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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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II. 4. Le pouvoir et la puissance à la mesure de la pluralité

La pluralité comme condition sine qua non et condition per quam de la politique, est au coeur, sinon au fondement du pouvoir et de la puissance chez Hannah Arendt. En réalité dans la Condition de l'homme, ce qui est dit de la puissance l'est aussi du pouvoir, car tous deux présupposent et exigent la pluralité pour qu'ils viennent à être. Néanmoins, est-il possible à un individu agissant seul, contre tous, dans une ferme solitude, d'avoir le pouvoir et être puissant? Qu'en est-il du pouvoir et de la puissance politiques à la mesure de la pluralité ?

A en croire Arendt, la puissance d'une communauté politique n'est pas le fruit des instruments de violence, mais de l'action et la parole des tous. En conséquence, une puissance qui n'est pas actualisée, c'est-à-dire une puissance qui n'est plus rendue possible par la présence permanente des citoyens égaux, finit par disparaître. La solution la meilleure pour une actualisation incessante de la puissance réside dans un `tenir-ensemble' de l'action et de la parole. Cela devient patent lorsque la parole et l'action de tous se communiquent,  lorsque les mots ne sont pas vides, ni les actes brutaux, lorsque les mots ne servent pas à voiler les intentions mais à révéler les réalités, lorsque les actes ne servent pas à violer et détruire mais à établir des relations et créer des réalités nouvelles. »63(*)

Toutefois, la puissance qui assure l'existence du domaine public, de l'espace potentiel d'apparence entre les hommes agissant et parlant, n'est pas à confondre avec la force ni l'énergie qui est la qualité naturelle d'un individu isolé, parce qu'elle ne jaillit que parmi les hommes lorsqu'ils agissent et défaille dès qu'ils se dispersent.

Force est d'admettre que la puissance, eu égard à son aspect possible et non inamovible, est pleinement indépendante des facteurs matériels, du nombre ou des ressources. Raison pour laquelle « un groupe relativement peu nombreux, mais bien organisé peut dominer presque indéfiniment de justes empires populeux et [...] que des petits peuples l'emportent sur de grandes et riches. »64(*)

A l'origine de la puissance se trouve le rassemblement des hommes, et ceux-ci doivent vivre assez près les uns des autres pour que les possibilités de l'action soient toujours présentes. C'est la puissance, en tant qu'organisation de tous, maintient la cohésion des citoyens. C'est ainsi qu'elle n'a pas des limitations physiques dans la nature humaine et dans l'expérience corporelle de l'homme, comme il en est le cas pour la force.

S'agissant du pouvoir, il faut noter qu'il correspond pour commencer à la condition de pluralité. L'omnipotence n'existe pas dans la politique arendtienne, car elle est destructrice de la pluralité.

le pouvoir correspond à l'aptitude de l'homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n'est jamais une propriété individuelle : il appartient à un groupe et continue de lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n'est pas divisé. Lorsque nous déclarons que quelqu'un est « au pouvoir », nous entendons par là qu'il a reçu d'un certain nombre de personnes le pouvoir d'agir en leur nom. Lorsque le groupe d'où le pouvoir émanait à l'origine se dissout [...] son « pouvoir » se dissout également.65(*)

Dans les conditions de la vie humaine, il n'y a d'alternative qu'entre la puissance et la violence. Celle-ci peut être exercée par un seul homme sur ses semblables et peut être aussi acquise par un groupe d'hommes jusqu'à en posséder le monopole. Seule la violence, contrairement à la force, peut détruire la puissance sans pour autant la remplacer. De là résulte la combinaison politique de violence et de l'impuissance qui se déploie de manière spectaculaire et véhémente, mais dans une futilité totale, ne laissant ni monuments ni légendes, à peine assez de souvenirs pour figurer tout au plus dans l'histoire. Cette combinaison de violence et d'impuissance est ce que Arendt appelle la tyrannie.66(*)

La crainte séculaire qu'inspire la tyrannie, comme forme de gouvernement, ne vient pas seulement de sa cruauté, puisque le nombre des tyrans bienveillants et des despotes éclairés l'atteste, mais de l'impuissance et de la futilité auxquelles elle condamne les souverains autant que les sujets. C'est ici que Arendt évoque l'intuition enrichissante de Montesquieu sur  les formes de gouvernement : Montesquieu comprit que la grande caractéristique de la tyrannie est de dépendre de l'isolement parce que le tyran est isolé de ses sujets et les sujets sont isolés les uns des autres par la peur et la suspicion mutuelle. C'est pourquoi la tyrannie n'est pas une forme de gouvernement parmi tant d'autres : elle contredit la condition humaine essentielle de pluralité, dialogue et communauté d'action, qui est la condition de toutes les formes d'organisation politique.67(*)

En outre, la tyrannie empêche la puissance de se développer dans sa totalité ; autrement dit elle produit l'impuissance aussi naturellement que les autres systèmes politiques produisent de la puissance : la tyrannie se caractérise toujours par l'impuissance des sujets qui ont perdu leur faculté humaine d'agir et parler ensemble ; mais elle n'est pas ipso facto marquée du sceau de la stérilité parce qu'on peut y trouver l'émergence des arts et des métiers.68(*)

Il résulte de ce qui précède que le pouvoir et la puissance chez Hannah Arendt ne sont jamais la prérogative d'une seule personne, fût-il le premier de la polis. Le pouvoir et la puissance naissent parmi les hommes qui se rassemblent par la mise en commun de leurs paroles et de leurs actions. Il n'y a donc pas de pouvoir absolu ni de puissance absolue :

le pouvoir est donc phénomène collectif qui surgit, non de la rivalité, mais de la communication où les opinions s'échangent sans qu'un individu ou un groupe possède jamais la capacité de déterminer les décisions des autres ; son expression normale est l'interaction (l'interlocution), non la compétition qui suppose un vainqueur.69(*)

Comme nous pouvons le remarquer, par les implications politiques de la pluralité, nous sommes de plein pied dans un communauté politique où rien ne sait se réaliser sans l'apport ni la présence constante de tous les citoyens aux différents niveaux de l'administration de l'Etat. C'est ainsi que Hannah Arendt prend la pluralité pour fondement et pour mesure du leadership politique.

* 63 Idem, p. 225.

* 64 Ibidem.

* 65 Hannah Arendt, Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 153.

* 66 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 227.

* 67 Ibidem.

* 68 Ibidem.

* 69 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 100.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery