4. Les ateliers autonomes en petite section : analyse
de pratique
Une rentrée à tâtons
Je traiterai ici de la manière dont j'ai fait
évolué mes ateliers durant mon stage filé en petite
section de maternelle. Au début de l'année scolaire, c'est avant
tout l'effectif chargé de la classe qui m'a inquiété : 29
élèves. Plus que démuni face à un tel public et
dépourvu d'une quelconque expérience en termes de gestion de
classe, j'en suis arrivé à la première hypothèse
que les ateliers n'avaient pour autre but que de permettre à
l'enseignant de se débarrasser du plus grand nombre afin de pouvoir se
consacrer à un petit groupe.
Mes matinées furent donc rapidement établies
autour d'un déroulement identique (cf. Annexe 1). Après les
rituels et les activités physiques et sportives, je divisais la classe
en deux. Je confiais la première moitié à mon ATSEM sur
des travaux d'arts visuels, tandis que je prenais la seconde avec moi sur des
apprentissages dont je m'estimais alors le seul et légitime garant. En
effet, n'étant pas très versé dans les arts, cette
solution me permettait de me délester d'une matière que je
n'envisageais que peu ou prou comme vectrice d'apprentissages.
J'appris bien évidemment qu'un tel raisonnement
était absurde. Ce sentiment de me débarrasser d'une
matière, et par conséquent d'une partie des élèves,
était très amplement perçu par ces derniers. Outre le fait
que je ne prenais pas suffisamment de temps pour faire entrer les
élèves dans l'activité, le fait que je ne prenne pas le
temps de m'intéresser à leurs travaux ne les encourageait pas
à fournir un travail appliqué, ce malgré l'énergie
déployée par l'ATSEM que j'avais lâchement
abandonnée à ce triste compromis. Il résulta de tout ceci
des travaux le plus souvent ratés, ou plus exactement traités
autrement que les objectifs que j'avais fixés.
Avec la seconde moitié de classe, que j'avais
placée sous ma responsabilité, les résultats
demeurèrent mitigés mais néanmoins encourageants pour la
poursuite de ma réflexion sur l'autonomie. En début
d'année, j'avais décidé de me pencher
particulièrement sur le graphisme. Ainsi les ateliers que j'ai
proposés en première période se sont portés sur la
ligne. Avec le recul, je sais que proposer une notion si abstraite à des
petites sections était ambitieux. En effet, dès les
premières séances, j'ai particulièrement peiné
à me faire comprendre de mes élèves sur ce que j'attendais
d'eux. Nous avons tendu des ficelles dans la salle de motricité,
tracé des lignes avec le doigt dans le vide, dans de la farine, sur le
tableau avec des craies... Rien n'y faisait, le concept de ligne ne faisait pas
mouche dans l'esprit des élèves.
Je crois aujourd'hui que ces échecs étaient,
outre mon inexpérience, dus au fait que je cherchais trop à
guider les élèves dans leurs manipulations. En effet, quel ne fut
pas mon contentement d'observer que le déclic se fit un jour où
j'avais décidé de me mettre en retrait des élèves.
J'avais confié aux élèves de la pâte à
modeler et un jeu d'assemblage en forme de chenille. J'avais formé un
colombin de pâte à modeler à l'extrémité
d'une grande table, positionné la chenille à côté,
et placé une pomme à l'autre extrémité de la table.
Ma consigne avait alors été la suivante : « La petite
chenille a très faim ! Elle a envie d'aller croquer la pomme à
l'autre bout de la table. Vous allez l'aider en lui montrant le chemin qu'elle
doit suivre avec la pâte à modeler ». Les
élèves devaient donc à leur tour faire des colombins et
les aligner de telle sorte entre eux qu'ils forment une ligne de pâte
à modeler reliant la chenille à sa pomme. Mon rôle
consistait uniquement à faire grandir la chenille, avec de plus en plus
d'éléments amovibles, au fur et à mesure que la ligne
s'étirait.
Cette séance fut un succès. Non seulement la
chenille put arriver sans encombres vers sa pomme en suivant une ligne
relativement droite, mais je fus surtout enthousiasmé par la
manière dont cette activité mobilisa tous les
élèves. Chacun s'affairait avec sa pâte à modeler et
venait petit à petit apporter sa contribution à la
réalisation commune, le tout sans chamailleries, bousculades ou
chapardages. J'en vins donc à la conclusion que des
temps d'autonomie, sous le regard bienveillant du maître, étaient
incontournables dans certains apprentissages et je décidai alors de
refondre l'organisation et le contenu de mes ateliers.
Un casse-tête rotatif
A partir de novembre et au vu de mes observations
précédentes, j'ai remanié le déroulement de mes
séances et de la mise en apprentissage des élèves. J'ai
conservé la scission en deux groupes classe distincts, l'un avec l'ATSEM
et l'autre sous ma responsabilité. Cependant, j'ai divisé ce
second ensemble en trois petits groupes, d'environ cinq élèves,
que je faisais tourner durant la demi-heure que je leur consacrais.
Ainsi, pendant que le premier ensemble faisait des arts
visuels, et ce malgré les inconvénients cités
précédemment, je poussais plus avant ma réflexion sur
l'autonomisation des élèves des trois « sousgroupes ».
Je me consacrais au premier pour un temps de langage oral, autour d'un album ou
encore de jeux en numération. Je chargeais le deuxième groupe
d'un petit travail sur fiche, généralement du graphisme ou de la
discrimination visuelle. Je laissais aux cinq élèves restants un
temps de libre manipulation d'albums au coin lecture, ayant soin de proposer
dans les oeuvres à disposition les livres lus ensemble dans la
matinée.
Cette formule m'est apparue dès le premier essai comme
amplement plus satisfaisante que mes expériences
précédentes. Cela me permettait de jouir d'un effectif plus
confortable en termes de gestion et de faire passer l'ensemble des
élèves sur les activités que j'avais fixées. Il me
restait par ailleurs suffisamment de temps à la fin des rotations pour
prendre un moment d'observation sur les travaux fournis en autonomie sur fiche.
Ce mode de fonctionnement nécessite néanmoins une réelle
rigueur quant à la constitution des groupes et à la gestion des
rotations.
En effet, il m'est bien souvent arrivé de perdre le fil
de ce que les élèves avaient réalisé dans la
matinée ou non. Je n'avais alors pas pris en compte les rythmes de
chacun et je me suis retrouvé débordé par des
élèves qui avaient fini avant les autres les arts visuels ou
leurs fiches et qui venaient me réclamer un autre travail, alors
même que j'étais en plein atelier de langage avec d'autres. Une
autre difficulté résidait dans le fait que je perdais beaucoup de
temps à passer des consignes différentes d'un atelier à
l'autre, consignes qu'il fallait répéter trois fois dans la
matinée.
Il n'en demeure pas moins que les élèves ont
vite adopté ce fonctionnement, en rien semblable avec celui de leur
titulaire. Le temps au coin lecture était perçu par eux comme un
moment de plaisir bienvenu, alors que je le mettais au service de la
découverte de l'écrit et de l'apprentissage du respect des
livres.
Un dispositif qui fait son chemin
De janvier à mars, j'ai continué à
travailler suivant ce modèle rotatif, en veillant au fur et à
mesure à en gommer les dysfonctionnement. J'ai dans un premier temps
fait évoluer les activités confiées à l'ATSEM et ce
dans un esprit d'échange constructif avec celle-ci. Je ne lui
déléguais plus des tâches que je considérais de
dégagement, mais je lui exposais, dès le matin à mon
arrivée à l'école, les apprentissages que je cherchais
à mettre en jeu dans la journée. Ainsi, je lui confiais des
activités sur fiches, principalement en numération ou en
discrimination visuelle et prélecture, en lui demandant bien de renoncer
à ses instincts protecteurs qui consistaient à ce que tous les
élèves réussissent et donc à corriger leurs travaux
avant que je ne les voie. J'avais au contraire besoin de son regard objectif
pour être en mesure d'évaluer exactement les points forts ou les
lacunes de mes élèves.
Un autre écueil subsistait cependant : la passation des
consignes. Je perdais encore trop de temps à répéter et
à lancer les ateliers. J'ai donc abandonné l'idée de
proposer de multiples domaines d'activités en une matinée pour
finalement concentrer l'énergie de tous sur un même thème.
C'est pourquoi depuis mars les journées suivent ce déroulement :
activité de découverte ou de réinvestissement en groupe
classe entier au coin regroupement, puis explication de tous les ateliers qui
vont être réalisés à l'ensemble des
élèves et enfin, répartition des élèves dans
chaque atelier (cf. Annexe 2). Ce schéma a pour l'instant le
mérite d'être applicable à tous les champs disciplinaires
proposés à l'école maternelle.
En guise d'exemple concret, je m'appuierai sur l'une de mes
dernières séquences de découverte de l'écrit autour
d'un album, Le Piano des Bois, de Kazuo Iwamura, avec lequel je
travaille en transversalité un éveil à la discrimination
auditive et à la découverte d'instruments de musique(cf. Annexe
3).
Au début de la séance, la troisième de la
séquence consacrée à l'album, je demande à tous les
élèves de me rappeler le nom des instruments de musique
figurant dans l'histoire. Au fur et à mesure, j'inscris les
réponses au tableau en lettres capitales et j'affiche l'image
correspondante à côté du mot,
puis je passe un court extrait sonore de l'instrument
cité. Une fois cet exercice accompli, j'annonce aux élèves
que je vais relire l'album et leur demande que, à chaque fois qu'ils
entendront le nom d'un instrument, ils lèvent la main et viennent le
pointer au tableau.
Dans un second temps, je distribue à chaque
élève une carte sur laquelle figure un instrument de musique. Je
passe alors un extrait sonore et les élèves reconnaissant
l'instrument figurant sur leur carte doivent la lever en l'air. A noter ici que
je veille depuis peu à favoriser une entrée ludique à
chacune des activités que je propose par la suite, que ce soit en
littérature, en numération ou autre, favorisant ainsi
l'adhésion des élèves. Il est ainsi plus aisé de
procéder à la répartition des élèves dans
les différents ateliers.
Dans le cas de cette séance, le premier demi-groupe
avec l'ATSEM avait pour travail une activité de prélecture autour
des noms des instruments de musique. Ils devaient découper et coller des
étiquettes en face des mots identiques. Pendant ce temps, les trois
ateliers rotatifs du second demigroupe avaient respectivement pour tâches
: de dicter à l'enseignant un court texte à partir de l'image de
la quatrième de couverture de l'album, de repérer et entourer les
instruments de l'histoire sur une fiche en autonomie, et de manipuler librement
l'album au coin lecture.
Ce système me semble fonctionner d'autant mieux depuis
que j'ai établi des groupes de niveaux au sein de ma classe. Je veille
donc à répartir les élèves au sein de ces divers
ateliers suivant l'homogénéité de leurs niveaux
respectifs. Je tente également depuis peu d'instaurer une forme de
tutorat entre les élèves les plus doués, finissant leur
travail en avance, à destination de ceux qui peinent. Cette forme de
responsabilisation des élèves semble porter ses fruits et
renforce la cohésion de groupe. De plus, les élèves ainsi
répartis ne viennent plus que très peu réclamer mon aide.
Évalués en temps réel, ils savent, une fois leur travail
validé par mes soins, à quels droits ils ont accès : faire
un dessin ou un coloriage, accéder au coin lecture en respectant un
système de collier ou aider un de leur camarade en difficulté.
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