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Formation professionnelle et professionnels formateurs : le cas des stages cliniques infirmiers

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par Gaà¯ta Le Helloco-Moy
Université Bordeaux 2 - Master 0000
  

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Université Victor Segalen Bordeaux 2

Faculté des Sciences de l'Homme

Formation professionnelle et professionnels formateurs :

Le cas des stages cliniques infirmiers

Travail d'Etude et de Recherche

Master 1

Mention Sciences de l'Education

Présenté par Gaïta LE HELLOCO-MOY

Sous la direction de

M. le Professeur Alain MARCHIVE

Année 2010

Université Victor Segalen Bordeaux 2

Faculté des Sciences de l'Homme

Formation professionnelle et professionnels formateurs :

Le cas des stages cliniques infirmiers

Travail d'Etude et de Recherche

Master 1

Mention Sciences de l'Education

Présenté par Gaïta LE HELLOCO-MOY

Sous la direction de

M. le Professeur Alain MARCHIVE

Année 2010

A ceux qui sont mon passé, mon présent et mon avenir ...

Je remercie,

M. le Pr. Alain Marchive pour ses encouragements et ses conseils avisés,

tous mes correcteurs attentifs et critiques,

tous les professionnels qui ont donné un peu de leur temps si précieux pour tous leurs patients,

ma famille pour sa patience et son soutien permanent.

INTRODUCTION GÉNÉRALE 9

1 - ENVIRONNEMENT DE LA RECHERCHE 10

2 - AVÈNEMENT DES SCIENCES INFIRMIÈRES EN FRANCE 11

CHAPITRE 1 ASPECTS THÉORIQUES 13

1 - Eléments nouménaux 14

1.1 - INTRODUCTION 14

1.2 - LA DIFFICILE DIALECTIQUE ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE DANS L'ALTERNANCE 14

1.3 - DE LA VALIDATION AUX COMPÉTENCES 17

1.4 - DU TUTEUR AU TUTORAT 18

1.5 - CONCLUSION 20

2 - Aspect historique 20

2.1 - INTRODUCTION 20

2.2 - 1884-1920 : NAISSANCE D'UNE FORMATION 21

2.3 - 1922-1972 : UNE FORMATION QUI S'AFFIRME 23

2.4 - 1972-2009 : ASSERTION DU SOIN INFIRMIER 25

2.5 - CONCLUSION 29

3 - Aspect législatif et sociologique du rôle infirmier lors des stages cliniques 30

3.1 - ASPECT LÉGISLATIF 30

3.2 - ASPECT SOCIOLOGIQUE 32

CHAPITRE 2 APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ET ÉPISTÉMOLOGIQUE 36

1 - Un projet 37

2 - Le difficile cheminement : vers un paradigme interactionniste 38

3 - L'action à analyser : de l'interactionnisme symbolique à l'utilisation de la microsociologie 39

4 - L'enquête 40

4.1 - L'ENTRETIEN EXPLORATOIRE (CF. ANNEXE N°2) 40

4.2 - LES SCÈNES ETHNOGRAPHIQUES (CF. ANNEXE N°3) 41

4.3 - LES ENTRETIENS AUPRÈS DES INFIRMIERS (CF. ANNEXE N°4) 42

4.4 - LES CONVERSATIONS INFORMELLES 44

4.5 - LES QUESTIONNAIRES AUPRÈS DES ÉTUDIANTS 44

5 - Traitement des données 45

CHAPITRE 3 RÉSULTATS ET ANALYSE DES DONNÉES 47

1 - Point de départ de la recherche 48

2 - Des expériences de situations de formation 49

3 - Le point de vue des étudiants 55

3.2 - CADRE INSTITUTIONNEL 56

3.3-CADRE ORGANISATIONNEL 59

3.4 - CADRE INTERPERSONNEL 61

3.5 - CADRE BIOLOGIQUE 66

3.6 - LE CAS D'ERIC : PARADOXE DE L'APPRENTISSAGE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE INFIRMIÈRE. 68

3.7 - CONCLUSION 72

4 - Panorama des professionnels face à leur fonction de formation 73

4.1 - L'ÉTUDIANT INFIRMIER : ETUDIANT MODÉLISÉ OU ÉTUDIANT MODÈLE ? 73

4.2 - LE TRAVAIL EN ÉQUIPE : MYTHE OU RÉALITÉ ? 77

4.3 - RELATION PÉDAGOGIQUE SOIGNANTS-ÉTUDIANTS 80

4.4 - LA DIDACTIQUE DES SOINS INFIRMIERS FACE À LA CONTRAINTE DU MILIEU DE SOIN 84

4.5 - ENSEIGNER CE QUI NE S'APPREND PAS 87

4.6 - CONCLUSION 89

5 - Conclusion du chapitre 3 : « la formation par corps » 89

CONCLUSION GÉNÉRALE 92

BIBLIOGRAPHIE 95

Introduction générale

1 - Environnement de la recherche

 
Mettre espace autour des tirets de tous les titres...

Alors que la société s'interroge, en France, sur ce qui peut entrainer le désespoir tel celui des salariés de France Telecom (France-Soir, 14 avril 2010), nous ne pouvons supposer qu'il s'agit là d'une situation unique, réservée à cette entreprise et simplement exacerbée par une médiatisation excessive. Bien sûr, loin de nous l'idée de penser que tous les salariés sont désespérés mais, en revanche, nous pouvons imaginer que les difficultés rencontrées et maintenant dévoilées par ces salariés ne sont pas l'apanage de cette entreprise. La gestion actuelle des hôpitaux par une volonté de rentabilité et de contrôle des coûts en est une preuve s'il en fallait.

Le système de tarification par la T2A, ou tarification à l'activité, oblige les hôpitaux à faire coïncider activité et budget. L'activité prise en compte se résume alors à l'activité médicale pure sans aucunement se pencher sur le patient en lui-même or, les patients âgés et pluri-pathologiques, par exemple, pèsent bien plus lourd en termes de soins à diagnostic équivalent, que le patient qui vient pour une seule et unique pathologie. Depuis son avènement, l'hôpital est lieu de charité pour les plus pauvres et cette origine ne lui permet pas d'être compétitif face aux cliniques privées choisissant leurs patients car il a conservé la notion de service public se refusant encore de sélectionner les patients en fonction de leur potentiel de tarification.

Heures supplémentaires, congés fractionnés, retour au travail sur des repos... le lot quotidien de plaintes des personnels hospitaliers imprègne les couloirs et forge ainsi une image d'un grand corps malade qui ne sait plus comment faire des économies. L'hôpital n'est plus le lieu où l'on dépense sans compter. Si l'on rajoute à cela les délais de prises de rendez-vous des patients ou encore l'attente dans les couloirs des urgences, on comprend qu'il est grand temps de rendre au milieu hospitalier ses lettres de noblesse, tant par la qualité des soins qui y sont prodigués que par l'ensemble des recherches qui y sont entreprises. L'hôpital lieu de formation et de recherche : rien ne peut contester cela ; c'est bien dans les CHU que sont formés les médecins et les centres hospitaliers sont les lieux les plus prisés par les étudiants infirmiers pour y effectuer leurs stages cliniques.

Aujourd'hui, l'infirmier1(*) rebute à entrer dans une institution qu'il voit comme un enfermement auquel il ne pourra peut-être plus se soustraire ; il voudrait pouvoir exercer dans l'hôpital qu'il aime sans avoir à affronter la gestion des quotas de matériel ou de médicaments.

Participant alors, malgré lui, à la pénurie actuelle que vivent les hôpitaux en terme de personnel paramédical, l'infirmier apprend le caractère économique de sa fonction et se tourne vers le plus offrant en travaillant pour le secteur privé ou associatif ou en choisissant le travail intérimaire afin de pouvoir poser ses congés sans conteste possible.

Pour rajouter une difficulté, alors que l'on perçoit déjà les changements profonds que peuvent entrainer la situation actuelle, les étudiants infirmiers ne pourvoient aux quotas définis par le gouvernement et c'est un écart de 20% selon l'étude nationale de la DREES (MARQUIER, 2006) que l'on retrouve entre les entrants en formation et les diplômés trois ans plus tard. Cette pénurie de personnel infirmier diplômé est donc une réalité dans le champ national de la santé et il nous parait important d'établir le contexte dans lequel a donc pris forme la réforme de la formation infirmière de 2009.

2 - Avènement des sciences infirmières en France

C'est le 31 juillet 2009 que l'arrêté relatif au diplôme d'Etat infirmier était voté applicable dès la rentrée de septembre 2009. Cette réforme était attendue par le corps infirmier tant pour la reconnaissance de la formation à un niveau licence que pour l'apparition des Sciences Infirmières. Les Sciences Infirmières, dans leur cursus complet jusqu'au doctorat en Sciences Infirmières, sont actuellement l'apanage du Québec et la profession infirmière, en France, souhaite depuis plusieurs années suivre ce modèle autonome et complet de cursus. Nous ne pouvons pas dire que les IFSI2(*) ne s'étaient pas préparés à cette réforme, pourtant, nous notons qu'à ce stade, le laps de temps disponible entre l'arrêté et l'application de celui-ci s'est avéré être relativement court.

La formation infirmière a ceci de spécifique, depuis toujours, d'être une formation professionnelle. Cette profession diverse et variée se disperse dans la spécialisation des différentes disciplines médicales et lieux d'exercice, de l'infirmier technicien de réanimation à l'infirmier psychiatrique en passant par le soin à domicile. Elle semble pourtant se recentrer dans la volonté d'asseoir sa spécificité en légitimant une nouvelle discipline : les Sciences Infirmières.

Parce que les Sciences Infirmières n'existeront que par la reconnaissance universitaire, leur enseignement et la réalisation de travaux de recherche, il faut maintenant utiliser les possibilités qu'offrent les autres disciplines scientifiques pour permettre l'avènement réel de ces Sciences en faisant émerger tout ce qui participe à la création de modèles conceptuels.

Les Sciences de l'Education, discipline reconnue, font parties des Sciences Humaines sur lesquelles les Sciences Infirmières commencent à s'appuyer pour forger leurs propres recherches. L'éducation infirmière tient donc à la fois du champ des Sciences de l'Education et du champ émergeant des Sciences Infirmières. La recherche présente s'inscrit dans ce processus fédératif puisqu'elle cherche à appréhender le rôle des infirmiers auprès des étudiants dans les stages cliniques.

Dans un premier chapitre, nous avons souhaité tout d'abord préciser le sens de certains termes qui nous semblaient essentiels à employer tout en accédant à un certain consensus sur l'utilisation qui en serait faite au sein de ce travail. Lors d'un second temps nous avons remis en contexte la pratique de la formation au sein des stages cliniques infirmiers pour, ensuite, replacer cette recherche à la fois dans les obligations institutionnelles et le champ scientifique dans lequel nous nous sommes inscrits. Dans le deuxième chapitre, nous avons abordé l'ensemble des questions épistémologiques et méthodologiques qui ont été soulevées et auxquelles nous avons tenté de répondre. Dans le troisième chapitre, enfin, nous avons exposé les résultats et notre analyse comme point de départ à une tentative de dépassement de la question de la construction à travers des valeurs communes ou bien qui diffèrent grâce à l'incorporation de l'essence d'une profession pour la refaire sienne et ainsi pouvoir la modifier. La prise de conscience de cette incorporation permettrait alors de dépasser l'« habitus » incorporé, le modifier et en engendrer un nouveau qui en engendrerait lui-même un autre puis encore un autre et ce à l'infini pour s'adapter au contexte sans rupture diachronique.

Chapitre 1 Aspects théoriques1 - Eléments nouménaux

1.1 - Introduction

Cette recherche se trouve à la croisée du champ de la formation et du champ professionnel et il nous a semblé indispensable de préciser certains concepts pour les intégrer ensuite dans la présente recherche au sein de l'éducation infirmière.

La doxa, au sens d'opinion commune, utilise des mots sans que nous sachions pourquoi nous prenons ceux-là plutôt que d'autres, comme si un consensus tacite existait sur le sens qu'ils prennent selon le contexte dans lequel ils sont employés. Sans penser que ce sens doive être dénié, il est pourtant indispensable de savoir ce qui se cache derrière ces mots qui sont finalement bien plus que des mots puisqu'ils représentent des concepts. Pour les stages cliniques infirmiers, comme pour tout lieu d'apprentissage, les Sciences de l'Education emploient des termes qu'elles se sont attachées à préciser et à mieux cerner dans l'ensemble de leurs travaux. Avant d'aborder notre recherche en elle-même, il nous a donc semblé important de reprendre un certain nombre de concepts en les abordant en relation avec notre recherche. Donner du sens ou plutôt redonner le sens précis à ce que nous utilisons et toujours se demander pourquoi nous utilisons ce mot plutôt qu'un autre, voici ce qu'il a semblé important de réaliser pour effectuer une recherche qui ne peut utiliser les écrits précédents, trop éloignés de l'objet ou l'observant d'un angle trop différent. L'objet de la recherche s'étant précisé rapidement pour se tourner vers la formation des étudiants lors des stages, les Sciences de l'Education ont été le domaine dans lequel nous avons le plus puisé.

1.2 - La difficile dialectique entre théorie et pratique dans l'alternance

Thierry Joutard place la formation infirmière dans la formation postscolaire (Joutard, 2008) et notre recherche souhaite plutôt sortir de ce schéma pour, justement, faire la jonction entre formation professionnelle et forme scolaire initiale pour permettre à celles-ci de puiser l'une dans l'autre sans s'opposer. Pour effectuer cette jonction, il faut malheureusement admettre qu'il existe bel et bien une distanciation entre les deux et c'est bien toute la difficile dialectique retrouvée dans ce travail. Les premières questions ont donc émergé de cette dialectique, au départ pressentie au sein de notre propre expérience professionnelle riche et variée : quelles conséquences la réforme de 2009 allait-elle avoir sur les apprentissages cliniques ? L'organisation des stages et la diminution du nombre de ceux-ci allaient-ils avoir une influence sur la qualité de la formation ?

Ces questions méritaient que nous nous intéressions tout particulièrement au statut spécifique de la formation infirmière qui se constitue par l'alternance. La formation par alternance reste aujourd'hui encore ancrée au sein de deux idées fortes (la lettre du CEDIP n°13, 2000) :


· Théorie et pratique sont deux entités à la fois opposées et complémentaires ; la pratique permet d'ancrer la théorie et « lui donne forme » ;


· Le centre de formation est le lieu privilégié de transmission de la théorie et la situation de travail, le lieu privilégié d'exercice de la pratique.

L'alternance est « le plus souvent organisée selon une logique de partage des objectifs de formation où l'entreprise se voit chargée de mettre en pratique, d'appliquer et de compléter les savoirs proposés par le « centre ». C'est alors, entre les savoirs théoriques et les savoirs pratiques, une logique de découpage disciplinaire qui prévaut. » (Geay, Sallaberry, 1999, 13) Nous nous retrouvons ainsi face à une alternance plutôt conçue comme une association d'acquisitions pratiques en situation de travail d'un côté et de théories à l'institut de l'autre côté.

La formation infirmière n'échappe pas à cette théorisation de l'alternance et même si elle revendique une alternance intégrative en actant sur les liens forts existants entre IFSI et terrains de stage, nous le verrons plus en détails ultérieurement, il n'en reste pas moins une réelle dichotomie ressentie par les étudiants entre lieux de formation et lieux de stages. Nous pourrions donner beaucoup d'exemples pour illustrer ceci mais nous nous contenterons d'en donner un, issu de notre pratique infirmière :

De retour d'un stage aux urgences en temps que stagiaire de 3e année, nous avons été confrontée à la pose, dans l'extrême urgence vitale, de cathéter veineux avec une désinfection du point de ponction sans nettoyage préalable du bras, et donc en dehors des recommandations d'hygiène de l'IFSI. Dans une attitude réflexive, nous avons donc demandé à l'IFSI quelle était la meilleure attitude à développer dans cette situation : fallait-il reposer le cathéter, une fois l'urgence vitale passée, dans les règles de l'art ou fallait-il laisser le cathéter en place pour éviter le risque inhérent à une nouvelle brèche cutanée ?

La réponse apportée a été : de toute façon, toute pose de cathéter veineux doit être faite dans les recommandations strictes d'hygiène.

Cet exemple permet de mieux préciser la difficulté de l'alternance intégrative dans le domaine des soins infirmiers car ces soins sont face à l'être humain et sa complexité, très loin d'une science exacte où l'on pourrait utiliser l'analogie totale afin de réagir à la perfection en transposant une situation vers une autre.

En effet, il faut faire confiance en la « conscience perceptive » (Bennet, 1984) des professionnels de santé et accepter que ce qui peut être au départ une vague intuition puisse relever d'une posture professionnelle à acquérir pour devenir un infirmier expert. Cet aspect de la formation infirmière ne peut que gêner formateurs et cliniciens puisqu'il ne se transmet pas par la théorie mais plutôt par une attitude d'ouverture envers ses propres sentiments et ressentiments face au malade.

Et si le mythos, récit fondateur de pratiques sociales, selon l'étymologie grecque du terme mythe ne devait pas s'opposer au logos, intelligence du discours ? Et si, pour la formation infirmière, l'intégration de savoirs théoriques et de savoirs d'action était une condition indispensable à l'autonomie professionnelle ?

Notre société s'est construite par et grâce à une forme scolaire prédominante (Vincent, 1994) où l'enseignant face au groupe d'apprenants permet la transmission des savoirs beaucoup plus rapidement que dans des relations duales. Pourtant, comme se plait à le rappeler régulièrement Michel Serres, « l'obsession pour la théorie nait chez ce petit peuple toujours en guerre civile, inférieur à tous les empires qui l'entourent, les Grecs, et leur permet, avec un effort minimum de renverser des rapports de force qui semblaient leur être à jamais défavorables. » (in Latour, 1995, 101) Nous pouvons alors nous poser la question de cette prédominance de forme scolaire actuelle : l'enseignement des savoirs se doit-il absolument d'être effectué par la parole d'un enseignant à un groupe d'élèves ou d'étudiants ? Nous aurions tendance à penser que si le récit fondateur a existé et perduré jusqu'à l'ère de l'imprimerie, il ne serait pas judicieux de le jeter au placard suite à l'arrivée d'une nouvelle forme de transmission. La transmission par l'oral et le mimétisme ont donc fait leurs preuves durant des millénaires et l'apparition de l'écrit nous a peut-être caché ce qui demeurait pourtant devant nos yeux. Loin de nous l'idée de vouloir prouver ici que ce qui relève de l'écrit et de la théorie n'a pas permis une progression fulgurante de la transmission des savoirs, cependant cette forme d'apprentissage unique n'est peut-être pas suffisante. Il apparaît donc comme essentiel, pour rester ouvert à l'amélioration de cette transmission des savoirs, de conjuguer et d'inventer sans cesse de nouvelles combinaisons des formes d'apprentissage possibles.

Espérer effacer la dichotomie entre théorie et pratique semble encore aujourd'hui un pari impossible, « sans la distinction entre savoir théorique et savoir pratique, il semble que quelque chose d'essentiel à la vie publique soit perdu. Pour certains, semblables à leurs ancêtres les Gaulois, il semble que, sans ce solide pilier, le ciel menacerait de leur tomber sur la tête. » (Latour, id.) Faire avec cette distinction est alors un challenge encore plus grand puisqu'elle souligne un peu plus cette contradiction entre théorie et pratique. Pourtant, la théorie sans pratique serait un peu comme être mère sans enfant et c'est bien de l'action que la théorie émerge. Dans la même idéologie, une pratique sans théorie serait une mère sans sentiment, elle agirait automatiquement, sans se poser de questions et toujours sur le même modèle calqué à l'infini. Immanquablement, elle engendrerait ainsi des monstres et l'humanité ne pourrait que s'effrayer de ce que cette pratique sans racine entrainerait pour l'action au quotidien.

La connaissance théorique est bien au fondement de toute pratique conceptualisée mais croire que cette théorie pourra permettre de tout maîtriser serait certes rassurant, mais empêcherait aussi cette théorie d'évoluer. « Il ne sert à rien de rejeter son intuition de praticien, ni de laisser croire qu'elle serait le mode infaillible de la connaissance du vivant. » (Cifali, 2005, 281) C'est donc dans le mouvement de va-et-vient entre théorie et praxis que la connaissance se construit, et ce que l'on soit étudiant, praticien ou chercheur. Si nous sommes maintenant persuadés de cela, il n'en est peut-être pas de même des différents acteurs de la formation infirmière. Repérer ce qui empêche ce mouvement de se faire sans entrave devrait nous aider à mieux profiter du changement essentiel que procure la réforme actuelle de cette formation. Ceci pourrait également nous permettre d'entrevoir une voie entre formation et éducation, entre savoir, savoir-faire et savoir-être, entre théorie et pratique.

1.3 - De la validation aux compétences

Avant de se centrer sur certaines compétences spécifiques apparaissant dans la réforme de la formation infirmière de 2009, nous devons ici préciser la tendance de la substitution actuelle des qualifications vers les compétences. « En effet, les notions de qualification et de compétence sont souvent utilisées pour parler globalement des qualités détenues par un individu au sein de la relation salariale - la deuxième notion (celle de compétence) semblant, ces vingt dernières années, se substituer à la première. » (Segal, 2005, 5) L'hôpital est soumis au changement sociétal comme institution reconnue à part entière et il n'est donc pas étonnant d'y voir également se substituer les compétences aux qualifications.

Jusqu'à présent, les étudiants étaient évalués par la validation d'épreuves nécessaires à l'obtention de leur qualification. Ce système est révolu, l'étudiant infirmier devra dorénavant valider des compétences pour obtenir, une fois celles-ci entièrement validées, le droit de se présenter au diplôme d'Etat. Bien entendu, la question de la validation de ces compétences reste proche de celle de l'évaluation des étudiants en stage ou, plus encore, de celle de l'évaluation lors du soin « idéal » que représentait la MSP3(*). L'obligation de partenariat entre terrain et centre de formation ainsi perdure mais n'y a-t-il pas justement un enjeu de pouvoir dans ce mélange de responsabilités vis-à-vis de l'étudiant ?

Pour l'étudiant, ces compétences à acquérir relèvent du défi individuel. Difficilement palpable, ce savoir-être doit être reconnu avant que l'étudiant puisse exercer. Comment permettre l'acquisition de ce savoir-être exigé mais inexplicable ? C'est là que l'enjeu du rôle des professionnels nous semble le plus élevé. La compétence ne relève effectivement pas uniquement du savoir-faire mais « d'une capacité stratégique, indispensable dans les situations complexes. La compétence ne se réduit jamais à des connaissances procédurales codifiées et apprises comme des règles, même si elle s'en sert lorsque c'est pertinent. Juger de la pertinence de la règle fait partie de la compétence » (Perrenoud, 1999, 16), et juger de l'usage de cette compétence en fait également partie. Cette notion de compétence entraîne donc, pour les formateurs comme pour les soignants, un certain nombre de pré-requis posturaux pour lesquels la connaissance est utile et non suffisante en elle-même, permettant à l'individu de développer une certaine autonomie et d'élaborer une attitude réflexive face à l'apprentissage.

1.4 - Du tuteur au tutorat

Le tuteur est la tige qui soutient ou protège une plante comme la personne chargée de veiller sur un mineur ou un incapable majeur. Par extension probable de l'anglais tutor, le tuteur est aujourd'hui aussi l'enseignant, l'étudiant, l'élève ou le professionnel chargé de prendre soin d'un élève, d'un étudiant ou d'un stagiaire. Dans cette vision du tuteur, on comprend bien que l'infirmier, professionnel de la relation d'aide, considère sa fonction auprès des étudiants comme une fonction tutorale.

Pourtant, l'autorité incontestable des professionnels « en tant que personnes expérimentées (...), sorte de modèle social pour les tutorés, capable de les guider de façon intense dans leur formation ou leurs apprentissages » (Baudrit, 2000), relève non pas du tuteur mais du mentor, sorte de guide conseillant le novice jugé encore incapable d'autonomie. Or, le tuteur ne doit pas être un supérieur hiérarchique dirigeant et imposant mais bien celui qui permet l'expression libre et la prise d'initiative. Nous pourrions affirmer qu'il suffit d'utiliser de jeunes infirmiers pour favoriser cette proximité mais nous comprenons alors mal la réalité des pratiques qui veut que les jeunes infirmiers ne s'occupent pas des étudiants la 1ère année de leur diplôme et il est encore plus difficilement concevable d'imaginer enlever ce rôle aux infirmiers expérimentés.

Pourtant, dans cette relation duale d'accompagnement de l'étudiant infirmier, la fonction tutorale semble bien avoir sa place ne serait-ce que part les qualités importantes pour l'exercice du tutorat : « il s'agit de l'empathie, la disponibilité, la capacité de ne pas juger, l'aptitude à donner ou à recevoir des feed-back, la disposition à mettre l'interlocuteur à l'aise. » (Baudrit, id.) A ce stade, nous pouvons donc imaginer que le tutorat se pratique dans l'éducation en soins infirmiers mais qu'il ne doit pas toujours être la seule fonction utilisée dans les stages cliniques, du fait de la proximité fluctuant selon les statuts et expériences de chaque protagoniste.

Et si l'on considérait l'infirmier comme un tuteur professionnel tel que dans les formations professionnelles par alternance en entreprise ? Sur le plan législatif, un tuteur est « un employé de l'entreprise chargé d'encadrer, de former, d'accompagner une personne durant sa période de formation afin de faciliter son intégration dans l'entreprise »4(*)  alors que le tutorat serait « l'action d'associer, pour une période donnée, une personne confirmée du domaine de compétence et une personne débutante du même domaine »5(*). Plus question alors de laisser les jeunes infirmiers agir, il s'agit d'utiliser l'expertise des professionnels confirmés. Se repose alors la question de la distance avec l'étudiant et de la possibilité d'établir des liens suffisants pour permettre à l' « effet tuteur » de prendre sa pleine mesure.

1.5 - Conclusion

Les étudiants infirmiers sont à la fois soumis aux changements communs à l'ensemble des étudiants dans les questions relatives tant à leur formation professionnelle qu' aux spécificités de leur formation qui repose, depuis toujours, sur les stages cliniques et l'apport de connaissances au sein de ces stages. Cerner l'objet de notre étude devait donc passer par l'utilisation des champs théoriques de la sociologie de la formation et de la psychologie ou encore de la psychologie sociale, pour aborder plus précisément l'étude de la formation en soins infirmiers au sein des stages cliniques sans être aveuglé par notre propre discipline. Les concepts étant posés nous souhaitons qu'ils soient entendus ainsi dans la suite de la lecture, et en-dehors de leur utilisation dans « le modèle de sens commun » (Searle, 1985, 96) des agents puisque nous ne pouvons entrer totalement dans leur « Arrière-plan » (Searle, id.)

2 - Aspect historique

2.1 - Introduction

Mieux comprendre les représentations sociales que nous avons du métier d'infirmier, mieux réaliser pourquoi ce métier reste pour tous attaché à l'image d'un infirmier et même plutôt d'une infirmière dont les qualités premières devraient être « vocation, idéal, enthousiasme, bonté, dévouement, oubli de soi, courage, énergie, sang-froid, méthode, obéissance, discipline, respect de la hiérarchie, politesse, tact, bonne humeur, propreté, ordre, économie et initiative » (Kniebiehler, 1984), c'est avant tout chercher d'où viennent ces représentations. De la même manière, les stages font parti de l'image que nous avons de la formation des infirmiers et nul n'imagine qu'un infirmier n'ayant pas côtoyé le quotidien des services de santé puisse revendiquer le droit de soigner les gens.

Comment est née la formation infirmière ? De quelle manière la formation pratique par les stages s'est-elle articulée à la théorie ? Toutes les réponses à ces questions devraient nous aider à mieux comprendre les choix actuels de la réforme de la formation infirmière. L'histoire de la formation est difficile à retracer dans le détail en France et la difficulté d'accessibilité aux annexes des textes législatifs rend la tâche vraiment ardue. Aussi, nous ne pouvons que saluer et remercier le travail de compilation effectué aux seins des IFSI sur lequel nous nous sommes appuyés. C'est donc à travers l'histoire d'une école en particulier, qui nous a été contée à la fois par des formateurs et à la fois par des infirmiers issus de l'Institut de Bagatelle, que nous allons revivre le chemin historique des stages de ceux que l'on nomme aujourd'hui étudiants en Soins Infirmiers. Notre dessein est de mieux réaliser ce que chaque étape et chaque changement a pu engendrer au sein des écoles aujourd'hui nommées IFSI. Voici donc l'histoire de la formation vue à travers l'IFSI de Bagatelle à Bordeaux.

2.2 - 1884-1920 : naissance d'une formation

2.2.1 - Au départ : une vocation de soin

C'est en 1884 que Mme MOMMEJA, directrice de la maison de santé protestante de Bagatelle à Bordeaux, « organise des cours ouverts aux jeunes filles qui se destinent aux soins et aux jeunes mères désireuses de puiser quelques notions de science pour soigner leurs malades ou élever leurs enfants. » ( www.mspb.com) Elle confie les cours théoriques à un médecin qui en accomplira 22 de décembre à mai pour des femmes de toutes classes sociales et sans niveau scolaire particulier. Ces cours qui avaient préalablement été annoncés dans les journaux connaîtront un succès chargé d'espérance pour la directrice qui s'établissait en conséquence dans une posture de qualité des soins par la formation.

La société des secours aux blessés militaires de la Croix Rouge, seul organisme alors habilité à organiser les examens, délivrera 20 diplômes de garde-malade de 1887 à 1890 aux bénéficiaires de ces cours mais refusera par la suite de décerner les brevets en regard de la concurrence alors créée face à leurs propres écoles.

2.2.2 - Soins et qualité de formation : un pari gagnant

En 1890, l'école prend le nom d' « école libre et gratuite de gardes-malades de la Maison de Santé » avec un programme d'études établi. Celui-ci se réalise sur une durée de 2 ans s'articulant autour de cours théoriques, de conférences effectuées par des médecins et de cours pratiques dispensés par la monitrice-répétitrice. Deux catégories d'élèves se profilent subséquemment, avec d'un côté les auditrices externes assistant aux cours sans effectuer de stage clinique et de l'autre les « dames-élèves » effectuant un stage clinique obligatoire en deuxième année qui se distingue du service en salle assuré par celles-ci au quotidien.

Pas à pas, la formation gagne en qualité, ajoutant des enseignements au fur et à mesure des années, mais sans jamais sacrifier l'exigence de l'enseignement dispensé au nombre de reçu.

2.2.3 - Soins et pédagogie : le système Nightingale

En 1902, Anna HAMILTON, docteur en médecine ayant soutenu sa thèse sur « Les considérations sur les infirmières des hôpitaux », prend la direction de l'école et la renomment alors « Ecole Hospitalière et cours libres et gratuits de gardes-malades ». Promouvant les méthodes de Florence NIGHTINGALE présentées dans le paragraphe suivant, elle adopte le programme du Conseil Supérieur de l'Assistance Publique supprimant alors le diplôme décerné aux auditrices externes. Les élèves effectuent 645 jours de stages sur leurs 2 années d'études dont au moins 14 nuits d'affilée. Les journées incluent 8h de service et les élèves ont un jour de congé par mois et un mois de congés par an. Un carnet comptabilisant les heures qu'elles effectuent voit le jour pour permettre le suivi des acquisitions. Il est alors évalué tous les mois par la directrice.

Cette école sera dédoublée à l'hôpital Saint-André de Bordeaux grâce au soutien d'un médecin convaincu par le système Nightingale. L'école de pensées du système Nightingale doit alors être comprise comme une institution formant des soignants compétents qui, à leur tour, formeraient les étudiants (Blondeau, 1999). Nightingale retient, pour son école d'infirmières, les principes suivants : 1) le nursing est un art pour lequel les femmes doivent être spécialement formées; 2) l'organisation du service des malades s'inscrit dans le cadre d'une hiérarchie féminine; 3) l'hôpital, comme lieu de formation et de service des infirmières, offre la résidence pour parfaire l'éducation morale des femmes. L'école, conçue dans cette optique, doit dispenser une meilleure formation aux infirmières et permettre à l'hôpital, auquel elle est affiliée, une organisation plus rationnelle des soins assurés par la participation des étudiantes au service des malades (Daigle, 1991). Dans ce système, l'école et l'hôpital sont administrés de manière indépendante et poursuivent un objectif commun d'efficacité accrue (Reverby, 1988).

2.2.4 - Avant le portefeuille de compétence : le carnet de stage

En 1910, le carnet de suivi devient le carnet de poche représentant la qualification ou la capacité à exercer le métier de garde-malade. Dans ce carnet les élèves dressent ainsi la liste des principaux exercices pratiques à effectuer durant leurs stages, passant ainsi d'un suivi des heures à un suivi des actes de soins acquis. Après vérification des acquisitions dans la pratique, la cheftaine le signe. Ce carnet représente alors la qualification ou capacité à exercer le métier de garde-malade.

En 1918, l'école sort grandie de l'épreuve de la grande guerre par l'accomplissement d'un service exemplaire dans le soin aux défenseurs du pays. Les héritiers de Florence Nightingale lui permettent de s'octroyer le nom de leur illustre parente cette même année et la reconnaissance du travail accompli sert encore une fois de catalyseur à la volonté de sans cesse améliorer la qualité des soins. Dans cette idéologie, l'école continue de travailler à l'amélioration de la formation et met en place ses propres réformes.

2.2.5 - Quand la praxis précède la théorie

En 1920, le programme change et les élèves font 22 mois de stages consécutifs dans des secteurs divers et variés. Le travail personnel y est alors considérable alors que les acquisitions théoriques se font « naturellement » durant les stages. C'est le savoir dans l'action qui prime, faisant la part belle aux apprentissages des actes pratiques et obligeant les élèves à travailler sur les cours théoriques en sus du service effectué durant les stages.

Une 3e année de stages rémunérés est effectuée à l'issue des 22 mois, permettant dès 1924 aux élèves de recevoir le titre de « certificat d'aptitude pédagogique de l'Ecole Florence Nightingale ». Nous sommes là encore dans les principes de Nightingale selon lesquels les professionnels bien formés peuvent, à leur tour, permettre aux étudiants de se former dans la continuité de la transmission des savoirs au même sein du milieu du travail. Les savoirs sont puisés dans l'action et transmis par l'action pour l'essentiel des qualifications que les garde-malades se doivent de posséder.

2.3 - 1922-1972 : une formation qui s'affirme

2.3.1 - La polyvalence comme profession de foi

Alors qu'un 1er décret du 27 juin 19226(*) institue un brevet de capacité professionnel qui permet de porter le titre d'infirmière française et où l'on ne parle alors que « d'un stage reconnu suffisant », Anna Hamilton participe à la législation des écoles au sein du Conseil de perfectionnement des Ecoles d'Infirmières créée par ce même décret. Ce travail aboutira à l'arrêté du 24 juin 19247(*) qui définit les programmes des écoles d'infirmières de l'Etat français. Les 22 mois de stages y sont repris avec un 1er stage probatoire d'un mois puis des stages effectués dans les salles des hôpitaux :

o 5 mois en médecine adulte

o 5 mois en chirurgie adulte

o 2 mois en médecine des enfants

o 2 mois en chirurgie infantile

o 2 mois avec les contagieux

o 2 mois pour les soins aux femmes et aux nouveau-nés

o 3 mois dans des spécialités diverses (yeux, voies urinaires, larynx...)

L'idée du carnet de stage y est également présente.

En 1923, avec le titre de " Diplôme de Gardes-malades Hospitalières de l'Ecole Florence Nightingale ", les élèves sont autorisées à se présenter au Diplôme d'Etat.

2.3.2 - La théorie progresse

En 1951, des changements apparaissent dans la formation suite à la publication de l'arrêté du 18 septembre 19518(*) : les élèves effectuent alors 57 heures de stages par semaine pour 9 heures de cours en 3 fois 3 heures. La théorie gagne sur la formation clinique en stage et le niveau scolaire requis qui s'ensuit grandit parallèlement. A cette époque 50% des élèves sont bachelières à l'école Nightingale et « l'étude de cas » est introduite dans la formation sous la forme d'un exposé de chaque élève, tour à tour, sur la situation d'un malade dans un service. Les élèves commencent à prendre une attitude plus analytique face aux soins exercés et des compétences langagières sont exigées.

2.3.3 - Pénurie et qualité

En 1960, la réputation de sévérité de l'école de Bagatelle entraîne des difficultés de recrutement des élèves et le travail d'une semaine y est très intense :

o 45 heures de stage la 1ère année, 40 heures la 2ème année au minimum comme le veut le programme,

o 9 heures de cours avec, en sus, le travail personnel,

o 1 semaine de veille, toutes les 6 à 8 semaines.

Pour pouvoir dégager du temps aux élèves afin qu'elles puissent avoir plus de loisirs et de temps d'étude, il faudrait former un nombre plus important d'infirmières. Alors que dans les hôpitaux plus d'une infirmière sur deux n'est pas diplômée, à la Maison de Santé de Bagatelle on déplore la difficulté de mise en place d'une sélection exigeante et sérieuse à l'entrée de l'école sans pour autant sacrifier la qualification du personnel consubstantielle à la qualité des soins administrés.

2.3.4 - Un métier techniciste

En 1961, le nouveau programme modifie encore la formation adaptant celle-ci aux évolutions de la technicité et plaçant la personne malade au centre de la formation. Dix ans plus tard, en 1970, le CEEIEC9(*), qui deviendra le CEFIEC10(*) en 1994, élabore un préprogramme de formation que l'école Nightingale intègrera, entrainant des modifications importantes de l'emploi du temps :

o Les cours auront lieu le mardi après-midi et le mercredi,

o 1 jour et ½ de congés par semaine est institué,

o 1 semaine de nuit tous les 2 mois.

L'enseignement pratique à l'école diminue de 10 heures par semaine en 1 an alors que le travail de groupe et l'auto enseignement sont introduits et développés conjointement à la diminution du volume des cours magistraux. Une volonté pédagogique apparaît dans l'apprentissage et la formation se calque sur la société et son évolution, en allant vers des connaissances techniques plus grandes tout en se tournant aussi vers la possibilité de profiter davantage des ces évolutions grâce à l'allongement du temps de loisirs.

2.4 - 1972-2009 : assertion du soin infirmier

2.4.1 - Soins infirmiers et préservation de la santé

1972 voit le dernier diplôme d'Ecole pour faire place au diplôme d'Etat de la réforme de l'arrêté du 5 septembre 197211(*) où la formation passe de 22 à 28 mois, centrée non plus sur la personne malade mais sur la promotion de la santé. L'intégration de la prévention et de l'éducation à la santé en est l'indicateur le plus parlant au sein d'un changement de point de vue très important pour le système de santé. La formation comporte alors 2152 heures de stages dont 1568 heures à temps partiel et 584 heures à temps plein. Pour mieux comprendre comment se décompose alors le temps de stage par rapport au temps théorique nous présentons, in texto, un schéma nous semblant plus à même d'illustrer les découpages temporels :

 
 
 
 

1ère période 2e période stage temps plein

 
 

16 semaines de 30h 16 semaines de 34h 4 semaines de 36h

3e période 4e période stage temps plein

 
 
 
 
 
 
 

16 semaines de 36h 16 semaines de 36h 4 semaines de 36h

5e période stage temps plein 6e période

 
 
 
 
 
 
 

11 semaines de 36h 11 semaines de 40h 9 semaines de 36h

Légende :

 

Enseignement théorique

 

Stage pratique

A noter que la part du temps passé en stage augmente tout au long des périodes pour atteindre 24h par semaine à partir de la 4e période lors des périodes d'alternance théorie-pratique. Les stages se passent ainsi entre les services de médecine et chirurgie pour leur majorité mais ont aussi lieu pour certains et en partie en maternité, auprès des enfants, des personnes âgées et, pour un stage, en psychiatrie.

2.4.2 - Un encadrement compétent

En 1975, le décret du 30 janvier 197512(*) porte publication de l'accord européen sur l'instruction et la formation des infirmières précisant alors que la présence d'une infirmière diplômée d'Etat est indispensable sur les différents lieux de stage. Cette présence est tenue comme le garant d'un apprentissage clinique en accord avec la formation.

2.4.3 - Un programme qui s'alourdit

1979 est une nouvelle année de réforme avec l'arrêté du 12 avril 197913(*) sur le programme d'enseignement et l'organisation des stages en vue de la préparation du diplôme d'Etat infirmier. La formation passe alors à 33 mois augmentant le temps de stage de 2152 heures à 2360 heures.

o Les stages « temps plein » passent au nombre de 4 semaines chacun (ce qui marque la fin du stage de 11 semaines) et la part belle se situe clairement au niveau des stages de médecine pour 500h a contrario de 50h pour la chirurgie, 80h pour la pédiatrie et 80h pour la psychiatrie.

o La première année semble plus être une année de découverte où les stages se répartissent entre 40h en maternité, 60h auprès des enfants sains, 60h auprès des personnes âgées et 80h en psychiatrie.

o Le temps de nuit est précisé ; il doit être de 80h durant un stage « temps plein ». Et, nouveauté du programme, 560 heures de stages sont laissées à l'appréciation des écoles.

Les années 80s seront l'occasion de voir de plus en plus de garçons au sein des promotions, marquant ainsi la continuité de l'évolution de la profession parallèlement à celle de la société qui de plus en plus met à portée des métiers connotés sur un sexe ou un autre à l'ensemble de la population.

2.4.4 - Un diplôme commun

En 1992, l'arrêté du 23 mars 197214(*) relatif au programme des études entame le nombre d'heures de stages alors que la formation totale passe de 33 mois à presque 38 mois pour inclure le module psychiatrie nécessaire à la réunion des deux diplômes infirmiers qui existaient auparavant. De 2360 heures, on passe donc à 2275 heures de stages et ceux-ci ne sont plus effectués que sur du temps plein avec approximativement 1 mois de cours pour 1 mois de stage. L'équilibre des secteurs de stages privilégie entre la médecine et la chirurgie en balance avec la psychiatrie et la santé publique qui apparaît en 1ère et 3e année dans les lieux de stages et en complément de l'aspect théorique du module de santé publique. Enfin, 2 stages, un de 5 semaines et un de 6 semaines dont 2 semaines de nuit, voient le jour avec l'appellation d'optionnel. Selon les écoles, ces stages peuvent se faire soit à la demande des étudiants en démarchant les lieux de stage soit de manière imposée par les écoles.

Le décret du 5 juin 199215(*) renomme les centres de formation infirmiers en instituts de formation en soins infirmiers et l'école Florence NIGHTINGALE de Bagatelle devient donc I.F.S.I. Florence NIGHTINGALE.

2.4.5 - Transfert de compétences vers les I.F.S.I.

En 2001, l'arrêté du 28 septembre 200116(*) accroît la durée des stages pour la ramener à 2380 heures réparties en 1680 heures de stages prédéfinis et 700 heures laissées à l'appréciation de l'équipe enseignante.

A ces 1680 heures correspondent :

o 8 semaines de médecine en 2 stages

o 8 semaines de chirurgie en 2 stages

o 8 semaines de santé mentale ou psychiatrie en 2 stages

o 8 semaines de santé publique en 2 stages

o 8 semaines de gériatrie ou géronto-psychiatrie en 2 stages

o 4 semaines de pédiatrie ou pédopsychiatrie

o 4 semaines de réanimation, urgences, soins intensifs, bloc opératoire

Avec toujours 2 semaines de nuit à effectuer au cours de la 2ème ou la 3ème année.

Il reste ainsi 20 semaines dont les I.F.S.I. disposent pour leurs étudiants. Dans ces 20 semaines se place le stage préprofessionnel de 8 à 12 semaines situé en fin d'étude et qui permet à l'étudiant d'affiner son projet professionnel en accord avec l'I.F.S.I. et la structure d'accueil. Les stages de santé publique peuvent être encadrés par du personnel non-infirmier ce qui ouvre complètement le secteur extrahospitalier à la condition d'un contrat d'engagement conclu entre l'équipe pédagogique de l'I.F.S.I. et la structure d'accueil. Nous constatons qu'à ce moment les stages peuvent durer plus longtemps, même si dans la réalité l'alternance avec des stages de 4 semaines est restée la règle jusqu'à la réforme actuelle.

2.4.6 - Cohabitation université-compétences professionnelles

En 2009, conformément aux accords européens de Bologne, la formation infirmière se positionne sur le système LMD (Licence-Master-Doctorat), fonctionnant alors en semestre avec des UE (Unités d'Enseignement) et un stage par semestre.

C'est l'arrêté du 31 juillet 200917(*)qui fixe la répartition des stages sur 2100 heures comme suit :

o 5 semaines au premier semestre

o 10 semaines du 2e au 5e semestre

15 semaines au semestre 6 à répartir en deux instances, la durée ne pouvant excéder 10 semaines dans un même lieu de stage. Au terme de ces semestres, le diplôme d'Etat sera délivré conjointement à une licence dont la terminologie reste encore à déterminer.

2.5 - Conclusion

La formation en soins infirmiers est soumise au contexte dans lequel elle se situe et l'on voit, à travers cet historique orienté sur les stages, que la place de la femme peut, autant que les progrès techniques et technologiques dans le domaine de la santé dans la société, avoir une incidence dans le développement du travail féminin, représenté ici par l'infirmière. Cependant, il s'y joue également de nombreux autres enjeux en termes d'alternance et d'apprentissage dans le champ de la formation professionnelle.

Ainsi, c'est actuellement le contexte d'harmonisation des pratiques européennes qui guide la présente réforme en imposant une répartition des stages que certains jugeront insuffisante alors que d'autres y verront l'occasion d'aborder le stage clinique différemment.

Malgré l'impact de cette conjoncture l'éducation infirmière s'est affirmée au fur et à mesure des décennies et l'on comprend à travers ces lignes la volonté de cette profession de s'affirmer dans le champ de la santé. Profession féminine depuis F. NIGHTINGALE, elle se spécialise dans le nursing aujourd'hui traduit par les Sciences Infirmières, sciences qui prennent soin du patient au quotidien par l'application des prescriptions médicales comme par le rôle propre de l'infirmier permettant la prévention, le soutien, l'autonomisation ou la palliation des besoins bio-psycho-sociologiques des patients.

3 - Aspect législatif et sociologique du rôle infirmier lors des stages cliniques

3.1 - Aspect législatif

L'apparition des compétences du nouveau programme suppose que le professionnel en place les possède déjà afin de permettre à l'étudiant d'y accéder. Nous pourrions y déceler une vérité de La Palice si le décret précédent du 23 mars 1992, comportant vingt trois modules sur trois ans et demi, n'incluait pas qu'un seul de ces modules, intitulé « soins infirmiers », lui-même décomposé en quatre sous-modules. Dans un de ces sous-modules parlant de démarche éducative nous retrouvons quatre intitulés dans un chapitre :

- Théorie de l'apprentissage ;

- Apprentissage du geste et vérification de son acquisition ;

- Protocoles éducatifs ;

- Utilisation des différentes méthodes et des différents moyens.

Nous-mêmes, venant de cette formation, n'avons retenu de cet aspect de la formation que l'obligation qui nous était faite en termes de législation et non l'apport d'une quelconque théorie venant appuyer la transmission d'une pratique de formation. C'est l'incorporation d'une pratique de transmission des savoirs qui prime alors sur la théorisation de l'apprentissage, et seule l'imitation, la réflexion personnelle et le travail théorique autodidacte peuvent aujourd'hui permettre à chaque professionnel d'exercer son rôle au sein des stages cliniques.

Concernant ce rôle, effectivement, le décret du 15 mars 1993 relate dans l'article 9 que : « l'infirmier propose, organise ou participe à des actions :

- De formation initiale et continue du personnel infirmier, des personnels qui l'assistent, et éventuellement d'autres personnels de santé,

- D'encadrement des stagiaires en formation. »

Les éléments précédents ce chapitre permettent alors de comprendre que les infirmiers ont évolué d'une formation clinique « naturelle » à ce qui est maintenant préfiguré dans la compétence 10 du référentiel de formation de juillet 2009, que l'étudiant doit acquérir par l'enseignement théorique, s'accentuant de nouveau au cours de l'histoire de la formation infirmière et suivant par la même l'évolution de la formation professionnelle d'autres professions telles les professions de l'enseignement.

Nous présentons, in texto, les objectifs visés par cette compétence :

Compétence 10 (cf. annexe n°1) :

Informer, former des professionnels et des personnes en formation

1. Organiser l'accueil et l'information d'un stagiaire et d'un nouvel arrivant professionnel dans le service, la structure ou le cabinet de soins

2. Organiser et superviser les activités d'apprentissage des étudiants

3. Evaluer les connaissances et les savoir-faire mis en oeuvre par les stagiaires en lien avec les objectifs de stage

4. Superviser et évaluer les actions des aides-soignants, des auxiliaires de puéricultures, et des aides médico-psychologiques en tenant compte de leur niveau de compétence et des contextes d'intervention dans le cadre de la collaboration

5. Transférer son savoir-faire et ses connaissances aux stagiaires et autres professionnels de santé par des conseils, des démonstrations, des explications, et de l'analyse commentée de la pratique

6. Animer des séances d'information et des réflexions sur la santé, la prise en charge des personnes et l'organisation des soins auprès d'acteurs de la santé

Cette nouvelle formation semble éprouver le besoin d'accentuer son aspect éducatif et il nous semble difficilement concevable que le législateur ait pu créer une compétence novatrice dans un domaine qui semble effectivement verser au coeur de toute l'histoire de la formation infirmière. Nous pensons donc que les professionnels en place possèdent cette compétence mais la venue de cette compétence va-t-elle entrainer des différences entre les infirmiers en place et ceux qui seront issus de ce nouveau programme ?

Avant de se poser une telle question il nous paraît primordial de mieux comprendre les fondements de la constitution d'un tel référentiel de formation puisque l'évaluation de la compétence sera réalisée, en partie, au sein même des stages cliniques par les professionnels en poste qui, eux, n'ont pas eu ces connaissances, tout au moins en terme de formation initiale. Lever le doute des professionnels face à ces étudiants dont ils ne mesurent pas encore mais redoutent la différence, tout en l'espérant aussi, c'est le temps qui devrait le permettre mais c'est bien contre ce temps que nous nous positionnons afin d'établir ce qui est aujourd'hui et ne sera plus demain.

Comment les professionnels en poste transmettent-ils aux étudiants ce que les instituts ne transmettent pas ? De quel ordre sont ces savoirs ? Existe-t-il des points communs dans ce rôle ou chacun des agents a-t-il créé sa propre manière de transmettre ? Autant de questions se posent et si nous ne prétendons pas y répondre totalement ici il nous semble cependant qu'un travail sur l'ensemble de ces aspects est impérieux pour que cette profession puisse aborder cette réforme en la prenant à son compte.

3.2 - Aspect sociologique

3.2.1 - Approche anglophone

La profession infirmière est porteuse de valeurs communes au sens de T. Parsons (in Dubar&Tripier, 1998, 87) et peut donc être définie non comme une « occupation » mais bien comme une « profession » à part entière, au sens où l'entendait Parsons après avoir étudié la relation entre médecin et patient. Elle possède en effet un savoir pratique rationnel résultant d'un apprentissage scolaire et s'opposant à un savoir traditionnel et des compétences techniques spécifiques distinctes établissant une différence entre ceux qui les possèdent et ceux qui ne les possèdent pas. Elle a pour objectif d'élaborer et de renforcer des valeurs universelles et elle recherche une attitude affectivement neutre. Cette approche structuro-fonctionnaliste fonde donc la cohésion d'un système stable où l'action individuelle est orientée en fonction des normes et des valeurs véhiculées par ce système mais montre ses limites dans l'explication des changements de ces normes et valeurs au cours du temps.

L'approche interactionniste de Bucher et Strauss permet de mieux rendre compte de ces mouvements dans le temps car ils considèrent les professions comme constituées « d'amalgames lâches de segments poursuivant des objectifs différents de manières différentes et se tenant plus ou moins fragilement sous une dénomination commune à une période spécifique de l'histoire. » (Bucher et Strauss, 1961, 326) Pour eux, ces segments ne sont pas fixes et « ce mouvement leur est imposé par les changements dans les dispositifs conceptuels et techniques, dans les conditions de travail institutionnelles et dans leurs relations avec les autres segments et occupations. » (id., 332)

Ces deux approches se basent donc sur une cohésion d'une structure qui ne peut être remise en cause que dans l'interaction avec les autres « segments » (ib) pour l'approche interactionniste. Mais alors comment se fondent les valeurs communes décrites dans le structuro-fonctionnalisme ?

3.2.2 - Approche française

En France, la sociologie n'investit le champ professionnel que tardivement avec Dubar notamment « situant son approche au confluent des traditions durkheimiennes et wébériennes ». (Dubar, 1992, 505) Il tente ainsi de conjuguer « l'être social » de Durkheim, fruit de l'éducation propre à l'homme dans son effort de transmission, et l'individu adulte. Cette transmission des savoirs conçue, pour Durkheim, comme « un système d'idées, de sentiments, d'habitudes qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie »(Durkheim, 1922, 92) permet à la sociologie de s'établir en expliquant les rôles exercés par l'éducation et la transmission dans nos choix, nous situant dès lors comme un être social prêt à être utilisé par une société à laquelle nous appartenons. Alternative à la psychologie cette sociologie semble cependant se figer lors de l'entrée à l'âge adulte et Dubar utilise donc également Weber pour aller plus loin.

L'approche de Weber, elle, crée donc l'espace au côté des analyses économistes dans « une socialisation plus « secondaire », notamment dans le champ du travail. » (Dubar, 1992, 508) Elle nous fait découvrir l'habitus comme phénomène incontournable de domination où le dominant assied alors sa domination par tout un système de justifications acceptées par les dominés de par ses habitus incorporés depuis la socialisation primaire au sein de chaque structure familiale. Cette théorie complète bien l'approche de Durkheim et c'est grâce à la notion de champ que Bourdieu réussira à réconcilier ces deux approches entre le holisme de Durkheim et l'individualisme de Weber.

Dans ce travail, nous ne pouvons donc contourner les notions bourdieusiennes « d'habitus » et de « champ » dès lors que cette recherche se trouve à l'interface des champs de la profession et de la formation tout en tentant de retrouver les habitus de transmission des infirmiers au sein des stages cliniques. « Les conditionnements associés à une classe particulière de conditions d'existence produisent des habitus, systèmes de dispositions durables et transposables » (Bourdieu, 1980, 88) et ce sont bien ces habitus que nous allons chercher à trouver en terme de « potentialités objectives » (id.) reconnues par les professionnels dans ces étudiants préalablement triés par un concours et chez qui la capacité à devenir infirmier a été identifiée et avérée.

« En réalité, du fait que les dispositions durablement inculquées par les possibilités et les impossibilités, les libertés et les nécessités, les facilités et les interdits qui sont inscrits dans les conditions objectives (et que la science appréhende à travers des régularités statistiques comme les probabilités objectivement attachées à un groupe ou à une classe) engendrent des dispositions objectivement compatibles avec ces conditions et en quelque sorte pré-adaptées à leurs exigences » (ibid., 90)

On peut alors penser que devenir infirmier ne se choisit pas ou tout au moins pas autant que chacun pourrait le croire. A ce stade, cet aspect durable de l'habitus nous posait beaucoup de difficulté dans le champ de la formation où, justement, l'apprentissage permet d'incorporer de nouveaux habitus qui permettront alors d'intégrer le champ professionnel jusqu'à ce que nous trouvions un complément à cette notion où 

« L'habitus peut aussi être transformé à travers la socioanalyse, la prise de conscience qui permet à l'individu d'avoir prise sur ses dispositions. Mais la possibilité et l'efficacité de cette sorte d'auto-analyse sont elles-mêmes déterminées en partie par la structure originelle de l'habitus en question, en partie par les conditions objectives sous lesquelles se produit cette prise de conscience ». (Bourdieu, 1992, 239)

Apprendre c'est avant tout accepter de ne pas savoir et l'allégorie du mythe de la caverne de Platon nous montre bien combien apprendre peut être douloureux. La production de savoirs, la remise en question des savoirs antérieurs et l'acceptation de la douleur liée à l'apprentissage nous semblent pouvoir permettre cette prise de conscience. Elle devrait, dans le champ de la formation comme dans celui de l'enseignement, inciter les agents à modifier leurs actions au long de leur carrière par l'interaction avec les apprenants car  « ceux qui dominent dans un champ donné sont en position de le faire fonctionner à leur avantage, mais ils doivent toujours compter avec la résistance, la contestation, les revendications, (...) ou non, des dominés. » (id., 78)

Les infirmiers n'échapperaient donc pas à ces rapports et peuvent être considérés comme dominants dans le champ professionnel comme dans le champ de la formation. Cependant, « dans un champ, les agents et les institutions luttent, suivant les régularités et les règles constitutives de cet espace de jeu » (ibid.). Il reste alors à déterminer les règles de ce jeu où infirmiers experts et novices participent ensemble à l'élaboration d'un rôle que ceux qu'ils forment exerceront à leur tour. Nous présentons dans le chapitre suivant la stratégie employée à cet effet.

Chapitre 2 Approche méthodologique et épistémologique

« Il est d'ailleurs bien plus difficile qu'on ne croit de séparer la raison architectonique de la raison polémique, car la critique rationnelle de l'expérience fait vraiment corps avec l'organisation théorique de l'expérience : Toutes les objections de la raison sont des prétextes à expérience. »

Gaston Bachelard

La formation de l'esprit scientifique 

Dans cette partie, nous allons aborder le statut épistémologique de cette recherche puis présenter le choix de la méthode retenue et en discuter les possibilités comme les limites.

En partant du monde professionnel qui est le nôtre nous prenons le risque que rien ne vienne désigner les « trous de notre connaissance » (Winnicott, 1972). Nous ne souhaitons pourtant pas ici nous départir totalement de notre expérience de praticien car « la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable » (Bergson, 1975, 181) ne nous semble pas en opposition avec le but de notre recherche et la compréhension d'une partie de ce monde professionnel qui devrait en résulter.

1 - Un projet

Ce travail de recherche prolonge le travail du mémoire de licence effectué en 2009, le précise et l'approfondi. Un regard autobiographique nous semble opportun à introduire ici pour mieux aborder le statut de cette recherche car il semble bien que notre dogme de praticien nous attache profondément à tout ce que nous avons vu historiquement dans le chapitre précédent. La volonté de prendre part à l'évolution d'une profession est probablement à l'origine de notre retour au sein d'un cursus universitaire qui nous apporte le cadre théorique nécessaire à l'élaboration d'une recherche scientifique. La réforme des études infirmières prend acte cette année et nous souhaitions donc voir ce que cette réforme pouvait engendrer en nous centrant sur l'aspect pédagogique du lien entre étudiants et professionnels au sein des stages cliniques.

Nous pensions alors trouver un point de départ sur lequel nous appuyer pour comparer et expliciter les changements qu'inaugurait cette réforme et c'est donc vers ce but que nos recherches théoriques se sont tournées. Nous avons alors pu constater que tous les écrits trouvés concernant la formation infirmière en France se posaient sur un présupposé général de la théorie de la formation par l'alternance. Nous n'avons rien trouvé concernant ce cas précis d'alternance si ce n'est des articles de l'ordre d'une démarche intuitive retrouvés dans la presse professionnelle. Le projet de recherche a alors pris forme, non dans le changement, mais dans l'actualité d'une situation qui n'a pas encore été décrite à travers le point de vue des Sciences de l'Education. Quelle est la contribution de l'infirmier responsable de l'étudiant en stage lors de l'apprentissage dans la formation d'infirmier ?

C'est à ce stade que nous avons formulé nos hypothèses : nous avons donc présupposé que ce rôle dépendait de chaque professionnel et qu'il s'adaptait également à chaque étudiant tout en étant aussi dépendant du lieu et du contexte dans lequel s'effectuait le stage. Nous souhaitions alors mieux préciser ce rôle à partir de ces hypothèses.

2 - Le difficile cheminement : vers un paradigme interactionniste

Avant de démarrer cette recherche, nous avons désiré nous départir de nos préjugés car comme nous l'affirmait Bachelard, « quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés » (Bachelard, 2005, 16). Cependant, notre statut de professionnel s'est avéré précieux voir parfois indispensable pour pouvoir atteindre les infirmiers ; nous en reparlerons plus tard. Il faut retenir de cela qu'il a fallu aller au-delà de la rupture vers une construction au sein même d'un objet proche de nous. Cette construction ne s'est pas réalisée linéairement ni chronologiquement mais dans un va-et-vient perpétuel entre notre recherche, les appuis théoriques et l'objet avec lequel nous étions déjà familiarisée. Ceci ne s'est pas non plus accompli sans heurt cependant il ne faut pas renier le plaisir ressenti, et nous ne reviendrons pas sur ce terme. C'est en effet avec plaisir que la recherche nous a conduite sur des chemins insoupçonnés jusqu'ici dans notre connaissance d'un objet à la fois si proche et pourtant si lointain. Loin d'être exhaustive, cette recherche s'est plutôt tournée vers la diversité inhérente à ce que chacun et chacune pouvait nous apporter d'unique et de particulier, sans vouloir pour autant prétendre effectuer une cartographie de l'infirmier responsable des étudiants.

C'est donc le terrain lui-même qui nous a imposé notre statut alors qu'il s'est avéré totalement impossible d'atteindre les professionnels de la santé lorsque nous nous présentions en tant qu'étudiant-chercheur. Par cette contrainte immuable nous avons donc recueilli une parole s'adressant à un pair et il a fallu composer avec, rendant le travail différent de celui que nous avions prévu dans le souhait de nous départir à tout prix de notre expérience et de nos préjugés face à cette recherche. « C'est à travers le sens qu'ils assignent aux objets, aux gens, aux symboles qui les entourent que les acteurs fabriquent leur monde social. » (Coulon, 1987, 11) et c'est la fabrication de ce monde social que nous souhaitons mieux comprendre ici et maintenant en le reconstituant à travers la parole des professionnels.

Nos intentions maintenant définies, et expliquées nous pouvons mieux expliciter la méthode employée.

3 - L'action à analyser : de l'interactionnisme symbolique à l'utilisation de la microsociologie

L'action de formation que nous souhaitons analyser au sein des stages cliniques correspond à toutes les interactions formelles ou informelles, explicites ou implicites qui peuvent exister au sein de ces stages entre infirmiers et professionnels. Dans ce travail nous souhaitons rendre compte des logiques mises en oeuvre par chacun des acteurs dans le sens de Goffman : « je ne m'occupe pas de la structure de la vie sociale mais de la structure de l'expérience individuelle de la vie sociale. » (Goffman, 1991, 22) Rendre compte de la réalité selon les schèmes mis en place par les acteurs c'est tenter d'étudier les circonstances d'apparition de cette réalité aussi. Dans la lignée des travaux de Goffman et en parallèle avec ceux de Bourdieu, notamment dans Le sens pratique, nous avons souhaité comprendre ce qui permettait à un étudiant de devenir infirmier et reconnu en tant que tel par ses pairs au sein des stages, dans son évolution durant ces périodes et en fonction de ce qui semble être demandé par l'ensemble du corps des infirmiers dans la structure observée.

Nous ne verrons ici qu'un instantané d'une réalité circonscrite aux limites de l'échantillon et nous ne prétendrons pas définir le réel uniquement par ce qu'en dit l'acteur mais aussi à travers ces actions. Nous ne pourrons pas non plus rendre compte de l'évolution de cette réalité et c'est bien ce qui empêche le caractère décisif de l'analyse, et ce bien qu'à l'instar de Goffman nous tenterons de répondre à la question : « que se passe-t-il ici ? » (id., 16) La question centrale posée par Goffman est « dans quelles circonstances pensons-nous que les choses sont réelles ? » (ibid., 10) Et, en utilisant les outils qu'il a construits pour penser l'activité sociale, les rôles sociaux et le degré de réalité que nous leur accordons, nous analyserons les différents niveaux de réalité et nous proposerons d'analyser non pas ce qu'est le réel mais dans quelles conditions sont produites des impressions de réel ou de fiction. « Nous devrons donc réserver le terme réel, effectif, littéral, pour indiquer qu'une activité n'est pas plus transformée qu'il ne paraît habituel ou normal de le faire » (op.cit, 56)

Nous suivrons Bourdieu dans l'idée que les pratiques ne peuvent être comprises en dehors du contexte dans lesquelles elles prennent vie et qu'elles participent d'ailleurs à construire en retour. Les pratiques des professionnels ne peuvent être comprises en dehors de celles des étudiants dans notre recherche puisqu'elles participent ensemble à la création de ce contexte et, « caractériser tout élément par les relations qui l'unissent aux autres en un système, dont il tient son sens et sa fonction » (Bourdieu, 1980, 11), nous a donc semblé ici indispensable. Un mode de pensée relationnel, c'est ce que nous allons nous efforcer de conserver durant l'analyse afin de déterminer la logique des cadres des représentations, des représentations des pratiques et des actions en elles-mêmes, sans pour autant verser dans le rationnel à tout prix et, au contraire, composer avec les incohérences que nous ne manquerons pas de rencontrer. Ces incohérences, une fois intégrées dans les cadres, devraient nous permettre de rendre compte de la combinaison des habitus des acteurs pour donner un sens à leurs pratiques. L'individu trouve en effet une lisibilité du monde grâce à cette combinaison, justifiant ainsi ses pratiques alors rendues naturelles, dans une logique de l'évidence que nous cherchons donc à déconstruire pour mieux mettre à jour ces combinaisons.

4 - L'enquête

Après avoir circonscrit l'objet à travers une étape exploratrice nous avons utilisé différentes méthodes avec l'utilisation de scènes ethnographiques issues de notre expérience, d'entretiens, de conversations informelles et de questionnaires pour les étudiants.

4.1 - L'entretien exploratoire (cf. Annexe n°2)

Utilisé pour mieux circonscrire l'objet de recherche nous avons rencontré dans ce cadre les principaux acteurs de la mise en place de la réforme de la formation infirmière vers le passage au système Licence-Master-Doctorat (LMD), plus précisement en la personne des directeurs de Soins Infirmiers du CHU concerné et des directeurs d'IFSI.

Afin de ne pas rendre stérile la suite de la recherche, nous avons délibérément choisi un entretien avec un unique représentant au sein du CHU où se situe le cadre de notre recherche. Parce qu'un entretien change définitivement le statut de l'enquêté, nous avons décidé de ne pas multiplier mais de tenter de dégager dans chaque entretien la compréhension des choix effectués inhérents à la réforme de la formation infirmière imprimée par la DHOS au sein même des établissements concernés.

Nous redonnons la parole à l'acteur comme le souhaitait Max Weber en 1920 : « La sociologie ne peut procéder que des actions d'un, de quelques ou de nombreux individus séparés. C'est pourquoi elle se doit d'adopter des méthodes strictement individualistes. » (Weber, 1920) C'est au travers d'un entretien non directif que nous avons laissé les enquêtés s'exprimer librement sur un thème qu'ils ont développé à leur guise : la mise en place de la réforme LMD au sein des stages cliniques. Ce thème lancé, il devait nous permettre de nous dévoiler l'existant à travers les changements mis en place ou à venir.

4.2 - Les scènes ethnographiques (cf. Annexe n°3)

« L'ethnographe tire sa connaissance, ou la majeure partie de celle-ci, de l'observation directe des gens au sujet desquels il écrit, ou de contacts avec eux, et non, comme l'historien, de sources écrites. » (Radcliffe-Brown, 1952, 42) Pour mieux comprendre nos propres représentations de la fonction des infirmiers, nous avons ainsi extrait plusieurs scènes vécues de notre expérience personnelle. Elles ne sont peut-être pas les plus pertinentes mais celles qui sont restées imprimées dans notre mémoire et, à ce titre, méritaient d'exister dans ce travail pour y porter un autre regard à la lumière de notre recherche actuelle. Elles devraient donc nous permettre de conforter nos hypothèses et de rendre le travail d'entretien auprès des infirmiers plus accessible pour eux en leur présentant un support pour permettre l'espace d'échange voulu.

D'après Claude Lévi-Strauss (1958, 4), « l'ethnographie consiste dans l'observation et l'analyse de groupes humains considérés dans leur particularité [...] et visant à la restitution, aussi fidèle que possible, de la vie de chacun d'eux  [...] », c'est pourquoi il ne nous semble pas opportun de considérer comme un désagrément de ne pas être exhaustif ici, la particularité et la diversité étant justement visées.

4.3 - Les entretiens auprès des infirmiers (cf. Annexe n°4)

Nous avions pu constater, lors de notre précédent travail de recherche, que ces professionnels étaient difficilement accessibles, entre le poids de la hiérarchie et la charge de leur travail. Dans cette recherche, le contexte de grippe H1N1, la réforme en cours de la profession et un contexte de pénurie toujours croissant au sein du CHU où nous avons mené notre enquête, nous avons été amenée à réfléchir au moyen d'obtenir le plus d'information dans un minimum de temps et dans un contexte le plus attractif possible. Nous nous sommes donc résolue à effectuer des entretiens collectifs pour faciliter la parole dès le début des entretiens et nous avons, dans ce but, également fait le choix d'utiliser une partie des scènes ethnographiques (marquées par les numéros de présentation type « 0 » dans l'annexe n°3) comme support à la parole. L'ouverture vers un point de vue plus général ne devait s'effectuer qu'en toute fin d'entretien, une fois la confiance bien mise en place. Après un test des supports employés, nous avons choisi les scènes provoquant le plus de discussions en limitant le nombre pour créer un entretien d'une vingtaine de minutes, temps considéré comme le maximum possible à donner pour les infirmiers ayant participé aux entretiens tests.

Choix de la population

Afin de réaliser une description la plus précise possible de l'action des professionnels auprès des étudiants dans les stages nous avons choisi délibérément des paires de pairs relativement homogènes, ne cherchant pas la confrontation des idées mais bien la diversité dans une approche d'équipe. Avec pour seul critère le fait d'avoir une fonction auprès des étudiants nous avons donc constitué un échantillon en fonction de l'expérience professionnelle et du sexe. Cet échantillon n'est pas du tout représentatif, la profession étant essentiellement féminine et très jeune dans les services accueillant les étudiants au sein du CHU de notre échantillon, mais il nous semblait qu'il exprimait correctement la diversité des infirmiers que les étudiants allaient rencontrer sur leurs lieux de stage.

Nous avons donc rencontré quatre paires de professionnels, une constituée d'infirmières avec moins de 5 à 7 ans d'expérience, une avec une expérience de 8 à 10 ans, une autre avec deux infirmiers ayant 20 et 30 ans d'expérience et, pour finir, un groupe constitué de trois infirmières de plus de 20 ans d'expérience. Moins ancrés dans un modèle type, trop proches du statut d'étudiant pour cette recherche et moins sollicités par les cadres pour exercer ce rôle, nous avons volontairement omis les professionnels possédant un diplôme depuis moins 2 ans. Sur le terrain, les professionnels ayant accepté de nous répondre se sentaient tous concernés par le sujet, et notamment par l'avenir de la formation infirmière, et ils étaient tous des infirmiers réalisant cette action de formation sans contrainte imposée et dans un but commun de recherche perpétuelle de qualité des soins. Nous souhaitions préciser cela ici car nous n'avons donc pas interrogé les soignants, qui ne trouvaient pas d'intérêt à leur rôle de formateur ou bien le trouvaient difficile, peu valorisant ou rendant l'acte de soin plus compliqué, comme d'ailleurs certains professionnels ont pu nous le notifier avant de décliner notre offre d'entretien.

Choix de l'entretien collectif

Afin de faciliter une parole parfois timide sur un sujet sensible de par son actualité, nous avons choisi de rencontrer les professionnels par deux. Nous avons ainsi découvert la manière dont la collaboration s'effectuait dans chaque équipe et cette approche a permis aux professionnels de se conforter mutuellement dans leurs dires, affirmant parfois ce qu'ils n'auraient pas dit seuls, avec une certaine conviction en lieu et place de la retenue habituelle de ces professionnels liés par le secret et le devoir de réserve.

Ces entretiens n'allaient donc pas être personnels mais l'interaction duale entre les professionnels devait nous apporter un support plus riche induit par l'interaction et, à ce stade de l'analyse, il nous semblait plus important d'avoir une vue globale étant donnée la pauvreté des écrits sur ce sujet en Sciences de l'Education.

Choix des situations, support de l'entretien

Pour conserver un entretien d'une durée de 20 minutes environ, il a fallu choisir 4 situations parmi les 7 décrites. Le choix a à la fois défini quelles situations seraient retenues et l'ordre dans lesquelles elles seraient présentées. La première fût donc choisie pour son côté banal et passe-partout, une situation que tout professionnel aurait pu voir mais qui pourtant demande des précisions pour mieux comprendre comment elle s'organise. Point de départ de l'entretien pour permettre l'anodin comme le plus profond.

Nous décidons d'éliminer de la sélection les scènes concernant les étudiants de troisième année, car nous supposons que ce qui peut être fait avec un étudiant de troisième année sera forcément réalisable avec un étudiant de première année, et nous gardons en mémoire, durant les entretiens, l'idée de préciser par moment ce qui serait différent si ces scènes avaient été l'apanage d'un étudiant en fin de cursus.

La suite de l'ordre de présentation des scènes se fera en fonction du ressenti vis-à-vis de l'étudiant avec, en premier, une difficulté pédagogique, en second, un problème déjà avéré et, pour finir, un étudiant se présentant réceptif à l'apprentissage élaboré pour lui.

4.4 - Les conversations informelles

De nombreux professionnels n'ont pas pu se libérer durant le temps qu'il nous fallait pour les entendre avec un collègue mais ils ont cependant exprimé beaucoup d'idées sur le sujet et nous avons noté au fur et à mesure de ces rencontres les différentes opinions qu'ils nous ont offertes. Une conversation a été particulièrement remarquable, tant part la dissonance entre l'impossibilité de me répondre et le temps laissé à cette conversation que par la capacité qu'a montré cette infirmière à exercer plusieurs tâches en même temps, puisque cette conversation a eu lieu pendant qu'elle rangeait les médicaments et produits médicaux reçus dans l'ensemble des armoires et placards de la salle de soins. La clarté des notes prises à la sortie de cette rencontre nous a amenés à le retranscrire ici pour mieux appréhender les apports qui ont pu en découler. (cf. Annexe n°5)

4.5 - Les questionnaires auprès des étudiants

Afin de confronter le ressenti des professionnels avec celui des étudiants, nous avons réalisé un questionnaire comportant uniquement deux questions ouvertes pour essayer d'ouvrir notre champ de vision sur ce qui pourrait être essentiel à l'apprentissage au sein des stages et que seuls ceux qui sont en situation d'apprenants peuvent percevoir (cf. Annexe n°6).

Nous avons proposé ce questionnaire aux étudiants de deuxième et troisième année d'un des IFSI du CHU et, malgré un accueil tout à fait favorable, seuls 7 étudiants sur la centaine de contacts pris nous ont consacré un temps de réponse (cf. Annexe n°7). Les autres ont exprimé un manque de temps et une impossibilité de se poser pour réfléchir à ce type de questions, alors qu'ils auraient tout à fait répondu à un questionnaire avec des questions fermées.

Le choix de la population n'est donc pas ici le critère essentiel si ce n'est que nous n'avons pas demandé aux étudiants démarrant leur formation de nous répondre, car nous souhaitions qu'ils aient déjà plusieurs expériences à confronter afin de nous répondre au mieux.

La quantité de questionnaires récupérés limite de fait les résultats que nous en tirerons mais, en tant que chercheur, nous nous devons de faire avec la contingence au sens entendu de ce qui est et à la fois pourrait ne pas être. Aussi nous nous sommes contentés ici de cette quantité, décidant d'analyser avant de récolter d'avantage de données lors d'une recherche ultérieure éventuelle. Le nombre de réponses à ce questionnaire nous permet cependant de mieux appréhender les difficultés auxquelles nous pourrons avoir affaire et à faire si cette recherche devait se prolonger et se préciser avec l'apport de données quantitatives.

5 - Traitement des données

Ce travail de recherche ne s'est pas construit de manière continue avec un temps donné pour chaque étape, de l'engrangement théorique au recueil puis à l'analyse des données. Intégrer la théorie s'est fait autant au moment de l'angoisse de démarrage de la recherche qu'à la construction des outils de l'analyse. Ainsi avons-nous utilisé chaque moment pour faire un retour sur notre posture de recherche, et l'analyse s'est également construite pas à pas, évoluant et s'affinant à mesure que le travail sur le terrain progressait. Nous sommes partie du terrain pour construire cette recherche, aussi la posture inductive s'explique-t-elle naturellement. Mais, si les débuts de ce type de démarche pouvaient laisser envisager qu' « un seul appel à l'expérience peut suffire, et le résultat peut être enregistré sous la forme d'une proposition générale, qui est confiée à la mémoire ou au papier et de laquelle on n'a plus ensuite qu'à syllogiser » (Mill, 1866, 224) nous avons, nous, préféré garder ce principe de va-et-vient entre le terrain et l'analyse : « observer le monde, penser ce que l'on a vu, et retourner observer le monde »(Becker, 2002, 234). Comme nous l'avons exposé précédemment à la lumière de la microsociologie de Goffman, la principale difficulté qu'il a fallu surmonter a été la prise de posture épistémologique qu'il nous a semblé opportun de conserver pour rendre compte de ce que nous avions pu observer via notre recueil de données.

« La conclusion, dans une induction, est tirée des faits apportés en preuve, et non de ce que ces faits ont été reconnus suffisants ; j'infère que mon ami marche auprès de moi, parce que je le vois, et non parce que je constate que mes yeux sont ouverts et que la vue est un moyen de connaissance » (Mill, 1866, 232). Difficile retour sur l'observation en terme de conservation de l'objet que l'on regarde, il nous faut garder à l'esprit que nous ne voyons que ce que nous nous sommes donnée la peine de pouvoir observer, et nous devons accepter de faire le deuil de tout ce que nous avons perdu en faisant le choix de voir une chose plutôt qu'une autre.

Rentre compte de la réalité sera donc rendre compte de ce qui fait que les faits semblent réels aux acteurs, à un moment donné et dans des circonstances particulières, tout en gardant à l'esprit que « La totalité des faits actuels est l'infaillible résultat de tous les faits passés, et, plus immédiatement, de tous les faits existant le moment d'avant. » (Mill, 1866, 415) L'utilisation du concept de cadre de Goffman qui nous explique que nous disposons de cadres qui nous permettent de définir les situations et que ces cadres sont, le plus souvent, mobilisés sans en avoir conscience, « même si aucun de nous ne saurait dire pourquoi », (Goffman, 1991, 21) nous a permis de mieux rendre compte de l'expérience de chacun. Ces cadres nous permettent de faire face à la plupart des situations, des plus banales à ce qu'il y a de bizarre dans la vie sociale et, comme Goffman, nous nous occupons « de l'expérience individuelle de la vie sociale. » (id, 22) Alors que cette approche nous permet de faire le lien avec les apports bourdieusiens, nous reconnaissons, dans notre travail actuel, la limite de nos données, une limite qui ne nous autorise pas à aller conquérir les structures sociales mais qui nous permet néanmoins de rendre compte de l'expérience de formation vécue par les infirmiers de leur premier stage à leur maturité professionnelle. C'est le but que nous avons cherché à atteindre dans ce travail et nous présentons donc en suivant les résultats et analyses qui nous ont été révélés au travers du point de vue déterminé par l'ensemble de ces techniques et méthodes utilisées.

Chapitre 3 Résultats et analyse des données

« A mesure que la philosophie progresse, elle retire la vie et l'activité aux objets et les laissent inactifs et morts. On trouve qu'au lieu de se mouvoir volontairement, ils sont mus nécessairement ; qu'au lieu d'agir ils pâtissent ; et la Nature apparait comme une grande machine dans laquelle une roue est mise en mouvement par une autre ; celle-ci par une troisième ; et jusqu'où se poursuit cette succession nécessaire, le philosophe l'ignore. » in Essai sur les facultés actives de l'esprit humain, REID Thomas.

1 - Point de départ de la recherche

Pour démarrer notre travail, nous avons d'abord réalisé deux entretiens exploratoires, l'un auprès d'une directrice d'IFSI et l'autre auprès d'une directrice de soins d'un site de CHU. Au travers de ces entretiens, nous voulions aborder deux visions différentes de la réforme au niveau des stages pour mieux réaliser les enjeux de cette réforme et également ce qu'elle mettait à jour en leur sein.

Les entretiens ont été non-directifs pour laisser libre cours au développement d'aspects qui ne nous étaient pas encore dévoilés et, à l'exception de quelques relances placées dans le cheminement des enquêtés, les entretiens ont été des monologues avec pour seul thème d'approche une narration de ce qui a été mis en place dans le cadre de la réforme sur le plan des stages cliniques. Ces entretiens ont été très productifs et je remercie bien leurs auteurs pour tout ce qu'ils nous ont apporté, autant en termes de précision sur la réalité de la mise en place de la réforme que pour les questions et réponses qui ont découlé de l'analyse de ces entretiens. C'est l'analyse thématique des entretiens exploratoires qui apporte le plus la preuve d'une dissonance entre volonté de partenariat et manque de confiance envers ses partenaires (cf. annexe n°8).

Ainsi, la directrice d'IFSI interrogée défend avec vigueur la qualité actuelle de la formation dispensée par les infirmières auprès des étudiants dans les stages cliniques, « l'infirmière de proximité était déjà responsable (...) elle a la capacité et les compétences » mais dénonce par ailleurs le manque de rigueur de son évaluation : « l'appréciation était relativement rarement extrêmement explicite, en fait il y avait des écrits mais qui n'étaient pas nommés, il n'y avait pas de publication ni rien. »

Le partenariat entre centre de formation et terrain de stage quant à lui oscille entre une volonté de faire mieux et un espoir perçu comme un Graal inaccessible. Ce partenariat va ainsi de l'envie de « valoriser déjà un partenariat qui existait » à l'énonciation d'une maxime que l'on entend un peu comme une comptine que l'on réciterait sans vraiment croire à ce qu'elle dit : « il faut vraiment que cette complémentarité se mette en place. (...) Qu'il faut que là, sur le début de l'année 2010, on ait vraiment, un étayage qui soit beaucoup plus important qu'on ait vraiment quelque chose qui se consolide et puis, j'vous dis, il faut vraiment qu'on se fasse confiance les uns les autres et c'est vrai que.. »

Il est également à noter qu'autant du côté du terrain la directrice des soins semble espérer la construction d'un travail commun et énonce cette idéologie, notamment pour la validation des stages pour laquelle elle affirme que « le service va valider les compétences (...) en partenariat avec les IFSI » alors que pour la directrice de l'IFSI « c'est l'enseignant de suivi pédagogique qui va valider le stage. » Alors même que le partenariat devrait ici se faire dans les meilleures conditions, la directrice des soins ayant eu la fonction de formatrice durant sa carrière, on constate que les a priori et les préjugés restent prégnants et que la confiance requise en la fonction pédagogique de l'infirmière n'existe pas encore au sein de l'institut de formation qui a le regret de ce qui aurait pu être mais ne sera pas : « l'idéal aurait été qu'on puisse aller, qu'on puisse les emmener dans les stages ... de voir venir en stage travailler avec eux pour faire une activité, une matinée, un truc comme ça. »

Qu'est ce qui pourrait permettre aux instituts d'avoir confiance dans les compétences qu'ils vont désormais valider au sein de la nouvelle formation infirmière ? Les stages cliniques sont-ils lieux de dissonance perpétuelle pour les étudiants ou, au contraire, permettent-ils une meilleure attitude réflexive ? Quel rôle les professionnels ont-ils réellement au sein des stages ? Nos questions se précisent et s'affinent pour mieux aller observer.

2 - Des expériences de situations de formation

Nous avons rencontré plusieurs typologies de formateurs professionnels au cours de notre expérience personnelle. En utilisant des scènes ethnographiques issues de cette expérience, nous avons souhaité avoir une base d'observation qui nous permettra par la suite d'interroger les soignants sur ces pratiques. En s'en tenant à la seule attitude des soignants, sans prendre en compte l'étudiant qui est en face d'eux, nous avons déterminé une analogie forte avec les rôles des éducateurs évoluant auprès des enfants, et préférons les livrer ici dans la terminologie du quotidien de tous pour mieux les appréhender. Voici donc les différents acteurs infirmiers types que nous avons puisé dans notre expérience de manière non exhaustive mais dans la recherche de la diversité des catégories de professionnels, tant dans l'exercice de leur rôle de formation auprès des étudiants que dans les différentes attitudes qu'ils peuvent adopter selon les situations et les personnes rencontrées.

Dans la première situation, nous voyons une infirmière qui se positionne en tant que professionnelle garant d'un étudiant qui, ici, a commis une faute professionnelle dont elle se sent responsable comme pourrait l'être un parent. L'aspect hiérarchique est ici incontestable et c'est par l'autorité que l'infirmière assène l'obligation de soumission au secret professionnel comme posture indispensable à la continuation de l'exercice de l'étudiante. Nous retrouvons ici le comportement que pourrait avoir un père sermonnant son enfant et, d'ailleurs, la réaction de l'étudiante dans une attitude de soumission ne réagissant qu'à l'approche d'un tiers extérieur nous révèle effectivement la dissymétrie de statut qui existe ici entre l'infirmière et l'étudiante. L'étudiante ne semble pas en mesure d'accepter ce sermon et réitèrera sa « bêtise » par la suite, ne semblant pas admettre la sagesse paternelle ou n'étant pas encore assez mature pour s'émanciper de cette emprise paternelle. Nous avons donc nommé ce type de posture :

L'attitude paternelle

Lorsque j'arrive sur la scène, l'infirmière m'apostrophe de suite pour me prendre à témoin et solliciter mon appui dans sa démarche :

-« tu imagines, elle a dit à un patient qu'il a le cancer alors qu'on en est même pas sûr ! »

-« ah oui, c'est vrai ? »

L'étudiante se tient les yeux baissés, un rictus sur les lèvres la fait paraître tel un enfant que l'on est entrain de gronder ;

-« Oui et en plus elle a même pas l'air de réaliser. »

L'étudiante prend alors la parole.

-« bah si mais aussi le M. m'a demandé ce qu'il avait alors je lui ai répondu, je ne savais pas qu'il ne fallait pas, c'est tout. »

L'infirmière écarquille les yeux, rougit et ouvre la bouche :

-« Nan mais c'est pas vrai mais qu'est ce qu'ils t'ont appris à l'école ? T'as jamais entendu parler du secret professionnel ? »

-« bah si mais là ça le concerne quand même... »

-« Mais tu n'as pas le droit d'annoncer le diagnostic... dis-lui toi ! » Elle se tourne alors vers moi avec un regard implorant et je reprends alors l'explication.

-« Oui, c'est vrai, même si le patient est concerné, en tant qu'infirmière tu n'es aucunement en droit d'annoncer un diagnostic, c'est du ressort du médecin. »

A cet instant l'étudiante fond en larme et le dialogue s'arrêtera ainsi.

Cette étudiante arrêtera la formation dans les semaines qui suivront la fin du stage où elle accumulera les actions d'irrespect du secret professionnel notamment en parlant des patients avec les autres patients ou en exprimant des informations aux familles.

Après l'image paternelle, nous venons naturellement à l'attitude maternelle où l'explication supplée à l'autorité, en tout cas dans le sens commun que nous donnons au modèle parental. L'infirmière est là dans un rôle de formateur en présence d'un étudiant qui découvre totalement un soin. Dans cette situation, elle enseigne à la fois l'acte et les connaissances indispensables à la réalisation de cet acte qui sont ici les règles d'hygiène et d'asepsie. Son attitude rappelle celle que nous avons-nous-même connue lors de la rencontre avec notre première confection de gâteau réalisée après avoir observé et compris les règles de cette exécution. La mère donne sa confiance d'emblée et éduque en vue d'une autonomie future :

L'attitude maternelle envers le petit enfant d'école primaire

Je suis dans la salle de soin à préparer mon chariot quand une collègue y entre avec un étudiant présent depuis quelques jours dans le service. C'est son 2e stage et c'est la 1ère fois qu'il assiste à un pansement. L'infirmière entre dans la salle tout en continuant de parler :

« Tu vois, il y a pleins de choses différentes à savoir pour réaliser correctement un pansement mais ne t'inquiète pas, chaque chose en son temps, on va voir ça étape par étape et, pour commencer, je vais t'apprendre à manipuler les pinces et à effectuer des tampons. »

Elle sort alors un plateau pansement, le déstérilise et lui montre comment prendre des pinces dans un plateau tout en gardant le plateau stérile et montre à l'étudiant comment effectuer un tampon avec les pinces. Elle lui demande ensuite d'essayer et après lui avoir donné quelques conseils, le laisse s'exercer pendant qu'elle nettoie son chariot de pansement. Elle revient ensuite, lui exprime satisfaction sur ce qu'il fait et se met alors en peine de lui expliquer les règles d'hygiènes et d'asepsie requises lors de la réalisation d'un pansement. Puis elle lui propose de la suivre lors d'un second pansement pour mieux observer ces règles et mieux comprendre les gestes qu'elle va effectuer.

Par la suite, j'ai pu vérifier par moi-même l'intégration de ces règles lors la mise en situation professionnelle de l'étudiant que j'évaluais avec un cadre formateur et où l'étudiant respecta ces règles tout en faisant preuve de dextérité dans la manipulation des pinces.

Dans la situation suivante, nous conservons l'image maternelle mais la transposons à une attitude qu'une mère aurait face à un enfant plus grand. L'infirmière met en avant un enseignement antérieur et c'est dans une relation d'entière confiance qu'elle accompagne l'étudiant dans un 1er temps pour, ensuite, le laisser utiliser seul cette connaissance. Elle a donc dû enseigner pour pouvoir être dans ce lien de tutorat qui permet à l'étudiant d'acquérir la maîtrise des difficultés telle que l'assumerait un professionnel diplômé. C'est l'autonomisation de l'adolescent à qui on se doit de faire confiance même si l'on garde les filets autour de lui au cas où il ferait un faux pas :

L'attitude maternelle envers l'adolescent

Je suis en passe de réaliser les prises de sang d'entrée aux détenus lorsqu'une collègue me demande si je peux laisser faire l'étudiant pour lui permettre de mieux s'aguerrir dans un soin qui lui pose souci quand les patients n'ont pas un bon capital veineux.

Après acceptation de ma part, je reste pour écrire mes transmissions tandis que l'étudiant organise son matériel puis appelle le premierr patient. Celui-ci est toxicomane et annonce d'emblée qu'il est presque impossible de réussir à lui extraire du sang.

L'infirmière prend alors la parole et explique à l'étudiant plusieurs choses :

« Dans ce cas-là, il ne faut pas que tu te fies à tes yeux mais il faut que tu fasses confiance à tes doigts pour bien sentir la veine ; vas-y mets le garrot et dis-moi ce que tu sens. »

L'étudiant s'exécute.

-« Alors, tu sens quelque chose ? »

-« bah.... Je sens bien quelque chose sur le poignet mais ce n'est pas un endroit où on peut piquer ! »

-« Tu sais, il ne faut pas se contenter de ce qui est habituel ici ! »

-« Alors, tu crois que je peux piquer ici ? »

-« Si ton intuition te dit que c'est là que ce sera le plus facile alors, oui, pique-là mais n'oublie-pas tout ce que je t'ai appris ; tu prends une petite aiguille, tu tunnelises ta veine et surtout tu ne bouges plus une fois que tu es dans la veine ! »

-« Ok, j'y vais ! »

L'étudiant tente alors la prise de sang avec une visible maitrise des procédures d'hygiène et de sécurité (lavage de mains, port de gant, désinfection du bras en un seul passage...) et réussit celle-ci après une recherche de quelques secondes jusqu'à ce que le sang monte dans le cathéter utilisé. Une fois le soin terminé et le patient sorti, il s'adresse à l'infirmière :

-« ça y est, j'ai enfin compris, je te remercie, je ne croyais vraiment jamais pouvoir réussir une prise de sang aussi difficile avant ! »

-« C'est bien, maintenant je crois que tu es prêt à affronter les autres patients tout seul. »

-« D'accord ! »

Elle sort alors en me faisant un clin d'oeil en sortant, laissant l'étudiant se débrouiller seul. Celui-ci fera preuve de professionnalisme et ne demandera aucune aide pour réaliser l'ensemble des 12 prises de sang prévues ce jour là.

Dans la situation suivante, l'image de la grande soeur voulant se substituer à l'image maternelle en montrant qu'elle sait et qui plus est sait bien, mais sans forcément le tact et le doigté qu'une mère aurait pour expliquer cette somme de connaissances à acquérir avant de pouvoir devenir « grand ». L'étudiant pense donc savoir quelque chose et l'infirmière crée la condition pour qu'il apprenne ce qu'il ne sait pas, cependant, à la première erreur, elle ne le laisse pas entrer en relation avec le savoir et lui donne plutôt un tutoriel d'action à reproduire sans attitude réflexive. L'étudiant pourra donc reproduire ce tutoriel durant ce stage mais il reste à voir s'il intègrera tout ce qu'il représente et si ces préconisations seront suivies par la suite. Il y a ici une dissymétrie face au savoir mais même si ce savoir est juste, il semble que l'infirmière ne parvient pas à devenir éducative dans ce soin noyant l'étudiant sous une somme de connaissances, certes indispensables, mais qui devraient lui être données plus progressivement pour lui permettre de les intégrer dans la limitation du nombre de boîtes et de patients par exemple :

L'attitude fraternelle vers plus petit que soi

J'arrive sur la scène alors que la phase de préparation des traitements a déjà commencé. Je viens, moi aussi, préparer mes traitements selon l'organisation habituelle de la journée.

L'étudiant est à sa première boite de traitement sur 17 boîtes à réaliser des traitements de chaque patient pour 24h.

Il fait cela seul et l'infirmière responsable est à côté. Une fois sa première boîte finie, celle-ci la vérifie. Elle exprime rapidement la découverte d'erreurs et fait stopper l'étudiant. Elle lui dit :

-« je croyais que tu savais faire mais là, il y a trop d'erreur et on va donc reprendre ça ensemble. »

-« Bah, je sais pas pourquoi vous dites ça, je l'ai déjà fait avant dans d'autres stages et il n'y avait pas de souci. » 

-« Alors tu as sûrement un problème avec nos prescriptions ! »

-« Non ! »

-« Bon, regarde ! Là c'est du paracétamol qui est prescrit et toi tu as mis du PRIMPERAN®. »

-« Ah bah oui mais il faut dire que le rangement de la pharmacie n'est pas terrible. »

-« Donc il y a bien un problème. »

-« Heuuu »

-« A chaque fois que tu change de lieu, il faut que tu sois encore plus vigilant pour éviter les erreurs aussi il faut absolument que tu vérifies toujours ce qu'il y a d'écrit sur les blisters comme la date de péremption et le dosage prescrit par rapport à celui qui se trouve dans la pharmacie. C'est comme avec tous les produits, il faut que tu te fasses une check-list comme les pilotes de lignes : tu vérifies la prescription et sa conformité avec les recommandations du VIDAL, tu prépares les traitements en vérifiant le nom, le dosage, le mode d'administration et la date de péremption. Tu trouves peut-être que c'est beaucoup mais c'est à force de faire que tu arriveras à aller vite tout en évitant les erreurs. »

-« oui, oui »

-« Vas-y, maintenant, continue ! »

Nous allons, à présent, vers la professionnelle de l'éducation qui, dans une pratique des plus courantes, donne les consignes pour effectuer un exercice, le corrige, et s'assure, par la suite qu'il est intégré en le vérifiant face à d'autres conditions. L'infirmière est bien dans une démarche éducative d'apprentissage qui laisse la possibilité à l'étudiante d'éprouver son savoir tout en permettant l'acquisition d'un nouveau savoir à chaque patient qu'elle présente, exercice finalement difficile pour une étudiante qui doit accepter de ne pas savoir pour pouvoir apprendre :

L'attitude de l'enseignant institutionnalisé

C'est la première fois que cette étudiante effectue les transmissions orales dans le service et l'infirmière lui donne les consignes avant qu'elle ne s'adresse à moi.

-« Donc, en fait, là, l'infirmière ne connait pas du tout les patients, alors il va falloir que tu lui donne comme une vidéo de ce que tu sais sur les patients depuis leur entrée dans le service jusqu'à aujourd'hui. En gros, tu résumes dans les grandes lignes en parlant de tout ce qui est important pour arriver à ce matin et les problèmes du jour. C'est comme une présentation d'un patient en MSP (mise en situation professionnelle) mais t'as 2 minutes pour le faire. Vas-y, c'est à toi. »

L'étudiante commencera par faire un exposé long, très long, trop long qui sera repris par l'infirmière pour lui montrer comment elle aurait dû synthétiser. Ensuite, l'exposé du jour sera repris également car comportant des manques. Par la suite, l'infirmière ne devra reprendre l'étudiante que de loin en loin et n'apportera que quelques ajouts relevant plus des spécificités du service que des capacités de synthèse et d'analyse de la situation médicale des patients. Enfin, l'étudiante sera félicitée et encouragée à poursuivre dans ce sens pour les jours suivants.

« L'enseignante» a beau être une professionnelle de l'éducation, le premier jour est un jour à part où maîtresses comme élèves attendent beaucoup l'un de l'autre. Dans la situation qui suit, il semble que la cérémonie de la rentrée ait été tronquée, mettant « l'enseignante » dans une situation éprouvante et in fine déteignant sur l'étudiante. L'infirmière doit en effet à la fois évaluer les acquisitions et à la fois enseigner le plus possible de nouveaux actes à l'actif de l'étudiante. Le fait de demander directement à l'étudiante ce qu'elle sait ou ne sait pas est abrupte et peut biaiser la relation en mettant l'étudiante en port à faux mais, sans autre moyen, il semble difficile que le contact s'établisse autrement. C'est donc dans la peur que l'étudiante effectue un nouvel acte, apprenant ainsi également, mais de manière informelle, la gestion du stress. La difficulté liée à l'impossibilité d'effectuer un accueil suffisant à sept heures ajoute à l'effet tronqué que donne cette situation si nous l'apposons à une rentrée des classes institutionnelle d'école.

La rentrée des classes

C'est le premier jour de cette étudiante en début de deuxième année et cela fait à peine une heure qu'elle est dans le service. L'infirmière qui la prend en charge ce matin-là, lui demande si elle sait préparer des perfusettes de traitement intraveineux. Devant la réponse négative, elle lui propose donc de lui montrer une fois en lui expliquant ce qu'elle doit faire puis elle essayera ensuite :

« Alors, comme pour tout soin, l'hygiène est essentielle et ici il s'agira de garder le produit stérile jusqu'à l'injection au patient. Pour cela, l'essentiel à retenir est de ne toucher à rien ! Regarde ! »

L'infirmière montre alors les gestes de sa pratique courante en précisant à chaque geste les raisons qui la poussent à manipuler précisément ainsi en raison des risques liés à l'aspect stérile de la préparation : rester loin des points d'injection, poser les mains le plus loin possible des produits, ouvrir les produits sans toucher l'intérieur, éviter à l'air de rentrer dans le système clos de transfert du produit reconstitué par l'utilisation de la double membrane de la chambre implantable de la solution de perfusion... Après quelques minutes, elle demande à l'étudiante d'essayer.

Celle-ci tremble, commence à essayer de reproduire les gestes vus, mais commet des erreurs. Elles sont reprises par l'infirmière, corrigées, expliquées et, après deux essais, l'étudiante a réussi la reconstitution du produit sans erreur rédhibitoire et semble soulagée, émettant un grand soupir à l'assentiment de l'infirmière.

L'éducation par les pairs n'est pas oubliée, lorsque la seule différence se situe sur une pratique gestuelle à transférer un peu comme un élève montre à un autre ce qu'il doit faire dans le self car il vient juste d'arriver et ne connait que la cantine où il n'avait pas à se servir jusqu'ici. Dans l'exemple qui suit, l'étudiante semble avoir acquis la maîtrise des gestes d'hygiènes requis en troisième année et l'infirmière se place plutôt dans une attitude de tutorat telle qu'elle pourrait l'adopter avec un nouveau membre de l'équipe pour lui apporter une expertise sur un soin acquis dans la plupart des situations mais demandant des spécificités dans ce cas précis :

La camarade bienveillante

Dans ce service, la spécialité est la chirurgie du dos et la toilette est donc faite en collaboration avec l'infirmière afin de mobiliser les patients sans risque pour leur futur tout en réalisant un soin d'hygiène complet en ôtant les corsets souvent présents.

Je suis auprès du patient voisin lorsque l'étudiante, une fois la toilette de devant réalisée, demande de l'aide à l'infirmière qui la regarde pour faire le reste du corps.

-« Voilà, j'ai fini tout le devant, tu peux m'aider à le tourner, je ne l'ai jamais fait encore. »

-« Alors, avant de le faire, je vais t'expliquer comment nous allons procéder car il faut absolument que l'on soit coordonnées et que tout soit fait comme il faut : Le principe général est de garder la colonne toujours droite, nous allons le tourner du côté gauche d'un seul bloc. Moi je vais m'occuper de la tête et toi tu vas tourner le reste du corps en même temps. »

-« Mais comment je vais savoir quand est-ce qu'il faut que je le tourne ? »

-« Je compterai jusqu'à trois ! »

-« ok »

-« Bon, on y va, tu es prête ? »

-« Oui, c'est bon ! »

La manoeuvre s'est effectuée alors sans encombre et l'étudiante reproduira elle-même ces gestes durant le stage avec une aide-soignante.

Nous comprenons bien à présent que les attitudes des professionnels peuvent différer de l'un à l'autre à moins que cela ne soit d'un moment à l'autre ou alors d'un étudiant à l'autre. Nous savons dorénavant qu'il y a donc différentes postures face à l'expérience de la formation et nous souhaitons à présent essayer de comprendre ce que ces attitudes signifient. Pour cela nous nous tournons vers les acteurs concernés : les étudiants et les professionnels.

3 - Le point de vue des étudiants

Au coeur du système de formation, les étudiants racontent leur vécu de stagiaire. A travers leur regard nous avons essayé de mieux appréhender les contraintes qui imposent des manières d'agir aux infirmiers quand ils exercent leur rôle de formation auprès de ces stagiaires. Tout se passe comme s'il existait trois niveaux de contraintes fortes avec une donnée supplémentaire biologique et singulière que nous traiterons à part. Dans le tableau qui suit, nous avons souhaité repérer la récurrence des thèmes évoqués et décrire de manière synthétique les regroupements que nous avons effectués lors du passage aux niveaux supérieurs, que nous nommons niveaux mais que nous ne souhaitons pas hiérarchiser et que nous pourrions aussi bien appeler cadre en référence au sens de Goffman (1991). Il nous a semblé plus explicite de présenter ce tableau d'analyse thématique in texto pour donner une approche globale avant d'aller dans le détail plutôt que de se perdre dans des explications alors que notre intention est d'être plus clair. Dans le texte explicatif qui suit nous développons donc ces cadres et ce qu'ils représentent ici à travers les propos recueillis des étudiants. (cf. Annexe n°7)

Tableau d'analyse thématique

NIVEAUX

étudiants thèmes

Cassandra

Anne-lise

Arnaud

Glawdys

Eric

Rose

Laurie

ORGANISATIONNEL

référent

besoin

2 c'est mieux

pas 1 seul

 

 

 

2 au mieux

équipe

besoin

besoin

besoin

 

besoin

 

besoin

evaluation1/2

besoin

 

 

 

 

 

besoin et même plus

INSTITUTIONNEL

Motivations

professionnelles.

besoin

 

besoin

besoin

besoin

besoin

besoin

FC

besoin

 

 

besoin

besoin

 

 

INTERPERSONNEL

indifférence

 

néfaste

néfaste

néfaste

néfaste

néfaste

 

pédagogie

 

besoin

 

 

besoin

besoin

besoin

charge de w

 

 

indifférente

 

indifférente

 

néfaste

responsabilisation

 

besoin

besoin

besoin

besoin

besoin

besoin

communication

besoin

besoin

besoin

besoin

besoin

besoin

besoin

accueil

besoin

besoin

besoin

 

 

 

besoin

BIOLOGIQUE

planning

 

 

adapté

 

 

 

 

3.2 - Cadre institutionnel

Parce que nous nous trouvons à la croisée du champ de la formation et de celui du monde du travail, il existe des contraintes institutionnelles incontournables pour les professionnels. Ainsi, le décret de compétences actuel des infirmiers en date de juillet 2004 leur impose un rôle légiféré :

[Selon le secteur d'activité où il exerce, y compris dans le cadre des réseaux de soins, et en fonction des besoins de santé identifiés, l'infirmier ou l'infirmière propose des actions, les organise ou y participe dans les domaines suivants :

1. Formation initiale et formation continue du personnel infirmier, des personnels qui l'assistent et éventuellement d'autres personnels de santé ;

2. Encadrement des stagiaires en formation ;

3. Formation, éducation, prévention et dépistage, notamment dans le domaine des soins de santé primaires et communautaires ; ]18(*)

Dans ce cadre les étudiants relèvent des différences de motivation et d'envie d'exercer ces actions. Ainsi, Cassandra nous exprime la difficulté que lui renvoient « des professionnels de santé qui ne souhaitent pas encadrer » plus insidieusement retrouvée dans des propos comme ceux d'Arnaud où il décrie ces stages « où on nous ne considère pas comme de futurs professionnels. La façon de nous parler, la façon de nous faire des remarques, le peu d'intérêt porté lorsque nous disons quelque chose. » Ainsi, certains professionnels se retrouvent contraints dans un rôle dévolu par une législation mais dans lequel ils ne se sentent pas à leur aise et où ils vont jusqu'à imaginer que « leur » service pourrait choisir les étudiants voire leur interdire complètement l'accès, comme en témoigne les propos d'Eric à qui une infirmière lui a dit qu'il « n'avait rien à faire dans un tel service » avant de lui assener le lendemain un « tiens t'es revenu, toi. » D'autres professionnels ne semblent même pas s'inscrire dans cette obligation allant jusqu'à considérer l'étudiant comme des bras supplémentaires, « pour d'autres j'étais plutôt une aide » nous écrit ainsi Laurie.

Comment déterminer une fonction lorsqu'une obligation légale n'est parfois pas suivie ? Comment permettre à des étudiants comme Glawdys de pouvoir affirmer avec soulagement que « l'infirmière est restée très objective » malgré ses erreurs liées à sa situation d'apprentissage ?

Ces professionnels ont marqué négativement les étudiants par leur approche et nous sommes en droit de nous demander si leur formation pédagogique voir didactique est suffisante pour exercer alors un tel rôle auprès de futurs professionnels. Cependant, d'autres sont perçus inversement de manière positive aussi nous ne pouvons incriminer ici que d'éventuelles lacunes théoriques. Alors que ces différences semblent participer également à la construction réflexive des étudiants puisqu'ils sont capables de déterminer ce qui semble aidant de ce qui ne l'est pas ; les réactions diffèrent, certes, mais n'est-ce pas cette différence qui permet à l'étudiant de se construire une image du futur professionnel qu'il souhaite être ? De même, la perception d'un étudiant est également reliée à l'image que donne tel ou tel service, ce dont Arnaud se fait le reflet lorsqu'il prétend que « ce sont toujours dans les mêmes stages où nous sommes mal encadrés » et même s'il modère lui-même ses propos en les qualifiant d'« une simple constatation. » L'effet d'image joue très certainement également un rôle qui n'autorise pas les étudiants à s'inscrire dans un stage sans les préjugés que nous pourrions comparer à ceux que pourrait avoir un enseignant de CM2 sur un enfant décrit comme mauvais élève par tous ses prédécesseurs. Nous nous retrouvons donc ici face à un effet Pygmalion inversé ou négatif, le regard de l'étudiant créant la crainte du stage devenant alors « LE » stage maudit. Cet effet Pygmalion négatif est retrouvé dès les entretiens exploratoires auprès de la Directrice de l'IFSI interrogée qui, au début de l'entretien me glisse un « puisqu'on est obligé de faire appel à ce genre de stage hein ? », finissant par dévoiler complètement son ressenti sur certains lieux qu'elle n'utilise qu'à regret et au décours de soucis d'organisation : « Il nous manque plus que 2 stages mais ça va être dans des lieux obscurs qu'on va les trouver... des lieux obscurs. Donc ça c'est un vrai problème. Ça c'est un vrai, vrai problème ... » La véritable question serait alors dans ce que les étudiants puisent au sein de ces stages ressentis négativement et, finalement, ne serait-ce justement pas cet effet négatif qui apporte le plus ?

De la même manière, les étudiants pointent la dichotomie théorie-pratique où la théorie, à l'instar du travail intellectuel par rapport au travail manuel, serait l'apanage des IFSI reconnaissant finalement à ces derniers la connaissance de la vérité applicable par tous, en tous lieux et en toutes circonstances. Ainsi, Glawdys nous rapporte le cas d'une infirmière qui « répondait que c'était parce que j'étais là qu'elle faisait comme ça mais que d'habitude elle faisait différemment... » Allant plus loin, une autre étudiante nous raconte la difficulté éprouvée face aux « professionnels de santé qui ne se remettent pas en question sur leur pratique professionnelle » comme ci cette pratique lui était acquise suffisamment pour l'intégrer et l'utiliser au sein d'une analyse lui permettant d'affirmer que ces professionnels n'ont pas de bonnes pratiques et devraient peut-être se mettre à jour sur les théories en cours.

Le décret de juillet 2004 détermine pourtant que [pour garantir la qualité des soins qu'il dispense et la sécurité du patient, l'infirmier ou l'infirmière a le devoir d'actualiser et de perfectionner ses connaissances professionnelles]19(*) et le fait d'effectuer les actes différemment en présence de l'étudiant montre bien une parfaite connaissance. Ce que relèvent les étudiants serait donc plus de l'ordre d'une distance importante entre ce que les IFSI leur enseignent et ce qu'ils peuvent observer dans la réalité. A l'heure d'une actualité brûlante sur les erreurs professionnelles il est difficile d'imaginer que les praticiens en place ne soient pas conscients de leurs actes mais ceci nous montre cependant la difficulté des liens actuels entre IFSI et professionnels, soulignés par les propos de la Directrice de l'IFSI : « pour pouvoir construire, je dirais, un partenariat beaucoup plus important par rapport à ce qui existait auparavant (...) qui était un partenariat ... un partenariat gris comme moi j'appelle cela. » De manière identique, la Directrice des Soins Infirmiers, qui plus est, affirme que « le but à atteindre, c'est qu'je peux vraiment, je le souhaite pour les uns et les autres : c'est arriver à avoir un partenariat le plus large possible avec les instituts de formation, ça c'est très clair. »

Contrairement à ce qu'affirment les étudiants, il semble donc qu'une remise en question institutionnelle soit en marche avec une réelle volonté d'amélioration de cette situation dont les étudiants pâtissent aujourd'hui.

3.3-Cadre organisationnel

Pour des questions de cohérence, le CHU concerné par notre étude met en place des pratiques d'encadrement uniformes au sein de ses terrains de stage. Les services sont donc, pour la plupart, organisés avec un ou plusieurs référents de stage et effectuent le plus souvent des évaluations à mi-stage. Le principe du travail d'équipe dans les services est également un principe d'organisation commun à l'ensemble des services visités de par la structure même du travail infirmier, qui fonctionne dans une continuité des soins dans l'alternance des horaires et par la passation du travail au sein des transmissions. Chaque professionnel est donc tributaire du travail effectué en amont et a une incidence sur le travail qui sera effectué en aval et il ne peut subséquemment pas se départir de la coopération indispensable avec l'ensemble des professionnels de santé qu'il côtoie.

En termes de référence, les étudiants pointent les difficultés qu'ils ont pu rencontrer lors des références unitaires comme Eric qui nous raconte une rencontre difficile :

« A mon arrivée, je fus pris en charge par ma référente. Celle-ci me demanda de me présenter rapidement et de résumer mon cursus professionnel. Elle me dit alors que ce stage allait certainement être particulièrement difficile pour moi car un homme de mon âge, avec tous ses préjugés, et de surcroît non issu du milieu médical, n'avait rien à faire dans un tel service. Lui demandant ce qu'elle entendait par-là je fus confronté à son silence, silence que je rencontrerais souvent par la suite, puisque je n'ai jamais réussi à établir de réel dialogue avec elle. »

Cependant, ils expriment, pour quatre d'entre eux, le bénéfice qu'ils ont tiré d'une pluralité de référence plutôt qu'une référence unique, ainsi que l'exprime Arnaud :

« J'ai trouvé très agréable d'être encadré par un professionnel en début de stage, qui voit notre niveau puis ensuite changer de professionnel pendant quelques temps en milieu de stage et être de nouveau encadré par le premier professionnel en fin de stage, qui peut alors voir notre progression. »

Il semble donc être reconnu par les étudiants que le système de référence est un système facilitant, « ce qui a été facilitant ce sont les référents : un infirmier(e) qui s'occupe de nous durant tout le stage, on se trouve sur le même roulement, du coup il peut voir notre évolution » nous dit Cassandra ou « de façon générale, je préfère un encadrement avec au moins un référent, l'idéal est deux, à mon avis » affirme Laurie. Tout se passe donc comme si la référence pouvait être vécue à la fois comme un chemin de croix pour des difficultés relationnelles mais qu'elle permettait également un ancrage fort qui aide l'étudiant à se situer face à son évolution au sein du stage. Le référent serait alors un professionnel particulier, aidant l'étudiant dans sa quête vers le professionnalisme apparemment plus performant dans ce rôle quand il n'est pas solitaire, en tout cas du point de vue des étudiants, car plus centré sur les compétences à acquérir quand il n'est pas seul plutôt que sur la relation à l'étudiant.

L'évaluation est requise pour certains étudiants comme permettant «un soutien ou un réajustement » et jugée comme un handicap si elle n'est pas réalisée, à l'instar de Laurie qui se plaint d'avoir été « très peu évaluée » lors du stage qui lui a posé le plus de difficultés. Il semblerait que cet état de fait ne soit pas requis par tous et que certains, moins sensibles à l'attente des professionnels, peuvent se réaliser parfaitement au sein des stages malgré l'absence de référents, comme en témoigne l'adaptation d'Eric face à une « structure [qui] faisait appel à des IDE intérimaires » et que « c'est avec l'un d'eux (...) que j'ai vécu cette situation [positive]

Lors des conversations avec les professionnels, il s'avère que cette évaluation fait une entière unanimité mais n'est pas toujours réalisée faute du temps requis jugé nécessaire et que cette déficience relève donc davantage d'un problème réel d'organisation plutôt que d'un niveau organisationnel. Ceci nous emmène au dernier niveau qui nous semble pertinent ici :

3.4 - Cadre interpersonnel

Alors que la charge de travail ne semble pas être un obstacle à la prise en charge des étudiants, comme le relève Arnaud : « ce sont dans les services où il y a beaucoup d'étudiants et où la charge de travail est importante où l'encadrement que j'ai reçu a été le mieux! » , Eric surenchérit même cet état de fait en décrivant le contexte de la situation vécue qu'il a le plus appréciée : « un matin nous ne nous retrouvions plus que, l'IDE intérimaire dont c'était la troisième journée de présence, une AS, un agent de surface et moi-même. » Il semblerait donc que la charge de travail qui pèse sur les professionnels ne joue pas sur la qualité de leur mission de formation à l'exception de ce qui est relevé par Laurie quand elle nous dit que « La cadre de santé était très prise aussi donc pas trop disponible. » Cette aporie montre que la latitude des professionnels s'exerce au sein d'une organisation elle-même intégrée dans une institution qui place le rôle de formation à un grade différent de l'obligation de soins imposante et immuable. Il apparait alors que tout un cadre au sens de Goffman permettrait à l'étudiant de s'intégrer au sein d'un stage.

Ce cadre présente plusieurs étapes au sein des stages :

· L'accueil

· La communication

· La pédagogie

3.4.1 - L'accueil

« Ce qui a été facilitant ce sont (...) l'accueil : des explications sur le statut du stage, les pathologies prévalentes, les connaissances pré-requises » nous dit Cassandra, appuyée par Eric quand il exprime que « l'encadrement des étudiants est quelque chose qui ne s'improvise pas avec un simple livret d'accueil que l'on fait semblant de lire parce que dedans il n'est écrit que des choses évidentes et sans intérêt. » Cette porte d'entrée dans le monde professionnel est donc un moment qui semble essentiel aux étudiants et qui, s'il paraît presque naturel lorsque nous invitons quelqu'un chez soi, peut être plus difficile à réaliser dans le quotidien des services face à des étudiants semblables à Anne-Lise qui nous avoue que « tous mes débuts de stages sont très durs. J'ai toujours peur de mal tomber. Ce qu'on cherche avant tout c'est d'être inclus dans l'équipe. » Puisque justement ce statut d'étudiant rend éphémère leur passage dans un service, il s'avère que certains professionnels n'effectuent peut-être pas toujours l'effort d'inviter ces infirmiers en devenir à entrer dans « leur maison », ce qui pourtant peut se faire simplement comme dans la situation que nous décrit Laurie :

« Le premier jour, elle m'a donc accueillie, elle m'a présenté le service à l'aide d'un livret d'accueil individuel sur lequel je pouvais écrire mes acquis et les soins à acquérir en fonction de mes objectifs personnels. Ensuite elle m'a fait un rappel théorique dans un bureau, elle m'a montré le fonctionnement du service avec l'outil de travail qui était l'ordinateur et m'a expliqué l'organisation en fonction des horaires.

A la fin de cette première journée je savais où j'allais. »

Cependant, cette première porte ouverte ne suffit pas forcément pour que l'étudiant se sente dans un environnement qu'il ressent comme satisfaisant pour lui permettre d'apprendre, de se former et de progresser au sein d'un stage.

3.4.2 - La communication 

Infirmier étant un métier de communication, il ne semble pas étonnant du tout que les étudiants en Soins Infirmiers parlent tous autour de cette-communication utilisant par la même ce qu'ils considèrent comme son mode privilégié au sein de la profession à laquelle ils aspirent : le langage. Lorsque nous connaissons la difficulté que représente la concordance des Arrière-Plans de chacun au sens de Searle (1985) afin de réussir à se comprendre dans l'utilisation de mots, nous pouvons facilement imaginer que cette communication langagière peut représenter un obstacle même au sein d'une communauté qui pratique la relation au quotidien.

Ce qui est le plus difficile pour les étudiants parait donc être en toute logique l'absence de communication que nous avons nommée ici « indifférence », comme nous l'annonce « tout de go » Anne-Lise : « J'ai très mal vécu ce stage par rapport à une infirmière (ma référente) qui ne m'adressait pratiquement pas la parole ». Ce manque de parole est repris par Eric lorsqu'il nous écrit : « je fus confronté à son silence, silence que je rencontrerais souvent par la suite, puisque je n'ai jamais réussi à établir de réel dialogue avec elle ». Ainsi, tout porte à croire que l'importance du relationnel est ici déjà intégrée et que c'est à travers cette valeur professionnelle que les étudiants expriment leur ressenti, ne comprenant pas qu'il n'y ait « aucune explication malgré mes questionnements » une situation aussi vécue par Rose qui a « très mal vécu lors d'un stage dans un hôpital quand une infirmière (...) ne voulait pas répondre à (ses) mes questions ».

Pour ces étudiants, le silence témoigne d'un manque de considération et Arnaud exprime très bien la portée de ce problème, avec ce point de vue : « Je pense qu'il est important de considérer l'étudiant infirmier (...) La façon de nous parler, la façon de nous faire des remarques, le peu d'intérêt porté lorsque nous disons quelque chose ». Il y a une recherche réelle de compréhension qui ne semble pas toujours être apportée par les professionnels comme en témoigne l'infirmière rencontrée par Glawdys :

« Elle a préparé son matériel sans m'expliquer le « pourquoi du comment. »
On est arrivé dans la chambre, elle a préparé son matériel toujours sans explication. J'essayais de ne rater aucune étape pour bien comprendre le soin.

Je l'ai observée, manipulant le matériel(...)... et à mes questions (...), elle répondait que c'était parce que j'étais là qu'elle faisait comme ça mais que d'habitude elle faisait différemment... (c'était logique !)

Nous sommes ressorties de la chambre, j'avais rien compris aux étapes du soin car il n'y avait eu aucune logique, aucune explication malgré mes questionnements...

(...) elle n'expliquait rien, ne faisait aucun lien pour nous éclairer... »

De manière sans doute incitée par le poids des responsabilités inhérentes au métier d'infirmier, il parait se créer parfois un fossé entre les étudiants qui souhaitent comprendre pour minimiser leurs angoisses et les professionnels qui utilisent peut-être d'autres moyens que le langage pour transmettre leurs savoirs. Certains messages passent néanmoins puisque Cassandra pense que certains professionnels « ne souhaitent pas encadrer » alors qu'« aucun ne le dit directement ». Tout se passe ici comme si les paroles échangées participaient à une certaine considération pour l'étudiant, en lui signifiant une intégration au sein de l'équipe, comme l'illustre Anne-Lise en parlant des référents qu'elle a appréciés : « Elles n'ont pas hésité (...), à m'inclure dans les conversations, à me présenter ».

Allant plus loin en terme de défaillance de la part des professionnels, Eric souhaite « l'apprentissage des techniques du dialogue interprofessionnel » au sein de la formation infirmière alors que l'on retrouve des unités d'enseignements, in texto, dans le référentiel de formation en relation avec la compétence 6 qui est : « Communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins » en place et lieu de trois unités d'enseignement (UE) : UE 4.2.S2, S3 et S5 concernant les soins relationnels. De la même manière, dans chacun des semestres, une unité d'intégration concoure à l'acquisition d'une ou plusieurs compétences. Ainsi sont combinés et mobilisés les ressources, savoirs et savoir-faire, acquis dans les UE du semestre en cours puis, progressivement, des semestres précédents avec, au semestre trois : UE 5.3.S3 communication et conduite de projet.

Il semblerait donc que la formation ne soit pas mise en défaut, mais alors qu'est ce qui empêche professionnels et étudiants de communiquer « vrai » ?

3.4.3 - La pédagogie

Dans la lignée de Pestalozzi, pédagogue souhaitant progressivité et éclosion des enseignements dans le respect des élèves, nous parlerons ici de la pédagogie comme de la nécessité d'enseigner une culture infirmière autrement que par le dressage et l'endoctrinement sans pour autant délaisser ceux qui sont rétifs à cet enseignement. Passer d'une poïesis, création par le langage, à une praxis, action en vue d'un résultat, sans violence, par le dépassement, ne se fait que dans l'action, ici celle des professionnels inventant sans cesse de nouveaux dispositifs pour éduquer tout en laissant un espace de liberté suffisant aux étudiants. Dépasser par la pratique les apories théoriques tel est le but de l'ensemble de la communauté éducative qui a ainsi donné un sens commun positif à l'adjectif « pédagogue ».C'est à partir de ce sens commun que nous avons élaboré la rubrique « pédagogie » dans laquelle nous avons classé ce qui semblait relever des dispositifs mis en place par les professionnels ou même l'absence de ceux-ci relevée par les étudiants.

Imbriquée dans l'ensemble des autres inférences du cadre exploré, la pédagogie relève à la fois de la manière dont l'étudiant est abordé, Anne-lise affirmera ainsi : « j'étais quelqu'un et non pas quelque chose », et à la fois de la construction même de l'apprentissage ressenti positivement ou négativement comme en témoigne Laurie qui se plaint qu'elle « n'avais (t) pas de suivi » alors que ce qui lui va est une évaluation continue durant l'ensemble d'un stage.

Ainsi, nous ne pouvons que regretter que l'absence de moyens face à des étudiants réfractaires puisse conduire à des paroles violentes envers Rose telles « une infirmière m'a dit que je n'étais pas faite pour ce métier », et la question de la formation initiale se pose lorsqu'une infirmière demande à Eric

D'« être capable, dés le lendemain, d'expliquer dans le détail les pathologies auxquelles se rattachaient leurs troubles, de lui présenter, pour chacun d'eux, une démarche de soins selon l'approche freudienne et selon l'approche multifactorielle de ceux-ci, ces démarches devant se conclure par la justification, voire une proposition de modification, de la grille d'évaluation des troubles mise en place, soit d'une réévaluation des résultats de la thérapie cognitivo-comportementale mise en place, leurs dossiers étant à ma disposition pour cela. »

Cette demande est bien évidemment totalement irréalisable dans le temps imparti pour un étudiant comme pour un professionnel n'exerçant pas dans ce service précis. Il n'existe pas actuellement d'enseignement de la pédagogie dans la formation infirmière initiale et, si la visée éducative de la pratique quotidienne des étudiants ne laisse aucun doute, les étudiants semblent déplorer cette absence. Réservée actuellement aux cadres se destinant à la fonction de formateur, il semble que l'apprentissage des techniques pédagogiques pourrait être également utile aux professionnels formant les étudiants sur les lieux de stage. Sans dénier les qualités pédagogiques de la plupart des professionnels, nous pensons néanmoins que la violence des propos rapportés par les étudiants pourrait se raréfier s'il existait une meilleure compréhension du processus d'apprentissage, du lien pédagogique nécessaire entre apprenant et formateur et de la didactique des professionnels.

3.4.4 - Responsabilisation

Le cadre du stage étant posé sur le plan des interactions des acteurs, il faut tout de même rajouter une rubrique qui n'est pas toujours présente dans le cadre général mais qui prend une importance croissante au fur et à mesure de l'avancée dans la formation : la responsabilisation. Elle semble vécue comme une promotion vers la professionnalisation de la part des étudiants, et la prise en charge des patients de manière autonome est l'apogée du stage réussi, comme l'écrit Laurie qui annonce fièrement que l'infirmière lui « laissait gérer toute la prise en charge, également du point de vue administratif. » C'est bien l'autonomie tant recherchée qui est en jeu lorsque Rose pointe sa satisfaction lorsque l'infirmière lui « a montré qu'elle avait confiance. » Qu'est ce qui permet à cette relation de confiance de s'opérer ?

D'un côté les étudiants confirment l'importance des techniques employées pour permettre l'instauration de cette confiance réciproque comme en témoigne Arnaud : « Mme V. (cadre de santé) laisse les étudiants se prendre en charge. (...) Je pense que cette méthode permet tout simplement à l'étudiant de se sentir plus impliqué dans son stage, c'est lui qui doit se prendre en charge et ensuite aller vers les professionnelles », d'un autre côté la relation directe avec les professionnels semble prépondérante pour la mise en place de la confiance nécessaire à l'adaptation au service selon l'affirmation d'Anne-lise que « ce genre de comportement aide à s'adapter au service, à apprendre plus vite les soins à effectuer, à s'inclure dans l'équipe soignante. J'ai pris confiance en moi dès le début de mon stage et par conséquent j'ai effectué un super stage avec une invitation à revenir quand je serai diplômée!!! »

Eric résume parfaitement ce processus de responsabilisation comme « rapide mais (...) progressive (f) » où l'étudiant doit à la fois s'adapter rapidement sans pour autant « mettre la charrue avant les boeufs » sous peine de perdre la confiance des professionnels qui, si elle se donne d'emblée, demande du temps pour se reconstruire dans ce cas, temps qui n'est pas l'apanage des stages infirmiers actuels.

3.4.5 - La charge de travail

Sur le plan des individus, un dernier point est évoqué par les étudiants de manière totalement antonymique à l'idée répandue au sein du CHU : la charge de travail n'altère en rien la prise en charge des étudiants. (cf. infra, p59)

Dans les conversations informelles, il semble que les professionnels rejoignent ces avis dans l'aspect de « l'habitude » d'accueil des étudiants exprimant une réelle disparité de prise en charge des étudiants selon les quantités d'étudiants passés dans les services. Quand les étudiants sont accueillis en grand nombre, il semblerait en effet que la formation se fasse de manière plus « naturelle » et donc moins coûteuse pour les professionnels, qui se plient alors plus facilement à ce rôle faisant parti de leur quotidien.

En revanche, toujours informellement, les infirmiers tirent une sonnette d'alarme, profitant de la réforme pour exprimer des inquiétudes face à une augmentation constante de leur charge de travail ainsi que de la détérioration de leurs conditions de travail notamment sur un des sites du CHU où l'obligation du travail de nuit s'instaure service après service. Ces évènements, de leur point de vue, risquent d'entrainer des nuisances en termes de formation, le soin étant prioritaire sur l'action de formation.

Nous ne constatons donc pas d'incidence de la charge de travail sur la qualité de l'action de formation mais il nous a semblé néanmoins nécessaire de rapporter ici l'inquiétude exprimée des professionnels.

3.5 - Cadre biologique

Pour appuyer s'il en était besoin, les appréhensions des professionnels, un étudiant a dévoilé une difficulté d'ordre physiologique, identifiant une corrélation entre la fatigue physique et le déficit d'attention : « La fatigue accumulée au départ, (...), joue énormément sur l'attention. » Arnaud pose alors la question de l'intérêt de faire suivre le planning des étudiants à celui des professionnels qui les forment invoquant le statut particulier des étudiants puisqu'ils sont, effectivement, en situation d'apprentissage et non en situation de travail.

En évoquant ces propos auprès des professionnels, les réponses ont été vives et critiques envers cet étudiant, invoquant des « il n'a pas fini de se plaindre » ou des « de toute façon maintenant c'est comme ça, ils ne veulent plus faire de concession » dans un ensemble unanimement réprobateur. Cependant, en conversant un peu plus longuement, la difficulté principale évoquée par les professionnels sur leur exercice est la fatigue. Cette fatigue est volontiers attachée à une pénibilité du travail, un grand nombre de responsabilités, une attention constante demandée, une disponibilité de tous les instants... mais la difficulté des horaires n'est que rarement évoquée. Ceci est étonnant au sens de remarquable quand on sait que le travail sur deux horaires complémentaires entraine assurément ce que pointe Arnaud quand il nous dit qu' « il n'est pas normal entre 20 et 25 ans de faire une sieste l'après midi pour récupérer » car « nous nous levons (...) à des heures différentes tout le temps. » Il semble s'exercer ici un déni total de la fatigue pourtant ressentie par tous et ne pouvant résulter, en terme biologique, d'aucun autre facteur qu'une dette de sommeil effective.

Pour tenter de comprendre ce déni il faut peut-être analyser le cadre requis pour effectuer ce travail, saisir pourquoi cette fatigue physique se doit de ne pas être placée au centre des problèmes, laissant penser qu'il n'est pas convenable d'en parler. En abordant le sujet avec les professionnels, ils ont d'ailleurs été, pour la plupart, étonnés d'apprendre qu'ils n'étaient pas seuls à pratiquer la sieste et que cette pratique se retrouvait couramment dans leur communauté, comme si ce sujet était presque tabou en-dehors de la fatigue autorisée suite à des sorties entre amis ou en famille.

Le fait même qu'un seul des étudiants interrogé nous ait parlé de cette fatigue physique semble abonder dans le sens de ce tabou que chaque futur infirmier doit intégrer dans son habitus professionnel alors même que, justement, la jeunesse de ces étudiants devrait faciliter la récupération de ces horaires à contre-sens de l'enseignement du respect des rythmes biologiques effectués par les infirmiers auprès des patients.

3.6 - Le cas d'Eric : paradoxe de l'apprentissage de la formation professionnelle infirmière.

Eric est un étudiant en reconversion professionnelle qui a réfléchi à cette reconversion et souhaite ardemment se tourner vers le métier de soignant. Issu du monde professionnel enseignant, Eric nous a livré des réponses particulièrement pertinentes pour notre recherche. Nous exposant en premier lieu la situation d'encadrement qu'il a particulièrement appréciée nous avons d'abord été étonnée de la construction de cette réponse. Connaissant les demandes théoriques lors de la présentation orale des patients durant les évaluations pratiques au sein des stages de part notre appartenance à la profession infirmière, la similitude de ce qu'Eric a écrit avec ce type de travail est frappante. Il présente ainsi la situation en commençant par présenter la structure, le personnel et les typologies de pathologies prégnantes de chacun des services. La conformité avec le modèle de ce que les étudiants nomment « démarches de soins » est tellement remarquable que nous nous sommes demandée s'il n'avait pas repris des présentations déjà écrites durant les stages dont il a extrait les situations. Par ce préambule, cet étudiant montre bien qu'il accepte parfaitement de se conformer à ce qui lui est demandé pourvu que cela soit explicite et objectivable. L'écriture de cet étudiant montre la facilité d'expression qu'il doit avoir dans ce registre et nous ne pouvons que regretter de ne pas l'avoir rencontré en personne pour apprécier ses idées de vive-voix. Voici les deux présentations qu'il a réalisées ainsi :

« Conformément aux consignes données par mon IFSI, ce stage devait être exclusivement consacré aux soins relevant du rôle propre IDE et plus particulièrement aux soins de nursing.

Cet EHPAD accueillait une trentaine de résidents, dont la moitié avait perdu toute autonomie, et mettait à leur disposition :

· 1 cadre de service (chapotant aussi une autre structure similaire).

· 1 IDE matin (6h30-13h45) et après-midi (13h45-21h00).

· 3 AS le matin ; 2 AS l'après-midi.

· 1 AMP l'après-midi (12h30-19h30) 5 jours par semaine.

· 1 garde malade la nuit (21h00-6h30).

· 1 médecin généraliste référant de la structure.

· 1 agent de surface et un cuisinier travaillant en coupure.

Les bâtiments y étaient de structure modulaire avec un hall central desservant une salle à manger, et la cuisine qui y était rattachée, deux salons attenants aussi à la salle à manger et ouvrants sur un parc arboré de 1500 M², trois ailes abritant les chambres des pensionnaires, l'infirmerie et les bureaux administratifs. »

« Ce stage, donc, se déroulait dans une unité de soins dédiée aux enfants et adolescents en difficulté psychologique. Cette unité avait pour but l'évaluation de ces dits troubles et la mise en place d'une thérapie selon des principes cognitivo-comportementalistes.

Aussi accueillait-elle, indifféremment, divers types de comportements pathologiques, et notamment au moment de mon stage :

· Des comportements boulimiques stricts (2 patients [1? et 1?]).

· Des comportements anorexiques (5 patients [1? et 4?]).

· Des comportements anorexiques avec hyperactivité chez un ASPERGER (1 patient).

· Des comportements suicidants associés à des conduites hystériques (1 patiente).

· Des troubles schizoïdes dans un tableau d'état limite (1 patiente).

· Des Troubles Hyperactifs et Déficit de l'Attention (2 patients en accueil de jour).

Cette population était âgée de 8 à 17 ans. De plus, hors les patients accueillis à la journée, ces hospitalisations relevaient toutes du moyen séjour. Enfin, si l'une d'elle relevait d'une décision de justice pour couper la personne accueillie de son milieu familial et ainsi la protéger aussi bien d'elle-même que de sa famille, les autres relevaient d'un double accord parental (père+mère).

Je me retrouvais donc en charge de :

· Monsieur B., 10 ans, accueilli depuis 4 mois, présentant un THDA, bénéficiant dans la structure de cours de français et de mathématiques dispensés par des enseignants bénévoles et d'une TCC basée sur un système d'économie de jetons vis-à-vis de son THDA.

· Monsieur P., 15 ans ½, accueilli depuis 2 mois, présentant des comportements anorexiques (IMC=16), bénéficiant lui aussi de cours dans la structure, ainsi que des interventions bihebdomadaires d'une pédopsychiatre rattachée à l'unité, pour exploration d'une possible homosexualité refoulée pouvant être à l'origine des troubles.

· Mademoiselle T., 17 ans, orpheline de mère depuis 5 ans, placée en institution sur décision de justice depuis 5 mois suite à une tentative de suicide, accueillie dans l'unité depuis 2 mois ½ pour comportements de types hystériques avec activités sexuelles auto mutilantes. Bénéficiant, elle aussi, de cours au sein de l'unité, il avait été mis en place, pour elle, un contrat de soins très strict comprenant notamment un entretient quotidien avec un psychothérapeute, non-accès a sa salle de bain sans surveillance, non-accès à son téléphone portable et enfin d'une communication téléphonique hebdomadaire, sous surveillance, avec son père (celui-ci relevait d'une enquête judiciaire pour "détournement de mineur par ascendant dépositaire de l'autorité parentale").

· Monsieur D., 13 ans ½, accueilli depuis 3 semaines pour une anorexie associée à de l'hyperactivité motrice (IMC=14,5) dans un tableau d'ASPERGER diagnostiqué à l'âge de 5 ans. Monsieur D. bénéficiait, à son gréé, de l'intervention des enseignants bénévoles, d'une alimentation par sonde naso-gastrique, et d'une prescription en si besoins de contention pour mettre un terme à son hyperactivité motrice lorsque toutes les tentatives de le raisonner échouaient »

Illustrant bien ce que cet étudiant nous a offert, la situation particulièrement bien vécue est présentée plus sommairement que l'autre et nous pouvons noter qu'il écrit trois pages pour ce qu'il a apprécié contre cinq pour ce qu'il a mal vécu. Pourquoi cette disparité d'équilibre dans la longueur des textes ? Cet étudiant possède une réelle attitude réflective et est capable de comprendre pourquoi il n'a pas en charge la patiente qu'il décrit dans la première situation, et se pose une multitude de questions dans la deuxième situation, avec une profonde remise en question de lui :

« A partir de là, je décidais de calquer mon attitude sur celle du service, faisant ce que j'avais à faire comme si j'étais seul dans le service, me faisant des réflexions à voie haute, celles-ci pouvant tout aussi bien être des compliments que des critiques, affichant une bonne humeur de façade que rien ne pouvait ébranler, et vis-à-vis de ma référente je restais silencieux, attentif et ne demandais plus aucune approbation ou critique de mon travail. (...)

Nombres des comportements et des réflexions de cette IDE n'ont fait qu'accentuer mon mal être, je m'interroge aujourd'hui encore sur l'origine de ceux-ci. (...) Par ailleurs, le mal être que j'ai ressenti au décours de ce stage a aussi, pour partie, découlé de la confrontation de mes représentations propres à la réalité du terrain (...) et pour partie de la difficulté à mettre en corrélation les connaissances théoriques qui nous sont données en IFSI et le ou les patients rencontrés »

Eric, dans une conclusion de ces situations, nous affirme qu'il «  reste persuadé qu'une des plus grandes lacunes de la formation IDE concerne l'apprentissage des techniques du dialogue interprofessionnel, dialogue qui à cause de cela est à( son) mon sens, finalement, assez souvent une juxtaposition de monologues » : que penser de cela ? En nous positionnant dans une pensée proche de Bourdieu, nous ne souhaitons pas nous limiter, face à cette affirmation, au simple jeu de relation d'individu à individu car la vérité de l'interaction ne réside jamais toute entière dans l'interaction mais plutôt au sein des raisons qui peuvent pousser l'agent à communiquer ainsi. Eric ressent « des juxtapositions de monologues » mais en est-il réellement ainsi et cette non-communication avec lui ne lui apporte-t-elle pas plus que si « tout » lui avait été exprimé ?

En effet, tous ces aspects ne sont que la face cachée d'un iceberg. Ces situations révèlent surtout un paradoxe terrible. Il semble en effet que la conformité dans le cadre institué par les professionnels ne permette pas à la réflexivité de l'étudiant de s'épanouir autant que lorsqu'il est confronté à la difficulté et à un cadre déroutant dont il ne connait pas les règles. Cet étudiant a les qualités requises pour être un excellent professionnel en termes d'adaptation et de remise en cause mais, paradoxalement, il apparait que la situation mal vécue soit beaucoup plus porteuse d'apprentissage pour lui. Finalement, dans la première situation l'étudiant apprend l'entraide dans une équipe alors que dans la deuxième il semble acquérir une attitude professionnelle de réflexivité avec un cheminement dans son parcours de futur professionnel et surtout une capacité d'adaptation aux difficultés relationnelles et une connaissance de ses propres limites. L'injonction paradoxale de l'apprentissage se révèle ici : si tout se passe comme ce que l'étudiant sait, il n'apprend rien alors que si l'on bouscule ce qu'il croyait savoir alors l'enseignement peut se faire.

Nous ne pouvons, pour autant, dire à travers l'écrit d'Eric que l'infirmière incriminée dans la situation mal vécue ait créé cette situation volontairement afin de favoriser la mise en rapport de l'étudiant au savoir requis pourtant, tout semble se passer ici comme si cette situation était beaucoup plus porteuse que l'autre, y compris dans la mobilisation des ressources, puisqu'il fait appel à d'autres professionnels et semble travailler durement au travail impossible donné par l'infirmière :

« Je devrai être capable, dés le lendemain, d'expliquer dans le détail les pathologies auxquelles se rattachaient leurs troubles, de lui présenter, pour chacun d'eux, une démarche de soins selon l'approche freudienne et selon l'approche multifactorielle de ceux-ci, ces démarches devant se conclure par la justification, voire une proposition de modification, de la grille d'évaluation des troubles mise en place, soit d'une réévaluation des résultats de la thérapie cognitivo-comportementale mise en place, leurs dossiers étant à ma disposition pour cela. »

Il semble vraiment qu'Eric, comme beaucoup d'étudiants, reste entravé par une forme scolaire classique où l'apprentissage doit se faire de manière progressive, en évoluant sur des objectifs avec une pédagogie traditionnelle : expliquant, montrant et faisant faire avant d'évaluer l'acquisition. Pourtant, on le voit bien ici, même si cette forme n'est pas respectée, l'étudiant apprend. Il apprend même parfois plus que si le professionnel avait tout expliqué puisque Eric doit faire appel à toutes les ressources qu'il a en lui pour dépasser sa difficulté au sein de ce stage duquel, finalement, il sort avec beaucoup de nouveaux acquis :

« Ce stage si mal vécu m'a finalement ouvert les yeux sur la complexité de la vie professionnelle du soignant. Il m'a aussi appris la nécessité d'une remise en cause quasi quotidienne de soi même afin de ne pas s'enfermer dans des conduites et des attitudes aliénantes. Aliénantes, aussi bien pour soi que pour l'équipe, et se terminant alors par une dégradation telle des conditions de travail que celui-ci devient alors irréalisable et qu'invariablement c'est, outre celle de la personne accueillie, toute la vie du soignant qui en pâtit. »

Ainsi nous touchons du doigt à ce que les professionnels se doivent d'enseigner aux étudiants et que la théorie ne peut leur permettre d'atteindre : le cadre de l'expérience. Eric nous décrit les limites du « dire sur le faire » et ce que la confrontation avec le soin ajoute aux apports de l'IFSI, indispensables à la compréhension de ces expériences :

« Je découvrais alors tout aussi bien des corps totalement déformés par les comportements alimentaires excessifs, que le reniement tout aussi total de ces déformations. Ces déformations et ce reniement qu'imposait la maladie, je n'avais pu les concevoir, au travers des cours de psychiatrie, que de manière abstraite, froide, semblablement à la façon dont on peut percevoir les horreurs des camps nazis lors de cours d'histoire, ou d'émission télévisée sur ce sujet ou cette période noire. Mais là, j'y étais confronté de visu, dans une proximité telle que la réalité ne peut pas être théorisée ou relativisée, le réel ne peut parfois pas être retranscrit par des images, fussent-elles criantes de vérité. De plus, les personnes que je voyais défiler devant moi, dans une sorte de rituel bien orchestré, ne faisaient, à leur corps défendant d'ailleurs, et de par leur jeune âge, que renforcer mon mal être. De fait, dans mon imaginaire, la personne jeune ne pouvait qu'être en santé, et sa présence en des lieux de soins ne pouvait être que momentanée, pour un mal transitoire ou suite à un accident de la vie, mais ne relevant que de quelques jours à quelques semaines de soins. Là, il était plus qu'évident que le suivi de ces jeunes gens serait long avant que leur psyché leur permette l'accès à des comportements alimentaires sains, et plus de temps encore pour que disparaissent les stigmates de leurs comportements actuels. »

Ces propos relatent mieux que nous ne le ferions nous-mêmes la confrontation d'avec les terrains de stage et le vécu des étudiants face à une expérience que rien ne pourra jamais les préparer à affronter. Les stages sont donc, en eux-mêmes, des milieux d'apprentissage déjà construits et il appartient alors aux professionnels de les utiliser comme tels pour permettre la relation entre les étudiants et tout ce que les infirmiers souhaitent qu'ils apprennent durant leur stage. A la lumière de ces deux situations, il semble beaucoup plus difficile d'enseigner les aspects relationnels que les aspects techniques et, aux travers des actions des professionnels, nous devrions mieux percevoir quel est l'ensemble des méthodes qu'utilisent les professionnels pour parvenir à transmettre leur métier.

3.7 - Conclusion

A travers le regard des étudiants, nous redécouvrons une partie des concepts de Brousseau construits dans « la théorie des situations didactiques » entre 1970 et 1990. Nous constatons donc que, même si la situation didactique n'est pas effective, l'étudiant apprend dans une confrontation avec le milieu de soins. L'étudiant étant dans un contrat avec son institut de formation, il apprend même si le professionnel n'enseigne pas et il apprend d'ailleurs tout ce qui ne s'enseigne pas. C'est donc autant le milieu dans lequel l'étudiant évoluera que les enseignements des professionnels qui lui permettront d'acquérir les connaissances nécessaires à un futur exercice. Ces situations nous montrent cependant que la création de ce milieu a-didactique propice à l'apprentissage, s'il est difficile à mettre en oeuvre, empêche l'étudiant d'accéder aux savoirs s'il est tel qu'il empêche le contrat de s'établir. Ainsi, il semble que l'apprentissage est donc ici à la fois soumis à la demande institutionnelle du CHU conjuguée à celle de l'IFSI et matérialisée par les protocoles de services de prise en charge des étudiants (accueil, référence, évaluation de mi-stage...), et à la fois à l'engagement du professionnel formateur face à celui de l'étudiant. Toutes ces conditions apparaissent en lien avec l'ensemble des savoirs acquis durant les stages et si elles ne sont pas réunies, entrainent des carences auxquelles les autres stages devront pallier. Tout ceci permet également de comprendre pourquoi un étudiant peut être perçu comme « mauvais » dans un stage et « bon » dans un autre et pourquoi des stages sont détestés par certains et adulés par d'autres.

4 - Panorama des professionnels face à leur fonction de formation

Les professionnels se doivent « d'encadrer » les étudiants, selon le terme usité par eux-mêmes en gérant leurs propres contraintes de travail. Il en résulte différents types d'adaptations ainsi que certaines similitudes. Nous allons vous présenter ici le feedback qu'ils nous ont exprimé par rapport aux observations qui leur ont été présentées.

Pour réaliser ce panorama et rendre intelligible ce qui a été dit, nous avons défini plusieurs cadres différents. Quatre d'entre-eux se sont dégagés de l'ensemble des entretiens :

· La relation aux étudiants

· Le rapport au reste de l'équipe soignante

· L'action du soignant

· Le rapport aux soins

A l'intérieur de chacun de ces cadres, nous allons vous exposer les valeurs communes comme les différences entre les professionnels qui se sont exprimés en sachant dès à présent que les groupes constitués se sont tous révélés homogènes dans ce qu'ils nous ont livré et que les différences ne s'expriment donc que d'un groupe à l'autre et non au sein d'un même groupe. Tout se passe donc ici comme si nous avions choisi nous-mêmes les paires de professionnels rencontrées de par leurs similitudes de point de vue professionnel alors que les critères de choix ne portaient que sur le sexe et la durée de l'expérience depuis le diplôme d'Etat. Le paragraphe concernant le travail d'équipe devrait nous apporter une certaine compréhension de ce phénomène.

4.1 - L'étudiant infirmier : Etudiant modélisé ou étudiant modèle ?

Lorsque nous parlons d'étudiants, de manière commune nous imaginons facilement une personne jeune et, d'une certaine façon, une matière facilement malléable et donc modelable. Or, si l'on en croit l'étude de la DRESS de 2006, plus de la moitié des étudiants entrant en IFSI avaient plus de 20 ans en 2004 et près du quart d'entre eux plus de 25 ans.

C'est peut-être pour cette raison que seuls deux des quatre groupes interrogés ont pointé du doigt la difficulté ressentie due à la jeunesse en relation avec ce qui est demandé lors des stages. Ainsi, le deuxième collectif d'infirmière amenuise l'erreur d'une étudiante en lui trouvant l'excuse de cette jeunesse : «  on la remet dans le contexte de la formation, c'est des jeunes aussi ... » (I), « ouais, ils ont 19-20 ans, y'a quelqu'un qui demande ce qu'il a, bah voilà, dans la panique.. » (S) alors que le trio du quatrième entretien raconte l'obstacle que consiste cet âge immature lors d'un premier stage :

« C'est sûr que c'est un peu difficile un premier stage, de se retrouver dans un service de.. pour un jeune avec des personnes âgées, faire des toilettes, tout ça, c'est vrai que c'est un peu.. » (F, E4, 220-222),  « En plus c'était vraiment le premier stage, c'est un garçon très jeune, un peu timide, qui arrivait là en plus confronté à des personnes âgées, faire des toilettes à des dames âgées, enfin bon, il n'était pas vraiment à son aise ce garçon. Il était même plutôt mal à l'aise. » (C, E4, 207-210)

En allant un peu plus loin sur ce que nous avons dit auparavant, nous pouvons également imaginer qu'Eric est un cas particulier car n'est ni jeune ni modelable et ce cas peut, ainsi, expliquer en partie le ressentiment face à une légitimité dans le stage exprimée par l'infirmière référente : « Elle me dit alors que ce stage allait certainement être particulièrement difficile pour moi car un homme de mon âge, avec tous ses préjugés, et de surcroît non issu du milieu médical, n'avait rien à faire dans un tel service ». Si l'étudiant en soins infirmiers n'est pas modelable selon le modèle que peut constituer le professionnel qui l'encadre, pouvons-nous tout de même retrouver la volonté d'une modélisation de la part des professionnels ?

La réponse est ici partagée puisque, pour certains, les qualités requises pour l'exercice du métier d'étudiant en soins infirmiers doivent être présentes dès le début comme expliqué lors du premier entretien : « bah justement si on n'a déjà pas une attitude professionnelle en 1ère année (...)  c'est plus à eux d'aller aussi faire la démarche, d'aller chercher » (A). Ainsi, ces professionnels attendent une réaction modèle aux demandes qui sont faites ne laissant que peu d'espace à l'étudiant non conforme aux attentes : « je lui donne des pistes, si il veut pas les prendre, je fais. Je perds pas mon temps » (I) nous dit-on dans le deuxième entretien. Dans ce même registre, une qualité semble être indispensable à l'exercice de ce métier : la capacité de remise en question de soi. Cette qualité est, elle aussi, souhaitée comme préexistante par les mêmes professionnels qui reprochent tour à tour à un étudiant de ne pas avoir cette qualité :

« L'étudiant c'était jamais de sa faute » (B, E1, 52) 

« Quand j'entends ça, quelqu'un qui n'est pas capable de se remettre en question » (A, E1, 58-59)

« C'est là qu'ils se remettent en question, c'est pas à moi de réfléchir sur le pourquoi du comment » (I, E2, 56-57)

« C'est la faute de tout sauf de lui quoi » (S, E2, 65-66)

A l'inverse, d'autres professionnels, lors du troisième entretien, même s'ils formulent un embarras face à certains étudiants : « je ne dis pas qu'il y a un profil type mais peut-être que cette personne, il y a quand même en terme comportemental, même si c'est un 1er stage, des petites choses que... » (R) , nous montrent également leur capacité à faire la différence entre l'étudiant en tant qu'individu et l'étudiant en tant que futur professionnel : « Un élève c'est une personnalité, y'a des gens qui acceptent tout et d'autres qui acceptent pas du tout et puis y'en a entre les deux quand même, lui il est entre le deux quand même, ça va, c'est pas un rebelle non plus » (R) .De la même manière, en ce qui concerne la remise en question, ces professionnels tendent à montrer que, même si la remise en question ne se fait pas d'emblée, elle peut être acquise par l'accompagnement lors des stages : « l'élève il a une capacité, il se remet peu en cause puisqu'il dit qu'avant ça va très bien, que finalement c'est pas de sa faute parce que c'est mal rangé, bon ça c'est une défense qui, à mon avis, ne sera pas de taille... » (R)

Encore moins dans l'attente d'un étudiant modèle, le trio d'infirmières interrogé a systématiquement remis en cause les professionnels observés montrant à la fois leur propre qualité de remise en question comme qualité essentielle et à la fois le droit qu'ont les étudiants de ne pas la posséder initialement.

Face à ces différentes postures, tout naturellement, les deux premiers groupes interrogés ne donnent pas leur confiance immédiatement celle-ci devant se gagner notamment face à un étudiant qui remet lui-même en cause le service et le fonctionnement des soins dans ce service. Une des infirmières, lors du premier entretien nous livre ainsi ses doutes face à la réaction de l'étudiant qui commet des erreurs lors de la réalisation des boîtes à médicaments : « moi c'est le type d'étudiant auquel je n'ai pas confiance (...) même les actes de base je vais être obligée de les réévaluer avec lui » (B). Dans une continuité d'esprit une infirmière du deuxième groupe contourne une partie de ses doutes face à la capacité des étudiants en nous disant qu'à chaque début de prise en charge de sa part : « je lui remontre à ma façon comme cela elle ne pourra pas dire, je savais pas, je machin... » (I) Cette même infirmière a une réaction similaire vis-à-vis de l'étudiant qui remet l'environnement en cause plutôt que lui-même : « c'est quelqu'un en qui j'ai pas confiance et ... y'a du travail ! » (I)

Sur un autre point de vue, les infirmiers voient plutôt cette attitude comme une technique de défense face à l'aveu de leur ignorance et de l'étendue des savoirs à acquérir : « C'est vrai que beaucoup d'élèves dans les formations, quand on leur fait des reproches, sont sur la défensive » (R). Ces infirmiers laissent alors l'espace possible à l'apprentissage de cette qualité, montrant eux-mêmes par cette réaction qu'ils la possèdent. Ils permettent ainsi à l'étudiant de s'identifier à travers cette qualité reconnue comme indispensable pour avancer, et ce, même si cette reconnaissance oblige un travail sur soi qui peut être difficile. L'imitation du modèle comme mode d'apprentissage, c'est probablement ce qui permet au dernier groupe interrogé d'aussi facilement chercher l'erreur du côté des professionnels plutôt que du côté des étudiants qu'ils considèrent comme ayant droit justement à cette erreur puisqu'en formation, a contrario des professionnels censés être aguerris et experts. Ainsi, s'il y a mauvaise annonce d'un diagnostic, elles nous disent : « Nan, mais en fait, là, en y réfléchissant, on se dit qu'elle était toute seule et qu'on lui a pas fait de transmission en lui disant voilà, ce patient a ça, il n'est pas au courant heuu, il faut attendre que le médecin passe pour le préparer, lui annoncé... » (F) et « bon en ça, l'infirmière est peut-être en tord, elle aurait mieux fait en parler avant, pour moi en parler à l'étudiante, lui informer de ce qu'elle doit dire » (C). Et s'il y a erreur dans la préparation des médicaments :

« De toute façon, à la préparation des boîtes, il ya toujours le risque d'erreur puisqu'il y a toujours un contrôle derrière quand on le donne, donc à la limite, bon faut pas le faire mais c'est pas catastrophique non plus c'est vrai que le.. pour ça ! Surtout qu'il y avait 17 boîtes, voilà, moi c'est surtout ça, c'est beaucoup, c'est beaucoup, c'est pas le but d'un étudiant... » (V, E4, 72-76)

Nous pouvons donc nous permettre de dire que les deux derniers groupes interrogés semblent plus sûrs de leurs propres actes, ce qui leur permet de demander sereinement à l'étudiant : « aller montre-moi ce que tu fais » (R) puisqu'ils savent détecter les moments vecteurs d'action les plus opportuns pour éviter que le soin ne dérape.

Ainsi les étudiants infirmiers ne sont pas des étudiants modèles, ils ont des qualités et des défauts comme tout un chacun qui peuvent leur permettre d'accéder avec plus ou moins de facilité à leur statut de professionnel. Mais passer du modèle de formation au modèle professionnel semble prendre du temps et certains infirmiers souhaiteraient que les étudiants qui s'offrent à eux soient par avance déjà sur un modèle faisant consensus, notamment en termes de qualité de remise en question de soi, pour que leur travail de formation soit facilité. Il est difficile de déterminer ici quelles sont les caractéristiques qui permettent de définir qui sont ces types de professionnels mais la question du concours d'entrée dans les IFSI se pose, même auprès de ceux qui servent eux-mêmes de modèle comme le montre la question posée par un des infirmiers du troisième groupe : « Bon après, on peut se poser des questions sur le recrutement, les critères d'entrée dans les écoles (...) les critères, ils sont jamais comportementaux donc c'est difficile... » (R)

4.2 - Le travail en équipe : mythe ou réalité ?

Si nous partons du principe que l'équipe infirmière est effectivement une équipe dans le sens d'un groupe de personnes unies par une tâche commune, il apparait ici que ce que nous observons c'est l'action de construction du futur professionnel à travers les actions d'enseignement des professionnels. Ceci reste dans le cadre du travail infirmier puisque cela fait partie intégrante de ses fonctions. Le mode d'interrogation utilisé pour le recueil de données a donc ajouté la dimension du collectif et c'est probablement par ce biais que nous nous sommes retrouvée confrontée à des attitudes d'équipe face à un problème plutôt qu'une juxtaposition de points de vue. En plus des hochements de tête et des assentiments par onomatopées relevés tout au long de tous les entretiens, lors du deuxième entretien, une infirmière nous dit de manière totalement explicite : « voilà, on est d'accord (...) c'est pour cela que l'on travaille dans la même équipe !! » (S) Nous avons ici compris que l'accord de paroles venait d'un travail en équipe plutôt que d'un choix de travail en fonction de l'équipe, même si des liens se créent effectivement au sein de ces équipes. Nous avons effectivement ressenti des cohésions au sein de chaque groupe qui dépassent la probabilité d'avoir systématiquement regroupé ensemble des professionnels ayant des liens d'amitié au sein de chaque équipe rencontrée. Comme le notifient les infirmières du premier entretien, lors de la prise en charge des étudiants par l'infirmière référente, «  il y a aussi une aide extérieure par un encadrement ponctuel sur un soin » (A), « cela permet de voir ce que nous on n'aura pas forcément vu et qu'elle pourra nous dire même ce qu'on n'aura pas vu » (B).

Dans un élan de groupe, l'ensemble des infirmiers interrogés pointe l'importance d'évaluer le niveau des étudiants lorsqu'ils arrivent car, comme le dit un des infirmiers du troisième groupe : « c'est vrai que le cursus maintenant, avec les stages en psy etc. etc. qu'elle n'ait pas beaucoup de technique... » (R). Ainsi les professionnels nous annoncent unanimement qu' « on lui demande aussi quel a été son parcours de stage » (A), « où est-ce qu'elle en est, c'qu'elle sait faire c'qu'elle peut faire machin lalala » (V) ou encore « d'abord tu demandes, oui » (C). Le deuxième groupe nous affirme en plus que « c'est aussi en fonction de ce que l'étudiant nous renvoie de son assurance et des stages précédents qu'il a faits (...), c'est la base de la conduite du stage aussi, c'est ce qui va nous permettre de savoir déjà quelles sont les craintes, quels sont les points forts, les points faibles » (S). Il semble donc que l'attitude des professionnels se fera ici en fonction du niveau auquel prétend être l'étudiant ce qui pose le questionnement de l'adéquation entre ce qu'il prétendra et le ressenti des professionnels. Autant, en termes de technicité, il apparait simple de réaliser des outils permettant de définir ce niveau, autant, sur le plan relationnel et pour les attitudes professionnelles, il semble clairement que les questions restent en suspens à l'heure actuelle, ce qui engendre d'ailleurs certaines difficultés. La prise en compte du niveau auquel est l'étudiant, une information ainsi reprise par le premier groupe interrogé : « ce qui va primer [dans l'évaluation] c'est si il y a une évolution dans le stage » (A), montre l'importance de la connaissance du niveau duquel part l'étudiant. Cependant, ce groupe ayant évoqué cet aspect de l'évaluation conclut tout de même par la constatation que « la progression ne sera quand même pas la même qu'un autre étudiant de 3e année donc on ne peut donc pas mettre la même note non plus ni l'appréciation » (A). De cet aspect d'évaluation, le troisième groupe reprend l'évolution liée à la réforme en renforçant l'importance que prennent les professionnels dans l'évaluation, avec la disparition des mises en situation professionnelles évaluées. Ces MSP sont, aujourd'hui encore, la plupart du temps typiquement effectuées par un formateur et le cadre infirmier du service, et nous pouvons dire que les professionnels qui s'expriment sur ce sujet apprécient le changement qui devrait en découler :

« M : Et, le côté positif de la réforme, qui est majeur, c'est que maintenant ce sont des professionnels qui vont évaluer la pratique professionnelle, ce ne sont plus.. c'est plus un jury, ce ne sont plus les écoles. Ce sont les professionnels ! Et ça c'est une très bonne chose puisqu' on arrivait à un système un peu comme le permis de conduire : Le permis de conduire n'a rien à voir avec la manière de conduire sur la route derrière, c'est une ineptie ! Tous les professionnels de l'automobile le disent, c'est une ineptie un permis de conduire comme cela !

Nous à notre époque c'était un petit peu ça, on avait des jurys qui venaient d'endroits divers et variés, qui s'attachaient chacun avec leurs « dadas » techniques qui n'avaient rien à voir avec la réalité du service, il fallait faire un soin dans le cadre du DE (Diplôme d'Etat), au jour d'aujourd'hui ça va être dans le service où il passe la pratique qu'ils vont être évalués par leurs pairs, dans le service, et là on va avoir.. c'est une évaluation professionnelle, ça c'est essentiel. (...)

R : C'est vrai que par expérience on a quand même vu, de nombreuses fois, des enseignants, surtout dans notre service, où on est quand même, bon en réanimation, je ne sais pas combien cela représente ceux qui ont travaillé en réanimation par rapport à un service de chirurgie ou de médecine, donc on a des pratiques et des démarches de soins qui sont complètement différentes, un concept d'organisation qui est complètement différent aussi et on a vu des enseignants ne pas s'adapter à la spécificité du service quoi, en demandant même à l'élève une démarche, enfin une procédure.. je ne trouve pas le mot.... de respecter une procédure d'école qui n'est pas adaptée à notre service !

M : J'vais même vous citer un exemple tiré de mon expérience personnelle, bon c'est vieux mais ça a existé ! Moi j'ai fait, on avait la possibilité, j'ai fait... ma grosse dernière année d'étude au service des grands brûlés, stage temps plein, plusieurs stages et tout, je devais aller travailler là-bas et... bon, le contexte de l'époque a fait que j'ai pas pu aller travailler là-bas.. Et donc j'ai eu ma dernière évaluation avant le DE (diplôme d'Etat) en salle de pansements des brûlés c'est-à-dire à 37°C dans la salle, les baignoires les ci les là, détersion des plaies etc. etc. et on m'avait envoyé une... une formatrice je sais plus, d'Agen, je sais plus trop d'où elle était, enfin bref, elle arrive là-dedans, enfin elle a dû voir dix minutes du soin, pouf elle est tombée dans les pommes et elle s'est réveillée trois quarts d'heure après. Bon, évidemment, le médecin chef, bon le patron actuel mais il était chef de clinique à l'époque, bon on avait fait du bien lourd, du bien gras, il était mort de rire : il m'a dit, « aujourd'hui je te fais tomber l'oreille ».

Brouhaha et rires

Bon, malgré cela, j'ai eu ma dernière note là-dessus, elle m'avait dit : « bon, pour ce que j'ai vu, c'était bien », ça c'est sûr, c'était bien... bon c'est un exemple

R : Mais en plus, pour l'image que peuvent donner les formateurs aux élèves, je trouve, pour eux, qu'il y a une perte de crédibilité des fois des enseignants quand ils viennent sur le... les élèves se rendent compte quand même des lacunes de leur enseignant et je trouve qu'après... forcément ces élèves vont le rapporter à leurs collègues et il y a une perte de crédit et cela peut être dangereux je crois, enfin, je ne savais pas que cela allait être à ce point-là mais c'est très bien que ce soient les gens du service qui... parce que... moi il m'est arrivé, je ne sais pas si tu te rappelles, lors de la mise en place... la première année d'existence du PRODAFALGAN®, il fallait mettre les gants, c'est une recommandation, parc'qu'il y avait des allergies cutanées et, j'ai fait une évaluation, cela faisait 6 mois que cela existait quand même, une évaluation avec une élève, bon c'est une histoire vécue, bon, il doit y avoir 4-5 ans, plus que cela peut-être et donc, l'élève prépare du DAFALGAN® et met donc des gants et se fait reprocher par l'enseignante d'avoir fait un excès de zèle en matière d'asepsie en mettant les gants, non stériles évidemment. Elle lui dit : « hé bé non, c'est obligatoire pour la préparation, c'est une recommandation du laboratoire etc. etc. » et perte de crédit de l'enseignant là quand même pour lequel l'élève cela fait 6 mois qu'il prépare du PERFALGAN® avec des gants quoi, et là ...pfiouuuu. Bon, c'est énorme comme exemple mais cela montre quand même le peu de réalité quotidienne de l'enseignant et je pense que ... voilà. » (M+R, E3, 249-304)

Cependant, lorsque nous reprenons la difficulté retrouvée dans ce qu'il faut évaluer, dextérité, évaluation ou un mélange des deux, nous devons ici modérer l'enthousiasme de ces deux infirmiers en notant qu'aucune formation à l'évaluation n'est dispensée durant le cursus infirmier et que les disparités risquent d'être nombreuses et importantes non seulement d'un professionnel à un autre mais d'avantage encore d'un service à un autre. Ceci fait partie du futur mais il est intéressant de noter que cet état des choses est déjà relevé et fait l'objet de réflexions de la part des professionnels en place. L'argumentation de ces infirmiers est tout à fait légitime mais il appartient maintenant aux praticiens de démontrer leurs capacités à évaluer de manière consensuelle sur l'ensemble des stages effectués par l'ensemble des étudiants en Soins Infirmiers de France.

La seule différence notable entre les groupes, ici, est l'observation de l'absence d'accueil retrouvée et mise en lumière par le troisième groupe : « c'est bizarre qu'on ne présente pas le service, qu'au bout d'une heure on passe sur un soin spécifique technique » (R) ; « les présentations de service, c'est une petite lacune dans les formations. On y est confronté assez souvent sur le sujet » (M). C'est un effort d'analyse que font alors les professionnels pour tenter de détecter les causes d'erreurs des étudiants ou tout au moins la recherche d'une mise en confiance des étudiants, reliant le fait que ces deux groupes donnent la confiance d'emblée et tentent donc toujours de faire en sorte qu'elle s'épanouisse. Ainsi, le dernier groupe manifeste que «c'est un peu rapide et je comprends que l'étudiante se sente, non pas agressée mais... trop vite sollicitée dans le soin finalement parce qu'il faut toujours un temps d'observation, d'écoute et puis voir un petit peu comment cela se passe, repérer les lieux » (V), et ce en faisant un parallèle avec leur propre expérience, relatant que « nous, quand on arrive dans un endroit qu'on connait pas, la première chose qu'on veut faire c'est voir comment c'est, prendre conscience de son environnement » (V).

Le travail d'équipe s'effectue donc ici entièrement sur la base d'une complémentarité apportée par certains professionnels. L'équipe infirmière est donc bien une réalité pour les acteurs, existant à travers la continuité des soins, les transmissions et l'intégration de chaque nouveau professionnel au sein de cette équipe cohésive. Sans nier l'individu, cette équipe vise cependant un but commun sans que l'on sache pour autant quand a démarré ce collectif si fort qu'il pourrait presque être comparé aux mythes fondateurs tellement il semble difficile aux professionnels de penser le soin en milieu hospitalier en dehors du groupe et de la cohérence au sein de ce groupe ; l'empêchant même parfois de discerner qui de l'équipe ou du travail est apparu avant l'autre.

4.3 - Relation pédagogique soignants-étudiants

Comme le signalait un infirmier dans une précédente citation, un étudiant « c'est une personnalité » (R) et nous pouvons étendre sa réflexion aux soignants, ce qui conduit alors à une multitudes de combinaisons possibles, cohérentes, détonantes ou surprenantes lors de la rencontre de ces deux individus durant l'expérience de formation. Partagé entre le cadre du soin et le cadre de la formation, selon son expertise, le soignant se placera plus ou moins dans l'un ou dans l'autre. Ce placement permettra ainsi aux étudiants d'intégrer le cadre requis afin d'assimiler l'ensemble des règles immanentes à tout le restant de leur carrière.

Le point commun à l'ensemble des professionnels interrogés, au sein de cette relation, est la manière de procéder, la technique plébiscitée par tous comme pédagogie de référence étant l'ostentation où le professionnel montre puis fait et enfin fait faire en expliquant les erreurs éventuelles à ne pas produire. Tellement consensuelle, cette méthode en appelle même à la prise de parole pour l'ensemble du groupe comme en témoigne les dires des infirmières des deux premiers groupes qui se laissent aller à employer le « on » pour parler au nom du groupe : « on ferait pareil, oui, on montre après on fait faire, on corrige et on part quoi, oui » (I). Le deuxième groupe note également la disparité des possibilités de chaque étudiant : « C'est un peu ce qu'on fait, on fait refaire jusqu'à temps que l'étudiant y arrive, donc généralement, cela peut prendre plusieurs fois voir plusieurs jours et c'est vrai qu'il faut montrer » (B). La même infirmière reprend ses propos en étayant : « D'abord on montre et après quand ils se sentent et qu'on a l'impression aussi qu'ils ont compris ...tout en sachant qu'on ne les laisse pas non plus, on est tout le temps à côté » (B). Nous ressentons ici le besoin de préciser que le moment où l'étudiant est livré à lui-même ne se fait pas sans de nombreuses vérifications et avec des garde-fous toujours en place. Pour le troisième groupe, l'importance de s'exercer avant pour être plus en confiance confirme cet accompagnement de l'étudiant vers la confiance en soi : « oui la démarche me parait logique... En plus l'étudiant s'est exercé avant et pas devant le patient et a plus d'assurance au moment de la réalisation du soin, un exercice en blanc sous la directive de l'infirmière... nan, c'est vraiment une bonne démarche » (R). Quant au quatrième et dernier groupe, il reprend à la fois cette démarche pédagogique comme référence et à la fois explique pourquoi elle fait consensus : « elle s'y prend bien, elle lui montre le B.A.BA, un truc tout simple par rapport au plateau et tout ça pour après faire, je trouve que dans sa façon de faire, il y a une démarche qui ne la met pas du tout en échec, au contraire. Donc ça le (la ?) met plus progressivement dans le soin » (C).

En sus, le dernier groupe apporte un élément nouveau en mettant l'accent sur l'importance des mots à utiliser lors de l'enseignement d'un acte de soin et ce, même s'il est technique et semble donc pouvoir être objectivé :

« Moi, ce qui m'interroge c'est que dans ce soin, l'infirmière dit qu'il ne faut toucher à rien et je pense que cela doit faire très peur, non ? (rires) Il faut toucher à tout mais avec des précautions à prendre sinon elle va la bloquer l'infirmière là non ? Elle va être paniquée non ? Si on dit de ne toucher à rien alors on se dit alors qu'est c'qu'on peut faire ... » (F, E4, 4-7)

On se rend bien compte ici de l'impact potentiel d'un mot mal utilisé, qui peut se traduire en une difficulté que certains étudiants auront pour assimiler l'ensemble des règles du cadre professionnel infirmier ; y compris les règles d'utilisation des mots que l'on pourrait assimiler au « jargon » professionnel. De nombreux mots sont porteurs d'un sens commun au champ professionnel infirmier et, pour les comprendre, il faut déjà appartenir à ce champ, d'où la difficulté ressentie par les étudiants commettant bévues et contre-sens. A titre d'exemple précis, reprenons le terme d'« encadrement » employé par tous pour représenter l'action de formation du professionnel envers l'étudiant. Lors du premier contact avec un stage, on imagine aisément que l'étudiant pensera se retrouver en position hiérarchique face à un « cadre » représenté par l'infirmier référent qui lui donnera la liste de ce qu'il pourra et ne pourra pas faire. Nous pouvons, dès à présent, montrer que ce mot d'« encadrement » n'est pas suffisant pour décrire l'expérience de formation au sein des stages et que le titre de formation professionnelle est, en partie du moins, plus approprié. Pourtant, lorsque les soignants décrivent leur fonction de formation, ils parlent d' « encadrement » des élèves alors qu'ils pensent apprentissage auprès des étudiants, persuadés que ces termes et notions sont synonymes alors qu'elles ne le sont pas.

Parmi les infirmiers interrogés, la responsabilité du soin apparait au travers d'évènements à prendre en compte vis-à-vis des étudiants puisqu'ils apprennent « en situation » et exercent leur activité directement auprès des malades. Les deux premiers groupes semblent plutôt être dans la crainte de l'erreur effectuée par l'étudiant comme dit dans le second entretien : « le jour où il y aura vraiment une bêtise » (I). Ils considèrent être responsables de cette erreur pouvant aller jusqu'à l'arrêt d'un stage voir des études si l'étudiant est vu comme dangereux comme en témoigne les propos d'une infirmière lors du premier entretien : « Elle a fait des bêtises qui auraient pu coûter la vie des patients donc, voilà, on a été obligé d'arrêter » (B). Pour les autres groupes, cette responsabilité apparait comme davantage partagée, laissant la crainte de côté, ils montrent à l'étudiant ses futurs responsabilités : « même si dans le service c'est mal rangé ou il y a eu une erreur, c'est quand même sa responsabilité de vérifier les médicaments » (R). Ils assument également l'erreur qui peut être commise à tout instant par un étudiant dont ils partagent la responsabilité : « je pense que les deux sont plus ou moins responsables, l'élève et l'infirmière en fait, l'infirmière parce qu'elle lui a pas dit et l'élève c'qu'elle a dit » (C) ; mais ils développent toujours l'évolution possible au sein des stages en relatant le fait qu'« il fera jamais les choses seul de toute façon sauf si cela a été validé et confirmé par l'infirmière après y'a toute confiance. Je pense que ça c'est important, cela évite des bêtises et des situations désagréables des deux côtés » (V). Il semble donc que la confiance donnée d'emblée aux étudiants permette une crainte moindre envers ce qu'ils pourront commettre et un stress moins important pour les professionnels face à la résultante des actes réalisés par les étudiants. Les professionnels ne laissant pas la confiance exister d'emblée ne parviennent pas à chercher les moyens de dépasser un obstacle rencontré en cours de stage, comme le manifeste une infirmière du premier entretien face aux arguments qu'oppose l'étudiant face à son erreur lors de la préparation des médicaments : « Nan, au bout de plusieurs altercations comme ça (...) j'aurais arrêté » (B). L'intérêt de l'équipe reprend alors tout son sens puisque cette infirmière nous explique que « si besoin quand l'étudiant pose problème on passe la main si cela ne va pas » (B). Une infirmière du deuxième entretien, elle, nous développe une autre réaction face à cette opposition : « Mais si tu sais pas pourquoi tu le fais, comment tu le fais et ce que tu vérifies et tout ça, je le fais à la place des gens moi » (I), plutôt que de laisser l'équipe prendre le relais, elle laisse son rôle de formateur de côté et se retourne vers celui de soignant, considérant ainsi que cet étudiant n'a pas sa place dans le stage si son attitude ne change pas.

Nous le remarquons bien ici, l'action de formation est liée à la relation entre étudiant et infirmier et, au-delà de cette interaction, elle se place même dans le cadre de l'expérience de formation. Cette expérience existe dans le cadre de la formation infirmière et cette formation se passe, en partie, au sein des stages cliniques aussi, comme nous pouvons le constater dans notre échantillon, l'importance de la relation soignant-étudiant ne doit pas être négligée pour la réussite de cette action de formation. Même si certains professionnels semblent plus à même de parer aux comportements les plus exceptionnels, il ne faut pas négliger pour autant le soutien qu'offre une équipe quand un individu pose problème à un autre dans un abîme d'incompréhension.

4.4 - La didactique des soins infirmiers face à la contrainte du milieu de soin

Former aux soins infirmiers alors que l'on doit avant tout rester soignant pour les patients représente une gymnastique incessante pour les infirmiers. Passer du rôle du soignant à celui de formateur, du cadre du soin à celui de la formation, c'est le challenge quotidien des professionnels qui enseignent leur métier en même temps qu'ils l'exercent. Si l'on rajoute à cela les nombreuses responsabilités qui leur incombent et les demandes incessantes émanant des autres acteurs de soin comme des patients et de leur famille, on comprend mieux la difficulté éprouvée par certains professionnels quand il s'agit de jongler avec toutes ces contraintes sur le temps qui leur est imparti pour réaliser l'ensemble de ces actions.

Avant toute chose et pour tous les professionnels interrogés, le soin réalisé avec l'étudiant se doit d'être toujours éducatif et l'exemple de l'étudiant préparant l'ensemble des boîtes du service a frappé tout le monde. Le premier groupe nous donne une première piste en affirmant qu'il vaut mieux « qu'il prépare pour SON patient et qu'il comprenne déjà ce qu'il met comme médicament dans la boite pour ce patient là » (A) mettant le doigt sur l'incongruité de la préparation de boîtes pour des patients qu'il ne gère pas. Le dernier groupe reprend ce non-sens didactique nous affirmant : « je ne vois pas l'intérêt parc'qu'il va faire du travail à la chaine sans forcément savoir tout ce qu'il prépare parce que 17 boîtes c'est beaucoup trop je pense, on peut imaginer qu'il a peut-être deux patients qu'il a en charge, pourquoi pas préparer les deux boîtes des patients qu'il a en charge ? » (V) Ce thème est repris par une infirmière du même groupe qui nous précise ainsi qu'il faut qu'« en fait, (que) la préparation des boîtes soit pour lui un enseignement aussi, parce que là, préparer des boîtes cela n'a aucun intérêt, je veux dire si il connait pas la pathologie des patients et tout ça cela n'a aucun intérêt » (F). Et toujours dans la volonté d'analyse des situations présentées, ce même groupe se risque même à affirmer que « c'est pas formateur sauf pour être en situation pour se tromper » (V).

Ainsi, le soin ne serait pas toujours formateur et la didactique du professionnel serait donc essentielle à la compréhension du geste afin de le replacer dans une dynamique globale de la prise en charge d'un patient. « Comme j'dis, savoir faire une calci (calciparine®), c'est pas le geste de la sous-cutané qui est difficile c'est savoir pourquoi on le fait » (S). Le professionnel doit-il expliquer cela ou doit-il laisser l'étudiant chercher ce « pourquoi du comment » ? Les avis ici semblent plus partagés avec la même scission entre les groupes, les deux premiers laissant le soin aux étudiants de s'autonomiser dans la recherche alors que les deux derniers groupes s'appliquent à mettre en place des situations les plus claires possibles pour l'étudiant afin qu'il comprenne au mieux le sens de ses actions. Ainsi, le troisième groupe, conscient de l'enjeu temporel durant les stages, nous explique les raisons d'enseigner plutôt que de laisser l'étudiant aller vers l'erreur sans apporter techniques et méthodes pour l'aider dans ses expériences de soin : « C'est toujours impressionnant d'avoir une liste détaillée comme ça mais c'est en faisant ou en donnant, en tout cas quand on est élève, le maximum de formation... comment dire ? Qu'on aura le minimum [d'erreurs] après dans les pratiques courantes » (R).

Il apparait donc ici que, même si le soin doit être éducatif pour tous, les conditions de mise en rapport au savoir qu'il requiert pour être exercé professionnellement peuvent varier d'un infirmier à un autre et cette variation peut avoir des incidences importantes sur l'apprentissage réel de l'étudiant. Si nous prenons l'exemple du soin relationnel, nous voyons que les infirmières des deux premiers groupes ressentent cette difficulté didactique sans vraiment parvenir à un consensus sur la méthode qu'elles emploient passant d'un apprentissage par imitation : « qu'elle soit présente pour déjà voir un peu... je sais pas être un peu proche du relationnel et puis que le patient voit que non qu'il y a erreur... » (A) à une pédagogie essai-erreur : « Moi je crois que je laisse faire et que je réajuste avant que cela dérive aussi hein on essaie de vite réajuster quand il y a un comportement qui n'est pas adapté et qui va... » (B) alors que le second groupe imagine plutôt l'importance des savoirs pré-requis en restant tout de même au conditionnel : « Je l'aurais peut-être pas apostrophée sur ce ton là parce que c'est une première année par contre je l'aurais bien reprise » (I).

Dans les deux groupes suivants, il n'y a pas de méthode toute faite, prête à servir ni de recherche de celle-ci, mais plutôt une recherche d'explication sur ce qui a pu conduire l'élève à faire une erreur en tentant de comprendre simultanément si cette erreur pouvait être commise par un professionnel dans le même contexte. Ainsi un infirmier du troisième groupe note que « c'est assez rare déjà qu'un élève réponde, déjà que c'est pas facile quand on... alors de là à aller l'exprimer » (R), démontrant la difficulté des actes relationnels. Ce point de vue est repris en totalité par le quatrième groupe qui met fortement l'accent sur cet aspect : « bah moi j'ai envie de dire que j'ai l'impression que c'est plus facile quand on explique un soin technique que quand on est dans le relationnel parce que c'est plus du concret et que le relationnel serait finalement plus difficile à acquérir et à appréhender » (V).

Il semble également que la difficulté liée aux contraintes des soins soit plus prégnante pour les deux premiers groupes, qui nous ont rapporté une difficulté ressentie face à la charge de travail, qui peut ainsi engendrer des possibilités de mise en condition fluctuantes : « Il y aura peut-être des jours où on aura plus le temps aussi de le prendre à part l'étudiant, de lui expliquer... et d'autres où on aura moins le temps » (B). Ces contraintes sont cependant vécues comme une injonction paradoxale puisque cette même infirmière nous dit un peu plus loin : « Enfin bon, on essaye toujours de garder du temps pour les étudiants... » et sa collègue approuve ces paroles en finissant sa phrase avec un « mais y'a des jours où c'est pas possible ... » (A), laissant ainsi place à des rires qui illustrent cette contradiction entre la volonté de prendre du temps et le sentiment de ne pas pouvoir le faire. Dans le second groupe, une infirmière prend la parole pour parler au nom de toutes et expose similairement ce paradoxe : « après cela dépend aussi du boulot que tu as mais je pense que, nous, on n'aurait pas le temps de prendre [du temps pour tout réexpliquer] » (I). Pourquoi les autres groupes n'ont-ils pas abordé cet aspect ? Rien ne nous permet de penser qu'ils aient moins de travail ni une meilleure organisation de service, et pourtant, cette difficulté est ressentie et les conditions qui empêchent les infirmières de séparer soins et formation sans avoir le sentiment d'une charge de travail en sus nous échappent en partie et, en dehors de l'expertise qui permet une meilleure hiérarchisation des priorités tout au long de la journée, nous ne pouvons, dans les limites de notre échantillon, avancer d'autres hypothèses. Il faudrait, sur ce point comme sur d'autres, approfondir cette question

 
l'autonomisation à la mesure des possibilités de chaque étudiant en fonction de son niveau de formation... début de réponse ?

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Une autre difficulté, d'ordre plus structurel, est relatée par les professionnels opposant des erreurs liées à des habitudes d'équipe et à la peine que peuvent éprouver les étudiants à comprendre ces habitudes. Ceci se passe comme si l'équipe représentait alors un cadre dont les règles doivent être connues pour comprendre, accepter et ne pas s'offusquer du fait que ce qui se réalise dans ce service précis puisse différer d'un autre service. De par la connaissance de ce cadre, les professionnels analysent des causes probables aux erreurs de cadre des étudiants : « I : en même temps, j'imagine qu'au niveau des transmissions c'était pas ... S : pas clair.. » voire éprouvent eux-mêmes les limites de ces cadres qui ne coïncident pas forcément avec les leurs : « C'est avec un produit qui est déjà facturé et facturable, et donc, point de vue économique je trouve ça un petit peu limite » (M). Cependant, la prise de conscience des limites de ce cadre permet d'accepter qu'un étudiant puisse en sortir sans pour autant porter le poids de son désengagement, comme nous le raconte une infirmière du quatrième entretien :

« C'est pour ça qu'il faut faire attention et qu'il ne faut pas faire culpabiliser le personnel par rapport à ça parc'que forcément quand un patient nous pose des questions, qu'on a connaissance du diagnostic, que quelque fois le patient ne sait pas ou ne veut pas savoir, on est aussi pris à parti et c'est pas forcément facile à vivre donc c'est un peu lourd de faire culpabiliser une élève alors que même nous, en tant que soignants, on est pas toujours très clairs par rapport à ça en plus... c'est lourd ! » (V, E4, 150-155)

Même si aucune méthode infaillible ne résulte de ces données pour transmettre les soins infirmiers, il apparait que ces savoirs n'échappent pas aux obstacles inhérents à l'ensemble des formations. Ces acteurs se heurtent donc aux mêmes problèmes que tous les professionnels de la formation, résolvant leurs difficultés au quotidien, dans des actions réflectives plus ou moins adaptées selon les points de vue de chacun.

4.5 - Enseigner ce qui ne s'apprend pas

B : le savoir-être on va dire sur le terrain

A : Mouais...

B : ... parce que cela il ne l'apprend pas le savoir-être, il apprend le savoir...

A : ouais mais le savoir-faire aussi quand on ne l'a pas vu en TD

G : savoir-être et savoir-faire ?

B : voilà, parce que normalement le savoir c'est à l'école puisqu'il y a l'école donc ils travaillent dessus, disons, qu'on se complète d'ailleurs sur certaines pathologies ça va être différent

A : moi je vois que nous on n'a pas eu beaucoup de TD à l'école... le savoir-être on a fait des cours, on a eu des valeurs à l'école mais après il faut mettre en pratique : l'empathie, le machin ... c'est un mot qui reste abstrait quand on ne pratique pas (E1, 167-177)

I : je trouve que c'est la réflexion, les liens quoi, le pourquoi du comment je fais les choses et y'a rien d'anodin, y'a pas un examen anodin, y'a pas un médicament anodin et qu'on a des objectifs, voilà, comprendre les objectifs... avoir une réflexion vraiment objective sur le parcours du patient au sein de l'hôpital, pourquoi il est hospitalisé, qu'est ce qu'on veut quoi !

S : pourquoi tels et tels médicaments sont prescrits parce qu'ils sont prescrits par les internes et c'est nous qui les administrons.

I : parce que la technique c'est bien, être une bonne technicienne c'est bien mais moi, personnellement, poser une perfusion tout le monde, enfin le commun des mortels est capable de la poser maintenant pourquoi ? Pourquoi on le fait, tu vois c'est différent. Moi je pars de ce principe là, une calciparine® c'est facile à faire enfin la sous-cutané c'est facile à faire...

S : voilà, on le montre et puis les gens ils finissent toujours par y arriver...

I : mais le pourquoi du comment, c'est arriver à tout comprendre

S : pour une prise en charge globale...

I : et quand tu comprends tout et bah du coup avec les collègues aides-soignantes, tu peux, la collaboration en binôme sans vraiment être coller l'un contre l'autre, je crois que c'est important, la collaboration. (E2, 148-165)

R : La réalité professionnelle ! Et puis la confrontation au quotidien qui n'est pas dispensée, l'organisation, voilà, je me rappelle très, très bien de mes premières difficultés en tant que professionnel, après je me suis attaché à cela avec les élèves c'est-à-dire que la gestion d'un groupe de patients, c'est-à-dire à l'époque c'était quatorze, maintenant c'est beaucoup moins mais ça on l'apprend pas, on n'apprend pas à gérer un service, on apprend des soins techniques, on apprend une analyse d'une démarche de soins sur un patient qu'on continue à un, deux, trois, quatre (patients) mais la réalité de la prise en charge globale d'un service ça on l'apprend pas. La gestion logistique d'un service avec les commandes de matériel tout ça, les élèves, c'est vrai, ne l'apprennent pas du tout et donc, en fait, on doit être, le plus souvent et même encore, même si moi c'est particulier la réanimation, cette notion de prise en charge globale du service et des patients, c'est vrai que les élèves... on le découvre après dans la vie active quoi.

M : Les écoles doivent apporter et c'est encore plus vrai aujourd'hui, c'est un des éléments majeurs de la réforme des études, les Instituts de Formation doivent apporter un enseignement théorique et un début de pratique[...] Nous à notre époque c'était un petit peu ça, on avait des jurys qui venaient d'endroits divers et variés, qui s'attachaient chacun avec leurs « dadas » techniques qui n'avaient rien à voir avec la réalité du service, il fallait faire un soin dans le cadre du DE (Diplôme d'Etat), au jour d'aujourd'hui ça va être dans le service où il passe la pratique qu'ils vont être évalués par leurs pairs, dans le service, et là on va avoir... c'est une évaluation professionnelle, ça c'est essentiel. Donc, dans les instituts : les bases, les tampons, ce sur quoi on a parlé en pharmacologie etc. des bases, sérieuses, sur lesquelles il pourra s'appuyer et après la pratique dans les services ça va être eux qui. (E3, 235-249 et 256-263)

F : la mise en situation

V : oui, voilà

F : Nan parce que l'école c'est la théorie et les stages c'est la pratique.

C : c'est mettre en situation

V : à tous les niveaux, parce qu'on ne peut pas se passer de ces apports techniques, enfin je ne crois pas. Si ?

Brouhaha

F : Nan parce que notre métier c'est quand même de la pratique, y'a de la théorie pour... voilà, mais y'a beaucoup de pratique aussi !

V : ah moins qu'on nous enlève tout le côté relationnel et qu'on nous laisse juste le côté technique...

Brouhaha

C'est pas possible, faire un pansement, il n'y a pas que le pansement, il y a aussi toute l'organisation, tout ce qu'il y a à gérer dans un service...

C : et ne serait-ce que savoir comment se comporter avec un patient... (E4, 191-205)

Nous nous sommes laissée le temps de nous imprégner de ces extraits d'entretien, les relisant encore et encore, nous attardant dans l'antre d'une conversation que nous n'avions guère éprouvée avant, laissant ces mots faire échos en nous malgré nos expériences et notre milieu. Nous avons relu, sommes retournée à ces lignes puis sommes revenue à l`analyse. Nous souhaitions ce temps de relecture pour effacer enfin ce qu'il nous restait de préjugé sur l'opposition théorie et pratique (cf. Supra p 13). La lecture de ces extraits nous semble, en effet, suffire en elle-même et il nous apparait presque dommageable d'avoir à les analyser davantage. Alors nous serons brève et concise s'il est possible sur ce sujet. La théorie n'a pas l'apanage du savoir qui transparait de ces extraits et la pratique ne peut se réaliser sans théorie sous peine de devenir un acte perdant tout son sens. Seul un enseignement dans la réconciliation de cette opposition peut apporter tout ce qui parait aux infirmiers comme nécessaire et suffisant à l'exercice de leur profession et nous embrassons ici ce bon sens, extorquant enfin les démons qui nous faisaient frémir depuis que les champs des mondes professionnels et de la formation s'affrontent.

4.6 - conclusion

Les propos des infirmiers interrogés nous dévoilent donc différents types de professionnels allant d'un écueil à un autre : de l'étudiant « vierge » à l'étudiant modèle, d'un professionnel formateur avant tout à un soignant non formateur, d'un enseignement directif à un enseignement entièrement caché... Il serait intéressant, pour approfondir cette recherche, d'utiliser des données quantitatives pour mieux comprendre vers quel style tendent le plus ces professionnels. De la même manière, le rôle de l'équipe dans la formation des étudiants nous semble un point à explorer plus en avant pour l'approfondissement de la compréhension des spécificités de ces formateurs.

5 - « la formation par corps »

Il apparaît donc, d'après ces résultats, que les professionnels évoluent entre un cadre formel qui leur impose une conduite d'«encadrement » auprès des étudiants, et un cadre informel, au sein duquel ils possèdent un espace de liberté suffisant pour inscrire une approche essentiellement personnelle à cet acte de formation. Pour ne pas reprendre l'éternelle question de l'origine de l'oeuf et de la poule nous préférons considérer que chaque acteur de cette situation de formation se trouve impliqué dans les rapports de force au sein du champ infirmier. Alors que nous ne pouvons détacher notre recherche du contexte actuel où l'hôpital entre en compétition avec les établissements privés en termes de recrutement de personnel autant qu'en termes d'attractivité auprès des usagers, nous prenons en compte le contexte mais aussi le lieu particulier où exercent les professionnels et arrivons ainsi à mieux réaliser l'émergence apparente d'un nouveau paradigme inscrit au sein même du nouveau référentiel de formation : la réflexivité.

Cette réflexivité, inscrite en chacun de nous au sein même des schèmes d'apprentissage, semble être à la fois « un allant de soi » en tant que qualité pré-requise demandée et réifiée par les jeunes professionnels, et à la fois une qualité indispensable pour l'exercice d'un métier en perpétuelle évolution. Les « habitus » au sens bourdieusien du terme permettent alors de composer avec cet allant de soi tout en se tournant vers l'extérieur pour continuer ainsi de transformer sans cesse les perceptions et les actions qui en découlent. La « formation par corps » s'avère être le fil conducteur de tous les modèles de professionnels infirmiers rencontrés. Tout se passe donc comme si l'acquisition des connaissances au sein même du corps permettait l'utilisation de ces connaissances au moment opportun sans que l'agent ait besoin de mobiliser une « théorie sur la théorie. » Pour reprendre un exemple plus parlant afin d'être plus explicite, nous parlerons de l'apprentissage des sports où l'explication ne suffit jamais, l'imitation ne donne qu'un sentiment d'incapacité et, finalement, ce n'est que lorsque le sportif a trouvé « son » geste qu'il comprend enfin le sens de la théorie initiale et peut critiquer positivement les modèles principaux qu'il a pu imiter ou écarter. Pour permettre à cette « formation par corps » d'atteindre son but, nous avons pu voir que toutes les stratégies éducatives étaient employées, de l'image paternelle à l'image maternelle en passant par le copinage ou l'autorité magistrale. Sans pouvoir dégager des récurrences de réussite de ces différentes stratégies, il semble cependant que la conciliation de plusieurs d'entre elles pourrait permettre de laisser l'espace nécessaire et suffisant à la construction personnelle de l'étudiant, l'obligeant alors à prendre conscience de ce qu'il réalise en lien avec les réalisations des modèles professionnels rencontrés. Si l'on considère donc que l'accueil sert de cérémonie pour entrer dans le cadre de formation ainsi repéré par tous et que les enjeux de ce cadre sont les mêmes pour tous, à savoir : former des futurs professionnels autonomes, responsables et réflexifs, nous pouvons alors entrapercevoir les entraves possibles à l'atteinte des buts de ce cadre. Nous ne pouvons affirmer qu'un accueil selon des règles préétablies entraine la réussite d'un stage selon les critères de chaque acteur (institut de formation, professionnel et étudiant) mais nous pouvons cependant supposer qu'il y contribue. De la même manière, l'affrontement entre la théorie et la pratique avec en toile de fond la supériorité concédée à l'aspect intellectuel des enseignants oblige l'étudiant à dépasser les limites du cadre scolaire qu'il connaissait jusqu'alors. Comment, en effet, permettre à un étudiant de comprendre qu'il n'existe aucune autre théorie possible que celle décrite lors de l'enseignement de la pose d'un cathéter veineux mais qu'il aura à faire avec sa conscience et sa responsabilité face à l'urgence ou l'adaptation de ce soin selon les conditions particulières chaque jour rencontrées, si ce n'est par l'utilisation de cette connaissance dans l'action après une intégration « par corps » de celle-ci pour mieux la faire ensuite sienne.

Conclusion générale

Nous espérons, dans ce travail, avoir apporté une pierre au grand édifice de la formation et permis la continuité du lien entre enseignant et formateur. Si la distinction entre savoirs théoriques et savoirs pratiques reste un paradigme fort au sein des formations infirmières (CEFIEC, 2004, 57), nous souhaitons que l'idée d'enseignement de savoirs au sein des stages cliniques fasse son chemin, tout autant que la transmission de pratiques au sein des instituts de formation est reconnue. Une fois cette situation d'enseignement dégagée, il faut alors composer avec toute la complexité qu'elle intègre et génère. Nous avons ainsi constaté que les attitudes des professionnels influençaient les comportements des étudiants sans pour autant négliger la réciproque, et nous avons pu également constater que de nombreuses contraintes s'exerçaient sur les professionnels formateurs. Prendre conscience de ces influences semble l'attitude la plus bénéfique pour exercer ce difficile rôle de formation, que cela soit pour être bien dans cette fonction comme pour le bien-être de l'étudiant en formation. Le levier d'action le plus probant pourrait sembler être la formation des infirmiers en y intégrant pédagogie, transmission et didactique des soins infirmiers, mais peut-être est-ce trop simplifier la réponse à un problème complexe. De part les apports révélés ici, une réponse unique ne nous satisfait pas et ne nous semble pas pouvoir convenir à tous les professionnels exerçant ce rôle. Pour autant, nous ne voulons pas laisser croire que l'aspect de la formation n'est pas important, même si elle n'apparaît malheureusement pas comme suffisante au regard des différences retrouvées au sein des professionnels. La compréhension de ce qui se joue au sein de l'action de formation dans les stages cliniques ne peut être détachée de ce qui l'entoure et aucune formation ne semble pouvoir y faire face. Cependant, nous avons pu repérer des éléments clefs qui aident les professionnels dans leur enseignement, comme leur attitude réflective, le travail en équipe et la « formation par corps. » Nous ne pouvons dire si ces éléments suffisent mais nous faisons ici le pari que leur absence risque fort de porter entrave à un bon apprentissage des étudiants qui se retrouveraient face à ces manques.

Il faut donc à la fois comprendre la complexité des professionnels et des étudiants dans leur histoire de vie et ce qui les a conduits là où ils sont aujourd'hui, et à la fois regarder l'instant présent. Cet instant est relié, de fait, au contexte mais, à la fois, ses acteurs le modifient intrinsèquement de par leur présence. L'attitude adoptée à un instant précis conditionnera ainsi la réponse, comme la présentation initiale peut conditionner l'attitude, et tout ceci n'existera qu'à un moment donné et dans une situation donnée. Dégager les différentes attitudes donne donc une meilleure compréhension de la complexité et de ce qui peut conduire à ces attitudes. La difficulté réside ainsi plus dans la détermination de qui influence qui ou qu'est-ce qui influence à ce moment donné puisque, nous l'avons identifié, les influences sont multiples et variées dans une situation donnée. Membres à part entière des situations considérées, les professionnels sont pris dans leur quotidien et, pourtant, inventent au quotidien les moyens de transmettre leurs savoirs aux étudiants. Contrairement aux idées reçues retrouvées chez les étudiants, les professionnels semblent bien perpétuellement dans la réflexivité allant même jusqu'à produire des pratiques non enseignées. Ainsi, ils s'appuient sur les enseignements des instituts de formation pour mettre en place la « formation par corps » et permettre aux futurs professionnels de développer une « conscience perceptive » (Bennet, 1984), coeur du métier de l'infirmier. Loin de la distinction théorie-pratique, ils intègrent ainsi les connaissances enseignées en cours pour les donner à utiliser par les étudiants dans l'ensemble des actes de soin afin de, justement, offrir tout son sens à ces soins, dans la pluralité de ses dimensions. Par cette action de formation à travers le soin, nous réalisons l'importance voire la primordialité de l'enseignement au sein des stages cliniques in situ pour la réalisation d'une formation probante et nécessaire à l'atteinte du niveau de professionnalisme requis.

Cette recherche nous apporte donc un certain nombre d'éclairages mais surtout beaucoup de questionnements consubstantiels qui définissent les limites de ce travail. En quoi le travail d'équipe influence-t-il la formation des étudiants au sein des services ? Quelles sont les attitudes majoritaires dans la communauté infirmière ? Les attitudes sont-elles liées à l'expertise des professionnels qu'il faudrait alors déterminer ? Y-a-t'il corrélation entre volonté « d'encadrer » et attitude adoptée ? Nous voyons ainsi l'étendue du travail qu'il reste à fournir dans ce domaine particulier pour mieux le saisir et pouvoir, peut-être, le relier plus largement aux recherches sur les situations d'enseignement hors du champ scolaire mais au sein du champ de la formation professionnelle.

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· WINNICOTT Donald W., l'enfant et le monde extérieur, Paris, Payot, 190p.

Liens internet

· www.mspb.com

· www.cedip.equipement.gouv.fr

* 1 Lire partout infirmier ou infirmière

* 2 lire partout Institut de Formation en Soins Infirmiers

* 3 Mise en Situation Professionnelle évaluée à un temps T du stage en collaboration avec un cadre formateur et un professionnel de terrain infirmier ou cadre infirmier.

* 4 Normes Afnor X50-750 (avril 1992-ISSN 0335-3931), p11.

* 5 Id.

* 6 JO du 1er juillet 1922

* 7 JO du 14 septembre 1924

* 8 JO du 26 septembre 1951

* 9 Comité d'Entente des Écoles d'Infirmières et des Écoles de Cadres

* 10 Comité d'Entente des Formations Infirmières et Cadres

* 11 JO du 7 septembre 1972

* 12 JO du 7 février 1975

* 13 JO du 14 avril 1979

* 14 JO du 25 mars 1992

* 15 JO du 12 juin 1992

* 16 JO du 4 octobre 2001

* 17 JO du 7 août 2009

* 18 Article R4311-15 du décret de juillet 2011

* 19 article R 4312-10 du décret de juillet 2004






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld