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L'expérience comme interprétation des faits dans la " théorie physique " de Pierre Duhem

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par Héritier Mbulu
Université catholique du Congo - Gradué en philosophie 2010
  

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I.1.2. Une conception métaphysicaliste

La plupart d'épistémologues ont qualifié de métaphysicaliste la conception de la théorie physique comme explication de la réalité, parce que la théorie physique et sa valeur dépendent de la métaphysique.

En effet, la théorie conçue comme explication est loin de nous fournir la réalité physique, car cette explication est fondée sur les apparences sensibles que l'on ne saurait dégager pour la saisie de cette réalité physique. Tout compte fait, Aristote pensait jadis que dans la science physique on recherchait la nature essentielle, même s'il s'agit d'étudier ce qui est principe d'animation, celui-ci est compris en rapport avec la matière sensible. C'est pourquoi, « (...) il appartient au physicien de spéculer sur cette sorte d'âme qui n'existe pas indépendamment de la matière »12(*). Nous le voyons, dans la théorie optique d'I. Newton qui, lorsqu'il parle de la dispersion de la lumière, se limite à détailler et à analyser les apparences sensibles que sont les éclairements, qui ne sont que des représentations abstraites et générales de certaines sensations. Cette théorie n'atteint pas la réalité puisqu'elle n'analyse que des apparences complexes en apparences plus simples. La question à laquelle on se propose de répondre est celle-ci : les théories physiques sont-elles des explications réelles sur la nature ? Et pourtant, une théorie est constituée d'un ensemble de propositions exprimant des éléments de la réalité matérielle et non un ensemble de nos perceptions et apparences sensibles.

Notre auteur préconise de passer à un examen des notions qui relient ces propositions pour déterminer si elles expriment soit les éléments de la réalité matérielle soit les caractères universels de nos perceptions.

Mais si nous voulons arriver à un tel examen, une condition de possibilité nous est posée : celle de savoir que, derrière toutes les apparences sensibles que nous fournissent nos perceptions, réside une réalité non perceptible par les sens ; cette réalité n'est pas l'objet de la méthode expérimentale. Les observations, dont use la physique, ne peuvent pas appréhender une telle réalité, car la physique ne peut pas toucher ce qui la transcende. Toutefois, une explication métaphysique pourrait atteindre ce point d'accord tant qu'elle cherche à appréhender la nature ou l'essence de la réalité matérielle. Ainsi, selon P. Duhem, nous ne connaîtrons en physique que ce que la science physique sera susceptible d'atteindre, et rien autre, car il n'y aura pas d'autre moyen de connaître dans le domaine qui est l'objet de la Physique.

Nous pensons que si la réalité non perceptible par les sens fait l'objet de la métaphysique, alors la théorie physique telle que conçue par l'opinion précédente comme une explication des lois expérimentales est subordonnée à la métaphysique. Plus exactement, la théorie physique dépend de la métaphysique, d'autant plus que l'explication que fournit cette théorie, comme nous venons de l'exposer, est une explication métaphysique qui cherche à donner une explication réaliste des faits. Ainsi, la physique qui puise ses théories des explications réalistes et hypothétiques reste bornée sur la métaphysique13(*).

En paraphrasant P. Duhem, nous pensons que tout comme la théorie physique est subordonnée à la métaphysique, elle dépendra du système métaphysique qu'on adopte pour l'édifier, quant à l'appréciation de sa valeur et de son statut. Certainement, une théorie se fondera sur les principes métaphysiques de telle ou telle doctrine qui la sous-tend.

Nous pouvons faire appel à la théorie des actions que l'aimant exerce sur le fer. Cette conception livrera une explication réaliste des phénomènes partant de l'idée selon laquelle, dans ce morceau de fer, il y a une permanence magnétique dans sa matière et, sa forme sera sujette à des altérations diverses que pourra subir le fer ; parce que toute substance, selon Aristote, est constituée de deux éléments : la matière et la forme. Ces deux éléments font l'objet de son hylémorphisme14(*). C'est ainsi que, montrer la permanence de la matière dans la substance « fer », d'une part, et les altérations et changements de la forme d'autre part, suffit pour un péripatéticien de donner une explication complète de l'aimantation. C'est le cas de la théorie du magnétisme de N. Cabeo15(*) en 1629.

Au contraire, cette théorie sera tenue pour erronée selon le système métaphysique adopté par I. Newton, puisque R.-J. Boschovich, dans sa Philosophie naturelle basée sur les principes newtoniens, n'établit pas une distinction entre matière et forme dans la substance matérielle. Cette dernière est plutôt composée d'un nombre immense de points doués de masse qui interagissent entre eux. Et pourtant, les atomistes, quant à eux, conçoivent la matière comme l'ensemble des atomes ; l'atome étant considéré comme la plus petite partie indivisible d'un corps. Par ailleurs, les cartésiens tiendront pour substance matérielle l'étendue et la quantité, puisque pour R. Descartes, la nature de la matière n'est pas dans sa dureté ni dans sa pesanteur ou sa chaleur, c'est plutôt « l'étendue en longueur, largeur et profondeur (...) que les géomètres nomment quantité »16(*).

De la même manière, les oppositions entre différents systèmes métaphysiques se créent partant de la façon de concevoir la théorie magnétique des corps. Ces oppositions vont des péripatéticiens aux newtoniens et aux atomistes, en culminant aux cartésiens. Néanmoins, notre auteur nous dira plus tard que le système théorique ne doit pas avoir « (...) pour objet de fournir une explication, mais une représentation et une classification naturelle d'un ensemble de lois expérimentales »17(*).

Il est vrai que la théorie des phénomènes magnétiques n'a pas la même considération dans chacun des systèmes métaphysiques précités. Car chaque système conçoit la matière différemment des autres, de telle sorte que les explications accordées à l'aimantation s'opposent et ne trouvent point de consentement universel. Mais si la théorie physique a pour but de nous fournir des lois qui soient universellement agréées, alors nous pouvons nous poser une question fondamentale : peut-il y avoir un système métaphysique qui trouverait le consentement universel ? Dès l'instant où les systèmes métaphysiques ne sont pas d'accord entre eux, nous sommes tenté de dire comme P. Duhem : « il est clair qu'en mettant la physique théorique sous la dépendance de la métaphysique, on ne contribue point à lui assurer le bénéfice du consentement universel »18(*). Car, aucun système métaphysique n'est disposé à ce consentement.

De ce fait, exactement comme nous l'avons montré ci-haut, chaque école métaphysique se donne sa propre conception de la matière. De celle-ci découlent les principes ou les fondements des théories physiques. Au même moment, ces écoles rivalisent en ce qui concerne les explications apportées par chacune d'elles : disant que ces explications sont des inexpliquées.

Certainement, nous pensons qu'il reste impossible de fonder ou de construire une théorie physique sur les conclusions d'un système métaphysique, du fait que ce dernier recourt à des notions parfois inexplicables par les propositions du même système. Souvent, comme le souligne notre auteur, les partisans d'un système ne sont pas à même de fournir des explications de ce qu'ils défendent, en retombant à chaque instant à l'inexpliqué qu'ils considèrent comme structure réelle de la réalité. D'ailleurs, G. Berthoud, dans son ouvrage Les nouvelles conceptions de la matière et de l'atome, affirme ce qui suit : « Les théories nous fournissent des images des phénomènes ou permettent de concevoir entre eux des rapports qui n'apparaissent pas à première vue. Mais aucune n'en donne une véritable explication et n'en fait connaître la nature, qui nous échappe et nous sera vraisemblablement toujours inaccessible »19(*). Nous pensons, avec P. Duhem, qu'à vouloir insister sur le fait d'expliquer la réalité, la théorie physique conçue comme une explication s'enferme dans un réductionnisme où l'inexpliqué est réduit à la thèse préférée des explications connues.

Ainsi donc, il convient de signifier que, pour qu'une théorie physique atteigne son but, il faudrait au préalable écarter toutes les considérations métaphysiques en son sein, parce que « la théorie ne prétend pas énoncer la nature ni même la structure réelle dont l'effet réel serait l'ensemble des phénomènes observés ; elle est un point de départ logique d'où des lois expérimentales peuvent être déduites »20(*). De la sorte, nous nous sentons dans la nécessité de montrer la véritable nature de la théorie physique. Celle-ci étant, pour P. Duhem, une représentation de la réalité, puisque la physique moderne n'a plus l'ambition d'atteindre l'essence des choses ; ses théories ne prétendent pas être immédiatement des explications réelles.

* 12 ARISTOTE, Métaphysique, Paris, 1933, p. 226.

* 13 Cf. P. DUHEM, o. c., p. 8.

* 14 L'hylémorphisme est une doctrine aristotélico-scolastique d'après laquelle les êtres corporels résultent de deux principes distincts et complémentaires : la matière, principe indéterminé dont les choses sont faites ; la forme, principe déterminant qui fait qu'une chose est ceci et non cela. (Cf. P. FOULQUIE, Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, 1968, p. 327).

* 15 Cf. P. DUHEM, o. c., p. 10.

* 16 R. DESCARTES, Principia philosophiae, cité par P. DUHEM, o. c., p. 169.

* 17 P. DUHEM, o. c., p. 157.

* 18 Ib., p. 17.

* 19 G. BERTHOUD, Les nouvelles conceptions de la matière et de l'atome, Paris, 1923, p. 252.

* 20 F. RENOIRTE, Eléments de critique des sciences et de cosmologie, Louvain, 1947, p. 159.

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