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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

Disponible en mode multipage

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Mémoire de licence présenté

à la Faculté des Lettres de l'Université de Fribourg

La mort

au singulier pluriel

L'assistance médicale au décès

en Suisse

réalisé

sous la direction du Prof. Dr. M.-H. Soulet

Département Travail Social et Politique Sociale

Garin Gbedegbegnon

Berne (BE)

Octobre 2005

La mort

au singulier pluriel

L'assistance médicale au décès

en Suisse

Remerciements

Je tiens à remercier

Toutes les personnes interviewées dans le cadre de ce travail qui ont acceptés de partager leur expérience et leur intime conviction

Les Prof. Michel Valotton et Rudolf Ritz de la Commission centrale d'Ethique de l'Académie Suisse des Sciences Médicales

Le Prof. Frédéric Stiefel et la Société Suisse de Médecine et de Soins Palliatifs

Le Dr. Jérôme Soebel et l'Association Exit-ADMD Suisse Romande

Le pasteur Werner Kriesi et EXIT- Suisse Alémanique

M. Georges Neuhaus et la Ligue Suisse contre le Cancer

Sans le soutien et la collaboration de qui, l'enquête auprès des médecins n'aurait pas été possible.

Ma gratitude va aussi

Au Prof. Marc-Henri Soulet pour sa direction précise, critique et exigeante

Au Prof. Dominique Sprumont pour ses conseils quant aux aspects juridiques de la présente recherche

A Kerralie Oeuvray pour sa patience durant l'élaboration du projet de recherche

A Laurence Defago pour son « oeil de lynx » et sa lecture critique

A Gisèle Jaccoud pour son aide précieuse durant la retranscription

Un remerciement particulier

A Lenia pour sa présence quotidienne et son soutien moral

A Mmes Jaccoud et Schilling, mères de mes deux enfants

A Melchior et à Zachary

Aux miens

Aux défunts dont le souvenir m'accompagne :

Anani, Pierre, Béatrice, Cédric et les résidents du HMS

Pour m'avoir appris à vivre et à aimer sans craindre la mort

La Table des matières

INTRODUCTION 6

I. LA DÉSILLUSION THÉRAPEUTIQUE 14

1. DE LA VOCATION À LA TECHNIQUE MÉDICALE : L'APPROPRIATION DU « CLINIQUE » 19

1.1. LA VOCATION MÉDICALE : LE PARTAGE DU CLINIQUE 20

1.2. LA TECHNICITÉ MÉDICALE OU L'AVÈNEMENT DE LA CLINIQUE 22

2. LA CRITIQUE DE L'ACHARNEMENT THÉRAPEUTIQUE 26

2.1. LES LIMITES DE LA RATIONALITÉ MÉDICALE ET L'IMPUISSANCE MÉDICALE 27

2.2. LA CRITIQUE DE LA MÉDICALISATION ET LA RELATIVISATION DU POUVOIR MÉDICAL 31

3. L'ÉPUISEMENT DU SENS THÉRAPEUTIQUE 36

3.1. L'EXIGENCE DE SIGNIFIER L'EXPÉRIENCE SUBJECTIVE DE LA MORBIDITÉ 38

3.2. L'ABSENCE DE SENS ALTERNATIF AU RÔLE THÉRAPEUTIQUE 42

II. LE PROJET THANATOLOGIQUE 46

1. SIGNIFIER LA MORT 48

1.1. SIGNIFICATION ET DIFFÉRENCIATION PAR LA RELATION THANATOLOGIQUE 51

1.2. LES MULTIPLES ACCEPTIONS DE LA DIGNITÉ 61

2. PRÉSENTER LE MORT 66

2.1. LA TRANSACTION MÉDICALE 67

2.2. LES ENJEUX DE LA TRANSACTION MÉDICALE 70

2.3. LES MODALITÉS DE LA TRANSACTION MÉDICALE 89

2.4. LES RISQUES DE LA TRANSACTION MÉDICALE 103

3. L'INTÉGRITÉ MÉDICALE À L'ÉPREUVE DE LA MORT 110

3.1. LE PRINCIPE D'INTÉGRITÉ ET L'AGIR MÉDICAL 112

3.2. L'AFFIRMATION DE L'IDENTITÉ MÉDICALE 119

4. SCHÉMA : LA GESTION TRANSACTIONNELLE DE L'IDENTITÉ PROFESSIONNELLE 130

III. LA MORT LÉGITIME 131

1. DE LA MORT CLINIQUE À L'HUMANISATION DE LA MORT LÉGITIME 134

2. LA MORT NATURELLE VS LA MORT AUTODÉLIVRANCE 137

2.1. LA MORT NATURELLE 137

2.2. LA MORT AUTODÉLIVRANCE 141

3. LA MORT AUTONOME VS LA MORT SINGULIÈRE 143

3.1. LA MORT AUTONOME 144

3.2. LA MORT SINGULIÈRE 147

4. SCHÉMA : LA GENÈSE DE LA MORT LÉGITIME PAR LA JUSTIFICATION 150

CONCLUSION 151

BIBLIOGRAPHIE 156

ANNEXES 164

ANNEXE 1 165

FICHE MÉTHODOLOGIQUE 165

ANNEXE 2 169

L'ÉCHANTILLON DE RÉFÉRENCE 169

Introduction

La diffusion à la télévision suisse romande du documentaire « Le choix de Jean1(*) » au printemps 2005 a profondément marqué les esprits, provoquant des réactions diverses dans les médias, à la télévision et dans la presse écrite. Il suscita bien plus de discussions que le film espagnol diffusé en salle obscure à la même époque, «  Mar Adentro2(*) », qui pourtant abordait le même sujet, à savoir la résolution de Ramon Sampedro à mettre un terme à sa vie après que sa requête pour un droit de mourir dans la dignité ait été déclaré irrecevable. Sa demande visait à obtenir que son médecin ait le droit de « lui administrer les substances nécessaires pour mettre fin à ses jours sans encourir de poursuite pénale »3(*).

Le particularité du reportage diffusé sur la TSR, était non seulement de montrer les raisons de la décision de Jean, mais d'en filmer jusqu'au dernier instant, l'ultime, sa mort. Un décès saisissant par sa simplicité. Librement choisi, tellement paisible, il était en contraste avec les multiples interrogations dont Jean Aebischer avait fait part tout au long du reportage.

Et pourtant, les minutes précédant son décès, il les qualifia lui-même d'« étrange ». Mourant, futur défunt, il était assis entre sa compagne et son frère, dans un certain mutisme, signe d'un temps suspendu, tendu comme un fil tiré vers cette fin inexprimable. Fil, que son frère rompit pourtant. Ainsi une phrase incongrue, presque anachronique, vint briser le silence : « Où sont les clés de ta voiture ? » Replongé dans la continuité de la vie, Jean lui-même s'en étonna dans un premier temps. Puis, prenant acte de la volonté de son frère de rétablir une pérennité, il indiqua calmement l'endroit tout proche où il les avait déposées. Tout cela en la présence discrète d'une dame, l'accompagnatrice d'Exit, qui, ayant amené le pentobarbital et la solution de préparation, veillait à ce que tout se passe dans de bonnes conditions.

L'étrangeté de la situation résidait dans cette subtile tension entre une vie non encore écoulée et une non mort non encore déclarée. Sa singularité ne se limitait pas à ces minutes qui s'égrainaient dans le vide, elle s'étendait au déroulement même de ce trépas chimiquement induit sur ordonnance médicale. Elle ressemblait plus à un sommeil qu'à un décès. Une mort annoncée, mais dépourvue de tout signe apparent de morbidité, donc d'autant plus inhabituelle qu'imperceptible.

« Le choix de Jean » sortait donc de l'ordinaire, et ce à double titre. D'une part, sa mort était un choix propre, autonome, donc expressive de sa subjectivité, d'autre part, elle restait redevable de l'implication des différentes personnes présentes dans cet espace devenu restreint, non moins familier cependant, qu'était son salon. Initialement singulière, son agonie devenait tout à coup plurielle, d'un côté, sujette à de multiples interventions, de multiples ajustements, de l'autre, révélatrice de la diversité des morts possibles. Il s'éteignait finalement dans les bras de sa compagne, dans sa dimension d'homme, unique, dignité et intimité retrouvées enfin. Mourant, il était enfin devenu défunt, sans un râle, sans un cri, simplement par une longue et paisible expiration, et cela sous le regard différé des spectateurs.

De la confrontation du vécu de Jean Aebischer en Suisse et de celui de Ramon Sampedro en Espagne, apparaissent des divergences. Le premier est un patient incurable, dont la mort est inéluctable. Sa tumeur au cerveau implique qu'il procède à l'assistance au suicide avant qu'il ne perde sa capacité de discernement, il entend donc agir tant qu'il le peut encore légalement. Il meurt entouré des siens.

Le second est tétraplégique depuis près de 28 ans. A défaut d'être incurable, il est certain que son état ne va subir aucune amélioration notable. Il est en possession de ses facultés mentales et intellectuelles. Il meurt seul, de façon douloureuse, le seul témoin s'étant réfugié dans la salle de bain, car la vue de l'agonie lui était devenue insupportable. Las du combat juridique, il avait décidé d'agir par ses propres moyens.

Alors que l'exemple suisse montre la réalisation du choix, la préparation de l'acte, « Mar Adentro » retrace la lutte de Ramon Sampedro. Montrant comment il mène à bien son projet, face aux siens, face à sa famille, face à ses amis, à l'État, à la Justice et à l'Église, les convaincant tour à tour de sa détermination. Finalement, le projet du citoyen espagnol aboutit, certes, mais dans la souffrance et la solitude. Étrange confrontation que celle de ces deux destins.

Dire sa volonté de ne plus vivre et organiser sa mort prochaine n'est donc pas anodin. Pour se justifier, il ne suffit pas de se disculper de ce désir funeste vis-à-vis de ses proches, d'en énumérer les raisons comme autant de motifs du choix singulier. Il est nécessaire de réitérer sa décision sans cesse, de le socialiser, comme résultat d'une vision du monde subjective, mais non moins valable, pour pouvoir faire aboutir son projet de mort. Une même volonté de mourir unit ces deux hommes, mais une issue bien différente les départage.

L'expérience de Jean Aebischer et de Ramon Sampedro divergent sur un menu, mais au combien important détail : la présence médicale. Dans le cas de Jean, il y eut la brève incursion d'un médecin, celui-là même qui avait délivré l'ordonnance pour le pentobarbital, venant constater médicalement le futur décès et annoncer l'arrivée de la police. Cette apparition brève, mais décisive, dans ce contexte pourtant si intime, rappelait l'omniprésence des institutions publiques et de leur contrôle, dont l'intervention médicale n'était en somme que la première manifestation. Il est légitime de s'interroger au vu de cette confrontation de cas, quant à la contribution médicale à la différenciation entre une mort rassurante, douce, voire facile4(*) (du moins en apparence), et une mort tragique, douloureuse et solitaire. Répondre par l'affirmative implique premièrement d'admettre que la médecine est devenue essentielle à la gestion sociale de la mort, dans une société occidentale tournée vers la jeunesse, le mirage de l'éternité, le plaisir et l'hédonisme, fuyant la présence de la mort et du mourant. Deuxièmement, cela voudrait dire que la mort ne se présente que sous deux formes, l'une « euthanasique » médicalisée et l'autre « agonique », dramatique. Ce qui n'est pas tout à fait exact non plus.

Il peut être suffisant de se satisfaire de cette affirmation positive, dans la mesure où elle concorde avec le discours ambiant pour lequel tout le monde s'accorde à dire qu'il est devenu naturel de mourir à l'hôpital, que cela s'est fait presque par hasard, sans volonté précise, si ce n'est celle tout à fait légitime de repousser les limites de la vie, donc de repousser la mort. Se satisfaire de l'évidence sur un sujet aussi délicat que de l'assistance au décès relève de la désinvolture. Penser la mort de façon duale, qu'elle soit par ailleurs médicale ou non, en se limitant aux perspectives opposées et inconciliables qu'offre le débat politisé sur l'euthanasie s'avère largement insuffisant.

La première partie de ce travail va montrer comment la gestion sociale de la mort est essentielle à la médecine, et non le contraire, contrairement aux idées reçues. Comment d'objet à part entière de l'expertise médicale, elle est devenue cette « spécialité encombrante mais exclusive des médecins5(*) ». La mort, une réalité tellement gênante que cela explique peut-être le silence des médecins praticiens et hospitaliers à son propos, eux qui sont pourtant confrontés au cours de leur carrière à la morbidité. Il est vrai que beaucoup parlent en leur nom, que ce soit leur fédération, leur association, le comité éthique de l'Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM), les militants que compte leur rang ou encore l'opinion publique. Aussi comment ne pas cautionner la réaction d'un médecin français qui s'interroge sur les raisons qui devrait l'amener à prendre « le temps de se faire une opinion sur ces sujets6(*) », de militer, alors qu'il considère que son travail consiste à guérir et à sauver des vies, et quand il est dans l'impossibilité de le faire, de veiller à la dignité et à l'absence de souffrance.

Si justifier son choix singulier n'est déjà pas une mince affaire pour le mourant lui-même, à fortiori cela ne l'est pas pour le médecin. En tant que tiers, justifier une quelconque intervention qui aille dans le sens d'une facilitation de la mort, ne va pas de soi. Agir en contradiction avec son identité professionnelle, à l'opposé de l'attendu implicite au rôle social qui lui incombe, exige un travail conséquent sur soi et sur les autres.

Pour preuve, l'échec du projet d'assistance au suicide ou d'euthanasie peut conduire à l'intervention d'un tiers médecin, comme en témoigne le Dr. Frédéric Chaussoy. Impliqué dans la tragique histoire de Vincent Humbert,7(*) un jeune tétraplégique aveugle et muet d'une vingtaine d'années, ce médecin procéda à une euthanasie active, après l'avoir pourtant réanimé à deux reprises. Conformément à son devoir médical, une première fois, trois ans auparavant, il l'avait sorti du coma suite à un accident de la route, et une seconde fois pour le sauver de l'empoisonnement induit par le pentobarbital injecté à la demande du tétraplégique par sa mère.

Le témoignage du Dr. Frédéric Chaussoy montre bien que la justification du médecin, concernant son intervention dans le cadre d'une assistance au décès, va bien au-delà de l'affirmation de soi, d'un voeu singulier. Elle suppose une implication particulière, une mise en jeu non seulement de soi, de ses convictions personnelles, mais aussi de son identité personnelle, professionnelle et sociale. La justification ne sert donc plus seulement à se disculper, mais aussi à affirmer le résultat de sa propre réflexivité et à construire une identité alternative ou au moins à rétablir une cohérence identitaire. Ce processus de justification fera l'objet de la seconde partie de ce travail.

Pour revenir au contexte suisse de la pratique médicale de l'assistance au décès, suite à la diffusion du documentaire consacré à Jean Aebischer, le médecin qui y avait fait une courte apparition, participait à un débat télévisé8(*) consacré à l'assistance au suicide. Son premier constat fut l'absence de réaction de la part de ses collègues médecins. Ce mutisme contrastait avec les nombreuses réactions recueillies auprès des personnes privées et des médias.

Il faut noter que la profession médicale n'avait sans doute aucune raison de s'en émouvoir particulièrement. Malgré le renouvellement de la non reconnaissance de l'assistance au suicide comme activité médicale9(*), les directives médico-éthiques les plus récentes indiquent tout de même la marche à suivre pour mener à bien le projet. Ainsi, à demi-mot et s'alignant sur le code pénal en vigueur, le code déontologique ne condamne plus la pratique de l'assistance au suicide, mais la régule. Selon la situation et le patient, il préconise l'abstention ou le retrait thérapeutique (l'euthanasie passive), les soins palliatifs (qui recourent aussi à l'euthanasie active indirecte), et interdit formellement le meurtre à la demande de la victime (l'euthanasie active directe volontaire).

L'assistance au suicide étant socialement légitime et médicalement tolérée, le désengagement explique peut-être la réticence des médecins à nourrir la polémique alors qu'ils peuvent agir en toute impunité, selon leur libre appréciation de la situation du patient, dès lors qu'ils respectent la loi. Donc ils n'ont rien à craindre d'un code pénal suisse qui autorise l'assistance au suicide pour autant que ce ne soit pas pour des « mobiles égoïstes »10(*) et que la personne soit en capacité de discernement. Cependant au-delà de cette forme de mort délibérément choisie, comme le montre le cas du Dr. Frédéric Chaussoy d'autres situations-limites subsistent, pour lesquelles il est alors question d'euthanasie active directe ou indirecte, selon que le produit utilisé soit létal ou non, étant admis théoriquement que les produits usités dans les deux cas sont différents.

S'agit-il d'un silence entendu, d'une confusion entretenue, en somme d'une « hypocrisie11(*) » qui vise à créer une zone grise, autrement dit une marge de manoeuvre régie par l'incertitude? Un médecin interviewé, pratiquant l'euthanasie active directe et volontaire, désigne explicitement ce flou expliquant qu'en réalité « on est toujours sur des zones limites, et bien malin celui qui peut vraiment faire une différence tranchée entre les deux situations12(*) ». En effet, les même produits (des mélanges de barbiturique et d'antalgique) sont utilisés dans le cadre de la sédation13(*) propre aux soins palliatifs et dans le cadre des euthanasies actives14(*) (avec ajout parfois d'un curarisant), et la question ne se limite donc parfois qu'à une question de posologie. Trois constats peuvent être tirés.

Premièrement le silence des médecins intrigue en somme non pas tant par ce qu'il pourrait dissimuler, mais par ce qu'il tait : la difficulté à différencier les pratiques licites et illicites. Une régulation de l'assistance au décès à partir du cadre légale actuel semble effectivement fort improbable, car la part de subjectivité et d'intersubjectivité dans l'interprétation des actes est simplement trop grande pour que suffisent les critères objectifs. Le contenu des nouvelles directives étonne donc, de par ce qui est ignoré et non de par son contenu.

Ainsi, deuxièmement, alors même que l'accès au produit létal est sous contrôle médical et que l'activité des associations offrant une assistance au suicide à leurs membres, est soumise au contrôle des instances cantonales de santé publique, il semble incongru que l'assistance au suicide ne soit pas reconnue comme activité médicale.

Troisièmement, le fait que les directives médico-éthiques citent la terminologie des « soins de la période terminale de la vie15(*) », mais sans adopter la typologie communément définie entre la FMH (la Fédération des Médecins Suisses) et l'ASI (l'Association Suisse des Infirmières et Infirmiers) est également surprenant. Ainsi se devinent derrière le mutisme médical des enjeux et des intérêts professionnels que tente probablement aussi de réguler l'ASSM par le biais de ses directives.

Ces trois constats sont significatifs des contradictions et des divergences qui traversent le champ médical et thérapeutique. La gestion sociale de la mort semble y provoquer des conflits d'intérêts, créant des dissensions au sein du corps médical, mais également une différenciation entre ce dernier et le corps soignant. Ceci explique peut-être que la reconnaissance de l'assistance médicale au suicide ne soit que partielle et que la terminologie commune pourtant ratifiée par la FMH et l'ASI ne soit pas reprise.

Quoi qu'il en soit, l'assistance médicale au décès soulève bien plus de questions en ce qui concerne le « bien mourir » qu'elle ne fournit de réponses, malgré le constant débat éthique et politique qu'elle nourrit inlassablement. C'est pourquoi la dernière partie du présent document abordera la question de la mort légitime, en interrogeant de façon systématique les différentes pratiques de l'assistance médicale au décès pour saisir ce qu'il est possible de considérer aujourd'hui comme une mort légitime, compte tenu de l'impact du champ médical sur la définition et la gestion sociale de la mort, alors que sa pratique n'est plus unifiée. Il s'agira donc de voir ce que préfigure la situation actuelle concernant l'acception sociale de la mort ces prochaines années.

La désillusion thérapeutique

Dur constat que celui du Dr. Frédéric Chaussoy, pour qui la mort est devenue cette « spécialité encombrante et exclusive des médecins ». Il reflète le désabusement, cette fatigue qui parfois caractérise le rapport médical à la mort. Maurice Abiven corrobore ce discours lorsqu'il note que la société tente vainement de confiner la mort dans le champ thérapeutique, poussant par contre les médecins dans leurs retranchements, aux limites de leurs compétences16(*). Cantonnée aux structures hospitalières et médico-sociales, la mort incommode le médecin qui ne sachant pas qu'en faire, évacue le mourant, ou du moins sa dépouille. Cela lui évite une confrontation permanente avec sa propre impuissance à gérer le sens de l'expérience morbide.

La notion de « désillusion thérapeutique » se rapporte à la distance que prennent les médecins vis-à-vis des modalités de leur engagement professionnel et de leur expertise, suite à leur prise de conscience des limites de leur fonction, de leur rôle thérapeutique. La recherche menée montre que cette distanciation est primordiale à leur adhésion à la pratique de l'assistance au suicide et de l'euthanasie active.

Cependant, les causes de cette distanciation peuvent être multiples. Il convient donc de les explorer. Trois hypothèses peuvent être émises. La première est liée au changement du rapport qu'établit la médecine au champ social, la seconde est consécutive aux modifications du positionnement du médecin dans son propre domaine d'activité, la dernière peut être liée à des expériences personnelles.,

La troisième piste semble pourtant être décisive au vu des interviews, car le plus souvent la mort d'un proche conduit le médecin a reconsidérer la mort du patient selon une approche plus subjective, ne serait-ce que par une implication plus importante de sa part au niveau affectif et émotionnel. Ainsi ce médecin qui se réfère aux conditions de la mort de son père pour expliquer son propre désir d'accéder à une mort librement choisie et de le permettre à ses patients également: « Si on me disait demain, que j'ai un début d'Alzheimer, je m'en irai avant la démence, quand je suis dément, on ne peut plus m'aider, parce qu'il faut encore que je puisse prendre la responsabilité sur moi-même ».

La mort d'un proche représente un événement certes déclencheur de la prise de conscience que rapporte un médecin ayant réalisé des années après la mort de sa grand-mère, que celle-ci attendait de sa part une aide concrète sous la forme d'une assistance au décès, alors qu'il était jeune médecin en formation : « Aide-moi à aller retrouver grand-papa, aide-moi à aller retrouver le Bon Dieu. Elle se sentait dépérir et elle clairement me faisait un appel. Moi je ne comprenais pas ce que cela signifiait et j'aurais été dans l'incapacité de le faire absolument17(*). ».

Mais la désillusion thérapeutique ne consiste pas seulement en l'expérience d'une mort vécue de façon plus personnelle et plus personnalisée, elle semble aussi prendre la forme d'une remise en question du rapport au corps, à la morbidité, à la mort, entretenu et intériorisé durant la formation et l'initiation de la carrière médicale en milieu hospitalier. Une expérience-clé, comme la mort d'une proche, la confrontation à une demande euthanasique claire et précise, constitue certainement un événement déclencheur. Cependant elle ne suffit pas pour autant pour engendrer une prise de conscience telle que le médecin modifie du jour au lendemain la perception de son rôle.

La désillusion thérapeutique prend la forme d'une profonde remise en question de l'équilibre entre l'intériorisé et le vécu, voire même d'une rupture du statut d'évidence accordé par le médecin à la réalité thérapeutique. Cette réalité clinique ne semble plus aller de soi, alors qu'elle implique au travers du rôle thérapeutique, la maîtrise des expériences, des manifestations et des émotions liées à la mort du patient, au deuil de ses proches, ainsi que de celui du personnel soignant. L'expérience des limites de son expertise et des moyens qui lui sont donnés pour manier la mort et la souffrance, semble le ramener à la dimension subjective de la mort.

La proximité affective du mourant ou sa proximité sociale de ce dernier, semblent favoriser un processus d'identification ou de projection du médecin au son patient, réhabilitant en même temps la dimension personnelle de l'expérience. Cette irruption du subjectif peut conduire le médecin à réviser l'équilibre entre l'acception professionnelle et personnelle de la mort, à revoir la distance émotionnelle et objectivante qu'il a construite vis-à-vis de son patient.

Le terme de « désillusion » est préféré à celui de « désenchantement », car il ne s'agit pas au départ d'un processus collectif, mais bien d'un processus personnel, durant lequel le voile d'évidence qui entoure l'exercice du jugement médical se rompt. Alors que le désenchantement se rapporte plutôt au processus de désacralisation d'une pratique ou d'une institution, à la perte de la dimension mythique, la désillusion thérapeutique touche le médecin dans son identité même, dans sa façon d'engager son rôle et de s'y inscrire en tant que personne.

Qu'en ferait-il d'ailleurs de la mort ? Sa vocation est de soigner son patient, de croire en sa guérison, de compatir au sort de ce dernier, mais jamais d'abandonner face à la mort. Du moins c'est ce qu'il pense. Ou, si ce n'est pas la vocation qui le meut, il vibre à l'évocation du progrès biotechnique, des avancées de la médecine, fasciné par les prouesses de guérison, de réanimation, de substitution des fonctions vitales par des machines et des prothèses18(*). Comment reconnaître alors que tout ce qui fonde, a fondé et contribuera à fonder son identité professionnelle et à forger son ascension sociale, en somme tout ce qui l'anime et donne sens à sa présence auprès du patient, est vain face à la mort ? Il est remarquable que les médecins ne se souviennent que rarement du moment où ils ont pris conscience que la mort ne représente pas l'échec de leur expertise, qu'ils ne s'en sentent plus, dès lors, ne serait-ce que de façon imperceptible, coupables. Par contre, le souvenir de leur première désillusion thérapeutique, le plus souvent la perte du premier patient, persiste comme une expérience traumatisante, même après des années de carrière.

La société ne manque pas de leur rappeler qu'ils doivent gérer la mort de leurs patients que, n'ayant pas réussi à les guérir, ils en portent la responsabilité. Entrer en médecine, c'est être un individu forcément à part qui s'il n'est pas infaillible, doit veiller à l'être autant que possible en sachant faire la part de l'objectif et du subjectif, de la réalité et de l'intime. Il s'agit de minimiser les risques, car la vie qui lui est remise est un bien communément reconnu comme inaliénable, dont il faut préserver l'intégrité. Ainsi, pour ceux qui croient en la vocation médicale, l'euthanasie active et l'assistance au suicide apparaissent comme une trahison de leur profession de foi. Pour ceux qui croient en la technique médicale, c'est faire aveu d'impuissance et anticiper le fait que le patient ne peut faire autre chose que mourir. Comment alors ne pas stigmatiser les médecins qui adoptent ces pratiques alternatives ?

Depuis l'avènement de la médecine en tant que biotechnologie de pointe, le médecin est formé à reconnaître la mort, à en évaluer les risques de survenance et à prendre des mesures thérapeutiques qui permettent de l'éloigner. Il dispose de tous les outils scientifiques, techniques et objectifs pour le faire.

Pourtant, depuis quelques années, le médecin paraît tout simplement inapte face à la mort. Incapable, non seulement de la circonscrire, mais aussi de la vaincre, il semble même ignorant de son maniement symbolique. Il en subit les assauts, au travers des manifestations de la souffrance du mourant (les cris, les râles, les épanchements liquides). Et, démuni, il sombrerait, paraît-il, dans une fatigue sans fin, s'épuisant vainement à donner sens à l'expérience subjective du patient. Le « burn-out » le guette alors, tapi dans le silence des équipes de soins surmenées et impuissantes, qui, incapables de verbaliser cette souffrance tellement omniprésente, lui laissent alors le champ libre.

La souffrance... Implicite, elle n'en devient que plus oppressante encore, insupportable même, tout simplement invivable. Lorsque le médecin cède alors, à bout de force, il commet l'irréparable, il tue son patient à défaut de pouvoir l'accompagner. L'euthanasie devient alors le signe de l'abandon médical, de la perte du sens éthique et déontologique. Peut-être même du sens clinique, qui sait ? De gré ou de force, devenu spécialiste de la mort, le médecin est considéré comme le seul responsable de l'échec thérapeutique et curatif, de son propre échec en quelque sorte.

Sombre tableau que celui qui vient d'être dépeint en clair obscur, digne d'un Caravage, et pourtant la réalité dévoile toujours des facettes qu'un premier regard ne suffit pas à appréhender. En effet, l'autorité médicale sur la mort est particulière, jamais vraiment revendiquée, mais toujours protégée, toujours dénoncée, mais jamais éconduite. Elle semble se nourrir d'elle-même, s'imposer en une évidence naturelle. D'où vient alors le malaise des médecins face à la mort ? La désillusion des médecins ne peut pas être élucidée s'il n'est pas pris le temps de poser les questions de fond.

Premièrement, malgré l'appropriation par le champ médical de la gestion socio-institutionnelle de la mort, la prise en charge médicale du mourant au quotidien ne semble pas évidente. Le maniement de l'objectivation clinique de la situation particulière du patient est une activité dont le médecin est spécialiste, elle est le résultat d'une intériorisation progressive dès le début de la formation médicale. Mais au delà de cette maîtrise objective, le médecin reste humainement, symboliquement incapable de répondre la question la plus simple que puissent lui poser les proches du patient, voire même l'équipe soignante : A quoi sert la mort ? Quelle utilité peut bien avoir l'expérience singulière, le plus souvent pénible, d'un être cher à l'agonie ?

Deuxièmement la place occupée par le médecin auprès du mourant et le caractère invasif de son intervention suscitent de constantes critiques. La logique thérapeutique de la médecine allopathique, le plus souvent fondée sur l'urgence, domine de fait et par conséquent ignore le plus souvent dans un premier temps, les autres logiques sociales, relationnelles, économiques. Ainsi, la rationalité technique scientifique se substituerait à la dimension communautaire, reléguant la dimension humaine de la mort au rang de circonstances de l'intervention médicale. Du moins, c'est ainsi qu'est justifié le discours critique de la domination médicale sur la gestion sociale de la mort. Ce discours est-il toujours actuel et valide ? La société a énormément évolué durant les trente dernières années, l'individualisme et l'accès de plus en plus privatif aux biens communs que sont la santé, la connaissance, le bien-être social, etc. , implique de reconsidérer les rapports de force entre le médecin et son patient. La médecine, en effet, est désacralisée.

Troisièmement, si l'hypothèse de la fragilisation de la position médicale se confirme, il est nécessaire d'introduire la question de son rétablissement, notamment en ce qui concerne le traitement social de la mort et l'accompagnement médical du mourant. En effet, comment justifier sa présence auprès du mourant quand l'impuissance à manier, à gérer la mort est évidente, incontestable ? Faut-il dès lors justifier sa présence, l'expliquer ? Et si oui comment le faire ? C'est à ces questions de fond qu'est consacrée la première partie de ce mémoire.

1. De la vocation à la technique médicale : l'appropriation du « clinique »

Comme évoqué en filigrane précédemment, la médecine et la mort entretiennent un rapport conflictuel. La première tentant de s'approprier la seconde, alors que cette dernière lui échappe constamment par l'incertitude de son procès. Actuellement les médecins sont impliqués dans tous les stades du processus de la mort. Ils se prémunissent de sa survenance, par les mesures de santé publique (la prévention, les campagnes d'information, etc.) et en déterminent l'occurrence de façon probabiliste, en terme de risques. Ils contrôlent l'accès aux produits toxiques et létaux. Ils la conjurent par les soins thérapeutiques et curatifs. Ils la désignent par la notion de « mort clinique » et contribuent à sa déclaration en délivrant le certificat de décès. Si, à posteriori, un doute subsiste quant aux causes de la mort, c'est le médecin légiste qui autopsie la dépouille. Toutes les interventions sociales liées, de près ou de loin, à la morbidité s'articulent par le champ médical et thérapeutique.

Le médecin est donc présent à tous les niveaux du réseau institutionnel qui touchent à la maîtrise de la mort ou à la protection de l'intégrité physique ou psychique du citoyen. Ce qui fait dire à Jean Ziegler19(*) que le médecin est un « thanatocrate », en somme un technocrate de la mort, à la fois relais du pouvoir de l'État et agent de contrôle sur la mort et la vie, jouissant d'une position de centralité au sein de son champ d'activité.

La socialisation de la disparition de l'individu, le cas échéant du citoyen, la légitimation du contexte de sa disparition est toujours d'une façon ou d'une autre soumise à l'intervention médicale. L'imbrication complète entre le champ médical, civique, étatique en ce qui concerne la mort, laisse penser que la relation qui lie le médecin à la mort et le cas échéant au mourant est en grande partie institutionnalisée, judiciarisée. L'hypothèse est donc que ce rapport est le résultat d'un habitus social au sens où le définit Pierre Bourdieu20(*).

En effet, le concept d'habitus permet de rendre compte de la récurrence des deux figures médicales que sont le médecin par vocation et le médecin-technicien. Les médecins s'y réfèrent constamment quand ils racontent leur adhésion à la profession médicale, leur motivation initiale et finalement la façon dont ils expliquent la prise d'importance progressive de la dimension relationnelle dans leur rapport au patient mourant, au détriment de la fascination qu'exerçait sur eux initialement la dimension thérapeutique et biotechnique de leur profession. Par ailleurs, il permet aussi de concevoir que le rapport que construit le médecin au mourant n'est pas le fruit du hasard, mais aussi celui d'une lente et certaine incorporation de l'habitus médical issu de l'institutionnalisation du champ thérapeutique en organisation hospitalière et clinique.

1.1. La vocation médicale : le partage du clinique

Lorsque l'identité professionnelle du médecin repose sur la « vocation médicale », il conçoit on activitécomme une profession de foi, la situe en prolongement de son engagement religieux. Ainsi sa foi et son engagement professionnel sont « Moi, quand j'ai dû faire un choix professionnel, j'ai demandé à Dieu en fait ce qu'il attendait de moi. Et j'ai senti que je devais faire un travail où j'étais proche des gens » 21(*). Cette perspective influe passablement sur le positionnement du médecin face au mourant, car il s'aligne sur l'éthique chrétienne qui lui interdit toute ingérence dans le procès de la mort22(*). Ainsi L'euthanasie passive est acceptée. Selon Jean-Paul II, elle correspond en effet à « une acceptation de la condition humaine devant la mort ». Le recours à des soins palliatifs pouvant abréger la vie l'est aussi, pour autant que le mourant ne soit pas privé sans raisons graves de la conscience de soi. En effet un être humain doit être « en mesure de pouvoir satisfaire à ses obligations morales et familiales ... et se préparer en pleine conscience à sa rencontre avec Dieu23(*) ».

En conséquence, la figure de la vocation médicale consiste en un compromis entre le monde mystique et le monde médical. Ce compromis se traduit par une coexistence des principes y relatifs. Cette proximité n'est pas nouvelle. Danièle Carricaburu et Marie Ménoret montrent la proximité du monde religieux et du champ médical. Selon elles, ces derniers se structurent en organisation hospitalière à partir des hôtels-Dieu, des institutions à vocation religieuses où il s'agissait en premier lieu de recueillir les pauvres, les miséreux et les mourants pour leur porter assistance. Ainsi, le médecin et le prêtre cohabitent dans l'espace du mourant. Le premier lui apporte des soins, le second le remettant à Dieu. Cette remise à Dieu passe par les sacrements du baptême (si le moribond ne l'était pas encore) et de l'Extrême-onction, dans le but de soulager spirituellement et corporellement le mourant.

Il apparaît donc que le médecin dans ce cadre là, n'était pas en mesure, ni en droit, de définir la mort. Il se retirait face au prêtre qui signifiait par l'Extrême-onction que le mourant allait accéder au statut de défunt. Le médecin quittait le chevet du mourant lorsqu'il constatait l'imminence de la mort, qu'il ne lui appartenait pas de signifier, de symboliser et encore moins de définir. D'ailleurs, le terme « clinique », du point de vue étymologique, vient du mot latin « clinicus » : « celui qui se fait baptiser sur son lit de mort ou à un âge avancé24(*) ». Ce terme aujourd'hui usité pour décrire l'activité médicale au chevet du malade, désignait tout d'abord celui qui avant de mourir s'en remettait à la Grâce divine pour être délivré de ses souffrances.

Cette petite digression sémantique illustre l'appropriation du « clinique » par le champ médical et simultanément la naturalisation de cette appropriation. Michel Foucault ne relève pas ce déplacement de sens dans son ouvrage consacré à la « Naissance de la Clinique25(*) ». Pourtant, ce transfert du clinique de l'autorité religieuse au pouvoir médical explique partiellement l'incapacité actuelle du médecin à socialiser et à symboliser la mort. Cette attente vis-à-vis du médecin est récente. Jamais il n'a été du ressort du médecin de le faire, si l'on considère les habitus que trahissent les figures médicales auxquelles se réfèrent les médecins.

Ceci montre également par quelle substitution s'est déroulée ce que Jean Remy appelle la « sacralisation » de l'activité médicale. Il explique que le champ thérapeutique s'est autonomisé du social, car l'activité médicale consistait avant tout à manier la marge d'incertitude liée à la maladie et à la mort. La ritualisation du rapport thérapeutique servant en quelque sorte à stabiliser la relation du patient au médecin, en créant les conditions nécessaires à l'établissement d'un rapport de confiance. La sacralisation de l'activité médicale ne peut pas se substituer à la sacralité et à la symbolique de l'acte religieux, mais elle contribue à l'établissement de l'autorité médicale dans le traitement social de la mort. Dès lors la médecine aura tout le loisir de la définir, de l'analyser, sans pour autant pouvoir remplacer le pouvoir symbolique du religieux.

1.2. La technicité médicale ou l'avènement de la clinique

La figure du médecin technicien se fonde sur ce que Michel Foucault appelle la clinique26(*), c'est-à-dire une forme organisationnelle qui conjugue dans un même espace d'activité un certain discours médical, la production scientifique du savoir médical, la socialisation professionnelle du médecin et l'objectivation du malade en tant que cas clinique.

Le médecin technicien exerce son jugement en se basant sur une interprétation probabiliste des signes et symptômes annonciateurs de la maladie et de la morbidité. À une pratique de la médecine plutôt nosologique, où il s'agissait plus d'observer et de classer les phénomènes morbides, se substitue un exercice du jugement plus sémiologique.

Le progrès industriel et technologique propre au vingtième siècle, favorise la technicisation de la médecine, lui offrant les moyens de ses ambitions de maîtrise de la vie et en quelque sorte de la mort.  La fascination engendrée par la médecine en tant que discipline scientifique universitaire va contribuer à reléguer la question de la symbolique et de la socialisation de la mort. La logique probabiliste de la clinique conduit à appréhender la mort comme un risque.

Au lieu de la circonscrire et de la maîtriser, cette définition va entraîner une perte de maîtrise. Ce, pour deux raisons ; premièrement comprise comme un risque, la définition de la mort se voit démultipliée comprise et interprétée comme un phénomène physiologique et non plus mystique. La mort ne consiste plus en un seul trépas, mais en une succession de morts partielles, organiques. Michel Foucault décrit bien ce phénomène lorsqu'il dit de la mort qu'elle est « multiple et dispersée dans le temps » n'étant plus « ce point absolu et privilégié, à partir duquel les temps s'arrêtent pour se renverser27(*) ».

Cette démultiplication s'explique par la nécessité de conceptualiser la mort, d'en définir les critères en fonction des évolutions techniques et de leur perfectionnement, ne serait-ce par exemple que dans le domaine de la réanimation et de la transplantation, comme l'explique Jocelyne Saint-Arnaud28(*). Ainsi la définition clinique de la mort se révèle mouvante et bientôt trop complexe pour qu'elle permette la socialisation, la médiatisation de la mort auprès des profanes que sont les proches des mourants. Paradoxalement, le champ médical s'étant constitué par l'appropriation du clinique, sécularisant du même coup le traitement social de la mort, échoue à la manier car la définition médicale du risque qu'est la mort tend à rendre celle-ci d'autant plus insaisissable.

Tout habitus se caractérise par un sens pratique qui lui est spécifique, celui du médecin est le « sens clinique ». Il ne se limite pas seulement à la considération de la justesse de l'expertise médicale, en somme au juste exercice de la sémiologie, mais s'étend aussi à l'expérience acquise durant la formation hospitalière du médecin. Plus le médecin rencontre de cas cliniques, plus il se développe. Toutefois certains médecins expliquent que le sens clinique relève aussi du « don », car c'est aussi « flairer les choses quand il n'y a pas encore d'éléments objectifs clairs29(*) ». En somme, c'est une sensibilité accrue qui d'une certaine façon obéirait à l'économie de la grâce.

Malgré l'avènement des institutions hospitalières universitaires et de la technicité médicale, il subsiste donc dans l'habitus médical, plus précisément dans son sens pratique, une dimension d'incertitude fondant le compromis avec le monde mystique. Le sens clinique n'est pas exempt de la dimension religieuse. Il rend possible l'appropriation du clinique, du mourant, de telle façon que son objectivation en cas clinique oriente sa prise en charge et sa trajectoire hospitalière, tout en affranchissant le médecin de la tâche de signifier symboliquement l'expérience subjective du mourant.

Ainsi, le « sens clinique », tout autant qu'une compétence professionnelle, désigne aussi le compromis particulier établi socialement entre le pouvoir médical et le pouvoir religieux autour du mourant. Cependant plus la société s'est orientée vers le progrès technologique, moins l'Église a exercé de pouvoir sur ses fidèles et plus la rationalité médicale est devenue seule dominante dans le champ thanatologique.

L'économie des risques, propre à la société post-industrielle, telle que la décrit Ulrich Beck, apporte un autre éclairage sur le rapport que peut établir le champ médical à la mort. Il montre en effet que la gestion scientifique des risques s'accompagne de divers effets pervers qu'il est particulièrement difficile de juguler30(*).

La mort clinique traitée elle aussi en tant que risque n'échappe donc pas à ces effets pervers. Mis à part la démultiplication de la définition du risque initial, déjà abordée sous couvert de la reconceptualisation incessante de la mort en relation à l'expansion des connaissances scientifiques, une désocialisation de la mort est également relevée, en cela qu'elle ne s'inscrit plus dans le quotidien des personnes, dans la réalité vécue. Le retrait du social dans le traitement sociétal de la mort résulte de plusieurs phénomènes.

Premièrement, la logique médicale prévalant sur la logique sociale, la mort échappe à la prise en charge des proches. Le mourant, en tant que cas clinique, est soustrait à son contexte de vie ; sa présence, à défaut d'être signifiée socialement, devient insignifiante. Son existence se confond avec la temporalité physiologique du corps, au détriment de la temporalité sociale. Ainsi, devenu inutile au champ médical, le mourant est exclu de toute réalité.

Deuxièmement, la mort en tant que risque devient un objet du pronostic médical. Celui-ci, par sa dimension anticipatrice nourrit l'idée d'une maîtrise qui n'en demeure pas moins illusoire, mais reste suffisante à justifier l'urgence, donc la primauté de la logique médicale. Urgence au-delà de laquelle le corps perd alors toute substance, toute humanité. Le patient devenu « malade objet31(*) », sa dépouille « part à la poubelle32(*) » comme s'en offusque un médecin qui à l'époque des faits exerçait en tant que chef de clinique en médecine interne. Il témoigne de la disparition brutale, sous forme d'un transfert immédiat de la salle d'opération à la morgue, du corps d'un patient, touriste suédois décédé d'une rupture d'anévrisme, dont les reins venaient d'être prélevés à des fins de transplantation. Il note donc l'absence de transition entre le décès à l'hôpital et la disparition du corps, subtilisé au regard et au deuil des proches.

2. La critique de l'acharnement thérapeutique

A la lumière de ce qui précède, l'acharnement thérapeutique peut être vu comme la résultante de ce que certains auteurs appellent la médicalisation du social, de la société. En quelque sorte, à défaut d'alternatives symboliques et signifiantes, la rationalité médicale prend le pas sur toute autre logique d'action et de causalité. La critique de l'acharnement thérapeutique va consister essentiellement à dénoncer la centralité de la fonction médicale dans le champ de la mort, comme dans d'autres champs d'activités sociales par ailleurs, comme l'a fait Jean Ziegler33(*), mais également Louis Vincent Thomas34(*). Le concept de « iatrogenèse sociale35(*) » dont fait usage Ivan Illich est de loin celui qui décrit avec le plus d'exactitude l'influence de la médecine sur le traitement social de la santé, de la mort et de la maladie. C'est dans la description précise de la « schizoalgie36(*) », nommant ainsi l'incapacité de l'individu à gérer sa souffrance et à l'exprimer. En somme cette situation un peu particulière où la souffrance rompt toute capacité à établir des relations à autrui et surtout à soi-même.

Tous les acteurs sociaux, les Églises, les médecins, les patients, indépendamment de leur position religieuse et de leur engagement pour ou contre l'euthanasie, s'accordent à critiquer l'acharnement thérapeutique, admettant implicitement qu' « aujourd'hui nous aidons pas mal de gens à vivre trop longtemps » et qu' « au fond on aide les gens à vieillir jusqu'à un âge où la vie n'est plus tellement vivable ». Cependant, les implications pratiques de ce constat à priori évident n'en constituent pas moins un dilemme pour le médecin. Constater d'un côté que les gens vivent trop longtemps en tenant compte du critère subjectif de la qualité de vie, du bien-être personnel, voire même de la « joie de vivre37(*) », équivaut de l'autre à admettre qu'aujourd'hui déjà il est possible de renoncer à maintenir quelqu'un en vie en fonction d'aspects relationnels et sociaux, et plus seulement médicaux.

2.1. Les limites de la rationalité médicale et l'impuissance médicale

Si les limites objectives de l'activité médicale en matière d'assistance au décès sont fixées par le code pénal, il en est d'autres qui sont de nature cognitives, liées aux compétences du médecin, et de nature personnelles, en termes de capacités à affronter la mort. Rares sont les étudiant(e)s en médecine ou les médecins assistant(e)s qui, avant leur stage pratique, ont déjà été confrontés à la mort. Qu'il s'agisse du décès d'un proche ou d'une connaissance, assister à l'agonie d'une personne ou veiller un défunt n'est plus chose courante. Dès lors, la première question qu'il est légitime de poser est celle de la compétence médicale à exercer un jugement sur les aspects psychosociaux et socio-affectifs de la situation du mourant, lorsque le médecin n'est pas lui-même psychiatre, encore moins théologien et qu'il n'a pas suivi de formation sociale spécifique. La pratique médicale s'éloigne de plus en plus de l'approche holistique que pouvait avoir un généraliste jusque dans les années mille neuf cents soixante-dix. Depuis, la spécialisation de plus en plus accrue de l'activité médicale est telle qu'il paraît difficilement concevable que, par sa seule évaluation, un médecin puisse se faire une idée précise et globale de la situation du mourant.

Investi du pouvoir de protéger la vie du patient, de guérir et de soulager la souffrance, et d'assister le mourant durant ces dernières heures38(*), le médecin n'est pas censé induire le processus de mort. Toutefois, son expertise étant soumise à l'exigence d'objectivité, de rationalité et de l'adéquation des mesures qu'il décide, il n'échappe pas à des considérations qui, si elles ne sont pas de nature eugénique, n'en demeurent pas moins étroitement liées à l'attribution des ressources en fonction du pronostic vital, de l'espérance de vie et de la qualité de vie dont dispose son patient.

Cette appréciation du contexte socio-économico-relationnel dans lequel est ancré le mourant est très subjective, liée au cas particulier d'un patient et dépendante de la vision du médecin. Aussi l'évaluation de la souffrance est toujours relative au contexte relationnel et affectif de vie du patient. Par conséquent, le tableau nosologique de la souffrance en fin de vie est essentiellement subjectif et n'est pas de la même nature que les douleurs symptomatiques, prises comme manifestations d'une pathologie parfaitement connue et identifiée, donc parfaitement isolables et propres à l'exercice de la médecine allopathique.

Le Dr Jan von Overbeck, chef des médecins-conseils auprès de SwissRe, décrit ce hiatus entre la souffrance du patient et l'acceptation objective que peut en avoir le médecin. Le sens que donne le médecin à la douleur dans son diagnostic, ne correspond pas à la souffrance du patient : celle-ci a une dimension relationnelle et contextuelle, que n'a pas la première. Ce décalage implique donc que le médecin, lorsqu'il exerce son expertise, n'est pas forcément à même d'évaluer les conséquences psycho-socio-affectives de son diagnostic sur le patient, donc sur la souffrance de ce dernier. Pourtant il doit agir et décider.

Cependant, comme le précise le Dr. Jan von Overbeck, les médecins tiennent de plus en plus compte « des conditions psychiques et sociales, ainsi que de leurs effets pour attester d'une atteinte à la santé39(*) », mais sans disposer pour autant des connaissances nécessaires pour le faire, car il leur manque d'importantes informations quant au contexte de vie socioprofessionnelle de leur patient, tout comme les moyens et les outils pour les obtenir. Ils ne sont donc pas aptes à poser un diagnostic social adéquat, car cela demande bien plus que les seules compétences médico-techniques. Ce décalage, les médecins le relèvent aussi.

Par conséquent, il n'est pas rare de constater qu'à l'expertise sociale professionnalisée de la situation du mourant, se substituent tout simplement le bon sens et l'évidence, des moyens d'évaluation totalement subjectifs, comme le rapportent Marcel Druhle et Serge Clément dans une étude consacrée à la prise de décision en gérontologie40(*). Les deux auteurs illustrent leur propos par l'exemple de la décision d'autoriser le transfert à domicile d'un mourant. L'équipe soignante et le médecin tirent des conclusions parfois hâtives quant à la présence ou non de la famille au chevet du patient, au lieu d'une évaluation objective du réseau familial dont dispose le mourant, des ressources dont est pourvue la famille et de l'autonomie relative du patient.

Un médecin rapporte indigné la discussion qu'il a suivie étant assistant dans un hôpital. Il s'agissait de décider d'un retrait thérapeutique, l'arrêt d'un traitement dialytique pour une jeune femme d'origine indienne atteinte de poliomyélite, ne pouvant plus se déplacer et totalement dépendante, dont les seuls proches avaient été ses parents adoptifs qui, au moment des faits étaient déjà décédés. Sans famille, ne pouvant plus vivre sans dialyse et n'étant plus du tout autonome, un collège de médecins avait alors décidé de renoncer à tout traitement, mais sans demander l'avis de la jeune femme. Ne considérant pas qu'elle se satisfaisait de son état, car elle avait commencé à peindre et à broder dans son lit, mais voyant plutôt que « cela aurait coûté trop cher de la dialyser et de la redialyser, et de la maintenir, de s'en occuper et de mobiliser un tas de personnes autour d'elle41(*) » alors qu'elle était « impotente et improductive42(*) ».

Même lorsqu'il s'agit de formes licites d'assistance au décès comme dans le cas présent d'un retrait thérapeutique, la prise en compte de la réalité sociale du mourant peut engendrer des décisions absurdes, au mépris de la personne humaine, lorsque la décision n'est pas posée de façon professionnelle, mais au contraire fondée sur des à priori et de fausses évidences.

S'il y a la volonté explicite de laisser libre cours à la « décision morale personnelle43(*) » du médecin, pour autant qu'il s'agisse de pratique légale de l'assistance au décès, il ne peut pas être fait l'économie des connaissances spécifiques que suppose un accompagnement non plus seulement médical, mais aussi essentiellement psychosocial lorsqu'il s'agit de fin de vie. Par exemple, même avec une formation adéquate en soins palliatifs, la mise en pratique des acquis n'est pas facile, car comme le dit un médecin généraliste ayant suivi un cours en soins palliatifs : « dans nos livres, dans nos manuels de soins palliatifs, presque tout est bien, tout est beau, mais dans la réalité ce n'est pas comme ça44(*) ». La confrontation à la réalité du mourant, de son accompagnement et de celui de sa famille, exige de la part du médecin des connaissances et des expériences spécifiques du relationnel qui, lorsqu'elles font défaut, le laissent démuni face au mourant et à sa famille.

La centralité de sa position conjuguée à l'impuissance symbolique expose le médecin à de virulentes critiques, non seulement de la part de la société civile, mais également des instances médico-éthiques. En effet, l'incapacité à signifier la mort et la souffrance est souvent attribuée au seul médecin. En partie, parce qu'il est légalement responsable du bien-être du patient, mais aussi parce qu'il « est apprécié que ce soit le médecin qui décide à la fin45(*) », car en définitive dans les situations limites, éprouvantes pour les proches et le personnel soignant, le fait qu'une personne doive trancher, délivre les autres du poids de la décision difficile.

Pourtant, le médecin n'échappe pas à la stigmatisation lorsqu'il recourt à l'euthanasie active, car la technique médicale ne résout pas tout. Cette stigmatisation passe par une criminalisation de l'acte euthanasique et par une psychologisation du recours médical à cette forme d'assistance au décès, comme le montre l'ouvrage du Dr. Maurice Abiven. Ce dernier évoque le terme d' « acting out46(*) » soit de « passage à l'acte » pour décrire les motifs qui peuvent mener un médecin à avoir recours à l'euthanasie active. Cette pratique aux confins du champ médical fait l'objet d'un discours psychologisant, à l'image de Marie de Hennezel pour qui « l'euthanasie est un aveu d'impuissance, (...) : manque de compétence, manque de formation, pas d'autres solutions à offrir et pression de l'entourage47(*) ». Cette prise de position empreinte d'un engagement indéniable, si l'on peut en saluer la clarté, vise plus à lancer l'anathème contre certains médecins - pour lesquels le libre arbitre du patient quant à sa mort est une liberté qu'il faut défendre - qu'à véritablement ouvrir un débat de société sur le sujet.

Cela n'exclut pas pour autant que face à la mort les médecins ne soient pas démunis ou qu'ils n'adoptent pas des attitudes de défense, voire de déni de la mort. Cependant, mais les raisons de ces comportements sont multiples, comme le précise un médecin ayant mené toute sa carrière en milieu hospitalier : « çà peut vouloir dire qu'ils estiment que leur compétence n'est pas nécessaire ou bien qu'ils estiment que le patient ne vaut plus la peine ou bien qu'ils ne veulent pas être confrontés à une fin de vie48(*) ». Mais quelles que soient les explications données jusqu'alors, les raisons sont toujours individuelles, liées au médecin, à sa pratique, à ses défauts ou à ses manques.

Le Dr. Maurice Abiven ouvre cependant une piste de réflexion intéressante, lorsqu'il établit un lien entre la société civile et l'impuissance médicale en expliquant que « la souffrance des soignants témoigne de l'impossibilité même de la mission de relégation de la mort que leur confie tout le corps social49(*) ». Autrement dit, il indique que la désillusion thérapeutique est aussi le résultat de transformations sociétales, d'un processus de mise en marge des questions et des événements liés à la mort, qui mettent le médecin en incapacité d'agir.

2.2. La critique de la médicalisation et la relativisation du pouvoir médical

Dans une société inexorablement orientée vers le bien-être, où la santé est un bien non plus seulement collectif, mais aussi privatif, considérer la médicalisation de la mort du seul point de vue des théories de la domination sociale semble passéiste. Il convient donc d'expliciter les mécanismes de la médicalisation qui ont permis l'émergence de la question de la libéralisation de l'accès individualisé à la mort aux dépens du pouvoir médical.

La médicalisation est comprise à tort comme un phénomène uniforme, constant, reflétant le pouvoir d'une fonction médicale constamment en expansion. Cette vision repose en grande partie sur une perception de la profession médicale comme un tout monolithique invariant. Alors que comme le montre Olivier Faure, la médicalisation désigne au moins trois processus différents50(*). D'abord, il s'agit d'une augmentation quantitative et d'une diversification de la demande sociale en santé. Ensuite, elle décrit une institutionnalisation de l'activité thérapeutique en structure organisée selon des tâches hautement spécialisées dont la répartition fonde une hiérarchisation particulière du champ thérapeutique. Finalement, elle indique l'extension du champ des compétences médicales aux questions sociales et culturelles (y compris la gestion de la mort et de la souffrance).

C'est le dernier volet de la médicalisation qui nous intéresse plus particulièrement. Il renvoie à ce que Pierre Aïach dénomme la « médicalisation de la vie51(*) ». Elle se caractérise par une généralisation de la « préoccupation de santé » dans l'ensemble du corps social. Expliquant que la définition de la santé d'abord étroitement liée à la connaissance médicale, s'en détache pour s'étendre au champ social. Faisant de la santé une notion élastique, que tout un chacun s'approprie selon des critères subjectifs de bien-être, de bonheur, de capacité d'agir.

Initialement, la préoccupation de santé a été induite par le volet préventif des activités médicales de santé publique, qui visait à responsabiliser la population en ce qui concerne les comportements à risques. Le but était de promouvoir un rapport individuel et responsabilisé à la santé. Ainsi, celle-ci n'est plus uniquement comprise comme absence de maladies, mais aussi comme bien-être physique, social et moral. Néanmoins l'intégration et l'appropriation par la société civile de cette acception de la santé a conduit au développement d'un marché de biens et de services y relatifs, faisant de celle-ci un bien privatif.

Aussi, la médicalisation ne peut plus seulement être considérée comme un processus idéologique et politique visant à la mise en place d'un ordre médical prôné par une élite sociopolitique52(*), mais aussi en tant que « manifestation parmi d'autres de ce vaste mouvement qui porte sans cesse le corps au centre des préoccupations individuelles et collectives53(*) ».

Cette économie du bien-être qu'évoque Georges Vigarello par ce qu'il appelle une « attente du mieux-être, renforçée, (...), par les pratiques consommatoires et les inquiétudes sécuritaires54(*) » se traduit par une vulgarisation des savoirs médicaux au travers des magazines spécialisés et par un accès libéralisé aux connaissances médicales. Dès la santé devient un devoir individuel et non plus seulement une lutte contre le mal menée par les médecins. La fonction sociale de ces derniers est donc relativisée au profit de la responsabilité du citoyen.

Ainsi, le corps est le siège non seulement de la conscience de soi, mais sert de support à l'autonomie et à l'agir social. Le corps compris comme prolongation de soi vers le monde n'est plus seulement outil de travail, mais aussi support d'identification dont dispose librement l'individu, aux yeux de la loi, car ce dernier est considéré comme responsable de lui-même et de sa participation à la société, in extenso à l'État55(*). D'ailleurs son corps fait l'objet d'une protection particulière, qui prend la forme dans la Constitution de la garantie au citoyen de sa liberté personnelle, étant entendue, entre autres, son intégrité psychique et physique56(*).

Dans ce contexte, la relation thérapeutique ne peut plus être un rapport fonctionnel, tel que pouvait le décrire Talcott Parsons57(*), où le médecin détient l'ensemble du pouvoir aux dépens du patient. Elle n'est même plus seulement cette relation à double entrée où, comme le décrit Nicolas Dodier58(*), la pratique médicale se partage entre expertise et sollicitude. L'expertise soutient l'objectivation des douleurs du patient, alors que la sollicitude prend en compte la dimension subjective du malade qui échappe au jugement médical.

La relation thérapeutique se mue en relation de service sanitaire59(*), où le paternalisme médical fait place au clientélisme, où l'expert n'est plus confronté à un profane ignorant de son état, mais à un individu autonome expert de son propre bien-être. Le médecin versé dans une relation de service sanitaire et membre à part entière de la société civile, ne comprend plus forcément lui-même les raisons de l'asymétrie relationnelle que lui impose son expertise et son activité, lorsqu'il s'agit de juger de la souffrance du patient au-delà des douleurs symptomatiques liées à la pathologie. C'est cette incompréhension qui génère le malaise et l'ambivalence éprouvés par un médecin-conseil d'Exit qui, tout en insistant sur la nécessité de la présence médicale, concède que « c'est également une pression de dire non, quand le patient aimerait du pentobarbital60(*) ».

L'accès au produit létal étant juridiquement soumis à la décision médicale, dans certaines situations le médecin se perçoit et est perçu comme « un obstacle » à l'autodétermination du patient, car il est « le seul à décider si oui ou non61(*) » le patient peut accéder à une assistance au suicide. Cette position de force est cependant très relative, car le clientélisme que suppose une relation sanitaire de service, conduit le patient déterminé à s'adresser à un autre médecin pour obtenir une ordonnance sans autre forme particulière de contrôle.

Au-delà des considérations objectives, il y a également une dimension interpersonnelle au malaise du médecin. En effet, la souffrance et la douleur étant ressenties de façon subjective par le patient, le praticien ne se sent pas en droit de juger de l'intensité de la souffrance d'autrui. Il est plus aisé pour lui de guérir une personne ou de trouver un traitement plus adéquat qui soulage finalement le patient de ses douleurs, car dans ces cas les personnes renoncent à une assistance au suicide.

Au final à y regarder de plus près, on peut constater que ce sont des médecins qui portent et soutiennent les démarches menées par les associations défendant le droit à l'autodétermination des patients, comme Dignitas ou Exit-ADMD. Ce sont également des médecins qui militent pour une dépénalisation, voire une légalisation, de l'euthanasie active, comme Franco Cavalli, parlementaire socialiste à l'origine de l'initiative du même nom en septembre 2000.

L'engagement des médecins pour un accès libéralisé à la mort témoigne en somme d'une transformation profonde du rapport entre la société civile et le corps médical. L'hypothèse qui peut être formulée ici en ce qui concerne la gestion sociétale de la mort est que la médecine contribue à une individuation du rapport social à la mort. Le soutien médical à la pratique de l'assistance au décès traduit une perception différente du patient en tant que personne autonome, disposant d'elle-même, et dont la liberté individuelle prévaut sur la garantie de protection que lui offre l'État.

La médicalisation du traitement social de la mort, plus qu'un simple contrôle thanatocrate, participerait de la mise en place d'une nouvelle corporéité, à l'image de ce qui a pu être observé dans le cadre du débat sur l'avortement, où les femmes, en s'appropriant leur corps, ont donné une dimension autre à leur participation à la vie sociale. Ceci influence les processus sociaux de signification de l'expérience subjective de la mort et de définition sociale de l'appartenance sociale.

3. L'épuisement du sens thérapeutique

Le contexte suisse de l'assistance médicale au décès, comme dans toutes les sociétés occidentales, se caractérise par l'absence de rites liés à la mort (mis à part dans quelques cantons fortement catholiques), par une désacralisation de cette dernière et finalement par une sécularisation de sa gestion sociale et hospitalière. L'absence de poursuites pénales en cas d'assistance médicale au suicide laisse même entrevoir que la Suisse jouit d'un contexte légal et social assez libéral en matière d'assistance au décès.

Cette réalité conjuguée au cantonnement de la mort dans l'univers hospitalier définit un cadre normatif relativement peu contraignant pour les médecins en matière de gestion de la mort et de la fin de vie, la pratique de l'euthanasie active étant mise à part. Pourtant, cette liberté se révèle relative tant pour le mourant que pour le médecin, eu égard à la contrainte d'autodétermination qu'elle suppose quant au sens qu'il faut donner à une expérience aussi difficile, voire dramatique que peut l'être l'agonie d'un proche, respectivement d'un patient.

L'accompagnement médical du mourant s'inscrit dans un référentiel normatif plurinormé. La mort ne fait plus l'objet de rites prédéfinis, susceptibles de guider indubitablement les conduites individuelles, mais d'une ritualité62(*) qui vise à la construction collective d'un sens commun à l'expérience subjective de la mort, au rétablissement d'un monde commun, d'une appartenance pour les vivants. Le personnel hospitalier, au même titre que la société civile, ne dispose pas de normes de conduite et, le plus souvent, « de formation spécifique pour tenir son rôle dans le drame de la mort. Et (...) chacun a une opinion divergente sur la façon dont le malade doit affronter la mort63(*) ». Par conséquent, le médecin autant que le patient sont démunis face à une mort à laquelle ils n'ont d'ailleurs jamais été confrontés avant d'entrer dans le milieu hospitalier.

Concernant les étudiants entrant dans la phase clinique de leur formation, un médecin déclare même qu' « ils sont médecins, presque, et ils n'ont jamais vu un mort. Ici en Suisse. Cela dépend encore du canton, s'ils sont fribourgeois, ils ont vu, s'ils sont lausannois, ils n'ont pas vu. Cela dépend des religions et ce que l'on fait des corps. Après je leur demande, bon maintenant qui de vous a déjà vu mourir quelqu'un. Et là en moyenne, il y en a deux et il y en a dix qui se disent ouh, là, là celle-là qu'est-ce qu'elle nous embête64(*). ».

Ainsi au-delà du sens thérapeutique de son activité, le médecin est dans l'impossibilité d'agir lorsque par la volonté du patient ou par l'inéluctabilité de la mort de ce dernier, le sens de son activité vient à faire défaut et que son intervention thérapeutique perd sa pertinence. Formé à guérir, à soigner, à exercer une médecine objective et objectivante, à poser un regard expert sur le patient, le médecin vit mal la perte de son patient. Il se voit inutile, voire même coupable de n'avoir pu le sauver. Ce n'est souvent qu'avec l'expérience que le sentiment de responsabilité illimitée, voire même l'impression diffuse de culpabilité se résorbe, comme l'explique ce médecin pourtant ancré dans le modèle professionnel de la vocation : « quand tu es débutant tu te dis que tu ne connais pas assez et que tu ne fais pas assez bien les choses. Tu te responsabilises pour des choses qui sont de l'ordre de la vie, quoi. Et puis au fur et à mesure que tu as de l'expérience, tu te rends compte qu'à un moment donné les gens doivent partir, soit qu'ils partent en bonne santé ou qu'ils partent à cause d'une maladie. C'est l'histoire de chacun65(*). ».

La responsabilité du médecin traitant vis-à-vis de la santé de son patient se maintient aussi longtemps que ce dernier vit. Son expertise oriente le patient au sein de l'institution hospitalière, en définit la trajectoire de malade. Cependant lorsque la fin de vie se présente, à défaut de rites, c'est la dimension particulière qui reprend le dessus. « C'est l'histoire de chacun ». Le maintien de la présence médicale auprès du patient mourant suppose donc un rôle, une présence signifiante pour autrui, et à la fois sensée pour le médecin, particulièrement lorsque le sens thérapeutique fondateur de son identité professionnelle s'épuise.

3.1. L'exigence de signifier l'expérience subjective de la morbidité

L'expérience subjective de la souffrance peut être particulièrement déroutante en fin de vie. Elle réduit la communication, malmène les relations affectives. Elle ébranle les certitudes qui ont permis l'ancrage social du patient tout comme en témoigne un médecin généraliste faisant ses premiers pas dans la pratique des soins palliatifs, dans des établissements médicaux sociaux de sa région : « c'est que de toute façon on peut pas effacer (silence prolongé) la colère de la maladie qui prend les gens trop tôt ... la souffrance, la séparation d'avec leur famille. On peut pas effacer l'angoisse de la mort quand même et puis ça, comme médecin, on est parfois ... disons peut-être la personne qui allons pouvoir accompagner la personne là dedans, mais parfois pas du tout66(*)».

Du point de vue du médecin, l'accompagnement médical du mourant n'est pas toujours possible, car il reconnaît que ce qui importe est « le besoin de chacun de trouver des réponses face à la souffrance, donc en fait des réponses personnelles67(*) ». Il concède donc que son autorité et son intervention ne peuvent se substituer à la détermination par le patient mourant de sa propre expérience. Son pouvoir institutionnel et symbolique ne peut pas remplacer la signification subjective de l'expérience, car le patient a besoin de se réapproprier son histoire et son parcours.

Ces considérations nous renvoient aux propos de Patrick Baudry concernant la ritualité funéraire. Selon lui, l'enjeu de la ritualité est « celui d'un positionnement de soi dans un espace-temps qui permet le rapport au défunt68(*) ». En somme selon lui, les interventions sociales autour du mourant ont valeur de justification, car elles ont pour but de dire et de construire l'identité sociale des survivants en dehors de celle du mort, devenu le défunt69(*).

Si l'apport de cet auteur à la compréhension des rites funéraires est indéniable, la question qui subsiste est celle de la construction du statut de défunt à partir du moment où la mort à venir est annoncée. Les déclarations des médecins laissent penser que le processus de justification - étant entendu ici qu'il s'agit de la genèse du statut de défunt et de la recomposition du tissu social en l'absence du mort - débute d'ores et déjà durant l'accompagnement du mourant en phase terminale. En effet, pourquoi la détermination des conditions subjectives du décès, qu'elle soit initiée par le patient ou son médecin, ne participerait-elle pas non pas seulement d'une mise en scène de la mort, mais aussi de l'anticipation, de l'énonciation de l'appartenance passée et des appartenances à venir ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre comment d'une part le mourant se réapproprie son histoire, d'autre part comment l'intervention médicale contribue à la construction de cette continuité biographique et in fine sociale.

3.1.1. L'accès au statut de défunt

Il est intéressant que les médecins, quelle que soit finalement la forme d'assistance au décès qu'ils soutiennent, soulignent tous la nécessité pour le futur mourant de s'approprier son histoire. Comme si la reconstitution d'un enchaînement biographique permettait au patient de retrouver la dimension sociale de son identité, de la refonder indépendamment de son identité de malade.

Ils ne cachent d'ailleurs pas que le résultat de ce « travail biographique70(*) » que fait le mourant avant de décéder leur échappe en grande partie. Ainsi, un médecin s'étonne de la réaction d'un jeune homme d'une trentaine d'années confronté au choix de devoir ou non recourir à un retrait thérapeutique, affirmant que « lui a pris une option qui était absolument surprenante pour quelqu'un qui voulait mourir, il a décidé qu'il voulait réfléchir. Il a réfléchi, il a réfléchi avec son amie, et il a décidé de se marier et donc on a célébré aux soins intensifs avec la présence d'un prêtre et de la famille, le mariage. Ils n'avaient pas eu le temps de le faire. Ils se sont mariés et deux jours après, la famille, l'amie lui ont dit on est prêts et maintenant on va arrêter la machine. Et on a arrêté la machine71(*) ».

Le patient, atteint d'une sclérose en plaque amyotrophique, doit décider s'il veut ou non maintenir une assistance respiratoire dont il ne voulait pas au départ, mais dont il est devenu dépendant. Le patient se sachant proche de la mort, mais s'étant présenté aux urgences hospitalières dans un état respiratoire l'empêchant simplement de parler, les médecins urgentistes la lui avaient posée dans l'ignorance involontaire de ses directives anticipées. Finalement, le patient fait le choix de se marier, en somme d'accomplir un acte d'appartenance, un acte conscient, réflexif, lui permettant de réaffirmer son lien familial, son amour, comme si cet acte facilitait en somme le départ, l'expérience de la fin inexorable. Le souci du patient semblait être, autant que possible, de ne pas laisser derrière lui un sentiment d'inachevé.

Le statut de « défunt » est un état d'aboutissement, qui entérine l'achèvement d'une vie sociale. Ce qui étonne dans la situation présentée, c'est que le mourant participe par la réalisation de sa volonté, de ses propres désirs, à la construction de ce statut, alors que dans le passé cette détermination des conditions auxquelles une vie pouvait être considérée comme réalisée, achevée était uniquement déterminée par le clergé, le monde religieux. Dans le cas de ce patient atteint de myopathie, la fin n'aurait pas été possible sans le concours de la médecine qui, en différant la mort immédiate par un certain contrôle du corps et de la souffrance, a créé un espace-temps durant lequel le malade pouvait subjectivement aménager son décès et construire son futur statut.

Ce qui est intéressant est que le médecin semble pourtant considérer l'issue comme satisfaisante. Le problème initialement posé par le recours erroné à l'assistance respiratoire et par le retrait thérapeutique induit par cette erreur, s'estompe au profit du rétablissement d'une identité sociale, d'une continuité biographique conforme à la situation personnelle de l'individu.

L'échec thérapeutique et l'inéluctabilité de la mort sont donc acceptables pour le médecin et le patient à condition que ce dernier retrouve son identité sociale, son « identité narrative72(*) », dont la maladie, la souffrance l'ont partiellement privé.

3.1.2. Le rétablissement de l'intentionnalité du patient

L'exigence de signifier l'expérience subjective de la morbidité est donc en lien direct avec le pouvoir de la maladie et de la souffrance de priver l'individu de ses liens à autrui, de remettre en doute son appartenance. En portant atteinte à son intégrité physique et psychique, le privant parfois de sa conscience, la souffrance prive le mourant de son intentionnalité. La « perte d'intentionnalité73(*) », soit la perte d'emprise sur soi-même, sur le monde, sur la réalité sociale, conduit à ce que Jean Foucart appelle une « rupture transactionnelle », c'est-à-dire à la perte du rapport de confiance non seulement en soi, mais aussi à autrui, qui prive le sujet de sa propre réflexivité, de sa capacité à agir et à entrer en relation avec autrui.

L'épuisement du sens thérapeutique sanctionne donc non seulement l'incapacité du médecin à guérir le malade, mais aussi l'impossibilité de le réhabiliter par l'intervention thérapeutique dans son environnement social, familial, professionnel initial. Il met donc le patient en situation de « rupture transactionnelle74(*) », vis-à-vis non seulement du monde thérapeutique, mais aussi du monde social, en cela qu'il provoque « un éclatement identitaire, une insécurité existentielle ou angoisse d'une fermeture sur soi75(*) ».

Le médecin qui constate son échec thérapeutique, n'échappe pas non plus à la cassure transactionnelle : vu son implication dans la relation thérapeutique qui le lie au patient, le rapport de confiance qui peut s'être établi entre les deux peut être rompu. Qu'elle soit ou non de l'initiative du patient, l'assistance au décès, quelle que soit sa forme, introduit toutes les parties prenantes dans un processus de positionnement identitaire.

3.2. L'absence de sens alternatif au rôle thérapeutique

Ayant pour objet les états pathologiques du corps et le contrôle des manifestations de la douleur, l'expertise médicale est partie prenante du rapport que le mourant établit avec son propre corps. La corporéité étant l'un des support de l'identité narrative76(*), il est envisageable que l'assistance médicale au décès participe du processus de subjectivation inhérent à la construction du statut de défunt. Il s'agit dès lors de saisir les tenants et les aboutissants de la contribution médicale à ce processus de justification et ce que ce dernier implique pour le médecin traitant.

C'est ce qu'explique un médecin pratiquant l'euthanasie, qui considère que le praticien ne peut échapper à une remise en question de son propre rôle, celui-ci étant relatif à la position du mourant. « Dès lors que l'on remet le patient au centre de sa propre histoire, et qu'on lui accorde le droit de dire, je, d'être donc le sujet, un partenaire, un sujet de santé et non un objet de soins dont les soignants disposent et bien alors le médecin doit se repositionner en face de ce patient-là, qui dans sa propre conception des choses demande ou non d'être accompagné par un médecin.77(*) »

Il est intéressant que le praticien interviewé, au-delà de la réflexivité du patient, n'omette pas celle du médecin confronté à la demande euthanasique, en effet il poursuit : « alors le médecin est effectivement en position de se poser la deuxième question, est-ce que moi aujourd'hui, ou demain ou cette semaine, suis-je capable d'accéder à une demande d'un patient, fut-elle une demande d'euthanasie78(*) ».

3.2.1. La réflexivité médicale

L'épuisement thérapeutique requiert du praticien un travail de recomposition identitaire vis-à-vis du patient et du contexte social de leur relation thérapeutique, car il n'a plus de raisons particulières d'être à son chevet à partir du moment où il ne peut plus le guérir. Les soins de proximité et de confort ne relèvent pas directement de sa responsabilité, si l'on tient compte de la répartition des tâches en clinique, en hôpital, voire même en établissement médico-social. Les raisons susceptibles de fonder une présence médicale sont alors plus relationnelles que médicales. Cependant, l'accompagnement du mourant ne s'improvise pas et ne peut se fonder uniquement sur le caractère « humanitaire » de l'activité médicale.

Un médecin relate une expérience marquante d'un patient ayant rejeté toute présente médicale dans sa chambre, parce que les médecins selon lui ne lui étaient plus d'aucune utilité, ne pouvant même pas l'aider à mourir dans de meilleures conditions : « Un moment donné, ce monsieur nous a dit à mon chef de clinique et à moi - écoutez vous êtes très gentils, mais je ne veux plus vous voir. Vous viendrez dans ma chambre si vous m'apportez ce qu'il faut pour que je puisse mourir, sinon je préfère voir les infirmières, elles sont bien plus jolies que vous et pour moi c'est bien plus sympathique et il nous a interdit sa chambre, et ce monsieur est mort un mois plus tard des suites de son cancer. Une demande claire.79(*) ».

Le renouvellement du rôle médical auprès du patient ne va pas de soi. Il suppose que le médecin réalise l'obsolescence de son rôle initial au chevet du patient. Qu'il se défasse de son sentiment d'échec et d'inutilité, tout en ayant admis la situation de rupture. Ce sentiment d'inutilité peut être récurrent, car il réapparaît avec chaque patient mourant. S'il veut maintenir sa présence auprès du patient, garder un rôle signifiant et significatif, le médecin est contraint de se construire une identité alternative donnant un sens à sa présence auprès de l'agonisant. Ce processus identitaire ne se déroule pas sans heurts, comme l'illustre le témoignage susmentionné.

La confrontation répétée du médecin à la mort suppose donc une seconde rupture identitaire80(*) pour qu'il puisse adopter une identité alternative qui fasse sens auprès du mourant et de ses proches, au-delà de la seule réalité thérapeutique. Cette rupture suppose un rééquilibrage non plus seulement entre l'identité profane et professionnelle, mais également entre l'identité professionnelle initialement apprise et le rôle tel que le médecin l'incarne au quotidien, en fonction de sa propre perception de la réalité. Comme évoqué auparavant, en fin de vie, le patient, mais aussi le médecin, recourent à leur propre réflexivité pour signifier une expérience dans laquelle ils sont tous les deux impliqués, sans pour autant disposer d'un cadre symbolique et rituel préétabli leur offrant des modèles de conduite clairs, en somme des supports pour légitimer les actions qu'ils vont entreprendre. Ainsi, ils sont soumis à la contrainte de devoir juger par eux-mêmes de la nature de la situation où ils se trouvent, pour convenir non seulement d'une stratégie adéquate, mais aussi d'une manière convenable d'agir.

3.2.2. Les prémisses de la justification médicale

Le questionnement auquel est confronté le médecin qui désire accompagner un patient mourant le conduit inexorablement à réévaluer son rôle comme nous l'avons vu. Cependant, si son évaluation personnelle le conduit à adopter des formes illégales d'assistance médicale au décès, le questionnement laisse place à une réflexion plus approfondie sur le sens de son accompagnement. A ce stade de la réflexion personnelle, il n'est alors plus question de légalité, encore moins de légitimité, mais surtout de normalité.

Avoir commis un acte illégal projette le médecin dans un monde où les choses sont implicites, non dites et non formulées, comme le montre le témoignage suivant d'un médecin ayant procédé à des euthanasies actives en milieu hospitalier : « heureusement que j'ai eu aussi des autres confrères où je sais que quelques situations se sont passées aussi, parce que j'entends que je ne suis pas toujours là vingt quatre heures sur vingt quatre. On savait donc qu'il y avait quelques possibilités de, (silence) ..., mais je n'ai pas été l'unique81(*) ». Ainsi la conscience qu'il n'a pas été un cas à part et le silence entendu qui entourait sa pratique au sein de l'établissement, lui permettent d'imaginer que son acte s'inscrit tout de même dans une certaine normalité.

Cette dernière ne peut pas faire office de règle, elle permet simplement au médecin de se situer par rapport à un référentiel normatif, de règles de conduite. Qu'il adhère ou non à ce référentiel importe peu, il s'agit avant tout de pouvoir subjectivement inscrire son action dans un univers de sens, de poser subjectivement la validité de son jugement. Cette univers de sens permet notamment de faire la distinction entre l'acte pathologique et le geste normal, et fonde l'identité alternative élaborée par le médecin. Au-delà de cette normalité, la légitimité sociale et juridique de la pratique alternative ne sont pas encore acquises, car elles supposent aussi un travail préalable de légitimation. La justification du médecin « devient la forme subjective de la normalité82(*) », mais elle a aussi une dimension collective en cela qu'elle « crée les conditions d'une bonne et d'une mauvaise inclusion83(*) » dans son champ d'activité et dans le monde social, selon que la validité subjectivement construite sera socialement acceptée et institutionnellement légitimée. Contrairement à ce qu'en dit Goffman, il ne s'agit donc pas ici de « réparer l'offense84(*) » par la justification, mais avant tout de déterminer la nature de la norme de référence et d'évaluer ensuite si nécessaire, dans quelle mesure elle a été offensée ou non.

Au final, il peut être dit que l'assistance médicale au décès va pousser le praticien à devoir situer son rôle, son identité, au même titre que les ritualités funéraires qui entourent le mourant en positionnant ce dernier dans une temporalité et dans un univers de sens pour en faire un défunt. Ainsi la confrontation à la mort du patient conduit le médecin à devoir considérer les limites de l'univers thérapeutique, ses insuffisances. Il y a « désillusion thérapeutique », car l'univers de sens de la médecine ne permet pas au praticien de répondre à toutes les situations et les questions qui se présentent à lui, d'où la nécessité de créer un rôle, une identité adéquate au sens qu'il aura lui-même défini comme juste, mais qu'il s'agira aussi de justifier.

Le projet thanatologique

Comme mis en évidence dans la première partie, l'accompagnement médicale du mourant est une activité médicale dont les conditions-cadres ne sont pas forcément données au départ. D'une part, le sens thérapeutique n'oriente pas les conduites des différents acteurs impliqués dans la relation au mourant, d'autre part, les rites funéraires qui entourent les morts ne sont pas indicatifs de la marche à suivre pour construire le statut de défunt. La ritualité mortuaire se préoccupe plutôt du mourant à titre posthume que de son vivant. L'effondrement de leur cadre habituel de référence et d'action, la relation thérapeutique, suppose de la part du médecin et de son patient qu'ils définissent leur intentionnalité ainsi que les conditions de réalisation de celle-ci pour être à même d'agir et d'orienter leur conduite.

Considérant donc que les supports de légitimation font défaut, il est nécessaire de comprendre comment les médecins parviennent à fonder leur pratique de façon rationnelle, selon leur propre intentionnalité. Et ce , en particulier lorsqu'ils envisagent à la demande du patient une forme illégale d'assistance au décès, comme une euthanasie active directe. La légitimation de l'acte peut devenir un enjeu. C'est en cela que la notion de justification est centrale, car elle constitue le prélude à la légitimation. Elle consiste en effet en l'identification, l'élaboration et l'évaluation des objets qui participent à la construction d'un accord ou d'une entente qui rendent la réalisation d'une action collective possible85(*).

Décider dans un contexte normatif incertain d'entreprendre une assistance au décès suppose du médecin et du patient qu'ils interprètent la situation sociale dans laquelle s'inscrit leur relation, avant qu'ils puissent donner sens à leur expérience. Cette interprétation est non seulement indispensable à la construction d'une intelligibilité commune du monde, mais sert aussi à justifier leur « agir ». C'est ainsi que l'un et l'autre, au travers de la justification, deviennent sujets de l'élaboration de leur propre statut social.

Le lien qui peut être établi entre le cheminement symbolique d'un patient préparant son décès et la légitimation de l'accompagnement médical du mourant exige une attention particulière. Il convient de distinguer le processus de transition du mourant vers le statut de défunt de la trajectoire thérapeutique du patient, pour mieux en saisir les caractéristiques et les enjeux. Le qualificatif de « thanatologique » désignera donc non seulement la relation entre le médecin et son patient dans le cadre de l'assistance au décès, mais également toute l'étendue du processus de clarifications des intentions, des prises de décisions et d'actions, allant donc de l'émergence de la demande euthanasique en passant par le constat de la mort du patient, en aboutissant au traitement social de cette dernière. La dénomination de « projet » s'applique à l'ensemble du procès susmentionné afin de rendre perceptible sa malléabilité, tant au niveau de son issue qu'à celui de sa temporalité, dépendantes l'une et l'autre de l'interaction des acteurs impliqués.

La seconde partie de ce travail vise à présenter la justification médicale et sa portée pratique, par une compréhension approfondie du projet thanatologique et cela en trois étapes. En premier lieu, il convient de comprendre comment les médecins jugent la situation dans laquelle ils se trouvent avec leur patient et les conclusions qu'ils tirent de leur évaluation pour définir les buts du projet thanatologique et pour mener leur assistance au décès.

En second lieu, une fois les intentions fixées, il est nécessaire de comprendre comment les médecins transigent des actes à poser et comment ils conduisent alors le projet, selon quels principes et selon quelles modalités pour mener à bien leur dessein ou celui de leur patient dans la mise en place de la forme d'assistance au décès choisie. Les façons dont le médecin interagit avec les différents acteurs de l'accompagnement du mourant sont ici au centre de l'analyse.

En fin de compte, il est nécessaire de comprendre comment la manière de mener les transactions va contribuer au façonnage d'une identité professionnelle propre à chaque médecin, en cela qu'ils exercent leur expertise d'une façon personnalisée et en considération de la situation particulière du mourant.

1. Signifier la mort

Le prochain extrait d'entretien illustre bien le besoin du médecin, du mourant et des proches, de se mettre en projet pour garder une certaine maîtrise de la mort à venir, pour inscrire l'événement dans une certaine temporalité, un univers de sens commun aux différents interlocuteurs, dans le cas présent, le monde religieux.

« C'est la première fois où d'une façon très concrète, on m'a demandé en tant que médecin traitant l'autorisation pour un grand-père de 84 ans ou de 85 ans, insuffisant cardiaque si on pouvait le laisser partir en pèlerinage à Lourdes. Et j'ai l'impression que c'est quelque chose du même ordre, et j'ai dû discuter avec la famille des risques que l'on prenait en le laissant partir, mais aussi de ceux que l'on prenait à ne pas le laisser partir. Et l'on a eu une discussion comme on pourrait l'avoir autour de l'euthanasie, à savoir le sens de ce que l'on va faire, quel est le sens de l'autorisation, et l'on s'est tous mis d'accord en famille, que s'il mourait pendant le transport vers Lourdes ou en revenant, comme l'on avait exaucé un de ses voeux les plus chers, il mourrait en paix avec lui-même. Et la famille s'est mis d'accord avec ça et l'on a pu admettre que le risque majeur c'était un risque mortel86(*). »

Ce qui frappe dans ce témoignage est le parallèle à priori surprenant que tire le médecin entre le projet de pèlerinage du mourant et la question de l'euthanasie. Sans rompre un certain nombre d'évidences sur cette dernière, il est en effet difficile de saisir le sens de son propos. Aussi, il est important d'en relever les implications.

Premièrement, il apparaît que l'enjeu principal n'est pas tant le risque qu'implique la réalisation du projet de pèlerinage pour la santé du mourant. Les différents interlocuteurs identifient rapidement le bénéfice symbolique du projet, en tenant plus compte du contexte présent que de l'avenir. Le but semble moins celui de gérer le devenir du mourant, que de déterminer les conditions de son accession au statut de défunt. L'expertise médicale ne consiste pas essentiellement en une évaluation de l'instant précis de la mort, de sa probabilité, mais vient légitimer son inscription dans un univers de sens communément défini, dans une temporalité partagée. La décision médicale vient en somme entériner la dimension symbolique du projet du mourant, au détriment peut-être de l'aspect purement biomédical.

En effet, le médecin ajoute par la suite : « Tout le monde était clairement au courant et tout le monde a pris la position de dire : il le souhaite, et même s'il devait mourir de ce voyage, c'est un voyage vers quelque chose, vers Dieu en quelque sorte. Ce n'est pas rien. S'il meurt en faisant un voyage pieux, où est le mal ? S'il revient, il va vivre de ça, ça va l'illuminer. Donc le bénéfice était nettement plus grand, que l'inconvénient du risque supplémentaire.87(*) »

Deuxièmement, le sens de la mort n'est pas donné d'emblée, mais il semble se clarifier au fur et à mesure des discussions menées. La reconnaissance du désir subjectif de voyage semblent atténuer la souffrance des uns et des autres, sans doute parce que cette acceptation familiale du projet singulier rétablit l'appartenance et l'intentionnalité du mourant, par le biais du pèlerinage, autrement dit par la dimension symbolique.88(*)

Troisièmement, le risque majeur n'est pas tant que la mort survienne, mais plutôt qu'elle arrive à un moment où le mourant et sa famille n'ont pas encore eu la possibilité de la signifier, à un moment où l'attribution du statut de défunt n'a pas pu se faire. Ainsi, il devient plus important de laisser le mourant initier le projet, se mettre en chemin, quelle que soit l'issue. C'est donc plutôt l'intention, le processus qui importent, que le résultat, la fin en elle-même.

Quatrièmement, il apparaît que l'autorisation médicale et le soutien de la famille semblaient primordiaux pour la réalisation du projet singulier du mourant. Ils lui permettaient en effet d'accomplir sa vie en fonction de ses propres souhaits, de sa propre acception de la vie et de la mort. En quelque sorte, au travers des discussions menées, le statut de défunt subjectivement défini était entériné.

Finalement, selon le médecin, le consensus intersubjectivement produit semble être le gage de la contribution de chacun des acteurs au projet, mais aussi la garantie de la continuité de leurs rôles respectifs. Le travail de deuil initié de la sorte semble avoir rendu possible la reconnaissance et la préservation des identités respectives au travers des transactions menées au sein de ce projet de voyage.

Ces différentes remarques conduisent au constat que pour ce médecin, l'enjeu de l'assistance médicale au décès, n'est pas le risque qu'il meure, mais l'élaboration, la réalisation d'un processus permettant d'annoncer, de dire et à la fois de conjurer la mort à venir. Au centre de la question de l'accompagnement du mourant et de l'assistance au décès, il y a finalement le la signification et la conduite du projet « thanatologique89(*) ».

Tout en apportant un éclairage intéressant sur les enjeux de l'accompagnement médical en fin de vie, ce cas précis n'en illustre pas moins dans une certaine mesure que le côté idéal. La différence essentielle réside dans le fait que toutes les formes d'assistance médicales au décès ne disposent pas de la même légitimité. Certaines sont légales (comme l'euthanasie passive et active indirecte), d'autres jouissent de l'impunissabilité à certaines conditions (comme l'assistance au suicide). L'euthanasie active directe demeure interdite et reste donc clandestine.

L'extrait choisi met en évidence le fait que le soutien médical au projet du patient participe de sa reconnaissance et de sa légitimation. Dans le cas présent, cette contribution paraît évidente, car le projet ne soulève pas d'objection particulière, il n'y a aucun risque pour le médecin. A partir du moment où le dessein du patient est par exemple une euthanasie active, ce qui suppose un acte illégal, la question se pose différemment pour le médecin.

1.1. Signification et différenciation par la relation thanatologique

Selon la façon dont le médecin conçoit son rôle, sa position diffère dans la relation à son patient. L'énumération à laquelle se livre un médecin exprimant son opposition à l'usage de l'euthanasie active est parlante. « Finalement c'est facile à dire alors. Un, les médecins pensent qu'on a les soins palliatifs, deux que personnellement je n'encourage pas une euthanasie active, et puis trois, je n'ai pas le droit de la faire. Je suis les trois fois dans le même cas de figure, ça m'est très facile pour moi de dire je ne peux pas répondre à cette attente. Et après quatre, il y a une décision des hôpitaux concernant Exit (ndlr : l'assistance au suicide) qui serait une euthanasie autorisée quand même, alors la prise de position des hôpitaux et du canton est de dire : on ne pratique pas Exit en milieu hospitalier90(*). »

Il apparaît ici que l'opinion du médecin aussi claire et univoque qu'elle soit, repose sur la distinction qu'il fait entre les dimensions personnelle, professionnelle et sociale de la réalité perçue. Ainsi, il présente son avis personnel, l'enracinant dans un cadre religieux familial, pour le confronter ensuite au code déontologique de sa profession et finalement au cadre légal du code pénal. Il différencie donc entre la dimension singulière, intersubjective et objective de la situation qui s'offre à lui pour prendre position. Cela dit, il ne manque pas de préciser que pour lui cet exercice est facile, soulignant la cohérence des réalités perçues. Quel que soit effectivement le niveau considéré, sa réflexion aboutit aux mêmes conclusions, ce qui n'est pas le cas de tous les médecins interrogés.

L'intervention d'un autre médecin, farouchement opposé à une dépénalisation de l'euthanasie active, vient conforter cette première intuition. Il déclare en effet (à la condition que son témoignage ne soit pas enregistré), qu'à titre personnel, il n'envisagerait pas de dénoncer un collègue qui, dans le cadre d'un relation privée et singulière à un patient et à la demande de ce dernier, lui avouerait avoir accepté de procéder à une euthanasie active.

Ainsi, selon que le médecin investisse la dimension singulière, intersubjective ou objective de la relation qu'il entretient avec son patient, les éléments de la réalité considérés comme pertinents pour la justification de son choix de soutenir ou non le patient dans son dessein d'assistance au décès, varient. Pour la clarté de la présentation, il sera rendu compte des différentes modalités de signification du projet thanatologique en considération des trois registres de l'interaction entre le médecin et le mourant. Ainsi la communauté d'expérience correspond à la dimension singulière, la compagnie d'investissement mutuel au niveau intersubjectif et le rapport institutionnel se rapporte aux aspects objectifs de la relation thanatologique.

1.1.1. La communauté d'expérience

La communauté d'expérience désigne cette situation particulière où le patient et le médecin sont pris dans un rapport structurel qui à la fois les lie de façon étroite et les exclut par rapport au contexte social. Ainsi, la dimension singulière de l'expérience thanatologique se voit renforcée au détriment des autres dimensions.

Cette exclusion, qu'elle soit subie ou volontaire selon les cas, aboutit à une confrontation de leur perception subjective du monde dans le but de construire un vision commune susceptible d'orienter leur projet, le plus souvent indépendamment du contexte extérieur. Confinés dans un espace restreint, autonomisés par la force des choses, ils sont obligés de signifier par eux-mêmes leur quotidien. Cette situation est particulièrement observable dans les unités-mouroirs, qui ne sont pas spécifiquement attribuées à l'accompagnement de fin de vie ou à la gériatrie, mais qui constituent en somme un point de non-retour en fin de parcours thérapeutique, lorsque le pronostic de mort inéluctable est posé.

Pour le médecin, elle se traduit le plus par une responsabilisation accrue, car il est seul face à son patient, celui-ci n'étant plus pris en charge par le collège de médecins et par l'institution thérapeutique. L'extrait suivant illustre ce cas de figure.

« Et puis on avait évoqué avec cette personne avec ce malade la situation, et puis il m'avait dit quand cela va être l'heure, il m'avait écrit, quand cela va être l'heure et que cela va commencé à mal aller, vous faites la piqûre. Il s'adressait à moi, dans la mesure où j'étais le dernier de la chaîne de tous les traitements radiothérapie, chimiothérapie et autres, et on me l'avait confié quelque part et j'étais le médecin responsable de cette personne91(*). »

Lorsque la communauté d'expérience n'est pas induite par une mise à l'écart du champ thérapeutique, mais délibérément choisie par le médecin et son patient, il en va différemment. En effet, la communauté d'expérience résulte alors d'un choix conscient à un moment déterminé de créer un espace clos où la pratique d'une euthanasie active devient alors possible, car non élucidable. Par exemple, le choix d'un accompagnement médical à domicile permet non seulement de se soustraire de l'emprise hospitalière, mais également de laisser la famille constituée de profanes dans l'ignorance d'accepter l'euthanasie active projetée par le mourant.

Le patient et le médecin produisent en somme un espace où l'exclusivité devient possible. L'exclusion n'est pas subite, mais induite pour créer un monde à part, afin que la démarche d'assistance au décès active ne souffre d'aucune contrariété, car tous les proches ne sont pas à même de supporter le choix du mourant de mettre délibérément un terme à sa vie.

« Cet homme-là avait souhaité que ses proches ne soient pas informés qu'il y avait un acte actif d'euthanasie, cela aussi, c'est le patient qui le décide, du comment les choses soient exprimées vis-à-vis de ses proches. Lui voulait lui-même. C'est donc resté entre lui et moi, le jour dit, le soir j'ai été faire ma visite. Il avait encore parlé à ses filles et j'ai rajouté certains médicaments dans sa perfusion, donc il s'est endormi, il est mort. Donc d'une manière douce, ce n'est pas que l'on pique et qu'il meure en une seconde, vous voyez ce que je veux dire. Il s'endort et bien sûr je suis restée là, et puis j'ai constaté le décès, mais ces proches n'ont pas été mis au courant qu'il avait reçu ce soir-là, plus de produit.92(*) »

Dans le cadre de la communauté d'expérience, indépendamment qu'elle soit le résultat d'une exclusion ou de l'exclusivité, la communication entre le médecin et son patient se fait sur le mode de la confidence.

La confidence permet aux protagonistes de créer dans un délai de temps relativement court et pour une période donnée, celle de la relation thanatologique, les conditions nécessaires à l'expression de leur vision subjective du monde, au partage de leur expérience, afin de signifier l'assistance au décès à venir. L'authenticité est une condition de la réciprocité qui s'installe dans le cadre de la communauté d'expérience. Cette égalité de position qu'implique la confidence autorise le dévoilement de soi au-delà des rôles sociaux thérapeutiques de patient et de médecin. Et c'est sur cette réciprocité que se fonde alors le choix du médecin d'accomplir un acte d'euthanasie active à la demande de son patient.

« Par rapport à mes patients, à quelque part on a peut-être aussi la chance d'avoir à un moment donné des patients qui nous ressemblent. Moi, je fais pour mon patient ce que j'aimerais que l'on fasse pour moi93(*) »

Comme l'explique Claire Bidart la confidence naît de la similitude de l'expérience vécue, mais se révèle aussi en période de crise, en situation d'incertitude ou de recomposition des rôles, lorsque les identités sont mises à mal et ébranlées dans leur cohérence94(*). La confidence permet en effet la redéfinition d'une situation, la signification singulière d'une expérience par l'invocation de ce que l'auteure appelle « une dimension d'exception95(*) » qui sert de justification à l'acte illégal indépendamment des contingences objectives (le code pénal et la déontologie) et intersubjectives (le contrôle des pairs et de la famille).

La vision communément partagée du monde qui émerge de la communauté d'expérience peut être comprise comme un univers symbolique interpersonnellement construit, qui procède à la fois de l'identification à l'autre (entendue comme reconnaissance de la similitude entre l'autre et soi, de l'humanité intrinsèque), de la projection (entendu comme le fait de prêter à l'autre des intentions qui sont également propres à soi) et de l'affirmation de soi (car au final, il y a ajustement par la confidence entre l'identifié et le projeté).

La signification du projet thanatologique dans ce cadre repose alors sur la considération des convictions personnelles du patient et du médecin. Cette forme de relation sert de caution au mourant afin que son décès se déroule dans les conditions qu'il souhaite. La communauté d'expérience repose en partie sur le principe du don, dans le sens où le médecin contracte vis-à-vis du patient une dette, car il est censé agir en son nom au moment où celui-ci n'aura plus la maîtrise de soi. Mais la réciprocité n'étant que partielle, il n'y a aucune équivalence entre la position du médecin et celle du patient. L'échange repose donc entièrement sur la reconnaissance réciproque de la subjectivité de l'un et de l'autre et fonctionne sur le mode du « je fais pour toi, ce que j'espère que l'on fera pour moi » au moment venu.

1.1.2. La compagnie d'investissement mutuel96(*)

Tous les médecins ne conçoivent pas que la relation thanatologique puisse se construire sans reposer sur le rapport de confiance d'une longue relation thérapeutique, comme l'illustre l'extrait suivant tiré du témoignage d'un spécialiste pratiquant exclusivement en cabinet et offrant la possibilité d'une euthanasie active à ses patients pour autant qu'une demande claire ait été formulée.

« Et je trouve dommage que le médecin de proximité, les médecins traitants, avec lesquels les patients sont aussi censés avoir une relation de confiance durable, dans le fond se défilent, et alors que le patient doive recourir à quelqu'un aussi honnête et empathique qu'il soit, comme Léon Schwarzenberg, mais qu'il ne connaît pas97(*). »

L'idée sous-jacente à cette prise de position est que le médecin traitant ou de famille entretiennent avec le temps un rapport privilégié avec le patient, qui non seulement rend plus facile la confidence, mais permet aussi un accompagnement plus personnalisé, en respect de l'individualité du mourant et de celle de ses proches.

L'investissement médical ne se limite pas uniquement au suivi de la santé, mais la qualité de la relation est telle que le praticien et le patient nouent une relation très intime. Leur engagement dépasse de loin les seules considérations thérapeutiques. Le statut social, la vie familiale, la biographie de l'un et de l'autre se confrontent au fil des années.

Chacun d'eux y investit donc son capital social de façon différenciée de manière à en tirer un bénéfice propre qui n'est pas identique, mais non moins indispensable. Pour le patient, il s'agit en premier d'obtenir le soutien de son médecin tout au long de sa trajectoire biographique, afin que la maladie n'altère pas son insertion sociale. Pour le médecin, il s'agit de pouvoir faire la preuve de la justesse et de l'excellence de son expertise. L'échange symbolique dans ce cas engendre une réciprocité immédiate.

« Ce sont des relations intensives qui durent des années (...) . Il y a une forme d'amitié qui s'installe avec certains patients dont la perte n'est alors pas facile. Sur le moment, j'ai un sentiment de soulagement pour la personne qui part après des années de souffrance, de maladie, car dans le temps écoulé jusqu'alors était difficile. C'est le sentiment des proches d'ailleurs. C'est plus difficile si le patient est jeune.98(*) »

L'intensité et la durée de la relation créent en somme une complicité, tel que le médecin n'arrive pas à se résoudre à provoquer la mort des personnes qui en définitive lui sont devenues proches. L'investissement dans la lutte pour la survie du patient le mène donc à accepter la mort du patient, mais sans pour autant vouloir la provoquer, d'où le choix de ce médecin généraliste de suivre une formation continue en soins palliatifs.

La compagnie d'investissement mutuel diffère de la communauté d'expérience en cela qu'elle n'est pas exclusive, mais bien au contraire inclusive. En effet la dyade initiale que forment le médecin et le patient s'élargit à la prise en considération de la famille, du contexte socioprofessionnel du patient. Le médecin traitant ou de famille, en tant que praticien de proximité, est en effet plus impliqué dans la vie quotidienne de son patient, que ne peut l'être un spécialiste ou un médecin hospitalier qui ne voient leur patient que dans un laps de temps très court.

« Et puis, ils ont eu de très bons contacts, ils ont discuté et puis j'avais aussi l'impression que c'était important autant pour le père que le fils qu'ils aient pu vivre encore ça. Tu vois. Donc quand je sais des choses au niveau familial, comme ça, je les encourage, à ce qu'ils puissent se voir et discuter des problèmes. Ça me paraît important, mais j'ai plus, je ne porte plus le souci médical à ce moment-là. Je porte encore le souci relationnel99(*) »

Ce qui importe ici est le rapport de confiance. Il n'implique ni réciprocité, ni égalité, mais avant tout une reconnaissance mutuelle des appartenances respectives, des rôles différents. Il y a une dimension contractuelle à la compagnie d'investissement mutuel, car les deux protagonistes n'y engagent pas seulement leur personnalité, mais aussi leur identité sociale.

L'enjeu de cet investissement différencié du capital social et relationnel du médecin est la construction d'un « rapport d'humanité ». Il s'agit en effet de poser de façon intersubjective la reconnaissance immédiate du statut de pair, d'humain à part entière, sans aucune autre forme de procès ou de légitimation institutionnelle. La dimension intersubjective de la relation thanatologique sert avant tout à rétablir autour du mourant et du futur défunt le lien social et familial, l'appartenance en somme.

Mais pour que le médecin puisse faire ce travail symbolique une certaine distance est tout de même requise comme le signale le médecin précité ayant contribué au rapprochement d'un père et de son fils. Pour lui, en effet, l'implication totale dans la problématique du mourant empêche d'agir. À la question de la façon dont il peut préserver une certaine distance, il répond comme suit. « En tant que professionnel, tu dois garder une certaine distance, parce que si tu te laisses prendre par la problématique du patient et que tu te perds dedans, tu ne peux plus agir, tu es paralysé, donc tu dois toujours, tout en étant proche du patient, tu dois toujours garder une certaine distance qui te permet après d'analyser et puis de prendre des décisions.100(*) »

La signification de l'expérience morbide tient à la fois compte des intérêts du patient et de ceux du médecin. Dans le cas de la compagnie d'investissement mutuel, le bénéfice recherché n'implique pas uniquement le mourant, à la différence de la communauté d'expérience où la position du patient face à son expérience prime.

1.1.3. Le rapport institutionnel

La dimension institutionnelle de la relation thanatologique renvoie au niveau formel du rapport que le médecin entretient avec son patient. Le médecin ne considère plus seulement son identité et celle de patient, mais aussi leur position vis-à-vis des institutions. Ces dernières, qu'elles soient hospitalières, judiciaires ou sociales constituent le cadre objectif indépendamment de la qualité et de l'intensité du lien interpersonnel préétabli.

Dans le cadre d'un hôpital public, le médecin ne peut pas orienter l'accompagnement médical du mourant ou une assistance au décès sans tenir compte de la mission publique de son établissement. Le témoignage suivant est en ce sens éloquent. Évoquant la nécessité pour l'équipe soignante d'avoir un credo pour survivre en quelque sorte au patient, afin que la continuité du service puisse être assurée aux autres patients, un chef de clinique précise pourtant que «  ce credo, il doit être autant que possible en conformité avec la mission d'un établissement public. Si vous êtes une entreprise privée, vous faites ce que vous voulez. Si vous êtes une clinique privée, vous faites ce que vous voulez, je veux dire, ce que vous avez envie de proposer, ce que vous avez le droit ou pas le droit c'est égal, vous êtes votre entreprise.101(*) ».

Sachant que le credo de l'équipe soignante et médicale définit sa position vis-à-vis des différentes pratiques d'assistance au suicide, il est aisément compréhensible, en suivant le raisonnement du médecin, que dans le cadre d'un établissement public dont la mission est de tenir compte de l'intérêt publique, la pratique de formes illégales d'assistance au décès est vivement déconseillée.

Cela ne veut pas dire pour autant que le médecin soit totalement soumis au cadre institutionnel. Le rôle médical et la mission de l'établissement se confondent en effet dans la fonction de médecin-chef, de sorte qu'une décision médicale devient aisément une prise de position institutionnelle. Cela est illustré par l'issue d'une violente discussion entre un médecin-chef et un représentant d'une autorité religieuse qui soutenait la démarche d'une patiente voulant bénéficier d'une assistance au suicide à l'hôpital.

« Et on a donc expliqué notre point de vue, qu'on n'avait pas le droit de le faire dans cet hôpital, et qu'il n'y avait pas à se fâcher pour faire changer les choses, ça ne servirait à rien du tout, on a expliqué nos soins palliatifs et puis, la personne a renoncé à l'idée de partir avec Exit. Mais on a eu une discussion assez véhémente avec cette personne qui militait pour une personne qui n'était même pas convaincue, puisque la personne a choisi autre chose. C'est à la suite de quoi, l'institution s'est positionnée en fait. Nous n'adhérons pas à cette technique. C'est une décision d'institution.102(*) »

Dans le cas de l'assistance au suicide, le contexte objectif de la relation thanatologique joue un grand rôle. En effet, le médecin pratiquant dans un établissement médicosocial ou dans un institution hospitalière ne s'inscrit pas dans le même contexte qu'un praticien exerçant en cabinet ou d'un médecin conseil auprès d'Exit, où le cadre de son activité est plus libéral. La considération de ce contexte et de la marge de manoeuvre dont il dispose vis-à-vis de l'institution joue donc aussi un rôle dans la décision médicale de soutenir ou non cette pratique.

Eu égard à la volonté du mourant, mais également à ses droits légaux, certains médecins n'hésitent pas à dénoncer ce qu'ils désignent comme un abus de pouvoir institutionnel. « A propos de l'article du Temps concernant cette femme qui avait du quitter l'EMS pour aller dans un camping pour qu'Exit puisse, disons remplir son contrat. Bon, j'ai énormément de critiques à faire à l'égard de l'EMS qui est un lieu de vie, donc qui est sensé être le domicile de cette dame, et je ne vois pas pourquoi quelqu'un d'adulte, de majeur et de vacciné qui est à son domicile ne peut pas bénéficier de l'aide d'Exit par exemple. C'est un abus de pouvoir de l'institution sur la personne.103(*) »

L'opposition de ce médecin n'est pas sans fondement. Le rapport institutionnel entre le médecin et le mourant implique effectivement non seulement de tenir compte du champ thérapeutique en tant qu'entité institutionnelle et instituante, mais aussi de considérer les droits spécifiques du malade et de la personne en tant que citoyen.

Selon que le mourant est hospitalisé ou résident dans un établissement médicosocial, ses droits ne sont pas tout à fait identiques. En principe, pris en charge par un hôpital, il est soumis aux règles et aux normes hospitalières, autrement dit à la mission de protection de la vie de l'institution, sous réserve cependant des directives anticipées qu'il pourrait avoir remises à son médecin de famille, un proche ou une association104(*). S'il est résident dans un EMS, c'est son statut de citoyen qui prévaut, étant donné que l'établissement est son domicile légal. Il y dispose de tous ses droits, notamment de celui de pouvoir disposer de sa personne105(*).

Les trois formes de relation thanatologique mises en évidence montrent finalement que selon leur nature, les éléments de réalité pris en considération divergent. Et par conséquent la prise de position médicale vis-à-vis d'un projet d'assistance au décès ou d'assistance au suicide ne se déroule pas du tout de la même façon et n'implique pas les mêmes interactions. Le rapport de force entre le médecin et le patient n'est pas le même selon la qualité, l'intensité et le cadre de la relation thanatologique.

Considérant que la position du mourant n'est pas la même, il peut être déduit que sa capacité d'agir ne le sera pas non plus. Par conséquent la marge de manoeuvre dont il disposera pour accéder à son voeu ne sera pas la même. Il ressort des différents témoignages recueillis que l'acception médicale de la dignité du mourant varie fortement. Au vu de ce qui précède, il paraît légitime d'établir un lien entre non seulement les modalités de la signification du projet thanatologique et la nature de la relation thanatologique, mais également entre cette dernière et la façon dont le médecin perçoit la dignité du mourant.

1.2. Les multiples acceptions de la dignité

Consacrer un chapitre à la signification de l'expérience morbide sans aborder la question de la dignité est tout simplement impensable, à partir du moment où il est question de l'assistance médicale au décès. En effet si l'on considère les discours militants, la dignité du mourant est très souvent citée comme objectif du recours à l'une ou l'autre forme d'euthanasie.

Il semble important d'y revenir pour deux raisons. D'abord dans un souci de clarification de la notion, car malgré leur position parfois tranchée, les médecins interrogés semblent manier avec parcimonie ce mot dont le sens devient de plus en plus imprécis car trop connoté. Et ensuite, parce qu'étant plus nuancé que les prises de positions politiques et militantes, les propos révèlent la coexistence au quotidien de multiples acceptions de la dignité. Leurs préoccupations et leurs discours montrent qu'au-delà des débats éthiques, dans sa dimension opératoire, la notion de dignité mobilise des valeurs et des attentes divergentes.

1.2.1. Une dignité multiforme

À la question de ce que représente pour lui une mort digne, un médecin généraliste pratiquant les soins palliatifs met en évidence deux aspects de la dignité. « C'est le sentiment que quelqu'un a pu préserver son autonomie, même dans un contexte aussi réduit et contraint, et ne perde pas le contrôle sur elle-même. Par exemple qu'elle doive pleurer continuellement, qu'elle ne peut plus contrôler les agressions, bref qu'elle n'arrive plus à contrôler les émotions, les sentiments. L'autre aspect est que quelqu'un puisse accepter à quelque part la maladie, le décès et la mort, ainsi que ses proches par la suite. En fait que les choses sont bien ainsi. Il me semble difficile de définir ce qu'est une mort digne.106(*) »

D'un côté, la dignité se traduit par la maîtrise de soi qu'a pu conserver le mourant. De l'autre, elle renvoie plutôt au fait que ce dernier, ainsi que ces proches, arrivent à accepter la rupture qu'implique la mort. Comme si l'acceptation de l'inéluctable, passant par la reconnaissance de la condition humaine du mourant, permettait finalement l'installation du rapport d'humanité, reproduisant le lien social au-delà de la mort.

Ce témoignage montre que la dignité est étroitement liée à la préservation de la capacité d'agir du mourant et de ses proches, malgré le pouvoir annihilant de la souffrance. Pour reprendre le propos de Hans Joas, la dignité nous renvoie donc au maintien de l'intentionnalité de la personne. Ainsi la notion de dignité ramène le propos au départ de la réflexion menée sur la nécessité pour le mourant de rétablir son intentionnalité par le biais du projet thanatologique. En ce sens, il peut être admis que la dignité soit en somme la raison et l'objet du projet. Cependant, la dignité se rapporte aussi au lien social, à l'appartenance générée par le travail de deuil des proches et de l'agonisant. De ce point de vue, elle peut être considérée comme l'aboutissement du projet thanatologique.

Il est particulièrement intéressant de relever que les médecins qui pratiquent l'assistance au suicide, perçoivent la dignité dans sa dimension subjective. Ils sont particulièrement préoccupés par le fait qu'une personne puisse perdre son autonomie, la maîtrise de son corps. « Je ne vois pas où est la dignité quand l'on doit être mobilisé, tourné, quand on ne peut pas aller soi-même à selle. Je trouve en tant que personne, et non pas en tant que médecin, que ce serait plus digne de pouvoir choisir si l'on veut mourir ainsi ou non. Personnellement je ne le veux pas, j'aimerais partir avant. Je préfère choisir, c'est de ma propre responsabilité, de mon propre choix.107(*) » Ainsi ils justifient leur soutien au projet du patient par le fait que ce dernier puisse garder la maîtrise de sa vie.

La maîtrise de soi ne suppose pas seulement que la personne agisse d'elle-même, mais aussi qu'elle puisse accéder à son voeu de mourir en ayant la maîtrise de son environnement par le biais d'un lien particulier à son médecin par exemple. C'est le cas de figure qui se présente dans les situations d'euthanasie active, où le médecin et le patient, par l'intermédiaire de la communauté d'expérience conviennent ensemble que le premier agisse selon l'intention du second. C'est en somme ce que met en lumière la critique émise par un médecin à la pratique de l'assistance au suicide. « Moi, je pense qu'Exit, ça me fait le même effet, la même réserve que j'avais exprimé par rapport à Léon Schwarzenberg. Pourquoi on doit tellement prendre sur soi ? Pourquoi la vieille dame ne pouvait pas être gentiment entourée par son médecin de confiance, dans son milieu de vie habituel.108(*) » Il se réfère à une situation rapportée par le journal le Temps, où une dame âgée avait pu accédé à son voeu, mais à condition de le faire hors de l'établissement où elle résidait. Finalement l'assistance au suicide avait eu lieu en présence de ses filles, dans un minibus sur un parking. Il privilégie l'euthanasie active, car selon lui cela permet au patient d'une part de vivre plus longtemps, mais aussi d'autre part à ne pas être seul responsable de son choix.

De façon assez singulière, dans le cadre de la communauté d'expérience, le maintien de l'intentionnalité passe une maîtrise médiatisée de soi (le médecin agit au nom du patient) et par une reconnaissance interpersonnelle des aspirations individuelles, ainsi que par le maintien dans le cadre de vie habituel, le domicile. Ainsi quelle que soit la forme d'assistance au décès ou d'accompagnement médical du mourant, les deux dimensions de la dignité subjective et collective sont toujours présentes. Elles sont cependant articulées et mises en oeuvre de façon sensiblement différente. La mise en évidence de la dualité109(*) inhérente à la notion de dignité montre aussi pourquoi la dignité peut désigner à la fois l'objectif (le maintien de l'intentionnalité de l'individu) et le produit (le rétablissement du lien social) du projet thanatologique, sans que pour autant les deux aspects ne soient finalement de la même nature.

Si la définition de la dignité que donnent Luc Boltanski et Laurent Thévenot vient corroborer notre conclusion, ils apportent un autre éclairage important. En effet, dans leur ouvrage consacré au thème de la justification et des économies de la grandeur, ils expliquent la construction et la dynamique de chacun des univers symboliques qui structurent la réalité sociale. C'est ainsi qu'ils distinguent six mondes (marchand, domestique, civique, industriel, de l'opinion et de l'inspiration), chacun orientant les interactions entre les personnes et se caractérisant entre autre par une interprétation propre de la dignité. Par conséquent, il est tout à fait imaginable que la dignité ne soit pas seulement de nature duale, mais de plus qu'en fonction du monde social considéré, sa dualité trouve une expression différente. Ainsi, il peut être déduit de l'apport théorique de ces deux auteurs, que les acteurs sociaux, selon le monde duquel ils tirent leur statut social ou auquel ils se réfèrent normativement, vont avoir une certaine vision de la dignité.

1.2.2. La dignité comme attente sociale

La question qui subsiste encore est celle de l'utilité de ce concept dans le discours éthique et militant. Fonder à priori le recours à l'assistance au décès sur la dignité revient à anticiper le sens du projet thanatologique, à le poser comme à priori à toute action, en somme en tant que bien commun, que valeur à poursuivre. De ce fait, l'omniprésence de la notion dans le débat éthique sur l'euthanasie montre qu'il s'agit aussi d'une attente sociale.

Anselm L. Strauss explique en effet qu'à défaut de rituels symboliques signifiant la mort et susceptibles d'orienter les conduites, les équipes soignantes reportent sur le mourant l'exigence de se maîtriser soi-même et si possible de se confronter par soi-même à la mort à venir. Plus le mourant arrive à maîtriser son angoisse de la mort, à communiquer avec son entourage, à maintenir le lien par lui-même avec les vivants, leur montrant finalement comment il faut mourir, plus son attitude face à la mort est considérée comme convenable110(*).

La déception qu'exprime un médecin généraliste et des proches face à l'incapacité d'un mourant à verbaliser ses angoisses, ses peurs vis-à-vis de sa famille est parlante. « Un petit peu ma souffrance et celle de la famille, c'était que l'on n'a pas eu des moments où l'on a pu vraiment parler de la mort, de ce qu'il ressentait, de la façon dont il avait envie de vivre ça...pas de dialogue profond, pas de choses profondes...sur ce qu'il vivait.111(*) ». De façon implicite, il est attendu du mourant qu'il se maintienne un tant soit peu, ne serait-ce que pour faciliter le deuil des vivants qui sont à son chevet.

1.2.3. La dignité dans le cadre de la relation thanatologique

Il apparaît que la définition de la dignité passe par la détermination des conditions auxquelles l'appartenance de l'individu à la communauté est avérée et que sa production sociale implique de penser comment l'individu mourant peut rester en interaction avec son entourage social, familial, malgré la souffrance, jusqu'à son décès.

La réflexion menée quant aux différentes formes de relation thanatologique qui peuvent s'établir entre le médecin et le mourant, permet intuitivement de poser la question de la possibilité que les modalités selon lesquelles la dignité est déterminée et produite ne soient pas toujours identiques.

D'une certaine façon, dans le cadre de la communauté d'expérience, la construction d'une vision commune du monde permet au médecin et à son patient de poser les conditions d'accès à la dignité de façon interpersonnelle, sans aucune forme d'organisation ou d'institution intermédiaire pour les légitimer. Dans ce cas, la dignité est perçue de façon immédiate et réciproque, indépendante de toute médiation sociale.

Dans le cas de la compagnie d'investissement mutuel, la dignité passe par la reconnaissance des multiples appartenances des deux interlocuteurs. La construction du rapport d'humanité correspond en quelque sorte à la détermination et à la production de la dignité par tous les acteurs impliqués dans l'accompagnement du mourant. Dans ce cas de figure, la dignité est médiatisée de façon intersubjective, donc elle est d'ores et déjà médiate.

Finalement, dans le rapport institutionnel, la dignité du mourant est intimement liée à un ensemble de dispositifs sociétaux (juridiques et éthiques) qui déterminent l'appartenance sociale de l'individu tout en posant les conditions auxquelles l'individu a une capacité d'agir qui lui est reconnue. Ici, la dignité est complètement médiatisée. La dignité de l'individu passe en somme par l'établissement de son statut de citoyen, qui implique dès lors protection de l'État, tout en lui permettant à certaines conditions de disposer librement de lui-même.

Les différentes acceptions de la dignité semblent donc dans une certaine mesure être en lien avec la forme de relation thanatologique que le médecin investit de façon plus particulière. Il est vraisemblable que la perception qu'a le médecin de la dignité influe sur sa façon d'investir la relation qu'il construit avec le mourant, selon l'univers symbolique dont il se sert comme référence. Donc selon qu'il la définit comme dépendante en principe de la reconnaissance d'un tiers voire de la légitimation d'une institution, ou alors comme essentiellement dépendante de la perception subjective des individus, sa réponse à la demande euthanasique ne sera pas la même.

2. Présenter le mort

Le premier chapitre nous a conduit au constat que le projet thanatologique vise à générer l'identité du défunt en générant la dignité du mourant de telle façon que l'intentionnalité, la capacité d'action de ce dernier soient préservées et que le lien social soit réaffirmé. Pour ce faire, il a été montré que la relation thanatologique servait en quelque sorte de plateforme à ce travail symbolique impliquant les différents acteurs de l'accompagnement du mourant et en particulier le médecin.

Un médecin explique la nécessité d'humaniser le patient au travers d'une procédure collective, en montrant finalement que c'est justement l'un des enjeux de l'assistance médicale au décès : « Il n'y avait pas d'étapes, qu'il est mort maintenant et que la famille peut vivre la mort, et que peut-être à la fin de la matinée ou du soir, etc., finalement à la fin du processus, le corps serait transféré à la mort. Alors vous voyez, cela par exemple, on a l'air d'être éloigné de l'euthanasie. On est en fait en plein dans le sujet par rapport à quelles réflexions, de quels médecins par rapport à la mort et comment ça peut se dérouler.112(*) ». Mais tout en soulignant le défaut de temps pour médiatiser le mort dans un contexte hospitalier, son propos montre la nécessité de construire une temporalité, rythmée par des étapes et une démarche impliquant la famille. En somme pour ce médecin, le malade reste objet car une procédure de transition au statut de défunt fait défaut.

A présent, il convient d'abord de comprendre comment le médecin contribue à la genèse de la dignité, en défendant les souhaits de son patient. Ensuite, il s'agit de saisir par quels moyens les conditions d'accès à celle-ci sont définies de façon interactive entre les différents acteurs de l'accompagnement médical du mourant, pour finalement être traduites en des décisions concrètes, susceptibles d'orienter et d'organiser une assistance médicale au décès.

Deux constats peuvent être posés de façon préliminaire. Premièrement, l'issue du projet thanatologique peut être considérée comme la résultante des discussions menées par le médecin avec le patient, ses proches et l'équipe soignante, et des contingences liées au contexte social. Il est donc plus que vraisemblable que l'issue du projet ne puisse être totalement fixée au départ, d'où la présence d'une certaine incertitude. Deuxièmement, les différentes interactions que supposent de la part du médecin, (mais également des autres acteurs) la conduite et la réalisation du projet thanatologique, doivent d'une façon ou d'une autre se différencier les unes des autres en fonction des différentes formes d'assistance au décès. En effet, ces dernières ne disposant pas toutes de la même légitimité, le médecin implique nécessairement les tiers selon des modalités distinctes.

Pour rendre compte de la conduite par le médecin du projet thanatologique, il est indispensable de saisir en quoi consiste son expertise et son activité professionnelle. Cependant avant de s'atteler à cette tâche, il convient de clarifier les bases théoriques qui sous-tendent la suite de la réflexion.

2.1. La transaction médicale

Dans le cadre du projet thanatologique, les interactions inhérentes au projet ont pour but de construire le statut de défunt, en objectivant le sens donné à l'expérience du mourant de façon à ce que sa dignité soit instituée.

Ceci n'est possible que si, au préalable, le référentiel symbolique de cette objectivation est déterminé et que les conditions de participation de chacun des acteurs sont fixés. De ce fait, il est nécessaire de choisir une notion qui permette à la fois de présenter et d'articuler des mécanismes aussi divers que celui de signification de l'expérience morbide, du choix interactif d'un ordre de grandeur communément admis, mettant fin à la confrontation des différents mondes symboliques engagés, ou encore celui de l'organisation concrète de l'activité par l'entremise de discussions et d'évaluations successives de la réalité vécue.

Jürgen Habermas apporte un éclairage intéressant sur les interactions nécessaires à l'établissement d'une nouvelle norme par l'obtention d'un accord sur une pratique et de la fixation des règles auxquelles elle est sujette. Il explique comment l'intercompréhension, soit la validation par tous les acteurs du contenu d'un accord définitif ou d'une entente provisoire peut être obtenu par ce qu'il nomme l' « agir communicationnel113(*) ».

Il s'agit d'un mode d'interactions qui consistent en des actions langagières qui visent à ce que tous les interlocuteurs conviennent d'une définition commune de la situation, en somme de l'établissement d'une vérité, selon laquelle ils peuvent alors convenir d'une norme de conduite.

Cependant Jürgen Habermas part de l'idée que l'« intercompréhension » implique que tous les interlocuteurs soient au courant des tenants et des aboutissants de l'action envisagée, pour que l'accord soit valable114(*). En prenant position quant au bien fondé de la décision médicale en fin de vie, un médecin vient confirmer ce point de vue, lorsqu'il souligne qu'un consensus minimal est nécessaire afin que les proches du patient ne viennent pas dénoncer par la suite la décision. « Donc quand cela se passe bien, on a un consensus autour de la personne. Et un consensus sincère et pas seulement sur les lèvres. Car si avec beaucoup de persuasions, vous arrachez un oui pour une limitation de souffrance en fin de vie à quelqu'un, de la famille, vous êtes sûr qu'après vous avez des ennuis, donc cela doit vraiment être quelque chose d'authentique115(*). ». L'intercompréhension sert donc de garantie à ce que l'accord ne soit pas rompu.

Cependant, ce type de consensus n'est pas possible dans tous les contextes, car il suppose des relations égalitaires entre les différents acteurs, autour d'un objet qui ne suscite pas de conflits. Ce qui selon les formes d'assistance au décès n'est pas toujours possible vu leur nature clandestine ou vu que les proches, à la demande du patient, ne doivent pas être informés de l'acte projeté, à titre d'exemple. Ainsi, les concepts d' « agir communicationnel » et d' « intercompréhension », en tant que principes explicatifs dans le cadre de la présente réflexion, s'avèrent inopérants, par exemple pour la pratique de l'euthanasie active ou de l'assistance au suicide pratiqué clandestinement à domicile116(*) avec le soutien d'un médecin, pour des personnes psychiquement malades notamment.

La notion de « transaction sociale » qu'utilise Jean Remy permet de dépasser le cadre d'une interaction idéale, où les acteurs disposent d'une connaissance complète des enjeux et des mobiles de l'interaction, pour envisager la construction de l'accord et des normes dans un contexte de conflits et de négociation stratégique. En conclusion d'un ouvrage collectif consacré à la sociologie de la transaction117(*), il met en évidence que les transactions sociales menées par les acteurs supposent la définition d'un référentiel commun d'action, afin que puissent être menées des négociations. Celles-ci consistent en des échanges de nature multiple (implicite ou explicite) qui relèvent à la fois des rapports de domination et de structuration entre les sujets, mais reposent aussi sur l'intersubjectivité, alliant la dimension affective et rationnelle de l'intentionnalité des acteurs.

L'utilité du concept est qu'il est assez souple pour permettre d'articuler différentes modalités d'interactions induites mises en évidence par les stratégies identitaires qu'adoptent les médecins par le biais de la justification de leur pratique. La transaction sociale permet aussi de mettre en évidence que l'action peut être à la fois orientée en fonction du but poursuivi, mais également d'après l'actualisation du bénéfice supposé. Elle devient particulièrement intéressante lorsqu'il s'agit de mettre en évidence que la résultante des interactions ne peut être que rarement anticipée, et que les protagonistes sont confrontés à l'incertitude et au risque.

Ainsi la « transaction sociale » se prête bien à l'exercice qui consiste à vouloir rendre compte d'une activité aussi complexe et variée que celle de la conduite médicale du projet thanatologique. Au-delà d'un processus décisionnel et de choix rationnel, la réalisation d'une euthanasie exige de la part du médecin qu'il procède à des transactions, selon des modalités différentes, selon sa position, celle de ses interlocuteurs et en fonction d'un contexte toujours mouvant, donc très incertain. Il pourra être montré que la production de la dignité du mourant et par conséquent du statut de défunt, implique de multiples arrangements obtenus de différentes façons.

2.2. Les enjeux de la transaction médicale

Partant du constat que la dignité du mourant est à la fois la résultante et l'objet du projet thanatologique, il est facile d'imaginer que les enjeux des transactions menées dans le cadre de l'assistance médicale au décès soient intimement liés à la détermination des conditions nécessaires à ce que le mourant puisse accéder à cette dignité et, ce faisant, transiter vers le statut de défunt.

Il est aisé de comprendre que chacun des acteurs présents dans le cadre de l'accompagnement du mourant ne participent pas de la même réalité, en cela que les mondes sociaux qui orientent leur intervention auprès du mourant et desquels leurs identités participent, ne sont pas identiques. Ces mondes diffèrent non seulement en fonction de leur acception de la dignité, mais aussi par leur temporalité et la logique selon laquelle les acteurs y agissent.

Ainsi la famille et les proches relèvent du monde domestique, alors que les religieux et certains accompagnants appartiennent au monde de l'inspiration. De ce fait même le personnel soignant et le personnel médical opérant dans le même champ thérapeutique, n'ont pas auprès du mourant la même position, car l'espace autour du mourant fait l'objet d'une division du travail particulière entre ces deux corps de métier. Les premiers entretiennent leur relation au mourant sur le mode intersubjectif, alors que les autres relèvent plutôt du monde technique, industriel. Les institutions de santé publique, que ce soient les hôpitaux ou les établissements médicosociaux appartiennent au monde civique. Au chevet du mourant, chacun des acteurs établit avec lui un rapport différencié, obéissant à des règles différentes et étant soumis à des contraintes spécifiques.

La réalisation d'une assistance médicale au décès exige donc du médecin, qu'il prenne en considération la façon dont le mourant participe également à ces différents mondes, étant entendu que l'identité du mourant est plurielle118(*). Ceci est indispensable s'il entend transiger avec les différents acteurs sur une dignité communément acceptée, et ce faisant favoriser la construction d'une identité cohérente du défunt.

Si l'idée d'une « intercompréhension119(*) » chère à Jürgen Habermas est inopérante, la notion d' « entente120(*) » en tant que forme initiale et préalable à l'accord, présente ici son intérêt. En effet, l'entente présuppose que les acteurs puissent convenir d'un arrangement qui soutienne un ordre commun transitoire et qui oriente leurs interactions dans le présent, en fonction d'une vérité communément définie. En somme, l'entente rejoint la figure du « compromis121(*) » entre plusieurs mondes que présentent Luc Boltanski et Laurent Thévenot. Les deux notions rendent possible une formalisation partielle et provisoire des rapports.

Elles permettent même d'envisager que les différents acteurs puissent convenir d'une suspension momentanée des différentes temporalités sociales en présence, relatives aux différents mondes, de façon à ce qu'autour du mourant se crée un espace hors monde, transitoire, à partir duquel ce dernier puisse accéder au statut de défunt. De la même manière, il est possible d'imaginer qu'à défaut d'entente entre tous les acteurs, le médecin doive transiger en traduisant, voire en masquant le sens de son intervention, de façon à ce que le mourant puisse participer des différentes temporalités en présence.

La transaction médicale, nous l'avons vu est essentielle, en cela que le rôle de médecin dans le domaine de la gestion sociétale de la mort, est tout simplement incontournable. C'est au travers des différents objets de l'expertise médicale, que sont entre autres l'évaluation de la douleur et des ressources présentes, le choix de l'antalgie, du lieu de prise en charge, qu'il est possible d'en appréhender les enjeux. La transaction médicale doit en effet pouvoir s'appuyer sur des univers symboliques reconnus comme légitimes pour fonder la pratique de l'assistance médicale au décès, l'identification des éléments de réalité pris en compte dans la transaction révèle en somme les différentes formes de compromis en présence.

2.2.1. L'évaluation des atteintes à l'intégrité de la personne

L'intégrité de l'individu se décline en deux formes, la préservation de sa santé mentale et physique. La notion d' « intégrité » renvoie au devoir de protection de l'État vis-à-vis du citoyen. L'intégrité physique et psychique est effectivement un droit du citoyen, dans la mesure où elle est nécessaire à sa participation au monde civique.

L'intégrité physique

En premier lieu, le propos va porter sur l'intégrité physique de la personne. L'évaluation de l'intégrité physique ne participe pas du même compromis que celle des conséquences sur l'apparence physique de la pathologie morbide. Le corps humain dans une société industrialisée est un bien de production, son altération implique en quelque sorte qu'il ait perdu de son utilité socioéconomique, c'est pourquoi le mourant est alors pris en charge par le système de santé publique, qui lui relève du monde civique, où les droits du citoyen lui assurent la protection de sa vie jusqu'à son décès. C'est plutôt cette forme de compromis entre le monde civique et domestique qu'illustre la position d'un médecin qui ne voit pas en l'altération de l'apparence physique de raisons suffisantes à ce que soit menée une euthanasie active, mais qui par contre envisage que les soins palliatifs offrent une alternative à l'euthanasie.

« Je pense que les structures qu'on peut mettre en place répondent à la grande majorité des situations que ce soit une fin de vie avec défiguration ou pas. Je pense pas qu'il y ait des situations de médecine palliative qui soient dépassées, au point que l'on doive pratiquer une euthanasie active. Mais, c'est mon avis personnel. Je pense qu'il y a des situations très difficiles, ici on a par exemple, une atteinte physique vraiment dure pour la famille et pour l'entourage. Je pense que là on est dans une situation où c'est pas que de la morphine, c'est pas que des anxiolytiques, etc. »

Dans une société de plus en plus hédoniste et soucieuse du bien-être corporel, l'évaluation de l'intégrité physique tend à devenir de plus en plus subjective. Il apparaît au travers des différents témoignages que les atteintes à l'apparence physique du mourant induites par les pathologies sévères, constituent pour les médecins un point d'attention. En effet, selon la gravité des atteintes, la vue du mourant peut devenir insupportable, autant pour lui-même que pour ses proches.

C'est en somme comme si l'altération radicale de l'apparence physique, par exemple du visage, venait à remettre en question la capacité du mourant à entrer en relation avec le monde qui l'entoure. La préservation de son visage malgré la souffrance constituerait en somme le dernier refuge de sa dignité. Aussi, dans le cadre de la communauté d'expérience, le médecin et le patient peuvent être amenés à considérer l'altération radicale de l'apparence physique comme un motif d'agir.

« Il s'agit d'un patient qui m'avait été confié, qui avait eu différentes interventions chirurgicales pour un cancer et tous les traitements possibles et qui avait récidivé, et son cancer progressait et on me l'avait confié pour l'aider, parce que son cancer progressait encore et on ne savait pas où le mettre, comment faire et tout. C'était un immense cancer de la bouche qui avait détruit une grande partie de la mâchoire, qui avait envahi une bonne partie de la langue, il y a avait eu des rayons, il y avait eu une nécrose de l'os. L'os sortait par la joue. On avait essayé de reconstruire et le tout récidivait et en fait sa tumeur. Ce qu'il se passe dans certaines tumeurs, c'est que les vaisseaux sont atteints et le patient meure d'hémorragie, et puis elle va pouvoir se voir mourir. Si c'est un gros vaisseau, elle va mourir très vite, si c'est des petits vaisseaux, cela va commencer à suinter pendant quelques jours jusqu'au moment où un gros vaisseau est atteint.122(*) »

Dans les situations extrêmes, la conscience qu'a le mourant de la destruction de sa propre apparence et de l'effet de celle-ci sur les autres, peut le conduire à considérer une assistance au décès. Dans le cas présent il s'agit d'une euthanasie active, comme un moyen de mettre un terme à ce qu'il considère comme un « état de déchéance 123(*)», dans la mesure où privé de son visage, le patient se sent privé de son image et perd son amour propre. Or, dans le monde de l'opinion fortement médiatisée et centré sur l'amour propre, la perte de l'image équivaut à ne plus exister.

Il est souvent fait référence au caractère inéluctable et irréversible de la maladie comme seuil d'accès au recours à une assistance au décès. Il est utile de relever que l'énonciation du caractère inéluctable de la mort consiste finalement à signifier le moment où un compromis entre les mondes peut entrer en ligne de compte pour soutenir une assistance au décès. Lorsque le médecin pose ce constat, il signifie au patient que celui-ci peut ou doit envisager sa propre mort.

L'intégrité psychique

Contrairement à l'intégrité physique, les atteintes portées à l'intégrité psychique ne sont d'une part pas visibles, d'autre part leur irréversibilité n'est jamais vraiment prouvée. Pour beaucoup de médecins, c'est l'état des connaissances qui détermine si une atteinte psychique est réversible ou non. En conséquence, nombre de médecins éprouvent des réticences à mener une assistance au décès pour des personnes atteintes de maladies psychiques. Cette attitude est illustrée par les propos d'un médecin pratiquant pourtant l'euthanasie active.

« Par rapport au malade psychiatrique, c'est ma tendance qu'est-ce que l'on pourrait encore faire, qu'est-ce que l'on peut encore imaginer qui prime. J'arrive pas à me résigner que pour eux, il n'y a aucune issue, une thérapeutique. Vous voyez, c'est cela la différence. Après je dis effectivement, je ne peux pas renoncer à vous, je ne peux renoncer à l'idée, que peut être l'année prochaine, l'on trouve quelque chose pour vous et c'est peut-être trop me demander, je ne sais pas.124(*) »

L'intégrité psychique constitue un enjeu majeur car elle conditionne la capacité de discernement de l'individu, donc l'usage de son libre-arbitre et de son autonomie. Selon la nature de l'atteinte psychique, l'individu n'a pas accès à une assistance au décès car il n'est plus considéré comme responsable de ses actes d'une part, d'autre part son incapacité de discernement le prive du droit à disposer de lui-même. Ainsi, l'assistance médicale au suicide pour les malades psychiques peut être à l'heure actuelle pénalement poursuivie, sous réserve que leur capacité de discernement puisse être prouvée. Médicalement parlant, le champ psychiatrique est très réservée en la matière.

« Et en principe, on accompagne pas aujourd'hui des maladies psychiques. C'est toujours assez dangereux. Naturellement, il y a les changements et la psychiatrie officielle suisse est absolument contre. Quoiqu'il y a des cas où on comprend très bien... les schizophrènes chroniques qui sont vraiment tombés dans le social, qui en ont marres parce qu'ils n'ont plus d'amis, ils ont plus de famille, etc (...) mais on n'ose pas pour l'instant. Ce sera peut-être une question de futur125(*). »

Dans le cadre de la pratique de l'assistance au suicide, lorsque les médecins sont en présence d'une pathologie psychique et somatique chez le même patient, certains préfèrent attendre que l'avancement de la maladie somatique soit telle que la mort soit inéluctable, avant d'envisager la remise d'une ordonnance pour le pentobarbital. Ce qui montre que le statut de l'affection psychique n'est pas le même que celui de l'affection somatique.

L'évaluation de l'intégrité psychique ne semble par conséquent jamais acquise et elle pose d'autant plus problème qu'une atteinte psychique grave et chronique se traduit le plus souvent par l'incapacité de la personne à entretenir des relations sociales dans la continuité. Ainsi, l'état de déchéance auquel le malade psychique tente de remédier par le biais de la dignité attendue de l'assistance au suicide est tout simplement la mort sociale, l'isolement. Du point de vue de la dignité de la personne, l'atteinte psychique pose un problème pour tous les mondes, mais en particulier pour le monde civique et le monde domestique. Pour y être partie prenante, l'individu doit effectivement pouvoir satisfaire aux conditions minimales de l'exercice de sa liberté personnelle et pouvoir entretenir des relations sociales, soit son autonomie et sa réflexivité.

Si l'on considère le cas particulier de la pratique de l'assistance au suicide, l'assimilation de cette pratique au suicide pathologique indique qu'à son propos, il n'est pas facile de trouver un compromis avec le monde de l'inspiration, autrement dit avec les institutions religieuses qui en relèvent.

2.2.2. L'expertise de la douleur et de la souffrance

Les médecins s'accordent à dire que l'expertise de la douleur ressentie par le patient est difficile à évaluer. Aussi l'appréciation médicale de la douleur est à la fois objective, liée aux lésions corporelles, donc à des phénomènes physiologiques, et subjective, liée aux émotions, à la psyché du patient. La douleur dans l'approche allopathique fait l'objet de mesures diverses qui orientent la décision médicale. Le médecin décide alors de la stratégie à suivre pour ce qui est du traitement antalgique.

« Il est également important de savoir quelle est l'intensité de la douleur, le type de douleur, par exemple une douleur liée à une inflammation ou une douleur liée au système nerveux. Il y a des douleurs qui sont difficiles à supporter, qu'il faut aborder différemment, les conditions sont différentes. L'étendue de la douleur pour laquelle on peut déterminer une échelle. Il y a aussi les douleurs chroniques, il est important de déterminer quelles doses d'antalgique sont nécessaires. Il faut aller des antalgiques les plus simples aux antalgiques agissant sur le système nerveux central.126(*) »

D'un premier abord, l'expertise du médecin semble se concentrer essentiellement sur les seules considérations médicales pour orienter sa décision quant à la pertinence d'une assistance au décès. Ayant une meilleure maîtrise des aspects objectifs de la maladie, ils ne peuvent pas pour autant ignorer la part subjective du vécu de la douleur, en particulier dans le cadre de l'assistance médicale au décès, lorsqu'ils sont amenés à refuser leurs services au patient, comme l'indique cet extrait tiré du témoignage d'un médecin-conseil d'Exit.

« C'est grave, il vient quelqu'un qui dit que je souffre tant et que personne ne peut rien faire. Je dois lui dire alors, que malgré tout je ne peux pas lui donner l'ordonnance. Ensuite j'ajoute que ce n'est pas vrai vous ne souffrez pas autant, ce n'est pas aussi grave que vous le pensez. C'est ce qui est fou. La souffrance et la douleur sont subjectives. Mais il y a aussi des éléments objectifs, la pathologie de la maladie, par exemple la sclérose multiple, se caractérise par des crises qui se traduisent par une aggravation ou non, passagère ou durable, dont la fréquence peut augmenter ou non.127(*) »

La difficulté réside dans le fait qu'il faille faire comprendre au mourant que sa souffrance, sa douleur ne sont pas suffisantes pour qu'il puisse accéder à sa demande d'assistance au décès. Le fait que la détermination de la douleur soit soumise à l'avis médical, donc à des critères scientifiques considérés comme objectifs, signale donc la présence d'un compromis entre le monde industriel et le monde civique en ce qui concerne l'accessibilité du mourant à disposer de son corps.

Il y a aussi une part intersubjective au vécu de la douleur et de la souffrance du mourant. En effet l'impact que peuvent avoir les manifestations sonores, physiques de l'agonie sur l'entourage du mourant, qu'il s'agisse des soignants ou de la famille, n'est pas à négliger.

Ainsi, l'accompagnement médical du mourant à son domicile familial suppose que la gestion de la douleur et de la souffrance subissent parfois quelques aménagements pas uniquement au bénéfice du mourant, mais aussi pour celui de la famille. En effet, les manifestations de l'agonie (les cris, les râles, les crises d'angoisse) ne sont pas toujours supportables pour les proches. Aussi, l'intervention médicale vise à faire en sorte que la dignité du mourant, mais aussi celle de ses proches, soient préservées dans le monde domestique. En effet il s'agit que chacun des acteurs impliqués, les proches et le mourant, puissent conserver la maîtrise de soi et qu'ainsi l'équilibre de la sphère familiale ne soit pas remis en question.

A la question de savoir qui se trouve au centre de son évaluation, un médecin généraliste, offrant des soins palliatifs, répond très clairement. « En principe le patient, mais je ne peux pas le dissocier de son contexte, de sa parenté. Et je pense aussi qu'il y a aussi des situations où il faut également considérer la situation du point de vue de la parenté. Car je pense que le mourant lui peut gérer la situation, mais pas la parenté. Dans une situation pareille, je donne de la morphine qui ne serait pas nécessaire pour des raisons médicales pour la personne concernée. Ce que l'on ne sait pas de façon absolue, c'est si la personne ressent la douleur ou non.128(*) »

L'évaluation de la douleur et le traitement médical de la douleur ne se limitent donc pas aux seules considérations dites objectives. La part subjective et intersubjective de la situation vécue faisant partie intégrante du contexte du projet thanatologique, le médecin en tient également compte dans sa conduite, et notamment dans ses choix de traitement antalgique.

2.2.3. Le choix du produit et l'état de conscience du patient

Le choix médical du produit nécessaire à la réalisation de l'assistance au décès ne constitue pas un enjeu en soi. En effet, selon la pathologie et l'état général du patient, un produit antalgique d'utilisation courante en milieu hospitalier peut devenir létal à partir d'une dose peu importante. L'expertise médicale consiste en une connaissance approfondie de la posologie et des effets nocifs de différentes substances conjuguées entre elles.

Sans pour autant revenir sur une typologie exacte des antalgiques, l'idée que l'on peut retenir ici est que certains antalgiques agissent en périphérie sur les terminaisons nerveuses et d'autres directement sur le système nerveux central. Le choix est déterminé par le type de douleurs induits par la maladie et selon la pathologie. Selon l'état psychologique du patient, le traitement antalgique est accompagné par la prescription d'antidépresseurs, de somnifères ou de calmants.

Dans ce contexte, c'est moins le produit en lui-même et son dosage, que son utilité qui constitue un enjeu pour le médecin. Le témoignage du généraliste accompagnant des mourants en home et à domicile concernant son usage de la morphine est parlant : « Lorsque qu'un être humain supporte bien la morphine, il n'y a pas de limites, dans la mesure où les douleurs sont massives. On a eu des patients, aussi de façon ambulatoire qui ont eu plusieurs centaines de milligrammmes par jour129(*). ». Pour ce médecin le but recherché idéalement est que la douleur soit circonscrite de façon à ce que le patient puisse maintenir un niveau de communication avec son entourage qui soit assez satisfaisant, mais il ajoute que ceci n'est pas toujours possible. Les phases finales de certaines pathologies conduisent à des états de somnolence ou à des démences.

Le médecin, face au profane qu'est le patient, peut choisir de l'impliquer ou non dans la démarche antalgique. Le plus souvent, il y est obligé, car son jugement de l'évolution de la douleur dépend étroitement des dires du patient et, lorsque celui-ci est inconscient des observations des soignants ou de la famille. Selon la relation qu'établit le médecin avec le patient, l'implication de ce dernier peut aller au-delà de la simple vérification de l'adéquation du traitement antalgique et consister en une participation active dans le choix de l'élaboration du traitement antalgique.

Dans ce cas cependant, il s'agira le plus souvent d'obtenir son adhésion, car de la confrontation entre la vision de l'expert et les appréhensions du profanes, les premières sont le plus souvent plus convaincantes, comme l'illustrent les propos d'un médecin assistant relatant une discussion liée à une demande de retrait thérapeutique venant d'une patiente âgée :

« Ce qu'on a discuté, c'est les médicaments. Parce qu'elle a dit que cela ne faisait pas de sens. Là on explique que c'est beaucoup plus dur pour mourir, si on laisse tomber le médicament cardiaque par exemple, parce que c'est tout à coup le coeur qui arrête de battre. Mais en ce moment, vous êtes en pleine forme dans le cerveau. Et vous remarquez encore que le coeur ne bat plus, que c'est fini, et vous avez encore quelques minutes durant lesquelles vous savez que c'est fini. Et c'est un moment qui je pense n'est pas très agréable. Mais si vous prenez le médicament cardiaque, ce sont les reins qui travaillent mal. Et les produits toxiques augmentent gentiment, ils vous endorment et vous vous en allez. Alors c'est beaucoup plus agréable pour vous.130(*) »

Le produit sert avant tout à modifier l'état de conscience du patient dans le but de lui rendre la maîtrise de son corps en atténuant la douleur ou de lui ôter la sensation de souffrance durant son agonie. En dernier recours, il peut servir aussi à tuer le patient. L'usage de barbituriques combinés à des produits à base de morphine peut aider à masquer l'intervention médicale dans une euthanasie active, car le cocktail létal diffère l'instant du décès, de telle façon qu'un lien direct ne puisse être établi entre l'acte médical et le décès.

« Comme je l'ai dit avec ce patient, je lui ai donné une haute dose de barbiturique et il est mort dans la nuit. Ce qui m'a permis de rentrer (ndlr : chez lui !), et l'on m'a annoncé son décès durant la nuit. Si j'avais fait l'injection avec le barbiturique et le curarisant, je serais sorti de la chambre et il serait mort. Donc ce que j'ai fait là, c'est une euthanasie clandestine en sachant qu'il allait mourir dans la nuit et puis comme cela j'ai pu dire, il est mort des complications de ...131(*). »

Contre toute attente le produit peut même servir de moyen de contrôle par la procédure y donnant accès. C'est le cas par exemple dans le cadre de l'assistance au suicide, où l'accès au produit létal, le pentobarbital, est remis sous ordonnance médicale. Or, les décisions médicales en la matière doivent être justifiées et les dossiers médicaux des mourants y ayant recours sont soumis au contrôle du médecin cantonal. Ce qui fait dire à un médecin-conseil d'Exit que « c'était beaucoup plus simple qu'aujourd'hui où nous utilisons le pentobarbital de sodium. Tout doit aller par nous, par Exit ou par le médecin traitant. C'est plus compliqué. Et je ne suis pas mécontent, parce que ça donne un contrôle un petit peu sur toute la ... comment dirai-je... sur les abus. Parce que chaque fois que j'accompagne un malade, je dois faire un rapport et ce rapport, il est là. C'est contrôler plus tard.132(*) ».

Le produit en lui-même n'est pas un enjeu. Au fur et à mesure des témoignages, il apparaît que ce sont les même substances dont il est fait usage dans les différentes formes d'assistance au décès (mise à part l'assistance au suicide prodiguée par les associations). Les propos du Dr. Marylène Filbet mettent en évidence la proximité entre la sédation totale, qui consiste à induire un coma chez le patient présentant des symptômes réfractaires à tout traitement et des signes aigüs de morbidité, et l'euthanasie active133(*). Ces deux pratiques reposent sur l'usage des même produits, à des dosages différents. Finalement, que les formes d'assistance médicale au décès soient clandestines ou officialisées importe peu du point de vue de la substance active. Par contre, l'utilisation du produit et l'effet escompté permettent de dire si l'acte médical était conforme ou non à la loi et au code déontologique. De ce fait, seules les déclarations des médecins peuvent faire foi dans ce domaine.

2.2.4. Le lieu de la prise en charge du mourant

La recherche d'un compromis entre les différents acteurs du projet thanatologique implique aussi la détermination du lieu de prise en charge du mourant. En effet, à chaque monde considéré correspond aussi un espace social, institutionnel, dans lequel les transactions entre les acteurs sont réglées de façon spécifique, en fonction de leur position institutionnelle, de leur pouvoir et des normes de conduite. La détermination du lieu est donc décisive, en cela qu'elle détermine la marge de manoeuvre dont dispose le médecin dans sa conduite du projet thanatologique.

La mort médicalement accompagnée peut survenir en différents lieux : dans les hôpitaux ou les centres de soins palliatifs, dans les établissements médicaux sociaux, à domicile, ou dans les chambres des associations comme Exit ou Dignitas. Dans chacun de ces espaces, l'activité médicale s'organise différemment de sorte que le médecin y jouit d'une marge de manoeuvre différente et que son rapport au patient y diffère.

Le choix du lieu de prise en charge dépend de plusieurs facteurs. A la question de la différence entre la prise en charge des mourants qu'il suit en EMS ou à domicile, un médecin généraliste répond de la façon suivante :

« Il s'agit d'organiser et de considérer dans quelle mesure les parents, si c'est à domicile, le personnel soignant, si c'est dans un home, peuvent être mis à contribution. Il faut identifier les possibilités, les ressources de la parenté. Peuvent-ils voir leurs limites. J'observe que même si la volonté est là souvent ils ne voient pas leurs limites. Je ne peux pas être présent tout le temps 365 jours par année, 24 heures sur 24. donc de façon prophylactique, il faut déterminer qui sont les personnes disponibles, pour combien de temps, à quelle fréquence des relèves, les possibilités de repos. Ceci peut prendre plus de temps que l'accompagnement du mourant en lui-même.134(*) »

Il apparaît que le souhait du mourant de mourir à domicile n'est pas le facteur décisif. Le médecin évalue au préalable l'état physiologique du mourant et en conséquence évalue les ressources disponibles, voire à mobiliser. Les ressources considérées sont autant financières, psychoaffectives, matérielles (lits, appareillage), qu'humaines (en personnel soignant, en soutien et en disponibilité horaire). Dans la mesure où le lieu constitue le cadre objectif du suivi médical, il a une incidence sur la position du médecin vis-à-vis des autres acteurs et sur son implication dans le suivi du mourant, comme en témoigne un des médecins faisant de l'euthanasie active à domicile.

« Le médecin entre et sort de la famille. Il est dedans et il est dehors. Et il est clair que c'est un espèce de continuum. Il est évident que le médecin va s'en aller à un moment donné, car il y aura encore une partie qui sera tout à fait privée de la famille. Mais c'est à géométrie variable. Le médecin que je suis, je suis assez impliqué émotionnellement avec mes patients et leurs proches, mais j'entre et je sors de leur histoire. Il y a des limites. Vous voyez. Et ces limite, elles vont être très souples en fonction des besoins.135(*) »

Le domicile du mourant, dans le cas présent, est présenté comme un espace relationnel particulier dans lequel le médecin se meut et nourrit des rapports privilégiés. Il participe activement de ce monde. Cette implication est d'autant plus facile que, dans le cadre familial, il dispose d'une certaine autorité, car il est en principe le seul médecin présent auprès du mourant. Il dispose donc de plus de marge de manoeuvre médicalement parlant, mais en même temps tout acte de sa part suppose qu'il établisse un consensus avec la famille et le mourant, si ce dernier est conscient. Néanmoins, l'envers du décor est que la présence à domicile du mourant suppose une présence et une participation intense des proches. « De ce fait à la maison, c'est plus simple, par le simple fait que l'on a alors plus d'autorité. Cela existe encore. En tant que médecin on a une autorité, même sous-jacente. Mais on peut aussi agir de façon différente, car on a à faire avec le patient et la parenté, et on peut obtenir dans ce contexte plus facilement un consensus. Mais il y a aussi eu des situations où j'ai dû hospitaliser le patient, non pas pour des raisons médicales, parce que l'accompagnement et les soins à domicile étaient possibles, mais simplement parce que la parenté ne l'a plus supporté, elle était dépassée. Cela je le respecte, ce n'est pas une question.136(*) »

L'évaluation médicale des ressources disponibles dans le monde domestique peut mener à la décision médicale d'une hospitalisation pour que le mourant y décède. Dans un univers hospitalier, le suivi médical n'est de loin pas le même. La prise en charge hospitalière du mourant est fortement collectivisée. Le médecin y partage la responsabilité et l'autorité avec le collège des médecins, en fonction de sa position de son statut, de son champ de responsabilité. La phase terminale correspond aussi au terme de la chaîne thérapeutique, de la trajectoire du malade au sein de la structure. Selon que le médecin soit le médecin de famille ou le médecin hospitalier, la position auprès du mourant n'est pas la même. Ainsi certains généralistes ou psychiatres représentent les intérêts de leur patient au sein de la structure, pour ce qui est de leurs directives anticipées. Toutefois l'implication du médecin traitant auprès de son patient, en milieu hospitalier, dépend en général de la qualité de la compagnie d'investissement sur laquelle repose leur relation thanatologique. Il faut en effet que la demande du mourant ait été explicite ou que l'attachement du médecin au patient soit telle que ce dernier le soutienne.

« Quand je vais à l'hôpital en visite, je ne vais plus tellement comme médecin, c'est par amitié que j'y vais. Ça dépend de la relation que l'on avait avant et puis des discussions qu'on avait avant. C'est clair que si l'on avait des discussions d'un certain niveau, ça se prolonge quand je vais faire des visites à l'hôpital, pour autant que je ne tombe pas juste au milieu du repas, pas quand il y a d'autres personnes, enfin. Je n'ai pas forcément les moments privilégiés que j'ai au cabinet, quand je sais que je peux parler avec elle et que je sais qu'il n'y a personne qui va me déranger, peut-être de temps en temps un téléphone137(*). »

Les transactions considérées dans chacun des lieux sont donc de différentes natures (économiques, symboliques, relationnelles, etc.) mais leur régulation diffère selon les espaces considérés. Le choix du lieu de prise en charge du mourant est donc décisif pour la réalisation du projet thanatologique. Ce choix traduit et matérialise en quelque sorte le monde que les différents acteurs ont choisi comme référence pour fonder leur compromis. Il détermine en effet le contexte objectif de la relation thanatologique.

2.2.5. La qualité de vie et la détermination du potentiel de santé.

La « qualité de vie » en tant que concept est omniprésent dans les discours relatifs à l'euthanasie. Elle désigne tout à la fois le bien-être du mourant, la qualité de ses relations, son appréciation subjective de son existence, le rapport entre son état de santé, son espérance de vie et sa survie quotidienne. Cette notion est en quelque sorte un véritable « fourre-tout », malléable selon le contexte de son utilisation et la visée militante de l'interlocuteur. De ce fait, nombre de médecins la jugent simplement impraticable au quotidien.

Un médecin ayant suivi une formation en soins palliatifs exprime son doute quant à l'objectivité de son expertise à ce propos. « On n'a pas beaucoup d'outils pour décider de la qualité de vie, donc cette question intuitive « est-ce qu'à sa place je... ? Est-ce qu'à la place du patient en évaluant ma qualité de vie, je n'aurais pas envie de me suicider ? C'est en effet un moyen intuitif aussi bon que les moyens objectifs soi-disant, d'ailleurs qu'on n'a pas vraiment, pour évaluer une qualité de vie. C'est très subjectif de toute façon ... mais c'est quand même très individuel et intuitif, donc c'est de l'empathie ...138(*) ».

Ce témoignage montre que la qualité de vie suppose une vision plus large que ne le permet la seule expertise clinique. La vision holiste du patient et de sa situation que nécessite le maniement d'une telle notion n'est donc pas une évidence. Si le médecin ne dispose pas des outils d'évaluation sociale adéquats, la projection personnelle et l'identification se substituent à l'expertise que suppose la notion de qualité de vie.

La qualité de vie, telle qu'elle est perçue par l'opinion publique, de façon commune, et le concept, tel que le médecin est censé le comprendre, ne sont pas équivalents. En effet, dans le premier cas, elle désigne finalement l'appréciation personnelle des conséquences de la morbidité sur la vie quotidienne, dans le second, elle consiste en une tentative d'objectivation. Il s'agit de déterminer les paramètres indicateurs du moment où la renonciation aux soins curatifs est possible. Cette préoccupation permanente de la médecine, en particulier d'urgence, est bien illustrée par les explications que donne un médecin au sujet d'une recherche à laquelle il a participé et qui lui a permis de mieux appréhender le moment où une assistance au décès est envisageable, voire nécessaire.

« En fait le but de cette thèse était de voir un certain nombre de paramètres qui permettaient de déterminer qui allait mourir, qui allait survivre bien et moins bien et à partir de quand on pouvait se faire une idée à partir d'un certain nombre de paramètres. Parce que à la base de cette réflexion, il y avait l'idée que si on sauve quelqu'un de la mort, mais que l'on en fait quelqu'un qui sera décérébré et qui sera dans un état végétatif persistant, qui va survivre quelques mois, quelques années, mais en étant toujours dans le coma, pour cette personne, pour la famille de cette personne, ce n'est pas forcément un bien, globalement pour la société cela n'apporte rien, et c'était de voir à quel moment, à partir de quels critères on pouvait se dire et bien stop, là il devient légitime de s'arrêter car l'on va vers la catastrophe, ou bien là non, il faut faire un effort soutenu poursuivi et maximum car l'on va pouvoir récupérer, et de clairement essayer de voir les différents groupes.139(*) »

Dans son acception médicale, la qualité de vie est mise en relation avec l'espérance de vie pour définir le « potentiel de santé140(*) ». Cette notion décrit l'état de santé du patient. Si une maladie apparaît, il diminue en conséquence et peut conduire à une mort prématurée, sans aucune intervention. Les moyens curatifs visent à restaurer ce potentiel ou à le stabiliser. Par contre, les soins palliatifs visent à atténuer la douleur à améliorer le bien-être, ce qui peut retarder quelque peu la mort prématurée, mais qui n'est pas équivalent à une mort naturelle. Le témoignage d'un médecin assistant illustre cette logique d'accompagnement du patient : « Il y a différentes choses dans la médecine. Il y a la chose de guérir. La chose principale et puis si on n'arrive pas à guérir, c'est d'augmenter la qualité de vie. La troisième chose est d'augmenter la qualité de mourir. Ce n'est pas ma branche, ce n'est pas ce qui m'intéresse surtout, mais c'est surtout une branche importante, en fait.141(*) ».

Il est vrai que les acceptation commune et médicale de la qualité de vie sont proches, car le potentiel de santé du patient et son état sont une donnée qui est propre à chaque individu. Toutefois, comme le relève Guy Llorca, le concept de qualité de vie permet d'individualiser l'approche médicale, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut y voir un alignement sur l'appréhension subjective que peut avoir une personne de sa situation142(*).

En fin de compte, malgré la complexité, la malléabilité et le flou épistémologique qui caractérisent la notion de qualité de vie, celle-ci semble pourtant avoir un intérêt : celui de provoquer la discussion et d'inciter les acteurs à se confronter au sujet des conditions auxquelles il peut être admis que le mourant peut disposer de sa propre existence. La qualité de vie constitue un enjeu en cela qu'elle représente un élément du consensus recherché afin de pouvoir mener à bien le projet thanatologique. Posée comme nécessité, elle conduit en somme les transactions menées autour du mourant et sert de trame à la construction du compromis entre les différents mondes.

2.2.6. Le temps du mourir

En arrière-plan de l'interrogation de la qualité de vie du mourant, apparaît celle de l'évaluation du temps restant à vivre. Le temps est toujours présent dans le discours des médecins.

« Trouver là le bon moment où il faut arrêter avec la chimiothérapie par exemple, ou avec n'importe quoi, et parler avec le malade, nous sommes au bout du rouleau maintenant, on peut encore vous donner une vie paisible jusqu'à votre fin, c'est beaucoup plus « time consuming » que de faire une nouvelle chimiothérapie. Il faut se mettre à côté du lit , il faut discuter avec lui, vous avez encore peut-être une demi-année, une année à vivre, on va vous soulager, là il faut du temps, il faut de la psychothérapie, ça ne se paie pas, le traitement ça se paie, le laboratoire, les médicaments, tout ça...143(*) »

Comme le montre l'extrait, le temps est un enjeu lorsqu'il faut définir le bon moment pour prendre une décision d'ordre euthanasique, une ressource lorsqu'il s'agit de déterminer la disponibilité pour la relation au mourant et une limite, un espace déterminé, lorsqu'il s'agit de considérer l'espérance de vie du mourant. Le temps se décline donc de plusieurs façon dans le cadre de l'assistance au décès. Il se présente comme une dimension essentielle à la réalisation du projet thanatologique, dont il donc est important de comprendre la l'utilité.

Norbert Elias identifie le temps à un référentiel pour la coordination et la régulation des activités sociales, il distingue par conséquent un temps social et un temps physique. Alors que le premier a une portée normative, s'imposant aux individus pour régler leur conduite et instituant des espaces distincts, le second est considéré comme naturel, donc indépendant de la volonté humaine144(*). La médecine participe du temps social, en cela que les différentes étapes de l'expérience humaine, les différents âges de la vie sont définis en fonction des étapes physiologiques du développement humain145(*).

Les différents témoignages recueillis montrent que le corps médical est très empreint de cette temporalité biologique. Il s'avère difficile d'en faire abstraction pour mener à bien le projet thanatologique. L'âge influe beaucoup sur l'acceptation de la mort et sur la disposition à procéder à une assistance au décès. Ainsi un médecin exprime sa difficulté à suivre l'assistance au suicide des personnes relativement jeunes. « Vous savez, il y a des jeunes que je dois accompagner pour des troubles neurologiques, des scléroses en plaques, complètement paraplégiques, des atrophies cérébrales, comme la maladie d'Hocine, la sclérose amyotrophique latérale. Des gens qui lentement sont paralysés, quelquefois ce sont des gens qui ont trente-cinq, quarante ans, alors quand je dois accompagner beaucoup de gens de cet âge-là, j'ai beaucoup de peine de le faire. »146(*).

La période de la vie influe sur l'acceptation dont une assistance au décès dispose, non seulement pour les proches, les tiers sociaux, mais aussi pour le médecin lui-même. Au passage, il est significatif de relever l'absence dans le débat de l'euthanasie, de l'usage des soins palliatifs et de l'assistance au décès dans les unités pédiatriques. Non seulement les rares pédiatres contactés évitent le sujet, mais même dans la littérature spécialisée, il n'est pas fait mention de telles pratiques en pédiatrie.

La médecine joue un rôle important dans la définition des phases de la vie et notamment du moment à partir duquel une mort peut être considérée comme acceptable. Cependant cette influence a aussi un effet pervers : celui notamment de soumettre à la logique de l'activité médicale les temps sociaux de la vie quotidienne du patient. Ainsi, dans les faits, le mourant est soustrait à son environnement, à sa propre temporalité biographique, familiale. Il ne participe plus aux événements fédérateurs de la vie sociale. Jean Foucart décrit bien la perception différente du temps qu'ont le mourant et l'équipe soignante147(*). Pour le premier, il est immobile, stagnant, alors que pour la seconde, il ne cesse de s'échapper et de manquer. Si l'on en croit son discours, étant en quelque sorte reclus dans un espace hospitalier, le mourant est sans repère. Le malade, et en particulier le mourant, sont non seulement « hors temps », mais par extension aussi « hors jeu », car ils échappent à l'« interdépendance fonctionnelle148(*) » induite par l'organisation temporelle des différents mondes en présence.

A la lumière de ce qui précède, l'enjeu de l'accompagnement du mourant n'est pas forcément d'avoir plus de temps, même s'il est vrai que toute activité relationnelle d'accompagnement suppose une disponibilité et est consommatrice de temps. Il s'agit plutôt pour les acteurs d'avoir la possibilité de créer une temporalité qui leur est propre et qui permette d'inscrire le vécu quotidien de la morbidité dans un univers de sens et de relation. La production de la dignité du mourant et le travail de deuil des proches nécessitent une chronogénèse sociale de façon à structurer l'espace d'interactions.

Ceci est d'autant plus probable que le pronostic de mort inéluctable inscrit le mourant dans un espace paradoxal où le temps fait à la fois défaut au quotidien, tout en étant surdéterminé, car le mourant se pose la question du sens qu'il donnera à la période qu'il lui reste à vivre. Cette impression de vide est certainement renforcée par le fait qu'il se voit projeté dans une réalité où il ne sera plus, tout en étant inscrit dans un ici et maintenant qu'il ne peut pas définir, les repères temporels faisant défaut.

Le projet thanatologique est donc contre toute attente un processus qui pour aboutir, doit permettre l'institution d'une temporalité alternative, à la fois intégratrice du présent, de l'expérience de la mort actuelle, et à la fois indépendante du passé auquel a contribué le mourant et du futur auquel il ne participera plus. Ce, dans le but que les tiers puissent survivre à l'expérience particulière de la mort et envisager une continuité sociale indépendante de la survie de leur proche.

La liste des enjeux de la transaction médicale abordés dans ce sous-chapitre, ne saurait être exhaustive, dans la mesure où, varient, selon les mondes en présence, la constellation des acteurs impliqués, les situations singulières du mourant, les enjeux des transactions que mènent les différents acteurs. Notre regard s'est essentiellement porté sur la réalité telle qu'elle se présente pour le médecin, par conséquent il est évident que le propos ne puisse embrasser l'ensemble des enjeux en présence.

2.3. Les modalités de la transaction médicale

Après avoir situé théoriquement notre propos et posé les enjeux du projet thanatologique, il est temps de considérer comment le médecin mène ses transactions. Au vu des chapitres précédents de la seconde partie, le constat suivant peut être posé : la conduite médicale du projet thanatologique ne peut se faire sans qu'il ne soit tenu compte de la définition intersubjective de son orientation symbolique, de l'implication de sa propre personne dans la relation au patient, des conditions subjectives, intersubjectives, objectives de la prise en charge du mourant, en somme sans que les enjeux de la transaction ne soit clarifiés. Au-delà de ce postulat subsiste cependant une question essentielle.

La légitimité de l'acte envisagé peut-elle ou non constituer un enjeu de la transaction ? Oui, pour autant qu'il soit admis qu'un acte lorsqu'il est illégitime, voire surtout illégal, puisse faire l'objet d'une entente minimale, autrement dit implicite ou tacite. Sans cela, en effet, le médecin est fortement exposé à la dénonciation et à la poursuite pénale, et ainsi le projet thanatologique ne pourrait aboutir dans certains cas. Cette première intuition se fonde sur les propos d'un médecin qui commente les réactions d'autres médecins quant à ses prises de position favorables à la pratique de l'euthanasie active et de l'assistance au suicide, depuis les débats liés à l'initiative du Professeur Franco Cavalli149(*). « Il n'y a jamais eu de discussion directe, comme cela non. Maintenant un peu. Ce qui me surprend, il y a des gens qui disent ah mais on l'a toujours été d'accord mais il y avait pas besoin de 150(*) ».

L'obtention par le médecin d'une certaine reconnaissance, à défaut d'une légitimité formelle et complète, suppose donc qu'il mène ses transactions de façon différenciée, selon la forme d'assistance au décès projetée, pour que l'entreprise communément décidée avec le mourant puisse parvenir à son terme. La difficulté réside ici dans le fait de pouvoir rendre compte de cette différenciation et de proposer une typologie qui permette d'appréhender les nuances observées sur le terrain.

La seconde intuition est que le degré de formalisation des rapports qu'établissent les acteurs définit aussi le degré d'objectivité du contexte de l'assistance au décès. Ce qui veut dire que le contexte n'échappe pas totalement à l'influence des acteurs.

Christian Maroy ouvre une piste théorique intéressante en abordant la question du latent et de l'implicite dans la transaction. Il la différencie de la négociation formelle et explicite, telle qu'en parle notamment Anselm Strauss, qui mène à la régulation des échanges entre les acteurs, à l'établissement d'un « ordre négocié151(*) », tout en affirmant que la négociation peut être une forme de transaction152(*). Dans un souci de clarté et de compréhension, le choix sera ici de considérer la transaction comme une forme généralisée de production de la légitimité sociale et en tant qu'espace interactif de justification plus ou moins formalisé. La négociation n'en sera donc qu'une forme particulière. La différenciation entre les différentes modalités de transactions se basera donc sur le degré d'explicitation du sens préalablement défini, sur le degré de formalisation du rapport établi entre les acteurs, sur la façon dont ces derniers participent à l'élaboration et à la conduite du projet.

Cette dernière idée repose en partie sur le propos de Marc Mormont. Ce dernier tente de différencier les types de transactions en fonction de l'accord153(*). Selon que l'accord constitue l'objet de l'interaction à construire, la condition préalable minimale à toute interaction ou finalement selon qu'il s'agisse simplement d'en modifier les principes, donc de procéder à une « mise à l'épreuve154(*) », en d'autres mots de renouveler les supports symboliques d'un accord. Ainsi, c'est le niveau de formalisation de l'échange qui sert de point de repère à cette différenciation. Si cette idée est séduisante, au vu de notre thématique, il est nécessaire de préciser la perspective adoptée dans ce travail.

Le propos de ce travail diverge de celui de Marc Mormont sur le point suivant. L'individu peut par lui-même définir le degré de formalisation recherchée au cours de la transaction. Il peut en effet de façon stratégique choisir s'il entend dévoiler le sens initial du projet thanatologique, (selon lequel il mène la transaction), mais aussi déterminer le degré de formalisation auquel est faite la transaction (pour obtenir un arrangement interpersonnel ou une autorisation officielle), dans le souci de générer le moins d'opposition possible à la réalisation du dit projet. Si l'acte envisagé est illégal, si la pratique n'est pas légitime, il n'a en effet pas forcément intérêt à ce que les échanges soient trop formalisés, mais simplement à obtenir une entente minimale, un consensus qui lui permette de faire aboutir l'idée de l'assistance au décès. La légitimité ainsi obtenue n'est en quelque sorte que partielle, ne recouvrant que la partie visible de l'acte.

Il s'agit donc bien de structurer un espace du jeu social, mais tout en y introduisant une marge de manoeuvre assez grande pour la gestion des situations limites. Prenant position sur la nécessité d'un accord tacite et implicite des autres médecins pour rendre possible la gestion de l'euthanasie en milieu hospitalier, un médecin n'hésite pas à confirmer que « cela permet un certain nombre de choses, cela permet à la pointe de l'iceberg d'émerger. Mais il y a bien d'autres choses derrière que l'on ne voit pas et qui ne doivent pas sortir par cette mini soupape, il faut donc clairement poser les problèmes et dire les choses et de voir en fonction de l'évolution de la société, ce que la société juge acceptable ou non.155(*) » Cependant il souligne en même temps l'intérêt d'une négociation ouverte afin de permettre une régulation réelle de la situation, où chacun des acteurs peut se déterminer en connaissance de cause. L'image de l'iceberg utilisée par le médecin n'est pas une représentation quantitative de la situation, mais plutôt qualitative. Il s'en sert pour illustrer le fait qu'une majeure partie des actes qui peuvent être assimilés à une pratique euthanasique et susciter un débat, restent couverts par le silence tacite des praticiens.

Aux différentes formes d'assistance au décès correspond une modalité bien précise de transaction, en fonction du degré d'acceptabilité dont elle dispose au sein du champ médical et de la société civile. Dans le cadre de la recherche menée, quatre formes de transactions médicales ont été identifiées : l'intercession, la traduction, la médiation et la négociation.

Ces modalités d'interaction se différencient en fonction de la façon dont le médecin noue ses relations avec les autres acteurs, en fonction de son implication et de sa contribution à la signification du projet thanatologique, selon le degré d'explicitation du sens initial et de formalisation de la relation thanatologique, ainsi que du degré de légitimité recherché.

2.3.1. L'intercession

« Ce qui se passe quand il y a ces euthanasies clandestines, la déclaration de décès est une fausse déclaration, selon laquelle le patient est mort des suites de son cancer, point. (...) C'est moi qui fait le constat de décès, parce que l'on m'a annoncé qu'il est mort dans la nuit. C'est donc moi qui viens le faire: il est mort des suites de sa maladie, sachant que je lui ai donné un peu plus. Personne ne dit rien, pourquoi le voudriez-vous ? Le patient est dans une situation catastrophique, et bien il est mort. Le médecin a fait le constat de décès, je le signe, j'officialise les choses et puis voilà. Par contre l'utilisation d'un curarisant permet à une infirmière de dire que le médecin est sorti de la chambre et le patient était mort, qu'est-ce qu'il y a eu ?156(*) »

Le témoignage de ce médecin quant à la façon dont il « officialise » l'acte d'euthanasie active montre que son souci premier n'est pas d'obtenir l'accord des autres acteurs, de légitimer l'acte euthanasique, mais bien de veiller à ce que le projet d'assistance au suicide ne soulève pas plus de questions qu'il n'en faut, afin que se maintienne le bénéfice du doute face au personnel soignant et au collège de médecins.

Mû par la commune vision du monde construite avec le mourant, son souci est la réussite de l'acte euthanasique et la minimisation des risques pénaux pour lui-même. Ayant développé une relation singulière avec le patient, il importe peu pour lui que les autres acteurs donnent leur accord. Par contre son engagement personnel vis-à-vis du mourant de poser l'acte létal lorsque ce dernier en manifestera le souhait ou ne sera plus en mesure de vivre dans des conditions définies comme dignes, se maintient. En fonction de cela, il est à une dette vis-à-vis de son patient, car il se voit obligé de tenir sa parole d'agir au nom du patient, au nom de la liberté de ce dernier.

L'intercession consiste donc en une transaction où le médecin intervient pour que le mourant puisse accéder à la dignité subjectivement définie. Le premier garantit au second que l'assistance au décès se déroulera en fonction des souhaits émis avant la perte de conscience ou de la capacité de discernement. Il s'agira dans l'intercession non pas d'obtenir un accord ou un compromis impliquant les différents mondes, mais simplement de présenter le décès, de lui donner l'allure d'une mort qui soit explicable selon les principes propres au monde des différents acteurs en présence.

A l'hôpital, le patient meurt des suites de sa maladie, de façon logique compte tenu de sa pathologie. Ainsi, le médecin attend le dernier moment avant d'intervenir et procède aux injections de façon à ce qu'un rapport direct entre l'acte et le décès ne puisse être établi.

A domicile, le médecin procède aux injections de telle façon que le patient meure de façon paisible et pour éviter que son acte soit découvert. Le mourant aura au préalable pris la précaution d'interdire toute autopsie pour des raisons confessionnelles, afin d'entraver toute investigation approfondie. La famille endeuillée ne retient finalement que l'aspect paisible du mourant, qui s'est endormi au cours de son sommeil.

Dans un établissement médico-social, le médecin peut par exemple demander au chef-infirmier de poser les injections après son départ, toujours dans le même souci que durant la procédure le voile ne soit pas levé sur le but réel de l'acte. La complicité du chef-infirmier semble nécessaire pour ne pas éveiller les soupçons de l'équipe infirmière.

L'intercession suppose du médecin qu'il agisse sur deux fronts, le premier est la présentation de l'acte face au tiers, le second est d'offrir au mourant la garantie que tout se déroulera comme prévu. « Officialiser » consiste donc à donner au décès provoqué de façon illégale tous les aspects d'une mort légitime et acceptable, quels que soient les mondes en présence par l'intermédiaire des différents acteurs impliqués.

Un autre aspect de l'intercession mérite une certaine attention. En effet, par le fait que seul le médecin survive au projet d'euthanasie active, qu'il soit celui qui pose l'acte mortel en lieu et place du mourant, le met en position particulière face au patient. Il devient en quelque sorte non seulement le seul dépositaire des souhaits du patient mais aussi le seul vecteur de son accessibilité à la liberté de disposer de lui-même.

Ce qui de l'extérieur semble être un plein pouvoir, est en réalité une dette contractée dans le cadre de la communauté d'expérience avec le mourant et dont il n'est pas facile de s'acquitter. « C'était assez clair pour moi qu'au cas où une demande m'était adressée par un patient dans le cadre d'une relation médecin-malade de qualité, je devrais y répondre. Parce que ne pas y répondre, c'était tout simplement se défiler et je pensais que c'était pas au moment peut-être le plus grave de la vie du patient, c'est-à-dire sa mort, que le médecin devait s'en aller157(*). »

Contrairement à la relation thérapeutique classique où le médecin, par la confiance, s'assure que la conduite du patient soit conforme aux objectifs du traitement préconisé, dans la relation singulière, c'est le mourant qui s'assure par l'intermédiaire de la confidence et de la communauté d'expérience que le médecin agira selon les buts communément définis. L'intercession implique donc une forme de relation selon les principes du don et de la dette. Le fait que le patient s'en remette au médecin quant à la réalisation de sa dignité, de sa liberté de disposer de lui-même, met ce dernier dans une situation où, le moment venu, il devra s'acquitter de son engagement, sous la forme d'un don aux yeux du mourant, l'injection létale.

C'est ce rapport de pouvoir inversé que redoutent certains médecins. Ils dénoncent cette forme d'assistance au décès qui « oblige » en quelque sorte le médecin vis-à-vis de son patient et l'expose seul face aux risques de l'échec, de la dénonciation pénale. En parlant de l'euthanasie active, ils parlent d'une fausse liberté de disposer de soi, dans la mesure où elle implique l'intervention d'un tiers (une « Fremdselbstbestimmung » en allemand) en l'occurrence le médecin.

Ce rapport entre le médecin et le patient est inacceptable selon ceux qui décrient l'euthanasie active, dans la mesure où les risques ne sont pas partagés. La réciprocité n'est donc pas effective selon eux. Toutefois, comme l'a bien montré la réflexion menée jusqu'ici, la communauté d'expérience, la construction d'une vision commune du monde repose sur la confidence, et exclut tout tiers, tout intermédiaire.

La réciprocité y est d'un autre ordre et ne semble pas devoir impliquer une équivalence directe158(*). En effet, pour que la réciprocité fonctionne en matière d'euthanasie active, en quelque sorte pour qu'un médecin puisse accéder au service qu'il a lui-même offert, il faut un système où la réciprocité n'est plus liée à la dyade médecin-patient, mais se généralise et s'étende au champ médical.

2.3.2. La traduction

« J'ai eu deux ou trois fois des téléphones des médecins de district. Je comprends pas au fond votre décision. J'ai dit, vous savez, je ne peux pas écrire un roman, il y avait ça et ça et ça, oui c'est en ordre. Sil n'avait pas été content, il serait allé plus haut. Voyez j'ai fait aujourd'hui ce rapport pour cette vieille dame, c'est quatre pages. J'essaie de faire comprendre au médecin qui doit juger si c'est juste ou non, qu'il comprenne. Dernièrement on avait une vieille femme de quatre-vingt-dix ans et quelque chose où la police et le médecin ont dit c'est un petit peu pauvre comme diagnostic du médecin traitant. (...). L'accompagnant a donné mon rapport, ah, maintenant on comprend le pourquoi. Parce que justement elle voyait presque plus rien, entendait mal, elle avait un trouble de la parole parce qu'elle avait une hémiplégie. Elle avait toujours des querelles avec son mari. Elle disait quelque chose et lui ne comprenait pas. Ça il faut essayer de le faire comprendre.159(*) »

Dans le cadre de l'assistance au suicide telle qu'elle est pratiquée dans le cadre d'associations comme Exit Zurich, le médecin ne participe pas tant de la construction du sens initial du projet thanatologique. Ce rôle qui incombe désormais à l'accompagnant. Le rôle de médecin conseil consiste plutôt à la constitution du dossier médical qui sera utilisé lors de l'établissement du constat de décès et de police, ainsi que pour le contrôle effectué par le médecin de district ou cantonal, selon que l'acte a lieu en campagne, respectivement ville, en ce qui concerne du moins le canton de Zurich. Le dossier du médecin conseil remplit la fonction d'outil de contrôle. Il s'agit de pouvoir s'assurer de la capacité de discernement du mourant et du caractère incurable de sa maladie.

Ne participant pas activement à la signification et à l'élaboration du projet thanatologique, le rôle du médecin-conseil n'est plus primaire, mais secondaire. Il exerce un certain contrôle du point de vue de l'accès du mourant au produit létal, le pentobarbital. La traduction consiste donc à favoriser l'accès à l'assistance au suicide au patient, de manière à ce qu'il jouisse de conditions optimales éloignant les risques de bavure, de manière à ce que les autorités judiciaires et médicales ne s'y opposent pas.

La différence essentielle entre la traduction et l'intercession est que le but final est connu de tous les acteurs. Il est par conséquent inutile que l'acte soit masqué, par contre il est primordial qu'il satisfasse aux principes des différents mondes en présence, que ce soit la famille ou le corps médical en tant que relais de l'État, organe de la santé publique. Juridiquement, médicalement, socialement, la trajectoire du mourant doit être rendue compréhensible pour tous les acteurs en présence, afin que la volonté du mourant de mourir selon sa propre décision soit acceptée. Il s'agit pour le médecin-conseil d'Exit d'objectiver la trajectoire et la situation du mourant de telle façon que les conditions de légitimation du suicide assisté soient assurées.

Dans la traduction et dans l'intercession, c'est le sens que la personne donne à son expérience morbide qui est au centre du projet. Le médecin a un rôle secondaire d'exécutant ou de facilitateur vis-à-vis des tiers.Il est en quelque sorte au service de la personne. Le premier rôle est tenu par le mourant qui décide des conditions de sa décès. La différence cependant entre l'intercession et la traduction est que cette dernière suppose une entente entre le mourant, le médecin, la société civile et le monde médical, alors que la première ne poursuit pas l'entente explicite, un compromis, mais simplement une silence tacite.

L'intercession vise l'évitement de la mise à l'épreuve du projet thanatologique par les interlocuteurs du médecin ; alors que la traduction ne peut pas s'en passer. En effet, la mise à l'épreuve de la trajectoire du mourant et la vérification que le projet de suicide s'inscrive dans le contexte légal, sont un passage obligé. La loi est ici la forme juridique du compromis social qui entoure la pratique de l'assistance au suicide.

Ce contrôle social établi par le biais juridique, les médecins semblent l'admettre et s'y soumettre sans peine, étant donné que cela leur offre une certaine sécurité face aux poursuites pénales et qu'au final le souhait de la personne mourante est exaucé. « Les choses sont faites au vu et au su, il y a un certain contrôle et je comprends ce contrôle de la société. Je n'ai pas peur d'annoncer les choses à la justice, voilà les tenants et les aboutissants (...). Un garde-fou, je n'ai pas peur de ce garde de fou, il ne me gêne pas, bien au contraire. Je comprends que la société ait besoin d'un garde-fou. Et ce garde fou c'est le contrôle externe de la justice160(*) »

2.3.3. La négociation

A la question de la reconnaissance de l'assistance médicale au suicide comme une activité médicale, le Dr. Jérôme Soebel, président de l'association Exit ADMD Suisse romande, prend une position claire : « On ne doit plus dire que ce n'est pas une activité médicale, c'est une activité médicale essentielle qui est laissée à la liberté de conscience du médecin et de son patient. Et l'on doit pouvoir le former. Ce qui n'est pas le cas. Alors maintenant c'est Exit qui fait un travail de formation et d'information, on fait du mieux qu'on peut et on le diffuse. Car encore une fois, on ne veut pas avoir de monopole.161(*) ». Cet extrait montre que le médecin interrogé mène des transactions qui visent une reconnaissance officielle de sa pratique.

Il s'agit en quelque sorte de formaliser l'assistance au suicide, non seulement dans le champ juridique mais aussi dans le monde médical, afin que le rapport entre le médecin et le patient soit clairement institué, avec des tâches précises, des droits respectifs et une sécurité minimale. Il s'agit de convenir avec les autres acteurs sociaux de nouveaux rôles réglementés, constitués autour d'un savoir spécifique et transmissible. La reconnaissance recherchée est l'acceptation par l'Académie Suisse des Sciences Médicales, (organe émetteur des directives éthiques dans le domaine médical), de l'assistance au suicide, afin que cette pratique puisse faire l'objet d'un débat ouvert entre médecins.

Le même souci de reconnaissance sociale est aussi observable dans le cadre de la promotion des soins palliatifs par la Société Suisse de Médecine et de Soins Palliative. Au travers du « Manifeste de Fribourg162(*) », elle posait les bases d'une démarche de négociation entre les différents partenaires sociaux impliqués dans le domaine de la santé publique au niveau suisse, afin que la pratique des soins palliatifs soit promue, instituée et organisée avec le concours des institutions fédérales, cantonales, hospitalières et universitaires.

La particularité de la négociation est qu'elle vise avant tout la réussite du projet thanatologique, non pas seulement du point de vue de la réalisation des souhaits du mourant, mais surtout du point de vue d'une modification du système de gestion sociale de la mort. Il s'agit de travailler les conditions objectives du projet thanatologiques, afin d'obtenir un compromis qui permette d'établir la pratique considérée comme un nouveau mode de gestion médicale de la mort et ce faisant de poser les bases d'une identité médicale alternative, mais reconnue. Ce n'est pas seulement le sens du projet thanatologique qui est soumis à discussion, mais également son modus operandi.

Cette forme de transaction met en rapport tous les interlocuteurs, qu'ils soient individuels, institutionnels. Vu l'environnement multinormé dans lequel chacun des acteurs cherche à faire valoir les principes du monde dont il participe, la négociation a une dimension stratégique. Il s'agit de fonder la position et l'appel à la légitimité sur des supports symboliques adéquats et sur des procédures légitimantes susceptibles de garantir une réussite de la transaction. C'est dans ce souci de réussite que le Professeur Francesco Cavalli, oncologue reconnu et politicien, a lancé son initiative parlementaire163(*). « C'est mieux si on réussit à le régler au niveau de la loi. (...). J'ai fait mon initiative parlementaire parce que fondamentalement, je pense que c'est l'initiative parlementaire qui prenait mieux les concepts et les conseils qu'avait formulés la majorité de la commission des experts - que le Conseil Fédéral avait créé sur le problème de l'euthanasie - et qui allait dans la direction d'une dépénalisation de l'euthanasie active sous certaines conditions dont une solution un peu à la hollandaise164(*) »

Les témoignages recueillis confirment que la négociation a une visée plus offensive que les modalités de transaction évoquées jusqu'ici, dans la mesure où elle comporte une revendication à la légitimité de l'acte médical. Il est intéressant de relever que cette revendication, quelle que soit la pratique envisagée est non seulement portée par un médecin, expert de son domaine et militant, mais également relayée par des structures privées de nature associative.

Ainsi, pour les soins palliatifs, la SSMSP, mais aussi par la Ligue Suisse contre le Cancer, jouent un rôle capital. La première a un rôle plutôt politique, alors que la seconde est partenaire au niveau de la diffusion des connaissances auprès des médecins et des profanes, par le biais de la mise en place de formations continues pour les médecins et la constitution d'une bibliothèque en la matière.

Pour l'assistance au suicide, ce sont les associations Exit-ADMD, Exit Zurich et Dignitas qui jouent un rôle important quant à la diffusion des informations relatives à la pratique de l'assistance au suicide. Toutes n'ont pas les mêmes lignes de conduite pour des raisons idéologiques ou stratégiques, mais parmi leurs fondateurs respectifs se trouvent toujours des médecins.

La négociation suppose donc qu'à défaut de supports disponibles dans l'espace social, les médecins aient recours à l'initiative privée et aux structures plus ouvertes de la société civile pour faire valoir leurs prérogatives. Les associations leur servent en quelque sorte de tremplins pour faire entendre leurs revendications à un niveau politique en contournant en quelques sortes le champ médical. La négociation se passe donc en dehors du champ médical jusqu'au moment où ayant obtenu une certaine reconnaissance, une crédibilité sociale et politique, il s'agisse à nouveau de formaliser les rapports qu'entretiendra la nouvelle pratique par rapport à la médecine classique.

Ce cas de figure est parfaitement illustré par le cas de l'autodélivrance. L'autodélivrance et l'assistance au suicide désignent une pratique identique : l'ingestion d'un cocktail létal par le mourant pour mettre fin à ses jours. Le contexte objectif n'est pas le même. L'autodélivrance prend racine dans un discours visant à faire reconnaître le droit du patient à l'autodétermination quant au choix du moment de sa mort. Le plus souvent, avant la fondation des associations d'EXIT, les suicides assistés médicalement se déroulaient de façon clandestine. Le médecin, par son ordonnance, rendait l'accès aux produits létaux possible pour le patient. Ce dernier devait se procurer les différents médicaments auprès d'une pharmacie, faisait lui-même le mélange létal et procédait à son suicide à domicile, seul. Le concours du médecin traitant ne pouvait pas être prouvé, simplement supposé.

Dans le cadre de l'assistance au suicide, en tant que service offert par des associations, il s'agit d'un acte reconnu juridiquement, toléré médicalement, réglementé quant à sa procédure, soumis à un contrôle institutionnel. La négociation menée par les associations a permis une reconnaissance de l'acte, et ce faisant le rôle médical est resté indispensable au contrôle, mais est devenu secondaire quant à l'accompagnement du mourant et à l'organisation de l'acte en lui-même.

2.3.4. La médiation

L'ultime modalité de transaction médicale identifiée dans le cadre de cette recherche est la médiation. Tout comme la négociation, elle est centrée sur l'obtention du consensus entre tous les interlocuteurs. Cependant, la légitimité de la pratique envisagée étant d'ores et déjà acquise auprès des autorités politiques, médicales et religieuses, l'orientation symbolique du projet thanatologique étant fixée d'emblée, le contenu de l'accord porte plus sur l'organisation de la prise en charge du mourant et la réalisation du projet thanatologique. La conduite en est clairement confiée au médecin.

Dans cette forme de transaction, l'obtention du consensus de tous les acteurs concernant le projet thanatologique semble être une condition de réussite. De façon évidente, le projet se déroule d'autant mieux que tous les acteurs y adhèrent et y trouvent une place. Donc, dans le cadre de cette forme de transaction, ce sont les conditions dans lesquelles le consensus est obtenu qui sont importantes. Celles-ci dépendent essentiellement du cadre dans lequel se déroule la médiation médicale et de la spécialité du médecin qui la mène.

En milieu hospitalier, en règle générale, le médecin en charge du patient mène le projet thanatologique, sauf si,à la demande du patient, le médecin de famille (ou de confiance) représente les intérêts de celui-ci. A domicile ou en établissement médicosocial, c'est un médecin généraliste qui s'occupe de l'antalgie du mourant. Chaque lieu impose ses règles.

A domicile, le médecin généraliste est confronté aux profanes que sont les proches. Il lui revient de vérifier que toutes les conditions soient remplies pour que le suivi médical et les soins quotidiens au mourant puissent être accomplis dans de bonnes conditions. Il interagit donc avec le personnel infirmier des soins à domicile et la famille, de façon à ce qu'une présence permanente soit assuré auprès du mourant. Il s'agit donc organiser le tournus tout en délégant les tâches aux profanes. Ceci implique une approche plus systémique que proprement médicale.

En milieu institutionnel, le consensus est plutôt recherché entre les professionnels, comme le relate un médecin généraliste officiant dans un EMS. « Jusqu'à présent, ça a été convenable d'avoir une rencontre avec l'infirmière responsable de l'unité et...finalement aussi un représentant de la direction de l'EMS, l'infirmière-cheffe adjointe et moi et entre les trois, on doit avoir vraiment une unanimité et on... c'est vrai que ces décisions sont des fois rapides, parce que finalement chacun arrive déjà avec ses idées, en connaissant le patient et puis on fait un peu le point et on décide. Il faut être sur la même longueur d'onde, je crois que si on n'est plusieurs fois pas d'accord, on arrête de travailler ensemble165(*). » Le consensus est essentiel à la cohérence de la prise en charge institutionnelle. Dans le témoignage précédant, chacun des interlocuteurs représente en effet un pouvoir distinct, le représentant de la direction, la mission publique de l'établissement (autrement dit l'Etat), le médecin, le pouvoir médical et l'infirmière-cheffe, l'entourage direct du mourant. Le consensus obtenu entre eux garantit en quelque sorte que le compromis impliquant les différents mondes en présence soit maintenu.

Le consensus tel qu'il peut être obtenu au sein d'un établissement hospitalier implique dans un premier temps le collège des médecins et dans un deuxième temps l'équipe soignante. La présence quotidienne de celle-ci auprès du mourant la place d'emblée en intermédiaire entre les proches, les médecins et le mourant. Dans ce contexte, il est normal que le consensus se fasse en considérant le bien-être supposé du patient, dont le médecin s'assure par le compte-rendu du corps soignant, lors des visites médicales. Les situations critiques sont discutées de façon collective. « Là, on est dans un exemple où on peut avoir des avis totalement divergents, où l'infirmière peut dire, moi, je préfère qu'on arrête ou bien moi, je crois qu'il faut continuer et puis, le docteur peut avoir un autre avis. On essaie de faire au mieux, on essaie de faire un consensus. Et puis, on a fait le consensus, qu'on allait lui offrir un traitement maximal, sans respiration artificielle en se disant que si on devait recourir encore à une respiration artificielle, on entrerait dans une complication supplémentaire que là, ce n'était pas raisonnable. On s'est tous mis d'accord avec cette décision. Le patient a passé le cap, et puis, c'est bien166(*). ».

Finalement, il apparaît que l'intérêt du patient est cependant représenté au mieux, s'il désigne lui-même un représentant, de préférence son médecin traitant, qui soit le dépositaire de ses souhaits, auprès du médecin hospitalier. Un médecin psychiatre le laisse d'ailleurs bien entendre en déclarant avoir accompagné plusieurs de ses patients en tant que consultant. « Et à l'hôpital, j'ai été la revoir et j'ai discuté avec le médecin hospitalier qui était responsable et avec qui on a pu discuter en clair. J'ai pu lui dire que selon le souhait de la patiente qu'on ne prolonge pas, ce que l'on fait régulièrement avec les gens qui peuvent parler, qui n'ont pas peur de le faire ».

Ce rôle d'intermédiaire suppose de la part du médecin une bonne compréhension de la psychologie du mourant, ainsi qu'une connaissance approfondie de la technique antalgique pour être à même de vérifier si le programme antalgique répond aux souhaits particuliers. « Oui, oui, j'ai aussi fonctionné pendant sept ans comme consultant à l'hôpital, et là ma double formation en psychiatrie et en médecine générale, cela aide bien. On parle la langue avec les assistants de médecine interne et on se rend mieux compte de où se trouvent les difficultés, car on est quand même à l'extérieur en tant que psychiatre consultant. On n'a pas de gestes à faire, le geste c'est l'autre qui le fait. Mais on peut mettre les gens ensemble pour leur permettre de discuter167(*). ». Au-delà de ces compétences techniques, la particularité de ce rôle de médiateur est que le médecin en charge du patient n'est pas forcément celui qui pose l'acte euthanasique - en l'occurrence lorsqu'il s'agit d'une euthanasie dite active indirecte - mais celui qui influe sur la prise de décision.

La particularité essentielle de la transaction médicale qu'est la médiation est qu'elle opère une division de la responsabilité quant aux conséquences de la décision euthanasique. Chacun des acteurs, de facto, en prend une part de responsabilité. Une autre caractéristique non négligeable est que le médecin n'est pas en situation de devoir se légitimer, sa position est d'emblée forte, en tant que médiateur et coordinateur.

En fin de compte, quelle que soit la forme de transaction envisagée, il apparaît que chacune d'elle implique de la part du médecin des compétences et des connaissances très pointues - que ce soit du point de vue technique, relationnel - qu'il n'acquiert en principe qu'après bon nombre d'années de pratique. L'à priori selon lequel les médecins recourent à l'assistance au décès, en particulier à l'euthanasie active, sont ceux qui sont les plus inexpérimentés ne se vérifie pas dans le cadre de notre enquête. Par ailleurs, en milieu hospitalier, la hiérarchie au sein du collège des médecins est telle que les décisions critiques n'incombent généralement pas aux médecins assistants, mais bien au chef de clinique ou au médecin-chef, selon la taille de l'hôpital ou de la clinique. Cette remarque confirme l'idée que l'assistance médicale au décès nécessite du médecin une bonne connaissance du champ social et professionnel dans lequel il officie, car la gestion de l'incertitude qu'implique la gestion du projet n'est pas des plus anodines. C'est pourquoi, la suite de ce travail est consacrée aux risques inhérents à la transaction médicale.

2.4. Les risques de la transaction médicale

Au vu du chapitre précédent, le premier risque pour le médecin est que sa transaction échoue. Cet échec peut avoir des conséquences multiples pour le médecin et chacune d'entre elles constitue un risque potentiel pour lui. Cela peut vouloir dire que son acte illégitime et illégal a été découvert et qu'il encoure une poursuite pénale, que sa pratique n'obtiendra pas la reconnaissance escomptée et qu'il se verra privé du droit d'exercer sa profession, que ses interlocuteurs rejetteront tout consensus et in fine, que même le mourant rejettera tout accompagnement et que le projet thanatologique s'interrompra.

Pour saisir les risques de la pratique de l'assistance au décès désignés par les médecins, il convient de différencier le risque, défini comme la survenance probable d'un événement inattendu et indésirable, de l'incertitude, comprise comme le sentiment de crainte que peut ressentir le médecin face aux conséquences probables de sa pratique. Reste que l'incertitude, au-delà de sa dimension subjective, peut aussi avoir une dimension objective en tant que « zone d'incertitude » inhérente au déroulement d'un processus, ou, au fonctionnement d'une organisation ou d'une institution.

2.4.1. Les risques

La source du risque peut être l'expertise médicale en elle-même, en tant que conséquence possible d'une intervention, comme dans le cas d'une lourde opération sur un patient atteint d'un cancer de l'oesophage que décrit par un médecin. « Il m'avait été confié pour mettre ce qu'on appelle un tube dans l'oesophage pour entrer à travers la tumeur et lui permettre de manger pendant quelque temps et de faire en fait un traitement palliatif qui lui aurait de survivre pendant quelques semaines, rarement quelques mois, mais en traitement palliatif. Mais le risque de ce type de traitement, c'est que si ça se passe mal et que l'on n'arrive pas à passer au travers de la tumeur, qu'on déchire le médiastin, la personne va décéder en l'espace d'une semaine d'une surinfection, et ce sera une médiastinite et une situation qui va évoluer en catastrophe, de mal en pis.168(*) » Le risque encouru par le médecin est que la situation qui devait initialement permettre une stabilisation de l'état du patient contribue finalement à l'aggraver, accroissant la souffrance et précipitant son décès. L'euthanasie active discutée dans ce cas avec le patient, vise à éviter que sa situation ne se péjore, au cas où l'issue de l'intervention ne lui serait pas favorable.

L'expertise médicale peut aussi aboutir à une erreur d'appréciation de la part du médecin, par manque d'informations par exemple. L'erreur d'appréciation constitue également un risque dans le domaine de la fin de vie. La situation délicate où le patient a été réanimé contre son gré et est devenu entièrement dépendant d'une assistance respiratoire artificielle le rappelle. Selon le médecin en question, cette situation était devenue d'autant plus complexe que, selon lui, le retrait du moyen de survie auxiliaire sur une personne tout à fait consciente et en capacité de discernement, équivalait à envisager une euthanasie active169(*). Cette situation a été très mal vécue par le médecin, malgré finalement son issue très positive. Agir contre le choix du patient, à savoir celui de renoncer à toute réanimation, l'a en somme mis dans une situation d'acharnement thérapeutique redoutée par nombre de médecins. En effet, l'acharnement thérapeutique est très mal perçu, autant au sein de la profession et dans les familles, qu'au niveau de l'opinion publique.

Le risque peut aussi être lié à l'intervention d'un tiers : la famille, le personnel soignant, les autres médecins, les autorités judiciaires. Ils peuvent désavouer le médecin, voire le dénoncer, s'il est considéré comme avoir commis une faute envers la loi. Les médecins redoutent la dénonciation pénale, même si en réalité elle est rare. En effet, à moins que le médecin n'agisse de façon ostensible - par exemple en prenant le risque de délivrer une ordonnance de pentobarbital pour un patient atteint d'une maladie psychique mais n'étant pas en situation de mort inéluctable - ou ne commette une faute grave, il n'y a que peu de possibilités qu'un acte illégal soit découvert, car la part d'incertitude qui entoure l'assistance médicale au décès est importante.

2.4.2. L'incertitude

Durant les transactions qu'il mène, le médecin tente de réduire au maximum les risques qu'il encoure pour lui-même, minimisant ainsi les degrés d'incertitude. « Le médecin se protège à quelque part, il y a des médecins qui se diront, bon c'est mon devoir, c'est ma conviction, je vais donc au-delà car je sais que c'est juste. Et il y en a beaucoup qui sont plus timides, et on ne peut pas les critiquer, ils ne sont pas kamikazes et ils ne veulent pas s'exploser. Ils seraient d'accord, mais ils ne peuvent pas. Alors la loi, telle qu'elle est faite joue contre le malade, donc il faut modifier la loi pour que les médecins qui sont prêts à le faire philosophiquement n'aient pas peur de le faire.170(*) ». La réduction des risques va dans l'intérêt du patient bien sûr, mais aussi dans son propre intérêt. Une mise en accusation pour faute grave, que ce soit au niveau de leur fédération ou au niveau pénal, entacherait sa réputation.

Même durant la médiation, la minimisation du risque reste un souci, comme le décrit un médecin ayant oeuvré comme consultant au sein des hôpitaux. « Donc quand cela se passe bien, on a un consensus autour de la personne. Et un consensus sincère et pas seulement sur les lèvres. Car si avec beaucoup de persuasion, vous arrachez un oui pour une limitation de souffrance en fin de vie à quelqu'un, de la famille, vous êtes sûr qu'après vous avez des ennuis, donc cela doit vraiment être quelque chose d'authentique. 171(*) » L'obtention d'un consensus et la construction d'une entente avec la famille visent donc à réduire l'éclatement d'un conflit susceptible de nuire à la réputation du médecin ou de l'établissement.

Au-delà de l'incertitude que ressent subjectivement le médecin, il y a aussi une incertitude plus objective, liée à l'activité médicale en elle-même, dont la base scientifique reste probabiliste. La nosologie (l'art de décrypter au travers des symptômes le processus pathologique) et la sémiologie (l'art de reconnaître les lésions physiologiques au travers des symptômes) restent des composantes complexes de l'expertise clinique, de par leur fondement probabiliste. L'agonie et le décès d'un mourant sont imprévisibles, à fortiori en situation de polymorbidité où il est particulièrement ardu d'identifier de façon exacte la source des différentes douleurs, leur intensité et leur progression.

Cette forme objective d'incertitude liée à l'activité médicale n'est pas la seule. Il y a aussi l'incertitude liée au contexte de la pratique de l'assistance au décès. Le cadre légal et politique, ainsi que l'opinion publique contribuent à modifier les conditions du projet thanatologique. Ainsi, la légitimation de l'acte médical en fin de vie est toujours incertaine. Le médecin, n'étant jamais vraiment sûr de la légitimité de son acte, cherche à élargir sa marge de manoeuvre sur le plan légal, pour se protéger. De plus, une certaine marge d'incertitude est aussi entretenue par le corps médical afin de réduire le risque judiciaire et de maintenir l'identité et le statut social des médecins.

Le Professeur Francesco Cavalli dénonce de façon véhémente la zone grise que crée le cadre légal actuel. Selon lui, il est possible pour le médecin de faire comme bon lui semble. La loi ne porte que sur les pratiques extrêmes, à savoir l'assistance au suicide permise et l'euthanasie active, mais une foule d'actes plus courants selon lui ne sont par contre pas réglementés : « On cherche à cacher le problème en élargissant la définition de l'assistance au suicide. D'autre part, il y a l'euthanasie active qui est condamnée et au milieu il y a une grisaille énorme, toutes sortes de choses se passent dans les hôpitaux, des malades qui sont en phase préterminale où le médecin ou l'équipe des infirmières a l'impression qu'ils souffrent ou qu'ils ont des symptômes que l'on ne réussit pas très bien à contrôler, alors on commence à leur donner des calmants, des médicaments pour les faire dormir et à la fin ils meurent, et ça sans avoir rien demandé aux patients... ».

Ce que désigne le propos du Prof. Francesco Cavalli est avant tout l'importance actuelle de la marge d'incertitude qui entoure l'assistance médicale au décès et l'utilité qu'en tirent les médecins. Cette réflexion sur les risques de la transaction médicale nous amène au constat que la notion de risque recouvre des réalités différentes et que l'incertitude est à la fois négative et positive pour les médecins. D'une part l'incertitude est autant que possible réduite du point de vue de l'exercice du jugement médical, d'autre part la marge d'incertitude entretenue autour de la gestion sociale de l'assistance au décès profite aux médecins. L'incertitude a donc deux visages et la confusion entre ses deux aspects est souvent entretenue dans le débat sur l'euthanasie.

Ainsi, premièrement, comme Michel Foucault le montre bien, la profession médicale recherche constamment à accroître les « degrés de certitude » de son expertise, en améliorant sans cesse l'analyse des symptômes172(*). Ce souci constant de tirer le meilleur parti des informations médicales est présent dans ce qui est appelé la « médecine factuelle173(*) » (ou « evidence based medecine »). Le but poursuivi est de s'assurer que le médecin dispose toujours des connaissances les plus récentes pour poser son diagnostic, mais aussi que l' « effectivité » du traitement qu'il indique soit plus grande. Cette dernière notion renvoie non seulement à l'efficacité des mesures thérapeutiques prescrites, mais aussi à l'optimisation de leur effet par induction d'un comportement adéquat chez le malade, par la mise en place d'un contexte structurel favorable. Il s'agit par le rapport de confiance d'amener le patient à avoir une conduite qui favorise sa guérison et les effets de son antalgie. Cette forme de médecine se traduit dans les faits par une présence de plus en plus importante de la logique médicale dans les différentes sphères sociales du patient, au nom de son bien-être. Il s'agit donc d'une logique conjointe à « la préoccupation de santé174(*) » que Pierre Aïach identifie dans la société civile. Cette logique conjointe produit une extension de la logique médicale dans les différentes sphères de la vie privée et sociale des individus, dynamique renforcée également par les mesures d'économies au sein de la santé publique qui conduisent de plus en plus à une externalisation des soins sous leurs formes ambulatoires à domicile.

Deuxièmement, l'utilité de la zone d'incertitude pour un acteur social est bien mise en évidence par la notion de « marginal-sécant » utilisée par Michel Crozier et Erhard Friedberg175(*). En effet, étant partie prenante dans plusieurs mondes, le médecin semble jouer un rôle d'articulation et d'interprétation entre les différents univers symboliques, entre leurs logiques d'action différentes, voire opposées. De cette position, le médecin obtient un certain pouvoir par le contrôle qu'il exerce grâce à sa faculté de passer d'un monde à l'autre, tout en gardant une certaine autorité au vu de son expertise. Ainsi l'extrait suivant, d'ores et déjà évoqué lors de la réflexion sur le choix du lieu de prise en charge, prend tout son sens : « Le médecin entre et sort de la famille. Il est dedans et il est dehors. Et il est clair que c'est un espèce de continuum. Il est évident que le médecin va s'en aller à un moment donné, car il y aura encore une partie qui sera tout à fait privée de la famille. Mais c'est à géométrie variable. Le médecin que je suis, je suis assez impliqué émotionnellement avec mes patients et leurs proches, mais j'entre et je sors de leur histoire. Il y a des limites. Vous voyez. Et ces limites, elles vont être très souples en fonction des besoins.176(*). » Les besoins évoqués ne sont pas uniquement ceux du patient, mais aussi ceux de l'expertise médicale.

Au final, derrière la question des risques de la transaction médicale, celle question de l'identité médicale transparaît. En effet, en minimisant les risques durant leur transaction, en essayant de contrôler la zone d'incertitude liée à leur pratique, les médecins tentent simplement de stabiliser leur rôle et leur identité professionnelle dans un contexte social, légal et politique, particulièrement mouvant. La justification de leur pratique, menée au travers de leurs différentes transactions a donc une visée identitaire. Le risque majeur est en effet que l'équilibre entre leur identité professionnelle et personnelle soit mis en jeu. C'est la raison pour laquelle le dernier chapitre de cette seconde partie consacrée au projet thanatologique se concentre sur l'identité médicale, sa stabilisation ainsi que sur la façon dont elle peut transparaître au travers des différentes pratiques d'assistance au décès. Car l'hypothèse centrale de ce travail est que la justification de la pratique est intimement liée au processus de construction identitaire.

3. L'intégrité médicale à l'épreuve de la mort

En Suisse, vivant au sein d'une société pluraliste et libérale, le médecin exerce au sein d'un cadre légal peu contraignant. Ceci a pour conséquence qu'il n'est pas soumis à une seule et unique norme de conduite en matière d'accompagnement du mourant. De plus, du point de vue moral, symbolique, voire religieux, il n'est pas habilité à signifier l'expérience du mourant. Toutefois, de part sa position centrale dans le réseau institutionnel de gestion de la santé publique et de la mort, il participe à la construction du sens de l'expérience morbide du sujet, au travers des transactions menées dans le cadre du projet thanatologique.

Si la présence d'une zone d'incertitude autour de la pratique de l'assistance médicale au décès profite au médecin, en lui laissant une telle marge de manoeuvre et de décision qu'il peut faire usage de son libre-arbitre pour conduire le projet thanatologique comme bon lui semble, cette liberté semble pourtant relative au vu de l'embarras des médecins à gérer et à côtoyer la mort. En ce qui concerne le recours médical aux différentes pratiques euthanasiques (pris ici au sens étymologique du terme de « mort douce et facile »), l'exercice différencié de l'autonomie semble dès lors une nécessité ; ce, pour deux raisons essentielles.

Premièrement, disposer d'une marge de manoeuvre implique de l'individu qu'il soit à même de faire usage de son autonomie, non seulement pour poursuivre ses propres intérêts, mais aussi pour maintenir sa capacité de mener des transactions avec les tiers. Le médecin doit rester digne de confiance, fiable, crédible vis-à-vis des tiers. Cela suppose donc qu'il use de son autonomie avec une certaine intelligence de sa situation, du contexte objectif et légal, pour maintenir sa position et son rôle stables au sein du réseau de transaction. Son rôle doit donc rester cohérent vis-à-vis des tiers, compréhensible et sensé.

Deuxièmement, dans la mesure où le médecin survit au patient, il importe qu'il soit à même de continuer à vivre et à exister en dehors de la relation thanatologique qui s'est établie entre eux. Autrement dit, le médecin doit être en mesure de définir les conditions de son propre équilibre identitaire, ainsi que les principes qui le sous-tendent, - de la même façon que le credo est essentiel au maintien et à la cohésion d'une équipe soignante qui est toujours confrontée à la mort des patients sur son lieu de travail - ce, dans le but de stabiliser sa pratique et son identité en créant entre elles une cohérence telle qu'elles puissent s'ancrer dans une continuité. Ainsi le médecin doit aussi rester cohérent face à lui-même, pour maintenir la stabilité de son identité.

La conduite du projet thanatologique implique donc de la part du médecin une certaine intégrité. Dans le cadre de la présente réflexion, cette dernière, contrairement à ce qu'il en est pour le patient, n'est pas seulement liée à la santé physique ou psychique, ni même à la probité morale du médecin. L'intégrité peut être comprise comme capacité du médecin à garder entière son identité, face à lui-même, mais aussi face aux tiers. Elle résulte d'une part de l'ajustement de l'identité professionnelle et personnelle, d'autre part du souci du médecin de conserver la cohérence de son rôle vis-à-vis des tiers. Il lui importe en effet de sauvegarder sa crédibilité au niveau professionnel et sa position au sein du réseau de santé, in extenso de gestion sociale de la mort.

Pour faciliter l'analyse, le propos est divisé en deux parties. La première se concentre sur l'autonomie et l'intégrité médicales, ainsi que sur les conditions de son exercice, respectivement de son obtention. La pratique des différentes formes d'assistance au décès suppose du médecin qu'il adhère à des valeurs qui ne sont pas forcément conformes à son identité initiale. Ce qui implique qu'il soit à même de définir lui-même les principes selon lesquels il entend exercer son expertise et son jugement au quotidien.

La seconde partie se concentre plutôt sur la stratégie identitaire que le médecin adopte pour stabiliser l'équilibre identitaire qui lui convient le mieux dans sa pratique quotidienne, en fonction de l'intégrité et de l'autonomie subjectivement déterminées. Ainsi il s'agit de comprendre comment le médecin construit son identité alternative et quel rapport il établit dès lors avec son identité initiale, respectivement avec le champ médical.

3.1. Le principe d'intégrité et l'agir médical

A la question de savoir quel aspect de son identité est le plus confronté dans son accompagnement du mourant, un médecin répond : « Je ne sais pas, mais je crois qu'on ne peut pas faire une séparation entre les deux. Je veux dire, je ne suis pas que médecin. Je suis aussi homme 40 ans, père de famille, etc. ... et puis il y a un côté croyant et puis un côté médecin. Je suis une seule et même personne. En l'occurrence, je suis un médecin qui fait ce métier, avec ce que j'ai eu comme chance de grandir et puis, des convictions, je veux dire, c'est pas... c'est indissociable, je ne peux pas faire une médecine de barbares, si j'ai la prétention d'avoir une conviction religieuse. Ben oui, c'est logique. Je ne peux pas passer devant une porte où il y a un mourant en disant à l'assistant vous gérez la situation, parce que de toute manière le patient est inconscient. Je ne peux pas dire ça parce que mes convictions religieuses m'empêcheraient de le faire, ça c'est vrai. Et puis, ce n'est pas parce que ici je ne suis ni à la maison, ni à l'église que je peux me permettre de ne pas en tenir compte. On est bien d'accord, c'est des choses qui vont ensemble177(*). » Ce témoignage est révélateur de l'équilibre que doit construire un médecin entre ses convictions personnelles et la déontologie qu'implique l'identité professionnelle, pour mener à bien son expertise de fin de vie.

Dès lors, il peut être admis que l'identité d'un médecin soit plurielle au sens où l'entend Bernard Lahire178(*). La recherche d'une cohérence entre la perception subjective du rôle et sa définition objective semble être une nécessité pour le médecin. Elle implique qu'il trouve une façon de les articuler, sans que son intégrité ne soit atteinte ou mise en danger par son activité professionnelle, car il semble qu'il ne puisse pas faire totalement abstraction de l'une ou de l'autre partie de son identité. Cette observation correspond à ce qu'explique un praticien à propos d'une modification de sa trajectoire professionnelle, nécessaire pour son équilibre personnel, même s'il est revenu par la suite à son choix initial renforcé par l'expérience acquise : « Les gens m'avaient trouvé bizarre quand je suis revenu de la psychiatrie, je me suis dit à ce moment que j'étais peu être encore un peu jeune pour me lancer tout de suite là dedans. Alors ensuite j'ai fait une formation de généraliste que l'on fait par une suite de stages successifs dans les hôpitaux. Et en fin de formation de généraliste, j'ai fait un volet psychiatrique avec une option possible d'y rester. Je pense que pour faire de la psychiatrie, c'est utile d'avoir fait autre chose d'abord. Et pour moi qui était fragile, cela m'a conforté dans mes choix. Et c'est comme ça que je suis arrivé après à la psychiatrie.179(*) » La confrontation à la mort ne laisse pas indemne le médecin en cela qu'il peut être confronté à des situations extrêmes, humainement et psychologiquement éprouvantes, auxquelles il doit faire face sans perdre sa capacité d'agir, d'exercer son jugement et d'émettre des décisions, selon des principes clairs et univoques.

Dans le cadre du projet thanatologique, agir dans le sens d'une assistance au décès est éprouvant, non seulement émotionnellement, mais aussi moralement. En effet, la tension générée par le choix de poser un acte en contradiction avec la loi et le code déontologique peut générer un conflit identitaire que le médecin résout en construisant de façon autonome un cadre moral susceptible de soutenir son acte et de réduire cette tension potentiellement disruptive. Ceci suppose donc que le médecin adopte un principe, une norme dont la validité à ces yeux dépasse celle de la déontologie. Ceci est particulièrement visible dans le cas de l'euthanasie active où le médecin dépasse le cadre légal en dépit des risques encourus : « On a des situations hyperdifficiles à gérer, on les gère pour le mieux du patient, parce qu'il nous l'a demandé, on ne va pas se fiche nous en l'air parce que nous avons fait quelque chose qui était de notre devoir d'humanité.180(*) »

Cette capacité à générer un cadre autonome de réflexion et de conduite morale semble présent chez tous les médecins interrogés, quelle que soit d'ailleurs la pratique d'assistance au décès à laquelle ils adhèrent. Un autre médecin l'exprime de façon très claire lorsqu'en référence aux risques liés aux zones d'incertitude qui entourent l'assistance au décès, il ajoute : « mais pour moi, ce que j'essaie de faire, c'est ce qui me semble justifiable pour moi, moralement et si possible dans le cadre légal. Mais si cela doit dépasser parfois un peu le cadre légal quand il s'agit de vie ou de mort, si je suis convaincu, je le fais en mon âme et conscience.181(*) ». Au vu des différents témoignages recueillis, il apparaît que les médecins disposent d'une « autonomie morale » au sens où l'entend Lawrence Kohlberg182(*).

Si le médecin définit par lui-même le cadre éthique et moral, dans lequel il situe son acte, ce n'est pas tant l'universalité du principe lui-même que celle de son application qui en motive le choix. En effet, le principe sur lequel repose sa justification doit lui permettre de résoudre les dissensions normatives qu'implique la confrontation des différents mondes au chevet du mourant, ainsi que d'articuler ses convictions personnelles et la déontologie professionnelle (autrement dit les différentes dimensions de son identité). C'est en ce sens que l'on peut dire que l'exercice du jugement médical, dans les situations limites, repose sur la détermination subjective d'un principe d'intégrité, auquel le médecin attribue une universalité (ou au moins une priorité absolue sur tout autre ordre normatif) qui soutient la dérogation à une règle objective, que cette dernière soit légale, professionnelle, voire même religieuse.

Ce principe varie selon les médecins. Il peut consister en une règle de vie religieuse, comme pour ce médecin-chef en milieu hospitalier qui déclare ouvertement sa confession, ainsi que son opposition à l'euthanasie active : « Je suis protestant, pratiquant, donc j'estime que mes convictions sont celles d'un protestant ou d'un catholique, c'est la même chose d'ailleurs, que la vie n'est pas une finalité en soi, que la mort justifie la vie, qu'après la mort, il y a quelque chose, qu'après la vie, il y a quelque chose.183(*) » Toutefois, cette règle peut aussi consister en une modalité de prise de décision à laquelle le praticien ne déroge pas, comme dans ce témoignage où la preuve de l'incurabilité de la maladie doit pouvoir être établie pour que le médecin accepte de procéder à une euthanasie active : « Donc je suis un médecin pour la vie, la santé. L'euthanasie va être une réponse au moment où on est dans cette impasse. Par rapport au malade psychiatrique, c'est ma tendance - qu'est-ce que l'on pourrait encore faire, qu'est-ce que l'on peut encore imaginer - qui prime. J'arrive pas à me résigner que pour eux - il n'y a aucune issue, aucune thérapeutique. Vous voyez, c'est cela la différence.184(*) ». Ce positionnement éthique qui tient compte d'aspects plus objectifs, comme l'incurabilité d'une maladie ou une espérance de vie qui n'excède pas quelques semaines, est aussi perceptible auprès de médecins soutenant l'assistance au suicide.

La détermination du principe d'intégrité est le plus souvent antérieure à la conduite du projet thanatologique. C'est à force d'être confronté à la désillusion thérapeutique, que le médecin est amené à construire une identité alternative, donc à déterminer l'orientation symbolique de son propre agir et la signification qu'il va donner à l'expérience morbide du patient, pour pouvoir y résister et mieux la dépasser. La détermination du principe d'intégrité n'est pas un acquis définitif, elle s'initie par la confrontation répétée à des situations limites, avec le vécu du décès d'un proche, mais semble évoluer par la suite avec l'expérience professionnelle. Les médecins évoquent le fait qu'ils changent leur vision des choses en la modifiant au fur et à mesure de leur expérience, de leur formation continue, ou encore par la biais de lectures. Ils cherchent le plus souvent un ancrage philosophique qui leur permette de faire face aux multiples interrogations du mourant, de ses proches, voire des soignants, que suscite l'expérience de la morbidité. Cette recherche les conduit à adopter des univers symboliques alternatifs qui dépassent le cadre habituel de la déontologie médicale.

Le témoignage d'un médecin généraliste qui trouve des réponses dans la croyance bouddhiste pour justifier son recours aux injections de morphine pour réduire les signes extérieurs de l'agonie qui sont particulièrement éprouvants pour les proches, illustre cette affirmation. En effet, pour lui, soulager la souffrance, que ce soit celle du mourant ou celle de la famille, prime ; même si cela veut dire qu'il fasse quelques injections de morphine supplémentaires au mourant : « Ce que l'on ne sait pas de façon absolue, c'est si la personne ressent la douleur ou non. Je pars sur ce point de l'éthique bouddhiste qui considère que l'intention de ce que l'on fait est déterminante, pas l'acte en soi. Et lors d'une telle décision, il faut considérer le tout, la personne concernée, la situation, la parenté, les peurs qui sont présentes, tout ce qui est présent à ce moment. Une décision doit être prise en considération de tout cela. Une incertitude subsiste, mais nous devons décider. C'est notre travail.185(*) ». L'adoption d'un univers philosophique alternatif ne suffit pas bien souvent. Ainsi, le médecin de cet extrait ajoute qu'il suit aussi une formation continue dans le cadre d'un groupe Balint (ce sont des groupes de supervision que constituent les praticiens de leur propre initiative pour partager leurs expériences et trouver des solutions à leurs difficultés) au sein duquel il apprend aussi l'approche systémique. L'acquisition d'outils d'expertise relationnelle semble tout aussi importante.

Au-delà des considérations religieuses, transparaît au travers des témoignages une position où le rapport à la divinité est défini de façon plus personnelle, d'une façon plus hermétique (indifféremment du point de vue de l'Eglise) : « Je suis un humaniste et pour moi cette divinité est mon ami, mon meilleur ami, elle m'a donné ce qui est le plus précieux que la vie, elle m'a donné la liberté, la liberté d'agir, la liberté de penser et je serais prêt à en discuter du bilan de ma vie.186(*) »

Les médecins interrogés mesurent la solidité de leur principe d'intégrité à la lumière de leur propre conscience. S'ils se sentent tranquilles après avoir assisté un mourant, c'est le signe pour eux que leur décision était équilibrée, juste, au sens de conforme à leur intégrité. Les propos d'un médecin qui en quelque sorte s'étonne lui-même de la tranquillité qu'il ressent malgré la gravité de son geste, soulignent l'importance de la solidité du principe d'intégrité pour être en paix avec sa propre conscience : « Probablement l'expérience de vie d'un médecin comme moi peut faire que c'est moins traumatisant. Je ne me suis jamais senti mal. Je n'ai jamais perdu le sommeil, même en rentrant chez moi, après avoir pratiqué l'euthanasie. Parce que c'est tout en ordre, c'est dans un processus, il y a une continuité, de la réflexion et du vécu par rapport à cela.187(*) ». Le principe d'intégrité soutient la rationalisation qu'opère le médecin pour pouvoir gérer subjectivement son acte et la tension disruptive que celui-ci peut provoquer.188(*)

L'exercice de l'autonomie morale suppose une distanciation du rôle professionnel tel qu'il est initialement intériorisé lors de la formation universitaire et hospitalière. Cette distanciation peut être provoquée autant par une expérience-clé (la mort d'un proche), que par la lecture de certains ouvrages comme « Suicide mode d'emploi189(*) » ou comme « Requiem pour la vie190(*) » qui relativisent les croyances et les connaissances acquises tout au long de la formation.

Ce qui importe, c'est la prise de conscience que le monde médical ne permet pas de tout expliquer. Un médecin commente sa lecture du premier ouvrage : « Quand on lit ça, ça nous ouvre aussi l'esprit. Car en médecine vous apprenez les doses létales pour les éviter et là vous essayez de savoir à partir de quand, c'est pratiquement certainement létal. Donc cela vous fait faire une tout autre démarche intellectuelle et affective. C'est précis ! Ah ! c'est très précis. C'est le nombre de pilules et comment est-ce qu'il faut pour discuter avec les médecins pour qu'il vous prescrive les médicaments, etc.191(*) » La pratique de l'assistance au décès implique donc pour les médecins de modifier leur façon de percevoir leur expertise et leur évaluation. Il y a dans le passage d'un rapport thérapeutique à une relation thanatologique, un ajustement à faire. Il se produit pour eux une forme de rupture épistémologique.

L'adoption d'un univers de sens alternatif ou simplement l'adhésion à un système de valeurs peuvent être décelables au travers des relations qu'établit le médecin avec les tiers. C'est ce que le docteur Michael Balint appelle la « fonction apostolique192(*) » du médecin. Bien des médecins se gardent en effet d'imposer leur point de vue sur la question de l'euthanasie à leur patient, mais il semble pourtant qu'il transparaisse au travers de leur expertise. Un médecin s'étonne du fait que ses patients perçoivent son point de vue sur l'assistance au décès, sans que pour autant il ne se soit exprimé à ce sujet : « Une patiente à moi a débuté une réflexion sur le point d'Exit, elle s'est organisée, elle s'est fait faire une ordonnance médicale ailleurs. Mais je ne lui avais jamais dit que je ne ferais pas cette ordonnance, elle s'est exprimée vis-à-vis du personnel soignant comme quoi je ne le ferais pas. Cela cependant me semble problématique de faire une ordonnance pour un patient que l'on n'a plus suivi depuis un mois ou plus. Fait est qu'il est intéressant qu'elle ait déduit que je ne le ferai pas ou qu'il n'était pas dans mon sens de le faire. Je ne dis pas que je ne le ferai jamais. Je ne sais pas si un jour une situation se présenterait, ou en toute clarté des deux côtés je serais prêt à le faire.193(*) ». Il poursuit son témoignage en expliquant qu'il n'a jamais été confronté à une demande d'euthanasie directe, mais que ce n'est pas pour autant qu'il exclut qu'il puisse y recourir un jour en désespoir de cause, même si en l'état actuel de ses croyances, il n'arrive pas à le justifier.

Ce phénomène d'ajustement des patients sur la ligne de conduite de leur médecin, laisse à penser que ce dernier tend à manifester ce qu'il est prêt ou non à faire pour son patient, au travers des transactions qu'il mène d'ores et déjà dans le cadre de la relation thérapeutique. Par conséquent, de là à penser que le médecin puisse orienter sa conduite en fonction de son principe d'intégrité afin de prendre position vis-à-vis de son patient, il n'y a qu'un pas, que franchit par ailleurs le docteur Balint, expliquant que, finalement, « la fonction apostolique » permet au médecin de rationnaliser et de justifier son positionnement vis-à-vis des demandes que lui fait son patient.

L'intérêt de l'analyse de cet auteur est de mettre en évidence le fait que le médecin puisse engager dans son expertise et dans la relation qu'il noue avec son patient son propre système de valeurs, ainsi que sa propre perception de l'identité professionnelle, de façon à construire et à renforcer sa perception subjective de l'identité professionnelle. En ce sens il agit en fonction d'une identité souhaitée. L'auteur Guy Bajoit présente un modèle intéressant de gestion relationnelle de soi194(*) expliquant comment au travers des échanges sociaux le sujet à la possibilité de transformer une identité assignée, en engageant son identité de telle façon qu'il puisse s'orienter vers l'identité désirée, créant dés lors une identité engagée. Cette dernière résulte selon l'auteur d'un double besoin d'accomplissement de soi et de reconnaissance. Son approche confirme en quelque sorte l'idée selon laquelle le médecin produit une identité professionnelle propre en fonction de son implication personnelle dans la relation thanatologique, tout en menant les transactions nécessaires à la justification de l'assistance au décès envisagée dans le cadre du projet thanatologique. La présentation de cette idée fait l'objet de la seconde partie de ce chapitre consacré à l'affirmation de l'identité médicale.

3.2. L'affirmation de l'identité médicale

Sachant que le médecin dispose d'une autonomie morale et qu'il définit son principe d'intégrité au fur et à mesure qu'il est confronté aux situations limites afin de mieux pouvoir y faire face, le lien étroit entre la façon dont il se positionne vis-à-vis des tiers et face à lui-même a été montré. Il semble dès lors facile de pouvoir expliquer les stratégies identitaires sous-jacentes au processus de justification des différentes pratiques d'assistance au décès.

Toutefois, agir de façon autonome, indépendamment du cadre éthique et moral dominant, suppose de la part du médecin qu'il soit en capacité de s'affranchir du monde thérapeutique, en particulier de ses règles et de son organisation, tout en minimisant tout risque de sanctions (pénales ou professionnelles). Il n'est donc pas possible de faire l'économie de l'analyse des conditions objectives que le médecin doit remplir pour pouvoir agir en toute liberté, indépendamment des contraintes structurelles liées à son champ d'activité, pour saisir pleinement sa stratégie identitaire. Ensuite seulement il sera possible de présenter selon quelles modalités le médecin construit subjectivement son identité professionnelle et comment il se positionne par rapport à la médecine hospitalière.

3.2.1. L'autonomie structurelle et la centralité de position

Pour expliquer son engagement pour la reconnaissance de l'assistance au suicide auprès des autorités médicales, ainsi que pour la légalisation de l'euthanasie active, un médecin dit : « Alors penser c'est bien, parler c'est une chose, mais à un moment donné, il faut agir. Et puisque maintenant je suis indépendant et que je ne dépends de personne, que j'ai cette philosophie de la responsabilité individuelle, puisque j'ai cette compétence, cette faculté particulière, je vais la mettre au service des autres. La faculté particulière de pouvoir prendre des responsabilités puisque je suis indépendant. Je ne dépends de personne pour me faire vivre, de mes patients, mais je ne dépends d'aucune institution qui va me dire vous vous taisez où l'on vous met dehors195(*). »

Ce témoignage montre l'importance pour le médecin de pouvoir exercer en dehors du champ hospitalier et être indépendant de cette structure pour pouvoir accompagner son patient d'une façon différente que le veut la doctrine médicale. Ainsi les médecins interrogés qui exercent l'assistance au suicide ou l'euthanasie active créent une séparation spatiale et temporelle entre leur identité professionnelle initiale et l' « identité désirée ». A l'image de ce médecin-conseil auprès d'Exit, à la fois médecin-chef en clinique et praticien en cabinet, qui évite de divulguer son appartenance à l'association pour protéger son identité, mais aussi son indépendance  : « C'est pourquoi, comme je vous l'ai dit, je préfère ne pas accompagner de personnes dans ma région et ne pas avoir à délivrer d'ordonnances. Ce n'est pas quelque chose que j'écris à l'extérieur de mon cabinet : membre d'Exit. C'est tellement honni. Cela se sait par ailleurs malgré tout. Je suis sûr qu'il y a quelques douzaines de patients qui m'ont choisi, car ils sont aussi membres d'Exit. Pas parce que je l'affiche et que je fasse de la publicité, mais cela leur est connu et ils viennent. Ils viennent chez moi, sachant que je suis médecin conseil, au cas où cela serait nécessaire, ce serait pratique.196(*) ». Si ce médecin préfère mener son activité associative de façon discrète, un de ses pairs, également membre d'Exit, milite ouvertement, mais après avoir remis son cabinet (donc mis un terme à sa carrière médicale) et entamé une formation théologique.

Il y a donc une gestion particulière de l' « identité engagée » dans le temps et dans l'espace. Certains médecins choisissent de s'engager de façon différenciée au niveau du lieu de leur engagement, d'autres opèrent cette différenciation au niveau du moment où ils entreprennent de militer. Ainsi se profilent au travers des témoignages divers modèles de gestion de l'identité, plus ou moins en retrait du champ hospitalier. Ces stratégies visent à pouvoir agir librement sans avoir à craindre de représailles ou de critiques de la part de leurs pairs. Quatre ont été mises en évidence. La première est de s'affilier ou de créer une structure associative (identité d'alternation). La seconde est d'exercer de façon totalement libérale (identité de rupture), en dehors de toute structure reconnue (institutionnelle ou associative). La troisième consiste à exercer en marge du champ médical, d'une façon qui est formalisée et tolérée déontologiquement (identité de retournement), sans que la doctrine médicale ne soit fondamentalement remise en question, mais simplement réinterprétée. Finalement, la dernière consiste à s'aligner sur la doctrine hospitalière, ancrée dans la culture chrétienne. Il s'agit dès lors de renforcer son identité initiale par le biais d'une carrière hospitalière (identité de consolidation).

L'engagement du médecin prend donc différentes formes, selon qu'il entretienne un rapport plus ou moins conflictuel avec la doctrine médicale hospitalière, donc plus ou moins contradictoire vis-à-vis de l'identité initiale, et selon qu'il vise une reconnaissance institutionnelle ou, respectivement, un accomplissement de son identité souhaitée. Les différentes modalités de gestion de l' « identité engagée » évoquées auparavant font l'objet du point suivant. En vue d'une meilleure compréhension du processus de justification médicale, il convient en effet de leur consacrer plus d'attention.

Quelle que soit la modalité de gestion de l' « identité engagée », il apparaît que tous les médecins interrogés partagent certaines caractéristiques. Ils disposent tous d'au moins dix ans de pratique médicale, dans des spécialités diverses (à l'exception d'un assistant hospitalier interviewé pour mettre en évidence l'impact de l'expérience sur la justification). Ils sont soit indépendants, exerçant en cabinet, soit occupent un poste élevé au sein de l'institution hospitalière, voire même conjuguent les deux formes de pratique. Chacun d'eux d'une façon ou d'une autre est impliqué associativement, soit au niveau professionnel, soit à titre privé. En somme, leur identité professionnelle reposent sur un réseau complexe d'appartenances associatives, institutionnelles, parfois simultanées ou successives dans le temps, suivant l'engagement que supposait chacune d'entre elles. D'une façon ou d'une autre, leur trajectoire professionnelle les a conduit à occuper des postes-clés dans les institutions de santé publique, dans les hôpitaux publics, dans les instances politiques. Certains sont chefs de clinique, d'autre médecins cantonaux, d'autres consultants, d'autres ont dirigé des associations professionnelles. De par leur position et leur trajectoire, ils ont donc occupés une position centrale dans le réseau de santé publique, à partir de laquelle ils ont pu mener leur divers engagement tout en jouissant d'une crédibilité et d'une reconnaissance sociale accrue, autant de leurs pairs que des instances étatiques.

Le prochain témoignage est très révélateur de l'importance de cette « centralité » pour la portée de l'engagement médical : « j'ai un cursus tout à fait particulier, ensuite j'ai la chance de pouvoir être indépendant, j'ai eu la chance de pouvoir être nommé expert fédéral, j'ai eu la chance d'être nommé président d'une association, petit à petit les choses se bâtissent. Puisque j'ai eu cette chance-là, et bien faisant les choses en fonction de cette situation qui s'est créé. Je suis en situation de pouvoir aider, améliorer ce qui peut l'être. Si j'ai pu aider un certain nombre de personnes en fin de vie et que j'ai pu contribué à pouvoir leur éviter des souffrances inutiles, et que j'ai pu sensibiliser mes confrères sur cette problématique et faire en sorte que les gens meurent moins mal, j'aurais été utile et j'aurais été ravi d'avoir pu l'être197(*). » Ronald Burt souligne la complémentarité de l' « autonomie structurelle » et de la « centralité » pour l'acquisition subjective du pouvoir par le sujet198(*). De la première dépend le capital social de l'individu, car l' « autonomie structurelle » de l'individu s'étend avec le nombre de ses appartenances (pour autant qu'elles impliquent que les contacts établis ne soient pas redondants), de la seconde dépend l'intensité du pouvoir du sujet. Plus il occupe une position-clé, plus il dispose de pouvoir dans la mesure le domaine de transactions dans lequel il est impliqué s'étend.

Les conditions objectives de l'exercice du libre arbitre étant posées, il est possible désormais de mieux appréhender comment le médecin gère son identité au travers des transactions qu'il mène au quotidien dans le cadre du projet thanatologique.

3.2.2. La gestion transactionnelle de l'identité médicale

Si l'un des enjeux de la transaction médicale est de définir les conditions de la dignité du mourant, la portée qu'elle peut avoir sur l'identité du médecin est indéniable, au vu des éléments qui précèdent. Promouvoir une pratique et un sens alternatifs à la déontologie médicale en ce qui concerne l'accompagnement du mourant, pousse le médecin à remettre en cause son positionnement vis-à-vis du patient dans le cadre de la relation thanatologique, vis-à-vis de ses pairs au sein de l'institution hospitalière, ainsi que face à lui-même du point de vue des croyances et des connaissances acquises durant sa formation. Pour rétablir une identité cohérente et stable, le médecin va mener ses transactions en fonction de sa propre vision du monde social et médical, de sorte qu'il puisse accéder à l' « identité désirée ». Cependant, cela suppose la recherche de supports de légitimité extérieurs au champ médical sur la base desquels la construction d'une identité alternative est justifiable. Dans une société pluriculturelle où coexiste des plusieurs systèmes sociaux, cela ne peut se faire sans occasionner de multiples rapports de force entre les différents acteurs sociaux impliqués dans l'accompagnement du mourant.

Il est possible de distinguer quatre modalités de gestion transactionnelle de l'identité par le médecin, en fonction de son positionnement par rapport à la doctrine et à la déontologie médicales, selon qu'il recherche l'accomplissement de soi ou la légitimité de ses actes, et ce, en dehors ou au sein du champ médical. Cette typologie explique aussi les rapports de force qui peuvent s'établir entre les différentes formes d'identité professionnelles. Guy Badoit parle à ce propos de « stratégie relationnelle » et différencie quatre formes d'échanges selon que les acteurs sont dans un rapport de coopération, de conflit, de concurrence ou de rupture avec les tiers. Dans le cadre du présent travail, son approche est intéressante car elle permet de mettre en lumière la façon dont les différentes acceptions de l'identité médicale entretiennent des rapports de force en fonction des transactions qui les soutiennent199(*). Pour obtenir une meilleure compréhension des différentes stratégies identitaires, il est possible de consulter le schéma au point quatre de ce chapitre.

L'identité de consolidation

Le médecin-chef, partisan d'un accompagnement du mourant sans euthanasie active et sans assistance au suicide, souligne que la concordance entre sa position personnelle, la mission publique de l'institution hospitalière et la déontologie, contribue à le conforter dans sa position, car toutes les trois se fondent sur le même support de légitimité, à savoir la religion chrétienne qu'il pratique. « Moi, je suis très à l'aise avec ça, ça ne me pose absolument aucun problème. D'abord, j'ai une conviction... J'ai une conviction médicale, elle est en l'occurrence, c'est facile, la même que ce que propose la déontologie médicale actuelle, c'est de dire, il y a des soins palliatifs, on peut soulager avec les soins palliatifs, donc on n'a pas besoin d'une euthanasie active. C'est la réponse officielle, un peu, du corps médical. Moi, je partage ce point de vue, je ne vais pas à l'encontre de ce qu'on dit. Après j'ai une conviction personnelle qui me fait dire que je pense que le temps de la mort, la préparation à la mort est un temps important, pour soi, pour la famille et je pense qu'on doit pas, même dans les moments de découragement important minimiser l'importance de ce temps qu'on a à vivre. Et cettet opinion-là est facile à défendre, puisqu'il va dans le même sens de l'idée que prône le corps médical que les soins palliatifs existent et que ça suffit. Après il y a une décision juridique qui est celle que vous connaissez que l'on n'a pas le droit de pratiquer une euthanasie active qui va aussi dans le même sens de ce que je pense personnellement et de ce que pense le corps médical.200(*) »

Cette concordance entre les différents supports de son identité lui permet donc d'agir sans avoir de raisons particulières de douter du bien-fondé de son engagement, ce qui se traduit dans les faits par une assurance et une autorité telles que ses transactions se traduisent le plus souvent en décisions institutionnelles que les autres acteurs ne peuvent pas vraiment contrer. Pourtant cette position de domination, liée à la conformité de la vision personnelle du médecin au cadre objectif (légal, déontologique et religieux) de la gestion sociale de la mort, n'exclut pas que le médecin doive consulter les tiers pour obtenir leur adhésion au projet thanatologique. Le fait qu'il favorise ouvertement la solution des soins palliatifs et du retrait thérapeutique (au détriment de toute autre alternative) - tous les deux sont conformes à l'orientation symbolique du champ d'activités hospitalières - n'empêche pas que le succès du projet thanatologique dépende pour l'essentiel de la cohésion de l'équipe soignante et médicale autour d'un même credo, ainsi que de l'acceptation par le mourant et sa famille des décisions médicales.

Dés lors le médecin recherche la complémentarité dans ses transactions de façon à ce que l'intervention des différents acteurs s'inscrive dans le sens symbolique qui oriente le projet thanatologique. Les médiations que mène le médecin sur la base de son identité de consolidation, ne remettent ainsi pas en cause sa position, ni la validité de la justification de ses décisions et de ses actes. Il peut donc conduire le projet thanatologique et coordonner le travail des différents acteurs autour du mourant à partir d'une position centrale, en quelque sorte formalisée, institutionnalisée.

L'identité d'alternation

A la question du pourquoi de son engagement associatif, un médecin répond de la façon suivante : « A partir du moment où j'ai quitté l'hôpital, je suis devenu indépendant. En l'étant je peux faire et dire ce que je veux, si je suis dans un hôpital, je dois suivre la ligne de l'hôpital, le politiquement correct, sinon je vais perdre mon poste. Cela est la liberté de l'indépendant. Ceci étant, je me suis dit que du point de vue philosophique que l'on dit toujours, les politiciens n'ont qu'à, il n'y a qu'à, ils ont été élus pour cela. Non, moi je pars de la responsabilité individuelle, nous sommes tous responsables de ce qui se passe, chacun à notre niveau et nous sommes en charge d'améliorer ce qui peut l'être en fonction de notre situation, de notre compétence, d'où on est, chacun201(*). »

Ce témoignage est très significatif de la gestion spatiale de l'identité professionnelle, car il montre comment ce médecin s'engage auprès d'Exit après avoir exercé durant quelques années en cabinet. Son engagement fait sens dès lors qu'il voit en Exit une possibilité de pouvoir militer pour les intérêts des personnes qui veulent absolument mourir avant de tomber dans une déchéance physique ou psychosociale totale, et ce hors du champ médical, afin de ne pas mettre sa position professionnelle en danger. Il montre aussi le support de légitimation que constitue la structure associative, car elle permet au médecin de militer et d'agir au niveau des institutions politiques et institutionnelles.

Toutefois son intérêt est aussi de montrer que ce médecin fait le choix délibéré de s'engager en dehors du champ médical pour mieux faire valoir sa vision subjective du droit du patient à disposer de lui-même, ainsi que celle du médecin à l'aider dans ce sens. L'identité d'alternation repose sur la construction d'un espace intermédiaire entre la société civile et le champ médical, l'association, au travers de laquelle le médecin peut non seulement incarner l'identité professionnelle de la façon dont il la souhaite, mais grâce à laquelle il accède aux supports socio-juridiques nécessaires à la légitimation de sa pratique alternative. En effet, par le biais de l'association, à titre privé, il devient un acteur social qui peut revendiquer une certaine position, exercer un pression médiatique et entrer en négociation pour obtenir de la part de l'appareil judiciaire ou étatique une légitimité, qu'il n'obtiendrait pas dans le champ médical.

La structure associative soutient l' « alternation202(*) » au sens où l'entendent Peter Berger et Thomas Luckmann, c'est-à-dire une modification durable de l'identité issue d'une socialisation secondaire, par une transformation du discours, des normes, des procédures, en somme de l'univers symbolique qui la soutient. L'association sert de plaque tournante pour la diffusion d'une conception alternative du rôle et de la relation thérapeutiques (de la position relative du patient et du médecin), pour le partage de savoirs spécifiques, comme la connaissance des produits létaux, de leur dosage, ou encore pour générer un discours politique et médiatique de façon à susciter le débat social. L'identité d'alternation se caractérise par l'intense activité de négociation qu'elle suppose, avec les tiers. Le médecin entretient essentiellement des rapports conflictuels avec ses pairs et avec les autorités médicales. La négociation vise une reconnaissance sociale non seulement de la dignité du patient, mais aussi d'un rôle médical en fin de vie non plus ancré sur la centralité du médecin, mais plutôt sur celle du patient.

Cette seconde modalité de gestion de l' « identité engagée » est caractéristique des pratiques innovantes qui supposent une transformation radicale de la doctrine médicale et par conséquent une redéfinition du cadre légal, éthique. L'identité d'alternation subsiste tant que l'activité, l'idéologie sur lesquelles elle se fonde ne sont pas reconnues. Ainsi la promotion des soins palliatifs est aussi passée par cette modalité de gestion identitaire, par le biais de la mobilisation de fonds privés et d'associations pour diffuser cette approche holistique de la prise en charge médicale des mourants. Ceci est bien illustré par le montre le témoignage suivant d'un médecin qui, tout en pratiquant l'euthanasie active, a aussi milité pour l'adoption en milieu hospitalier des soins palliatifs : « Donc pour prescrire largement des antalgiques, c'était déjà un combat. Ensuite pour utiliser des antalgiques par voie orale, la solution de Prampton, du premier centre de soins palliatifs qui a été créé à Londres, cela avait été aussi tout un débat, à l'époque, est-ce que c'était juste que le patient ait des opiacés sous forme liquide dans une solution qu'il pouvait prendre à la demande, ou est-ce que c'était donner un pouvoir extraordinaire au patient que de lui permettre de gérer ses douleurs203(*). »

Le fait que les soins palliatifs n'aient pas été tout de suite introduits dans les unités hospitalières, mais ont d'abord pratiqués dans des structures privées, des associations ou des fondations, en marges des institutions hospitalières est significatif de ce second mode de gestion identitaire.

L'identité retournement

A la question du fondement de l'adhésion de certains médecins à la doctrine professionnelle, un médecin répond que « cela provient justement du serment d'Hippocrate, de 300 ans av. J.-C. : tu ne dois jamais donner au patient de poison. Si cela est encore valable aujourd'hui, cela est la question. On ne doit jamais donner au patient de poison à la demande d'un tiers, de l'État par exemple ou de la famille. Nous le faisons aussi ainsi. Mais si on le lui donne pour respecter le patient, on peut le voir de façon différente, ceci est à discuter. Le serment d'Hippocrate joue-t-il un rôle important ? Non, ce ne l'est pas plus pour moi que pour la plupart de mes collègues médecins. Je peux m'y soustraire, je ne veux pas être le seul à me battre qui vienne et dise, que cela ne joue aucun rôle. Je trouve que c'est mal ce que j'ai dit d'un côté, mais il y en a d'autres qui le pensent aussi. Cela fait 2500 ans, ce n'est donc plus important. Il est tout à fait possible que le suicide entre dans le devoir médical. Je le vois ainsi, sinon je ne le ferai pas.204(*) »

L'identité de retournement se distingue des deux identités précédentes sur deux points essentiels. Premièrement, elle se différencie de l'identité de consolidation par le fait qu'elle détourne le sens initial de la déontologie par une interprétation alternative des principes qui la fonde. tout en étant reconnue et en se basant sur le rôle d'intermédiaire du médecin. Deuxièmement, elle diverge de l'identité d'alternation en cela qu'elle ne vise pas une reconnaissance sociale, étant donné qu'elle concerne un acte d'ores et déjà toléré par les instances légitimatrices du champ médical, entre autre l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM). De ce fait, le but n'est plus tant d'obtenir une légitimité, mais plutôt d'exercer une influence plus grande au sein du réseau transactionnel pour faire aboutir le projet thanatologique du mourant, notamment, dans le cas présent, celui de l'assistance au suicide.

Par là, l'identité de retournement permet au médecin de se maintenir dans le champ médical, mais tout en étant en concurrence par rapport à l'acceptation classique de son rôle. L'identité de retournement est en quelque sorte le résultat d'une reconnaissance partielle de la pratique et du rôle considérés. Elle constitue avec l'identité d'alternation une forme transitoire, mais non moins socialement structurée de l'identité, en cela que l'activité sur laquelle elles se basent peut à terme faire l'objet d'une légitimation complète, éthique, légale et déontologique.

L'identité de rupture

Pour expliquer la façon dont il évalue une demande d'euthanasie active, un médecin s'exprime dans les termes qui suivent : « Alors c'est dire qu'une fois que l'on a remis ce contexte, qu'est-ce que c'est que le médecin, quel est finalement son rôle, qu'est-ce qu'il doit au patient. une fois que l'on a mis le patient au centre et que dans chaque situation on est prêt à reconsidérer avec ce patient-là, à ce moment-là de sa vie, dans son contexte de vie, quelle peut être sa demande à mon égard et qu'est-ce que moi je peux ou non entrer en matière et si on reste honnête, si on s'est interrogé sur ce qu'il y avait à faire, le moment de l'acte est simple. Ce n'est pas compliqué de rajouter quelques ampoules dans une perfusion. Et l'état émotionnel du médecin est grave, je ne vois pas comment l'on peut être gai dans des moments pareils, mais on peut être grave, mais pas tourmenté205(*). »

La particularité de ce témoignage est de montrer à quel point le médecin n'agit plus en fonction de la déontologie dominante, encore moins en fonction d'un souci de reconnaissance sociale, son évaluation se fait en dépit des risques objectifs liés à une pratique illégale. Ceci est illustré par la suite de ses propos : « Si il y a un bon Dieu, le moment venu j'assumerai et si il n'y en a pas, et ben on ne va pas se tourmenter pour ça. Et cela m'est égal le prix à payer. J'aurai la même position personnelle par rapport à la justice des hommes, si un jour je dois avoir des ennuis à cause d'un acte d'euthanasie, je l'assumerai sans problème. C'est égal, j'irai expliquer, les juges feront leur travail qui est de juger. Et puis voilà, j'assumerai les conséquences. Si l'on n'est pas prêt à assumer les conséquences de ce que l'on fait, il ne faut pas le faire206(*). ».

Dans cette ultime figure de la gestion transactionnelle de l'identité, il apparaît que le médecin s'oriente exclusivement en fonction de la vision du monde communément construite avec le mourant, de façon interpersonnelle. Il inscrit son acte dans une réflexion interpersonnelle. L'identité de rupture se caractérise donc par le fait qu'elle est coupée de tout support institutionnel ou collectif de légitimation. C'est la communauté d'expérience entre le médecin et le patient qui justifie le choix et la décision euthanasiques. L'accomplissement de soi se déroule indépendamment de toute instance sociale médiatrice ou génératrice de légitimité. D'une certaine façon, le médecin se prive volontairement de toute formalisation, de toute institutionnalisation de sa pratique, dans le but de pouvoir agir exclusivement en fonction du libre-arbitre du patient et selon son principe d'intégrité personnelle, qui vont dans le même sens.

De ce fait, l'identité de rupture est dans le cas présent un choix volontaire, stratégique, d'agir indépendamment de tout cadre objectif, excluant donc toute transaction légitimante. En ce sens, on peut considérer les échanges menés par le médecin comme contradictoires, d'une part, car l'orientation symbolique du projet explicité ne correspond pas au sens réellement poursuivi, d'autre part, car l'acte envisagé contredit le fondement éthique de la profession. Le médecin ne se contente plus seulement de détourner les principes de ce dernier ou de rechercher un compromis comme dans le cas de l'identité de retournement, respectivement celui de l'identité d'alternation.

La gestion transactionnelle de l'identité professionnelle ne doit pas être comprise comme une description statique. S'agissant de stratégie identitaire, il apparaît que selon les situations et les besoins, le médecin adopte l'une ou l'autre des modalités. Il s'est même présenté des situations, où le médecin adoptait l'une ou l'autre en fonction de l'espace où il exerçait. Tout comme il est imaginable qu'au fur et à mesure de sa trajectoire professionnelle et en fonction de l'évolution de sa propre intégrité, le médecin adopte tour à tour différentes stratégies identitaires, pour finalement se stabiliser sur l'une d'entre elles.

Ce qui est important de retenir au terme de cette partie importante du travail consacré au déroulement du projet thanatologique et au rôle que joue le médecin au travers de ses transactions, c'est que la justification médicale est un processus dynamique et stratégique qui repose essentiellement sur la façon dont le médecin détermine son principe d'intégrité pour soutenir la confrontation répétée à la mort des individus. Les différentes formes d'identité transactionnelle identifiées ne se rapportent pas automatiquement ou exclusivement à une forme d'assistance au décès. Selon l'évolution du cadre légal, du débat social et de la reconnaissance dont jouit la pratique considérée, le médecin peut adopter une forme de transaction ou l'autre, par conséquent choisir une stratégie identitaire en fonction des interactions qu'il estime nécessaires à l'aboutissement du projet thanatologique.

4. Schéma : la gestion transactionnelle de l'identité professionnelle

 
 
 

Accomplissement de soi

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Échanges contradictoires

 
 

Échanges compétitifs

 
 

Hors du champ médical

 
 

Intercession

 
 

Traduction

 
 

Dans le champ médical

 
 
 

Identité de rupture

Identité de retournement

 
 
 
 
 
 

Identité d'alternation

Identité de consolidation

 
 
 
 
 

Négociation

 
 

Médiation

 
 
 
 

Échanges conflictuels

 
 

Échanges complémentaires

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Reconnaissance sociale

 
 
 

La mort légitime

Expliquant le processus sociétal de légitimation, Peter Berger et Thomas Luckmann montrent que le but essentiel des univers symboliques fondant les institutions sociales est de médiatiser l'expérience subjective de la mort207(*). Les processus de légitimation et l'orientation des conduites qu'ils soutiennent servent en effet à établir les conditions auxquelles la continuité sociale est assurée, au-delà de la limite existentielle que constitue la mort. L'interprétation symbolique de la mort et sa gestion constituent donc l'un des piliers essentiels des ordres sociaux. C'est pourquoi mourir est un processus social, soumis à des normes et à des régulations. Il existe par conséquent un « bien » mourir, c'est-à-dire une mort légitime, qui satisfait aux conditions socialement admises comme acceptables et concevables. La mort légitime est donc tributaire des interactions des acteurs, de leurs transactions, comme l'illustre l'extrait sousmentionné.

A la question de savoir si chaque individu de la société meurt dans les mêmes conditions, un médecin répond que « Non, parce que si vous avez la chance d'avoir un médecin qui est votre ami et qui est dans votre famille, et bien si vous êtes le petit qui n'a pas beaucoup de connaissance et qui est la personne humble qui doit solliciter et qui ne sait pas forcément, et bien vous n'allez forcément pas mourir de la même façon. Non, la société est inégale. Je dis toujours à mon fils, tout le monde est égal, mais il y en a qui sont plus égaux que d'autres208(*) ». Ce témoignage a priori surprenant permet de comprendre que la mort est plus ou moins légitime selon qui elle touche et en fonction de la façon dont elle survient. Le projet thanatologique participe donc de la production d'une « mort légitime » et les ressources dont dispose le mourant pour accéder selon son bon vouloir au statut de défunt ne sont visiblement pas les mêmes.

Avant de considérer les différentes formes légitimes de décès, identifiées par l'analyse des transactions menées par les médecins, il convient de considérer les conditions minimales auxquelles une mort doit satisfaire pour être considérée comme acceptable de nos jours, dans le contexte de l'actuelle réflexion. Il s'agit de définir une modélisation de la mort légitime qui puisse soutenir la suite de notre analyse, au vu des constats tirés des parties précédentes du travail.

A la différence de Louis-Thomas Vincent qui se risque à présenter un modèle unique de « la philosophie du bien mourir209(*) », le propos ici n'est pas de jeter les bases d'une mort « idéale ». Dans un contexte social multiculturel, plurinormé où cohabitent plusieurs acceptations de l'appartenance sociale, de la dignité humaine, il semble en effet difficile d'admettre qu'une seule « mort idéale » soit possible. Toutefois l'intérêt de la schématisation de Louis-Vincent Thomas est d'opérer une distinction entre trois niveaux de la réalité sociale de la mort : le palier des acteurs impliqués, celui des normes et procédures relatives à la prise en charge sociale des morts et finalement la dimension symbolique (exprimée au travers d'un rapport à Dieu, au droit naturel et à l'universalité). Sa contribution est la bienvenue car elle laisse entrevoir qu'une modélisation de la mort légitime ne se résume pas au simple constat de l'évolution historique des pratiques liées à la mort.

Par exemple, Hubert Doucet, dans un article consacré aux différents modèles du « bien mourir », présente une modélisation selon une approche historique de la gestion sociale de la mort au Québec210(*). Une lecture critique de son article laisse cependant entrevoir que l'argumentation a une faiblesse majeure. D'une part, son approche historique vise non pas à différencier les tendances, mais plutôt à établir une continuité historique entre eux pour prétendre par la suite à l'universalité de l'approche religieuse ; d'autre part, le contexte religieux n'est de loin pas suffisant pour différencier les pratiques considérées. L'approche historique servant à identifier les différentes caractéristiques du « bien mourir » apparaît donc comme délicate et ne sera pas adoptée ici211(*).

Le présent travail a plutôt pour but de mettre en lumière les critères sociaux d'une mort admise comme légitime et de comprendre la construction interactive de ces derniers. L'activité transactionnelle décrite au sein du projet thanatologique n'a pas pour seul enjeu l'identité du médecin, mais vise également la définition des conditions objectives et intersubjectives d'un décès socialement considéré comme acceptable. Autrement dit, l'objet de la transaction médicale, in extenso, du projet thanatologique, reste la construction sociale du statut de défunt à partir de l'expérience subjective du mourant. Dès lors, il peut être admis que les diverses formes de transactions médicales véhiculent non seulement plusieurs acceptions de l'identité professionnelle et de la relation thanatologique, mais aussi de la façon légitime de construire le statut de défunt.

Tenant compte du fait que pour être admise, l'expérience subjective du mourant doit être rendue acceptable pour toutes les parties prenantes à sa prise en charge, en considération des différents mondes desquels participent son identité (le monde civique, domestique, industriel, marchand et de l'inspiration en particulier), il apparaît évident que la légitimité de sa mort est dépendante du succès des transactions que mène le médecin. Dès lors, vouloir connaître le processus de légitimation de la mort revient à interroger les conditions dans lesquelles le projet thanatologique peut être considéré comme ayant abouti. La finalisation du projet peut être mesurée en fonction de la réalisation de ses objectifs initiaux.

Au vu des acquis précédents de ce travail, quelques-uns de ces objectifs initiaux peuvent être cités : rétablir l'intentionnalité et la capacité d'agir du mourant par la reconfiguration de son identité biographique et par la reconnaissance de son appartenance. Ainsi, le patient accède au statut de défunt pour autant qu' il soit admis qu'il ait accompli sa vie. Pour ce faire, son passé est revisité, son identité biographique est rétablie, pour que le mourant soit réinséré dans une temporalité particulière, dans un espace structuré et structurant. Cet espace n'est pas seulement symbolique (fondé sur les principes normatifs), mais se structure grâce à la définition d'un temps et d'un espace physique communs à tous les acteurs. Ce, afin qu'en son sein, le discours et la conduite des uns et des autres se coordonnent. Mais une fois l'identité du mourant circonscrite, son temps est suspendu. En résumé, le projet thanatologique ne vise pas uniquement à circonscrire la mort pour mieux la médiatiser, mais aussi à restructurer l'espace délaissé par le défunt.

Ainsi la relation thanatologique ne doit pas seulement être comprise comme le rapport qui s'établit entre le médecin et son patient. C'est un espace transactionnel où se conjuguent les identités et les interventions des différents acteurs. Si la position du médecin est centrale durant le projet d'assistance médicale au décès, c'est que sa fonction vise à en articuler les dimensions subjectives et objectives. Son expertise ne consiste pas seulement à alléger les souffrances du mourant, mais visiblement à favoriser la définition d'un monde commun autour du mourant.

Encore une fois, il est important de souligner que la typologie présentée n'est pas descriptive, mais se veut explicative. Il s'agit de visualiser la dynamique sociale identifiée par le biais de l'étude de la pratique médicale de l'assistance au décès. Pour une meilleure compréhension des chapitres suivants, le lecteur peut se référer au schéma récapitulatif (au point 5. de cette troisième partie) présentant la genèse de la mort légitime.

1. De la mort clinique à l'humanisation de la mort légitime

Le point de départ de la réflexion sur la justification par le praticien de sa pratique de l'assistance au décès, en première partie de ce travail, était que la mort clinique en tant que définition physiologique et technicisée de la mort, n'était pas suffisante pour signifier et socialiser l'expérience subjective du mourant.

Dans cette appréhension techniciste de l'expérience du mourant, la mort est perçue comme un risque qu'il faut à tout prix conjurer. L'acharnement thérapeutique est donc perçu comme juste et justifié par les médecins. Étant donné cette logique de la vie prolongée à tout prix, visant à conjurer la mort « prématurée212(*) », la temporalité dans laquelle s'inscrit alors le médecin est celle de l'urgence : « Donc on a peut-être une chance de gagner, bon ok on va la mettre en respiration artificielle puis on se donne 24 h ou ça va bien ou ça va pas bien et puis on prendra une décision. On peut être amené à pratiquer ce genre de médecine. Mais, il n'est jamais agréable de pratiquer dans l'urgence. Moi, je pense que quand on sait pas, il faut faire les choses,... quand on ne sait pas prendre la bonne décision, quand on se dit est-ce qu'on fait ou pas, je pense, mais c'est un point de vue personnel, forcément qu'on tombe dans du subjectif, à mon avis, c'est qu'il faut faire les choses213(*) » L'urgence justifie la primauté de l'expertise médicale sur toute autre perspective. La mort définie cliniquement n'est plus perçue comme un point de non retour, comme le passage définitif du monde des vivants au monde des mourants. Il s'agit d'une continuité d'états physiologiques intermédiaires qui se termine par la rigidité cadavérique, un état irréversible entérinant le constat d'inutilité sociale de l'individu. Ainsi la temporalité de l'urgence produit aussi l'incertitude, car n'étant fixée à un instant précis du temps, la mort sécularisée échappe paradoxalement à tout contrôle collectif, symbolique.

La mort clinique appartient exclusivement au médecin. Selon des besoins techniques de la science médicale, elle est d'ailleurs constamment rediscutée, revisitée, « reconceptualisée214(*) ». Effectivement, au fur et à mesure que se développent les techniques de transplantations et de greffes d'organes, il est nécessaire de définir l'instant où le mourant n'est plus considéré comme un individu viable et ne doit plus être réanimé dans le but d'une survie. Il est pourtant maintenu « en survie » afin de permettre l'ablation des organes encore sains. Il est important alors de s'assurer qu'il ne puisse plus souffrir et ressentir la douleur, d'où l'importance, entre autres, du constat de mort cérébrale (un critère de la mort clinique).

Dans ce cas, le mourant, ses proches, se voyaient désappropriés de leur vécu, du travail de deuil, au profit de l'activité médicale. Cette situation a généré non seulement une méfiance de l'opinion publique vis-à-vis du monde médical, considéré dès lors comme dominateur et déshumanisé, mais aussi la hantise de la mort « prolongée215(*) », autrement dit de l'acharnement thérapeutique. Les médecins sont parfaitement conscients, de cet état de fait, ayant eux-mêmes ressenti la désillusion thérapeutique et les limites de leur expertise, comme l'illustre le témoignage suivant : « S'il y a tout un mouvement de soins palliatifs, c'est aussi parce que l'on a poussé dans l'autre extrême les mesures de conservation de la vie, qu'on arrive à mettre des gens au respirateur de telle façon que même quand la respiration s'arrête ou que le coeur s'arrête, quand le cerveau ne fonctionne plus, on peut encore maintenir la carcasse en vie et on peut garder des parties du corps en vie. Je crois que l'on a aussi peur que le corps médical s'approprie des bouts de nous216(*). »

La critique de l'acharnement thérapeutique induit la recherche de solutions alternatives (comme celle des soins palliatifs ou le suicide assisté) qui auront pour souci de replacer le mourant et son humanité au centre d'un projet thanatologique et de résoudre avant tout sa souffrance physique et morale, essentiellement par un traitement antalgique différencié, plus personnalisé des douleurs et des affections liées à la polymorbidité.

Comme le souligne Paul Hintermeyer, le postulat sera alors que la mort légitime est une « mort sans souffrance217(*) », digne, du fait qu'elle est dissociée de la douleur et des symptômes de l'agonie. Toutefois, sa mise en oeuvre sera différente, selon la gestion transactionnelle de l'identité adoptée par les médecins pour résoudre la désillusion thérapeutique.

Une mort n'est donc légitime que si certaines exigences sont remplies. La première est que les conditions auxquelles le mourant retrouve sa dignité et son appartenance à la collectivité sont admises socialement. La seconde est que le décès apporte une solution à la souffrance du mourant (autrement dit à la perte d'intentionnalité comprise comme l'anéantissement de la maîtrise de son propre corps, donc de soi), en rétablissant sa capacité d'agir selon des conditions préalablement définies. La troisième est que le processus de justification qui fonde le projet thanatologique repose sur un compromis ou un principe normatif identifiable et reconnu. La quatrième est que l'expérience subjective de la mort soit signifiée et signifiante pour chacun des acteurs impliqués, en d'autres termes qu'elle s'inscrive dans un univers symbolique. Finalement pour satisfaire à toutes les conditions précitées, le projet thanatologique doit s'inscrire dans une temporalité qui témoigne de l'articulation dans un espace donné du symbolique et du vécu, laissant ainsi présager d'une continuité sociale. Chacune des formes de la mort légitime a ses limites qui seront aussi mises en évidence.

2. La mort naturelle vs la mort autodélivrance

La recherche d'une alternative à l'acharnement thérapeutique et à l'abandon du mourant en structure hospitalière va conduire dans un premier temps à l'émergence concomitante de deux formes de morts légitimes radicalement opposées : la mort naturelle et la mort autodélivrance. La première étant portée par une vision chrétienne de la mort, la seconde par une vision athée, plus hermétique. De leur opposition va apparaître une première scission quant à la perception subjective qu'auront les médecins de leur rôle dans la prise en charge du mourant.

2.1. La mort naturelle

« C'est l'époque aussi où l'on mettait en avant les soins palliatifs. Pendant la même période où j'étais chef de clinique, il y avait le grand débat : est-ce qu'il faut ou non développer des structures de soins palliatifs. Il n'y en avait pas. Les mourants mouraient dans les services généraux, d'une manière que l'on considérerait aujourd'hui comme totalement inacceptable, il n'y avait pas d'accueil particulier pour les familles. Il n'y avait pas d'accompagnement psychologique, d'aucune sorte. On commençait à contrôler les douleurs, mais les médecins qui prescrivaient largement des antalgiques étaient encore assez suspects.218(*) » Cet extrait illustre parfaitement en quoi les soins palliatifs constituaient une alternative à la mort clinique. Il s'agissait de rétablir au sein du monde médical, la dimension humaine et relationnelle de l'accompagnement du mourant, comme « de ne plus avoir peur de la mort, d'éliminer toute résistance au dévoilement de la fin de vie et du mourir, de renverser 1' « interdit » qui entoure la mort et qui empêche de l'appréhender de manière sereine, « naturelle »...219(*) »

Cela signifie qu'il est nécessaire de reconsidérer le mourant dans sa souffrance, dans son angoisse existentielle pour mieux y remédier par un suivi psychologique. Rétablir la capacité d'agir du mourant, c'est lui permettre de rétablir son appartenance au monde domestique, en aménageant un espace où la famille peut participer à l'accompagnement du mourant, pour favoriser le processus de deuil. Le traitement institutionnel de la douleur se base sur « une évaluation médico-psycho-sociale et spirituelle220(*) » de la situation du mourant. Dans cette affirmation volontaire d'une approche désormais holiste du mourant, l'accompagnement médical est tributaire de l'intervention d'autres professionnels, il devient pluridisciplinaire. Aux côtés du médecin, se trouvent des psychologues, des physiothérapeutes, des religieux, dont il s'agit de coordonner l'action au chevet du mourant. Ainsi le médecin mène ses transactions sur le mode de la médiation, car il recherche avant tout la complémentarité entre les interventions et l'obtention d'un consensus par l'adhésion de tous à un projet commun, orienté d'après le bien-être du mourant.

Le fondement éthique de cette approche est le respect de la vie, selon l'acception chrétienne de la dignité. La « sollicitude » des professionnels d'unités mobiles de soins palliatifs, vis-à-vis des mourants et de leur entourage (les soignants et les proches), reflète, sous couvert d'une approche clinique et uniquement professionnalisée, la charité chrétienne dépourvue de sa dimension religieuse : « Elle répond à une logique « clinique », à savoir qu'on ne peut traiter avec efficacité la douleur physique et morale qu'en étant réceptif aux plaintes des patients. Ecouter systématiquement et croire toujours le malade, premières conditions d'une éthique de la sollicitude221(*) » Plus loin les auteurs ajoutent : « La sollicitude est à la fois une attention soucieuse et une manière de se comporter témoignant de ce souci de l'autre.222(*) » Comme le met en évidence Michel Castra, le mouvement des soins palliatifs, tout en le niant, est profondément ancré dans une acception chrétienne de la mort, du moins dans le contexte français qui est au centre de son étude223(*). Il note également que l'engagement des médecins dans leur promotion des soins palliatifs dépasse de loin la seule revendication professionnelle. Leur implication vise la diffusion de nouvelles valeurs morales, ancrées dans une vision chrétienne modernisée de la gestion sociale la douleur, de la souffrance et de la mort.

Il n'est donc pas fortuit que les soins palliatifs sont d'ores et déjà cités et prônés dans l' « Evangelium Vitae224(*) » écrit par Jean-Paul II en 1995, pour contrer un autre courant qui est soutenu par les tenants d'une vision athéiste de la fin de vie, qui prônent quant à eux une mort autodélivrance.

Le paradoxe des soins palliatifs est d'opposer une mort naturelle (ne devrait-on d'ailleurs pas dire naturalisée) à la mort clinique. Ceci laisse à penser qu'il est laissé libre cours au processus de mort, sans aucune intervention extérieure, alors que la prise en charge du mourant, son traitement antalgique, supposent toujours un environnement fortement professionnalisé et médicalisé. La définition de la mort naturelle repose sur celle de la qualité de vie, qui présuppose l'existence d'un « potentiel de santé » individuel. La mort est dite naturelle lorsque celui-ci s'épuise naturellement, indépendamment de toute intervention humaine liée au style de vie (mort impromptue par accident, mort prématurée par maladie, mort annoncée par suicide ou euthanasie). Dans ce respect de la vie humaine, les soins palliatifs, en tant qu'alternative à l'acharnement thérapeutique, ne sont pas en contradiction avec le retrait thérapeutique, la renonciation aux moyens auxiliaires de survie, ainsi qu'avec la pratique de l'euthanasie active indirecte. Cette dernière concerne le recours au traitement antalgique même si celui-ci est susceptible d'entraîner la mort du patient.

Un témoignage met en évidence la complexité de cette approche au quotidien : «  En fait tu décides de la façon suivante. Il y a des médicaments qui sont absolument obligatoire pour le coeur, l'estomac ou pour d'autres trucs. Car souvent il s'agit de personnes polymorbides. Là, tu laisses en tout cas les médicaments qui sont là pour le premier, le deuxième problème et les suivants. Et puis tu essaies de régler au mieux le problème principal, la raison pour laquelle elle est là. Et puis la raison pour laquelle elle va mourir, tu essaies de ne pas la changer. En fait, tu as la possibilité de retirer le médicament cardiaque, puis elle va mourir demain ou dans deux heures.(...) Là , c'est clair, si tu enlèves le médicament elle va mourir, mais elle va mourir à cause d'une insuffisance cardiaque. Cela on ne peut pas le faire. C'est comme si tu enlèves l'oxygène à quelqu'un. C'est comme si on disait au patient, que, vu qu'il va de toute façon mourir, on peut lui prendre l'oxygène. Et comme on t'enlève l'oxygène, tu vas mourir plus vite. Mais ce n'est pas cela que l'on veut. On veut que la personne meure bien et qu'elle meure du problème principal225(*) ».

La mort naturelle connaît ses limites. L'une d'entre elle est la sédation. Elle consiste à induire un sommeil pharmacologique dans sa forme la moins intensive, mais il est également question de la sédation totale qui consiste à plonger le mourant dans un coma profond jusqu'à ce que survienne son décès. La pratique de la sédation a pour but d'éviter que le patient soit conscient de ses souffrances agoniques lorsque son état de morbidité aigüe est réfractaire à tout traitement sur une longue durée. Le problème est que les produits utilisés en sédation sont également ceux qui sont utilisés dans le cadre de l'euthanasie active, mais selon une posologie différente. L'idée est que même totale, la sédation est supposée pouvoir être réversible, ce qu'il est difficile d'établir selon les cas, dans la mesure où la survenance du décès est toujours incertaine.

Une autre limite de la mort naturelle est que le mourant peut devenir l'otage de l'équipe soignante ou de ses proches. Dans la situation relatée par un des médecins interrogés, il s'agit d'un jeune homme ayant fait une tentative de suicide avec une arme à feu, réanimé de justesse alors que son cerveau avait subi des dommages tels qu'il est désormais dans un état végétatif profond depuis plusieurs années. D'un côté la famille demandait qu'il soit procédé à un retrait thérapeutique par arrêt de l'alimentation artificielle, car les proches ne supportaient plus le poids psychologique lié à la survie prolongée du jeune homme dans un état irréversible de coma végétatif avancé. De l'autre, le médecin traitant en charge du patient, s'y est refusé, arguant de l'opposition de l'équipe soignante à cette mesure. Il faut noter que l'équipe soignante était constituée de soeurs, dans la mesure où l'institution dans laquelle avait été placée le jeune homme était gérée par un ordre religieux. Ce dernier exemple montre finalement que dans les soins palliatifs, comme dans la mort clinique, le médecin occupe une position centrale au sein du réseau de prise en charge du mourant.

La temporalité de la mort naturelle résulte d'un compromis entre la temporalité de l'urgence, propre au champ médical, celle du monde domestique et celle de l'inspiration (religieux). Il s'agit en effet de permettre que le statut du défunt soit construit en respect du deuil familial et selon une certaine ritualité. Du point du vue de la conduite médicale du projet thanatologique, la mort naturelle relève donc de la « temporalité de l'innovation incrémentale226(*) ». Mais elle répond aussi à une logique économique, l'approche palliative se veut plus rationalisée, donc moins coûteuse que l'approche purement technique. Il s'agit finalement d'un changement progressif de la prise en charge médicale du mourant, caractérisé par une réforme procédurale de l'espace clinique, un réagencement des ressources, selon des valeurs non plus seulement techniques, mais aussi relationnelles, mais sans que la centralité du médecin ne soit pour autant altérée. Celui-ci conserve son autorité quant à l'objectivation du cas clinique, respectivement palliatif, et la détermination de l'orientation symbolique du projet selon la dimension objective de la relation thanatologique.

2.2. La mort autodélivrance

La particularité de la mort autodélivrance est qu'elle vise à s'affranchir du monde médical, mais également de l'acceptation chrétienne de la mort délivrance soumise à la Grâce de Dieu. Elle est portée par des médecins qui, en réponse à l'acharnement thérapeutique, veulent promouvoir la liberté du patient à décider par lui-même, s'il veut ou non mettre un terme à son existence.

Dans cette perspective, le fondement éthique repose sur le droit civique qui assure au citoyen la liberté de disposer de son corps et de son esprit, et sur le droit pénal qui l'autorise à se suicider, tout comme à un tiers de l'assister au suicide, pour autant que ce ne soit pas pour des motifs égoïstes. En pratique, cette forme de mort légitime vise simplement à faciliter autant que possible l'accès du patient à des produits létaux, si possible sans que le médecin ne serve de médiateur entre le mourant et la mort. Un médecin témoigne alors de la simplicité de cette pratique, vu l'absence de contrôle institutionnel : «  Vous savez, par le passé, justement, il y avait les malades qui recevaient l'ordonnance de ma part. Je leur ai toujours dit d'aller dans deux différentes pharmacies. Personne ne savait d'où ils avaient le médicament parce qu'ils ne disaient pas de qui ils les avaient reçus. Ils mettaient peut-être sur la table une petite lettre : je me suis suicidé, je ne voulais plus vivre. Alors la police est venue, puis sortie. Je n'ai même pas eu de téléphone. Tandis que maintenant, il y a toute la machine qui arrive. C'est institutionnalisé. Moi je trouve que c'est bien, parce qu'aussi la publicité qu'on fait met ces questions dans l'oreille des médecins, du public227(*). »

La temporalité de l'innovation s'inscrit dans une logique de progrès social ou technologique. Si la mort autodélivrance relève de la temporalité de l' « innovation radicale228(*) » c'est qu'elle institue une rupture par rapport à la mort clinique et même par rapport à la mort naturelle pour trois raisons essentielles. Premièrement, le médecin perd sa centralité dans la relation thanatologique, car c'est le malade qui décide du moment opportun pour mourir. Deuxièmement le fondement éthique n'est plus lié à la déontologie, mais au cadre sociojuridique défini par le code pénal. Finalement, la gestion sociale de la mort est projetée dans l'espace civil et socialement débattue, car dépossédée de son écrin clinique.

La limite évidente de la mort autodélivrance consiste en sa relative clandestinité, dans la mesure où faute d'une connaissance suffisante de la posologie de certains médicaments, le mourant procède au suicide par ses propres moyens sans que la sécurité de son acte ne soit assurée, ni même vérifiée par le médecin ayant délivré l'ordonnance229(*). L'absence d'un médecin pose problème, car lorsque l'autodélivrance échoue l'issue de la situation peut devenir dramatique, comme le laisse entendre le témoignage critique d'un médecin-conseil d'Exit : « Il y a eu des histoires après que certaines personnes aient eu des sacs en plastique sur leur tête et que, lorsque cela ne marchait pas, ils s'étaient étouffés. Des histoires malsaines, qui reviennent toujours et qui portent de l'ombre à Exit. Ceux de l'ancienne garde ont dit qu'il n'y avait pas besoin des médecins, qu'il n'avait pas besoin de certificat médical, que le patient pouvait choisir lui-même. Il voulait le faire de façon plus ouverte, plus libérale230(*) ».

Aussi, très rapidement, les médecins favorables à l'autodétermination du patient en fin de vie se sont engagés politiquement par le biais des associations comme Exit-ADMD-Suisse Romande et Dignitas plus tard, afin d'obtenir une reconnaissance sociale de la pratique de l'assistance médicale au suicide, non seulement auprès des autorités politiques et judiciaires, mais aussi auprès des instances éthiques de l'ASSM et de la FMH qui énoncent les principes déontologiques de la profession médicale.

Dans cette perspective de légitimation auprès des différents acteurs institutionnels de la gestion sociale de la mort, les transactions menées par les médecins étaient des négociations. Il s'agissait d'obtenir une reconnaissance et un consensus suffisant pour assurer une pratique transparente de l'assistance au suicide, sans que pour autant le droit à exercer la profession médicale des médecins délivrant les ordonnances pour les produits létaux ne soit mis en jeu. Le cadre sociojuridique et la faveur de l'opinion publique ont finalement permis que la pratique de l'assistance médicale au suicide ne soit plus clandestine, mais en contrepartie le contrôle institutionnel des instances de santé publique et judiciaires s'est formalisé et institutionnalisé.

3. La mort autonome vs la mort singulière

Dans la mesure où les récentes directives de l'ASSM231(*) laissent au médecin le libre-choix de délivrer ou non une ordonnance pour le pentobarbital, l'engagement de certains médecins pour une mort autodélivrance s'est soldé par une reconnaissance tacite de l'assistance médicale au suicide. Le fait que l'assistance médicale au suicide soit désormais tolérée déontologiquement, régulée judiciairement, ainsi qu'acceptée dans l'opinion publique, a favorisé la formalisation et l'institutionnalisation de la mort autodélivrance, mais sous contrôle du médecin. Sa décision de délivrer l'ordonnance pour le pentobarbital est désormais soumise au contrôle des instances de santé publique représentées par le médecin cantonal ou de district et le décès du mourant fait toujours l'objet d'un constat de la police judiciaire. La formalisation et le contrôle de la pratique de l'autodélivrance induisent une inflexion dans la réflexion menée ici sur la mort légitime. De la mort autodélivrance, il faut désormais différencier la mort autonome, la seconde constituant une variante institutionnalisée de la première. La pratique de l'assistance au suicide ne peut être assimilée à celle de l'euthanasie active, non seulement parce que le sens diverge, mais elles ne procèdent pas tout à fait de la même dynamique interactive.

3.1. La mort autonome

« Dignitas est un peu plus ouvert, mais avec des conditions claires, par exemple que l'on ne s'adresse pas à des malades psychiques, qu'on le fait en présence d'un médecin, pas sans ordonnance, que seul le patient peut s'exprimer en la matière et que seul le médecin peut évaluer232(*). » Si Dignitas a souvent été perçue comme l'une des associations les plus dures, du point de vue de son discours militant pour le droit à l'autodétermination, de l'autre c'est aussi celle avec Exit-ADMD- Suisse romande pour qui, dès le départ, l'expertise médicale était considéré idéologiquement comme indispensable. Le fait que l'assistance médicale au suicide se soit formalisée, qu'elle jouisse d'une crédibilité auprès des autorités médicales, politiques, judiciaires et soit soumise au contrôle de l'État, résulte d'un compromis entre le monde civique et le monde domestique. Il est reconnu aux personnes qu'elles peuvent user de leur droit à l'autodétermination, mais selon des conditions définies collectivement, d'après des critères médicaux objectifs et vérifiables et pour autant que leurs proches adhèrent au projet thanatologique.

D'une certaine façon, l'assistance médicale au suicide préfigure une nouvelle forme de mort légitime, basée sur la reconnaissance sociale de l'autonomie de la personne. L'extrait suivant met en évidence à quel point il est nécessaire de faire preuve de son autonomie, pour voir le projet thanatologique aboutir : « Les personnes que l'on va visiter sont toutes de fortes personnalités dans un certain sens, qui ont mené une réflexion, notamment aussi sur ce qu'ils veulent. Avec elles, on ne doit pas beaucoup discuter, ce ne sont pas des décisions d'un jour, mais par contre ils savent ce qu'ils veulent, ils l'ont toujours su. Ce sont des personnes qui durant leur vie ont toujours su ce qu'elles voulaient. Tout d'abord il est nécessaire de s'informer, s'annoncer, puis porter le certificat sur soi, il faut désigner deux personnes qui le savent. Il faut entreprendre, il faut pour le moins être actif. Il n'y a personne qui vient et qui vous dit - Monsieur X, aimeriez-vous votre certificat pour que vous puissiez être des nôtres ? Il est nécessaire d'agir par soi-même. Mais de toute façon, même dans ces cas, les proches, on le remarque acceptent la décision, car ils ont de la personnalité et qu'ils ont décidé eux-mêmes de leur vie233(*). »

Le fondement éthique de la mort autonome repose sur un compromis entre le monde civique et le monde domestique. Étant admis que l'État garantit la liberté personnelle à l'individu, y compris son intégrité physique et psychique, le citoyen dispose librement de son corps et de sa vie. Ce, pour autant qu'il dispose de sa capacité de discernement. A partir du moment où l'on admet que la société pose l'autonomie comme condition essentielle de la dignité et de la participation sociales, pour le mourant, le fait de décider librement du moment de son décès afin de préserver de son vivant sa propre autonomie, constitue un moyen légitime de poser un ultime acte attestant de son intentionnalité, de sa capacité d'agir et de sa dignité.

Il ne faut pas oublier que l'accès à l'assistance au suicide suppose de l'individu qu'il dispose de son autonomie morale et physique, car il doit faire la preuve de sa capacité de discernement et ingurgiter par ses propres moyens le produit létal. Ces conditions indiquent que l'autonomie est avant tout une exigence de la société vis-à-vis de l'individu, à laquelle ce dernier ne peut pas se soustraire même à l'orée de sa mort. S'il veut disposer librement de lui-même, le mourant doit être en mesure d'exercer son jugement moral sans le concours d'un tiers (donc sans incitation), ainsi qu'en capacité physique de commettre lui-même l'acte portant atteinte à son intégrité, de façon à ce que la responsabilité d'un tiers (notamment du médecin) ne soit pas impliquée.

Ainsi le moment du décès n'est pas tant le fait du libre-arbitre du mourant, mais plutôt celui de l'exigence d'autonomie à laquelle il est socialement soumis. Même si la décision médicale n'occupe pas une place centrale dans la démarche d'assistance au suicide, l'expertise médicale sert non seulement à vérifier que l'individu soit véritablement incurable et que son espérance de vie soit inférieure à six mois, mais aussi à ce qu'il satisfasse à la condition de disposer de sa capacité de discernement, autrement dit à la contrainte sociale d'autonomie. L'assistance au suicide est donc une forme d'assistance au décès où la présence médicale subsiste comme moyen de contrôle, mais aussi comme intermédiaire lorsqu'il s'agit de présenter les différentes situations aux autorités sanitaires et judiciaires, afin que le projet thanatologique puisse aboutir.

C'est pourquoi les transactions médicales s'opèrent sur le mode de la traduction, dans la mesure où elles visent l'adhésion des différents acteurs au projet du mourant d'attenter à ses propres jours, en particulier de ses proches : « Moi, je parle toujours avec l'accompagnant, je parle aussi avec la famille, s'ils sont là, les proches. C'est très rare qu'on doive faire un petit peu contre la volonté de la famille. Dans la plupart des cas la famille est toute contente, parce qu'elle dit : je vois souffrir mon père ou je vois souffrir mon mari. Mais en tout cas, nous on est là. C'est un réseau qui tient aussi après. Et quelquefois, il y a des gens qui restent assez longtemps en relation avec l'accompagnant parce qu'ils se reprochent encore d'avoir leur père qui s'est suicidé, donc ils doivent travailler ça234(*). »

La temporalité de la mort autonome est un compromis entre le monde civique et le monde domestique, dans la mesure où le mourant n'accède à son ultime liberté qu'à condition que ses proches adhèrent également au projet thanatologique et qu'il soit apte à l'autonomie. Dans la mesure où l'instant du décès est fixé d'emblée, la mort autonome crée un espace particulier où le temps et l'espace sont suspendus de façon artificielle, sans véritable transition, car il s'agit de déconnecter d'une certaine façon l'expérience subjective et intersubjective de la mort des temps sociaux environnants, afin que le mourant puisse retrouver son entière subjectivité et son humanité avant de décéder. Ainsi le temps de la mort autonome est une temporalité de l'immédiateté. Et comme le montre Jean-Pierre Boutinet, cette dernière a la particularité non seulement de suspendre le temps, mais aussi de générer « ,d'autant plus qu'elle le combat, le phénomène de l'attente235(*) », d'où cette impression d'étrangeté que relevait Jean, l'homme dont l'assistance au suicide a fait l'objet d'une émission télévisée236(*).

La mort autonome a aussi des limites. Son paradoxe est en effet que la contrainte d'autonomie implique que le patient soit en capacité physique de mettre fin à ses jours, ce qui implique donc qu'il agisse lorsqu'il est encore apte à réfléchir, à communiquer, en toute conscience de son état. Ce, alors qu'une euthanasie active directe lui permettrait de vivre plus longtemps avec l'assurance que le moment venu, en accord avec son médecin, il reçoive une dose létale. Louis-Vincent Thomas souligne simplement que « la promesse d'un suicide assisté ou d'euthanasie supprime l'urgence de passer à l'acte237(*) »

3.2. La mort singulière

«  C'est un des points sur lesquels j'essaie d'être clair, en disant que l'on peut pas régler ces choses par des lois. Il y a autant d'individus, autant de médecins, autant d'individus-patients, autant d'individus-médecins, et il y a le temps qui passe, il y a les circonstances qui peuvent changer, et pour la même personne. C'est pour cela que personne ne va pouvoir décider en dehors du patient lui-même, s'il maintient sa demande, s'il la réitère, s'il n'en parle plus, s'il ne veut maintenant plus mourir, s'il veut mourir autrement, etc. Il faut laisser la liberté au patient et le médecin il doit être là comme un médiateur, comme dans tous les autres domaines de son métier, dans cette position intermédiaire entre l'être, sa maladie, sa mort. Car ce n'est rien d'autre que ça, la médecine238(*) »

Comme le montre cet extrait tiré du témoignage d'un médecin pratiquant l'euthanasie active volontaire, cette dernière consiste avant tout à la prise en considération de la situation particulière, indépendamment du cadre légal, de la déontologie. La perspective est ici celle d'une mort agencée exclusivement selon le choix personnel du patient. Il n'est tenu compte d'aucune attente sociale, ni celle d'autonomie, ni celle de l'autodétermination. Toutes les exigences sociales et relationnelles sont suspendues. C'est dans la relation interpersonnelle du patient à son médecin, dans leur communauté d'expérience, que se construit la dignité du patient.

Le cadre éthique n'est même plus celui de l'attente sociale d'autonomie. Ce qui prime ici c'est l'expression et la manifestation de la subjectivé de la personne, en tant que situation singulière, d'où la dénomination de cette dernière forme de mort légitime de mort singulière. Celle-ci ne repose que sur une vision du monde commune au médecin et au son patient, car elle ne peut se fonder sur un principe de légitimation lié à un univers symbolique, dans la mesure où elle implique justement la suspension complète de tous les mondes en dehors de celui de la communauté d'expérience.

En comparaison avec la pratique de l'assistance au suicide, les détracteurs de l'euthanasie active parlent d'une fausse autonomie, car elle implique l'intervention d'un tiers, en l'occurrence le médecin (une « Fremdselbstbestimmung »). Selon eux, il s'agit d'une hétéronomie. Les médecins militant pour la dépénalisation de l'euthanasie active soulignent au contraire la centralité permanente du médecin dans les autres formes d'assistance au décès que sont la mort naturelle, la mort autonome, et l'inhumanité de la mort autodélivrance, où le patient est livré à lui-même sans aucune sécurité. Ils soulignent aussi que la centralité du médecin est telle que celui-ci, finalement libre de pouvoir agir à sa guise, outrepasserait les limites de son rôle en décidant de sa propre initiative de procéder à des sédations complètes, sans avoir au préalable tenu compte du droit du patient à disposer de lui-même, donc sans avoir au préalable pris le temps de s'assurer de l'adhésion du patient au projet thanatologique.

Comme le montre l'extrait suivant, la particularité de l'euthanasie active volontaire est qu'elle suppose que le médecin accepte en quelque sorte d'être instrumentalisé par son patient : « Oui, je suis un instrument de la volonté de mon patient parce que philosophiquement je partage la même conception et que philosophiquement parlant, si j'étais à sa place, j'aimerais qu'on me permette cette sortie. Alors puisque que philosophiquement, éthiquement parlant, moralement parlant, spirituellement parlant je me trouve en phase avec cette personne et que j'ai la possibilité de l'aider, et bien je vais l'aider, et ce serait dramatique de ne pas le faire239(*). » Mais cette instrumentalisation n'est pas totale, dans la mesure où pour échapper à une condamnation pénale, le médecin intercède au nom du patient, en rendant possible le décès de ce dernier aux conditions souhaitées, mais non sans prendre les précautions nécessaires pour masquer son acte.

Les a priori concernant l'euthanasie active laissent penser que la mort singulière est une mort immédiate, sans transition ni médiation aucune, et pourtant : « Regardez un reportage sur la peine capitale aux États-Unis et vous voyez comment ils donnent d'abord des barbituriques, peut-être encore un curarisant, je ne me rappelle pas et troisièmement du potassium qui fait que le coeur s'arrête. Des recettes, il y en a énormément, il y en a autant que de médecins, cela dépend de la maladie de base, cela dépend de la solidité du citoyen en question, mais on ne va pas aller dans la petite cuisine. Personnellement, je pense qu'il est judicieux que la mort de quelqu'un prenne un peu de temps pour que il y ait une espèce d'accompagnement. Ce n'est pas moi qui décide, c'est la nature qui décide. Mais c'est de l'ordre d'une demi-heure, d'une heure, de deux heures, quelque chose comme cela. Le processus se déroule, le patient s'endort et son coeur va s'arrêter quoi. Mais il faut être prêt à rester là, il faut être prêt à ce que les proches puissent vivre la mort de leur proche240(*). » Le médecin interrogé indique simplement que, dans le cadre de la mort singulière, le choix du produit létal importe moins - puisqu'il peut être défini en fonction des affections dont souffre le mourant- que la considération du temps qu'il donne au patient que la famille puisse s'accommoder du décès. Le médecin choisit également les produits à administrer selon que la mort doive apparaître comme naturelle ou volontaire, par exemple dans le cas où la famille ne serait pas au courant de l'euthanasie active envisagée. La temporalité du projet thanatologique est donc construite de façon individuelle. Le décès est préparé, mis en place, comme un événement particulier et ultime, et ce faisant, il est créé une forme de ritualité, selon la volonté du mourant. C'est pourquoi le temps de la mort singulière est une temporalité composite individuelle241(*), en quelque sorte agendée par le sujet lui-même.

Il est vrai, que dans ce cas de figure, il peut paraître pour le moins étrange que la mort singulière soit considérée comme une forme de mort légitime, dans la mesure où elle est clandestine, illégale et interdite. Mais sa prise en considération dans le modèle présenté est tout de même essentielle, car elle aussi résulte de la justification médicale de l'assistance au décès et, en tant que telle, est également un produit des processus sociaux de légitimation.

4. Schéma : La genèse de la mort légitime par la justification

 
 
 

Expression de la subjectivité du mourant

 
 
 
 

Mort singulière

 
 
 
 
 
 

Mort autonome

 
 
 

Euthanasie active

 
 
 
 

Assistance au suicide

 
 

Signification autoorientée

Hors du champ médical

T. composite individuel

 

Intercession

 
 

Traduction

 

T. de l'immédiateté

Signification hétéroorientée

dans le champ médical

 
 
 

Identité de rupture

Identité de retournement

 
 
 
 
 
 

Identité d'alternation

Identité de consolidation

 
 
 

T. de l'innovation radicale

 

Négociation

 
 

Médiation

Euthanasie

active indirecte

T. de l'innovation incrémentale

 
 

Suicide assisté

 
 
 

Retrait thérapeutique

Soins palliatifs

 
 
 

Mort autodélivrance

 
 
 
 
 
 

Mort

naturelle

 
 
 
 

Subjectivation du mourant par la légitimation

 
 
 

Conclusion

Au final, suite à l'analyse des différentes acceptions de la mort légitime, il apparaît que la justification médicale de la pratique de l'euthanasie active et de l'assistance au suicide repose essentiellement sur la gestion transactionnelle de l'identité professionnelle. Grâce au principe d'intégrité subjectivement défini, le médecin construit une cohérence entre l'identité professionnelle qui lui est assignée et celle qu'il désire, de façon à pouvoir affronter sans encombre l'incertitude et les risques inhérents à la conduite, ainsi qu'à la réalisation du projet thanatologique.

Sa position et son statut étant mis en jeu au sein du champ médical, dans le cadre de l'entreprise de justification inhérente au projet thanatologique, il va orienter son engagement selon que l'identité visée suppose une rupture, un retournement, une alternation ou une consolidation identitaire. Autrement dit, sa stratégie identitaire dépendra essentiellement de deux axes. Le premier constitue le choix qu'il fera de poursuivre une légitimation de son action ou de chercher le moyen de s'accomplir. Le second est lié au fait qu'il cherche à se maintenir dans le champ médical institutionnel ou au contraire qu'il cherche à s'en éloigner. Le processus de justification médicale va avoir des conséquences sur la gestion sociale de la mort, dans la mesure où, selon que le médecin se maintienne ou non dans le champ médical, il gardera sa centralité au sein du projet thanatologique ou la laissera au profit de la liberté personnelle de son patient.

Si l'on poursuit la réflexion en s'inspirant du modèle d'action individuée présentée par Maria Caïata242(*), il est possible de tirer les conclusions qui suivent. Selon la forme de mort légitime poursuivie, si la prise en charge du mourant se maintient dans le champ d'expertise médicale, la signification du projet thanatologique sera hétéroorientée en fonction de la position du médecin dans le champ médical, dans le souci d'une conformité aux attentes de la société. Cette conformité sera plus ou moins forte selon que le médecin revendique la légitimité de sa position ou vise la construction de l'identité subjective du mourant.

Par contre, si sa prise en charge se déroule en dehors du champ médical, la signification du projet thanatologique sera autonormée selon les convictions du mourant, dans le but de favoriser l'expression de sa singularité. Celle-ci est d'autant plus absolue que le médecin se perçoit comme un instrument de la volonté du patient et d'autant plus relative si le praticien poursuit une reconnaissance sociale de l'autodétermination du patient.

Ceci explique finalement comment, en fonction de la forme d'assistance au décès projetée, les médecins orientent leurs patients vers des structures différentes. En effet, la signification du projet thanatologique ne se déroulera pas la même manière selon que le mourant est suivi à domicile, dans une institution, dans une association, et ce, dans le domaine privé ou le domaine public.

Les différentes identités professionnelles entretiennent entre elles des rapports complexes de domination et d'intégration, dans le but d'obtenir les ressources nécessaires à pour assurer leur pérennité. Il en découle que les les processus de légitimation génèrent une « segmentation243(*) » du monde médical. Il est facile de comprendre que la diversification des lieux de prise en charge des mourants n'est pas tant le signe d'une libéralisation de l'assistance médicale au décès, mais plutôt celui d'une segmentation du champ médical autour de la question de l'accompagnement du mourant. Paradoxalement cette dynamique professionnelle, contrairement aux apparences, ne résout pas le problème du confinement social de la mort dans certains espaces sociaux, mais le masque par la démultiplication des lieux de prise en charge. Comme le laisse entendre cet extrait de témoignage : « Les gens à l'époque ont mis Rive Neuve en route, à Villeneuve, dans un certain état d'esprit, qui est sans doute assez bon, qui a servi de référence comme lieu de soins palliatifs. De l'autre, je trouvais tout de même assez inapproprié que la société évacue ses mourants cancéreux, puis plus tard sidéens à Villeneuve ou à Aubonne. Alors que cela compliquait pour les visites. (...) Mais l'idée, c'était toujours l'évacuation de la mort de l'hôpital, ça c'est quelquechose d'historique aussi244(*) »

Il paraît donc important de rappeler l'importance de penser l'accompagnement médical du mourant non pas du point de vue des conflits qu'entretiennent les différentes acceptions de l'identité médicale autour de l'assistance au décès, mais plutôt de penser à la complémentarité des diverses approches, comme permet sans doute de le faire le modèle de la mort légitime présenté ici. L'enjeu n'est plus seulement de savoir si une approche est plus éthique ou moins éthique qu'une autre, puisque les différentes justifications reposent sur des univers symboliques incompatibles entre lesquels il n'est parfois pas possible de trouver de compromis, mais de savoir si l'attente sociale d'autonomie qui transparaît même dans la gestion sociale de la mort ne pose pas un problème de fond, celui de la responsabilité respective des individus vis-à-vis du mourant.

En mille neuf cent soixante dix-huit, Jean Remy a déjà mis en évidence le fait que l'injonction sociale de l'autonomie induisait une transformation majeure dans l'exercice de la profession médicale245(*). En effet, depuis la contractualisation de la relation thérapeutique, la santé était devenue un bien privatif, au lieu d'être comme jusqu'alors soumise à la gestion et à la répartition sociale assurée par l'intermédiaire du médecin. L'émergence de la mort autonome et de la mort singulière montre que cette logique d'individualisation des rapports institutionnels est toujours à l'oeuvre et pose un problème de fond, celui de la solidarité. Car, au-delà de l'autonomie du mourant, la question de la répartition de la responsabilité entre le mourant, le médecin, les tiers subsiste. Le lien social repose aussi sur une économie complexe de la responsabilité.

Jean Remy pose comme une évidence le fait que la revendication d'autonomie implique automatiquement un appel de l'individu à la responsabilité personnelle246(*). Mais dans le cas de la mort singulière en particulier ce lien automatique ne se vérifie pas du tout. Bien au contraire, la disparition du mourant le libère de toute responsabilité, au détriment peut-être du médecin qui porte alors seul la responsabilité du choix. Les diverses pratiques de l'assistance au décès interrogent donc aussi les modalités selon lesquelles se pense et se gère la responsabilité sociale et collective.

La singularisation du rapport au corps et à la mort pose une autre question un peu plus politique celle-ci. En effet, pour autant qu'il soit admis que la gestion sociale du corps naturel a toujours servi à fonder l'immuabilité du corps social, il apparaît que la définition de la mort légitime a toujours servi à construire les différents systèmes de pouvoir que sont la monarchie et la démocratie. Pour traiter cet aspect quelque peu inattendu et pointu de la légitimité des pratiques liées à la mort, les écrits de Georges Vigarello concernant la « bicorporalité du Roi247(*) » sont éclairants. Le regard historique de cet auteur montre que dans le corps du Souverain se confondait le corps naturel et le corps politique. Dès lors le souci (déjà médical en ce temps-là !) de prolonger la vie du Souverain était légitime, il s'agissait de garantir en quelque sorte l'immuabilité du corps social. La mort du Roi signifiait effectivement la mort de l'État.

Ainsi le souci du corps n'est pas nouveau, si ce n'est l'actuelle inversion de la proposition. Le centre de la préoccupation de l'appareil médical n'est plus le « corps du souverain », mais la « souveraineté du corps », résidence du Sujet, citoyen souverain. Le corps, espace individualisé du pouvoir démocratique et économique, devient le centre de l'attention médicale, le lieu du pouvoir subjectivé et individualisé qu'est l'autonomie. Il est étonnant de constater le transfert entre le maintien obsessionnel du corps du Roi et celui du corps du citoyen, en somme le passage d'une société fondée sur l'unité du pouvoir en un seul homme, à celui du pouvoir fondé sur le citoyen, élément du pouvoir agrégé qu'est la démocratie, chaque citoyen étant créancier d'un droit à la santé et à une mort digne et subjectivée, et ce en toute dignité.

La médecine de tout temps est dans l'ombre du pouvoir, intercédant entre le corps mystique et le corps naturel, et garante de la continuité du corps social. Mais à l'époque, elle ne s'occupait pas de signifier la mort du Souverain, la signification de la mort ainsi que renouvellement du corps mystique appartenaient au clergé. C'est en cela que la médecine moderne diverge de la médecine d'antan qui, elle, ne participait pas du sacré, mais exclusivement du politique. Aujourd'hui elle tend à vouloir s'éloigner du politique pour conquérir l'espace privé, intime du Sujet.

En toile de fond, il subsiste toujours le même souci de maintenir la coïncidence du corps mystique, sociopolitique au sein du corps naturel. Ainsi le maintien du corps traduit déjà en termes de coïncidences des lieux, des espaces et des temporalités, le souci de continuité de l'ordre social et de sa reproduction. En somme, le Souverain, qu'il s'agisse de la personne du roi ou du citoyen, ne semble jamais entièrement disposer de son corps, quelque soit les modalités de la répartition et de la distribution du pouvoir. Si le corps du roi était un équilibre entre le corps mystique et le corps politique, le corps du citoyen individu est actuellement un corps biologique avant tout, au détriment des autres corps.

La question de l'unité des corps, dans la perspective de la continuité sociale, n'en devient que plus complexe dans une société où le principe de répartition du pouvoir se base sur l'autonomie et sur la négation de tout support visible du pouvoir et de la légitimité (comme le signale Danilo Martucelli248(*)). La mort singulière annonce donc l'émergence d'un nouveau souverain, ni roi, ni même citoyen, disposant librement de son corps en tant qu'être singulier, en toute ignorance du corps mystique et existant en dehors du corps social. Mais de quel Souverain s'agit-il? De l'individu ?

Bibliographie

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ANNEXES

Annexe 1

Fiche méthodologique

Mener une recherche empirique traitant de la justification médicale de la pratique de l'euthanasie active et de l'assistance au suicide, comme cela était projeté au départ dans le projet de recherche, n'a été possible que dans la mesure où l'approche de la population d'enquête et du champ d'investigation a été soigneusement préparée. La profession médicale de certains points de vue fonctionne comme une corporation dont les intérêts sont protégés selon un équilibre complexe des forces entre les différentes associations professionnelles. Par conséquent, traiter d'un thème aussi disruptif et délicat que l'euthanasie suscita quelques méfiances.

En effet, dans un contexte de débat politique très médiatisé sur la dépénalisation, voire de légalisation de l'euthanasie active, la recherche envisagée a suscité au sein de la profession autant de réactions positives, que mitigées, voire même de franc rejet. Les diverses associations médicales craignaient de voir leur image associée à la pratique de l'euthanasie, dans un contexte politique et médiatique aussi confus. Aussi avant même de pouvoir accéder à la population-cible, il était indispensable d'obtenir une certaine crédibilité, afin que les dites associations autorisent leurs membres à participer à l'enquête. Dans ce but, la caution de la Commission éthique de l'ASSM, ainsi que celle du médecin cantonal de l'État de Fribourg ont été sollicitées et obtenues, grâce au soutien précieux du Prof. Dominique Sprumont, dont le conseil juridique quant au respect de l'anonymat des médecins a été indispensable.

La mise en place du dispositif de collaboration a duré six mois. Il avait cependant déjà commencé en réalité le 1er février 2001, par la présence du chercheur à la journée du Manifeste de Fribourg organisée par la SSMSP (la société suisse de soins et de médecine palliative). Cette journée a été l'occasion d'approcher des témoins-clés de l'évolution de l'accompagnement médical du mourant, ainsi que de l'assistance au décès en Suisse. Les premiers contacts étaient noués avec les personnes et les associations qui allaient, par la suite, de janvier 2002 à juin 2002, servir de seuil pour accéder aux médecins interrogés. Pour atteindre la population-cible, une campagne bilingue (français-allemand) a été mise sur pied, utilisant trois médias différents : internet (www.palliative.ch), la presse spécialisé (INFOkara), une campagne de lettres diffusées par le biais de La ligue suisse contre le cancer, d'Exit-ADMD Suisse romande et d'Exit-Suisse alémanique. Il s'agissait d'atteindre le plus de médecins possibles ayant eu à accompagner médicalement des mourants.

Une fois le dispositif de collaboration mis en place, il s'agissait à présent de pouvoir procéder aux entretiens exploratoires afin de tester la grille d'entretien, construite pour la récolte des données. La méthodologie choisie en fonction de l'objet d'étude, était une recherche empirique qualitative, menée selon le modèle de l'entretien compréhensif de J. C. Kaufmann249(*). En effet ne pouvant présager du contenu des données recueillies, étant donné que la question de l'euthanasie n'avait encore jamais été abordée du point du vue des médecins, du moins pas de manière qualitative, et encore moins en considération des modalités intersubjectives de la prise de décision médicale, il était nécessaire de faire usage d'un outil de recherche assez souple pour mener l'enquête, mais permettant tout de même une analyse pointue de contenu. Très vite il apparut que les questions posées aux médecins devaient être aussi réduites que possibles et très ouvertes, afin de les laisser structurer par eux même leur témoignage et leur expérience pour pouvoir par la suite mieux en dégager le sens, au vu de la question de départ.

La récolte de données s'est étalée sur une période de mai 2002 à mai 2003. En effet, elle prit plus de temps que prévu, du fait du nombre total d'interviews menés (23) et de l'ampleur du travail de retranscription et d'analyse. En tout, 16 médecins répondirent à la sollicitation du chercheur un axe transversale traversant la Suisse, partant du canton de Vaud (4), passant par Fribourg (4), puis Berne (3), puis Aarau (2), ensuite Zurich (2), pour aboutir au Tessin (1). Parmi lesquels dix furent considérés comme assez significatifs pour soutenir l'analyse et pour fournir les extraits illustrant le propos du présent mémoire de licence. Les informations relatives à cet échantillon de dix entretiens se trouvent dans l'annexe suivant.

Cinq autres interviews ont été réalisés avec les personnes-ressources : MM. Prof. Franz Stiefel (pour la SSMSP), les Prof. Rudolf Ritz, Michel Vallotton (de la commission centrale d'éthique de l'ASSM), le Dr. Jêrome Sobel pour Exit-ADMD et le pasteur Kriesi pour Exit-Suisse alémanique. Ce, dans le but de connaître les positions officielles des institutions quant à la pratique de l'assistance au décès. Pour approndir les aspects politiques de la question, un interview a été mené à Berne en 2003 avec le Prof. Franco Cavalli. Finalement pour élargir l'horizon de la réflexion théorique, deux interviews ont été menés avec le Prof. Alexandre Mauron de l'Université de Genève et avec le Dr. Georg Bosshard (membre du groupe de chercheurs ayant mené le volet suisse de la recherche européenne sur les décisions médicales en fin de vie250(*)).

Ayant d'ores et déjà réalisés treize entretiens avec des médecins ayant fait soit de l'euthanasie active, soit de l'assistance au suicide ou soit des soins palliatifs, il était apparu que la pratique médicale différait selon le lieu où était pris en charge le médecin. Il devenait indispensable de recueillir le témoignage d'un groupe témoin de médecins, de préférence hospitaliers, n'ayant pas encore suivi de formation spécifique en soins palliatifs et étant opposés à l'euthanasie active, tout comme à l'assistance au suicide. Il s'agissait en effet de valider les hypothèses tirées de l'analyse et de mettre en évidence les spécificités des différentes pratiques. Un problème majeur s'est alors posé, début 2003, lorsque la FMH s'est refusé à entrer en matière pour accorder une autorisation pour interviewer les médecins hospitaliers, malgré l'avancement de la recherche et l'avis favorable de l'ASSM. Les trois derniers médecins interrogés parmi lesquels figuraient deux médecins hospitaliers furent trouvés par la mise à contribution du réseau privé.

Vu cette situation, la validité des données fut alors vérifiée en fonction du degré de saturation du contenu. Très vite, il apparut que non seulement le matériau récolté était saturé, mais que le terrain l'était également. En effet, parmi les médecins acceptant des entretiens, il était apparu des personnes voulant simplement vérifier la crédibilité du chercheur et de son approche, ainsi que l'avancement de son étude. Dès lors il fut pris la décision de mettre un terme à la récolte de données, le terrain de recherche étant devenu trop « résistant ». Les préoccupations du corps médical était alors orienté vers le nouveau système tarifaire Tarmed.

Au terme de l'étude, plusieurs questions restent sans réponse. En effet, il est difficile de vérifier comment les proches perçoivent les différentes pratiques d'assistance médicales au décès. Il apparaît aussi un domaine intermédiaire entre la pratique médicale hospitalière et libérale en cabinet. Il s'agit des cliniques privées, des institutions privées de soins palliatifs dont les médecins n'ont pas été approchés. Pour des raisons de faisabilité liées aux diverses activités professionnelles et familiales de l'étudiant ayant mené cette étude, il était impossible d'investiguer plus avant.

A notre sens, il serait intéressant de mener une étude dans ce sens-là, on peut supposer en effet que la nature de la relation entre le médecin et le patient, dans un clinique privée a une dimension contractuelle particulièrement renforcée par la nécessité que la satisfaction du client soit assurée, avec les incidences que cela peut avoir sur la conduite médicale du projet thanatologique.

Annexe 2

L'échantillon de référence

 

Code

Pratique

Statut prof. et

Lieu de travail

Parcours professionnel

1

P2 780088

Euthanasie active.

Psychiatre

cabinet

Le médecin interrogé certifie de 30 ans de carrière dans le domaine médical. Au début des années septante il obtient son diplôme. Il suit en premier une formation FMH pour par la suite entreprendre une formation psychiatrique. Cette seconde formation correspond non pas à une réorientation, mais plutôt à un retour sur une spécialisation qu'il avait dans un premier temps privilégiée. Seulement suite à une première expérience en psychiatrie, sa famille l'avait trouvé "changé", fragilisé par cette expérience. Il avait donc choisi de la remettre à plus tard, pensant que par la suite il aurait plus d'expériences personnelles. Après avoir officié en tant que généraliste, il exercera plus d'une dizaine d'années à des postes liée à la santé publique, dans diverses institutions. Durant sa pratique libérale, il est durant près de dix ans consultant auprès d'un hôpital en qualité de psychiatre et à titre privé il accompagne certains patients en tant que dépositaire de leurs souhaits de ne pas subir un acharnement thérapeutique ou de ne pas souffrir longtemps.

2

P3 192573

Euthanasie active

Médecin spécialiste

cabinet

Durant ses études de médecine, le médecin fait des stages de formation, mais il n'en parle pas trop. Il débute sa formation en hôpital en neurochirurgie. Ensuite il passe en anesthésie-réanimation, puis en radiothérapie, pour ensuite faire sa spécialisation. Il explique le choix de cette branche par rapport à son intérêt pour une branche à la fois chirurgicale et médicale. Il s'y est décidé lors de son stage en tant qu'anesthésiste aux urgences. Après une vingtaine d'année de pratique hospitalière, il décide dans les années quatre vingt, d'ouvrir son cabinet et d'exercer en tant qu'indépendant.

3

P4 249192

Euthanasie active

Médecin spécialiste

cabinet

Le médecin interrogé a une longue expérience hospitalière. Elle consiste en des stages en cours d'études, puis à aux veilles en hôpital. Il débute ensuite une longue formation et pratique en médecine interne. Ayant exercé comme interniste puis gravi les échelons jusqu'à devenir médecin-chef. Il décide finalement de se mettre à son propre compte en tant que médecin de famille dans les années quatre-vingts. Excluant toute pratique d'euthanasie active dans le cadre hospitalier, le médecin confronté à la réalité des patients qu'il suit en cabinet décide finalement de procéder à des euthanasies actives en un peu plus de vingt ans de pratique libérale, il déclare avoir assisté 12 personnes de façon active. Il faut noter que le médecin s'est personnellement beaucoup engagé pour défendre la création en milieu hospitalier d'unités de soins palliatifs.

4

P5 220802

Assistance au suicide

Médecin chef cabinet et hôpital

Le médecin interrogé à environ 15 ans de pratique médicale derrière lui, dont 7 ans en hôpital, dont 2 ans psychiatrie et en autre de la médecine interne, et 9 ans en cabinet. De part son statut, il est responsable d'une unité de soins en médecine interne, a simultanément un cabinet et pratique aussi en tant que médecin conseil auprès d'établissements médico-sociaux pour personnes âgées et au auprès d'Exit. Il a été tout au long de son parcours confronté de temps à autre à des situation d'accompagnement au décès, dans des contextes différents et selon des possibilités techniques et des référentiels normatifs différents

5

P6 947129

Assistance au suicide

Généraliste

retraité

Le médecin interrogé a exercé sa profession durant près de 40 ans. D'abord en tant que phtisiologue puis en tant que pneumologue, lorsqu'un moyen de guérir la tuberculose a été découvert. Dès les années 50, il a entrepris une reconversion progressive, devenant tour à tour interniste puis médecin chef en clinique. Finalement dans les années 70, il ouvre son cabinet et exerce durant une vingtaine d'année avant de le remettre.

Dans les années 90, il est une première fois confronté à Exit, mais il ne s'y engagera officiellement qu'ayant remis son cabinet. Avant de s'y engager, il a suivi une formation théologique durant laquelle il a abandonné son engagement auprès d'Exit pour le reprendre après.

6

P7 267418

Groupe témoin

Généraliste cabinet

Le médecin exerce depuis une vingtaine d'années dont au moins dix ans en cabinet. Il n'a pas été souvent confronté à la mort que ce soit durant les stages hospitaliers (où elle avait affaire à des morts naturelles de personnes âgées), qu'il n'a pas évoqué par ailleurs durant l'entretien ou en cabinet (5 patients par an environ). Il rapporte que souvent des patients meurent alors que l'on ne s'y attend pas et qu'il n'est pas averti. La première expérience véritable où il a accompagné véritablement un patient de bout en bout, jusqu'à son décès, est une expérience récente et unique. Dans le cadre hospitalier ce n'était pas la même chose.

7

P8 090802

Soins palliatifs

Généraliste cabinet/home

Le médecin interrogé est installé en tant que généraliste dans un cabinet de campagne depuis 20 ans. La gériatrie prend de plus en plus de place dans son travail. Il constate une augmentation de l'âge de ses patients. La part de ses patients âgés est de plus en plus importante. Avec le temps il a suivi une formation en approche systémique et déclare que depuis qu'il a adopté la religion bouddhiste, il arrive mieux à affronter les questions de ses patients relatives à la mort

8

P9 050902

Soins palliatifs

Généraliste cabinet/home

Le médecin interrogé a son cabinet depuis 2 ans. Il a exercé auparavant durant 15 ans. Il a fait 5 ans de stage dans différents hôpitaux, 3 ans médecine, 2 ans en chirurgie orthopédique, 1 année de réhabilitation cardiovasculaire, 4 ans à l'étranger et 15 mois de psychiatrie ambulatoire avant de faire une stade de 6 mois chez un médecin praticien.

Il suit une trentaine de patients. Il suit une formation continue en soins palliatifs et sinon il participe aussi à des groupes de qualité pour médecins généralistes, qui sont pour lui des lieux d'échanges privilégiés. Durant l'année, il est amené à déclarer une dizaine de décès dans la pratique privée. Il a déjà participé un peu aux soins de fin de vie d'un de ses patients.

9

P10 269386

Groupe témoin

Assistant

hôpital

Durant son parcours médical le médecin a été confronté à 5 patients en fin de vie, dont deux qu'il a suivi de façon plus étroite et deux décès. Il n'a jamais vu quelqu'un mourir. Il explique qu'en ce qui concerne la prise de décision et l'expérience pratique dans le domaine de l'accompagnement des mourants sont expériences peut dès lors être considérée comme nulle.

En terme de parcours hospitalier, il a déjà accumulé de l'expérience dans des domaines aussi différents que la gynécologie, la pédiatrie, la dermatologie, l'ophtalmologie, la médecine interne, notamment dans le cadre de ses stages de formation. C'est essentiellement en médecine interne et une personne en chirurgie qu'il a été confronté à des personnes mourantes.

10

P11 169632

Groupe témoin

Médecin chef

hôpital

Le médecin interrogé a travaillé durant 10 ans dans un hôpital universitaire où il fait tous les services (urgence, soins intensifs, pneumologie, cardiologie, réadaptation, mais il n'a pas travaillé dans une unité de soins palliatifs. Par contre il a bénéficié des consultations offertes par les spécialistes de la médecine palliative.

Il est médecin-chef depuis près de cinq ans. Le médecin dit ne pas avoir été confronté à une expérience de décès clé, qui aurait changé sa façon de percevoir les choses. Il explique par contre que sa confrontation à une personne religieuse défendant le droit d'un patient mobile (donc en grande partie autonome) à accéder aux services d'Exit dans l'établissement hospitalier qu'il dirige. Ayant discuté avec le patient, il s'est avéré que la patient a renoncé à Exit. Cette confrontation médicale à une personne qui se disputait pour une autre qui n'était même pas convaincue de son recours à une assistance au suicide a motivé une prise de position de l'institution hospitalière contre la pratique de l'assistance au suicide dans son enceinte.

Le médecin s'est ancré dans une pratique hospitalière de la médecine, qu'il privilégie à une pratique en cabinet où il a l'impression d'agir sans filet. Et où il considère que la contrainte financière ne permet pas au médecin indépendant de consacrer du temps à ses patients. Il évoque cependant que la prise de précautions n'empêche pas l'erreur médicale, qu'il s'agit en somme de faire au mieux avec les informations dont on dispose.

Données personnelles

Nom: Gbedegbegnon

Prénom: Garin Komlan

Etat civil: célibataire

Date de naissance: 19.06.73

Nationalité: Suisse

Lieu d`origine Berne (BE)

Diplômes

Maturité type C à Bienne (Juin 1992)

Demi-licence en Travail Social et Politiques Sociales (Juin 1998)

Licence à l'Université de Fribourg (mars 2006) :

Politique Sociale et Analyse du Social (branche principale)

Gestion d'entreprise (branche secondaire)

Langues

Français Langue maternelle

Allemand (bilingue) Très bonne connaissance orale

Bonne connaissance écrite

Suisse-allemand Très bonne connaissance orale

Anglais Connaissance scolaire

Connaissance en informatique

Windows XP PRO

Microsoft Office (Word, Excel, Powerpoint, Access)

SAP-R3 (connaissance basique utilisateur)

Expériences pratiques

Récentes

Depuis juin 2004 Formateur en Atelier de Raisonnement Logique auprès de la fondation IPT

Réinsertion professionnelle de personnes atteintes dans leur santé

De juil 03 à janv 04 Conseiller social et en personnel auprès du DFAE

De août 01 à juin 03 Formateur d`adultes auprès de l`ALC, en français langue étrangère et en communication

Mise sur pied de formation en communications, coaching linguistique

De août 99 à juin 02 Enseignant de français à l`Ortegaschule AG

Passées

Dans le cadre de ma formation universitaire

03.99-01.01 Evaluation de la campagne réduction des risques« de la LVT (Ligue valaisanne contre les toxicomanies)

09.98-02.99 Stage au Service Social Cantonal du canton de Fribourg

07.97-08.97 Stage au Service Social Régional de Villars-sur-Glâne

Dans le domaine commercial

07.00-08.00 Back office manager à la section vente auprès de Polytype SA

03.94-06.95 Chargé d`assistance auprès de Coris Assistance SA

Dans le domaine socio-pédagogique

10.92-03.93 Stagiaire éducateur au Schlössli Ins

04.93-06.93 Stagiaire éducateur à Terre des Hommes Massongex

Dans le domaine médical

1993-1996 Etudiant en médecine à l`Université de Fribourg

1995-1997 Aide soignant au Home Médicalisé de la Sarine

Hobbies

Kendo, Chant choral

«  Je déclare sur mon honneur que j'ai accompli mon mémoire de licence seul et sans aide extérieure non autorisée ».

* 1 MALPHETTES S. & VILLENEUVE S., Le Choix de Jean, Paris, Productions Capa Presse TV, 2004. Documentaire diffusé le 10 mars 2005 à la Télévision Suisse Romande.

* 2 Ce film est basé sur l'histoire vraie d'un citoyen espagnol qui lutta 28 ans durant pour obtenir le droit de mourir dans la dignité et ce légalement, en Espagne. La mort de Ramon Sampedro fut elle-aussi diffusée à la télévision en 1998 (plus précisément sa main), par la chaîne privée Antenna 3. Sa mort au contraire de celle de Jean Aebischer, fut loin d'être paisible. En effet, ne pouvant disposer légalement de pentobarbital en Espagne, il but une solution de cyanure de potassium préparée par une amie. AMENABAR A. (réalisateur), Mar Adentro, Espagne, Frenetic Films (distribution), 2004.

* 3 Comité des droits de l'Homme des Nations Unies, Décision concernant la recevabilité, Communication No. 1024/2001, CCPR/C/80/D/1024/2001. (Jurisprudence), 28 avril 2004.

* 4 Le sens étymologique du mot euthanasie est «  une mort douce et facile ». Cf site internet : Le Trésor de la Langue Française informatisé. http://atilf.atilf.fr/. Juin 2005.

* 5 Dr. CHAUSSOY F., Je ne suis pas un assassin, St-Amand-Montrond (Cher), Oh ! Editions, 2004, p. 81.

* 6 Ibid., p. 150.

* 7 Vincent Humbert défraya la chronique en décembre 2002 en sollicitant par lettre ouverte le président de la République Française pour qu'il lui accorde le droit de mourir. Jacques Chirac n'entra pas en matière. À sa demande, sa mère procéda à une injection de pentobarbital. La tentative d'euthanasie échoua, laissant le patient dans un coma profond. Suite à quoi, après réflexion le médecin français, Frédéric Chaussoy décida finalement de procéder à une injection létale de chlorure de potassium, respectant ainsi le voeu de Vincent et l'engagement de sa mère à l'encontre de ce dernier. Cf. HUMBERT V., Je vous demande le droit de mourir, Neuilly sur Seine, Éditions Michel Lafon, 2003.

* 8 Aide au suicide : peut-on choisir son heure ?, TSR (Télévision Suisse Romande), Suisse 2005. Débat diffusé à l'émission Infrarouge, le 23 mars 2005.

* 9 La récente révision, encore en consultation auprès de la Chambre Médicale de la FMH, des directives de l'ASSM portant sur « La prise en charge des patientes et patients en fin de vie » confirme la non-reconnaissance de l'assistance au suicide, la considérant comme opposée au but de la profession médicale. Cf. ASSM (Académie Suisse des Sciences Médicales), « La prise en charge des patientes et patients en fin de vie », Directives médico-éthiques (2004). Publiées dans le Bulletin des médecins suisses, 86, No 3.

* 10 Art. 111 et 114, CPS (traitant du meurtre et du meurtre à la demande de la victime) et Art. 115, CPS (traitant de l'incitation et de l'assistance au suicide)

* 11 P4 249192 (250 :254)

* 12 Ibid.

* 13 Dr FILBERT M., « Les situations extrêmes en soins palliatifs. La sédation a-t-elle une place ? », in Gérontologie et Société, no 108, mars 2004, p. 129-136.

* 14 P3 192573 (304 :310)

* 15 La terminologie médicale en matière d'assistance au décès, différencie entre l'euthanasie passive qui consiste à ne pas ou plus intervenir thérapeutiquement auprès du patient, et l'euthanasie active. Cette dernière est dite active indirecte, si la mort du patient est induite par les mesures prises pour soulager les douleurs, et active directe, si la mort est provoquée délibérément par injection d'un produit létal. Selon que le patient en ait formulé au préalable la demande ou non, l'euthanasie active directe volontaire se distingue de l'involontaire. Dans le premier cas, il s'agira alors au sens pénal d'un meurtre sur la demande de la victime et dans le second d'un meurtre par compassion.

* 16 ABIVEN M. et alii, Euthanasie - Alternatives et controverses, Paris, Presses de la Renaissance, 2000, p. 177.

* 17 P3 192573 (31 : 35)

* 18 TCHOBROUTSKY G. & WONG O., Le métier de médecin, Paris, PUF, 1993, p. 30-31.

* 19 ZIEGLER J., Les vivants et la mort, Paris, Editions du Seuil, 1975, p. 75.

* 20 BOURDIEU P., Le sens pratique, Paris, Les Editions de Minuit, 1980, p. 87-109.

* 21 P7 : 267418 (980 :982)

* 22 Posant l'origine de la vie humaine dans la volonté de Dieu, l'Église considère que « l'homme ne peut pas en disposer » et encore moins lorsqu'il s'agit de la vie d'autrui, selon le commandement : tu ne tueras point. Ainsi la vie étant inviolable, l'éthique catholique par exemple condamne fermement l'euthanasie, tant au niveau de l'intention que des procédés utilisés. Elle distingue de l'euthanasie, la renonciation à l'acharnement thérapeutique. Cf. JEAN PAUL II, Evangelium Vitae. Encyclique sur la valeur et l'inviolabilité de la vie humaine, in Cahiers. Pour croire aujourd'hui, no 28, 1 avril 1995, Éditions Assas, 1995, p. 77.

* 23 JEAN PAUL II, Ibid., p. 78.

* 24 Définition tirée du site : Le Trésor de la Langue Française informatisé, http://atilf.atilf.fr, 7juin 2005.

* 25 FOUCAULT M., Naissance de la Clinique, Paris, PUF, 1963.

* 26 FOUCAULT M., op. cit., p. 58.

* 27 FOUCAULT M., op.cit, p. 144.

* 28 SAINT-ARNAUD J., « Réanimation et transplantation ; la mort reconceptualisée », Sociologie et Sociétés, volume 28 (2), 1996, pp. 93-108.

* 29 P11 169632 (443 :458)

* 30 BECK U., La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Paris, Flammarion, 2001, p. 48-62.

* 31 P4 249192 (201 :217)

* 32 Ibid.

* 33 ZIEGLER J., op. cit., p. 69 et suivantes.

* 34 THOMAS L.V ., Mort et pouvoir, Paris, Editions Payot, 1999, p. 85-106

* 35 ILLICH I., Némésis médicale. L'expropriation de la santé, Paris, Editions du Seuil, 1975, p. 47.

* 36 Ibid., p. 136 et suivantes.

* 37 La « joie de vivre » est un des critères de l'évaluation du bénéfice que peut tirer le patient d'une mesure thérapeutique ou curative dans les nouvelles directive de l'ASSM concernant la prise en charge des patients en fin de vie. Cf ASSM (Académie Suisse des Sciences Médicales), « La prise en charge des patientes et patients en fin de vie », op. cit..

* 38 Art. 1 du Code Déontologique de la Fédération des Médecins Suisses

* 39 Dr. OVERBECK (v.) J., « Limitations et risques du diagnostic médical en assurance incapacité de gain », in ASA (Associations Suisses d'Assurances), Bulletin des assureurs Vie destiné aux médecins suisses. Les risques et leur perception, Supplément du Bulletin des médecins suisses No 26, 29 juin 2005.

* 40 DRUHLE M. et CLEMENT S., « Enjeux et formes de la médicalisation : d'une approche globale au cas de la gérontologie », in AIACH P. et DELANOE D., L'ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Éditions Economica, 1998, p. 87.

* 41 P3 192573 (116 :119)

* 42 Idem

* 43 Les nouvelles directives médico-éthiques de l'ASSM citées en introduction accordent au médecin le droit d'apporter son aide au patient qui le souhaite, selon son propre choix. Cf. ASSM (Académie Suisse des Sciences Médicales), op. cit. , 2004. Publiées dans le Bulletin des médecins suisses, 86, No 3.

* 44 P9 050902 (747 : 750)

* 45 P9 050902 (619 :620)

* 46 ABIVEN M. et alii, op. cit., p. 183 et 185.

* 47 HENNEZEL (de) M., Nous ne nous sommes pas dit au revoir. La dimension humaine de l'euthanasie, Paris, Editions Robert Laffont S.A., 2000, p. 81.

* 48 P11 169632 (488 :491)

* 49 ABIVEN M. et alii, op. cit., p. 167-188.

* 50 FAURE O., « La médicalisation vue par les historiens », in AÏACH P. et DELANOË D., L'ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Éditions Economica, 1998

* 51 AIACH P, « La médicalisation » (conférence), in Parcours, les Cahiers du GREP-Midi Pyrénées n° 13 / 14 (1995-1996).

* 52 Selon Jean-Claude Guyot décrit la médicalisation comme étant à la fois un phénomène technique, en tant qu'appropriation d'un domaine spécifique de connaissances ; sociétal, en cela qu'il conditionne des comportements sociaux de la vie courante ; et finalement idéologique et politique, car il consiste en la promotion d'un ordre médical orientant le fonctionnement des institutions sanitaires et sociales en fonction de normes et de valeurs propres au champ médical que partage plus ou moins l'élite sociopolitique. Cf. GUYOT J. C., « La médicalisation de la douleur », in Claverie B. et alii (s/s la dir. de), Douleurs. Société, personne et expressions, Paris, Editions Eshel, 1992, p. 23-25.

* 53 FAURE O., « La médicalisation vue par les historiens », in AIACH P. et DELANOE D., L'ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Éditions Economica, 1998, p. 64.

* 54 VIGARELLO G., Histoires des pratiques de la santé. Le sain et le malsain depuis le Moyen-Âge, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 332.

* 55 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (État le 11 mai 2004), art. 6.

* 56 Ibid., art. 10.

* 57 PARSONS T., The social system, New York, New York Press, 1955, cité par SALIBA J., « Les paradigmes des professions de santé », in AÏACH P. et DELANOË D., op. cit., p. 43-85.

* 58 DODIER N., L'Expertise médicale. Essai de sociologie sur l'exercice du jugement, éd. Métaillé, Paris, 1993.

* 59 LE BLANC G., « Le conflit des médecines », in Esprit, no 284, mai 2002, p. 78.

* 60 P5 220802 (191 :192)

* 61 Ibid. (223 :224)

* 62 BAUDRY P., La place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, 1999.

* 63 STRAUSS A. (textes réunis et présentés par Baszanger I.), La trame de la négociation. Sociologie quantitative et interactionnisme, Paris, Editions L'Harmattan, 1992, p. 120-121.

* 64 P4 249192 (675 :681)

* 65 P7 267418 (786 :792)

* 66 P9 05092002 (741 :746)

* 67 Idem (750 :752)

* 68 BAUDRY P., op. cit. , p. 40.

* 69 Le défunt au sens étymologique du terme signifie « qui a accompli, achevé sa vie », selon la définition tirée du site : Le Trésor de la Langue Française informatisé. http://atilf.atilf.fr , 13 juin 2005.

* 70 La notion de « travail biographique » est emprunté à Isabelle Baszanger qui l'utilise pour décrire le travail identitaire auquel se livre le malade pour gérer sa trajectoire de malade. Cf. BASZANGER I., « Introduction : les chantiers d'un interactionnisme américain », in STRAUSS A., op.cit., p. 42-43.

* 71 P11 169632 (1123 : 1129)

* 72 Danilo Martucelli définit l'identité narrative ,comme le résultat d'un travail discursif, qui consiste en la production d'une représentation unitaire et cohérente de soi en un individu singulier mais à partir d'éléments qui restent non moins sociaux. L'enjeu est l'affirmation d'une ipséité, soit une permanence, une cohérence de soi, et d'une mêmeté, en somme d'une similitude aux autres, pour pouvoir fonder une appartenance. Cf. MARTUCELLI D., Grammaire de l'individu, Paris, Editions Gallimard, 2002, p. 367-372.

* 73 JOAS H., La créativité de l'agir, Paris, Les éditions du Cerf, 1999, p. 180.

* 74 FOUCART J., La sociologie de la souffrance, Bruxelles, Editions De Boeck & Larcier SA, 2003.

* 75 Ibid., p. 68.

* 76 Présentant la notion de « chaîne biographique », Danièle Carricaburu et Marie Ménoret montrent que l'identité narrative consiste en l'articulation de trois supports essentiels : le « temps biographique », en somme la définition d'une temporalité personnelle, les « conceptions de soi », en tant que perceptions de soi objectivées, et les « conceptions du corps », autrement dit la définition individuelle d'une corporéité. Cf. CARRICABURU D. & MENORET M., Sociologie de la santé. Institutions, professions et maladies, Paris, Armand Colin/SEJER, 2004, p. 118.

* 77 P4 249192 (111 :116)

* 78 Ibid. (116 :119)

* 79 P3 193573 (86 :93)

* 80 Selon Fred Davis, une rupture identitaire se produit dans le passage d'une identité profane à une identité professionnelle. Dans un travail consacré à la formation infirmière, cet auteur aborde la question de la stabilisation de l'identité professionnelle intériorisée par l'ajustement successif des actions aux dépens de l'identité profane initiale. Selon lui, cette stabilisation nécessite l'appropriation du discours professionnel et l'adhésion à des modèles professionnels par le biais des stages, d'où la notion de « conversion doctrinale » qu'il utilise. Cf. DAVIS F., cité in Carricaburu D. & Ménoret M., op. cit. , p. 62.

* 81 P3 193573 (263 :266)

* 82 BLANC G., « L'invention de la normalité », in Esprit, no 284, mai 2002, p. 146-151.

* 83 Idem.

* 84 GOFFMAN E., La mise en scène de la vie quotidienne, Paris. Les Editions de Minuit, 1973, p. 113 et 116.

* 85 HABERMAS J., Vérité et justification, Paris, Editions Gallimard, 2001.

* 86 P1 780088 (59 :70)

* 87 P1 780088 (111 :116)

* 88 La définition que donne Jean Foucart de la souffrance en tant que manifestation d'une rupture transactionnelle et d'une perte d'intentionnalité, permet ici le lien entre la nécessité pour le mourant de signifier sa propre expérience pour rétablir son histoire, sa ligne biographique et l'affirmation ultime de sa capacité d'agir. Cf. FOUCART J., op. cit., p. 68.

* 89 «thanatos» - la mort, «logein» - parole, discours. Ainsi signifier la mort et lui attribuer une valeur symbolique tout en l'inscrivant dans un univers de sens, relève de la « thanatologie », non pas comprise comme « science de la mort », mais entendue comme activité discursive visant à médiatiser la mort, à lui donner forme.

* 90 P11 169632 (630 : 638)

* 91 P3 192573 (179 : 185)

* 92 P4 249192 (469 : 478)

* 93 P3 192573 (21:23

* 94 BIDART C., « Parler de l'intime : les relations de confidence », in Mana (revue de sociologie et d'anthropologie), Approches sociologiques de l'intime, no 3, 1er semestre 1997.

* 95 Idem p. 35.

* 96 Le concept de « compagnie d'investissement mutuel » est empruntée au Dr. Michael Balint qui s'en sert pour décrire les modalités de l'engagement mutuel du médecin et du patient durant la relation thérapeutique.

Cf. BALINT M., Le médecin, son malade et la maladie, Paris, Editions Payot, 1968, p. 265-267.

* 97 P4 249192 (146 : 157)

* 98 P8 090802 (707 :716)

* 99 P7 267418 (437 :449)

* 100 P7 267418 (378 : 392)

* 101 P11 169632 (770 : 782)

* 102 P11 169632 (690 :702)

* 103 P4 249192 (365:371)

* 104 Les auteurs J. M. Forges et J. F. Seuvic font une analyse approfondie du statut du patient hospitalisé du point de vue juridique essentiellement, montrant les implications sociales du cadre légal. Ils démontrent entre autre que le statut d'hospitalisé prévaut sur celui de mourant et qu'en conséquence ce dernier est soumis au règles et aux normes hospitalières. FORGES (de) J. M. & SEUVIC J. F., L'hospitalisé, Paris, Editions Berger-Levrault, 1983, p. 193 et p. 235.

* 105 A ce propos la lecture de l'expertise du Prof. T. Jaag de l'université de Zurich est très instructive. Le professeur montre comment du droit légal à la liberté personnelle, à la préservation de la sphère privée, au respect de dignité de la personne peut découler un droit à disposer de soi. Cf. JAAG T., Expertise juridique concernant l'assistance au suicide dans les hôpitaux et les homes médicalisés de la ville de Zurich, commune de Zurich, ZBl 102/2001, mars 2003.

* 106 P8 090802 (670 : 678)

* 107 P5 220802 (56 : 61)

* 108 P4 249192 (365 : 380)

* 109 La définition que donnent Luc Boltanski et Laurent Thévenot corroborent notre intuition. Ces deux auteurs dans leur ouvrage consacré à la justification, définissent la dignité à la fois comme qualité de l'individu, qui serait celle d'avoir la « capacité d'agir selon le bien commun » et en tant que « puissance identique d'accès à tous les états » en somme comme condition de l'appartenance à un ordre social.

Cf. BOLTANSKY L. & THEVENOT L., De la Justification. Les économies de la grandeur, 1991, p. 97-99.

* 110 STRAUSS A. L., La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, Éditions l'Harmattan, 1992, p. 121.

* 111 P7 267418.txt (161 :179)

* 112 P4 249192 (217 : 222)

* 113 HABERMAS J., Théorie de l'agir communicationnel, Paris, Editions Fayard, 1987.

* 114 HABERMAS J., op. cit., p. 299.

* 115 P2 780088 (637 : 642)

* 116 Une personne impliquée dans ce type de pratique a été interviewée, mais pour des raisons évidentes de confidentialité, une enquête étant en cours, nul enregistrement de l'interview effectué n'a été réalisé, et son contenu n'a pas fait l'objet d'une analyse particulière.

* 117 REMY J., « La transaction : de la notion heuristique au paradigme méthodologique », in BLANC M. et alii, Vie quotidienne et démocratie. Pour une sociologie de la transaction sociale (suite), Paris, Éditions l'Harmattan, 1994, p. 293-318.

* 118 LAHIRE B., L'homme pluriel. Les ressorts de l'action, Paris, Nathan, 1998.

* 119 HABERMAS J., idem.

* 120 HABERMAS, Vérité et Justification, Paris, Editions Gallimard, 1999, p. 56-61.

* 121 BOLTANSKI L. & THEVENOT L., op. cit., p. 337-338.

* 122 P3 192573 (167 : 179)

* 123 Idem (595)

* 124 P4 249192 (775 : 781)

* 125 P6 947129 (73 : 80)

* 126 P8 090802 (151 : 159)

* 127 P5 220802 (234 : 241)

* 128 P8 090802 (344 : 351)

* 129 P8 090802 (186 : 188)

* 130 P10 269386 (253 : 266)

* 131 P3 192573 (308 : 315)

* 132 P6 947129 (54 : 60)

* 133 FILBET M., « Les situations extrêmes en soins palliatifs. La sédation a-t-elle une place? », in

Gérontologie et Société, no 108, mars 2004, p. 129-136.

* 134 P9 050902 (427:436)

* 135 P4 249192 (524 : 530)

* 136 P8 090802 (401 : 409)

* 137 P7 267418 (499 : 507)

* 138 P9 050902(514 : 521)

* 139 P3 192573 (54 : 66)

* 140 LLORCA G., Du raisonnement médical à la décision partagée. Introduction à l'éthique en médecine, Paris, Editions Med Line, 2003, p. 26-27.

* 141 P10 269386 (431 : 436)

* 142 LLORCA G., ibid., p. 24.

* 143 P6 947129 (658:666)

* 144 ELIAS N., Du temps, Paris, Editions Fayard, 1996, p. 129.

* 145 Les temps sociaux se juxtaposent donc aux différents stades biologique de la vie humaine et chacun d'eux supposent une intervention médicale particulière. Cf. ILLICH I., op. cit., Paris, Editions du Seuil, p. 62.

* 146 P6 947129 (243:249)

* 147 FOUCART J., op. cit., p. 85.

* 148 Norbert Elias décrit la dimension impérative du temps, montrant comment il oriente les conduites des individus, les coordonnant et les orientant, tout en articulant de façon fonctionnelle les différentes activités en présence, leur attribuant une place selon un ordre chronologique irréversible. Cf. ELIAS N., Du temps, Paris, Editions Fayard, 1996, p. 76-78.

* 149 CAVALLI F., Initiative parlementaire 00.441 déposé auprès du Conseil National, 27 septembre 2000.

* 150 P3 192573 (677 : 680)

* 151 Anselm L. Strauss développe une théorie intéressante sur l'apport des négociations à structuration des espaces en organisation et au processus de légitimation. Le renouvellement des organisations et leur reproduction impliquent selon lui que des négociations sont constamment menées, afin que l'action concertée puisse perdurer. L'intérêt de son travail est donc de poser les bases d'une conception interactive de l'ordre social, de la genèse des institutions et des relations formelles. Son approche permet d'appréhender les changements sociaux du point de vue de l'action concertée des individus et non plus seulement comme une réaction à des individus à l'anomie sociale. Cf. STRAUSS A., op. cit., p. 249.

* 152 MAROY C., « Projet institutionnel et transaction parmi les membres d'une organisation ». Le cas de crèches et d'hôpitaux chrétiens », in BLANC M. et alii, op. cit., p. 155-179.

* 153 MORMONT M., « Pour une typologie de la transaction sociale », in BLANC M., Pour une sociologie de la transaction sociale, Paris, Editions L'Harmattan, 1992, p. 112-136.

* 154 Pour Luc Boltanski et Laurent Thévenot, la mise à l'épreuve consiste à remettre en question le lien préexistant entre un objet et les univers symboliques qui servent à sa définition. Ainsi, remettre en question les principes d'un accord revient à interroger son fondement symbolique.

* 155 P3 192573 (662 : 666)

* 156 P3 192573 (311 : 333)

* 157 P4 249192 (160 : 165)

* 158 Pour approfondir cette piste de réflexion quant à la nature de la dette du médecin vis-à-vis de son patient, l'ouvrage de Jacques Godbout peut être utile. Cf. GODBOUT J. T., Le don, la dette et l'identité. Homo donator et homo economicus, Paris, Editions La Découverte/MAUSS, 2000.

* 159P6 947129 (912 : 925)

* 160 P3 192573 (469 : 482)

* 161 Extrait d'un entretien avec le Dr. Soebel sur la position d'Exit ADMD par rapport à l'assistance médicale au décès.

* 162 Société Suisse de Médecine et de Soins Palliatifs (SSMSP), Manifeste de Fribourg, Fribourg, février 2001.

* 163 CAVALLI

* 164 Extrait d'un entretien exploratoire réalisé avec Francesco Cavalli sur le thème de son initiative.

* 165 P9 05092002 (647 : 660)

* 166 P11 169632 (842 : 858)

* 167 P2 780088 (443 : 449)

* 168 P3 192573 (274 : 284)

* 169 P11 169632 (1094 : 1102)

* 170 P3 192573 (398 : 404)

* 171 P2 780088 (637 : 642)

* 172 FOUCAULT M., op. cit., p. 103.

* 173 Dr. ZEKRI O., « Evidence-based medecine » sur le site http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/pharmaco/EBM,12 septembre 2005.

* 174 AIACH P, « La médicalisation » (conférence), op. cit.

Cf. http://www.grep-mp.org/conferences/Parcours-13-14/medicalisation.htm, 12 juillet 2005

* 175 CROZIER M. & FRIEDBERG., L'acteur et le système, Paris, Editions du Seuil, 1977, p. 86.

* 176 P4 249192 (Ibid))

* 177 P11 169632 (555: 558)

* 178 LAHIRE B., op. cit..

* 179 P2 780088 (049 : 057)

* 180 P3 192573 (137 : 140)

* 181 P2 780088 (532 : 536)

* 182 Dans le dernier stade de sa théorie évolutive du développement moral, il considère en effet que l'individu est à même de reconnaître par lui-même la validité de principes moraux reconnus universels et de s'y soumettre. Cf. KOHLBERG L., Essays on Moral Development, cité in HABERMAS J. , Morale et Communication. Conscience morale et activité communicationnelle, Editions du Cerf, 1986, p.135.

* 183 P11 169632 (542 : 545)

* 184 P4 249192 (770 : 781)

* 185 P8 090802 (350 : 356)

* 186 P3 192573 (739 : 742)

* 187 P4 249192 (442 : 446)

* 188 Françoise Bouchayer souligne également l'importance de la rationalisation pour l'adoption par les médecins de pratiques alternatives de soins. Cf. BOUCHAYER F., « Les voies du réenchantement professionnel », in AIACH P. & FASSIN D., Les métiers de la santé. Enjeux de pouvoir et quête de légitimité, Paris, Anthropos-Economica, 1994, p. 208-209.

* 189 GUILLON C. & LE BONNIEC Y., Suicide mode d'emploi. Histoire, technique, actualité, Paris, Editions Alain Moreau, 1982.

* 190 SCHWARTZENBERG L., Requiem pour la vie, Poitiers, Editions Belfond, 1985.

* 191 P2 780088 (844 : 856)

* 192 BALINT M., op. cit., p. 228-229.

* 193 P8 090802 (762 : 771)

* 194 BAJOIT G., Le changement social. Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Paris, Editions Armand Colin, 2003, p. 99-132.

* 195 P3 192573 (429 : 436)

* 196 P5 220802 (583 : 590)

* 197 Pour des raisons d'anonymat, ce témoignage n'est pas attribué à l'une des personnes interviewées.

* 198 BURT R., Structural Holes. The social structure of competition, Cambridge, Havard University Press, 1992, cité par MERCKLE P., Sociologie des réseaux sociaux, Paris, Editions la Découverte & Syros, 2004. p. 65-69

* 199 BAJOIT G., op. cit., p. 134-137.

* 200 P11 169632 (615 : 629)

* 201 PX (414 : 427)

* 202 BERGER P. & LUCKMANN T., La construction sociale de la réalité, Editions Masson & Armand Colin, 1996, p. 214-222.

* 203 P4 249192 (284 :290)

* 204 P5 AG220802 (550 : 564)

* 205 P4 249192 (726 : 741)

* 206 Idem (800 : 809)

* 207 BERGER P. & LUCKMANN T., op. cit., p. 139-140.

* 208 P3 192573 (626 : 633)

* 209 THOMAS L. V., La mort, Paris, PUF, 1988, p. 84-87.

* 210 DOUCET H., « Le bien mourir et les traditions religieuses », in Gérontologie et société, no 108, mars 2004, p. 36-38.

* 211 L'historien Georges Vigarello, dont plusieurs ouvrages sont cités en bibliographie, a une approche pointue de la mort, de sa médicalisation et de la façon dont la corporéité a été vécue au fil des siècles.

* 212 Dans un article consacré aux critères du bien mourir, Paul Hintermeyer met en évidence une double opposition de laquelle naît l'orientation actuelle de la gestion sociale de la mort. Il identifie premèrement le couple de la mort prématurée et de la mort prolongé, expliquant ainsi comment le refus d'une mort précoce a conduit à l'avènement de l'acharnement thérapeutique. Le second couple qu'il pose est celui de la mort impromptue et de la mort annoncée, montrant ainsi que la volonté de maîtrise du processus de mort et de sa violence conduit finalement au souci de pacifier la mort et de l'humaniser. Cf. HINTERMEYER P., « Les critères du bien mourir », in Gérontologie et Société, no 108, mars 2004, p. 73-87.

* 213 P11 169632 (1047 : 1055)

* 214 SAINT-ARNAUD J., op. cit., pp. 93-108.

* 215 HINTERMEYER P., op. cit., p. 77.

* 216 P2 780088 (620 : 628)

* 217 HINTERMEYER P., op. cit., p. 86-87.

* 218 P4 249192 (268 : 276)

* 219 CASTRA M., Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs, Paris, PUF, 2003, p. 96.

* 220 LASSAUNIERE J. M. & RUSZNIEWSKI M., « Les soins palliatifs », in BRASSEUR L. et alii, Douleurs, bases fondamentales, pharmacologie, douleurs aiguës, douleurs chroniques, thérapeutiques, Paris, Maloine, 1997, p. 655.

* 221 MINO J. C. & LERT F., « L'éthique quotidienne d'une équipe mobile hospitalière de soins palliatifs », in Gérontologie et Société, no 108, mars 2004, p. 142.

* 222 Idem, p. 144.

* 223 CASTRA M., op. cit., p. p. 96 et suivantes.

* 224 JEAN PAUL II, op. cit..

* 225 P10 269386 (223 : 229) et (241 : 249)

* 226 BOUTINET J. P., Vers une société des agendas. Une mutation des temporalités, Paris, PUF, 2004, p. 220.

* 227 P6 947129 (226 : 235)

* 228 BOUTINET J. P., op. cit., p. 219.

* 229 Dans un article consacré aux problèmes cliniques de la pratique de l'euthanasie active et de l'assistance au suicide, plusieurs auteurs mettent en évidence la méconnaissance des médecins en matière de la posologie spécifique aux produits utilisés dans le cadre de l'assistance médicale au décès. Ils montrent également que la pratique de l'assistance au décès n'est pas encore sûre. Cf. GROENEWOUD J. et alii, «Clinical problems with the performance of euthanasia and physician assisted suicide in the Netherlands», in The New England Journal of Medecine, Vol. 342, no 8, 24 Février 2000.

* 230 P5 220802 (460 : 468)

* 231 ASSM (Académie Suisse des Sciences Médicales), op. cit. . Publiées dans le Bulletin des médecins suisses, 86, No 3.

* 232 P5 220802 (490 : 496)

* 233 P5 220802 (392 : 409)

* 234 P6 947129 (752 : 759)

* 235 BOUTINET J.P., op. cit., p. 212.

* 236 MALPHETTES S. & VILLENEUVE S., op. cit..

* 237 THOMAS L. V., « Grandeur et misère des unités de soins palliatifs », in MONTANDON C. et A., Savoir mourir, Paris, Editions l'Harmattan, 1993, p. 175-193.

* 238 P4 249192 (899 : 915)

* 239 P3 192573 (602 : 608)

* 240 P4 249192(484 : 497)

* 241 BOUTINET J., op. cit., p. 171.

* 242 CAÏATA M., S'en sortir : le faire et le dire. Retours à la conventionalité après une pratique toxicodépendante à l'époque de la réduction des risques, Doctorat présenté à la Faculté des Lettres de l'Université de Fribourg, sous la direction du Prof. Dr. M. H. SOULET, 2004.

* 243 STRAUSS A., op. cit., p. 82-84.

* 244 P4 249192 (310 : 317)

* 245 REMY J., Produire et reproduire ? Une sociologie de la vie quotidienne (tome1), Bruxelles, Editions Vie Ouvrière, 1978, p. 175

* 246 Idem, p. 179

* 247 VIGARELLO G., « Le corps du roi », in CORBIN A. et alii (s/s la dir. de), Histoire du corps. 1. De la renaissance aux Lumières, Paris, Editions du Seuil, 2005, p. 391-392.

* 248 MARTUCELLI M., op. cit., Paris, Gallimard, 2002, p. 83-93.

* 249 KAUFMANN J. C., L'entretien compréhensif, Paris, Editions Nathan, 1996.

* 250 Bosshard G. et alii, « Medizinische Entscheidungen am Lebensende in sechs europäischen Ländern: Erste Ergebnisse », in Bulletin des médecins suisses
·2003; 84: No 32/33. p. 1676-1678.






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