4.3.2 Les peintures du Désert comme oeuvres
contemporaines : le pour et le contre.
Contemporain est ici pris dans le contexte artistique.
Historiquement, personne ne peut dire que ces oeuvres ne sont pas
contemporaines. La question ne se pose donc pas. D'un point de vue artistique,
il s'agit de se demander si les peintures du Désert peuvent être
considérées comme des oeuvres d'art contemporain au même
titre que toutes les oeuvres reconnues actuellement comme telles. D'où
la question : qu'est ce qui fait d'un objet une oeuvre d'art contemporain ?
Cette question est bien trop difficile et controversée pour que je
prétende y répondre, je vais donc tâcher d'en donner
quelques critères récurrents et de voir de quelle manière
les peintures du Désert y correspondent.
On peut trouver dans les peintures du Désert des
ressemblances structurelles avec une partie de l'art contemporain :
l'abstraction, la bidimensionnalité ou absence de profondeur, la mise en
évidence du geste du peintre et de la texture et le non-illusionnisme
sont des éléments qu'on retrouve aussi bien dans l'art
contemporain que dans l'art du Désert. Ces similitudes rendent l'art du
Désert beaucoup moins étrangers à nos yeux que la culture
aborigène même.
On peut également trouver des ressemblances formelles
entre certaines oeuvres du Désert et des oeuvres occidentales bien
précises. Cela constitue un argument particulièrement en faveur
de la reconnaissance des oeuvres du Désert comme oeuvres d'art
contemporain. La ressemblance entre les peintures de Gloria Petyarre (ILL. 69)
et les texturologies de Dubuffet (ILL.103) saute aux yeux. Ronnie Tjampitjnpa
(ILL.59) et Franck Stella (ILL.104) utilisent le même motif même si
l'aspect gestuel aborigène contraste avec les lignes tracées
à la latte de Stella.
La reconnaissance par des institutions, comme le musée
d'art, ou par des spécialistes reconnus est aussi très importante
(Moulin 1997, 47-52). De très nombreux musées d'art australien
contiennent des peintures du Désert et plusieurs galeries d'art
contemporain ont exposé des oeuvres d'artistes aborigènes
à côté d'oeuvres d'artistes occidentaux contemporains
(Petitjean 2000, 138-40). Un autre élément de reconnaissance en
tant qu'oeuvre d'art est le prix atteint par l'oeuvre lors des ventes aux
enchères importantes (Moulin 1997, 57-8). Plus les oeuvres d'un artiste
sont achetées chères, plus l'artiste est reconnu29.
Ainsi, on voit que des oeuvres d'artistes aborigènes ont
déjà atteint des sommes fort importantes : certes, pas autant que
les records de ventes occidentales mais tout à fait honorables
proportionnellement aux nombres d'oeuvres vendues et à l'âge des
oeuvres : comme je l'ai déjà dit, le tableau qui détient
le record à été vendu, 486 500 dollars australiens lors de
la vente annuelle d'art aborigène de Sotheby's à Melbourne en
2000. (Petitjean 2000, 318)
Les critères d'originalité et
d'inventivité qui semblent également être importants dans
l'art contemporain (Moulin 1997, 49) sont, comme on l'a vu dans le chapitre sur
les paradoxes, en contradiction avec la pensée aborigène
traditionnelle. Néanmoins, certains artistes ont une démarche
plus personnelle et répondent à ces critères tout en
restant dans leur esprit respectueux de la tradition. Leur esprit inventif fort
apprécié dans le marché de l'art à en juger par
leur réputation est plus contreversé parmi des responsables
aborigènes. Parmi eux, on peut citer Emily Kame Kngwarreye, Turkey
Tolson Tjupurrula, Ronnie Tjampitjinpa, etc.
L'élément qui nuit le plus à l'art
aborigène dans son processus de reconnaissance est, comme je l'ai
déjà dit, la trop abondante production de tableaux aux
qualités
très variables. Comme les tableaux sont achetés
à tous les niveaux de commerce, de la galerie d'art renommée au
magasin touristique de souvenirs australiens, tous les Aborigènes qui
ont envie de peindre peuvent trouver un acheteur quelle que soit la
qualité de leur travail. Le marché est envahi à 90% de
peintures jugées très médiocres par les connaisseurs
(Petitjean communication personnelle 2000). Les spécialistes de l'art
contemporain qui découvrent l'art du Désert à travers ces
oeuvres médiocres ont du mal à ne pas le considérer comme
un courant artistique commercial sans qualité artistique.
29 Et vice-versa.
|