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La "vie de nuit " dans la ville de Ngaoundéré au Cameroun de 1952 à  2009

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par Nicolas OWONA NDOUNDA
Université de Ngaoundéré Cameroun - Master en histoire 2009
  

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Il est conseillé, pendant la nuit, de prier pour le combat spirituel, afin de faire face au péché et de le refouler. Ainsi, entre minuit et 3h du matin, les prières conseillées sont les suivantes : la protection de Dieu ; contre ceux qui nous veulent du mal, contre le clavier satanique, contre tout jugement en cours, contre l'héritage des sectes ésotériques 91(*). D'autres intentions peuvent être associées à celles-là. La nuit est donc un moment de combat contre les mauvais esprits, un moment où on peut se racheter de ses fautes.

À cela, nous pouvons ajouter les différentes célébrations qui ont lieu dans la nuit. Trois fois par an, les catholiques célèbrent des messes de nuit : pour le réveillon de Noël, afin de marquer l'attente de la naissance du Christ Sauveur 92(*); et pendant la période de Pâques (le Jeudi Saint, dernière nuit de Jésus avec ses disciples, le Samedi Saint, veille de Pâques, dans l'attente de la résurrection).

Au regard de ce qui précède, la nuit est pour le chrétien catholique un moment de méditation, de prière et de combat contre les esprits mauvais. Il faut ajouter à cela l'aspect de l'attente que ce soit à Noël, ou à Pâques. Ces aspects sont aussi pris en compte par les "églises de réveil", qui sont à l'observation, généralement bâties par des transfuges du Catholicisme.

3.2.3 La nuit pour les églises "réveillées"

C'est dans les années 1990 que les premières Églises dites réveillées ou de réveil apparaissent dans la ville de Ngaoundéré. Au regard de leur nombre sans cesse croissant et de leurs similarités, notre étude se porte donc sur l'une d'entre elles, la Mission de l'Église Évangélique du Cameroun (M.E.E.C). Installée dans la ville en 1995, elle compte deux lieux de culte, l'un à Bamyanga et l'autre tout près de l'abattoir municipal au quartier Baladji II93(*).

La nuit ici revêt plus ou moins la même importance que pour les autres religions que nous avons déjà abordées. C'est-à-dire un moment de méditation, de concentration, de prière et de repos. Mais, cette église, à l'instar d'autres églises de réveil de la ville94(*), tient tous les vendredis de chaque fin du mois, une nuit de prière.

Cette nuit de prière se tient à ce moment-là pour plusieurs raisons. Tout d'abord, c'est un moment où tout est calme. La nuit offre une possibilité de mieux faire son introspection et donc de dire, de présenter à Dieu toutes les sollicitations. Ensuite, la nuit de vendredi marque le début de week-end. Les participants à la prière sont libres de toute occupation. Cela offre une tranche de 6h d'horloge libre, que l'on exploite par la prière. Enfin, l'insécurité présente dans la nuit à Ngaoundéré fait que ceux qui viennent à 22h ne seront pas tentés de rentrer à tout moment. Donc, lorsqu'on commence c'est jusqu'au matin. On est obligé de supporter de peur de mettre sa vie en danger. Ces nuits de prières commencent à 22h et se terminent entre 5 h30 et 6 h. bien avant de décider de cet horaire, il apparaît que la nuit de prière prenait fin vers 4h. Mais, le risque d'agression faisait que les fidèles ne pouvaient rentrer immédiatement, d'où la prolongation jusqu'à 5h30, pour permettre à tout le monde de rentrer dans une relative sécurité à un moment où le jour commence à poindre.

Pendant la nuit de prière, les fidèles débutent par des louanges à Dieu. L'objectif étant ici de se mettre en condition de prière et exalter Dieu. Ensuite, c'est l'adoration, ensemble de prières pour signifier la grandeur de Dieu, et enfin la prière proprement dite, agrémentée de chants pour réveiller les éventuels dormeurs, ou s'empêcher de dormir. La nuit est donc le moment de prière par excellence, le moment de présenter à Dieu toutes les intentions que l'on peut avoir dans son coeur. À ces nuits de prière, il faut ajouter que la M.E.E.C. tient tous les mercredis un culte fait de louanges et de prières entre 17h et 19h.95(*)

Si la nuit est donc le moment de repos, de méditation et celui propice pour les rapports charnels pour les différentes religions que nous avons étudiées, elle est aussi l'instant choisi pour de nombreux rites tels que ceux pratiqués pour les initiations. À cela, on peut ajouter les rites symboliques pratiqués pour le mariage (le Soro par exemple) et les activités ludiques (le hiirde).

V. QUELQUES ACTIVITÉS DE NUIT SUR LE PLAN TRADITIONNEL

Sans pouvoir établir un bilan de toutes les activités de nuit sur le plan traditionnel, notre travail aborde quelques uns des aspects qui nous semblent marquant et l'expression de ce que la nuit est pour les peuples de l'Adamaoua. Ainsi, nous analysons le soro, le hiirde, et les différentes activités des femmes libres, appelées adjaba'en en fulfulde.

4. Le soro, un rituel traditionnel du mariage

Le soro est une coutume peule très ancienne du mariage qui se déroule le soir du troisième jour après que la mariée eût gagné le domicile conjugal, en fait, avant la consommation de celui-ci. Les mariés doivent en être à leur premier mariage. L'essentiel des cérémonies s'étant déjà déroulé, les principaux acteurs du soro sont : les deux époux et leurs parrains (appelés ici baaba'en, ce qui signifie en foulfoulde pères). Le jeune homme a pour parrain l'homme du village le plus anciennement initié au soro et la jeune femme, celui qui vient immédiatement après (uniquement des hommes). Peuvent aussi y assister, tous les autres hommes du village et des villages voisins, ainsi que les invités formés des représentants des différentes fractions peules, tous déjà initiés96(*).

Tout commence le soir au coucher du soleil par un grands repas offert à tous les participants vers 18h30. Cependant, les jeunes mariés, qui ne peuvent y prendre part, sont représentés par leurs parrains. Ceci est dû au fait que, trois jours durant, le marié vit chez un de ses amis de la même classe d'âge, et la mariée est recluse dans sa case en compagnie de jeunes demoiselles. En journée, la famille du garçon aura pris soin d'égorger un taureau dont la moitié sera préparée en sauce pour accompagner le couscous de mil, et l'autre moitié sera grillée. En fin de repas, sont distribués friandises et gâteaux de mil.

Lorsque le repas tire à sa fin, vers 20h30, les deux parrains, chacun en ce qui le concerne, vont chercher les mariés discrètement pour les entraîner à travers les champs dans la brousse, afin de prendre de l'avance et arriver à l'endroit où aura lieu le rituel. Le repas achevé, les autres participants ratissent la brousse environnante pour tenter de les rattraper avant qu'ils ne parviennent à l'endroit, situé à quelque distance du village.

Le premier à le faire lance un cri de ralliement, ce qui permet à ses compagnons d'accourir rapidement. On cherche alors à battre avec des verges les deux jeunes époux tandis que leurs parrains tâchent de s'y opposer. Si les poursuivants ne parviennent pas à les rattraper, ils se fustigent entre eux en s'administrant les coups originellement destinés aux jeunes époux, avec cette différence que ces coups sont limités aux membres inférieurs (des genoux jusqu'aux pieds). Mais ces coups ne sont pas distribués au hasard : chacun ne peut battre que ceux qui sont moins anciens que lui dans le soro et ne reçoit de coups que de ceux qui sont plus anciens. C'est-à-dire que le plus ancien dans le soro peut battre tout le monde tandis que le plus récemment initié est battu par tout le monde. Finalement, les uns et les autres arrivent tant bien que mal à gagner l'endroit où va se dérouler la cérémonie vers 22 h.

La cérémonie est constituée de trois temps forts, elle se déroule dans un endroit assez dégagé mais que ne vient éclairer aucune lumière sauf celle de la lune lorsqu'elle apparaît. Elle dure entre trois et cinq heures d'horloge.

Tout commence par la danse des mariés qui sont les personnes à initier (les soroobe). Les parrains les invitent à se dévêtir. La femme se met totalement nue, tandis que l'homme se couvre le sexe avec un morceau d'étoffe. On les fait asseoir tous deux à même le sol au bout de l'aire de jeu. Ils s'asseyent l'un à côté de l'autre, épaule contre épaule, et la femme à gauche de l'homme. Ils font face à l'Est, les jambes jointes et allongées, les mains serrées entre les cuisses, la tête baissée. Immédiatement devant eux, se placent leurs parrains respectifs, ils font tous face aux participants, ceux-ci tiennent toujours le bâton dont ils se sont déjà servi et vont continuer à se servir toute la nuit.

Dès lors commence pour les soroobe une danse, sans accompagnement musical, pendant laquelle les vagues d'hommes armés de bâtons arrivent successivement au contact des parrains qu'ils cherchent à déborder pour atteindre les jeunes époux assis derrière. Lorsqu'ils arrivent à proximité, ils leur donnent des coups de baguette, sur le crâne, les épaules, le dos, les jambes, tandis que leurs parrains font tout leur possible pour les dévier et en protéger les mariés. Pendant qu'on cherche à frapper les jeunes époux, on peut continuer à se frapper entre participants tel que nous l'avons déjà présenté plus haut. Cette danse dure environ une demi-heure et peut être reprise au gré des participants selon le même schéma après une pause.

les jeunes époux se trouvant maintenant assis pas terre, leurs parrains empoignent chacun un bout du pagne de la jeune femme et le tendent entre eux verticalement. Chaque participant, passant entre le couple et 1'écran formé par le pagne, doit contourner les parrains par derrière pour revenir se placer devant eux après être passé sous le pagne. Deux files indiennes sont ainsi formées, mais pas au hasard : les premiers à passer sous le pagne, et donc à se ranger immédiatement devant l'un des parrains, sont les plus anciens dans le soro, les derniers, les plus récemment initiés. À mesure que les deux files s'allongent, les hommes déjà rangés, frappent les autres à leur passage. Et ceux qui viennent d'être battus prennent place aux extrémités des deux files et battent à leur tour tous ceux qui passent devant eux.

Ensuite, les jeunes époux, le mari en premier, seront les derniers à passer, et ce sont donc eux qui reçoivent le plus grand nombre de coups. Ils subissent même un sort particulier puisqu'ils doivent passer à trois reprises entre les soroobe et donc par trois fois, être roués de coups. Les seuls à ne pas passer dans le "couloir", et donc à ne pas être battus, sont les deux plus anciens dans le soro, c'est-à-dire les parrains.

L'attitude des jeunes époux est observée avec attention, surtout celle du jeune homme qui ne doit pas se plaindre de quelque façon que ce soit. Il doit supporter cette multitude de coups de fouets dans la plus grande indifférence, marcher sans hâte en recevant les coups. Et s'il se permettait de gémir sous un coup dont la brutalité serait plus grande que les autres, il deviendrait la risée du village et sa renommée en serait à tout jamais ternie. Et si, par extraordinaire, il perdait contenance et s'enfuyait, il devrait s'exiler.

À la fin de cette partie marquée par la bastonnade, les deux parrains font asseoir les mariés, toujours nus à l'opposé de l'endroit où ils étaient assis, et cette fois-ci face à l'Ouest. Les participants commencent à se fustiger entre eux, mais cette fois en épargnant les époux. Lorsque la nuit tire à sa fin, les parrains viennent trouver les époux afin de leurs prodiguer des conseils relatifs au mariage et dont les règles dépendent de la pulaaku, l'ensemble des principes de vie des foulbé. À la jeune femme par exemple, on recommandera de bien aider sa belle-mère dans ses travaux, on la menacera de lui faire subir à nouveau l'épreuve de la bastonnade si elle fait la moindre fugue, un des moyens utilisée par les femmes pour punir leurs maris. Quant au mari, il se verra rappeler qu'il est maintenant un homme accompli, tout comme son père, avec tout ce que cela implique de responsabilités aussi nouvelles que lourdes qu'on énumérera, d'égards et de respect envers les anciens, en particulier les aînés dans le soro.

À l'aube, c'est la dernière étape, le retour au village. Les mariés se rhabillent. Les parrains obligent la jeune femme à porter ou tenter de porter son mari sur le dos. Ensuite c'est au tour de l'homme d'en faire pareil. Tous deux arrivent au village et gagnent une case qui leur est réservée dans le domicile des parents du garçon. Sont autorisés à les y accompagner, leurs parrains et quelques intimes du mari (trois au maximum), un dernier rituel attend les conjoints.

À la jeune mariée, on remet une minuscule braise avec laquelle elle se doit d'allumer le foyer. Quant au mari, il se couche sur le dos et il lui est demandé de compter les branches tressées qui forment les cercles horizontaux reliant la charpente du toit à la case. Après cela, on soulève les jambes du mari, toujours étendu sur le dos, et on les dépose sur celles de son épouse à qui on enjoint de les masser et par la suite, de oindre de beurre tout le corps de son mari. On peut également lui demander d'apporter de l'eau à boire à son mari. Puis on les laisse seuls. Alors commence la vie commune du couple dont c'est souvent le premier contact intime.

En définitive, le soro est considéré comme une affaire d'hommes. Il commence au début du nycthémère97(*), qui coïncide aussi avec le jour peul98(*). La nuit étant la première partie du jour, le début de la nuit est doublement symbolique, en tant qu'il est le début du commencement ; mais aussi parce qu'il est placé sous le signe de la confusion, et tout se passe en effet dans le plus grand désordre, à la faveur de l'obscurité 99(*). Il consiste à initier les mariés aux vicissitudes de la vie de couple et à apprendre à se supporter mutuellement, ceci dans le strict respect des règles de vie peule (pulaaku). Il s'agit d'amener la femme à supporter l'épreuve de l'accouchement sans gémir, et à l'homme de supporter la circoncision. Le soro marque donc le passage d'une classe, celle des adolescents, des enfants, à la classe des hommes, des adultes, où on n'a plus le droit de se comporter comme un inconscient. C'est une leçon de vie qui est donnée aux jeunes époux, avec tout le sérieux qui sied au mariage, sans toutefois revêtir le caractère essentiellement ludique du hiirde.

5. Le hiirde

5.1 Définition

Littéralement, le mot sukaajo signifie indistinctement jeune ou serviteur selon le contexte d'emploi. Sukaaku ou jeunesse renvoie certes à une classe d'âge mais dans le fond, ce vocable renferme les attributs physiques et comportementaux permettant à un jeune homme de se distinguer, de faire la différence parmi ses pairs100(*). L'une des occasions idoines pour cela est le hiirde.

Le hiirde se définit comme une réjouissance en soirée pendant laquelle les hommes montrent leur habileté au langage et surtout font étalage de leurs biens. Le terme hiirde vient du verbe hiirgo, qui signifie passer la soirée en se divertissant. Ainsi, le hiirde se vit de trois manières possibles :

- Il peut désigner le fait de passer la soirée dans la rêverie solitaire, ou dans la causerie en groupe ;

- il peut aussi s'agir d'une manifestation de réjouissance collective organisée en soirée. D'après Saïbou N., cette manifestation peut se rapporter au mariage, au baptême, à l'intronisation du lamido...réunie très souvent par un lamido ou un homme fortuné, « elle est essentiellement une fête collective nocturne. » 101(*)

Ce jeu se déroule dans la nuit et ne l'excède pas. Si d'aventure le hiirde commence en journée sa durée ne dépasse pas la nuit attenante à cette journée-là. Il se déroule soit à l'air libre, à l'extérieur de la case de la personne qui a organisé le hiirde (hiirde-fijirde), soit à l'intérieur de la case. Le jeu regroupe plusieurs personnes du village, hommes, femmes (de préférence libres), et surtout des musiciens.

Une autre forme de hiirde se déroule dans la case (hiirde-Sukaaku) et regroupe un public mixte et jeune. L'entrée dans la case étant payante pour les hommes, il n'est donc pas ouvert à tous. Les femmes sont choisies en fonction de leurs avantages physiques. Ce dernier type est une compétition pour obtenir la faveur des femmes. Il peut aussi s'appeler le Sukaaku ou jeunesse. Il représente une épreuve que traverse l'homme pour conquérir une femme, ou inversement. Le jeu consiste à faire plus de dépense que l'autre et à se montrer maître de la parole plus que son rival.

5.2 Le hiirde et ses acteurs

Le hiirde est une sorte de compétition qui est censée mettre en exergue les habiletés linguistiques des participants et leurs richesses. Le but est de chercher à se distinguer les uns des autres, « entrent dans l'arène de jeu ; interpellent les musiciens, tiennent des propos dans un style recherché sur des sujets divers ; commandent à prix d'importants cadeaux (argent, vêtement, taureaux) leurs propres louanges, celles de leurs amis. »102(*) C'est cette volonté de se voir mettre en avant qui crée les rivalités entre personnes, pouvant aller jusqu'aux rivalités entre villages.

Les acteurs du hiirde sont donc des hommes, des femmes libres, et des musiciens (l'orchestre de Dummbo). Le chef d'orchestre, ardo, joue à la guitare moolooru. Mais, cet instrument de musique n'est pas figé. Le jeu peut aussi se pratiquer avec des poètes chanteurs, avec le wommbere, sorte de flûte que l'on associe aux tambourinements des calebasses retournées ; ou encore avec l'algayta, flûte que l'on associe aux tam-tams.

Les personnages les plus importants du hiirde sont les musiciens et les femmes. En effet, les musiciens galvanisent la foule par des chants mélodieux et poétiques, inspirés des expériences de la vie présente et passée des spectateurs. Ils excitent la foule et jettent les joueurs dans l'action : faire des cadeaux en tout genre et exprimer ses talents oratoires. Quant à la femme, elle a pour rôle d'être le centre d'intérêt des joueurs. Beaucoup d'hommes s'y lancent dans l'espoir de gagner les faveurs des femmes ou pour se faire une bonne image auprès d'elles. Parfois pour la femme, les hommes sont capables de se ruiner complètement. « La présence de la femme, l'idée que l'homme se fait d'elle, poussent le joueur au sacrifice, au dépassement de soi. »103(*)

Adji Temba fait état dans les années 1950 de quelques hiirde qui furent convoqués par le lamido, et qui se sont déroulés devant son palais. Il parle de véritables fêtes, dans le respect mutuel. Pendant une période où il n'existait pas de criminalité d'après lui.104(*)

La description que nous en fait Mohammadou Djaouro105(*) est plus illustrative. En effet, il rapporte que dans les hiirde que l'on organisait à Ngaoundéré, les jeunes se donnaient rendez-vous à un endroit. Ils devaient courtiser des femmes libres, selon le rituel que nous avons déjà décrit plus haut. Celui qui gagnait avait le droit de prendre ladite femme pour la nuit. Mais si des jeunes de deux quartiers se disputaient une femme, et que celle-ci avait une préférence pour l'un, le jeu pouvait se transformer en bagarre opposant, non plus les deux protagonistes, mais leurs quartiers respectifs. Ainsi, un autre rendez-vous nocturne était donné cette fois-là pour une bataille entre quartiers. Les parents en étaient souvent informés mais, les jeunes passaient outre les interdictions de sortir. Ces batailles pouvaient durer plusieurs nuits avec des rendez-vous différents et des endroits différents. C'est le lamido, assisté des dignitaires des quartiers qui y mettaient fin, soit par des amendes, soit par des bastonnades publiques, pendant lesquelles les différents "combattants" recevaient une série de coups de fouets. Malheureusement, ce jeu n'est plus pratiqué aujourd'hui.

5.3 La disparition du hiirde

Les raisons de la fin du hiirde sont essentiellement d'ordre politique. Saïbou Nassourou, pense qu'elle est due au climat de morosité qui s'est installé dans le pays tout entier, et dans le Grand-Nord en particulier, à la suite des évènements du 06 avril 1984, marquant le coup d'État manqué contre le président Paul Biya, et dont les Nordistes ont été tenus pour responsables106(*).

Si les activités du hiirde étaient déjà rares à ce moment-là, même l'écoute en privé des cassettes audio enregistrées à partir des jeux n'était plus pratiquée dans la peur des représailles policières. En effet, les chants des griots qui animaient le hiirde étaient faits de louanges en l'honneur des personnes physiques, parmi lesquelles figurait l'élite politique du Nord. Sans oublier que l'ancien président Ahidjo était justement de la région. À Ngaoundéré, nul ne peut véritablement situer la période de la disparition du hiirde, ni les raisons qui y ont présidé.

Ce jeu apparaissait donc comme une menace pour le nouveau pouvoir et comme l'expression d'une allégeance à l'ancien régime. Mais, ne pourrait-on voir dans le déclin du hiirde, quelques effets de la modernité ? En effet, les jeunes délaissent de plus en plus ces jeux traditionnels pour s'intéresser aux boîtes de nuit, aux bars... Par ailleurs, le départ de la scène politique des hommes qui avaient connu le hiirde, et l'arrivée de ceux qui en étaient insensibles a aussi contribué à la fin de ce jeu dont les participants les plus importants étaient les femmes libres, encore appelés les adjaba'en.

6. Les adjaba'en

Le commerce du sexe n'est pas un phénomène né à Ngaoundéré avec les migrations des nationaux dans cette ville, même s'il apparaît qu'il a pris de l'ampleur avec eux. Ketil Fred Hansen écrit: « Dr Passarge appears to have spent a good night, though. He and his followers were given plenty of food and fourteen young girls for the night »107(*)

Cela montre qu'en 1894 déjà, au moment de l'arrivée des premiers explorateurs Allemands, le plus vieux métier du monde était utilisé dans le lamidat de Ngaoundéré pour permettre la détente des étrangers ou des invités de marque. Sous la colonisation, des actes de prostitution sont relevés dans la cité et sont même reconnus et réglementés. En effet, chaque femme exerçant dans ce métier devait justifier d'un domicile fixe et être répertoriée dans le registre tenu par les autorités, avoir un carnet de santé et se présenter régulièrement aux contrôles médicaux108(*).

Froelich J.-C. parle d'une prostituée de race peule, tirant le principal de ses revenus de la vente de vin et de bière. Avec des clients diurnes et nocturnes, qui se rendent parfois chez elle. Ses clients payaient avec des étoffes ou parfois des billets de 1000 francs109(*). Il parle aussi de certaines, soumises à l'autorité d'un protecteur et à qui elles reversent leurs revenus110(*).

Il faut dire que cette prostitution est assez sournoise et nous amène à redéfinir le terme prostitution lui-même. En effet, les femmes dites libres (adjaba'en, pluriel de ajabaajo) sont courtisées par les hommes qui les prennent pour la nuit. Il ne s'agit pas d'un échange dans lequel la femme perd toute dignité. Ici, elle est prise avec respect et les cadeaux qu'elle reçoit sont souvent comparables à ceux que les hommes donnent à leurs femmes à la maison. Le problème des femmes libres se pose aussi avec la crise matrimoniale qui sévit dans la Grand-Nord en général et à Ngaoundéré en particulier.

Chez les musulmans de Ngaoundéré, le mariage est considéré comme un contrat liant des individus et non des groupes. I1 rend légale l'union d'un homme et d'une femme par le don d'un douaire111(*) appelé dewra ou garantie de mariage, versé à l'épouse par l'époux, et correspondant au sadaq du Coran. À la garantie de mariage proprement dite peuvent s'ajouter des versements complémentaires dont le rôle est beaucoup moins clairement défini. Mais, bien que le mariage foulbé ne concerne en principe que les individus, la famille joue encore un rôle très important dans le choix du conjoint. En effet, chez les Peuls du Grand-Nord du Cameroun comme chez les Arabes, la coutume de conclure le mariage des jeunes gens sans leur consentement a survécu à l'islamisation. Le premier mariage d'un jeune homme ou d'une jeune fille a donc longtemps été arrangé par les pères des futurs époux112(*). Nous insisterons sur le fait que seul le premier mariage est arrangé, parce que là est certainement la cause de l'instabilité matrimoniale chez les Foulbé et chez les autres musulmans de Ngaoundéré.

Le rôle très important de la famille lors des premières unions empêche les jeunes filles d'exprimer leur choix. De plus, elles sont contraintes au mariage dès la puberté, avant d'avoir assez de maturité pour assumer leur rôle. Enfin, alors même qu'elles sont considérées comme émancipées par un premier divorce et responsables d'elles-mêmes, les femmes sont contraintes à un remariage trop rapide pour qu'il leur soit possible de choisir véritablement leur conjoint. Le mariage ici n'a donc généralement au départ aucune base affective. I1 n'a pas non plus pour but la création d'une nouvelle cellule économique, puisque en théorie le mari pourvoit seul aux besoins du ménage113(*).

Notons que les bouleversements sociaux et économiques qui ont suivi 1'Indépendance sont venus renforcer la fragilité intrinsèque des unions foulbé : l'éclatement de plus en plus fréquent de la famille étendue et la perte de pouvoir des chefs de famille ont encore affaibli les valeurs morales sur lesquelles le mariage reposait. Ces bouleversements amènent les femmes à avoir d'autres ambitions que celle de rester cloîtrer dans un mariage qu'elles ne font que subir. Le mariage devient donc un "passeport vers la liberté". À peine est-elle mariée que la femme demande déjà le divorce. Si après un mariage raté, les parents n'ont plus grand-chose à dire à leur fille, c'est donc l'occasion de vivre cette liberté de l'adolescence dont elle a été privée par une union arrangée.

Les femmes libres sont néanmoins discriminées, puisque la société musulmane tient en haute estime le mariage. Elles ne sont pas respectées et sont malheureusement prêtes à tout pour avoir un homme. Tel est le cas de Hadidja, jeune femme musulmane Mandara, âgée de moins de 30 ans, tenancière d'un restaurant traditionnel dans le quartier Tongo Pastorale.

Hadidja vit à Ngaoundéré depuis 5 années. Arrivée dans la ville à la suite de l'expulsion de son mari du village. Elle s'en est séparée depuis deux ans car celui-ci passait plusieurs jours sans rentrer à la maison. Il serait devenu, à ce qu'elle nous en dit, un des plus grands fournisseurs de la ville en drogue, principalement le Tramol. Après ce mariage raté, elle ouvre un restaurant dans une maison qu'elle loue au quartier Tongo, afin de gagner sa vie. Pour elle, quelque soit l'homme qui se présenterait, elle serait partante si celui-ci peut subvenir à ses besoins. Il est remarquable de constater que très peu de personnes dans le quartier savent qu'elle n'est pas mariée. En effet, si tel était le cas dit-elle, elle ne serait pas respectée. Elle emploie 3 de ses soeurs, pour la cuisine et 2 garçons pour la plonge. Et toutes ces femmes ne veulent qu'une chose : se marier. À la question de savoir pourquoi elles insistent tant à se mettre en couple alors qu'elles ont déjà de quoi subvenir à leurs besoins, elles vous répondent que « c'est à l'homme de le faire, si nous étions mariées, nous n'aurions pas à faire ce type de travail » 114(*). Dans la tradition peule, « le mariage signifie ascension sociale pour la femme.»115(*) En effet, « l'image du mariage véhiculée par la langue peule, à travers le terme « bangal » est associé à une idée de grandeur, de hauteur, d'ascension. A ce stade, nous pouvons dire que le mariage est vécu, par les Peul, comme un mouvement vers le haut. »116(*) Elle est aujourd'hui une daada suudu, une femme à la tête des adjaba'en.

Dans son restaurant, elle travaille de 08h à 23h, et pendant les périodes de jeûne de Ramadan, c'est entre 18h et 23h qu'elle prend la première tranche de travail, et de 2h à 5h pour la deuxième tranche. Elle y vend des ignames, du couscous, du riz, de la bouillie et différentes sauces. Malgré tout, on peut remarquer quelques enfants qui jouent à même le sol dans la maison. Chacune des filles en a un et affirme que les hommes viennent, « disent "je t'aime" » et s'en vont sitôt qu'ils ont eu ce qu'ils voulaient. Ils ne veulent pas se marier. Toutes les nuits, il y en a un nouveau, plus amoureux que celui de la veille, mais jamais ne veulent s'engager.

Ce sont donc ces femmes qui sont considérées comme des prostituées sur le plan traditionnel. Mais prostituées qui, on peut le constater, le font dans le sombre espoir de trouver parmi leurs courtisans, non plus des clients, mais des maris. La situation du mariage aujourd'hui, marquée par les différentes influences étrangères amène les femmes à réviser leurs avis sur cette institution. La prostitution traditionnelle des adjaba'en est encore très pudique. Cette activité commencera à être pratiquée à ciel ouvert avec les premières populations sudistes. En effet, Les vagues migratoires qui s'accentuent dès les années 1950 et dont la plus grande illustration est la création du quartier Baladji, apportent de réels changements de moeurs. L'arrivée des populations du Sud-Cameroun démontrait la possibilité d'une promotion sociale, et leurs valeurs culturelles marqueront les consciences. Cela va conduire à un changement de mentalités. Ngaoundéré devient donc une ville qui vit entre tradition et modernité.

Photo 2 : Les trois employées du restaurant traditionnel de Hadidja et leurs enfants ;

(Elle-même a refusé de se faire prendre en photo, prétextant n'être pas présentable)

Cliché : Owona, le 22 août 2009.

III. LES CHANGEMENTS DE LA VIE DE NUIT : DE LA TRADITION À LA MODERNITÉ

Ces différentes activités connaissent un certain ralentissement sinon un déclin depuis 1952. En effet, avec les grandes vagues migratoires et les changements politiques au Cameroun, plusieurs changements interviennent et modifient la manière à laquelle la nuit se vivaient jusque là. Il est donc nécessaire, pour mieux comprendre ces mutations, de jeter un regard sur les différentes migrations qui ont émaillées l'histoire de cette ville, afin d'examiner les nouvelles activités et loisirs de la nuit.

5. L'arrivée des "immigrés" camerounais

* 91 Tuho C.V., Amian C. et Fadika M.-J., 2005, La veillée des saisons : une arme très efficace pour le combat spirituel, Fondation Jésus en Afrique, Abidjan/Côte d'Ivoire.

* 92 Entretien avec l'Abbé Karlo Prpic, le 13 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 93 Entretien tenu avec Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

* 94 Entretien tenu avec Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

* 95 Entretien tenu avec Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

* 96 Ces informations nous ont été fournies par Mme Kadidja Ousmanou au quartier Bali, en complément à l'article d'Abdoulaye Oumarou Dalil, "Le Soro ou rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré". Article en ligne.

* 97 Le nycthémère est une durée de 24h comportant un jour et une nuit. Il s'agit d'une unité physiologique de temps, comprenant pour la plupart des hommes et des animaux, une période de veille et une période de sommeil. (Le Petit Larousse Illustré 2007, p.743)

* 98Abdoulaye Oumarou Dalil, "Le soro ou rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré". Article en ligne.

* 99Dognin, R., 1975, "Sur trois ressorts du comportements peul", in Pastoralism in Tropical Africa ; cité par Oumarou Dalil, "Le soro ou rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré". Article en ligne.

* 100 Saïbou, Issa, 2006, "Les jeunes patrons du crime organisé et de la contestation politique aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad" ; International conference «Youth and the Global South : Religion, Politics and the Making of Youth in Africa, Asia and the Middle East» Dakar, Senegal, 13 - 15 october 2006. Mis en ligne sur www.youthconfissa.pdf et consulté le 24 août 2009.

* 101 Saïbou, Nassourou, 1994, "Les loisirs au village, le système de hiirde des Peuls", rapport préliminaire, p.4

* 102 Saïbou, Nassourou, 1994, p.4

* 103 Ibid., p.9

* 104 Entretien avec Adji Temba, tenu le 29 avril 2009 au quartier Ndelbe à Ngaoundéré.

* 105 Entretien avec Mohammadou Djaouro tenu le 20 août 2009 au quartier Tongo Pastorale, Ngaoundéré.

* 106 Saïbou, Nassourou, 1994, p.75

* 107 Hansen, K. F., 1999, "Space and power in Ngaoundere", in Pouvoir et savoir de l'Arctique au Tropiques, Éd. Holtedahl L, Njeuma M.Z., Gerrard S. et Boutrais J., Karthala, p.340

* 108 Njeuma M.Z., 1996, cité par Lamine M., 2004, p.68

* 109 Somme assez importante dans les années 1952, si on considère que d'après Froelich, 1954a, un boeuf coûtait 4000 f.

* 110 Froelich, J.-C., 1954a, "Ngaoundéré, la vie économique d'une cité peul", in Études Camerounaises, revue trimestrielle, mars-juin 1954, N°43-44, institut français d'Afrique Noire, Centre Cameroun, p.38

* 111 La douaire représente l'ensemble des biens assignés en usufruit par le mari à sa femme survivante (Le Petit Larousse Illustré 2007, p.378)

* 112 Quéchon, M., et Barbier, J.C., 1985, "L'instabilité matrimoniale chez les Foulbé du Diamaré", in Femmes du Cameroun. Mères pacifiques, femmes rebelles. Centre National des Lettres, France, pp. 299-312, Article en ligne.

* 113 Ibid., 1985.

* 114 Entretien avec Hadidja, tenu le 22 août 2009 à Ngaoundéré.

* 115 Djingui, 1993, p 192

* 116 Ibid., p191

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984