4.1.2.1 Les artistes
On estime qu'il y a plus de 5000 artistes
aborigènes18 sur le continent australien, la grande
majorité d'entre eux vit dans leurs communautés.(Altman 1988,
49). Leurs motivations sont multiples mais la principale est l'argent. Il ne
faut cependant pas considérer cela de façon trop
péjorative. S'il est évident que c'est le marché qui fait
continuer ce courant artistique, la qualité des peintres et des
peintures atteint de très hauts niveaux. Certains artistes sont devenus
célèbres, principalement les premiers artistes de Papunya. En
accord avec le fonctionnement du marché de l'art, leurs oeuvres ont plus
de valeur que celles des peintres moins connus, et d'autant plus que nombre
d'entre eux sont aujourd'hui décédés.
18 Considérant comme artiste toute personne
ayant fabriqué et vendu un objet reconnu comme de l'art ( Altman
1989,12).
Les artistes reçoivent généralement leurs
matières premières des centres ou galeries qui attendent le
tableau achevé en échange. Les Aborigènes n'ont pas la
même notion du contrat que nous et il arrive souvent qu'une peinture soit
vendue à une autre personne que celle qui a fourni la toile et
l'acrylique, au grand dam de cette dernière (communication personnelle:
Petitjean 2000). Les Aborigènes ont un rapport particulier à
l'argent qui a déjà été mis en évidence plus
haut (cf. p.15). Il cause des problèmes dans le marché puisque
certains artistes cassent euxmême les prix en vendant leurs toiles
tantôt pour des milliers de dollars australiens à un galeriste,
tantôt pour 100 dollars à un passant. De la même
façon, certains ternissent leur réputation en vendant leurs
toiles aussi bien aux grandes galeries d'art qu'aux petits magasins de
souvenirs. Ce fut le cas entre autres de Clifford Possum, dont les oeuvres
furent d'ailleurs boudées dès le début des années
quatre-vingt-dix par les grandes galeries, trop agacées par ces
pratiques. ( communication personnelle: Petitjean 2002).
4.1.2.2 Les centres artistiques
Les peintres trouvent dans les centres artistiques un
apprentissage technique et des conseils pour que leur production corresponde
aux tendances du marché (Wright 1999, 40). Ces centres fournissent les
matériaux de base, puis prennent en charge la commercialisation et la
promotion des tableaux. Ils assurent à l'artiste un payement
équitable pour les tableaux vendus. Ils participent à
l'organisation de projets qui concernent toute la communauté comme des
projets culturels, sanitaires ou touristiques et ils se chargent aussi de
fournir aux détaillants des
photos ou des vidéos qui prouvent l'authenticité de
l'oeuvre19. (Wright & Morphy 2000, 42). Les implications
à la fois sociales et commerciales des centres artistiques rendent leur
fonctionnement particulièrement complexe.
Dans son étude, Felicity Wright les définit comme
suit :
«Le terme "art and craft centre" est utilisé pour
décrire toute organisation opérant en Australie profonde qui est
détenue et contrôlée par des Aborigènes, où
la principale activité est de faciliter la production et la
commercialisation et arts et de l'artisanat"20 (Wright 1999, 7)
On en trouve une vingtaine dans le désert central,
situés sur les lieux de productions principaux. Les centres les plus
importants sont Ikuntji Arts Centre pour les peintres de Haasts Bluff,
Papunya Tula Artists Pty Ltd pour ceux de Papunya, de Kintore et de
Kiwirrkura, Utopia Awely Batik and Cultural Centre pour Utopia,
Warlayirti Artists Aboriginal Corporation pour Balgo Hills,
Warlukurlangu Artists à Yuendumu et Warnayaka Art Centre
à Lajamanu. La plupart des centres du Désert, dont ceux
cités ci-dessus, sont regroupés sous l'organisation Desart
(Wrigth 2000, 119 ; Petitjean 2000, 101).
Les centres artistiques se déclarent détenus et
contrôlés par des Aborigènes (Wright 1999, 27). C'est un
aspect qu'ils estiment très important car ce sont eux qui doivent
diriger le centre et pas des blancs. Mais, depuis les débuts du courant
artistique, des blancs ont pris part à son développement.
Geoffrey Bardon en est même à l'origine. Les Aborigènes
n'ont pas toujours les connaissances suffisantes
19 Suite aux problèmes d'authenticité
dus au travail en groupe des artistes, des galeristes ont exigé qu'une
oeuvre dite d'un artiste aie été peinte par lui seul. Des photos
et des vidéos de la fabrication du tableau ont alors été
jointes à l'oeuvre vendue comme preuve de cette authenticité. Il
est étonnant de voir que ce sont des supports aussi facilement
falsifiables que la photographie ou la vidéo qui servent de preuve
d'authenticité (Petitjean 2000, 128).
20 Dans le texte : "The term `art and craft centre'
(henceforth abbreviated to `art centre') is used to describe any organisation
operating in remote Australia that is owned and controlled by Aboriginal
people, where the principal activity is faciliting the production and marketing
of arts and crafts».
du marché de l'art pour pouvoir gérer le centre
le mieux possible et l'aide de nonAborigènes est dans la majorité
des cas la bienvenue : la gestion du centre est déléguée
à un conseiller artistique non-aborigène (Wright & Morphy
2000, 21). Ces délégués sont très importants dans
le marché : ils sont les intermédiaires directs entre les
peintres et les galeristes ou conservateurs de musées et peuvent avoir
une très grande influence sur la production artistique (Michaels 1994,
153). On a vu, par exemple, l'influence d'Andrew Crocker à Papunya
(cf.p.47) et celle de Marina Strocchi à Haasts Bluff (cf.p.52)
Seuls quelques centres organisent une vente au détail. La
plupart vendent simplement les peintures qu'ils collectent à d'autres
détaillants (Altman 1989, 49).
|