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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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III. 1. 3. Le leadership hobbesien : Léviathan ou `dieu mortel'

A en croire Hannah Arendt, le leadership que Hobbes impose s'origine dans sa conception de l'homme, car celui-ci n'est pas un animal politique ni un être de langage comme le soutiendrait Aristote. L'homme hobbesien est un meurtrier en puissance ; un être enclin à la violence et à la `guerre de chacun contre chacun' : la rivalité, la méfiance et la fierté (la réputation) sont les trois causes principales de la querelle qui se trouve dans l'être même de l'homme.91(*)

Par conséquent, si l'homme était vraiment la créature que Hobbes a voulu voir en lui, C'est-à-dire un être usant de violence pour se rendre maître de la personne d'autres hommes et pour protéger ses biens, il serait incapable de construire le moindre corps politique. Les hommes ne peuvent pas tirer aucun d'agrément de la vie politique, là où il n'y a pas de pouvoir capable de les tenir tous en respect.92(*) Ainsi, le souverain qui doit diriger des hommes capables de nuire aux autres et de se détruirent mutuellement, doit avoir un pouvoir absolu à la hauteur de toutes les violences des citoyens réunis. Cette conception de l'homme, soutient Hannah Arendt, n'est qu'un alibi pour soutenir la nécessité du Léviathan.93(*)

L'Etat hobbesien est un Commonwealth qui aurait pour base et pour fin ultime l'accumulation du pouvoir du souverain. Ainsi, la soif du pouvoir doit être la passion fondamentale du leader qui est lui-même l'Etat.94(*) De cette vision de l'Etat se dégage une conception biaisée de l'égalité : une égalité des hommes qui se définit, ou qui a son fondement dans le fait que chaque homme a par nature assez de pouvoir pour en tuer un autre. L'égalité des hommes en tant que meurtriers en puissance place tous les hommes dans la même insécurité, d'où le besoin d'un Etat fort. La raison d'être de l'espace politique est celui de la sécurité éprouvée par l'individu qui se sent menacé par tous ces semblables comme potentiels meurtriers.95(*)

Ainsi, le leadership hobbesien se présente et se résume par l'image insolite du Léviathan : ` Non est potestas Super Terram quae comparetur ei', pour dire `Sur terre, il n'a point de pareil'. S'inspirant du livre de Job, Hobbes nous présente un leader, au coeur dur comme le roc, pour qui le fer n'est que paille et l'airain, du bois pourri :il n'a point de compte à rendre à personne, et tout ce qui est sous les cieux est à lui.96(*)

A n'en point douter, le Léviathan est l'image d'un pouvoir absolu, d'un guide omnipotent. Un tel guide qui n'a point de pareil sur terre, n'a pas besoin d'agir parmi ses pairs, car tout autre homme est son sujet. Seul le guide doit être au début et à l'achèvement, par le truchement de ses sujets, de l'initiative. En conséquence, la pluralité se trouve mise à mal, car la force ou la violence devient le monopole du souverain dans un processus sans fin d'acquisition.97(*) Dans la loi du Léviathan comme pouvoir accumulé et monopolisé dans les mains d'une seule personne, il est uniquement question d'obéissance absolue, du conformisme aveugle des citoyens.

Bien plus, l'espace politique de Hobbes est un espace qui ne s'est pas encore affranchi du stade du `travailler' et de l'`oeuvrer' que Hannah Arendt considère comme apolitiques. Les hommes qui sont dans cet espace public ne viennent pas pour mettre en commun leurs paroles et leurs actes pour une histoire commune, et accomplir les plus grandes choses que leurs vies privées respectives ne sauraient jamais offrir. Mais, ils viennent en se confiant au Léviathan pour protéger leurs biens privés, c'est-à-dire leurs intérêts individuels. Il n'y a point de puissance qui naît du rassemblement libre des égaux : exclu de toute participation à la conduite des affaires publiques qui concernent tous les citoyens, l'individu perd sa place légitime dans la polis et son lien naturel avec ses semblables.98(*)

Il faut donc comprendre que chez Hobbes, conformément aux analyses de Hannah Arendt, le pouvoir est foncièrement réduit à la catégorie du `faire' où est exclu l'agir concerté. Il devient essentiellement et exclusivement le moyen d'arriver à une fin qui est l'accumulation des richesses. Hobbes présente donc un leadership au profit de la bourgeoisie.99(*) Et c'est pour justifier cette accumulation du pouvoir et des richesses qu'il s'appuie sur la théorie de l'état de nature, la condition de guerre perpétuelle de tous contre tous. Par conséquent, le Léviathan impose une soumission absolue à son pouvoir, autrement dit, une peur omniprésente et irrépressible. Car la prospérité de l'Etat tient à l'obéissance de tous à un seul homme : le souverain est pris pour un dieu et sa règle d'or c'est son seul maintien au pouvoir. Puisqu'il est un dieu, il exige du citoyen le refus d'autres dieux : `non habebis deos alienos', `tu n'auras point d'autres dieux'.

En fin de compte, le Léviathan se résume à un gouvernement de la tyrannie, et le nom de la tyrannie ne signifie pas autre chose que le nom de la souveraineté d'un seul. Pour Hobbes, le roi dont le pouvoir est limité n'est pas supérieur à ceux qui ont le pouvoir de limiter le sien. Ainsi, il faut un pouvoir supérieur, suprême et souverain : « il est donc tout à fait clair [...] que le pouvoir souverain, qu'il réside en un seul homme, comme dans une monarchie [...], est tel qu'on ne saurait imaginer que les hommes en édifient un plus grand.»100(*) Le système hobbesien réside précisément dans le postulat du pessimisme anthropologique : le pari fait sur la méchanceté humaine justifie la manipulation du Léviathan. Le conatus du leader hobbesien, conatus d'autoconservation, consiste dans l'accroissement du pouvoir sur la multitude, dans l'affirmation et l'expansion du moi individuel.101(*)

* 91 Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Sirey, 1971, pp. 123-124.

* 92 Idem, p. 123.

* 93 D'après Hobbes, pour rendre l'accord constant et durable entre les hommes, il faut un pouvoir commun qui les tienne en respect et dirige leurs actions en vue de l'avantage commun. Dès lors, il faut désigner un seul homme à la tête de l'Etat pour assurer la personnalité de tous les hommes. Ainsi, chacun doit soumettre sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme. Cela va plus loin que le consensus : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun : j'autorise cet homme de me gouverner moi-même, à cette condition que je lui abandonne mon droit et que j'autorise toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une République. Telle est la génération de ce grand Léviathan, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection.

* 94 L'essence de la république est une personne unique telle qu'une multitude d'hommes se sont faits, chacun d'entre eux, par des conventions mutuelles qu'ils ont passées l'un avec l'autre, l'auteur de ses actions, afin qu'elle use de la force et des ressources de tous, comme le jugera expédient, ne vue de leur paix et de leur commune défense.

* 95Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, p. 140.

* 96 Cfr. la Bible de Jérusalem, Job 41.

* 97 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 40.

* 98 Idem, pp. 143-146.

* 99 Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, p. 139.

* 100 Thomas Hobbes, Op.Cit., p. 219.

* 101 Mariam Revault D'allones, « La persévérance de la polititique », in Ontologie et politique. Actes du Colloque Hannah Arendt, Paris, Editions Tierce, 1989, pp. 50-51.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld