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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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3.2. La mort singulière

«  C'est un des points sur lesquels j'essaie d'être clair, en disant que l'on peut pas régler ces choses par des lois. Il y a autant d'individus, autant de médecins, autant d'individus-patients, autant d'individus-médecins, et il y a le temps qui passe, il y a les circonstances qui peuvent changer, et pour la même personne. C'est pour cela que personne ne va pouvoir décider en dehors du patient lui-même, s'il maintient sa demande, s'il la réitère, s'il n'en parle plus, s'il ne veut maintenant plus mourir, s'il veut mourir autrement, etc. Il faut laisser la liberté au patient et le médecin il doit être là comme un médiateur, comme dans tous les autres domaines de son métier, dans cette position intermédiaire entre l'être, sa maladie, sa mort. Car ce n'est rien d'autre que ça, la médecine238(*) »

Comme le montre cet extrait tiré du témoignage d'un médecin pratiquant l'euthanasie active volontaire, cette dernière consiste avant tout à la prise en considération de la situation particulière, indépendamment du cadre légal, de la déontologie. La perspective est ici celle d'une mort agencée exclusivement selon le choix personnel du patient. Il n'est tenu compte d'aucune attente sociale, ni celle d'autonomie, ni celle de l'autodétermination. Toutes les exigences sociales et relationnelles sont suspendues. C'est dans la relation interpersonnelle du patient à son médecin, dans leur communauté d'expérience, que se construit la dignité du patient.

Le cadre éthique n'est même plus celui de l'attente sociale d'autonomie. Ce qui prime ici c'est l'expression et la manifestation de la subjectivé de la personne, en tant que situation singulière, d'où la dénomination de cette dernière forme de mort légitime de mort singulière. Celle-ci ne repose que sur une vision du monde commune au médecin et au son patient, car elle ne peut se fonder sur un principe de légitimation lié à un univers symbolique, dans la mesure où elle implique justement la suspension complète de tous les mondes en dehors de celui de la communauté d'expérience.

En comparaison avec la pratique de l'assistance au suicide, les détracteurs de l'euthanasie active parlent d'une fausse autonomie, car elle implique l'intervention d'un tiers, en l'occurrence le médecin (une « Fremdselbstbestimmung »). Selon eux, il s'agit d'une hétéronomie. Les médecins militant pour la dépénalisation de l'euthanasie active soulignent au contraire la centralité permanente du médecin dans les autres formes d'assistance au décès que sont la mort naturelle, la mort autonome, et l'inhumanité de la mort autodélivrance, où le patient est livré à lui-même sans aucune sécurité. Ils soulignent aussi que la centralité du médecin est telle que celui-ci, finalement libre de pouvoir agir à sa guise, outrepasserait les limites de son rôle en décidant de sa propre initiative de procéder à des sédations complètes, sans avoir au préalable tenu compte du droit du patient à disposer de lui-même, donc sans avoir au préalable pris le temps de s'assurer de l'adhésion du patient au projet thanatologique.

Comme le montre l'extrait suivant, la particularité de l'euthanasie active volontaire est qu'elle suppose que le médecin accepte en quelque sorte d'être instrumentalisé par son patient : « Oui, je suis un instrument de la volonté de mon patient parce que philosophiquement je partage la même conception et que philosophiquement parlant, si j'étais à sa place, j'aimerais qu'on me permette cette sortie. Alors puisque que philosophiquement, éthiquement parlant, moralement parlant, spirituellement parlant je me trouve en phase avec cette personne et que j'ai la possibilité de l'aider, et bien je vais l'aider, et ce serait dramatique de ne pas le faire239(*). » Mais cette instrumentalisation n'est pas totale, dans la mesure où pour échapper à une condamnation pénale, le médecin intercède au nom du patient, en rendant possible le décès de ce dernier aux conditions souhaitées, mais non sans prendre les précautions nécessaires pour masquer son acte.

Les a priori concernant l'euthanasie active laissent penser que la mort singulière est une mort immédiate, sans transition ni médiation aucune, et pourtant : « Regardez un reportage sur la peine capitale aux États-Unis et vous voyez comment ils donnent d'abord des barbituriques, peut-être encore un curarisant, je ne me rappelle pas et troisièmement du potassium qui fait que le coeur s'arrête. Des recettes, il y en a énormément, il y en a autant que de médecins, cela dépend de la maladie de base, cela dépend de la solidité du citoyen en question, mais on ne va pas aller dans la petite cuisine. Personnellement, je pense qu'il est judicieux que la mort de quelqu'un prenne un peu de temps pour que il y ait une espèce d'accompagnement. Ce n'est pas moi qui décide, c'est la nature qui décide. Mais c'est de l'ordre d'une demi-heure, d'une heure, de deux heures, quelque chose comme cela. Le processus se déroule, le patient s'endort et son coeur va s'arrêter quoi. Mais il faut être prêt à rester là, il faut être prêt à ce que les proches puissent vivre la mort de leur proche240(*). » Le médecin interrogé indique simplement que, dans le cadre de la mort singulière, le choix du produit létal importe moins - puisqu'il peut être défini en fonction des affections dont souffre le mourant- que la considération du temps qu'il donne au patient que la famille puisse s'accommoder du décès. Le médecin choisit également les produits à administrer selon que la mort doive apparaître comme naturelle ou volontaire, par exemple dans le cas où la famille ne serait pas au courant de l'euthanasie active envisagée. La temporalité du projet thanatologique est donc construite de façon individuelle. Le décès est préparé, mis en place, comme un événement particulier et ultime, et ce faisant, il est créé une forme de ritualité, selon la volonté du mourant. C'est pourquoi le temps de la mort singulière est une temporalité composite individuelle241(*), en quelque sorte agendée par le sujet lui-même.

Il est vrai, que dans ce cas de figure, il peut paraître pour le moins étrange que la mort singulière soit considérée comme une forme de mort légitime, dans la mesure où elle est clandestine, illégale et interdite. Mais sa prise en considération dans le modèle présenté est tout de même essentielle, car elle aussi résulte de la justification médicale de l'assistance au décès et, en tant que telle, est également un produit des processus sociaux de légitimation.

* 238 P4 249192 (899 : 915)

* 239 P3 192573 (602 : 608)

* 240 P4 249192(484 : 497)

* 241 BOUTINET J., op. cit., p. 171.

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