Une nécessaire symbiose banques-FinTech ?
La grande question qui se pose en ce moment pour les
professionnels de la finance est de savoir s'ils doivent ignorer,
acquérir, mettre en place un partenariat ou concurrencer les nouveaux
entrants technologiques, et plus particulièrement la FinTech.
D'après l'étude menée par The Economist Intelligence Unit,
plus de 25 milliards de dollars ont été investis dans la FinTech
durant les 5 dernières années et actuellement environ 4000
entreprises concurrencent les banques dans chacun de leurs produits ou
services. Comme l'a dit Jamie Dimon, PDG de J.P Morgan à ses
actionnaires à propos des FinTech : "They all want to eat our lunch.
Every single one of them is going to try". L'étude menée par The
Economist permet de mettre en perspective ce que pense chaque acteur à
propos de l'impact potentiel de la FinTech, les forces et les faiblesses de ces
dernières.
Les FinTech vues par les banques
D'après un sondage réalisé auprès
d'une centaine de Senior Bankers et de managers dans la FinTech, les banquiers
reconnaissent que la FinTech aura un impact non négligeable sur le
paysage des services bancaires futurs. Plus encore, le tiers des personnes
interrogées considèrent que la FinTech aura une part de
marché égale voire supérieure à celle
détenue par les banques dans le futur. (Voir Figure 9).
Cependant, bien que les banques soient toutes
concernées par ce défi, elles ne semblent pas en mesure de le
relever. En effet, une majorité de banquiers (54%) estiment que les
banques vont ignorer le challenge induit par la FinTech ou ne
La FinTech 40
prendront pas d'initiatives concrètes (Figure 10). Le
pourcentage est encore plus élevé parmi les managers de FinTech
(59%).
Figure 9 : Les challenges de la FinTech vue par les
banques

Figure 10 : La réponse des banques face au challenge de
la FinTech

Mais alors, qu'est ce qui retient les banques de prendre de
réelles initiatives contre la FinTech ? Quels sont les facteurs qui les
en empêchent ? Selon elles, les principales barrières sont : la
manque de vision stratégique dans le digital, une culture
inadaptée à un rapide changement et une incapacité
à attirer des talents technologiques. En effet, selon un banquier c'est
un cercle vicieux puisque sans talent, elle ne deviendra pas agile. La banque
est culturellement averse au risque et n'attire
La FinTech 41
donc pas les réels talents d'aujourd'hui. Un autre
facteur important est le manque de flexibilité de la part des banques de
par notamment la lourde réglementation qui pèse sur le secteur,
et les systèmes complexes sur lesquels les banques se basent. La
régulation est une épée à double tranchant. En
effet, 56% des banquiers interrogés pensent que la régulation
protège l'activité traditionnelle des banques mais 62% admettent
également que la réglementation va limiter le champ d'action des
banques contre la FinTech. (Voir Figure 11).
Cependant, les banques ne doivent pas être sous
estimés puisqu'elles possèdent également plusieurs forces
dans leur lutte contre la FinTech. En effet, la plus grande force des banques
est leur réputation, la confiance et la stabilité qu'elles
véhiculent auprès des consommateurs. Pour preuve, aucune banque
de détail n'a fait faillite suite à la crise de 2008. De plus,
les banques détiennent une base de données conséquente sur
les clients et déjà existante. Plus encore, les banques ont une
longue et dure expérience dans le domaine de la gestion des risques et
du respect des normes. Elles ont par conséquent une attitude plus
prudente et sont vues donc comme des institutions sures. Enfin, Les banques
disposent d'un capital important leur permettant de faire des acquisitions ou
de lancer de la R&D. (Voir Figure 12).
Figure 11 : Faiblesses des banques face au challenge de la
FinTech

Figure 12 : Forces des banques face au challenge de la
FinTech

Les FinTech vues par les FinTech
Le plus surprenant dans ce sondage c'est qu'il ressort que les
FinTech semblent considérer plus les banques que les banques ne se
considèrent elles-mêmes. Le sondage a été
effectué auprès de managers de FinTech et ils sont deux fois plus
nombreux à penser que les banques continueront à dominer le
marché dans le futur (46% contre 20%). Les FinTech envisagent plus une
coopération et une mise en commun des compétences des banques et
des FinTech. (Voir Figure 13).
Pour le moment, l'avantage des FinTech est qu'elles ne sont
pas soumises à une forte pression réglementaire comme c'est le
cas des banques, mais cet avantage n'est que temporaire. Conscientes de cet
enjeu, elles savent que pour pouvoir concurrencer les banques elles vont devoir
déployer d'importants moyens en gestion du risque et en
La FinTech 42
La FinTech 43
conformité. Récemment, Renaud Laplanche,
fondateur et dirigeant de Lending Club, a été remercié
après avoir effectué une transaction qui ne respectait pas la
compliance, et l'image de la FinTech en a fortement pâti. De plus, les
FinTech seront toujours confrontés à un manque d'investissement
en capital. Les Business Model des FinTech sont consommateurs de cash, et pour
qu'ils soient viables, ils nécessitent d'attirer plusieurs millions de
clients en un temps limité, ce qui expliquent pourquoi elles ont du mal
à trouver des financements en capital. Une des solutions serait
d'envisager une coopération main dans la main des banques et FinTech. Un
autre problème important pour les FinTech est de gagner la confiance de
la population puisque ces dernières apparaissent comme moins sûres
que les banques qui ont su résister même à la crise de
2008. (Voir Figure 14).
Selon les sondés, la force des FinTech est leur
capacité à se concentrer sur un nombre limité de produits
et de services, une réglementation plus accommodante, leur
agilité et flexibilité, ainsi que la transparence. (Voir Figure
15).
Figure 13 : Vision des FinTech sur la compétition entre
ces derniers et les banques

La FinTech 44
Figure 14 : Faiblesses des FinTech selon les FinTech

Figure 15 : Forces des FinTech selon les FinTech

Pourquoi les banques ont-elles besoin des FinTech ?
Comme nous l'avons énoncé
précédemment, l'une des principales forces des FinTech est
qu'elles se concentrent sur un produit ou service et que leur business
La FinTech 45
model est fait «sur-mesure « pour ce type de biens
ou service. Ainsi, la disruption sera constituée par la somme des
pressions concurrentes produit par produit, et service par service. The
Economist a donc demandé aux managers de FinTech leur vision de la
concurrence pour les principaux produits et services bancaires dans 5 ans.
(Voir Figure 16). Il en sort que les banques resteront leaders sur l'ensemble
des produits et services. Bien que les FinTech ne domineront pas selon les
sondés, elles s'accapareront néanmoins une part de marché
non négligeable sur leur produit respectif.
Figure 16 : Vision des FinTech quant à la
compétition sur les différents produits et services

Le danger pour les banques provient donc du fait que chaque
FinTech récupère une part de marché sur un service
particulier, et que les banques ne se retrouvent plus qu'à
réaliser les fonctions de back-office moins
rémunératrices. Ainsi, un moyen pour les banques de s'y
prémunir est d'acquérir des FinTech et ainsi
bénéficier des forces spécifiques à ces
dernières, c'est-à-dire, leur flexibilité, leur culture
entrepreneuriale et
La FinTech 46
leur moindre aversion au risque, leur technologie
adaptée au produit ou service en question, leur capacité à
innover, etc. Ces forces sont à la fois reconnues par les FinTech et par
les banques qui les concurrencent.
Pourquoi les FinTech ont-elles également besoin des
banques ?
Les FinTech sont bien conscientes des challenges auxquels
elles devront faire face dans le marché du détail. Le premier est
de survivre. Il existe aujourd'hui un nombre phénoménal de
FinTech, plusieurs dizaines voir des centaines sur le même produit ou
service. Il n'est pas étonnant de se dire qu'une très grande
partie des FinTech est amenée à disparaître et seul
quelques unes survivront. Les FinTech auront donc besoin de toutes les
ressources possibles pour survivre dans ce marché déjà
saturé.
Le deuxième challenge est d'atteindre la taille
optimale, car les FinTech ont effectivement besoin d'attirer un très
grand nombre de consommateurs pour être rentable. Un budget important en
marketing pour se faire connaître et attirer la confiance des
consommateurs semble plus que nécessaire.
Le troisième défi, lié au
deuxième, auquel les FinTech sont confrontées est le temps. La
compétition est ardue et le gagnant dans cette bataille, sera le plus
rapide à réussir à s'installer et se constituer une base
de clients conséquente.
Enfin, lorsque le succès d'une FinTech sera
avéré, le dernier challenge pour cette dernière sera de
passer d'une start-up à une réelle institution financière.
Cela implique d'être soumis aux réglementations du secteur,
être suffisamment compétent en termes de gestion des risques, et
protéger les données des consommateurs.
Notre lecteur comprendra donc que le meilleur moyen pour les
FinTech de faire face à tous ces challenges, est de s'allier avec une
banque qui lui permettra de
La FinTech 47
bénéficier de toutes les ressources et
compétences nécessaires à surpasser ces obstacles.
La symbiose FinTech - banques
L'intérêt est donc mutuel pour les banques et les
FinTech. Les banques ont une base de clients considérable lorsque les
FinTech en recherchent activement. Les FinTech disposent d'une capacité
d'innovation et d'une agilité quand les banques sont
pénalisées par la rigidité de leur structure. Les FinTech
disposent d'une capacité d'innovation et des solutions technologiques
adaptées à un produit ou un service qui peuvent rendre les
banques plus performantes et plus proche des préoccupations quotidiennes
des clients. Les FinTech pourraient donc être un nouveau canal pour les
banques leur permettant délivrer de la valeur rapidement au client. Les
FinTech sont des intermédiaires qui diffusent le risque au
marché, et ne le supportent pas.
Il apparaît donc que les banques et les FinTech ont plus
d'intérêts complémentaires que de sujets concurrentiels.
(Voir Figure 17)
Figure 17 : Les forces des banques versus les faiblesses des
FinTech

La FinTech 48
L'intégration FinTech - banques
L'enjeu de la «FinTegration» selon le PDG d'ACI
Worldwide Phil Heasley est de conserver ce qui fait la
spécificité des FinTech, à savoir leur agilité,
leur flexibilité et leur capacité d'innovation, tout en
réussissant le mariage avec le contrôle proposé par la
banque. Voici quelques conseils donnés par Phil Heasley
énoncés par ordre de priorité : (Voir Figure 18)
-Mettre l'IT au sein des due diligence et du planning de
l'intégration : il faut arriver deÌs les prémices à
combiner convenablement les deux technologies.
-Conserver l'agilité de la FinTech : propre leadership,
rémunération, règles, et localisation.
-Intégrer les nécessités liées
à la régulation et la compliance. -Sécurisation des
données.
-Intégration de la donnée.
-Intégration des deux infrastructures (mêmes
logiciels, etc).
En résumé, il faut arriver à conserver
les deux cultures, mais fusionner la technologie back-office.
Figure 18 : Les forces des FinTech versus les faiblesses des
banques

La FinTech 49
Comment les banques peuvent-elles faire face à ces
nouveaux challenges ?
Nous avons exposé dans notre première partie les
résultats du sondage mené par Accenture mettant en
évidence le détachement des clients actuels de leurs banques
traditionnels et la confiance croissante qu'ils accordent aux acteurs non
traditionnels comme les entreprises technologiques et informatiques, ainsi que
les nouveaux entrants comme les FinTech.
Dans cette partie, nous exposons les recommandations qui ont
été faites à ces acteurs traditionnels pour faire face
à ces challenges.
La première recommandation faite par le cabinet est de
devenir réellement un acteur multicanal. De récentes recherches
montrent que l'agence reste le principal moyen de communication avec le client:
plus de 60% des produits bancaires sont vendus par le biais des agences
physiques. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'une clientèle
au besoin complexe comme c'est le cas des 30-34 ans, cherchant pour la plupart
d'entre eux à financer un achat immobilier. Cependant, se
déplacer en agence physique n'est pas aussi naturel pour les segments de
clientèle plus jeune, qui ne cessent de croître, et qui sont plus
confortables avec les moyens de communication digitaux. Ces derniers
désirent plutôt avoir une banque innovante et agile,
équipée des technologies digitales adaptées pour rester
connectée quotidiennement avec ses clients. Il est donc important pour
les banques traditionnels d'être multicanal, c'est-à-dire de
communiquer avec ses clients tant par le biais des agences physiques que par
les nouveaux moyens de communication.
La deuxième recommandation faite par Accenture aux
banques traditionnelles est d'étendre leur écosystème en
offrant une gamme plus large de services pour ses clients. Les banques qui
parviennent à devenir réellement multicanal comme expliqué
précédemment, ont également la capacité à
devenir ce qu'Accenture appelle une «Banque Quotidienne» (en Anglais
«Everyday Bank»). Cette dernière, en plus de répondre
aux besoins financiers classiques des clients, est capable d'apporter des
La FinTech 50
services complémentaires comme un conseil dans l'achat
d'une voiture. Une «Everyday Bank» est capable de construire un
écosystème digital incluant des fournisseurs partenaires et
d'autres acteurs clés dans des domaines comme l'ameublement, la
santé, le travail ou encore le loisir. La banque adapte son offre dans
ces domaines en fonction de l'analyse des données des opérations
effectuées par son client, et présente cette offre à
travers sa présence multicanal, parallèlement à un conseil
pré-vente, des propositions de réductions, un support
après-vente, etc.
Un sondage réalisé par Accenture montre qu'aux
Etats-Unis, 40% des sondés seraient intéressés par une
banque capable d'apporter des recommandations, une assistance ou une
réduction quant à l'achat d'un modèle de voiture qui
répondrait à leurs besoins et leurs attentes. Ce taux est encore
plus élevé parmi les plus jeunes (55%). De même, 42% des
sondés seraient intéressés par des services quant à
l'achat d'un bien immobilier en plus de fournir un crédit. (Figure 7)
Figure 7 : Pourcentage des Américains
intéressés par des services complémentaires quant à
l'achat d'une voiture ou un bien immobilier

La troisième et dernière recommandation
apportée par Accenture est de proposer des conseils personnalisés
et sur-mesure par rapport au profil du client, et non pas par rapport à
sa catégorie professionnelle ou à son âge, à travers
les outils digitaux afin de mieux gérer leurs besoins financiers. En
effet, d'après les sondages réalisés par
le cabinet, les consommateurs sont très
intéressés par les biens et services proposés par leur
banque leur permettant d'économiser de l'argent (82%). Et une forte
majorité (72%) déclare qu'une telle offre augmenterait leur
fidélité auprès de leur banque. De plus, les outils et
conseils peuvent aider les consommateurs à changer leur perception de
leurs besoins financiers : d'une gestion financière quotidienne à
des problématiques de gestion de fortune et un besoin d'épargne
sur le long terme. Ainsi, fournir des conseils personnalisés permettrait
aux banques de se placer au coeur des besoins du consommateur. La banque ne
doit plus être guidé par la transaction mais plus par le
désir de conseil. 50% des sondés pensent que les banques
devraient fournir des outils et services permettant d'aider les consommateurs
à former et gérer un budget. Parmi eux, 73% estiment que cela
augmenterait leur fidélité auprès de leur banque. Plus
encore, les consommateurs affirment également vouloir que leur banque
les aide à simplifier leur vie financière. En effet, 74% des
sondés indiquent que les banques devraient fournir des outils permettant
de simplifier leur vie, en automatisant par exemple des processus
budgétaires. Les banques disposent de données
détaillées sur leurs clients, elles se doivent de les exploiter
dans une logique de big data tout en respectant une procédure
éthique, pour proposer à ces derniers des services
réellement personnalisés. D'autres services ou outils seraient
bienvenus :
? 46% déclarent que leur banque devrait analyser de
manière pro-active leurs dépenses et fournir un retour sur ces
dernières.
? 48% sont intéressés par une analyse en temps
réel des dépenses et un conseil sur les dépenses
maximales
? 52% souhaitent que leur banque leur recommande des produits
ou services qu'ils auraient besoin tout en prenant en compte ce qu'ils
détiennent déjà.
Quelques soient les interrogations, le taux est toujours plus
élevé parmi les plus jeunes (Figure 8).
La FinTech 51
Figure 8 : Le désir de conseils pro-actifs des
clients

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Ce qui ressort de cette étude, c'est que les banques
peuvent à la fois booster la fidélité des clients et leurs
revenues en apportant des conseils financiers personnalisés, en restant
constamment au coeur des préoccupations des clients. Cela est d'autant
plus vrai que la clientèle est jeune. Plus d'un client sur quatre
indique qu'il paierait des frais supplémentaires pour
bénéficier d'un tel accompagnement de la part de leur banque.
Pour ce faire, les banques doivent repenser leur business model et replacer le
client au coeur de leur offre de services.
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