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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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1.2. La technicité médicale ou l'avènement de la clinique

La figure du médecin technicien se fonde sur ce que Michel Foucault appelle la clinique26(*), c'est-à-dire une forme organisationnelle qui conjugue dans un même espace d'activité un certain discours médical, la production scientifique du savoir médical, la socialisation professionnelle du médecin et l'objectivation du malade en tant que cas clinique.

Le médecin technicien exerce son jugement en se basant sur une interprétation probabiliste des signes et symptômes annonciateurs de la maladie et de la morbidité. À une pratique de la médecine plutôt nosologique, où il s'agissait plus d'observer et de classer les phénomènes morbides, se substitue un exercice du jugement plus sémiologique.

Le progrès industriel et technologique propre au vingtième siècle, favorise la technicisation de la médecine, lui offrant les moyens de ses ambitions de maîtrise de la vie et en quelque sorte de la mort.  La fascination engendrée par la médecine en tant que discipline scientifique universitaire va contribuer à reléguer la question de la symbolique et de la socialisation de la mort. La logique probabiliste de la clinique conduit à appréhender la mort comme un risque.

Au lieu de la circonscrire et de la maîtriser, cette définition va entraîner une perte de maîtrise. Ce, pour deux raisons ; premièrement comprise comme un risque, la définition de la mort se voit démultipliée comprise et interprétée comme un phénomène physiologique et non plus mystique. La mort ne consiste plus en un seul trépas, mais en une succession de morts partielles, organiques. Michel Foucault décrit bien ce phénomène lorsqu'il dit de la mort qu'elle est « multiple et dispersée dans le temps » n'étant plus « ce point absolu et privilégié, à partir duquel les temps s'arrêtent pour se renverser27(*) ».

Cette démultiplication s'explique par la nécessité de conceptualiser la mort, d'en définir les critères en fonction des évolutions techniques et de leur perfectionnement, ne serait-ce par exemple que dans le domaine de la réanimation et de la transplantation, comme l'explique Jocelyne Saint-Arnaud28(*). Ainsi la définition clinique de la mort se révèle mouvante et bientôt trop complexe pour qu'elle permette la socialisation, la médiatisation de la mort auprès des profanes que sont les proches des mourants. Paradoxalement, le champ médical s'étant constitué par l'appropriation du clinique, sécularisant du même coup le traitement social de la mort, échoue à la manier car la définition médicale du risque qu'est la mort tend à rendre celle-ci d'autant plus insaisissable.

Tout habitus se caractérise par un sens pratique qui lui est spécifique, celui du médecin est le « sens clinique ». Il ne se limite pas seulement à la considération de la justesse de l'expertise médicale, en somme au juste exercice de la sémiologie, mais s'étend aussi à l'expérience acquise durant la formation hospitalière du médecin. Plus le médecin rencontre de cas cliniques, plus il se développe. Toutefois certains médecins expliquent que le sens clinique relève aussi du « don », car c'est aussi « flairer les choses quand il n'y a pas encore d'éléments objectifs clairs29(*) ». En somme, c'est une sensibilité accrue qui d'une certaine façon obéirait à l'économie de la grâce.

Malgré l'avènement des institutions hospitalières universitaires et de la technicité médicale, il subsiste donc dans l'habitus médical, plus précisément dans son sens pratique, une dimension d'incertitude fondant le compromis avec le monde mystique. Le sens clinique n'est pas exempt de la dimension religieuse. Il rend possible l'appropriation du clinique, du mourant, de telle façon que son objectivation en cas clinique oriente sa prise en charge et sa trajectoire hospitalière, tout en affranchissant le médecin de la tâche de signifier symboliquement l'expérience subjective du mourant.

Ainsi, le « sens clinique », tout autant qu'une compétence professionnelle, désigne aussi le compromis particulier établi socialement entre le pouvoir médical et le pouvoir religieux autour du mourant. Cependant plus la société s'est orientée vers le progrès technologique, moins l'Église a exercé de pouvoir sur ses fidèles et plus la rationalité médicale est devenue seule dominante dans le champ thanatologique.

L'économie des risques, propre à la société post-industrielle, telle que la décrit Ulrich Beck, apporte un autre éclairage sur le rapport que peut établir le champ médical à la mort. Il montre en effet que la gestion scientifique des risques s'accompagne de divers effets pervers qu'il est particulièrement difficile de juguler30(*).

La mort clinique traitée elle aussi en tant que risque n'échappe donc pas à ces effets pervers. Mis à part la démultiplication de la définition du risque initial, déjà abordée sous couvert de la reconceptualisation incessante de la mort en relation à l'expansion des connaissances scientifiques, une désocialisation de la mort est également relevée, en cela qu'elle ne s'inscrit plus dans le quotidien des personnes, dans la réalité vécue. Le retrait du social dans le traitement sociétal de la mort résulte de plusieurs phénomènes.

Premièrement, la logique médicale prévalant sur la logique sociale, la mort échappe à la prise en charge des proches. Le mourant, en tant que cas clinique, est soustrait à son contexte de vie ; sa présence, à défaut d'être signifiée socialement, devient insignifiante. Son existence se confond avec la temporalité physiologique du corps, au détriment de la temporalité sociale. Ainsi, devenu inutile au champ médical, le mourant est exclu de toute réalité.

Deuxièmement, la mort en tant que risque devient un objet du pronostic médical. Celui-ci, par sa dimension anticipatrice nourrit l'idée d'une maîtrise qui n'en demeure pas moins illusoire, mais reste suffisante à justifier l'urgence, donc la primauté de la logique médicale. Urgence au-delà de laquelle le corps perd alors toute substance, toute humanité. Le patient devenu « malade objet31(*) », sa dépouille « part à la poubelle32(*) » comme s'en offusque un médecin qui à l'époque des faits exerçait en tant que chef de clinique en médecine interne. Il témoigne de la disparition brutale, sous forme d'un transfert immédiat de la salle d'opération à la morgue, du corps d'un patient, touriste suédois décédé d'une rupture d'anévrisme, dont les reins venaient d'être prélevés à des fins de transplantation. Il note donc l'absence de transition entre le décès à l'hôpital et la disparition du corps, subtilisé au regard et au deuil des proches.

* 26 FOUCAULT M., op. cit., p. 58.

* 27 FOUCAULT M., op.cit, p. 144.

* 28 SAINT-ARNAUD J., « Réanimation et transplantation ; la mort reconceptualisée », Sociologie et Sociétés, volume 28 (2), 1996, pp. 93-108.

* 29 P11 169632 (443 :458)

* 30 BECK U., La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Paris, Flammarion, 2001, p. 48-62.

* 31 P4 249192 (201 :217)

* 32 Ibid.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984