A.1.2. La théorie du code
L'approche Saussurienne fait des signes de simples moyens
d'échanges d'informations à contenus fixes, effectués
entre deux locuteurs par le canal intermédiaire que serait une
langue-code conventionnalisée, plus ou moins universelle au sein de la
collectivité représentée par la communauté
linguistique à laquelle appartiennent les interlocuteurs. Cette
conception voit la linguistique comme l'étude d'un code
intrinsèquement conventionnel et au sens immanent, utilisé par
des sujets parlants idéaux possédant chacun une copie identique
de ce code. Ce modèle exclut les sujets parlants de l'étude, car
ce qui importe est l'analyse du langage codé, se situant entre les
opérations de codage et de décodage. Dans cette conception, le
sujet parlant Ç émetteur È encode un message qui sera
ensuite décodé par le sujet destinataire Ç
récepteur È. En utilisant cette langue-code, les signes
traduiraient Ç une activité mentale È qui
préexisterait au langage, c'est-à-dire mettraient du sens dans
des structures appartenant à la langue, et seraient utilisés
comme Ç intermédiaire(s) entre la pensée et le son.
È (ibid,1995:156)
Ce modèle du code sera schématisé un peu
plus tard par Shannon et Weaver
(1948) :
C.Shanon & W.Weaver, The Mathematical Theory of
Communication.
Dans cette perspective du modèle linéaire de la
communication, celle-ci est réduite à la simple transmission d'un
message qui est codé par la langue et oü l'échange est fait
entre un émetteur Ç parlant È depuis une source
d'information, utilisant un canal pour faire transiter les signaux, signaux
potentiellement perturbés par un bruit extérieur, et reçus
par un récepteur qui l'envoie à sa destination, la
source et la destination étant les processus cognitifs
des locuteurs. Ce modèle du code, également appelé
Ç Théorie de la transmission È ou Ç Théorie
mathématique de la communication È, bien que d'inspiration
beaucoup plus ancienne, fut conçu pour théoriser les
systèmes de télécommunications dans la première
moitié du 20ème siècle. Il connut pourtant un
succès certain dans les sciences humaines et fut repris par nombreux
linguistes, notamment par Jakobson, avec un modèle qui n'est pas sans
rappeler le schéma de Shanon et Weaver, auquel il apporte quelques
compléments :
R.Jakobson, Essais de linguistique generale (1963).
Ce schéma est le modèle classique de
l'étude de la communication en tant que codage et décodage, la
définissant comme l'étude formelle de ce mouvement
encodage-décodage, échangé entre le Ç destinateur
È et le Ç destinataire È. Tel deux tennismen
s'échangeant une balle sur un court de tennis, les interlocuteurs sont
ici vus comme s'échangeant à tour de rTMle des Ç bulles de
signification È. Dans un tel schéma, Ç les messages sont
représentés comme des contenus insérés dans des
mots, phrases, textes (contenants), transmis d'un émetteur à un
récepteur, puis décodés par un processus inverse à
celui de l'émission. È (Moeschler,1994:16) De nouveau, ce
modèle présente la communication comme le codage d'un message par
un code connu identique chez tous les sujets parlants cette langue, et
perpétue la supériorité du code, de la langue sur le
discours, excluant de l'étude de la communication le sujet parlant en
contexte mondain ordinaire ; un modèle oü Ç les
paramètres du sujet et de la variation (ont été)
évacu(és) de la "langue", en les reléguant à la
"parole". È (Fuchs&LeGoffic,1996:9)
On retrouve ce type d'exclusions dans la grammaire
générative, théorisée par Chomsky, et postulant
l'existence d'un Ç code qui associe une représentation
sémantique à une forme phonologique È
(Sperber&Wilson,1989:22) organisant le
langage en profondeur. Bien que faisant un premier pas vers
l'inclusion des locuteurs, son approche n'en reste pas moins une approche
typiquement codique. En effet, la communication fonctionnerait par une mise en
opposition de deux idiolectes intériorisés par les
interlocuteurs, structures appartenant à une languecode
intériorisée, dans lesquelles les locuteurs viendraient injecter
du sens avant de le transmettre par le schéma de transmission
d'informations. La théorie générativiste renferme donc bel
et bien, malgré ce qui pourrait sembler être un premier pas vers
la pragmatique par l'inclusion du vis-à-vis des interlocuteurs, le
modèle de la languecode, qui se retrouverait dans un catalogue de
Ç structures profondes È, utilisées par les locuteurs,
sans tenir compte de la situation d'énonciation.
Tous ces schémas fondent le sens d'une communication
sur sa construction grammaticale correcte ainsi que dans sa
vériconditionnalité, c'est-à-dire qu'un
énoncé ne peut avoir de sens qu'à condition qu'il respecte
une grammaire (un code intériorisé de grammaticalité)
correcte, et qu'il exprime des arguments qui puissent être
vérifiés/confirmés, ou falsifiés/infirmés.
En d'autres termes, une proposition a du sens, et donc peut passer le
schéma transmettant l'information, si et seulement si cette proposition
est grammaticale et Ç vraie È. (Eluerd,1985:26-29)
Pour utiliser une métaphore sportive, oü l'on
comparerait l'analyse linguistique à une analyse d'un match de tennis,
on aurait avec cette théorie du code une analyse qui n'aurait pour objet
que l'analyse des mouvements de la balle, de laquelle serait exclue
l'importance des joueurs (qui ne feraient que suivre des règles), ainsi
que l'importance du matériel qu'ils utilisent ou encore du terrain sur
lequel ils jouent. On voit dans ce type de modèle l'exclusion directe de
la parole au profit de la langue, et donc par le même biais du sujet
parlant, préférant laisser l'utilisation de la languecode
à des locuteurs idéaux théoriques. On constate
également l'exclusion du contexte, l'affirmant comme extra-linguistique
et donc ne devant pas figurer au sein de l'étude linguistique, ainsi que
l'exclusion du langage ordinaire. On donne principalement pour motivation
à cette supériorité de la langue l'idée d'un rejet
nécessaire du langage ordinaire qui serait trop complexe et
désordonné, nébuleuse qui ne pourrait satisfaire les
exigences de théorisation scientifique, justification que la pragmatique
va prendre à contrepied.
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