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Kant et la problématique de la promotion de la paix. Le conflit entre l'utopie, la nécessité et la réalité de la paix durable

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par Fatié OUATTARA
Université de Ouagadougou - Maitrise 2006
  

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3. Les fondements politico-juridiques de la paix chez Kant

La politique et le droit se trouvent traditionnellement liés en ce sens que le lien et l'action politiques qui réunissent les "animaux politiques" que nous sommes, sont soumis au contrôle ou à la régulation de règles ou lois qui fondent et conditionnent la vie des citoyens, ainsi que la vie extérieure des Etats.

En effet, la fonction positive de la théorie kantienne de la guerre formulée dans la théorie de l'"insociable sociabilité" est de réaliser l'intérêt réciproque des peuples, de concevoir une pression sur les Etats à oeuvrer au noble ouvrage de la paix, à mettre la guerre hors la loi, et ainsi permettre la réorganisation interne des Etats ainsi que l'harmonisation de leurs rapports réciproques. À l'occasion, le modèle théorique (dessein de la nature) et le modèle pratique (par le droit) se réconcilient dans la mesure où le droit devient le moyen par excellence de réaliser la paix mondiale : la réconciliation est à la fois postulée et réfléchie. La réconciliation consiste, selon Kant, à partir de l'idée naturelle du contrat, qui est d'ailleurs une hypothèse de travail, "une simple idée de la raison " qui oblige « tout législateur à édicter ses lois comme pouvant avoir émanés de la volonté collective de tout un peuple, et à considérer tout sujet, en tant qu'il veut être citoyen, comme s'il avait concouru à former par son suffrage une volonté de ce genre34(*) ». C'est un système qui n'est pas clos mais qu est ouvert sur le monde pour répondre à la vocation du criticisme kantien, à l'appréciation de l'Etat historique et à la question de la définition du droit.

Ce qui fait que dans la Critique de la Raison Pure, Kant s'interroge sur la difficulté pour les juristes praticiens, les juristes empiriques de présenter une solution universelle au problème du droit, c'est-à-dire de le définir de manière satisfaisante. Il ne voulait plus qu'on se renvoie à ce que veulent les lois en un quelconque pays, à une quelconque époque, mais à partir de la simple raison pour fonder une "législation positive possible". Car, pour lui, « une doctrine du droit simplement empirique (comme la tête de bois dans la Fable de Phèdre) est une tête qui est peut-être belle, seulement il est dommage qu'elle n'ait pas de cervelle35(*)».

À travers le droit qui naît de la culture, les hommes vont satisfaire leurs besoins, surmonter les rapports sociaux de domination et de violence. Le droit naît de la détresse que les hommes s'infligent ; il devient un "droit de la nécessité" entendue dans le sens de la misère, de l'enchaînement des conditions conflictuelles afin d'éviter le chaos. Le droit né de l'impératif hypothétique ( si tu veux X, fais Y, ou produit Z), permet les conditions de la coexistence pacifique des citoyens en ceci qu'elle est le fruit de la réconciliation de l'intérieur et de l'extérieur, en ce sens que la loi est consentie et imposée volontairement. C'est dans cette optique qu'il est dit que le droit est un mécanisme de régulation des libertés des "démons intelligents" que sont les hommes. Par ailleurs, quelles sont les conditions de légitimation du droit et de son application sur la vie des citoyens ? Quelles sont les prérogatives de l'homme-citoyen, et ceux de celui qui applique le droit sur la vie du citoyen ?

D'après Kant, la direction des affaires de la Cité doit être accordée à un maître « qui batte en brèche la volonté particulière (de tous les citoyens) et la force à obéir à une volonté universelle valable36(*)». De la sorte, il devient difficile de résoudre le problème de l'injustice sociale, puisque l'homme est perçu comme un animal, un esclave qui a besoin d'un maître. Or le maître qui a besoin d'un esclave, est lui-même un animal. Par conséquent, il faut négocier une liaison du droit à la maîtrise de la violence ou de la force à la contrainte pour qu'au lieu d'un maître, il y ait un souverain qui use, et non pas qui abuse du droit, pour rendre égaux tous les citoyens soumis à la loi. En retour de leur confiance, du consensus ou de leur consentement, il pourra assurer leur sécurité, protéger leurs intérêts respectifs.

Principalement, la réduction tendancielle de la contrainte ainsi que la maîtrise de la violence s'imposent ; car elles sont conformes à l'idée même du droit des gens, aux principes de la coexistence pacifique des peuples. Il y a là une sorte de "recours formel à la contrainte" institutionnalisée sous forme d'approbation ou de désapprobation de la conduite des hommes dans la société. Cette loi de la contrainte réciproque s'accorde nécessairement avec la liberté de chacun selon le principe de la liberté universelle37(*). De là, le droit est une réalité sensible qui s'applique et qui s'adapte aux rapports socio-politiques de base entre les citoyens et des Etats.

À la lumière de tout ce qui précède, Kant pense que l'application du droit à la vie des hommes, dans leurs tentatives d'auto-réalisation de la coexistence pacifique, doit être confiée à ceux-là mêmes qu'il a nommé "moralistes politiques" et "politiques moraux"38(*). Si les premiers sont des techniciens de la contrainte, s'ils sont incapables de faire des aménagements, des réformes allant dans la droite ligne du droit naturel établi par la raison, ils doivent laisser la place aux seconds. Ces derniers ont pour tâche de reformer le droit, s'il s'adapte mal au quotidien, et de corriger les erreurs et les défauts de constitution : ils se donnent pour vocation d'apporter une réforme nécessitée par la quête de la meilleure constitution possible. La législation universelle est donc le passage obligé de toute la promotion de la paix comme moyen de réaliser universellement le droit. Or, atteindre une société qui administre universellement le droit constitue, selon Kant, le plus grand problème et le plus difficile à la fois pour l'espèce humaine, celui qu'il résoudra le dernier.

Il y a difficulté parce que les forts abusent de la liberté des faibles pour les dominer, parce que l'on dissuade davantage les pauvres en les réduisant en simples grévistes, en simples revendicateurs. La difficulté tient également au fait que l'on ne représente pas toujours les réalités citoyennes et étatiques avec douceur aux citoyens, ou que ceux qui ont le destin de l'humanité entre leurs mains ne rendent pas toujours de comptes à ceux qu'ils représentent ou qu'ils dirigent ; alors que le droit a besoin de s'adapter à la réalité conflictuelle des forces sociales et à leurs intérêts, de sorte à intégrer pacifiquement les droits et devoirs des citoyens dans une politique partisane et conciliante. Et, la législation juridico-politique39(*), en ce sens qu'elle n'intègre pas seulement le mobile à la loi, admet aussi un autre mobile que l'idée même du devoir, exige, selon Kant, des devoirs externes fondés sur des mobiles également externes. Kant introduit volontairement l'idée de liberté dans le droit à telle enseigne que la liberté juridique externe nous permet d'agir dans le monde extérieur sans être empêché par une égale liberté des autres. Dit autrement, la liberté juridique apparaît être une libération extérieure des empêchements qui nous proviennent des autres libertés ; elle vise la constitution d'une communauté ou d'une société à vouloirs séparés. Mais, il s'agit chez Kant d'une volonté juridique hétérocentrique déterminée par des intérêts motivés par la loi.

La législation juridique permettra ainsi de sauvegarder durablement le lien historique existant entre la morale et le droit pour éviter que cette relation ne favorise qu'un simple jeu, qu'une simple technicisation du droit en en faisant une seconde nature fondée exclusivement sur la capacité de l'homme propriétaire des choses et de la nature ; car sa capacité risque de se renverser en pouvoir de détruire et de construire les"res" selon l'idée de sa pure disponibilité40(*).

En substance, il faut dire de concert avec Kant que la forme juridique nécessaire pour la coexistence libre et pacifique des citoyens et des peuples, c'est la constitution politique faite pour le peuple, par le peuple, dans le commandement réel et absolu de la Raison pratique amoureuse du droit et de la paix. Par ailleurs, vu la condamnation kantienne de la guerre, vu la nécessité et la valorisation de la paix chez Kant, sommes-nous en droit d'affirmer qu'il est un pacifiste ? Avoir écrit sur la paix suffit-il à dire qu'un auteur est pacifiste ?

Certes, la paix n'est pas et ne sera jamais l'absence de guerres ; mais elle sera toujours nécessaire pour la survie de l'humanité. Aussi, des prix Nobel de la paix seront toujours décernés aux acteurs de la paix qu'on pourrait appeler les "pacifistes". À ce sujet et avant toute chose, quelle définition pouvons-nous donner aux concepts de "pacifisme", d'"acteur de la paix", de "partisan de la paix" et d'"artisan de la paix". Le pacifisme, à l'opposé du bellicisme, peut être défini41(*) comme étant la "doctrine politique des pacifiques". Une doctrine qui prône la paix par des moyens non-violents. Est pacifiste, "qui aime la paix","qui est attaché à la paix" ou "qui favorise la paix" de telle manière que, préparer la guerre pour parvenir à la paix, est un non-sens dans la vie des peuples. De là, les pacifistes, les partisans et les artisans de la paix sont tous des acteurs de la paix, des frères. Car le même ouvrage de la paix les met en face de l'homme, de sa politique, de son comportement, de ses moyens et de l'intérêt de l'humanité entière. Ainsi, pour des peuples épris de dignité, de progrès et de liberté, « être partisan de la paix, c'est chercher, dans ses actes et son comportement, à rester fidèle aux intérêts historiques de l'humanité ; être artisan de la paix, c'est participer avec conviction à la lutte, à toutes les luttes menées pour la liberté, le progrès et le bien-être des hommes», soulignait Ahmed Sékou Touré dans L'Afrique et la Révolution, T.3.

Le pacifisme qui se veut être l'affaire des esprits militants, des hommes du changement, des sages, s'étend de l'intérieur à l'extérieur des Etats quels que soient leur taille et le type de conflits auxquels ils font face. Or, Kant est d'un Etat et d'une époque ; il a connu les horreurs de la guerre. Avisé, il a prôné le changement des mentalités à travers nombre de ses écrits notamment le Projet de paix perpétuelle. Pour ce faire, la question de savoir si Kant est pacifiste ne doit plus se poser au sujet de celui-là même qui a condamné la guerre, prôné la paix comme seul moyen d'épanouissement des libertés individuelles et collectives, donc du progrès du monde. Il est non-violent en dépit de sa théorie de l'"insociable sociabilité" qui dit que la nature crée le désordre pour mettre l'ordre dans la Cité des hommes raisonnables. En un mot, Kant nous encourage à la paix, il nous invite à agir en vue de la fondation de l'état de paix et à oeuvrer en vue de la constitution républicaine qui nous semble à cette fin appropriée. Kant est loin d'être un faiseur de bombe, un terroriste ; il est un humaniste fin qui place l'Homme au coeur de sa pensée morale et politique qui, à son tour, fait une grande place à la question de la paix perpétuelle. C'est au nom de cet humanisme que nous disons que l'acheminement de l'homme vers sa destination morale et politique, vers le règne des fins ou le règne du droit, n'aboutira que grâce aux lumières de la philosophie kantienne du droit appelée ici "pacifisme juridique kantien", d'après l'idée que la raison possède une force du droit. Il nous revient, après que nous nous soyons éclairés, de rester attentifs à tout ce qui peut entraver la pacification des sociétés, ou empêcher la marche des peuples vers le mieux. Prévenir les conflits, énumérer et éliminer leurs causes, c'est redonner des chance à l'histoire de l'humanité de progresser sûrement vers la paix durable.

DEUXIÈME PARTIE :
DES OBSTACLES À LA PAIX À LA PROGRESSION DE L'HUMANITÉ VERS LA PAIX CHEZ KANT.

* 34 Kant, Théorie et Pratique, trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1990, p.39

* 35 Kant, "Métaphysique des Moeurs", in La Pléiade, trad. J. O. Masson, Paris, Vrin, 1965, p.229

* 36 Kant, Idée, trad. Piobetta, Paris, Aubier, Montaigne, 1951, p.68

* 37 Voir le premier principe métaphysique de la Doctrine du droit, p.481

* 38 Kant, 1986, pp.367-368

* 39 André Tosel, "La fondation de la catégorie juridique chez Kant"dans Cahiers Eric Weil III"Interprétations de Kant" de Jean Quillien et Gilbert Kirscher (Eds), Presses de l'Université Charles de Gaulle, LilleIII, 1992

* 40 « La synthèse juridique a pour propriété et pour tâche de veiller à ne se laisser dissoudre ni dans la naturalité et la violence propre au monde empirique, ni dans l'éthicité pure. Kant vise une connexion originale de valeur et de fait, d'idée rationnelle et d'existence empirique, de devoir et de force, d'humanité libre et de nature nécessitée. » Ibid, p.145,

* 41 Dictionnaire universel francophone, Ed. Hachette / EDICEF, 1997, p.916

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