WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Enracinements polynésiens d'hier et d'aujourd'hui dans l'archipel de Nouvelle Calédonie

( Télécharger le fichier original )
par Tomasi TAUTU'U
Université de Nouvelle Calédonie - Master 2 arts, lettres et civilisations option francophonie 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2. Les relations inter clanique

A. Le clan maternel

La première « altérité » évidente dans la société « océanienne » que nous pouvons caractériser comme universelle, est la dualité homme/ femme, chacun jouant un rôle précis et symbolisant aussi une entité bien définie. Or, la règle de base, pour toute société est la procréation dans la famille, condition sine qua non de la perpétuation de la famille et du clan. Jean Marie Tjibaou disait que « la vie est donnée par le sang et que le sang, c'est la mère qui le donne 58(*)». Cette citation n'est pas une représentation réinventée du Kanak moderne mais, une représentation symbolique que l'on peut retrouver dans toutes les sociétés insulaires de l'Océanie.

Même si dans certaines îles du Pacifique, il existe des sociétés matriarcales, on ne peut qualifier la société « mélanésienne » comme telle. Cependant, dans la région « austronésienne », la société matrilinéaire la plus connue et la plus grande du monde, est bien celle des Minangkabau en Indonésie59(*). Chez les Minangkabau, la terre, les biens immobiliers et mobiliers sont la propriété des femmes. Les mères les transmettent à leurs filles. Les hommes n'ayant rien, ils sont contraints d'émigrer (merantau) s'ils veulent faire fortune. Toutefois, leur devoir est de faire profiter le village de leur réussite et ils s'occupent de la religion et des affaires politiques. Les enfants portent le nom de clan (suku) de leur mère. L'homme qui en a la responsabilité n'est pas le père, mais l'oncle maternel (mamak). Pour le mariage, c'est la famille de la fille qui vient demander la main du garçon. En cas de divorce, la femme garde les enfants (la loi islamique rappelle aux Minangkabau que « la mère mérite trois fois plus de respect que le père ».A l'âge de 7 ans, les jeunes garçons quittent traditionnellement la maison pour aller vivre dans une maison commune (surau), aussi devenue maison de prière et une sorte de centre social où l'on apprend les enseignements religieux et culturels (adat). Les adolescents sont encouragés à quitter leur ville natale pour apprendre des écoles ou des expériences hors de leur communauté natale de manière à y revenir adulte enrichi d'un savoir et d'une sagesse utile pour leur famille et la société et leur « nagari » (ville natale) où ils deviendront membre du « conseil des oncles ».

Dans les sociétés calédoniennes par contre, la femme est substituée par l'oncle utérin. En 1975, le groupe de réflexion composée uniquement de Kanak affirmait sans équivoque ceci :

«  La femme est un potentiel de vie, puisque de sa propre chair naîtra l'héritier du clan... l'enfant qu'elle mettra au monde sera donc l'appartenance du clan marital. Toutefois, elle seule jouira de l'identité de substance avec son enfant, la parenté réelle ne se transmettant que par la mère. Plus elle sera féconde, plus elle sera respectée et son clan gratifié. Car les relations claniques trouvent pour une bonne part, leur motivation dans la reconnaissance du clan marital à l'égard du clan utérin. Chaque cérémonie, chaque évènement coutumier (naissance, puberté, mariage, des enfants, etc.) est avant tout un geste de gratitude à l'adresse des utérins, grâce à qui ces enfants ont vu le jour.60(*) »

Nous pouvons rajouter par ailleurs, que les oncles utérins ne sont pas du même clan61(*) et peuvent être originaires d'une autre aire linguistique voisine ou non. Cette possibilité n'est pas rare. Ce qui nous amène à prétendre que les Kanak, quel qu'ils soient, sont tributaires de cette reconnaissance forte et du respect qu'ils doivent aux oncles maternelles ainsi qu'à leurs familles62(*) au-delà des différences linguistiques et culturelles.

Notons aussi que la polygamie était fréquente, surtout dans le milieu des chefferies et de ce fait, il pouvait y avoir plusieurs clans maternels autour du clan du père. Ce dernier devait en tenir compte dans les échanges qui accompagnaient les rituels concernant la naissance, la circoncision, le mariage, le deuil etc. Ces échanges, bien sûr, avaient un coût, ce qui explique que seuls les chefs avaient la capacité de perpétuer ces relations d'échange de plus en plus conséquents. Ils sauvegardaient ainsi leur prestige. Les clans maternels de leur côté s'attendaient bien évidement, comme c'est le cas aujourd'hui, à beaucoup d'attention et à beaucoup de respect de la part du clan du père de « leurs progénitures  ». Etant « donneurs de vie » et faisant la perpétuation du clan paternel, les utérins comptaient bien profiter de leur position de « supériorité » symbolique. Sans cesse sur le qui-vive, ils étaient prêts à dénoncer tout manquement de respect envers eux. Ce paradoxe expliquerait les altercations violentes et courantes -et à leur égard légitimes- entre les clans.

L'enfant issu du mariage, va quant à lui distinguer dans ses relations affectives, ses propres parents et ses oncles utérins63(*) (qu'il appellera « papa »). S'il a une bonne éducation, le jeune apprendra à respecter ses oncles maternels plus que son père génétique, pour les placer dans l'ordre du sacré qu'il ne faut pas offenser.

L'anthropologue, le Raymond Firth a vécu sur Tikopia64(*) en 1928 et 1929, fournit une description détaillée de la vie sociale de l'île de cette époque. Il montre comment la société est divisée géographiquement en deux zones et organisée en quatre clans. La société est centrée sur le « paito65(*) » - la maison (patrilinéaire) où sont enterrés des ancêtres masculins. L'auteur aborde notamment les relations matriarcales dans lesquelles le frère de la mère par rapport au neveu semble joué un rôle primordial. L'oncle officiant les différentes cérémonies, entre le frère d'une mère et son neveu, il y a dimension sacrée. Raymond Firth, évoque les liens économiques et rituels complexes entre les maisons du « paito » et les différents chefs clans, constituant ainsi l'organisation sociale et culturelle de l'île. Firth affirme que le célibat, la guerre (expulsion y compris), l'infanticide et le voyage maritime (réclamé par la plupart des jeunes) ont maintenu l'équilibre démographique de la minuscule île. Actuellement, plusieurs jeunes quittent l'île, se dirigeant aux îles de Russell ou à Honiara dans la capitale à la recherche d'emploi.

Si cette vision duelle fondée sur des relations claniques autour de la femme- mère est, dans une moindre mesure, encore une réalité à l'heure actuelle dans le monde kanak et océanien, on peut imaginer qu'elle était beaucoup plus marquée avant l'arrivée des européens. D'ailleurs, la polygamie rendait plus complexe les relations de parenté. Ainsi, cette « altérité » à base clanique semblait régler et influer une grande partie des évènements de la vie du Kanak et qu'elle est fondamentale pour la compréhension des comportements socioculturels du monde kanak d'aujourd'hui. Un autre concept peut être ici développé pour mieux comprendre les relations claniques, c'est celui de la terre.

* 58 Tjibaou le kanak ( cf ref)

* 59 Moussay, Gérard, Dictionnaire minangkabau - indonésien - français, L'Harmattan, 1995.

* 60 Collectif (groupe d'autochtones calédoniens), Mélanésiens d'aujourd'hui, La société Mélanésienne dans le monde moderne, SEHNC, Nouméa, 1976, 65 p, pp 22. Nous ignorons les auteurs présumés de ce collectif, on sait seulement que Dick Ukeiwé ancien député et sénateur du RPCR a été co-auteur de cet écrit.

* 61Alban BENSA Nouvelle Calédonie, un paradis dans la Tourmente, Editions Découvertes Gallimard, 1990, 192 p, pp 34 : « Il est interdit de se marier dans son propre clan ». Cet ouvrage écrit après la mort de Jean Marie Tjibaou, l'auteur fait un portrait idyllique de la société kanak mais sa description a le mérite d'être précise et très bien détaillée, mettant ainsi en relief l'altérité possible des kanaks à l'intérieur d'un même espace culturel.

* 62 Voir Père Lambert dans Moeurs et Superstitieux, p 106. L'auteur raconte en détail de ce rite dont il a été témoin.

* 63 Il semble que de nos jours, il existe un quiproquo dans le milieu kanak, entre l'oncle maternel (frère désigné de la mère) et le clan maternel (l'ensemble de la famille de la mère), nous avons été témoins de cela lors d'un mariage à Canala en 2008.

* 64 Tikopia est le plus au sud des îles de Santa Cruz, situé dans la province du Temotu. Il est également le plus au sud des îles Salomon. Tikopia est une haute île couvrant un domaine de 5 km² ; L'île est le reste d'un volcan éteint le plus élevé, Mt. Reani de, atteignant une altitude de 380 ; m (1.247 pi) au-dessus du niveau de la mer. Quelques études de la société Tikopiane incluent son voisin plus proche, l'île encore plus minuscule d'Anuta. Les habitants sont Polynésiens, et la langue Tikopia est une branche des langues polynésienne Samoic.

* 65 A Wallis, le « paito » constituait à l'époque la maison où les jeunes garçons d'une même génération, du même village dormaient. Effectivement, les jeunes garçons guidés par les aînés suivaient une éducation commune en passant par différents rites et rituelles jusqu'au moment du mariage. Aujourd'hui même en Nouvelle Calédonie dans le milieu wallisien ou futunien, le paito est l'abri du four traditionnel, du « umu » là où les jeunes hommes et moins jeunes habituellement se rassemblent.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite