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Une gestion des terres conflictuelle: du monopole foncier de l'état à  la gestion locale des Mongo (territoire de Basankusu, République Démocratique du Congo).

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par Ulysse BOURGEOIS
Université d'Orléans - Maà®trise de géographie 2009
  

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Chapitre 5

L'interdépendance entre la structure familiale et la gestion des terres

« Dans la conception endogène et traditionnelle, l'affectation de l'espace vise principalement à assurer la reproduction du groupe dans ses dimensions matérielles, sociales et idéologiques ».

Le Roy E.70(*)

Pour illustrer les interactions entre l'appropriation des terres et la société, le cas d'un clan va être présenté. Il s'agit du clan Bokolo, aujourd'hui divisé en plusieurs lignées. Certaines de ces lignées ne sont pas originaires du groupement, et d'autres y vivent depuis très longtemps. Cette différence est intéressante dans la mesure où les situations ne sont pas les même selon que les lignées sont dites autochtones ou allocthones.

Les informations cartographiques ont été obtenues par des relevés GPS, avec les différents chefs de lignées. Toutes les terres ne vont pas être concernées par cette cartographie participative. Les domaines forestiers sont exclus, il s'agit seulement du finage agricole. Les forêts de chaque lignage sont en effet très étendues (plusieurs kilomètres de long pour les lignages originaires du village), et le manque de temps pour les recherches n'a pas permis de réaliser cette cartographie.

1. La généalogie et l'évolution du finage.

La structure familiale et la manière dont elle change dans le temps se répercute sur l'appropriation des terres. Un lignage présent il y a 100 ans sur des terres peut aujourd'hui avoir engendré plusieurs autres lignages. Chaque groupe a donc obtenu des terres pour ses activités agricoles ou autres. Cette évolution de la structure sociale va donc se traduire par une fragmentation accrue des terres. Cette corrélation entre la société et le foncier est un trait marquant de la société Mongo, et l'imbrication entre les deux est très forte. C'est ce que tente de montrer les deux schémas suivants. Ces évolutions se font sur une échelle de temps importante, au minimum un siècle. Il n'est pas possible de dater cela avec précision.

Figure 7 (à gauche) et 8 ( ci-dessus à droite).

On constate que le clan s'est fractionné au fur et à mesure que la population de chaque famille a augmenté. L'espace autrefois réservé à un lignage est donc logiquement devenu trop restreint, et le clan s'est séparé en deux lignages. Cela a permis à chaque lignée d'avoir des terres plus vastes, sans que la proximité engendre des conflits d'usages. Ensuite, et c'est la période la moins éloignée dans le temps, d'autres lignées ont été accueilli par les lignées propriétaires des terres. Cet accueil a sûrement été réalisé lorsque l'activité agricole n'était pas aussi importante qu'à l'heure actuelle. En effet, il ne serait plus possible pour les lignages Bokewa et Elumbu que d'autres lignées puissent disposer de terres agricoles. Par ailleurs, un lignage peut accepter d'accueillir des lignées, seulement pour les habitations, et non pas pour les terres agricoles. Ainsi, les habitations du lignage Nkoy se trouvent sur les terres de Bokewa, mais c'est Elumbu qui lui a donné des terres agricoles.

Le pouvoir du clan s'est transmis dans la lignée Elumbu, car l'ancêtre Bokolo y est affilié par la parenté. Il faut préciser que le clan n'est plus une structure importante à présent. Le pouvoir des clans est de moins en moins fort. Peut être pas dans toute la région, mais, ce sont les lignées qui ont actuellement de l'importance. Même si certaines cérémonies ont toujours lieu à l'échelle du clan, ce type de pouvoir disparaît peu à peu.

2. La répartition des terres entre les lignées du clan Bokolo.

A. Vue générale des terres et des lignées.

Nous allons donc nous pencher plus en détail sur le partage de l'espace entre les lignées. Cet espace est approprié dans la mesure où il est exploité par la population. Etant donné que le travail garanti des droits de propriétés, chaque espace où travaille telle ou telle lignée lui appartient.

On constate tout d'abord que les lignées présentes depuis longtemps sur ces terres vont avoir de plus grandes terres que les lignées qui ont été accueillies plus récemment. La carte schématique ci-dessus permet d'observer cela. Cette carte ne représente pas l'ensemble du clan Bokolo. Il ne comprend pas le lignage Bokewa. Néanmoins, les lignées présentes permettent d'observer des cas variés : des lignées anciennes et d'autres récemment installées sur les terres du clan.

Figure 9 :

On peut observer comment est organisé l'espace « vital » de chaque lignée. Les limites entre les différents lignages sont souvent liées à des éléments naturels qui servent principalement de repères dans le paysage. Les habitations sont situées le long de la route, et c'est de manière concentrique par rapport à la route que se déploie l'espace agricole. En effet, les terres autour des routes sont essentiellement liées à l'agriculture, et aux plantations. On constate aussi une certaine répartition des sources. On peut voir que le lignage Elumbu dispose de deux points d'eau, contrairement aux autres lignées. Plus l'espace lignager est vaste, plus la lignée est ancienne sur ces terres. Ainsi, entre les lignées Iyokwa et Bokwala (non-originaires du village), il peut y avoir des disparités. La lignée Iyokwa est en effet plus ancienne que Bokwala, la superficie des terres exploitées va donc être plus importante.

Pourtant, ces deux lignées se trouvent dans une situation de plus en plus exiguë : le manque de terre entraîne une exploitation agricole de tout leur espace respectif. Cela entraîne dans certains cas des conflits d'usages.

B. L'espace propre à chaque lignée.

1. Les lignées dont les origines généalogiques sont étrangères au village.

Figure 10 : Figure 11 :

Ces deux représentations des terres lignagères montrent comment sont réparties les terres au sein des lignages, et cela montre aussi quelles peuvent être les différences entre deux lignées non-originaires du village.

Les terres du lignage B (à droite) ont une superficie assez faible. Cela va avoir des conséquences, car les fils du chef de la lignée ne vont pas pouvoir accueillir d'épouses facilement car les terres ne peuvent plus s'étendre. Lors d'un mariage, c'est la femme qui, en théorie, vient vivre sur les terres de l'époux. Pourtant, lorsque cela est difficilement possible, l'époux peut obtenir de la part de la lignée de l'épouse des terres si ce lignage en dispose. Ainsi, un fils s'est marié avec une femme du groupement voisin, ce qui permet de cultiver plus facilement que sur l'espace représenté ci-dessus. On peut voir qu'il y a des friches dans la partie sud de la route. Cela vient du fait que la terre n'a pas pu être cédée à nouveau à cause de rivalités avec la lignée qui peut autoriser la mise en place d'une autre plantation. Les propriétaires sont la lignée Elumbu, et ils ne permettent pas au lignage B. de renouveler sa palmeraie. C'est un phénomène plutôt néfaste pour la lignée B dans la mesure où on lui refuse d'exploiter la terre, et ainsi, elle doit chercher à étendre ses terres pour vivre, en dehors du village. Le mariage dans ce cas est donc un moyen de s'approprier la terre car il peut donner des droits d'exploitation.

Le lignage I ( à gauche), est lui aussi de petite taille. Néanmoins, il dispose de palmeraies, et d'espaces agricoles plus étendus que pour le lignage précédent. Les terres sont réparties entre les hommes les plus âgés du lignage. Chaque frère a donc ses propriétés : plantations et champs. Un des deux frères dispose de plus de terres que l'autre (en vert sur le schéma). Cela s'explique par le fait que le frère aîné n'est plus en mesure de travailler la terre à cause de son âge. Ses propres parcelles ne sont donc plus exploitées et sa palmeraie n'est plus vraiment entretenue. Le travail d'entretien d'une palmeraie est en effet difficile et doit bien évidemment être continuel dans le temps.

On peut voir qu'un des jeunes fils a obtenu une terre qui lui est propre (en jaune). Il y pratique l'agriculture. C'est son père biologique qui lui a donné une parcelle cultivable dans une ancienne jachère, comme c'est très souvent le cas. Le père est libre de répartir à ses fils des terres selon sa propre volonté. Par exemple, un fils est très travailleur : le père va lui donner à exploiter des terres vastes au possible. Il n'y a pas de règle précise, mis à part qu'un père ne peut pas refuser à un de ses fils de cultiver une parcelle. Ce système de répartition des terres est différent de la mise en place d'une palmeraie. Il est plus complexe qu'un jeune fils dispose d'une palmeraie, du fait du coût élevé inhérent à sa mise en place. De la même manière que le fils dispose de son propre espace pour cultiver, il va disposer de sa propre maison familiale. Les deux semblent fréquemment corrélés.

On observe aussi que l'espace réservé aux jachères est plus faible, dans la mesure où la pression sur les terres s'accroît plus le lignage devient étendu. La durée de culture est de deux années environs, la jachère elle nécessite quatre ou cinq années pour pouvoir être à nouveau mise en culture. Donc, la pression est forte sur un espace bien délimité, ce qui peut entraîner, au fur et à mesure que la population du lignage s'agrandit, une augmentation des terres cultivées en zone de forêt primaire. Elle se situe au delà de l'espace représenté sur ces deux schémas.

2. Une lignée ancienne sur ses terres.

Figure 12.

Nous allons maintenant nous pencher sur les terres du lignage E., qui sont plus vaste que les terres des deux précédentes lignées. Elles sont réparties entre trois personnes : trois frères, soit les hommes les plus âgés du lignage. Ces propriétés semblent réparties de manière homogène entre les trois personnes, mais l'exploitation de chacune de ces propriétés ne va pas être similaire. Ainsi, un des frère est absent et ses terres (en jaune) ne vont donc pas être exploitées. C'est pour cela que l'on observe des jachères ou des friches. En revanche, les parcelles de couleur verte sont exploitées entièrement. On y trouve des champs de maïs et de manioc principalement. A noter qu'il n'y a aucune palmeraie, faute de moyens financiers. Les jachères sont importantes, ce qui permet de supposer que la pression sur les terres est moins forte que pour les deux lignages observés précédemment. On remarque aussi la mise en location d'une parcelle (en bleu). Cette location a été octroyée à une personne extérieure au village, pour la durée d'une récolte. Cela traduit un certain pouvoir sur les terres dans la mesure où octroyer une parcelle ne peut se faire que si les terres du lignages sont vastes. C'est pour cela que les lignées non-originaires du village ne peuvent pas se permettre de mettre une parcelle de terre en location.

C. Un acteur prépondérant en matière foncière : le chef de lignée.

Nous allons voir quelles sont les compétences des chefs de lignées sur les terres. Le chef de lignée est également appelé patriarche ou encore chef de terre. Il a un rôle très important car il gère les terres de son lignage. Il est le garant de la survie des membres de sa famille au sens large.

Transmis par la descendance du côté masculin, le pouvoir sur la lignée revient donc à l'homme le plus âgé. Ensuite, ce sera le fils aîné qui sera investi comme chef. Cette règle de transmission du pouvoir est ancienne, et c'est pour cela que l'on parle de chef coutumier. Le chef de lignée ne choisit pas son héritier, ce sont les règles mises en place par les ancêtres qui déterminent qui obtiendra le pouvoir, lors de la mort du chef. Il faudrait mieux parler de représentant du lignage plutôt que de chef. En effet, l'idée de chef tel qu'on l'entend en Europe n'a pas la même fonction. Il ne s'agit pas de gérer les terres et les « affaires » du lignage selon la simple volonté du chef. Il y a des impératifs à respecter, comme par exemple, permettre aux générations futures d'avoir un espace où exploiter la terre. Ce pouvoir à donc aussi pour but de conserver les acquis du lignage, pour que les descendants n'aient pas de problèmes pour obtenir des terres. En effet, le chef est responsable de tout le lignage, et son pouvoir peut aller à l'encontre de la population qu'il représente. Par exemple, si ce dernier vend des terres. De la même manière que la vente de terre n'est pas bien perçue par la population Mongo, un chef de terre se doit aussi d'exploiter ses terres, car ne pas utiliser l'espace (friches) peut être une raison d'appropriation par les lignages et familles voisines. Laisser la terre à l'abandon est mal considéré par les membres du lignage dans la mesure où ceci est vu comme une mauvaise gestion, ce qui peut entraîner des tensions entre les personnes d'un même lignage. Voici comment un chef de lignage perçoit une gestion mauvaise :

« Lui, il est chef, mais il ne s'occupe pas [de ses terres]. Mais pour l'usage, il fait peut-être l'usage abusif en vendant des terres aux autres, ou bien il vend pas, mais s'il laisse la terre comme ça, les autres peuvent l'envahir, alors il n'est pas un bon chef. Mais de toute façon, il reste quand même chef. On doit le respecter, et si il y a quelque chose qui ne va pas, on doit le consulter71(*)». 

C'est le chef de lignage qui a le pouvoir d'allouer des terres, ou de mettre à disposition des parcelles agricoles. Evidement, le chef de lignage est tenu de rester vivre sur les terres du lignage dont il a la responsabilité. S'il décide de vivre en zone urbaine par exemple, un autre chef est investi du pouvoir. Il n'existe pas de terre sans représentant. Les disparités entre les lignage peuvent être fortes. Par exemple, certains lignages peuvent être composés de peu de personnes, tandis que d'autres vont être très peuplés. Lié à l'attrait des pôles urbains et à l'exode rurale, chaque lignage doit impérativement garder au moins une famille de peur de se voir approprier les terres par les lignages voisins. Lorsque beaucoup de membres d'un lignage sont partis vivre ailleurs, les familles restantes vont donc être en position difficile car ils peuvent subir des pressions pour que leurs terres soient cédées. Il est important pour un lignage d'avoir une descendance masculine pour ne pas perdre la propriété des terres. En effet, les filles sont amenées à quitter les terres de leur lignage (en général car il existe toujours des contre-exemples). Donc, il est important pour une famille d'avoir des fils pour s'occuper des propriétés. Cela est encore plus vrai pour les plantations (par exemple pour les palmeraies) car ce sont les hommes qui s'occupent de ce type de travail. Si une lignée n'a pas de descendance masculine, la propriété du lignage est donc mise en danger. Le travail du chef (ou du père de famille) a aussi pour but d'être transmis à ses enfants.

Synthèse

L'imbrication entre la sphère sociale et l'appropriation des terres est très forte. C'est la société qui détermine comment vont être réparties les terres. Les lignées disposant d'ancêtres lointains sur les terres disposent de pouvoir plus fort sur les terres que les lignées arrivées plus récemment sur les terres claniques et/ou lignagères.

L'appropriation se fait par lignage, et c'est au chef de lignée que revient la responsabilité de la gestion des propriétés collectives. Etant donné que c'est l'usage et le travail de la terre qui est le principal garant de la propriété, le rôle du chef est primordial pour les générations futures de son propre lignage. La gestion des terres propres au lignage est libre dans la mesure où le pouvoir de chef ne dépend pas d'une autre autorité.

Cependant, la responsabilité sur les terres est importante, si bien qu'une mauvaise gestion de cet espace peut avoir des conséquences graves pour les membres du lignage. Le plus souvent, il s'agit de conserver les acquis, et dans un contexte de pression foncière accrue, et de migrations vers les pôles urbains, le rôle de chef tend à prendre de l'importance. Ainsi, lorsqu'une lignée cède, par la vente ou la location, trop de terres, les membres de la lignée peuvent subir les conséquences de cette gestion.

PARTIE III :

Les relations difficiles entre deux manières

de gérer les terres

Après avoir tenté de comprendre l'organisation foncière des populations Mongo, nous allons donc nous pencher sur les problèmes que cela génère. Ces problèmes, ou ces tensions sur les terres sont parfois à l'origine de conflits, qui vont avoir lieux entre différents acteurs, et donc à des échelles très variables.

Il y a une grande variété de conflits. Ils peuvent concerner seulement une famille, ou encore concerner deux clans, mais aussi, des entrepreneurs privés et des ayant droits, des chefs coutumiers et les autorités d'Etat, etc. Une typologie des conflits va être établie selon qu'ils concernent le village seulement, les concessions privées, ou l'Etat. Nous verrons ensuite comment peuvent être résolus ces conflits : quels sont les acteurs qui interviennent ? Autrement dit, comment sont localement gérés les conflits, et dans quels cas vont-ils devant la justice provinciale ?

* 70 Le Roy E., « L'appropriation et les systèmes de production ». In, Le Bris E.., Le Roy E. &

Mathieu P. (1991). L'appropriation de la terre en Afrique Noire. Manuel d'analyse, de décisions et de

gestion foncières. Karthala, Paris, p.33

* 71 Entretien réalisé dans la localité de Boondjé (avril 2009) avec Bangundu Luyéyé et D. Likemba

Bokoto.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon