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La liberté du sujet éthique chez Kant et Fichte

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par Christophe Premat
Université Paris I - DEA d'Histoire de la Philosophie 2000
  

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DEUXIÈME PARTIE :

Exigence d'un ordre juridico-politique stable permettant l'organisation des libertés.

Chapitre 3 : Caractéristiques de l'état de nature juridico-politique

1) La garantie d'une sphère de liberté individuelle chez Kant.

L'éducation s'était présentée ainsi comme le terrain qui donnait une place et un sens au concept d'anthropologie pratique, parce qu'en formant son caractère, l'homme s'est peu à peu rendu apte à la vie en communauté. La tâche de l'éducation était d'explorer les moyens d'une médiation entre les mobiles naturels et la pure intentionnalité morale. Il s'agit maintenant de réaliser la coexistence des libertés au sein d'une société civile, sachant que cette société doit garantir la liberté de l'individu pour ne pas devenir caduque. On passe de l'éducation, qui a préparé l'homme à ces nouveaux défis, à l'organisation efficace des droits, normée par l'Idée de la liberté. La réalisation de la liberté des individus dans l'histoire n'est pas spontanée, elle nécessite le recours à des médiations juridico-civiles : la société est alors l'instrument privilégié de la rectification des moeurs et de l'union des individus. Elle est le moyen par lequel la nature les force à sortir de l'isolement et à entamer une civilisation progressive. L'état civil est la fin dernière de la nature qui contraint les hommes à se civiliser ; cette contrainte unificatrice est nécessaire et montre la naissance de tout État dans la force. Cette forme primitive de l'unité humaine est politique, l'exercice de la contrainte précédent inévitablement la fondation juridique d'une autorité qui puisse être librement acceptée. Les hommes doivent se trouver sous une contrainte réciproque afin que la liberté de l'un limite celle de l'autre, et ce jusqu'à atteindre la plus grande liberté générale selon l'image des arbres dans la forêt : "un arbre isolé dans la campagne pousse de travers, il étend largement ses branches; en revanche, un arbre qui se dresse en pleine forêt pousse droit parce que les arbres voisins lui résistent."59(*) Cette image est intéressante parce qu'elle signifie que la friction des égoïsmes équivaut à un redressement réciproque des courbures naturelles des individus, au moyen de la légalisation forcée.

La liberté s'entend alors en deux sens : ou bien elle désigne ce qui est permis, ou bien elle renvoie à ce qui est obligatoire. Le premier sens renvoie à l'autodétermination individuelle, le deuxième sens à l'autonomie, à savoir l'autodétermination collective. Le contrat originaire, à la base de l'état civil, montre que le deuxième sens est le plus conforme à l'Idée de liberté, car la liberté ne se réalise pas dans un bonheur égoïste, elle advient au contraire suivant le droit. Or, les droits de l'individu se comprennent suivant trois concepts-clés, dont le premier est celui d'impératif qui est "une règle pratique, par laquelle une action en elle-même contingente est rendue nécessaire."60(*) Dire que les devoirs juridiques, comme les devoirs moraux, obéissent à l'impératif catégorique de la raison, c'est dire qu'ils répondent à une règle pratique dont la représentation rend nécessaire une action qui, par elle-même, ne serait que subjective et contingente. Devoir de droit et devoir moral sont donc de l'ordre du Sollen. Le deuxième concept est justement celui de devoir défini comme "l'action à laquelle chacun est obligé."61(*) L'obligation renferme une nécessité pratique rationnelle et, en même temps englobe une contrainte par laquelle l'idée de devoir est un mobile de l'action. Le devoir arrache l'individu à l'existence empirique ; il est la loi par laquelle la moralité signifie que l'homme n'atteint sa vérité d'homme qu'en s'ouvrant à l'intelligible dont il participe. Ainsi, tout devoir -devoir de droit ou devoir de vertu- est un pas accompli vers la liberté. C'est le troisième concept préliminaire de la métaphysique des moeurs qui exprime au mieux la normativité des droits de l'individu, ce concept étant celui d'imputation. "Un fait (Tat) est une action, pour autant qu'elle est considérée sous les lois de l'obligation, par conséquent pour autant que le sujet en celle-ci est considéré au point de vue de la liberté de son arbitre."62(*) L'imputation désigne précisément le rapport qui lie l'action à l'agent, dans la mesure où l'agent est responsable autant de l'acte, que des conséquences engendrés par cet acte. Kelsen a fait une distinction entre causalité et imputation qui permet de préciser les contours de ce concept : "l'imputation est établie par un acte de volonté, dont une norme est la signification, tandis que la causalité (c'est-à-dire la relation entre une cause et un effet, décrite par une loi naturelle) est indépendante d'une telle intervention."63(*) C'est la norme qui lie l'action à celui qui en est responsable, l'acte de volonté signifiant l'acte par lequel la norme est posée, l'acte posant la norme. En ce qui concerne la liberté individuelle, il faut parler de normes individuelles au sens où Kelsen les définit : "Une norme a un caractère individuel si elle pose comme obligatoire un comportement déterminé pour un individu dans une circonstance particulière et unique."64(*) Le fait de normer le comportement de l'individu, fait que celui-ci est réellement traité comme une personne morale et non plus comme une simple chose.

La légalisation forcée ne peut cependant pas s'imposer immédiatement en réprimant toute liberté individuelle car alors elle serait vouée à l'échec. C'est par une philosophie de l'éducation qu'un accord entre légalité et moralité est possible, mais d'un accord qui soit capable de promouvoir une conception de la légalité qui ne soit pas dépourvue de toute valeur pratique. C'est dans la civilisation que peut se cultiver cette conception de la légalité, la civilisation devant s'offrir comme le moyen de son propre dépassement. En effet, la destination de l'humanité n'est pas la civilisation mais la moralisation et c'est la culture qui désigne clairement le besoin d'un passage à la moralisation.

On remarque une divergence profonde dans la présentation du rôle de la culture, dans la Critique de la raison pure et dans Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. Alors que dans le premier ouvrage, Kant soutient que les habitudes de dissimulation dans les manières ont "non seulement civilisé" les hommes, "mais [les] ont encore moralisés dans une certaine mesure"65(*), on constate dans le second ouvrage qu'il met en concurrence les termes de civilisation et de moralisation, parce qu'il écrit que "nous sommes hautement cultivés dans le domaine de l'art et de la science. Nous sommes civilisés au point d'en être accablés, pour ce qui est de l'urbanité et des bienséances sociales de tout ordre. Mais, quant à nous considérer comme déjà moralisés, il s'en faut encore de beaucoup."66(*) La civilisation est un procès qui affine l'individu mais ne le rend cependant pas moral. Elle constitue une amélioration ou un perfectionnement légal, qui doit être normé par un progrès moral qui sert de fil directeur d'une continuité historique. Ce n'est plus l'individu qui doit se créer un caractère, comme c'était le cas dans l'éducation, mais c'est l'humanité elle-même qui doit se forger un caractère dans la civilisation. La civilisation est donc bien le passage obligé de l'espérance de moralisation. Elle est un mouvement culturel qui ne s'arrête pas, et qui se dirige progressivement vers une moralisation. Le caractère de l'espèce se manifeste dans l'éclosion des talents individuels qui se complètent. La culture a une double fonction, d'une part dans la formation d'un caractère de l'individu dans l'éducation, et d'autre part dans la transformation de l'égoïsme en talent au niveau de l'espèce.

Le dispositif étatique a pour but d'assurer par un minimum de contrainte la coexistence extérieure des libertés individuelles, il doit veiller à ce que les droits de chaque individu soient respectés. Il a une fonction technique car l'état civil kantien n'a pas de fins à prescrire aux individus, sa fin propre étant d'abord de permettre que chaque individu puisse atteindre ses buts. Il n'a pas à établir ce que doivent faire les individus, mais il doit garantir une sphère de liberté permettant à chacun de suivre les fins qu'il se propose selon ses talents et ses mérites. L' État se fait pour l'homme libre, il sert ses intérêts à condition que celui-ci respecte la liberté des autres. L'organisation de l'appareil juridique permet d'instaurer un système de normes que chacun doit vouloir suivre pour assurer sa liberté de mouvement en consentant à sa limitation par celle d'autrui. À son propre niveau d'objectivité, le rapport juridique fait du consentement à sa normativité une obligation qui sanctionne la contrainte. La réciprocité entre droit et devoir se traduit par la soumission nécessaire à la contrainte que chacun peut simultanément exiger. La contrainte a alors une fonction structurelle, puisqu'elle restaure comme force juste la liberté menacée d'être niée.

L'État n'a pas seulement une fonction technique, il a aussi une dimension éthico-politique en ce qu'il éduque la violence des individus qui vient de l'insociable sociabilité, il réprime les penchants égocentriques en exploitant leur vitalité contradictoire. Le dispositif juridico-étatique est comme le schème technique d'une législation pratique, dont la représentation d'une volonté universellement valable constitue la norme fondatrice de l'exigibilité des règles. Il est nécessaire ici de rappeler la séparation rigoureuse entre le droit et la morale, la contrainte relevant de la sphère du droit. "Le droit et la faculté de contraindre sont une seule et même chose."67(*) La sphère du droit est celle de la légalité distinguée de la moralité. Cette dernière désigne une législation intérieure alors que la première se réfère à une législation extérieure. Kant précise que "la législation intérieure fait de tous les autres devoirs des devoirs indirectement éthiques."68(*) La coordination des libertés extérieures se fait sous l'égide d'une Idée de la liberté qui est régulatrice et qui trace la destination de l'humanité. Le droit révèle alors sa force pratique : il est à la fois forme de réalisation des dispositions technico-pragmatiques et moment de la raison pratique, impératif que l'espèce humaine se donne à elle-même de se constituer à la fois en fin de la nature et fin en soi. Le dispositif juridico-étatique ne peut donc pas être une simple coercition empirique et politique, il lui faut une valeur éthique dans son rattachement à des fins morales. La morale doit être voulue comme une fin, mais non utilisée comme une cause empirique ou politique.

* 59 KANT, Propos de pédagogie, Ak.IX, 448, p.1156 (t.III).

* 60 KANT, Doctrine du Droit, Trad. A.PHILONENKO, éditions VRIN, Paris, 1971, p.96.

* 61 Op.cit, p.97.

* 62 Ibid., p.98.

* 63 Hans KELSEN, Théorie générale des normes, Trad. Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI, éditions PUF, Paris, 1996, p.32.

* 64 Ibid., p.9.

* 65 KANT, Critique de la raison pure, Ak.III, 489, p.512.

* 66 KANT, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, prop.7, Ak.VIII, 26, p.72.

* 67 KANT, Doctrine du droit, Introduction E, Ak.VI, 232, p.106.

* 68 KANT, Métaphysique des moeurs, Introduction III, Ak.VI, 221, p.95.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci