D.2. Le jeu interférant
D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel
Ç Ë quoi tu penses ? Je pense que la
barrière de la langue et certains a priori inavouables m'ont
déjà fait prendre une idiote pour une femme intelligente et
une femme intelligente pour une idiote. > H. Le Tellier, Les
amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable.
Au travers d'une anecdote géo-politique, nous allons
illustrer le jeu interférant que peut créer la rencontre de deux
interlocuteurs ne partageant pas la même culture ni la même langue.
Nous ne pouvons pas considérer que ce cas est un cas de jeu dU à
un véritable bilinguisme, bien que le jeu interférant
décrit ci-dessous s'en rapproche fortement.
Durant sa carrière, le premier ministre japonais Mori
reçut quelques cours de Basic English quelques jours avant de
rencontrer le président des États-Unis Barack Obama à
Washington. Le professeur dit à Mori : Ç quand vous serrerez la
main de Mr Obama, dites «How are you ?«, ce à quoi il
répondra «I am fine and you?«. Alors, vous répondrez
«Me too«. Après, les traducteurs prendront la relève.
> Cela parait assez simple, mais pourtant, le jour de leur rencontre, quand
Mori rencontra Obama, il lui dit pas erreur Ç Who are you?> Mr Obama,
bien qu'un peu surpris, répondit avec humour Ç Well, I'm
Michelle's husband. >. Ce à quoi Mori répondit Ç Me
too. > Un long silence gêné s'installa dans la pièce.
Cet exemple, bien qu'amusant, illustre le jeu
interférant qui peut se créer lorsqu'un interlocuteur use d'une
langue qui n'est pas sa langue maternelle, et qu'il ne ma»trise pas.
Confondant le Ç How are you? > avec le Ç Who are you? >,
Mori transforme le sens de la question. On voit ici en quoi une non
ma»trise de l'anglais entra»ne un jeu interférant, qui ici
rend la situation cocasse par le fait que les interlocuteurs (autres que Mori),
comprennent l'erreur de Mori et savent qu'il souhaitait produire Ç How
are you ? > mais a fait une erreur de prononciation. Ils sont
également conscients qu'il sait très bien qui est Barack Obama,
et qu'il n'est pas le mari de Michelle Obama. La situation décrite ici
fait sourire, cependant on pourrait imaginer les catastrophes
géo-politiques que pourraient entra»ner de tels jeux.
D.2.2. Lie Catching
Ç I might mimic a passion that I do not feel, but
I cannot mimic one that burns me like fire. È O.Wilde, The
Picture of Dorian Gray.
La scène suivante est tirée du film
Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. Le film se déroule
durant la seconde guerre mondiale. Archie Archox, sur la droite sur la
troisième vignette et sur la gauche sur les vignettes quatre cinq et
six, fait partie d'un commando de soldats Alliés, les Basterds,
dont le but est d'éliminer les hauts dignitaires nazis allemands. Dans
cette scène, lui et trois soldats de son commando, tous les quatre
déguisés en soldats nazis, rejoignent leur contact allemand
Bridget Von Hummersmark (à gauche sur la troisième vignette), en
prétendant être de vieux amis. La tension monte lorsque de vrais
soldats et officiers nazis commencent à interroger Archie sur
l'étrangeté de son accent. Dans les six vignettes qui suivent, le
major Dieter Hellstorm, de la Gestapo, s'est assis à leur table pour
discuter avec le prétendu général de la Wehrmacht, et
avant d'entamer la discutions, passe commande au barman.
Vignette 1 : Eric has a bottle of thirty-three-year old
whiskey. Vignette 2 : How many glasses?
Vignette 5 : You've just given yourself away
captain... Vignette 6 : You're no more German than that
scotch.
Cette illustration de la détection du mensonge par non
contrôle d'un signe élocutionel rejoint le jeu culturel que nous
avons illustré dans la partie précédente, car ici le
mensonge porte sur la culture d'origine de l'interlocuteur. Archie Archox avait
jusqu'ici réussi à camoufler son mensonge en prétendant
que son accent lui venait d'un petit village dans les montagnes dans lequel
toute la population parle de la sorte. Cependant, le major Dieter Hellstorm
découvre la supercherie lorsque Archie produit le signe
élocutionnel signifiant 3 en levant l'index, le majeur et l'annulaire,
dit Ç à l'anglo-saxonne È, que nous pouvons voir sur la
vignette trois et quatre, ce que le major ne manque pas de repérer et
donc finit par découvrir que l'identité prétendument
allemande d'Archie est fausse.
Nous retrouvons ici la constatation faite par Biland (2004:29)
: Ç la difficulté à mentir tient dans la difficulté
à gérer une charge cognitive et émotionnelle lourde sans
que rien ne "fuie", ni dans le discours ni dans le comportement, de
l'état réel. È Ici, Archie est dans une situation de
stress importante dans laquelle la découverte de son mensonge est un
danger pour sa vie mais aussi pour la mission qui l'amène ici.
Jusqu'à ce moment, il réussissait à couvrir son mensonge,
mais on voit qu'un signe élocutionnel, sur lequel il a peu de
contrôle et produit pour signifier 3 de façon quasiinconsciente,
le trahit, il y a une sorte de Ç fuite È de la culture d'origine
d'Archie77, le signe élocutionnel qu'il produit sur la
vignette 3 et 4 est un signe devenant un jeu interférant puisqu'il
contredit le continuum du sens jusqu'ici communiqué.
77 Comme le dit le Major Dieter Hellstorm vignette 5, Ç
you gave yourself away. È
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