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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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2.4.2. L'incertitude

Durant les transactions qu'il mène, le médecin tente de réduire au maximum les risques qu'il encoure pour lui-même, minimisant ainsi les degrés d'incertitude. « Le médecin se protège à quelque part, il y a des médecins qui se diront, bon c'est mon devoir, c'est ma conviction, je vais donc au-delà car je sais que c'est juste. Et il y en a beaucoup qui sont plus timides, et on ne peut pas les critiquer, ils ne sont pas kamikazes et ils ne veulent pas s'exploser. Ils seraient d'accord, mais ils ne peuvent pas. Alors la loi, telle qu'elle est faite joue contre le malade, donc il faut modifier la loi pour que les médecins qui sont prêts à le faire philosophiquement n'aient pas peur de le faire.170(*) ». La réduction des risques va dans l'intérêt du patient bien sûr, mais aussi dans son propre intérêt. Une mise en accusation pour faute grave, que ce soit au niveau de leur fédération ou au niveau pénal, entacherait sa réputation.

Même durant la médiation, la minimisation du risque reste un souci, comme le décrit un médecin ayant oeuvré comme consultant au sein des hôpitaux. « Donc quand cela se passe bien, on a un consensus autour de la personne. Et un consensus sincère et pas seulement sur les lèvres. Car si avec beaucoup de persuasion, vous arrachez un oui pour une limitation de souffrance en fin de vie à quelqu'un, de la famille, vous êtes sûr qu'après vous avez des ennuis, donc cela doit vraiment être quelque chose d'authentique. 171(*) » L'obtention d'un consensus et la construction d'une entente avec la famille visent donc à réduire l'éclatement d'un conflit susceptible de nuire à la réputation du médecin ou de l'établissement.

Au-delà de l'incertitude que ressent subjectivement le médecin, il y a aussi une incertitude plus objective, liée à l'activité médicale en elle-même, dont la base scientifique reste probabiliste. La nosologie (l'art de décrypter au travers des symptômes le processus pathologique) et la sémiologie (l'art de reconnaître les lésions physiologiques au travers des symptômes) restent des composantes complexes de l'expertise clinique, de par leur fondement probabiliste. L'agonie et le décès d'un mourant sont imprévisibles, à fortiori en situation de polymorbidité où il est particulièrement ardu d'identifier de façon exacte la source des différentes douleurs, leur intensité et leur progression.

Cette forme objective d'incertitude liée à l'activité médicale n'est pas la seule. Il y a aussi l'incertitude liée au contexte de la pratique de l'assistance au décès. Le cadre légal et politique, ainsi que l'opinion publique contribuent à modifier les conditions du projet thanatologique. Ainsi, la légitimation de l'acte médical en fin de vie est toujours incertaine. Le médecin, n'étant jamais vraiment sûr de la légitimité de son acte, cherche à élargir sa marge de manoeuvre sur le plan légal, pour se protéger. De plus, une certaine marge d'incertitude est aussi entretenue par le corps médical afin de réduire le risque judiciaire et de maintenir l'identité et le statut social des médecins.

Le Professeur Francesco Cavalli dénonce de façon véhémente la zone grise que crée le cadre légal actuel. Selon lui, il est possible pour le médecin de faire comme bon lui semble. La loi ne porte que sur les pratiques extrêmes, à savoir l'assistance au suicide permise et l'euthanasie active, mais une foule d'actes plus courants selon lui ne sont par contre pas réglementés : « On cherche à cacher le problème en élargissant la définition de l'assistance au suicide. D'autre part, il y a l'euthanasie active qui est condamnée et au milieu il y a une grisaille énorme, toutes sortes de choses se passent dans les hôpitaux, des malades qui sont en phase préterminale où le médecin ou l'équipe des infirmières a l'impression qu'ils souffrent ou qu'ils ont des symptômes que l'on ne réussit pas très bien à contrôler, alors on commence à leur donner des calmants, des médicaments pour les faire dormir et à la fin ils meurent, et ça sans avoir rien demandé aux patients... ».

Ce que désigne le propos du Prof. Francesco Cavalli est avant tout l'importance actuelle de la marge d'incertitude qui entoure l'assistance médicale au décès et l'utilité qu'en tirent les médecins. Cette réflexion sur les risques de la transaction médicale nous amène au constat que la notion de risque recouvre des réalités différentes et que l'incertitude est à la fois négative et positive pour les médecins. D'une part l'incertitude est autant que possible réduite du point de vue de l'exercice du jugement médical, d'autre part la marge d'incertitude entretenue autour de la gestion sociale de l'assistance au décès profite aux médecins. L'incertitude a donc deux visages et la confusion entre ses deux aspects est souvent entretenue dans le débat sur l'euthanasie.

Ainsi, premièrement, comme Michel Foucault le montre bien, la profession médicale recherche constamment à accroître les « degrés de certitude » de son expertise, en améliorant sans cesse l'analyse des symptômes172(*). Ce souci constant de tirer le meilleur parti des informations médicales est présent dans ce qui est appelé la « médecine factuelle173(*) » (ou « evidence based medecine »). Le but poursuivi est de s'assurer que le médecin dispose toujours des connaissances les plus récentes pour poser son diagnostic, mais aussi que l' « effectivité » du traitement qu'il indique soit plus grande. Cette dernière notion renvoie non seulement à l'efficacité des mesures thérapeutiques prescrites, mais aussi à l'optimisation de leur effet par induction d'un comportement adéquat chez le malade, par la mise en place d'un contexte structurel favorable. Il s'agit par le rapport de confiance d'amener le patient à avoir une conduite qui favorise sa guérison et les effets de son antalgie. Cette forme de médecine se traduit dans les faits par une présence de plus en plus importante de la logique médicale dans les différentes sphères sociales du patient, au nom de son bien-être. Il s'agit donc d'une logique conjointe à « la préoccupation de santé174(*) » que Pierre Aïach identifie dans la société civile. Cette logique conjointe produit une extension de la logique médicale dans les différentes sphères de la vie privée et sociale des individus, dynamique renforcée également par les mesures d'économies au sein de la santé publique qui conduisent de plus en plus à une externalisation des soins sous leurs formes ambulatoires à domicile.

Deuxièmement, l'utilité de la zone d'incertitude pour un acteur social est bien mise en évidence par la notion de « marginal-sécant » utilisée par Michel Crozier et Erhard Friedberg175(*). En effet, étant partie prenante dans plusieurs mondes, le médecin semble jouer un rôle d'articulation et d'interprétation entre les différents univers symboliques, entre leurs logiques d'action différentes, voire opposées. De cette position, le médecin obtient un certain pouvoir par le contrôle qu'il exerce grâce à sa faculté de passer d'un monde à l'autre, tout en gardant une certaine autorité au vu de son expertise. Ainsi l'extrait suivant, d'ores et déjà évoqué lors de la réflexion sur le choix du lieu de prise en charge, prend tout son sens : « Le médecin entre et sort de la famille. Il est dedans et il est dehors. Et il est clair que c'est un espèce de continuum. Il est évident que le médecin va s'en aller à un moment donné, car il y aura encore une partie qui sera tout à fait privée de la famille. Mais c'est à géométrie variable. Le médecin que je suis, je suis assez impliqué émotionnellement avec mes patients et leurs proches, mais j'entre et je sors de leur histoire. Il y a des limites. Vous voyez. Et ces limites, elles vont être très souples en fonction des besoins.176(*). » Les besoins évoqués ne sont pas uniquement ceux du patient, mais aussi ceux de l'expertise médicale.

Au final, derrière la question des risques de la transaction médicale, celle question de l'identité médicale transparaît. En effet, en minimisant les risques durant leur transaction, en essayant de contrôler la zone d'incertitude liée à leur pratique, les médecins tentent simplement de stabiliser leur rôle et leur identité professionnelle dans un contexte social, légal et politique, particulièrement mouvant. La justification de leur pratique, menée au travers de leurs différentes transactions a donc une visée identitaire. Le risque majeur est en effet que l'équilibre entre leur identité professionnelle et personnelle soit mis en jeu. C'est la raison pour laquelle le dernier chapitre de cette seconde partie consacrée au projet thanatologique se concentre sur l'identité médicale, sa stabilisation ainsi que sur la façon dont elle peut transparaître au travers des différentes pratiques d'assistance au décès. Car l'hypothèse centrale de ce travail est que la justification de la pratique est intimement liée au processus de construction identitaire.

* 170 P3 192573 (398 : 404)

* 171 P2 780088 (637 : 642)

* 172 FOUCAULT M., op. cit., p. 103.

* 173 Dr. ZEKRI O., « Evidence-based medecine » sur le site http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/pharmaco/EBM,12 septembre 2005.

* 174 AIACH P, « La médicalisation » (conférence), op. cit.

Cf. http://www.grep-mp.org/conferences/Parcours-13-14/medicalisation.htm, 12 juillet 2005

* 175 CROZIER M. & FRIEDBERG., L'acteur et le système, Paris, Editions du Seuil, 1977, p. 86.

* 176 P4 249192 (Ibid))

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