4.1.2.4 Les salles de ventes aux enchères
Les ventes aux enchères de peintures du Désert
se sont développées dès les années
quatre-vingt-dix. Les principales maisons qui s'intéressent à ce
courant artistique sont Sotheby's et Deutscher-Menzies, mais uniquement dans
leurs succursales australiennes. Ces ventes attirent donc beaucoup d'acheteurs
étrangers (Petitjean 2000, 111-2). Sotheby's organise des ventes
destinées exclusivement à l'art aborigène et l'art du
Désert y a la meilleure place.
On peut voir que les prix les plus élevés vont
aux tableaux du début du courant artistique à Papunya et
particulièrement aux peintures des artistes décédés
qui sont devenus célèbres, comme Clifford Possum Tjapaltjarri ou
Johnny Warangkula Tjupurrula. Comme dans le marché d'art contemporain,
les artistes qui voient leurs tableaux atteindre des sommes importantes lors de
ces ventes gagnent une réputation qui fait souvent augmenter le prix de
leurs autres oeuvres22 (Moulin 1997, 64). C'est une peinture de
Johnny Warangkula Tjupurrula qui détient actuellement le record :
Water Dreaming at Kalipinypa23 a été vendu
pour 486 500 dollars australiens, soit un peu plus de 304 000 euros, le 26 juin
2000 (Petitjean 2000, 113).
L'introduction de l'art du Désert dans ces ventes aux
enchères est une étape importante vers sa reconnaissance comme un
art à part entière. Le fait que l'on puisse payer plus de 300 000
euros pour une toile fait d'elle une oeuvre d'art, on ne payerait pas aussi
cher pour une peinture uniquement décorative ou artisanale.
22 Ce phénomène fonctionne de
façon circulaire : c'est parce que l'artiste est réputé
que son oeuvre se vend cher et vice versa : plus chère l'oeuvre est
vendue, plus l'artiste est réputé.
23 Tableau de 1972, en peinture en poudre
polymère synthétique sur panneau de 80 sur 75 cm (Petitjean 2000,
318).
La reconnaissance en tant qu'oeuvre d'art donne une plus-value
à l'objet, le raisonnement inverse me semble tout aussi valable.
4.2 Les paradoxes du marché
4.2.1 La notion d'Art
Les points de vue occidentaux sur le marché de l'art et
sur l'art en général diffèrent sur beaucoup de points de
la pensée aborigène traditionnelle.
Le premier grand paradoxe est de trouver de l'Art dans une
société pour laquelle la notion d'Art n'existe pas à
l'origine. Il n'y a d'ailleurs pas de mot aborigène correspondant
à notre mot « art » (Sutton 1989, 3). Le problème est
le même avec les sociétés africaines et l' « Art
» qu'on y a découvert. Dans ces sociétés, les objets
que l'on désigne comme oeuvres d'art sont des objets dont la fonction
est le caractère primordial, et non pas l'aspect. Dans de très
nombreux cas, comme les peintures corporelles, rupestres et de sable
aborigènes, cette fonction est religieuse. Dans le contexte des
peintures sur toile, la notion d'art n'apparaît pas toujours pour le
peintre car la fonction reste primordiale : dans les premiers temps, à
Papunya, la peinture fut un moyen pour les Aborigènes de retrouver leurs
origines et leurs traditions via les images qu'ils dessinaient auparavant dans
les lieux sacrés. Elle leur permit d'abord de reprendre confiance en
eux. Puis, lorsque Bardon commença à vendre les toiles, peindre
devint un moyen de gagner de l'argent. Leur succès grandissant suscita
un intérêt nouveau chez les jeunes ainsi qu'une reconnaissance par
les Australiens et par le reste du monde de ce peuple trop souvent
oublié. Les toiles servirent également de titre de
propriété lors des procès attentés par les
Aborigènes pour récupérer leurs terres (Bardon 1991, IX,
XI, 27, Isaacs 1984, 262).
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