du manger », p. 194.

* 130 _ MENNELL, Stephen. 1993. « Les connexions sociogénétiques entre l'alimentation et l'organisation du temps ». In M. Aymar, C. Grignon et F. Sabban (dir.) : Le temps de manger : Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux. Paris : La Maison des sciences de l'homme, p. 52.

* 131 _ FISCHLER, Claude. 2001. Op. Cit., p. 216.

* 132 _ BONNET, Jocelyne. 2004. Dimanche en Europe. Strasbourg : éditions du Signe, p. 38 et p. 82.

* 133 _ Expression ressortie de l'enquête sur les français et l'apéritif, menée par Jean-Pierre Poulain en 2005.

* 134 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. Op. Cit., p. 11.

* 135 _ PICARD, Dominique. 2003. Politesse, savoir-vivre et relations sociales. Paris : PUF, p. 41.

* 136 _ DUFOUR, Annie-Hélène. 1989. « Cafés des hommes en Provence », Terrain, n°13, (Boire).

* 137 _ ROUBIN, Lucienne A. 1970. Chambrettes des provençaux : Une maison des hommes en Méditerranée septentrionale. Paris : Plon, p. 129.

* 138 _ STEINER, Anne. « Belleville : d'un café à l'autre ». In C. Bernand (dir.) : Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérives. Paris : Autrement, p. 91.

* 139 _ LE GUIRRIEC, Patrick. 1990. « Alcool, culture et personnalité ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan, p. 152.

* 140 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. Op. Cit., p. 9.

* 141 _ PICARD, Dominique. 2003. Op. Cit., p.39.

* 142 _ RIVIÈRE, Claude. 1995. Op. Cit., p. 211.

* 143 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. Op. Cit., p. 26.

* 144 _ LE GUIRRIEC, Patrick. 1990. Op. Cit., p.151.

* 145 _ CHAPUIS, Robert. 1989. L'alcool, un mode d'adaptation social ? Paris : L'Harmattan, p. 80.

* 146 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. La culture de l'ivresse : Essai de phénoménologie historique, Paris : Quai Voltaire, p. 115.

* 147 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. Ibid., p. 126 - 138.

* 148 _ RAINAUT, Jean. 2000. « La femme et l'alcool, quelques idées reçues ». In C. Bernand (dir.) : Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérives. Paris : Autrement, p. 184.

* 149 _ LEE ALLEN, Stewart. 2004. Jardins et cuisines du Diable : Le plaisir des nourritures sacrilèges. Paris : Autrement.

* 150 _ TINLOT, Robert. 1990. Op. Cit., p.42.

* 151 _ MAC DONALD, Maryon. 1990. « Pour comprendre la culture du boire en Bretagne ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan.

* 152 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Op. Cit., p. 17.

* 153 _ MAC DONALD, Maryon. 1990. Op. Cit., p. 218.

* 154 _ LE GUIRRIEC, Patrick. 1990. Op. Cit., p. 154-155.

* 155 _ JEANJEAN, Agnès. 2006. « Ce qui du travail se noue au café », Socio-Anthropologie, n°15, (Boire).

* 156 _ CARO, Guy. 1990. « La complexité des manières de boire et des problèmes d'alcool ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 62-63.

* 157 _ PICARD, Dominique. 2003. Op. Cit., p. 92.

* 158 _ PICARD, Dominique. 2003. Ibid., p. 114.

* 159 _ BERNAGE, Berthe. 1962. Op. Cit., p. 38.

* 160 _ DENUELLE, Sabine. 1999. Op. Cit., p. 69.

* 161 _ Marie France Lecherbonnier, 1996. Guide de savoir-vivre. Paris : Librairie générale française. Cité par Carmen Bernand. 2000. Op. Cit., p. 79.

* 162 _ BERNAGE, Berthe. 1962. Op. Cit., p. 37.

* 163 _ PICARD, Dominique. 2003. Op. Cit., p. 37.

* 164 _ FISCHLER, Claude. 2001. Op. Cit., p. 275.

* 165 _ FISCHLER, Claude. 2001. Op. Cit., p. 344.

* 166 _ BERNAND Carmen (dir.). 2000. « Boissons, ivresses et transitions ». In C. Bernand (dir.) : Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérive. Paris : Autrement, p. 41.

* 167 _ POULAIN Jean-Pierre. 2005. Op. Cit., p. 36.

* 168 _ FISCHLER, Claude. 1990. « Note sur les fonctions sociales de l'alcool ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan.

* 169 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Histoire sociale et culturelle du vin. Paris : Larousse.

* 170 _ Le terme "boire", employé sans complément, signifie très généralement boire de l'alcool.

* 171 _ OBADIA, Lionel. 2006. « Le "boire" : une anthropologie en quête d'objet, un objet en quête d'anthropologie », Socio-Anthropologie, n°15, (Boire).

* 172 _ CHAPUIS, Robert. 1989. L'alcool, un mode d'adaptation social ? Paris : L'Harmattan, p. 17.

* 173 _ BERNAND, Carmen (dir.). 2000. Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérive. Paris : Autrement.

* 174 _ CARO, Guy (dir.). 1990. De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan.

* 175 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. La culture de l'ivresse : Essai de phénoménologie historique, Paris : Quai Voltaire.

* 176 _ OBADIA, Lionel. 2006. Op. Cit.

* 177 _ FABRE-VASSA, Claudine. 1989. « La boisson des ethnologues », Terrain, n°13, (Boire).

* 178 _ Léon Paul Fargue, "A la terrasse", dans le Figaro, 8 août 1939. Cité par DREY, Alain (dir.). 2005. Dictionnaire culturelle en langue française. Paris : Dictionnaire Le Robert, p. 394.

* 179 _ PIAROTAS, Mireille (études réunies par), CHARRETON, Pierre (études présentées par). 2005. Le populaire à table : Le Boire et le Manger au XIXe et XXe siècles. Saint-Étienne : Publications de l'Université de Saint-Étienne, C.I.E.R.E.C., travaux 119. (littérature populaire).

* 180 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. Op. Cit.

* 181 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. Ibid., p. 31.

* 182 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. Ibid., p. 93.

* 183 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. Ibid., p. 98.

* 184 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. Ibid., p. 118.

* 185 _ KANT, Emmanuel. 1979. Anthropologie d'un point de vue pragmatique. Traduit par Michel Foucault. Paris : Librairie philosophique J. Brin, p. 49.

* 186 _ KANT, Emmanuel. 1979. Ibid.

* 187 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. Cit.

* 188 _ FREYSSINEY-DOMINJON, Jacqueline, WAGNER, Anne-Catherine. 2003. L'alcool en fête : Manière de boire de la nouvelle jeunesse étudiante. Paris : L'Harmattan, p. 7.

* 189 _ FREYSSINEY-DOMINJON, Jacqueline, WAGNER, Anne-Catherine. 2003. Ibid., p. 47.

* 190 _ FISCHLER, Claude. 1990. Op. Cit., p. 164-165.

* 191 _ VERDON, Jean. 2002. Boire au Moyen Âge. Tours : Perrin.

* 192 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1991. Op. Cit., p. 126.

* 193 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. Cit., p. 104.

* 194 _ CASTELAIN, Jean-Pierre. 1989. Manières de Vivre Manières de Boire : alcool et sociabilité sur le port. Paris : Imago, p. 14.

* 195 _ COURT, Antoine. 2005. « Boire, entre convivialité et déchéance ». In M. Piarotas : Le populaire à table : Le Boire et le Manger au XIXe et XXe siècles. Saint-Étienne : Publications de l'Université de Saint-Étienne, p. 24.

* 196 _ STEINER, Anne. « Belleville : d'un café à l'autre ». In C. Bernand (dir.) : Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérives. Paris : Autrement, p. 94.

* 197 _ BERNAND, Carmen. 2000. « Boissons, ivresses et transitions ». In C. Bernand (dir.) : Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérive. Paris : Autrement, p.53.

* 198 _ OBADIA, Lionel. 2006. Op. Cit.

* 199 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. « Les "santés" du crocodile en larmes, ou quelques hypothèses sur l'histoire du buveur ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 106.

* 200 _ LE GUIRRIEC, Patrick. 1990. « Alcool, culture et personnalité ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan, p. 157.

* 201 _ CASTELAIN, Jean-Pierre. 1989. Op. Cit., p. 154.

* 202 _ FAINZANG, Sylvie. 1996. Ethnologie des anciens alcooliques : La liberté et la mort. Paris : P.U.F.

* 203 _ MAGNY, Caroline. 2005. « Famille et alcool en France aujourd'hui », Cahiers de l'Ireb, n°17, [en ligne], URL : http://www.ireb.com/publications/cahiers%20site.pdf.

* 204 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. Cit., p. 204.

* 205 _ CARO, Guy. 1990. « La complexité des manières de boire et des problèmes d'alcool ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 69.

* 206 _ OBADIA, Lionel. 2006. Op. Cit.

* 207 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. Cit., p. 68.

* 208 _ POULAIN, Jean-Pierre. 1997. « Goût du terroir et tourisme vert à l'heure de l'Europe ». In J. Cuisenier (dir.) : Ethnologie Française, Pratiques alimentaires et identités culturelles. Paris : Colin, p. 18.

* 209 _ GOTMAN, Anne. 2000. « Alcool et hospitalité ». In C. Bernand (dir.) : Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérives. Paris : Autrement, p. 86.

* 210 _ GRIMOD DE LA REYNIÈRE, Alexandre Balthasar Laurent. 1983. Manuel des amphitryons (1808), présentation de Misette Godard. Paris : Métaillié, p. 219. Cité par GOTMAN, Anne. 2000. Ibid. p. 87.

* 211 _ DUFOUR, Annie-Hélène. 1989. « Cafés des hommes en Provence », Terrain, n°13, (Boire).

* 212 _ LE GUIRRIEC, Patrick. 1990. Op. Cit., p. 153.

* 213 _ MAUSS, Marcel. 1983. Sociologie et anthropologie, Paris : P.U.F.

* 214 _ CHAPUIS, Robert. 1989. Op. Cit., p. 165.

* 215 _ MAUSS, Marcel. Op. Cit.

* 216 _ RIVIÈRE, Claude. 1995. Les rites profanes. Paris : PUF. Chap. XVIII : « Le cérémonial du manger », p. 205.

* 217 _ BERNAND, Carmen. 2000. Op. Cit., p. 41.

* 218 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. Op. Cit., p. 112.

* 219 _ FURETIÈRE, Antoine. 1960. Le dictionnaire universel. Paris. Cité par NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1989 b. « "Boire un coup..."», Terrain, n°13, (Boire).

* 220 _ KANT, Emmanuel. 1979. Op. Cit., p. 49.

* 221 _ NOURRISSON, Didier. 1990. « Le discours par l'image : l'iconographie anti-alcoolique ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 115.

* 222 _ Organisation Internationale du Vin.

* 223 _ TINLOT, Robert. 1990. « Les aspects culturels du vin ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan, p. 42.

* 224 _ MOULIN Léo, 1995. "Le bon plaisir", Mille et une bouche, cuisines et identités culturelles, Paris : Autrement, p. 75.

* 225 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. « Nouveau regard sur les français et l'apéritif », Rapport de presse de La Collective des Apéritifs à Croquer, [En ligne], URL : http://www.instantcroquant.com/upload/presse_20051125030.pdf, p. 16.






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