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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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Conclusion

Au final, suite à l'analyse des différentes acceptions de la mort légitime, il apparaît que la justification médicale de la pratique de l'euthanasie active et de l'assistance au suicide repose essentiellement sur la gestion transactionnelle de l'identité professionnelle. Grâce au principe d'intégrité subjectivement défini, le médecin construit une cohérence entre l'identité professionnelle qui lui est assignée et celle qu'il désire, de façon à pouvoir affronter sans encombre l'incertitude et les risques inhérents à la conduite, ainsi qu'à la réalisation du projet thanatologique.

Sa position et son statut étant mis en jeu au sein du champ médical, dans le cadre de l'entreprise de justification inhérente au projet thanatologique, il va orienter son engagement selon que l'identité visée suppose une rupture, un retournement, une alternation ou une consolidation identitaire. Autrement dit, sa stratégie identitaire dépendra essentiellement de deux axes. Le premier constitue le choix qu'il fera de poursuivre une légitimation de son action ou de chercher le moyen de s'accomplir. Le second est lié au fait qu'il cherche à se maintenir dans le champ médical institutionnel ou au contraire qu'il cherche à s'en éloigner. Le processus de justification médicale va avoir des conséquences sur la gestion sociale de la mort, dans la mesure où, selon que le médecin se maintienne ou non dans le champ médical, il gardera sa centralité au sein du projet thanatologique ou la laissera au profit de la liberté personnelle de son patient.

Si l'on poursuit la réflexion en s'inspirant du modèle d'action individuée présentée par Maria Caïata242(*), il est possible de tirer les conclusions qui suivent. Selon la forme de mort légitime poursuivie, si la prise en charge du mourant se maintient dans le champ d'expertise médicale, la signification du projet thanatologique sera hétéroorientée en fonction de la position du médecin dans le champ médical, dans le souci d'une conformité aux attentes de la société. Cette conformité sera plus ou moins forte selon que le médecin revendique la légitimité de sa position ou vise la construction de l'identité subjective du mourant.

Par contre, si sa prise en charge se déroule en dehors du champ médical, la signification du projet thanatologique sera autonormée selon les convictions du mourant, dans le but de favoriser l'expression de sa singularité. Celle-ci est d'autant plus absolue que le médecin se perçoit comme un instrument de la volonté du patient et d'autant plus relative si le praticien poursuit une reconnaissance sociale de l'autodétermination du patient.

Ceci explique finalement comment, en fonction de la forme d'assistance au décès projetée, les médecins orientent leurs patients vers des structures différentes. En effet, la signification du projet thanatologique ne se déroulera pas la même manière selon que le mourant est suivi à domicile, dans une institution, dans une association, et ce, dans le domaine privé ou le domaine public.

Les différentes identités professionnelles entretiennent entre elles des rapports complexes de domination et d'intégration, dans le but d'obtenir les ressources nécessaires à pour assurer leur pérennité. Il en découle que les les processus de légitimation génèrent une « segmentation243(*) » du monde médical. Il est facile de comprendre que la diversification des lieux de prise en charge des mourants n'est pas tant le signe d'une libéralisation de l'assistance médicale au décès, mais plutôt celui d'une segmentation du champ médical autour de la question de l'accompagnement du mourant. Paradoxalement cette dynamique professionnelle, contrairement aux apparences, ne résout pas le problème du confinement social de la mort dans certains espaces sociaux, mais le masque par la démultiplication des lieux de prise en charge. Comme le laisse entendre cet extrait de témoignage : « Les gens à l'époque ont mis Rive Neuve en route, à Villeneuve, dans un certain état d'esprit, qui est sans doute assez bon, qui a servi de référence comme lieu de soins palliatifs. De l'autre, je trouvais tout de même assez inapproprié que la société évacue ses mourants cancéreux, puis plus tard sidéens à Villeneuve ou à Aubonne. Alors que cela compliquait pour les visites. (...) Mais l'idée, c'était toujours l'évacuation de la mort de l'hôpital, ça c'est quelquechose d'historique aussi244(*) »

Il paraît donc important de rappeler l'importance de penser l'accompagnement médical du mourant non pas du point de vue des conflits qu'entretiennent les différentes acceptions de l'identité médicale autour de l'assistance au décès, mais plutôt de penser à la complémentarité des diverses approches, comme permet sans doute de le faire le modèle de la mort légitime présenté ici. L'enjeu n'est plus seulement de savoir si une approche est plus éthique ou moins éthique qu'une autre, puisque les différentes justifications reposent sur des univers symboliques incompatibles entre lesquels il n'est parfois pas possible de trouver de compromis, mais de savoir si l'attente sociale d'autonomie qui transparaît même dans la gestion sociale de la mort ne pose pas un problème de fond, celui de la responsabilité respective des individus vis-à-vis du mourant.

En mille neuf cent soixante dix-huit, Jean Remy a déjà mis en évidence le fait que l'injonction sociale de l'autonomie induisait une transformation majeure dans l'exercice de la profession médicale245(*). En effet, depuis la contractualisation de la relation thérapeutique, la santé était devenue un bien privatif, au lieu d'être comme jusqu'alors soumise à la gestion et à la répartition sociale assurée par l'intermédiaire du médecin. L'émergence de la mort autonome et de la mort singulière montre que cette logique d'individualisation des rapports institutionnels est toujours à l'oeuvre et pose un problème de fond, celui de la solidarité. Car, au-delà de l'autonomie du mourant, la question de la répartition de la responsabilité entre le mourant, le médecin, les tiers subsiste. Le lien social repose aussi sur une économie complexe de la responsabilité.

Jean Remy pose comme une évidence le fait que la revendication d'autonomie implique automatiquement un appel de l'individu à la responsabilité personnelle246(*). Mais dans le cas de la mort singulière en particulier ce lien automatique ne se vérifie pas du tout. Bien au contraire, la disparition du mourant le libère de toute responsabilité, au détriment peut-être du médecin qui porte alors seul la responsabilité du choix. Les diverses pratiques de l'assistance au décès interrogent donc aussi les modalités selon lesquelles se pense et se gère la responsabilité sociale et collective.

La singularisation du rapport au corps et à la mort pose une autre question un peu plus politique celle-ci. En effet, pour autant qu'il soit admis que la gestion sociale du corps naturel a toujours servi à fonder l'immuabilité du corps social, il apparaît que la définition de la mort légitime a toujours servi à construire les différents systèmes de pouvoir que sont la monarchie et la démocratie. Pour traiter cet aspect quelque peu inattendu et pointu de la légitimité des pratiques liées à la mort, les écrits de Georges Vigarello concernant la « bicorporalité du Roi247(*) » sont éclairants. Le regard historique de cet auteur montre que dans le corps du Souverain se confondait le corps naturel et le corps politique. Dès lors le souci (déjà médical en ce temps-là !) de prolonger la vie du Souverain était légitime, il s'agissait de garantir en quelque sorte l'immuabilité du corps social. La mort du Roi signifiait effectivement la mort de l'État.

Ainsi le souci du corps n'est pas nouveau, si ce n'est l'actuelle inversion de la proposition. Le centre de la préoccupation de l'appareil médical n'est plus le « corps du souverain », mais la « souveraineté du corps », résidence du Sujet, citoyen souverain. Le corps, espace individualisé du pouvoir démocratique et économique, devient le centre de l'attention médicale, le lieu du pouvoir subjectivé et individualisé qu'est l'autonomie. Il est étonnant de constater le transfert entre le maintien obsessionnel du corps du Roi et celui du corps du citoyen, en somme le passage d'une société fondée sur l'unité du pouvoir en un seul homme, à celui du pouvoir fondé sur le citoyen, élément du pouvoir agrégé qu'est la démocratie, chaque citoyen étant créancier d'un droit à la santé et à une mort digne et subjectivée, et ce en toute dignité.

La médecine de tout temps est dans l'ombre du pouvoir, intercédant entre le corps mystique et le corps naturel, et garante de la continuité du corps social. Mais à l'époque, elle ne s'occupait pas de signifier la mort du Souverain, la signification de la mort ainsi que renouvellement du corps mystique appartenaient au clergé. C'est en cela que la médecine moderne diverge de la médecine d'antan qui, elle, ne participait pas du sacré, mais exclusivement du politique. Aujourd'hui elle tend à vouloir s'éloigner du politique pour conquérir l'espace privé, intime du Sujet.

En toile de fond, il subsiste toujours le même souci de maintenir la coïncidence du corps mystique, sociopolitique au sein du corps naturel. Ainsi le maintien du corps traduit déjà en termes de coïncidences des lieux, des espaces et des temporalités, le souci de continuité de l'ordre social et de sa reproduction. En somme, le Souverain, qu'il s'agisse de la personne du roi ou du citoyen, ne semble jamais entièrement disposer de son corps, quelque soit les modalités de la répartition et de la distribution du pouvoir. Si le corps du roi était un équilibre entre le corps mystique et le corps politique, le corps du citoyen individu est actuellement un corps biologique avant tout, au détriment des autres corps.

La question de l'unité des corps, dans la perspective de la continuité sociale, n'en devient que plus complexe dans une société où le principe de répartition du pouvoir se base sur l'autonomie et sur la négation de tout support visible du pouvoir et de la légitimité (comme le signale Danilo Martucelli248(*)). La mort singulière annonce donc l'émergence d'un nouveau souverain, ni roi, ni même citoyen, disposant librement de son corps en tant qu'être singulier, en toute ignorance du corps mystique et existant en dehors du corps social. Mais de quel Souverain s'agit-il? De l'individu ?

* 242 CAÏATA M., S'en sortir : le faire et le dire. Retours à la conventionalité après une pratique toxicodépendante à l'époque de la réduction des risques, Doctorat présenté à la Faculté des Lettres de l'Université de Fribourg, sous la direction du Prof. Dr. M. H. SOULET, 2004.

* 243 STRAUSS A., op. cit., p. 82-84.

* 244 P4 249192 (310 : 317)

* 245 REMY J., Produire et reproduire ? Une sociologie de la vie quotidienne (tome1), Bruxelles, Editions Vie Ouvrière, 1978, p. 175

* 246 Idem, p. 179

* 247 VIGARELLO G., « Le corps du roi », in CORBIN A. et alii (s/s la dir. de), Histoire du corps. 1. De la renaissance aux Lumières, Paris, Editions du Seuil, 2005, p. 391-392.

* 248 MARTUCELLI M., op. cit., Paris, Gallimard, 2002, p. 83-93.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo