LE DROIT D'ASILE
ET LA CONVENTION EUROPEENNE
DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME
ET DES LIBERTES FONDAMENTALES
Clémentine PLAGNOL
Mémoire pour le Master II de recherche en Droit
communautaire et européen Sous la direction de Madame Catherine
GAUTHIER Maître de conférences à l'Université
Montesquieu - Bordeaux IV
Remerciements
Mes remerciements s'adressent d'abord à Madame
Catherine Gauthier pour sa patience et sa disponibilité depuis notre
première rencontre.
J'adresse ensuite des remerciements tout particulier à
la Cimade et à tous ses bénévoles de Bordeaux grâce
à qui le sujet de mon mémoire a pris tout son sens.
Je voudrais enfin remercier ma famille et mes amis pour leur
soutien tout au long de l'année.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1. Le vecteur principal de la protection du
droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales 10
SECTION 1. La protection du droit d'asile établie sur un
fondement classique de la Convention européenne des droits de l'Homme .
10
SECTION 2. La protection du droit d'asile renforcée par
des méthodes développées par la Cour européenne des
droits de l'Homme .19
CHAPITRE 2. Les fondements accessoires de la protection
du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales 36
SECTION 1. La protection développée des droits
procéduraux garantis par la Convention européenne des droits de
l'Homme ..36
SECTION 2. La protection inachevée des droits substantiels
garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme ..53
Introduction
<< La vie est faite d'illusions. Parmi ces illusions,
certaines réussissent. Ce sont elles qui constituent la
réalité.1 »
On pourrait avoir l'impression que la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales (Convention européenne des droits de l'Homme ou CEDH) nous
berce d'illusions, en ce sens qu'elle prétend défendre les droits
de l'Homme et les libertés fondamentales, alors même que tous n'y
sont pas inscrits. Ainsi le droit d'asile est absent d'un texte international
aussi important que la CEDH.
Les difficultés de la reconnaissance de ce droit
persistent bien que l'Histoire des migrations et du droit d'asile soit
très ancienne. Au moyen âge, l'asile était conçu
comme la possibilité d'être accueilli sur un territoire, par une
autorité ou un établissement, afin de trouver refuge. L'asile
apparaissait alors comme une action altruiste de la part de celui qui
l'octroyait. L'asile donne à un territoire une dimension
particulière, protectrice. C'est ce qui ressort de l'alliance des
étymologies grecque et latine du mot asile2. L'asile
<< moderne » a émergé lentement aux XVIIIe, XIXe et
surtout XXe siècles, comme une institution, tendant à accorder
aux personnes injustement menacées le bénéfice d'un refuge
pour se protéger contre les menaces qui pèsent sur elles dans
leur pays d'origine. L'institutionnalisation du droit d'asile a
véritablement débuté dès les premiers conflits
mondiaux. Le XXème siècle, marqué par des conflits
religieux et politiques atroces et par le creusement du fossé entre pays
développés et pays en développement, a dû faire face
à des mouvements importants d'individus fuyant leurs pays d'origine.
La Première Guerre Mondiale de 1914 à 1918 a
été un prélude aux désastres subis par les
populations déplacées pour cause de guerre. A partir de là
émergea l'idée qu'il était nécessaire de
créer des normes pour protéger ces populations. La
Société des Nations (SDN), fondée afin de trouver des
solutions pacifiques aux conflits entre États, s'est alors
penchée sur la question et a créé le Haut Commissariat des
Réfugiés (H.C.R.). Si cette première tentative s'est
soldée par un échec, la SDN a néanmoins donné
quelques pistes de réflexion à l'Organisation des Nations Unies
(O.N.U.) fondée en 1945 à la suite de la Seconde Guerre
1Jacques Audiberti, L'Effet Glapion, Paris,
Gallimard, coll. Le manteau d'Arlequin, 1959.
2 Le mot asile provient du grec ancien
áóõëïí (asylon) << que
l'on ne peut piller » et du latin asylum << lieu
inviolable, refuge ».
Mondiale. Celle-ci ayant provoqué le déplacement
de 40 millions de personnes, de vives réactions permirent enfin de poser
les bases d'une protection renforcée des réfugiés.
L'O.N.U. s'est en effet emparée du sujet en
édictant la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948
dont l'article 14 énonce : << Devant la persécution, toute
personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile
en d'autres pays >>. Cette Déclaration adoptée au lendemain
de la Seconde Guerre Mondiale a influencé nombre de règles
juridiques internationales et nationales. Pour autant, elle n'a aucun effet
juridique contraignant. C'est surtout en entérinant la création
de l'Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés (H.C.R.) le 14 décembre 1950 que les Nations
Unies ont montré leur volonté de protéger les
réfugiés. Disposant d'un mandat limité à trois ans,
le H.C.R. s'est vu chargé de l'élaboration d'un texte.
Intitulé la Convention des Nations Unies relative au statut des
réfugiés ou << Convention de Genève >>, ce
fondement juridique de l'aide aux réfugiés a été
adopté le 28 juillet 1951. Elle crée une obligation pour les
Etats signataires de protéger toute personne qui correspond à la
définition donnée d'un << réfugié
>>3. Elle avait d'abord un champ d'application restreint
puisqu'elle concernait uniquement les personnes menacées << par
suite d'événements survenus avant le 1er janvier 19514
>> et l'Etat était tenu de préciser s'il s'agissait
d'évènements survenus en Europe ou en Europe et
ailleurs5. Il y avait donc une limitation du champ temporel, et un
libre choix des Etats dans l'application spatiale de la Convention. Le
Protocole de New York a mis fin à cette situation en 1967 en supprimant
la restriction temporelle et en interdisant la limitation
géographique6. La Convention de Genève devenait ainsi
universelle et intemporelle.
Même si ces instruments juridiques tiraient leur source
de la guerre mondiale qui les précédait, l'Histoire a
montré la nécessité de l'expansion de ceux-ci, car
l'O.N.U. a düintervenir par la suite dans des situations de
déplacement de personnes aux quatre coins du monde (déplacement
en Asie et en Amérique latine dans les années 70 et 80 par
exemple, puis
3 Convention de Genève, 1951, Article 1-A-2
: toute personne << qui, par suite d'événements survenus
avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d'être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays... >>.
4 Ibid.
5 Convention de Genève, 1951, Article 1-B-1 :
<< Aux fins de la présente convention, les mots <<
événements survenus avant le 1er janvier 1951 >> figurant
à l'article 1, section A, pourront être compris dans le sens de,
soit : a) << événements survenus avant le 1er janvier 1951
en Europe >> ; soit b) << événements survenus avant
le 1er janvier 1951 en Europe ou ailleurs >> ; et chaque Etat contractant
fera, au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion,
une déclaration précisant la portée qu'il entend donner
à cette expression au point de vue des obligations assumées par
lui en vertu de la présente convention. >>
6 Protocole de New York, 1967, Article
1er.
en Afrique). Ces déplacements n'ont pas diminué
au XXI° siècle, et le H.C.R. a été extrêmement
sollicité, qu'il s'agisse des crises majeures de la République
démocratique du Congo, de la Somalie ou de l'Asie. Une preuve de son
utilité est l'augmentation du budget de l'organisation : de 300 000
dollars la première année, il est passé à plus de
3,59 milliards de dollars en 2012.
Parallèlement aux avancées juridiques et
à la multiplication du nombre de situations de déplacement des
populations, les Etats européens se sont crispés et ont
radicalisé leurs politiques publiques anti-migratoires. Pour certains
auteurs il y aurait eu un « retournement » de situation en ce sens
que le droit d'asile s'est retourné contre les exilés
eux-mêmes7. La crainte des Etats européens face aux
flux migratoires est née. La protection du droit d'asile a alors fait
l'objet de conditions de plus en plus importantes car la peur de la «
pression migratoire » a amené nombre d'Etats à se
prémunir contre elle.
Cette crispation emblématique des Etats
européens a amené l'Union européenne à
réagir. Cette organisation internationale créée en
réaction à la Seconde guerre mondiale et comprenant 27 Etats
membres s'est effectivement chargée du droit d'asile alors que ses
compétences étaient au départ purement économiques.
Face à l'augmentation du nombre de personnes qui tentaient d'entrer dans
l'Union pour fuir les guerres, les persécutions, les catastrophes
naturelles, ou simplement dans l'espoir d'un avenir meilleur, l'Union
européenne a voulu créer des normes pour encadrer leur
circulation. Cela s'est traduit notamment par la création de normes
minimales concernant les demandeurs d'asile. Elle a par exemple établi
les règles concernant les modalités et le lieu du traitement des
demandes, l'accueil des demandeurs d'asile, le statut des personnes qui se
voient accorder l'asile et le rôle des autorités nationales dans
l'accomplissement de cette tâche.
Aujourd'hui, le droit d'asile existe donc à la fois au
sein du droit national, du droit international classique, et du droit de
l'Union européenne. La formalisation du droit d'asile au travers de ces
trois ordres juridictionnels a permis sa juridicisation mais il est
nécessaire de savoir quel est le sujet de ce droit? Qui peut s'en
prévaloir?
De prime abord, le « réfugié »
apparait comme le bénéficiaire historique du droit d'asile. Ce
terme retenu par les Nations Unies reste une référence. Pourtant
une autre catégorie de personnes doit être retenue : les
demandeurs d'asile.
7 Jérôme Valluy, Rejet des
exilés - Le grand retournement du droit de l'asile. Editions Du
Croquant, 2009.
La distinction entre réfugié et demandeur
d'asile tient au fait que le demandeur d'asile est un «
réfugié potentiel », ou encore un « candidat
réfugié8 ». C'est-à-dire qu'une fois que
l'on se voit accorder l'asile, on devient réfugié. Le
réfugié a donc forcément été demandeur
d'asile auparavant. La définition retenue du «
réfugié » est celle de la Convention de Genève
énoncée plus haut, mais elle ne mentionne pas le demandeur
d'asile. Elle opère une classification de droits auxquels il est
possible de prétendre en fonction de sa situation juridique. Or, le
demandeur d'asile est absent de l'énumération de ces situations.
On est alors en droit de se demander si le statut de demandeur d'asile n'est
pas une fiction permettant aux Etats de s'extraire des obligations que la
Convention fait peser sur eux. La demande d'asile serait une situation
juridique créée « clandestinement », de manière
dissimulée, révélant ainsi le libre arbitre dans l'octroi
des droits.
En effet, le demandeur d'asile ne relève d'aucun statut
établi par le droit international classique. Sa protection peut ainsi
faire l'objet du régime juridique choisi discrétionnairement par
chaque Etat. Il y a donc une véritable différence avec le
réfugié en termes de statut, car si l'un se trouve effectivement
sur le territoire d'un Etat auquel il souhaite demander protection, l'autre a
déjà obtenu l'autorisation d'y résider et d'y être
protégé. Les garanties réelles n'apparaissent donc que
lorsqu'un demandeur obtient le statut de réfugié. Les
problèmes se posent surtout avant cette fin heureuse, lorsque
l'étranger arrive dans un pays où il souhaite trouver refuge. Le
droit de l'Union européenne prévoit un régime
spécifique pour le demandeur d'asile qui est ainsi défini comme
« un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride ayant
présenté une demande d'asile sur laquelle il n'a pas encore
été statué définitivement9 ». Or
nous avons relevé précédemment le contexte de cette
législation européenne qui s'est construite d'abord pour
arrêter les flots de migrants aux portes de l'Europe dont les
frontières intérieures avaient été abolies.
Les demandeurs d'asile font ainsi face à une situation
particulièrement pénible tant ils sont soumis au risque des
régimes dérogatoires, dérogatoire au droit des
réfugiés et dérogatoire au droit des nationaux ou
ressortissants des Etats membres de l'Union européenne. Cette protection
nuancée n'a pas été démentie par la Cour
européenne des droits de l'Homme (Cour EDH). En effet, bien que
chargée de faire respecter la CEDH dans laquelle il n'est pas fait
mention du droit d'asile, la Cour européenne a montré un certain
intérêt à s'occuper de la protection de celui-ci.
8 Jean-Yves Carlier, Droit des
réfugiés, E. Story-Sientia, Bruxelles, 1989, p.409.
9 Directive 2003/9/CE dite directive « Accueil
», Article 2 (c.
Cette Cour est une juridiction internationale siégeant
à Strasbourg. Elle est composée d'un nombre égal de juges
à celui des Etats membres du Conseil de l'Europe ayant ratifié la
CEDH. Présenté dès sa création en 1949 comme le
précurseur d'une Europe en paix, le Conseil de l'Europe est
chargé d'une large mission sur un grand territoire qui comprend 47
Etats. Il a pour but de créer sur tout le continent européen un
espace démocratique et juridique commun, en veillant au respect de
valeurs fondamentales: les droits de l'homme, la démocratie et la
prééminence du droit. La défense des droits de l'Homme est
donc un des objectifs essentiels du Conseil de l'Europe depuis l'origine, et
son importance a été démontrée avec
l'élaboration de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée à
Rome le 4 novembre 1950.
Plus encore, l'effectivité de cette Convention s'est
confirmée en 1959 par la création de la Cour européenne
des droits de l'Homme qui se charge d'en contrôler le respect par les
Etats signataires. Elle développe une jurisprudence autonome et
dynamique. Son originalité est d'assurer une garantie juridictionnelle
grâce à un recours que les particuliers peuvent directement former
devant elle en cas de violation d'un des droits consacrés par la
Convention10.
De plus, l'article 1er de la Convention
prévoit que tous les individus, indépendamment de leur
nationalité, peuvent faire valoir leurs droits devant la Cour et faire
sanctionner l'insuffisance des Etats. Cet article énonce la règle
selon laquelle << Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à
toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés
définis au titre I de la présente Convention. ». C'est ainsi
qu'en dehors de toute considération de nationalité, un
étranger, même originaire d'un Etat non signataire de la
Convention, peut réclamer l'effectivité des droits contenus dans
le texte européen. C'est donc le cas des demandeurs d'asile. Mais,
paradoxalement, si ces derniers peuvent saisir la Cour européenne pour
faire valoir la violation d'un des droits que la Convention EDH, ils ne peuvent
pas invoquer le droit d'asile. Cette impossibilité tient à
l'absence de ce droit dans le texte car, s'attachant plutôt à
protéger les droits fondamentaux << classiques », les
rédacteurs de la CEDH n'ont pas prévu le droit d'asile. Il est
certain qu'il s'agit d'une lacune consciente, laissant aux Nations Unies le
monopole de la protection du droit d'asile. La protection qui a
été mise en oeuvre par le H.C.R. au moyen de la Convention de
1951 apparaissait comme autosuffisante aux yeux des rédacteurs de la
CEDH qui n'ont pas estimé nécessaire d'inscrire
10 Article 34 de la CEDH selon lequel : << La
Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique,
toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se
prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties
contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les
Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure
l'exercice efficace de ce droit. »
ce droit. Mais cela s'est avéré archaïque
de sorte que la Cour EDH a dépassé la carence textuelle en
puisant dans la Convention pour dégager un droit d'asile.
Celle-ci est devenue un instrument juridique indispensable
pour la défense des droits des individus. De 1959 à 2011, la Cour
EDH a rendu 12 425 arrêts constatant au moins une violation de droits
protégés par la CEDH. Et ceci ne rend pas compte de la
totalité des demandes adressées à la Cour puisque toutes
les requêtes n'aboutissent pas à un arrêt. Or, en 2011, 64
500 requêtes ont été attribuées à une
formation judiciaire de la Cour européenne, et ce chiffre augmente
d'année en année11. On voit ainsi que la charge de
travail qui est supportée par la Cour ne diminue pas, bien au contraire.
Cela a suscité des inquiétudes au point que l'on organise de
grandes conférences comme celle de Brighton en avril 2012. Le
thème de celle-ci souligne l'importance des problèmes puisqu'il
s'agissait de parler de << l'avenir de la Cour européenne
>>. Sans remettre en cause les dires de Winston Churchill, l'un des
pères fondateurs du Conseil de l'Europe selon lequel << il n'y
[avait] aucune raison de ne pas réussir à réaliser le but
et à établir la structure de cette Europe unie dont les
conceptions morales pourront recueillir le respect et la reconnaissance de
l'humanité, et dont la force physique sera telle que personne n'osera la
molester dans sa tranquille marche vers l'avenir >>12, les
Etats membres du Conseil de l'Europe ayant ratifié la Convention ont
dressé le constat d'une réforme nécessaire pour que la
Cour européenne soit en mesure d'exercer sa mission. La Convention
européenne est victime de son succès, mais il faut
également souligner que la Cour a gagné en
crédibilité grâce à une jurisprudence dynamique. En
effet, puisque le texte ne dit pas tout, la Cour EDH a souvent prouvé
qu'elle souhaitait étendre le champ d'application de la Convention. Elle
a ainsi développé une jurisprudence particulière afin de
garantir la protection d'un des droits inexistants dans le texte de la
Convention13 : le droit d'asile. C'est la technique de la protection
<< par ricochet >> qu'elle a adopté pour parer à
cette lacune. Cela signifie qu'elle protège le droit d'asile par le
biais d'autres articles de la Convention. En premier lieu, l'article 3 de la
CEDH qui interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants
est un des articles les plus utilisés dans la défense du droit
d'asile. Ensuite, l'article 5 qui consacre le droit à la liberté
et la sûreté ainsi que l'article 13 qui prévoit le droit au
recours, permettent à la Cour de créer des garanties
procédurales du droit
11 En 2011, le nombre de requêtes
attribuées à une formation judiciaire a augmenté de 10%
par rapport à 2010.
12 Discours de Winston Churchill, alors Premier
ministre du Royaume-Uni, le 12 aout 1949.
13Cour EDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres
c. Royaume-Uni, série A n° 215, p. 34, par. 102 ; Cour EDH, 15
novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, Req. n° 22 414/93, §73
: << les Etats contractants ont, en vertu d'un principe de droit
international bien établi et sans préjudice des engagements
découlant pour eux de traités internationaux y compris la
convention, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et
l'éloignement des non nationaux. Elle note aussi que ni la convention ni
ses protocoles ne consacrent le droit à l'asile politique. >>.
Voir aussi, Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Req. n°
30240/96, §46.
d'asile. Enfin la Cour se sert de l'article 8 afin de
protéger le droit à une vie privée et une vie familiale
des demandeurs d'asile.
Des textes ont bien été spécifiquement
prévus pour les étrangers, mais la Cour n'a pas eu souvent
recours à ceux-ci pour défendre les droits des demandeurs
d'asile. Les textes en question sont deux protocoles annexés à la
CEDH et un article de celle-ci : le Protocole n° 4 concernant
l'interdiction des expulsions collectives et le Protocole n° 7 dont
l'article 1er prévoit des garanties procédurales pour les
étrangers ainsi que l'article 14 de la CEDH interdisant les
discriminations. Le champ d'application limité des deux protocoles ne
permet pas de développer une protection complète, et ne laisse
aucune marge de manoeuvre aux juges européens. Il n'est donc pas
surprenant que la jurisprudence touchant à ces textes soit quasiment
inexistante. C'est un constat plus inattendu concernant l'interdiction des
discriminations car il paraitrait naturel qu'il s'applique dès lors
qu'un étranger fait l'objet d'une affaire devant la Cour
européenne. Pourtant là aussi l'article 14 est absent de la
jurisprudence relatif aux demandeurs d'asile. En conséquence, nous ne
nous intéresserons ni aux Protocoles additionnels ni à l'article
14 de la CEDH.
La technique de protection par ricochet qui permet
l'élargissement de la protection de certains droits de la CEDH à
des droits non expressément protégés par elle, n'est pas
sans soulever des interrogations quant à l'office du juge. La Cour
n'excède t-elle pas la compétence qui lui est attribuée ?
En 1978 ce questionnement existait déjà car le juge Matscher,
dans son opinion séparée jointe à l'arrêt
König contre Allemagne14 dénonçait alors
l'arbitraire d'un juge qui déborderait sa fonction
d'interprétation de la Convention pour « s'aventurer sur le terrain
de la politique législative ». C'est finalement une technique qui
permet de renforcer l'effectivité des droits garantis en
réduisant les zones d'inapplicabilité de la Convention. Or, pour
le droit d'asile on est en droit de se poser la question de la
légitimité des juges à protéger un droit qui n'est
pas directement visé dans le texte qu'ils doivent faire respecter. Cette
« proactivité » de la Cour européenne qui laisse
percevoir la reconnaissance implicite du droit d'asile, peut alors gêner
ou encourager. Il est certain qu'elle a des impacts multiples. La CEDH est un
outil de défense des droits de l'Homme reconnu à la fois par la
société internationale et notamment l'Union européenne qui
projette même d'y adhérer15, par les 47 Etats qui l'ont
signée individuellement mais également par les Etats tiers
à ces deux organisations qui y voient un modèle de défense
des droits de l'Homme. L'influence de la Convention et de la jurisprudence qui
en découle est importante, à la fois pour ceux qui en
14 Cour EDH, 28 juin 1978, König c.
Allemagne, Req. n° 6232/73.
15 Voir Article 6.2 Traité de l'Union
européenne.
sont bénéficiaires, et pour ceux qui sont sous
son influence. Les juges européens ont ainsi une lourde
responsabilité à supporter.
Il ne faut effectivement pas sous estimer les
difficultés que la Cour EDH peut rencontrer lorsqu'elle rend un
jugement, puisqu'elle doit toujours trouver un équilibre entre le droit
des Etats signataires qui ont leur propre politique, et le droit issu de la
Convention qu'elle entend faire respecter. De plus, certains Etats
appartiennent aussi à l'Union européenne qui s'attache fortement
à réglementer la situation des demandeurs d'asile. En 2011, 237
400 décisions de première instance ont été prises
dans l'Union européenne à l'égard des demandeurs d'asile
et le nombre enregistré de ceux-ci dans l'Union s'élevait
à 301 000 16 . Par ailleurs, les liens entre la Cour EDH et
la juridiction suprême de l'Union européenne, à savoir la
Cour de justice de l'Union européenne, sont assez étroits. En
effet, cette dernière respecte les droits fondamentaux notamment tels
qu'ils sont issus de la Convention EDH en vertu de l'article 6.3 du
Traité sur l'Union européenne17. Il y a donc une
imbrication complexe des instruments et instances de protection du droit
d'asile qu'il ne faut pas négliger, comme le prouve la jurisprudence
européenne récente18.
Dans cette relation à trois (Etats, Union
européenne et Conseil de l'Europe), l'imbroglio juridique voire
politique est un risque. La Cour de Strasbourg doit alors agir en
médiateur tout en jouant son rôle de gardienne des droits
fondamentaux. On pourrait presque y voir la réalisation de la
prédiction d'un autre père fondateur, Robert Schuman, qui
affirmait que le Conseil de l'Europe était << le laboratoire
où se préparait et s'expérimentait la coopération
européenne. 19>>. Pour le droit d'asile qui divise et
préoccupe, l'entreprise s'avère encore plus difficile.
16 Chiffres Eurostat, STAT/12/46.
17 << Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis
par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions
constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de
l'Union en tant que principes généraux. >>
18 Cour EDH, 21 janvier 2011, G.C. M.S.S. c.
Belgique et Grèce, Req. no 30696/09 ; puis, CJUE, Gr.
Ch., 21 décembre 2011, N.S. contre Secretary of State for the Home
Department & M.E. et alii contre Refugee Applications Commissioner,
Minister for Justice, Euquality and Law Reform, affaires jointes, C-411/10
& C493/10. Voir à ce sujet, Marie-Laure Basilien-Gainche, <<
Les gens de Dublin ont des droits : la qualification de pays d'origine
sûr appliquée aux Etats membres de l'Union est une
présomption réfragable >>, in Lettre «
Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 29
décembre 2011.
19 Discours de Robert Schuman, alors Ministre des
Affaires étrangères française, le 10 décembre
1951.
Il y a un dynamisme certain dans le travail de la Cour
strasbourgeoise qui découvre la protection de droits occultés par
la CEDH. Il en est ainsi pour le droit d'asile.
Pour autant, est-ce que la Cour EDH est véritablement
parvenue, en partant de rien, à découvrir une protection
complète de ce droit fondamental ?
Les juges européens ont réussi à faire de
la Convention une boite de pandore pour défendre le droit d'asile.
Aujourd'hui on ne peut même plus parler de droit d'asile sans parler de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales. Le droit d'asile est ainsi une illusion «
qui a réussi » puisqu'il constitue aujourd'hui une
réalité.
Néanmoins, si les avancées en ce domaine ne sont
pas négligeables, la protection offerte par la Cour EDH aux demandeurs
d'asile est à parfaire car des zones d'ombres subsistent. Un vecteur
principal existe pour protéger efficacement le droit d'asile par la
Convention EDH (Chapitre 1), mais la protection offerte ainsi est loin
d'être achevée. En effet, la protection assurée sur
d'autres fondements laisse à désirer (Chapitre 2).
CHAPITRE 1. Le vecteur principal de la protection du
droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales
L'émergence de la protection du droit d'asile s'est
faite au travers de l'article 3 de la CEDH qui garantit un droit intangible. La
Cour a fait une utilisation originale de cet article essentiel de la Convention
pour garantir la protection du droit d'asile. Puis, cette construction
classique fondée sur l'article 3 (Section 1) s'est fortifiée par
une jurisprudence circonstanciée et des outils efficaces (Section 2).
SECTION 1. La protection du droit d'asile établie
sur un fondement classique de la Convention européenne des droits de
l'Homme
La Convention EDH comporte divers articles mais tous n'ont pas
la même valeur. L'article 3 de la CEDH selon lequel << Nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitement
inhumains ou dégradants » est primordial, dans la mesure où
il défend un droit intangible, à propos duquel la Cour a
parlé de << l'une des valeurs fondamentales des
sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe
20 ». En 2002, la Cour a rappelé que, <<
contrastant avec les autres dispositions de la Convention, [l'article 3] est
libellé en termes absolus, ne prévoyant ni exceptions ni
conditions, et d'après l'article 15 de la Convention il ne souffre nulle
dérogation.21». C'est donc naturellement, lorsqu'elle se
réfère à cet article, que la Cour opère une
protection majeure des demandeurs d'asile.
En outre cet article a fait l'objet d'une technique habituelle
de la part de la Cour EDH qui consiste à donner des définitions
autonomes à certaines notions. Ainsi elle se délie de conceptions
trop restrictives, souvent conformes au droit national, pour en faire des
conceptions européennes. Ce mode de formation bien connu du droit de la
Convention européenne a été appliqué par la Cour
européenne à la notion de << violation » au regard de
l'article 3 CEDH (Paragraphe 1), aboutissant par là même à
remettre en cause non pas le droit d'un Etat partie à la Convention mais
celui d'une autre organisation internationale, bientôt partie à la
Convention, l'Union européenne (Paragraphe 2).
20 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c.
Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88, §88.
21 Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c.
Royaume-Uni, Req. n° 2346/02, §49.
Paragraphe 1. L'extension des cas de violations par une
interprétation originale de l'article 3 de la CEDH
Deux formes originales de violation de l'article 3 de la CEDH
ont été dégagées par les juges de Strasbourg
concernant les demandeurs d'asile : la violation << virtuelle >>
(A), et par là même, la violation << indirecte >> (B),
découlant toutes deux du prononcé d'une expulsion ou d'une
extradition vers un autre Etat.
A/ La notion de violation « virtuelle22 » de
l'article 3 de la CEDH
Une violation de l'article 3 de la CEDH devrait, a priori,
être constatée lorsqu'il est admis qu'un individu a subi des
traitements inhumains ou dégradants. On pense par exemple, à des
violences physiques infligées pendant une garde à
vue23, ou encore à la durée excessive d'une
détention24. Cependant, la Cour EDH a admis des cas de
violations de l'article 3 de la Convention en se fondant sur autre chose qu'un
simple constat de souffrance éprouvée par une personne du fait
d'un traitement contraire à l'article 3. En effet, la Cour a
dégagé une notion de violation englobant de nouvelles situations,
et permettant ainsi d'autres cas de condamnation. Il s'agit
précisément de la notion de violation << virtuelle
>>.
Depuis l'arrêt Soering25 de 1989, la
Cour sanctionne le << risque réel >> que l'article 3 soit
violé. En d'autres termes, il n'y a pas encore eu de torture ou de
traitements inhumains ou dégradants mais la Cour condamne tout de
même le défendeur. C'est en ce sens que la violation est
potentielle, ou virtuelle. Condamner le risque ou la potentialité d'une
atteinte pour caractériser une violation étend largement le champ
d'application de l'article 3. La question que se pose la Cour dans ces cas
là est de savoir dans quelles circonstances une personne éprouve
un risque de subir un traitement inhumain ou dégradant de telle sorte
qu'il serait contraire à l'article 3 de la CEDH. Il n'est pas surprenant
que les juges européens appliquent ce type de raisonnement à
l'article 3 et non pas à un autre, car l'interdiction de la torture et
des traitements inhumains ou dégradants doit recevoir une protection
absolue en raison de sa nature même. La Cour a alors souhaité
étendre les cas de violations virtuelles.
22 Marc Bossuyt, Strasbourg et les demandeurs
d'asile : des juges sur un terrain glissant, Bruylant, 2010.
23 Cour EDH, 1er avril 2004, Rivas c.
France, Req. n°59584/00
24 Cour EDH, 27 août 1992, Tomasi c.
France, Req. n°12850/87
25 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c.
Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88
Dans un premier temps, la Cour admettait l'existence d'un
traitement dégradant uniquement lorsqu'il était infligé
par l'autorité publique.26 Désormais elle l'admet
également lorsqu'il est infligé par d'autres personnes
27 , en l'occurrence des personnes privées. Récemment,
ce fut le cas d'une famille dont le renvoi devait s'effectuer au Belarus, alors
que le père et l'un des fils faisaient partie du mouvement d'opposition
de ce pays28.
Elle pose cependant deux conditions à cette violation
potentielle par des personnes privées. Il faut démontrer un
risque réel comme pour toute violation virtuelle, mais encore
l'incapacité de l'Etat d'y obvier par une protection adéquate.
Par là même, elle fait peser sur les Etats la
responsabilité de contrôler l'état des garanties de la
protection des droits de l'Homme chez leurs voisins. En effet, un Etat auquel
on reproche une violation virtuelle de l'article 3 de la CEDH en raison du
risque réel que l'individu subisse un traitement inhumain ou
dégradant par des personnes privées dans un autre Etat, sera
condamné s'il a prévu d'envoyer l'individu dans ce pays alors
même que le risque de violation ne pouvait être
empêché par cet Etat.
Ainsi, le renvoi dans un autre Etat ne peut avoir lieu sans un
examen assez approfondi des risques que la personne pourrait courir de ce
fait.
La Cour européenne n'en est pas restée là
puisqu'elle a également permis que la responsabilité d'un Etat
soit engagée alors même qu'il n'aurait pas directement
violé l'article 3 de la Convention européenne.
B/ La notion de violation « indirecte » de
l'article 3 de la CEDH
La violation directe est celle qui se produit dans l'Etat partie
à la Convention, Etat qui viole directement l'interdiction contenue dans
l'article 3 de celle-ci.
La violation indirecte apparait quant à elle lorsque le
traitement prohibé est infligé par un autre Etat, vers lequel
l'étranger devrait être expulsé. C'est encore l'arrêt
Soering29 de 1989 qui a découvert, avec la violation
virtuelle, le cas de violation indirecte.
Ces deux violations vont généralement de pair. En
effet, l'Etat défendeur est tenu pour responsable de la torture ou
des traitements inhumains ou dégradants qui n'ont pas été
infligés au requérant par lui-même mais par un autre
Etat vers lequel le requérant serait expulsé ou
26 Cour EDH, 25 avril 1978, Tyrer c. Turquie,
Req. n° 5856/72
27 Cour EDH, 29 avril 1997, H.L.R. c. France,
Req. n° 24 573/94, à propos de l'expulsion en Colombie d'une
personne ayant dénoncé des trafiquants de drogue.
28 Cour EDH, 1er septembre 2010, Y.P.
et L.P. c. France, Req. n° 32476/06
29 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c.
Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88
extradé, on parle alors de violation indirecte ou de
responsabilité indirecte. Mais, puisque la procédure se
déroule contre l'Etat en question, l'éloignement n'a en
général pas encore eu lieu, le requérant ayant eu le temps
de saisir la Cour. Ainsi la violation est virtuelle car c'est au regard du
risque que pourrait courir le requérant après cet
éloignement que la violation est admise et la responsabilité
indirecte de l'Etat défendeur engagée.
Toutefois, violation virtuelle et violation indirecte peuvent
être reconnues indépendamment. En effet, lorsque l'Etat
défendeur a déjà procédé à
l'éloignement, la violation n'est plus virtuelle, dans la mesure
où le requérant aurait déjà subi des traitements
contraire à l'article 3 de la CEDH. Il n'en demeure pas moins que l'Etat
qui a directement violé cet article, n'est pas seul responsable.
Pour mieux cerner la distinction entre violation directe et
indirecte, un exemple récent est probant : c'est l'arrêt du 21
Janvier 2011, M.S.S. contre Belgique et Grèce30.
L'intitulé même de l'arrêt suppose que deux
responsabilités distinctes seront reconnues, pour des motifs
différents mais liés.
Dans cet arrêt, la formation solennelle strasbourgeoise
devait examiner les griefs d'un ressortissant afghan entré sur le
territoire de l'Union européenne via la Grèce. Cependant ce n'est
qu'après être passé par la France, et arrivé en
Belgique qu'il a enfin introduit sa demande d'asile. Les autorités de ce
dernier État, en application de la procédure de
réadmission dite << Dublin II >> établie par
un règlement de l'Union européenne31,
estimèrent que seule la Grèce était compétente pour
examiner cette demande. En conséquence, la Belgique transféra
l'intéressé en Grèce où il a du faire face à
des conditions de vie inacceptables. Effectivement, il fut d'abord placé
en détention dans un local attenant à l'aéroport
d'Athènes puis fut relâché sans moyen de subsistance et
sans que sa demande d'asile ne soit pleinement examinée. De plus,
postérieurement à l'introduction de sa requête à
Strasbourg, l'intéressé chercha par deux fois à quitter la
Grèce mais fut arrêté. La première fois, il fut de
nouveau placé en détention - où il affirme avoir encore
subi des mauvais traitements - puis fut libéré au terme de sa
peine. La seconde fois, les forces de police grecques essayèrent, avant
de renoncer au dernier moment, de l'expulser à la frontière
grécoturque.
30 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique
et Grèce, Req. no 30696/09
31 Règlement (CE) n° 343/2003 du
Conseil de l'Union européenne du 18 février 2003 <<
établissant les critères et mécanismes de
détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une
demande d'asile présentée dans l'un des États membres par
un ressortissant d'un pays tiers >>
La Cour a d'abord observé une violation directe par la
Grèce : qui est condamnée du fait de la manière dont fut
traité le requérant demandeur d'asile32 laquelle
constitue selon les juges un traitement inhumain et dégradant contraire
à l'article 3. La Grèce faisait aussi l'objet d'une condamnation
pour violation virtuelle car elle a failli renvoyer le requérant afghan
vers son pays, l'exposant ainsi à une violation potentielle de l'article
3 de la CEDH.
Mais l'affaire M.S.S. présentait un autre
enjeu sur le terrain des griefs formulés contre la Belgique. En effet,
en application de la technique classique de « violation par ricochet
»33, il était reproché à cet Etat d'avoir
exposé le requérant à des traitements contraires à
l'article 3 du fait de son renvoi en Grèce. Ainsi il s'agit d'une
violation indirecte en ce sens que l'Etat partie à la Convention est
condamné du fait du renvoi vers un pays qui a violé les droits
fondamentaux, en l'occurrence l'interdiction de la torture et des traitements
inhumains ou dégradants, de l'individu en question. La Cour condamne ici
le manquement, également reproché sous le couvert de la violation
virtuelle, dès lors que la Belgique n'a pas porté d'examen assez
attentif à la situation dans l'Etat de renvoi.
Sans doute l'arrêt est plus marquant et la faute plus
lourde lorsque la violation est indirecte mais non virtuelle, car il s'ensuit
que le requérant n'a pas échappé aux traitements
défendus par la Convention, le renvoi ayant eu lieu avant que la Cour
européenne n'ai pu l'empêcher par exemple au moyen d'une mesure
provisoire. Ce n'était pas le cas pour la Belgique qui avait
effectivement renvoyé le requérant vers la Grèce où
il a subi les pires atrocités.
Par ces condamnations pour violation indirecte, et pour
violation virtuelle, la Cour appelle les Etats à porter une plus grande
attention aux risques qu'encourent les demandeurs d'asile lorsqu'ils
décident selon leur droit interne de les renvoyer. Cependant, la
particularité de cet arrêt MSS tient au fait que la
condamnation est celle d'un renvoi effectué selon le droit interne d'un
Etat membre de l'Union européenne, lequel a dû appliquer une
législation issue du droit de cette organisation.
32 v. § 159-193 de multiples rapports
éloquents en ce sens ; pour de récentes condamnations similaires,
v. Cour EDH, 1e Sect., 22 juillet 2010, A.A. c.
Grèce, Req. n° 12186/08; Cour EDH, 1e Sect. 26 novembre 2009,
Tabesh c. Grèce, Req. n° 8256/07 ; Cour EDH, 1e
Sect. 11 juin 2009, S.D. c. Grèce, Req. n° 53541/07
33 v. par exemple et récemment, Cour EDH, 5e
Sect. 2 décembre 2010, B. A. c. France, Req. n° 14951/09 ;
Cour EDH, 3e Sect. 20 juillet 2010, N. c. Suède, Req. n°
23505/09 ; Cour EDH, 4e Sect. Dec. 6 juillet 2010, Babar Ahmad et autres c.
Royaume-Uni, Req. n° 24027/07, 11949/08 et 36742/08
Paragraphe 2. La conventionalité du droit de l'Union
européenne, un nouveau terrain de condamnations
En janvier 2011, le service presse de la Cour
européenne indiquait qu'environ 960 affaires pendantes concernaient la
question de la conventionalité du règlement << Dublin II
>>. Ceci en fait objectivement un motif de condamnation important des
ordres juridiques des Etats membres du Conseil de l'Europe, également
membres de l'Union européenne (A), mais encore de l'ordre juridique de
l'Union elle-même (B).
A/ La condamnation d'un ordre juridique interne
A l'origine, une violation indirecte était uniquement
reconnue lorsque l'Etat infligeant le traitement prohibé était un
Etat tiers à la Convention34. Aujourd'hui ce n'est plus le
cas. Dans l'affaire M.S.S., le renvoi litigieux était
effectué vers un État parti à la Convention EDH et membre
de l'Union européenne, au surplus en application du droit de cette
dernière. Les juges strasbourgeois touchaient alors à une
problématique récurrente, celle de la conventionalité du
règlement << Dublin II >>.
Cet examen de la conventionalité du règlement de
2003 engage les juges strasbourgeois à regarder de plus près la
présomption sur lequel il est fondé qui est double. D'une part,
la présomption s'appuie sur l'idée que << les États
membres [...] respectent tous le principe de non-refoulement >> des
demandeurs d'asile vers un pays où ils risquent à nouveau
d'être persécutés. D'autre part, le règlement
présume que tous les États membres de l'Union << sont
considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de
pays tiers >>35. Le problème qui surgit de ces
présomptions c'est l'automaticité c'est-à-dire qu'elles
conduisent le premier État à procéder à une
réadmission quasi-automatique du demandeur d'asile vers l'État
compétent selon le règlement et au nom de la confiance
mutuelle36, et ce, indépendamment de savoir si ce dernier
respecte ou non les exigences de la Convention.
34 L'arrêt Soering
précédemment cité concernait, par exemple, la violation
indirecte de l'article 3 de la CEDH par le Royaume Uni qui devait extrader le
requérant vers les Etats-Unis d'Amérique où celui-ci
aurait subi l'interminable attente dans les couloirs de la mort.
35 Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil
de l'Union européenne du 18 février 2003 <<
établissant les critères et mécanismes de
détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une
demande d'asile présentée dans l'un des États membres par
un ressortissant d'un pays tiers >>, repris dans l'arrêt
MSS c. Belgique et Grèce, Considérant (2) - §
69.
36 H. Labayle, << Le droit européen de
l'asile devant ses juges : précisions ou remise en question ? >>
(1), RFDA 2011, p. 273.
Finalement, il s'agissait plus globalement pour les juges de
statuer sur le constat d'une contradiction potentielle entre des obligations
issues de deux organisations au coude à coude, à savoir, le
Conseil de l'Europe et en particulier les obligations issues de la Convention,
et l'Union européenne37. L'équilibre était
difficile à faire.
La Cour a préféré se positionner quant
à la responsabilité de l'Etat partie à la Convention - et
en même temps soumis aux exigences du règlement <<
Dublin II >>, plutôt que de se faire directement l'avocat
du droit de l'Union européenne. Ainsi, les juges européens ne
remettent pas en cause la présomption favorable à l'Union
européenne selon laquelle << l'organisation en question accorde
aux droits fondamentaux une protection à tout le moins
équivalente à celle assurée par la Convention38
>>. Elle se concentre sur le cas d'espèce, en montrant que la
Belgique est sortie du champ d'application de cette
présomption.39 Et ce, pour la simple raison que l'Etat en
question avait en l'espèce un pouvoir
d'appréciation40.
En effet, la Cour rappelle qu'au sein du mécanisme
<< Dublin II >> existe une clause à l'article 3.2
du Règlement appelée << clause de souveraineté
>> en vertu de laquelle << par dérogation au paragraphe 1,
chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est
présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet
examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le
présent règlement >>.
Dès lors, la Cour en a déduit que << les
autorités belges auraient pu, en vertu du règlement, s'abstenir
de transférer le requérant si elles avaient
considéré que le pays de destination, en l'occurrence la
Grèce, ne remplissait pas ses obligations au regard de la
Convention41 >>. Elle signifie là que la
présomption n'est finalement pas irréfragable puisque une
dérogation existe en vertu de l'art 3.2 du Règlement.
Or, il n'était pas difficile en l'espèce de
savoir que l'accueil réservé aux demandeurs d'asile en
Grèce est scandaleux. L'Europe le sait, ne serait-ce qu'en jetant un
oeil sur les multiples condamnations de la Grèce par la Cour
EDH42. Le Comité européen pour la prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a
rendu dix visites en Grèce depuis 1993, et dès 1997 il faisait
part de ses préoccupations quant au traitement
37 . Cour EDH, G.C. 10 février 1999,
Matthews c. Royaume-Uni, Req. n° 24833/94 ; Cour EDH, G.C. 30
juin 2005, Bosphorus c. Irlande, Req. n° 45036/98
38 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique
et Grèce, Req. no 30696/09, § 338.
39 << présomption de protection équivalente
ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce >> (§ 340).
40 << un Etat demeure entièrement responsable au
regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses
obligations juridiques internationales, notamment lorsqu'il a exercé un
pouvoir d'appréciation >> (§ 338).
41 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique
et Grèce, Req. no 30696/09, § 340.
42 Cour EDH, 11 juin 2009, S. D. c.
Grèce, Req. n° 53541/07 ; Cour EDH, 26 nov. 2009, Tabesh
c. Grèce, Req. n° 8256/07 ; Cour EDH, 22 juillet 2010,
A.A. c. Grèce, Req. n° 12186/08
réservé aux étrangers en situation
irrégulière placés en centre de
rétention43. Ainsi, il y a peu de chances pour que la
Belgique n'ait pas eu connaissance du risque réel qui était
encouru par le requérant s'il était expulsé vers la
Grèce.
Cette jurisprudence est novatrice et dévastatrice. Si
la Cour rappelle qu'effectivement elle ne consacre pas le droit de
séjourner librement dans un Etat dont on n'est pas ressortissant, elle
censure cependant une pratique indécente à l'égard des
demandeurs d'asile, tant du point de vue de l'Etat qui viole directement
l'article 3 de la Convention du fait de la carence
généralisée de son système, que du point de vue de
l'Etat qui éloigne un demandeur d'asile vers ledit pays, connu pour ses
lacunes.
Cela a des effets sur un certain nombre d'Etats, notamment la
France dont le ministre de l'Intérieur et de l'Immigration d'alors,
Brice Hortefeux, a annoncé, dans des lettres du 28 février 2011,
avoir pris des instructions à destination des préfectures de ne
plus procéder à des transferts vers la Grèce «
jusqu'à nouvel ordre ».
La bataille n'est pas gagnée, mais des
fléchissements face à la jurisprudence de la Cour EDH fleurissent
ici et là.
Face à une organisation européenne avec laquelle
le Conseil de l'Europe est en pourparlers concernant son adhésion
à la Convention, la Grande Chambre semble avoir trouvé un
compromis satisfaisant : ne pas condamner frontalement le système des
réadmissions « Dublin II », mais dégager un
angle permettant de contraindre chaque Etat partie - également membres
de l'Union - au respect des exigences conventionnelles sans qu'il ne puisse se
cacher derrière d'autres obligations européennes. Il n'en demeure
pas moins que la répercussion de cette jurisprudence dans l'ordre
juridique de l'Union européenne s'est rapidement manifestée.
B/ La répercussion sur l'ordre juridique de
l'Union européenne
Ce choix de ne pas critiquer ouvertement le règlement
de l'Union européenne est sans doute stratégique, à
l'heure où se poursuivent les négociations relatives à
l'adhésion de l'Union européenne au système conventionnel.
En revanche, ça n'a pas empêché l'organe juridictionnel de
l'Union d'appliquer les leçons données par la Cour
européenne des droits de
43 Déclaration publique relative à la
Grèce, Strasbourg, 15 mars 2011, CPT/Inf (2011) 10.
l'Homme. La machine de la coopération européenne
est en marche, alimentée par le pouvoir juridictionnel.
En effet, la Cour de Justice de l'Union européenne
réunie en Grande Chambre, a rendu un arrêt le 21 décembre
2011, à l'occasion de l'affaire N.S contre Secretary of
State44. A l'origine, la Cour devait se prononcer sur le cas de
demandeurs d'asile afghans, iraniens, algériens arrêtés au
Royaume-Uni et en Irlande après y être entrés
illégalement en transitant par la Grèce. Conformément au
Règlement de 2003, les autorités des deux pays avaient
transféré les intéressés vers la Grèce, pays
désigné comme compétent pour traiter leurs demandes. Les
intéressés ont fait appel en alléguant que leurs droits
fondamentaux risquaient de ne pas y être respectés. La Cour leur a
donné raison. Elle a estimé notamment que les Etats membres ont
l'obligation de ne pas transférer un demandeur d'asile vers un Etat
membre désigné comme responsable par le règlement
lorsqu'ils « peuvent avoir des motifs sérieux et
avérés de croire que le demandeur courra un risque réel
d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants
» au sens de la Charte des droits fondamentaux. La Convention n'est ici
pas une référence, la Cour préférant renforcer ses
lignes en invoquant son catalogue des droits, qui est une source de droit
positif de l'Union depuis l'entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne en 2009.
La Cour de Justice de l'Union européenne a même
pris les devants en évoquant le comportement à adopter par les
Etats lorsque le règlement leur impose de renvoyer un demandeur d'asile
vers un pays où les risques de violation de la Charte sont réels.
Effectivement, la Cour a indiqué que, sous réserve d'examiner
lui-même la demande, l'Etat membre qui devait transférer le
demandeur vers l'Etat membre responsable et qui se trouve dans
l'impossibilité de le faire, doit examiner les autres critères du
règlement « afin de vérifier si l'un des critères
ultérieurs permet d'identifier un autre Etat membre comme responsable de
l'examen de la demande d'asile ». Cet examen ne doit pas avoir « une
durée déraisonnable » qui aggraverait la situation de
violation des droits fondamentaux du demandeur. Au besoin, l'Etat membre devra
donc examiner lui-même la demande.
Confirmant la position de cet arrêt, qui fait
lui-même écho à la jurisprudence de l'Union
européenne, le CPT a rendu publique une déclaration relative
à la Grèce en mars 201145.
44 CJUE, Gr. Ch;, 21 décembre 2011, N.S.
contre Secretary of State for the Home Department & M.E. et
aliicontre Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice,
Euquality and Law Reform, affaires jointes C-
411/10 & C-493/10.
45 Déclaration publique relative à la
Grèce, Strasbourg, 15 mars 2011, CPT/Inf (2011) 10.
Il ne fait aujourd'hui aucun doute que la coopération
européenne produit des effets positifs, ici pour encourager la
Grèce à revoir son système concernant la rétention
des étrangers en situation irrégulière, avec l'aide de
l'Union européenne. Cette dernière ne peut plus, sans risque pour
les droits de l'Homme, continuer à estimer que tous ses Etats membres
offrent une protection équivalente à ces droits.
L'article 3 de la CEDH a donc permis une protection des droits
des demandeurs d'asile sans équivalent ni dans le droit des Etats
partis, ni dans le droit de l'Union européenne, mais cette armature est
encore consolidée par l'activisme de la Cour européenne.
SECTION 2. La protection du droit d'asile
renforcée par des méthodes développées par la Cour
européenne des droits de l'Homme
La protection du droit d'asile via l'article 3 de la CEDH est
fortifiée par l'utilisation d'outils qui permettent sa mise en oeuvre
(Paragraphe 1), et par le regard circonstancié que porte la Cour sur les
affaires relative au droit d'asile (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Une mise en oeuvre de la protection par des
outils efficaces
Deux nouveautés se sont immiscées dans le
travail des juges européens permettant de faire valoir l'importance de
certains droits, dont le droit d'asile : il s'agit d'une part des mesures
provisoires qui empêchent la violation intempestive des droits à
l'occasion du déroulement de la procédure (A), d'autre part de la
politique de priorisation qui offre un avantage à certaines affaires par
leur traitement prioritaire (B).
A/ La garantie d'une procédure suspensive
grâce aux mesures provisoires
Dans de nombreuses affaires relatives à des expulsions
ou à des extraditions, la Cour EDH applique des mesures provisoires. Il
s'agit de mesures prises dans le cadre du déroulement de la
procédure devant la Cour et qui ne présagent pas de ses
décisions ultérieures sur la recevabilité ou le fond des
affaires. Elles consistent le plus souvent à suspendre l'expulsion du
requérant le temps de l'examen de la requête ce qui paralyse
l'action des Etats pendant un temps qui peut être long et alors
même qu'il s'agit de domaines sensibles
comme l'asile. C'est de ce fait l'épine du pied de
nombreux Etats, à savoir les Pays Bas, la France, la Royaume-Uni et la
Suisse en première ligne46.
Les exemples sont nombreux mais les contre exemples sont tout
aussi révélateurs de la portée de cet outil. A l'occasion
de l'affaire M.S.S., la Cour n'a pas adopté de mesure
provisoire destinée à empêcher la Belgique de renvoyer le
requérant vers la Grèce mais elle en a adopté une autre
afin que ce dernier Etat ne renvoie pas l'intéressé vers un pays
tiers. La Cour a du se justifier quant à ce choix mystérieux car
le Gouvernement défendeur s'en est servi comme preuve de l'absence de
risque établi pour le requérant en Grèce47. La
Cour a répondu en disant que si elle n'a pas estimé utile
d'indiquer une mesure provisoire en vertu de l'article 39 de son
règlement pour suspendre le transfert du requérant, c'est d'abord
parce que l'imminence de l'expulsion rendait le prononcé de la mesure
urgente. Or, au stade de la saisine, il n'appartient pas à la Cour de
procéder à une analyse complète de l'affaire. De plus,
dans des courriers, la Cour a demandé au gouvernement grec d'assurer un
suivi individuel de la demande du requérant et de la tenir
informée48.
Cette justification laisse planer « un sentiment
d'insatisfaction ». La Cour aurait pu, comme elle le fait pour tous les
autres requérants en proie à une expulsion imminente, opposer une
mesure provisoire afin d'éviter une violation, elle aussi imminente,
dans le pays de renvoi. Pourtant elle ne l'a pas fait, et justifie son choix
sans en donner vraiment les raisons. Le fait d'avoir demandé un suivi
individuel du requérant n'a rien empêché, ce qui prouve que
les mesures provisoires sont seules efficaces face aux mesures
d'éloignement.
Elles le sont surtout depuis l'affaire Mamatkulov et
Askarov contre Turquie du 4 février 2005 à l'occasion de
laquelle la Cour a déclaré reconnaitre l'effet contraignant des
mesures provisoires. Il s'agit d'un revirement des jurisprudences Cruz
Varas49 et Conka50.
Dans l'affaire de 2005, la Cour de Strasbourg avait conclu
à la violation de l'article 34 de la Convention qui interdit aux parties
d'entraver l'exercice efficace du droit au recours individuel car le
Gouvernement ne s'était pas conformé à l'article 39 du
Règlement de la Cour qui encadre les mesures provisoires.
Cette nouvelle position de la Cour a été
critiquée, notamment parce qu'on pouvait y voir un excès de
pouvoir de la part des juges européens. C'est en tous les cas un
instrument efficace
46 Statistiques par pays et par année à
retrouver sur le site de la Cour européenne des droits de l'Homme :
http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/E14B0565-7BC4-4615-B002-890A006950B1/0/Art39_TabPaysEN.pdf
47 Arrêt M.S.S. c. Belgique et
Grèce, précité, § 355.
48 Ibid. § 32, et 39.
49 Cour EDH, 20 mars 1991, Cruz Varas et a. c.
Suède, Req. n° 15576/89
50 Cour EDH, 5 février 2002, Èonka
c. Belgique, Req. n° 51564/99
qui permet une meilleure exécution et un plus grand
respect des décisions de la Cour. Et, celle-ci a réussi à
créer un nouveau rapport avec les parties, qu'il s'agisse des
particuliers qui y ont recourt de plus en plus, ou des Etats qui craignent ces
mesures. Mais, une nouvelle charge de travail attendait ainsi les juges
européens.
En effet, face à une augmentation des
demandes51, le président de la Cour, Jean-Paul Costa, a rendu
publique une déclaration concernant les demandes provisoires le 11
février 2010, rappelant aux Gouvernements et aux requérants quel
est le rôle approprié de la Cour en matière d'immigration
et de droit d'asile, rôle finalement limité. Il a insisté
sur les responsabilités de ces différentes parties.
Selon lui les mesures provisoires ne doivent pas être
perçues comme un supplétif à un recours national. Ceci
implique que le requérant ne se repose pas sur la mesure sans s'en
remettre aux recours dont il peut user, mais cela implique surtout que les
Etats prévoient des recours suspensifs à l'occasion de
procédures visant l'éloignement des étrangers. En effet
selon lui, en ce qui concerne le droit des étrangers demandeurs d'asile,
les gouvernements doivent << prévoir au niveau national des
recours à l'effet suspensif, fonctionnant de manière effective et
juste conformément à la jurisprudence de la Cour, ainsi qu'un
examen équitable dans un délai raisonnable de la question du
risque ».
Par ailleurs, à l'occasion de l'arrêt De
Souza Ribeiro en 201152, les juges Spielman,
Berro-Lefèvre et Power ont émis une opinion en partie dissidente
dans laquelle ils avancèrent l'argument qui allait dans le même
sens que le Président d'alors. Selon eux : << A l'heure où
la Cour doit faire face à un accroissement important des demandes
d'article 39 [mesure provisoire] et qu'elle est appelée, bien
malgré elle, à jouer de plus en plus le rôle des
juridictions nationales, l'instauration de recours suspensifs pourrait enrayer
cette tendance : elle obligerait les Etats à renforcer les garanties
offertes et le rôle des juridictions nationales, ainsi que - par
conséquence - la subsidiarité de la Cour dans le sens
préconisé par la déclaration d'Interlaken, repris avec
force dans celle d'Izmir ».
Ces avis convergent à juste titre puisque la Cour est
prise à son propre piège. Les demandes de mesures provisoires
augmentent mais la Cour ne peut plus toutes les satisfaire. Ainsi, en 2010,
1440 demandes ont été accordées contre 1823
refusées.
La Cour européenne cherche alors des solutions. A la
suite de l'arrêt M.S.S., elle avait utilisé un autre
instrument afin d'améliorer le système judiciaire
européen. Elle avait adressé une
51 Selon le Président de la Cour Jean-Paul
Costa << entre 2006 et 2010, la Cour a connu une augmentation de plus de
4000% du nombre de demandes d'indication de mesures provisoires en vertu de
l'article 39 du règlement : elle en a reçu 4786 en 2010, contre
112 en 2006 ».
52 Cour EDH, 5e Sect., 30 juin 2011, De
Souza Ribeiro c/ France, Req. n° 22689/07
directive collective aux Etats membres du Conseil de l'Europe
leur demandant de suspendre les réadmissions vers la Grèce, au
vue du nombre élevé d'affaires en cours et des nombreuses
demandes de mesures provisoires. Certains Etats s'y sont
conformés53, d'autres ont préféré
trainer des pieds, et encombrer le travail des juges
européens54.
Par ailleurs, une nouvelle instruction pratique a
été publiée à destination des requérants
souhaitant formuler une telle mesure provisoire aux fins d'obtenir la
suspension de leur extradition ou expulsion. Il s'agit là d'un
véritable mode d'emploi afin de responsabiliser non plus les Etats mais
les requérants, de sorte qu'ils ne formulent pas des demandes
incomplètes ou sans pertinence. De même, la Cour a dressé
un tableau statistique assez détaillé55 sur ces
demandes de mesures provisoires durant le premier semestre 2011. Ainsi les
requérants peuvent s'y référer afin de connaitre les
chances que leur demande aboutisse, mais les autorités nationales sont
elles aussi à même de savoir que pour tel pays de renvoi, la Cour
suspendra sûrement la procédure d'éloignement.
Il semble que tout soit pensé pour que chacun prenne
ses responsabilités, et surtout les Etats. Certains ont ainsi pu
comparer ces actions à la technique connue des autres instances et
organisations internationales : le << naming and shaming >> qui
signifie << nommer et faire honte >>56. En effet, il
s'agit pour la juridiction européenne de mettre en exergue les mauvais
comportements de certains Etats, les exposant ainsi aux critiques de la
communauté internationale et de leurs opinions publiques respectives.
L'objet est de faire pression.
Les mesures provisoires ne doivent être conçues
que comme une solution temporaire en attendant que les Etats se conforment aux
recommandations de la Cour EDH. Les Etats ne pouvant pas supporter
indéfiniment l'exercice répété de cette arme qui
paralyse provisoirement leur système, il est possible d'espérer
qu'ils prendront les mesures nécessaires pour qu'en vertu de leur propre
droit, les requérants bénéficient de la garantie d'une
suspension de la mesure d'éloignement le temps de la
procédure.
Finalement, la force des mesures provisoires est d'offrir au
demandeur d'asile une garantie immédiate de non-refoulement lorsque
l'article 3 de la CEDH est en jeu, mais un autre mécanisme plus indirect
produit les mêmes effets.
53 Le Royaume-Uni, la Suède, l'Autriche, la
Belgique, les Pays-Bas, l'Islande, la Norvège.
54 La France en premier, avec les lettres du 28
février 2011, citées précédemment.
55 Sont dénombrées les mesures
provisoires acceptées et rejetées, ceci réparti par Etat
défendeur et selon le pays de renvoi.
56 Nicolas Hervieu, << Cour européenne
des droits de l'Homme : Bilan de la nouvelle section de filtrage et
éclairantes statistiques sur les demandes de mesures provisoires
>> in Lettre « Actualités Droits-Libertés »
du CREDOF, 28 juillet 2011.
B/ La garantie d'une procédure
privilégiée grâce à la politique de priorisation
En juin 2009, à l'occasion de la modification de son
règlement, la Cour de Strasbourg a changé l'ordre dans lequel les
affaires étaient instruites et jugées. Le critère
d'urgence et d'importance a remplacé le critère chronologique.
Avec l'alourdissement de la charge de travail de la Cour, le traitement des
affaires par ordre chronologique avait pour conséquence que certaines
allégations très graves de violation des droits de l'homme
n'étaient pas examinées par la Cour avant un délai
excessivement long - plusieurs années dans certains cas. Non seulement
cela n'était manifestement pas satisfaisant pour les requérants
mais cela signifiait également que des violations et leurs causes
n'étaient pas détectées, ce qui risquait d'accroître
le nombre des victimes et, potentiellement, le nombre des requêtes
introduites devant la Cour.
C'est précisément l'article 41 du
règlement de la juridiction européenne qui a été
modifié. Il est désormais rédigé comme tel :
<< Pour déterminer l'ordre dans lequel les affaires doivent
être traitées, la Cour tient compte de l'importance et de
l'urgence des questions soulevées, sur la base de critères
définis par elle. La chambre et son président peuvent toutefois
déroger à ces critères et réserver un traitement
prioritaire à une requête particulière ». Ce
changement était nécessaire en raison de l'importance de
l'arriéré de la Cour et permettait d'éviter un
accroissement incontrôlé du nombre de victimes d'une violation. Le
but est également de faire en sorte que les affaires les plus graves
soient traitées plus rapidement.
Plusieurs catégories d'affaires ont dès lors
été distinguées : les affaires urgentes, les affaires
soulevant des questions susceptibles d'avoir une incidence sur
l'efficacité du système de la Convention ou soulevant des
questions importantes d'intérêt général comme les
affaires interétatiques, les affaires comportant prima facie
des griefs principaux portant sur les articles 257, 358,
459 ou 5 § 160 de la Convention, les affaires
potentiellement bien fondées sur le terrain d'autres articles, les
affaires répétitives, les requêtes identifiées comme
soulevant un problème de recevabilité, les requêtes de
comité manifestement irrecevables. Ces sept catégories sont
énumérées dans l'ordre de priorité qui leur est
dévolu. Il en ressort une certaine évidence en ce qui concerne
les affaires concernant les demandeurs d'asile. En effet,
57 << Droit à la vie ».
58 << Interdiction de la torture ».
59 << Interdiction de l'esclavage et du travail
forcé ».
60 << Droit à la liberté et à la
sûreté ».
les affaires urgentes, les affaires soulevant des questions
importantes d'intérêt général ainsi que les affaires
portant sur les articles 2, 3, 4 ou 5 § 1 de la CEDH, sont toutes
susceptibles de toucher le droit d'asile. Or, elles correspondent aux trois
types d'affaires les plus prioritaires dans la liste des sept cas. Le droit
d'asile serait donc affecté d'une << priorisation naturelle
>>. Le caractère urgent est très souvent constitué
lorsque l'éloignement est envisagé. Le risque pour la vie du
requérant du fait d'un éloignement ou encore la séparation
avec sa famille justifient souvent une mesure provisoire ce qui
matérialise la situation d'extrême urgence. De plus, les affaires
relatives au droit d'asile touchent forcément plusieurs Etats, qu'ils
soient parties à la CEDH, tiers à celle-ci, ou encore membres
d'autres organisations internationales comme l'Union européenne. Il peut
donc facilement y avoir des questions sous jacentes de rapport entre
systèmes telle que la question de la conventionalité du
règlement << Dublin II >> de l'Union européenne dans
l'affaire M.S.S. contre Belgique et Grèce. Enfin, on a vu que
les affaires touchant aux articles 2, 3, 4, 5§1de la Convention EDH sont
en troisième position dans l'ordre de priorité établi par
la juridiction européenne. Or, l'article 3 de la CEDH s'avère
être l'article primordial de la protection du droit d'asile. En devenant
prioritaire par rapport à d'autres, la protection du droit d'asile se
voit en quelque sorte sublimée. La Cour hiérarchise ainsi les
droits fondamentaux en ce sens que, par exemple, une atteinte à la
liberté d'expression (protégée par l'article 10) sera
traitée après une allégation de torture ou traitement
inhumain ou dégradant (interdit par l'article 3). L'affaire
récente I.M. contre France61 est un exemple de cette
politique de priorisation qui profite au droit d'asile.
Ce caractère privilégié découlant
du bénéfice d'instruments efficaces tels que les mesures
provisoires et la politique de priorisation est complété par une
jurisprudence circonstanciée dont use la Cour européenne pour
assurer la protection du droit d'asile.
61 Cour EDH, 3 février 2012, I.M c.
France, Req. n° 9152/09, §5.
Paragraphe 2. Une protection assurée par une
jurisprudence circonstanciée
Conformément à la jurisprudence constante de la
Cour, pour tomber sous le coup de l'article 3 de la CEDH un mauvais traitement
doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation du
dépassement de ce seuil minimum est relative. Elle dépend de
l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du
traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe,
de l'âge et de l'état de santé de la victime. On retrouve
cette jurisprudence notamment dans l'arrêt Price contre
Royaume-Uni du 10 juillet 200162. Ainsi, la cour fait un examen
circonstancié des affaires, c'est-à-dire un examen au cas par
cas. Et ce qui fait l'efficacité de sa jurisprudence en matière
d'asile c'est qu'elle considère tout à la fois des
éléments s'attachant spécifiquement au droit d'asile (A),
mais également des éléments s'attachant à la
personne du demandeur d'asile (B).
A/ La prise en compte des éléments qui
s'attachent au droit d'asile en soi
Le droit d'asile recouvre des particularités, notamment
en ce que la personne qui s'en prévaut a généralement fui
son pays d'origine en raison du contexte politique de celui-ci. La Cour EDH a
entendu en tenir compte (1), et met également en exergue la
vulnérabilité tenant au fait d'être demandeur d'asile
(2).
1) L'actualisation de la situation politique du pays
d'origine par la Cour EDH
Le contexte est un élément qui peut faire varier
la décision de la Cour. Son évolution peut jouer en faveur ou en
défaveur du requérant qui allègue qu'il subirait des
traitements contraires à l'article 3 ou à l'article 2 de la CEDH
en cas de retour dans son pays d'origine, ou à tout le moins en cas
d'envoi dans un autre pays.
Dans l'arrêt Chahal contre Royaume-Uni en 1996,
la Cour a posé le principe selon lequel l'appréciation du risque
de violation de l'article 3 se fait au moment de l'examen de
l'affaire63. Ainsi par exemple dans l'arrêt Vilvarajah et
autres64 qui concernait un sri lankais, l'examen du contexte
qui régnait en 1988 au Sri Lanka n'a pas permis de conclure à la
violation de l'article 3 de la CEDH. De même, dans l'arrêt Al
Hanchi contre Bosnie-
62 Cour EDH, 10 juillet 2001, Price c. Royaume
Uni, Req. n° 33394/96
63 Arrêt Chahal précité,
§ 86.
64 Arrêt Vilvarajah
précité.
Herzégovine du 15 novembre 2011 65
, le renvoi vers la Tunisie d'un combattant moudjahidin(ne) n'a pas
été reconnu de nature à exposer ce dernier à des
traitements contraires à l'article 3. C'est encore l'examen de la
situation en Tunisie au jour de l'arrêt qui a amené la Cour
à ne voir aucun risque pour le requérant en cas de renvoi vers
son pays d'origine.
Ce n'est finalement que dans des cas isolés que la Cour
a accepté de conclure à une violation de la Convention, lorsque
le temps avait fait disparaitre le risque certain de violation. Ainsi par
exemple dans l'arrêt N. contre Finlande de 2005, la violation
était avérée même si huit ans s'étaient
écoulés, diminuant par là même les
intérêts des autorités de s'en prendre au requérant.
Toutefois, la consistance du récit sur le passé du
requérant permettait de retenir la violation66.
En définitive, la Cour prend elle-même le risque
de se tromper sur la situation du pays, mais cette jurisprudence est
révélatrice d'un jugement fin, au cas par cas, car la Cour
s'adonne à un travail d'expert afin de déterminer si le risque
est toujours actuel.
Le droit d'asile oblige en quelque sorte cet examen attentif du
contexte du pays d'origine, car l'étranger cherche
précisément de l'aide au regard de sa situation dans ce pays.
Le contexte politique n'est pas le seul élément
propre au droit d'asile que la Cour prend en compte afin d'élaborer une
jurisprudence équilibrée et circonstanciée, car elle
s'attache également à reconnaitre la particularité de la
qualité de demandeur d'asile par rapport aux autres
requérants.
2) Le particularisme lié à la
qualité de demandeur d'asile
Dans son récent arrêt M.S.S. contre Belgique
et Grèce, le 21 janvier 2011, la Cour a précisé que
le demandeur d'asile appartient << à un groupe de la population
particulièrement défavorisé et vulnérable qui a
besoin d'une protection spéciale67 ».
Pour affirmer ceci, la Cour s'appuie sur d'autres sources de
droit international : la Convention de Genève68, le mandat et
les activités du HCR et la directive << Accueil » de l'Union
européenne69. Elle parle même de << large
consensus au niveau international70 ».
65 Cour EDH, 15 novembre 2011, Al Hanchi c.
Bosnie-Herzégovine, Req. n° 48205/09.
66 Catherine Gauthier, Cour EDH, 26 juillet 2005,
N. c. Finlande, (Req. n°38885/02), JCPA, n°49, 2005,
n°1375.
67 Arrêt M.S.S. c. Belgique et
Grèce, précité, § 251.
68 Convention relative au statut des
réfugiés du 28 juillet 1951
Il peut paraitre étrange que les juges européens
voient un consensus se dégager de ces textes, de sorte que le droit
international s'accorderait pour qu'une protection particulière soit
donnée aux demandeurs d'asile.
En ce qui concerne la Convention de Genève, encore
faut-il que l'individu corresponde à la définition d'un
réfugié pour qu'il puisse bénéficier des droits qui
découlent du texte ou du mandat du HCR. Au sujet de la directive
Accueil, elle concerne effectivement les demandeurs d'asile, mais l'on peut
s'interroger sur la motivation de cette protection spéciale, et par
là même sur sa nature. S'agit-il de protéger une population
particulièrement défavorisée, ou de << limiter les
mouvements secondaires des demandeurs d'asile71 » en
élaborant une << politique commune dans le domaine de
l'asile72 » ?
La Cour européenne a ainsi dégagé un
principe important pour la protection des demandeurs d'asile car le fait de les
considérer comme un groupe de personnes particulièrement
défavorisé et vulnérable signifie qu'il est
nécessaire de prévoir une protection adaptée à leur
statut. C'est ainsi que la Cour montre son engagement dans la définition
d'un droit propre aux demandeurs d'asile. Le droit d'asile est certes un droit
non écrit dans le texte de la Convention, mais les juges le
découvrent implicitement.
Plusieurs raisons peuvent alors expliquer la
référence à d'autres normes internationales
prévoyant une protection spéciale pour les demandeurs d'asile.
Il peut s'agir d'une manière de légitimer le
nouveau principe alors qu'il touche à une matière qui
n'appartient normalement pas à la Cour. La culpabilité de toucher
à un droit qui n'est pas inscrit dans la Convention serait ainsi
atténuée par le fait qu'il s'agisse déjà d'un
consensus au niveau international.
C'est peut être aussi, pour la Cour européenne,
un aveu que d'autres organisations et d'autres textes sont dévolus
à la protection du droit d'asile tandis que la Convention EDH n'en
traite pas.
En définitive, il faut y voir l'appropriation du droit
d'asile par la Cour européenne, un domaine déjà
traité par d'autres instances et organisations internationales dont
l'ONU et l'UE. Si la Cour EDH ne peut donc pas dire qu'elle-même
protège le droit d'asile, elle arrive à le faire en se servant
des autres droits garantis par la Convention comme l'interdiction de la
69 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003
relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile
dans les Etats membres
70 Ibid.
71 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003
relatif à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile
dans les Etats membres, dite directive << Accueil »,
Considérant (8).
72 Ibid. Considérant (1).
torture et des traitements inhumains, et elle s'appuie par
ailleurs sur ce consensus au niveau international selon lequel les demandeurs
d'asile doivent bénéficier d'une protection spéciale.
Il n'y a pas que ces éléments propres au droit
d'asile qui permettent à la Cour de défendre les
intéressés efficacement, elle s'attache également à
examiner les caractéristiques spécifiques à chaque
demandeur d'asile en tant que personne humaine.
B/ La prise en compte des éléments qui
s'attachent à la personne demandant l'asile
Deux situations peuvent se présenter à la Cour : le
demandeur d'asile peut être affaibli (1), mais il peut aussi faire ou
avoir fait l'objet d'une condamnation (2).
1) Le demandeur d'asile affaibli
La faiblesse d'une personne peut être constituée
soit par une maladie soit par l'âge de cette dernière. Qu'il
s'agisse d'un demandeur d'asile malade (a), ou d'un demandeur d'asile mineur
(b), la Cour EDH ne les traitera pas de la même manière que les
autres.
a. Le demandeur d'asile malade
En ce qui concerne le demandeur d'asile malade on aurait pu
penser que la Cour serait plus protectrice à leur égard.
Cependant ce n'est pas le cas puisqu'elle exige qu'il y ait
impossibilité de soins plus que difficultés de soin pour qu'une
expulsion vers un autre pays soit jugée contraire à l'article 3
de la CEDH. Cette sévérité révèle une
jurisprudence finalement imprévisible.
Dans l'arrêt D. contre Royaume-Uni du 5
février 1997, la Cour a précisé que, compte tenu de ces
circonstances exceptionnelles et du fait que le requérant se trouvait en
phase terminale d'une maladie incurable (le sida) et ne pouvait espérer
bénéficier de soins médicaux ou d'un soutien familial s'il
était expulsé, la mise à exécution de la
décision de l'expulser vers Saint-Kitts constituerait, de la part de
l'Etat défendeur, un traitement inhumain contraire à l'article 3
de la Convention. La Cour a considéré qu'il y avait bien
violation de l'article 3 si le Royaume Uni décidait de maintenir sa
décision d'expulsion d'un malade du sida en phase terminale, les soins
ne pouvant, dans le pays de destination, lui être assurés.
Cependant, si en l'espèce, la Cour a jugé que
l'expulsion était contraire à l'article 3 de la CEDH, ce n'est
pas toujours le cas.
Dans un arrêt N. contre Royaume-Uni du 27 mai
200873, une femme Camerounaise, atteinte du VIH et
installée au Pays-Bas sans titre de séjour régulier avait
décidé quelques mois plus tard de suivre son compagnon pour
s'installer en Belgique. Ils décidèrent de se marier mais
l'illégalité de son séjour fut découverte. Une fois
sa demande d'asile rejetée, elle fut enfermée dans un centre de
détention et renvoyée vers le Cameroun. La cour a jugé que
l'expulsion de la requérante camerounaise vers son pays d'origine
n'était pas à considérer comme un traitement inhumain et
dégradant au sens de l'article 3 de la Convention, alors même
qu'il est admis que l'accès aux soins est très difficile dans ce
pays-là. La requérante avait pourtant développé
plusieurs manifestations graves du syndrome. Finalement la Cour a
rappelé sa jurisprudence selon laquelle elle reconnaît, à
titre « très exceptionnel », si le traitement n'est pas
disponible, et si le requérant n'a personne sur qui compter dans son
pays d'origine, nulle part où aller, et qu'une très forte
probabilité de mort prématurée et de souffrances physiques
ou morales existe, que l'expulsion peut emporter violation de l'article 3. En
l'espèce la Cour a estimé que la situation n'était pas
marquée par des « circonstances très exceptionnelles »,
car même si le traitement est difficile à obtenir, le fait qu'il
existe dans le pays d'origine suffit à exonérer le pays «
d'accueil » d'une condamnation en cas de renvoi.
Il est difficile de conclure sur une jurisprudence aussi
divergente mais l'on voit bien que la Cour peut exiger des conditions strictes
pour qu'une décision d'expulsion emporte selon elle violation de
l'article 3 de la CEDH.
Cette marge d'appréciation qui peut s'avérer
contestable concernant les demandeurs d'asile malades ne se retrouve pas dans
la jurisprudence concernant les demandeurs d'asile mineurs.
b. Le demandeur d'asile mineur
La Cour accorde une protection particulière aux mineurs
étrangers en raison de leur vulnérabilité. Cette
spécificité n'est pas surprenante au regard de la notion
d'intérêt supérieur de l'enfant communément admise
au niveau international notamment en vertu de la
73 Cour EDH, G.C. 27 mai 2008, N. c. Royaume
Uni, Req. n° 26565/05
Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20
novembre 1989 ou la Convention de New York sur les droits de l'enfant du 26
janvier 1990.
La Cour européenne a élaboré une
jurisprudence, aujourd'hui bien établie, selon laquelle, sur le terrain
de l'article 3, les enfants doivent bénéficier d'une protection
spécifique car << les mineurs, qu'ils soient ou non
accompagnés, comptent parmi les populations vulnérables
nécessitant l'attention particulière des
autorités74 ». Elle se réfère pour cela
aux Conventions citées précédemment mais pas seulement. La
Convention relative aux droits de l'enfant lui a servi d'appui par exemple dans
un arrêt de 2011 où elle soulignait que l'article 22 de cette
Convention << incite les Etats à prendre les mesures
appropriées pour qu'un enfant qui cherche à obtenir le statut de
réfugié bénéficie de la protection et de
l'assistance humanitaire qu'il soit seul ou accompagné de ses parents
75 ». La Cour européenne instrumentalise de ce fait la
Convention pour protéger plus efficacement le droit d'asile, en
particulier les demandeurs d'asile mineurs. Elle a ainsi rendu un certain
nombre d'arrêts concernant des mineurs demandeurs d'asile pour lesquels
le critère personnel, à savoir le << bas âge des
enfants76 » a été pris en compte.
Dans l'arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
contre Belgique du 12 octobre 200677, il était question
d'une mineure alors âgée de cinq ans. La Cour a observé que
les conditions de détention de cet enfant étaient les mêmes
que celles d'une personne adulte. Ainsi, l'enfant a été
détenue pendant deux mois dans un centre initialement conçu pour
adultes alors qu'elle était séparée de ses parents et ce,
sans que quiconque n'ait été désigné pour s'occuper
d'elle, ni que des mesures d'encadrement et d'accompagnement psychologiques ou
éducatives ne soient dispensées par un personnel qualifié,
spécialement mandaté à cet effet. En raison de son
très jeune âge, du fait qu'elle était
étrangère en situation d'illégalité dans un pays
inconnu et qu'elle n'était pas accompagnée de sa famille et donc
livrée à elle-même, la petite fille se trouvait, selon la
Cour, dans une situation d'extrême vulnérabilité. Les
dispositions prises par les autorités belges en l'espèce
étaient loin d'être suffisantes au regard de l'obligation de prise
en charge pesant en l'espèce sur ce gouvernement, qui disposait,
pourtant, d'un éventail de moyens. La Cour a estimé que les
autorités qui ont pris la mesure de détention ne pouvaient
ignorer les conséquences psychologiques graves de celle-ci. A ses yeux,
pareille détention fait preuve d'un manque
74 Cour EDH, 1e Sect. 5 avril 2011,
Rahimi c. Grèce, Req. n 8687/08, §91.
75 Cour EDH, 4e Sect. 29 novembre 2011,
A. et autres c. Bulgarie, Req. n° 517776/08, § 91.
76 Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012,
Popov c. France, Req. nos 39472/07 et 39474/07, §
103.
77 Cour EDH, 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeke
et Kaniki Mitunga c. Belgique, Req. n° 13178/03.
d'humanité et atteint le seuil requis pour être
qualifiée de traitement inhumain interdit par l'article 3 de la CEDH.
Dès lors, la Cour conclut à la violation de cet article à
l'égard de l'enfant de cinq ans du fait de ses conditions de
détention.
En l'espèce, il s'agissait en plus d'un mineur
isolé, c'est-à-dire sans ses parents, ce qui lui valait une
protection d'autant plus étendue, mais la Cour européenne a
également reconnu la violation de l'article 3 à l'égard
d'enfants accompagnés de leurs parents même si elle a
déjà rappelé que les obligations de l'Etat quant au
traitement de migrants mineurs, peuvent être différentes selon
qu'ils sont ou non accompagnés. Dans l'affaire Muskhadzhiyeva et
autres contre Belgique du 19 janvier 2010, le placement de jeunes enfants
sri-lankais en compagnie de leur mère au sein d'un centre fermé,
dans l'attente de leur expulsion, a été jugé comme un
traitement inhumain et dégradant pour les enfants.
Aux yeux de la Cour, il faut donc présumer que les enfants
sont vulnérables tant en raison de leur qualité d'enfants que de
leur histoire personnelle et des circonstances de l'espèce.
Cet examen au cas par cas peut ici encore poser un
problème de cohérence. La Cour ne dit pas clairement ce qu'elle
récuse, laissant alors planer un sentiment d'incertitude. Interditelle
le placement des enfants en centre de rétention ? Impose-t-elle aux
Etats d'enfermer les enfants uniquement dans des centres adaptés
à leur âge ? Pose-t-elle comme principe la reconnaissance de la
qualité de réfugié à tout mineur qui la demande ?
La réponse à cette dernière question est assurément
négative car ce serait trop s'immiscer dans la politique migratoire des
Etats. En revanche, il est possible de déceler une certaine
volonté de condamner le principe même de la rétention des
étrangers. Ainsi dans un arrêt de 2011 la Cour a indiqué
qu'elle « accueill[ait] positivement la décision prise par les
autorités belges de ne plus procéder à la détention
en centre fermés des familles en séjour
illégal78 ». Ceci marque une opinion certaine de la Cour
qui affirmait ceci alors qu'aucun des « certificats médicaux
[n']attesta[i]t de troubles psychologiques ayant affecté les enfants
durant leur détention et [... malgré] le fait que les enfants
étaient plus âgés » que dans d'autres
précédents affaires79. Les Etats ont ainsi quelques
indices sérieux à leur disposition pour éviter des
condamnations futures de la Cour européenne. Ces recommandations
implicites n'ont pas empêché certains d'entre eux de passer outre
et de se faire condamner. Ce fut récemment le cas de la France.
78 Cour EDH, 2e Sect. 13 décembre
2011, Kanagaratnam c. Belgique, Req. n° 15297/09, § 63.
79 Ibid § 66.
Dans un arrêt Popov contre France du 19 janvier
201280, la Cour a repris sa jurisprudence sur les mineurs
étrangers. Encore une fois selon elle, compte tenu du << bas
âge des enfants », de la durée de leur détention et
des conditions de leur enfermement, les autorités n'ont pas pris la
mesure des conséquences inévitablement dommageables pour eux.
Elle considère que les autorités n'ont pas assuré aux
enfants un traitement compatible avec les dispositions de la Convention et que
celui-ci a dépassé le seuil de gravité exigé par
l'article 3 de celle-ci. La Cour a ainsi jugé que la privation de
liberté telle qu'elle a été effectuée a
été un << facteur d'angoisse, de perturbation psychologique
et de dégradation de l'image parentale pour les enfants81
». La présence d'un parent a donc été ici un motif de
plus pour considérer qu'il y avait violation de l'article 3 à
l'égard des enfants alors même que cette violation n'a pas
été retenue pour les parents.
Le seuil de gravité requis pour que l'article 3 soit
violé est ainsi adapté selon la personnalité du sujet. Il
ne sera pas le même pour un enfant ou pour un adulte. Il ne sera pas non
plus le même pour un demandeur d'asile faisant l'objet d'une accusation
pour acte de terrorisme.
2) Le demandeur d'asile accusé de
terrorisme
Les juges européens pourraient faire abstraction des
accusations qui pèsent par ailleurs sur les requérants qui se
présentent devant eux. Pourtant, lorsqu'il s'agit de demandeurs d'asile,
la Cour prend le soin d'examiner la situation au regard de leur
personnalité et de leur histoire. Cela se justifie dans la mesure
où un requérant qui sera accusé de terrorisme dans un Etat
pourrait subir d'autant plus de persécutions en cas de retour dans son
pays d'origine. Il apparait donc qu'à certains égards une
protection renforcée bénéficie au demandeur d'asile
accusé ou soupçonné d'être un terroriste dans le
pays de destination.
Ce renforcement de la protection s'apprécie au regard
du risque que le demandeur d'asile << terroriste » pourrait courir
en cas de renvoi vers son pays d'origine. Dans l'affaire Chahal contre
Royaume-Uni du 15 novembre 199682 par exemple, la Cour a conclu
qu'un défenseur de la cause séparatiste sikh, faisant l'objet
d'un arrêté d'expulsion sur des motifs liés à la
sécurité nationale, courrait un risque réel de mauvais
traitements s'il était renvoyé en Inde. Il
80 Arrêt Popov c. France,
précité.
81 Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012,
Popov c. France, Req. nos 39472/07 et 39474/07,
§101.
82 Arrêt Chahal,
précité.
y avait donc violation de l'article 3 de la CEDH sileplitp
aviRoioc slu mcguiptait mis ià exécution. Cette jurisprudence
pourrait paraitre provocatrice alors que le terrorisme est l'une des
préoccupations majeure des Etats de nos jours. Cependant, la Cour a bien
conscience des difficultés que rencontrent les Etats à ce sujet
mais elle rappelle que « la Convention prohibe en termes absolus la
torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que
soient les agissements de la victime83 ». Ainsi, chaque fois
qu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu'une
personne courra un risque réel d'être soumise à des
traitements contraires à l'article 3 si elle est expulsée ou
extradée vers un autre Etat, la responsabilitp dE E l'Etat contractant
est engagée. Dans ces conditions, les agissements de la personne
considérée, aussi indésirables ou dangereux soient-ils, ne
sauraient faire disparaitre la violation de l'interdiction contenue à
l'article 3 de la CEDH.
Cette jurisprudence a été reprise et
développée dans l'arrêt Saadi contre Italie du 28
février 200884 oil la Cour a confirmé solennellement
le caractère absolu de la prohibition de la torture et des peines et
traitements inhumains ou dégradants même s'agissant de
terroristes. Il y avait en l'espèce violation de l'article 3 en cas
d'expulsion vers la Tunisie du requérant soupçonné
d'activités en lien avec des entreprises terroristes. Monsieur Saadi,
ressortissant tunisien entré en Italie, avait fait l'objet de poursuites
pénales devant les juridictions de cet Etat. De plus, il a
été condamné par contumace à vingt ans
d'emprisonnement pour des infractions liées au terrorisme par le
tribunal militaire de Tunis. Après avoir été placé
en détention sans interruption de 2002 à 2006 en Italie, un
arrêté d'expulsion vers la Tunisie fut pris à son encontre
par les autorités italiennes. La procédure devant la Cour
européenne intervenait alors dans le contexte éminemment sensible
de lutte contre les actes terroristes. Comme la Cour l'a affirmé
à plusieurs reprises, la règle contenue à l'article 3 de
la CEDH « ne souffre aucune exception85 ». La perspective
que la personne constitue une menace grave pour la collectivité si elle
n'est pas expulsée ne diminue en rien le risque qu'elle subisse des
mauvais traitements si elle est refoulée.
En avril 2012, dans un arrêt concernant
l'éloignement de six étrangers vers les Etats Unis par le Royaume
Uni 86 , la Cour EDH a souhaité clarifier les règles
relatives à l'application de l'article 3 de la Convention. Il a d'abord
été affirmé que la méthode d'évaluation du
risque de violation ne varie pas selon « la base légale de
l'expulsion d'un
83 Ibid § 79.
84 Cour EDH, 28 février 2008, Saadi c.
Italie, Req. no 13229/03
85 Ibid. §138 ; Chahal
précité, § 79 ; Cour EDH, Selmouni c. France
[GC], Req. no 25803/94, § 95 ; Cour EDH, 21 novembre 2001,
Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 59 ; Cour EDH, 12
avril 2005, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no
36378/02, § 335.
86 Cour EDH, 4e Sect. 10 avril 2012,
Babar Ahmad et autres c. Royaume Uni, Req. n° 24027/07
Etat87 », qu'il s'agisse d'une extradition ou
d'une autre procédure de renvoi. Il s'ensuit que l'expulsion d'un
demandeur d'asile ou d'un étranger dans une autre situation fera l'objet
de la même étude par les juges. Ensuite, la Cour indique qu'elle
s'abstient normalement d'apprécier si le mauvais traitement que risque
de subir le requérant doit être qualifié de torture ou de
peine ou traitement inhumain ou dégradant88 car une <<
évaluation prospective89 » est alors requise dans un
contexte extraterritorial. Enfin, elle rappelle que la protection contre le
risque de traitements contraires à l'article 3 en cas d'expulsion est
absolue90 même s'agissant de << terroristes » et
qu'il est donc inconcevable qu'elle mette cette protection en balance avec des
impératifs telle que la lutte contre le terrorisme91. Mais la
Cour admet que << le caractère absolu de l'article 3 ne signifie
pas que toute forme de traitements [soit] susceptible de faire obstacle
à une expulsion92 ».
La Cour ne fait donc pas de généralités,
auquel cas ce serait contraire à l'efficacité qui ressort de
l'examen circonstancié auquel elle se prête. Ainsi, dans
l'arrêt Al Hanchi contre BosnieHerzégovine du 15 novembre
2011 93 , le renvoi vers la Tunisie d'un combattant moudjahidin(ne)
de nationalité tunisienne et arrivé en Bosnie-Herzégovine
afin de participer à la guerre de 1992 à 1995 ne serait pas de
nature à exposer ce dernier à des traitements contraires à
l'article 3 de la CEDH. La raison de la non violation se situe dans l'examen de
la situation en Tunisie au jour de l'arrêt, autre élément,
extérieur à la personne du requérant, que la Cour prend en
compte.
De même, dans un arrêt de janvier
201294 concernant Omar Othman, un responsable terroriste connu sous
le nom d' << Abu Quataba » et en raison de ses liens avec Al-Quaida,
la Cour n'a pas jugé que ce dernier risquait pour sa vie en cas de
retour vers la Jordanie. La Cour s'est ainsi conformée aux
allégations des autorités jordaniennes au Royaume Uni qui
assuraient l'absence de risque de torture pour le requérant. Cela n'est
pas sans soulever des interrogations sur le raisonnement de la Cour lorsqu'elle
prend une telle décision, d'autant plus quand l'examen de l'affaire est
circonstancié comme en l'espèce. La systématicité
est tout à la fois, signe d'une jurisprudence plus adaptée, et
signe d'une liberté avérée des juges. Ils s'octroient
ainsi une forme de jugement de valeur des Etats en décidant quels sont
ceux qui sont à même de protéger contre un risque de
torture et ceux qui ne le sont pas.
87 Ibid § 168
88 Ibid § 171
89 Ibid § 170
90 Ibid § 172
91 Ibid § 173
92 Ibid § 177
93 Cour EDH, 15 novembre 2011, Al Hanchi c.
Bosnie-Herzégovine, Req. n° 48205/09
94 Cour EDH, 4e Sect. 17 janvier 2012,
Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, Req. n° 8139/09
En effet, dans l'arrêt Babar Ahmad de 2012 la
juridiction européenne a relevé qu' « à l'exception
des affaires impliquant la peine de mort, il a été [...] rarement
jugé qu'il y aurait une violation de l'article 3 si un requérant
était expulsé vers un Etat qui a une longue histoire de respect
de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de
droit95 ». La Cour nous donnerait elle ainsi une sorte de
cartographie européenne des Etats ayant une longue histoire de
respect des droits de l'Homme ?
Le risque d'insécurité juridique est certain, mais
pour certains demandeurs d'asile la Cour EDH assure ainsi une protection
adéquate.
Ainsi se mêlent examen des éléments
propres au droit d'asile (contexte politique des Etats de destination, et
vulnérabilité du demandeur d'asile), et examen des
éléments propres à la personne du requérant,
donnant naissance à une jurisprudence circonstanciée et par
là même efficace sur le terrain de l'article 3 de la CEDH.
Alors que ce fondement principal et les méthodes
juridiques de la Cour européenne assurent aujourd'hui une protection
certaine aux demandeurs d'asile laissant percevoir la reconnaissance du droit
d'asile en tant que tel, il semble que cela ne suffise pas. D'autres fondements
servent encore à améliorer la défense de ce nouveau
droit.
95 Cour EDH, 4e Sect. 10 avril 2012,
Babar Ahmad et autres c. Royaume Uni, Req. n° 24027/07, §
179.
CHAPITRE 2. Les fondements accessoires de la protection
du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales
Deux types de protection complètent la garantie
classique que constitue l'article 3 de la CEDH : la protection des droits
procéduraux (Section 1) et la protection des droits substantiels
(Section 2). Si la première est déjà bien avancée,
la seconde est encore limitée et mériterait d'être
développée.
SECTION 1. La protection développée des
droits procéduraux garantis par la Convention européenne des
droits de l'Homme
Les droits procéduraux des demandeurs d'asile sont de
mieux en mieux protégés par la Convention qu'il s'agisse de la
demande d'asile en soi au travers de l'article 13 de la CEDH (Paragraphe 1), ou
de la procédure entourant l'enfermement sur le fondement de l'article 5
de ladite Convention (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. La protection du droit au recours
effectif
Dans la Convention, la principale garantie en matière
procédurale, la plus évidente, est la garantie offerte par
l'article 6 de la CEDH qui consacre le droit à un procès
équitable. Cet article prévoit des garanties
générales en matière procédurale tels que le droit
au juge, le droit à une justice de qualité, le droit à une
audience publique, le droit à un jugement dans un délai
raisonnable. Or, il n'est pas reconnu applicable au profit des
étrangers.
Un texte de « remplacement » a été
prévu pour ceux-ci. Il s'agit du protocole n°7 annexé
à la Convention qui pose des garanties procédurales minimales au
profit des étrangers en situation régulière menacés
d'expulsion 96 . Ce texte n'a vraisemblablement rien à voir
avec la protection maximale que permet l'article 6 inscrit dans le corps de la
Convention.
96 Protocole n° 7, Article 1er :
« Un étranger résidant régulièrement sur le
territoire d'un Etat ne peut en être expulsé qu'en
exécution d'une décision prise conformément à la
loi et doit pouvoir : faire valoir les raisons qui
La Cour se rattrape en quelque sorte en admettant
l'applicabilité de l'article 13 de la Convention c'est-à-dire le
droit à un recours effectif au profit des étrangers. Toutefois
celui-ci ne prévoit pas les mêmes droits que ceux de l'article 6.
La Cour témoigne ainsi d'un certain malaise au regard de son engagement
sur le terrain de l'article 13 alors qu'elle se refuse toujours à
utiliser l'article 6 de la CEDH. Elle cherche ainsi à offrir une bonne
protection au travers de l'article 13 en élevant sans cesse l'exigence
d'effectivité du recours (A) et en dépassant les limites
affectant ce fondement (B).
A/ Une exigence élevée quant à
l'effectivité du recours
La Cour tend à donner une définition autonome du
droit au recours effectif consacré par la Convention. Elle
élève l'exigence quant à la qualité du recours (1)
se rapprochant ainsi de la protection offerte par l'article 6 de la CEDH, mais
l'apport tient surtout au caractère suspensif du recours que les juges
européens estiment nécessaire dans certains cas (2).
1) L'exigence d'un recours de qualité
L'article 6 de la CEDH qui énonce le droit au
procès équitable et pose des exigences générales en
matière procédurale n'est pas applicable aux étrangers.
Cela a été confirmé par la jurisprudence Maaouia
selon laquelle << les décisions relatives à
l'entrée, au séjour et à l'éloignement des
étrangers n'emportent pas contestation sur des droits ou obligations de
caractère civil ni n'ont trait au bien-fondé d'une accusation en
matière pénale, au sens de l'article 6 § 1
»97. Dernièrement, c'est dans l'arrêt Dalea
contre France du 2 février 201098 que la Cour a
refusé d'appliquer l'article 6§1 aux procédures
administratives relatives à l'étranger, en rejetant, par une
décision sur la recevabilité, l'allégation de violation du
droit à un procès équitable formulée par le
requérant qui n'a pu obtenir les motifs de son inscription au
Système d'Information Schengen.
militent contre son expulsion, faire examiner son cas, et se
faire représenter à ces fins devant l'autorité
compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par
cette autorité.
Un étranger peut être expulsé avant
l'exercice des droits énumérés au paragraphe 1.a, b et c
de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans
l'intérêt de l'ordre public ou est basée sur des motifs de
sécurité nationale ».
97 Cour EDH, G.C. 5 octobre 2000, Maaouia c.
France, Req. n° 39652/98
98 Cour EDH, 2 février 2010, Dalea c.
France, Req. n° 964/07 selon laquelle << La Cour rappelle que
les décisions relatives à l'entrée, au séjour et
à l'éloignement des étrangers ne relèvent pas du
champ d'application de l'article 6 § 1, en tant qu'elles ne concernent pas
des << obligations de caractère civil » ou le <<
bien-fondé d'une accusation en matière pénale ».
»
Cette jurisprudence s'explique par le fait que l'article 6 est
réservé aux matières civile et
pénale99et la Cour adopte une définition autonome de
ces notions. Or, elle a elle-même précisé que cet article
ne s'appliquait pas aux étrangers dont les situations relèvent
souvent du domaine administratif. La Cour tente alors de pallier cette lacune
par l'application de l'article 13 de la Convention. Pourtant, cet article ne
garantit pas les mêmes droits que l'article 6. L'article 13 garantit le
droit à un recours effectif tandis que l'article 6 prévoit le
droit à un procès équitable. La Cour a donc entrepris une
démarche originale puisqu'elle développe une définition
autonome du recours effectif de telle sorte que la protection au travers de
l'article 13 se rapproche sensiblement de celle offerte par l'article 6.
Tout d'abord, pour définir le recours effectif la Cour
rend compte d'une nuance entre effectivité << en droit >> et
effectivité << en pratique >>. Pour elle, le recours
exigé par l'article 13 de la Convention doit être <<
effectif en pratique comme en droit100 >>. Il est
évidemment important pour la Cour que les recours internes fonctionnent
dans le respect des droits de l'homme. Mais la Cour a également
souligné la nécessité de << l'accessibilité
pratique101 >> d'un recours qui ne peut rester que
théoriquement disponible. Plus particulièrement, << son
exercice ne doit pas être entravé de manière
injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l'Etat
défendeur102 >>. Dans l'arrêt Conka contre
Belgique103 en 2002, la Cour a justement conclu à la
violation de l'article 13 car le recours en question, à savoir le
recours en extrême urgence prévu devant le Conseil d'Etat belge,
était accordé de manière aléatoire dans la pratique
c'est-à-dire en l'espèce accordé sur demande. Les juges
ont encore estimé que << le recours exigé par l'article 13
[devait] être effectif en pratique comme en droit >> et ont
poursuivi en disant que << l'effectivité ne dépend pas de
la certitude d'une issue favorable pour le requérant 104
>>. Ce qui signifie qu'une marge d'appréciation est laissée
aux Etats contractants. Effectivité ne veut donc pas dire succès
assuré du recours.
De surcroit, il a été précisé un
certain nombre d'autres éléments permettant de connaitre les
implications de l'article 13 de la CEDH.
D'abord, la définition de l'effectivité du recours
au sens de l'article 13 de la CEDH a été clarifiée. Il
s'agit de l'exigence de rapidité à laquelle il faut prêter
<< une attention
99 Article 6 de la CEDH selon lequel : << Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal
indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera,
soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière
pénale dirigée contre elle. >>
100 Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudla c. Pologne, Req.
n°30210/96.
101 Not. arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce,
précité, § 288 et 318 ; arrêt I.M. c. France,
précité, § 128 et 131. 102Arrêt M.S.S.
c. Belgique et Grèce, précité, § 290 ;
arrêt I.M. c. France, précité, § 130.
103 Cour EDH, 5 février 2002, Èonka c.
Belgique, Req. n° 51 564/99
104 Ibid. § 75
particulière [...] puisqu'il n'est pas exclu que la
durée excessive d'un recours le rende inadéquat105
». La célérité du recours fait donc partie des
exigences impératives pour que le recours soit effectif.
De plus, selon la Cour, « l' instance dont parle
cette disposition n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais
alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent en ligne de
compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant
devant elle. En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut
remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y
répond en entier à lui seul.106 »
Si les « pouvoirs et les garanties » de l'instance
entrent en ligne de compte, il est certain que l'on se rapproche de la
protection offerte par l'article 6 selon lequel « toute personne a droit
à ce que sa cause soit entendue [...] par un tribunal indépendant
et impartial, établi par la loi ». Les garanties requises en vertu
de l'article 13 semblent rejoindre celles que l'article 6 exige comme
l'indépendance et l'impartialité. Il a d'ailleurs
été indiqué que l'effectivité d'un recours au sens
de la CEDH implique nécessairement « un contrôle attentif par
une autorité nationale, un examen indépendant et
rigoureux107 ».
Parlant finalement d'exigence de «
qualité108 », la Cour donne assurément
l'impression, au travers de toute cette jurisprudence, de vouloir s'aventurer
sur un terrain qui pourrait être celui de l'article 6 de la CEDH lequel
garanti notamment le droit à une justice de qualité.
Les juges européens vont plus loin en prescrivant que
les intéressés disposent d'un recours suspensif de plein droit.
Or, cette exigence revêt un intérêt particulier pour les
demandeurs d'asile puisqu'ils peuvent faire l'objet d'une mesure
d'expulsion.
2) L'exigence d'un recours suspensif
L'effectivité d'un recours tient notamment au
caractère suspensif de celui-ci109. Cette exigence a
été découverte à l'occasion d'affaires concernant
des expulsions, ce qui touche spécialement les demandeurs d'asile.
105 Cour EDH, 31 juillet 2003, Doran c. Irlande, Req.
no 50389/99, § 57; et en ce qui concerne une demande d'asile,
l'arrêt I.M. c. France précité, § 133.
106 Entre autres les arrêts Conka
précité, § 75 ; Gebremedhin
précité, § 53 ; M.S.S. c. Belgique et Grèce
précité, § 289 ; I.M. c. France
précité, § 129.
107 I.M. c. France, précité, §
134.
108 Ibid. § 132.
109 Èonka c. Belgique, §§ 81-83 ;
Gebremedhin précité, § 66 ; M.S.S. c. Belgique et
Grèce, précité, §§ 290 à 293 ; et
I.M. c. France, précité, § 132.
La Cour a insisté sur cette caractéristique en
disant que « l'article 13 exige un recours interne habilitant à
examiner le contenu du grief et à offrir le redressement
approprié, même si les Etats jouissent d'une certaine marge
d'appréciation quant à la manière de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition110 ».
La Cour crée ainsi une obligation pour les Etats de
mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que l'examen du recours,
c'est-à-dire de la demande d'asile, ait lieu. Permettre au recours de
suspendre d'autres procédures en cours, surtout une procédure
d'expulsion, fait partie de ces moyens. La Cour a aussi rappelé le
caractère subsidiaire que revêt, par rapport aux systèmes
nationaux, le mécanisme de plainte devant elle, puisqu'elle se garde
d'examiner elle-même les demandes d'asile ou de contrôler la
manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de
la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de
savoir s'il existe des garanties effectives qui protègent le
requérant contre un refoulement arbitraire vers le pays qu'il a
fui111. Ainsi elle insiste sur la responsabilité qui
pèse sur les Etats pour que les demandes d'asile soient effectivement
observées. Elle entend aussi par là rétablir l'ordre
bouleversé par l'utilisation systématique des mesures provisoires
pour empêcher les expulsions afin que les demandes soient
examinées. Trop souvent les recours ont pu être pris en compte
grâce à une mesure provisoire. Les juges veulent ainsi mettre en
avant qu'il revient aux Etats de satisfaire l'exigence d'effectivité et
par là même du caractère suspensif des recours.
Cette exigence est surprenante au regard d'un arrêt de
1991, où la Cour affirmait que l'article 13 de la CEDH n'allait pas
jusqu'à exiger une forme particulière de recours112 .
Ce n'est que dans les années 2000 que l'exigence s'est renforcée
et que le caractère suspensif est devenu absolument indispensable selon
les juges. Un certain nombre d'affaires ont alors rendu compte de cette
primordialité.
Dans l'affaire Gebremedhin contre
France113 de 2007 par exemple la Cour a conclu à la
violation de l'article 13 de la CEDH en raison de l'absence d'un recours qui
ait pu suspendre la mesure d'éloignement ou d'expulsion car
l'exécution de cette mesure exposait à des traitements contraires
à l'article 3. En l'espèce, il s'agissait d'un demandeur d'asile
érythréen qui avait été maintenu en zone d'attente
à l'aéroport de Roissy. Or l'absence de recours suspensif de
plein droit contre les décisions de refus d'admission sur le territoire
et de réacheminement a été jugé contraire à
l'article 13. La jurisprudence de la Cour a des
110 Cour EDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, Req.
no 40035/98, § 48.
111 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce,
précité, §§ 286 et 287.
112 Arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni
précité, § 122.
113 Cour EDH, 26 avril 2007, Gebremedhin [Gaberamadhien] c.
France, Req. no 25389/05.
conséquences, puisque depuis cet arrêt, une
nouvelle loi française prévoit qu'un étranger qui fait
l'objet d'un refus d'entrer sur le territoire français est en mesure
d'en demander l'annulation au président du tribunal administratif
grâce à un recours qui est suspensif114.
Cette exigence d'un recours suspensif a été
maintes fois répétée par la Cour strasbourgeoise, comme
dans l'affaire Boutagni contre France de 2010, et surtout cette
année dans l'affaire du 2 février 2012, I.M. contre
France. Il s'agissait de la demande d'asile d'un ressortissant soudanais
qui n'a été prise en compte qu'au moment de sa rétention
administrative en France. Il lui fut alors appliqué une procédure
d'asile prioritaire par l'Office Français de Protection des
Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) 115 . Or cette
procédure française, qui vise à une plus grande
célérité dans l'examen des demandes d'asile,
présente la caractéristique qu'un recours devant la Cour
Nationale du Droit d'Asile (CNDA)116 contre une décision de
rejet de l'OFPRA est dépourvue de caractère suspensif. En
l'espèce, le demandeur s'est justement vu opposer un refus de l'OFPRA,
après lequel plus rien ne pouvait empêcher son expulsion. La Cour
EDH a donc condamné la France sur le fondement de l'article 13
combiné avec l'article 3 de la Convention. Cette décision a mis
en lumière une défaillance du système d'asile en
France.
Ce même pays avait fait l'objet d'une décision
dans l'affaire Sultani de 2007, mais la Cour n'avait constaté
aucune violation de la Convention et avait conclu au rejet de la requête.
Cependant, le contexte était différent puisque le
requérant sollicitait l'asile dans le cadre d'une procédure de
réexamen d'une précédente demande rejetée. Tel
n'était pas le cas dans l'affaire I.M. contre France où
le requérant, interpellé dès son arrivée à
la frontière franco-espagnole a été condamné
à une peine d'un mois d'emprisonnement pour infraction à la
législation sur les étrangers. A sa sortie de prison, il fut
frappé d'une mesure d'éloignement, qu'il contesta sans
succès. Ce n'est qu'une fois placé en centre de rétention
qu'il put enfin formuler sa demande d'asile examinée en procédure
prioritaire, c'est-à-dire de manière
accélérée.
Sans revenir sur sa jurisprudence, la Cour EDH rappelle
souvent que l'effectivité du recours prévu par l'article 13 de la
Convention n'exige pas en principe que le recours ait un
114 Article L. 213-9 du code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile, issu de l'article 24 de
la LOI n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la
maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à
l'asile.
115 L'OFPRA est un établissement public doté de
l'autonomie administrative et financière, chargé de l'application
des textes français et des conventions européennes et
internationales relatifs à la reconnaissance de la qualité de
réfugié, d'apatride et à l'admission à la
protection subsidiaire.
116 La Cour nationale du droit d'asile est une juridiction
administrative spécialisée. Elle a une compétence
nationale pour statuer en premier et dernier ressort sur les recours
formés contre les décisions du directeur général de
l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
(OFPRA) sous le contrôle du Conseil d'État, juge de cassation.
effet suspensif117. La France a
échappé ainsi à une condamnation dans le cadre d'une
affaire où le requérant de nationalité brésilienne
se plaignait de l'impossibilité de contester le bienfondé d'une
mesure de reconduite à la frontière dans le département de
la Guyane qui est soumis à un régime dérogatoire du droit
commun en matière de législation des étrangers. Bien que
les intéressés aient la possibilité d'introduire
parallèlement un recours en référésuspension, une
telle voie de droit n'est cependant pas systématiquement suspensive.
Cependant, la Cour a dit que les Etats ne sont pas contraints, du fait de
l'article 13, de créer « une forme particulière de recours
>> et qu'ils disposent en outre d'une « marge d'appréciation
pour honorer les obligations qu'il leur impose >>118. La
protection se montre ainsi accessoire. Le ton des juges n'est pas celui qui
correspond à la protection dévolue à l'article 3 pour
lequel aucune « marge d'appréciation >> ne semble être
permise.
D'ailleurs, l'importance de ce caractère suspensif est
surtout soulignée lorsque l'article 13 est combiné à
l'article 3 de la CEDH au regard du dommage qui est susceptible d'être
causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais
traitements. Ainsi, les demandeurs d'asile doivent bénéficier
plus que quiconque d'un recours suspensif car le renvoi vers le pays d'origine
est souvent synonyme de risque pour leur vie, leur demande d'asile portant
précisément sur celui-ci.
La Cour a également montré
l'intérêt particulier de l'article 13 de la CEDH pour les
demandeurs d'asile en dépassant une limite qui affecte ce fondement :
celle de la dépendance aux autres articles de la Convention.
B/ Le dépassement de la limite affectant le
fondement
L'article 13 « ne s'applique qu'en présence
d'allégations de violations de la Convention constituant des griefs
défendables au sens de sa jurisprudence >> 119 . Cette
règle limite considérablement l'application de l'article 13 qui
consacre pourtant un droit important pour les demandeurs d'asile, celui d'un
recours effectif. La Cour EDH a donc permis une extension de cette
dépendance obligatoire à un autre grief. La
nécessité d'être combiné avec un grief
défendable ne facilite pas la pleine effectivité de l'article 13
de la Convention.
117 Cour EDH, 5e Sect., 30 juin 2011, De Souza
Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07, § 43.
118 Ibid. § 42
119 V. par exemple Cour EDH, 1e Sect. 5 avril 2011,
Rahimi c. Grèce, Req. n° 8687/08.
Quel est le degré de dépendance du grief
tiré de l'article 13 par rapport à celui tiré de l'autre
article ? Telle est la difficulté car il n'est pas impossible que le
grief tiré de l'article invoqué en combinaison de l'article 13 ne
soit pas recevable ou n'emporte pas violation. Si la règle était
strictement appliquée, il s'ensuivrait un déni automatique du
grief tiré de l'article 13 en ces cas là. Mais la Cour
européenne a dégagé des solutions qui permettent de
conserver une certaine effectivité dans l'application de l'article 13 de
la Convention.
Elle a rappelé maintes fois que l'article 13 de la
Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se
prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils y
sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence
d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un «
grief défendable » fondé sur la Convention et à
offrir le redressement approprié. Ainsi, l'article 13 ne peut être
invoqué seul. Il doit impérativement être combiné
avec un autre article.
Or, il semble que l'exigence d'un recours effectif contre une
mesure d'éloignement ou d'expulsion qui en découle n'est
consacrée que pour les cas où il est concomitamment
allégué que l'exécution de cette mesure exposerait le
requérant à des traitements contraires à l'art 2 ou
3120. Les principes généraux relatifs à
l'effectivité des recours et des garanties fournies par les Etats
contractants en cas d'expulsion d'un demandeur d'asile en vertu des articles 13
et 3 combinés de la Convention sont résumés dans
l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce121. En
effet, comme l'article 3 est le fondement principal de la protection du droit
d'asile, c'est lui qui est naturellement combiné avec l'article 13 de la
Convention.
Cependant d'autres combinaisons sont également
retenues. Il est particulièrement intéressant de souligner la
jurisprudence récente qui a admis la combinaison de l'article 13 avec
l'article 8 qui consacre le droit à une vie privée et familiale
normale.
Cette jurisprudence unique est celle de l'arrêt De
Souza Ribeiro contre France de 2011122. Une des
originalités de cet arrêt se trouvait dans le seul examen de la
recevabilité, concernant justement l'obligation pour l'article 13
d'être invoqué en combinaison d'un grief défendable. La
question était de savoir si l'article 13 peut être invoqué
en combinaison d'un grief jugé irrecevable. La Cour a fait le choix
d'accepter la recevabilité du grief tenant à l'article 13
combiné avec l'article 8 alors même que le grief tenant à
l'article 8 pris isolément n'était plus recevable du fait de la
réparation anticipée de la violation par les autorités. Le
requérant ne pouvait plus être considéré comme
victime au sens de l'article 34 de la Convention à partir du
120 Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien]
précité ; Cour EDH, 18 Novembre 2010, Boutagni c.
France, Req. no 42360/08 ; Cour EDH, 1ère Sect. 7 juin
2011, R.U. c. Grèce, Req. n° 2237/08.
121 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce,
précité.
122 Cour EDH, 5e Sect. 30 juin 2011, De Souza
Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07.
moment où son expulsion avait été
empêchée par la délivrance d'une carte de séjour
portant la mention << vie privée et familiale123
». Il s'ensuit que son grief tiré de l'article 13 aurait du, selon
la jurisprudence de la Cour à propos de cet article, être
rejeté sur le même fondement, à savoir la perte de la
qualité de victime. Toutefois, la Cour en a décidé
autrement. Pour cela, elle s'est appuyée sur des considérations
temporelles. Selon la Cour strasbourgeoise, il fallait se placer << au
moment où le requérant a été reconduit à
destination du Brésil124 », c'est-à-dire au
moment de l'expulsion. Or, il y avait bien un problème qui se posait
à ce stade sur le terrain de l'article 8. Le grief de violation de
l'article 8 était toujours invocable. La Cour en conclut qu'il est tout
à fait possible de << poursuivre l'examen au fond du grief
tiré de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 8
125 ». Ainsi, la Cour ouvre la voie à des condamnations
sur le terrain de l'article 13 lorsqu'il a été violé
à un moment où la violation d'un autre article était bien
démontrée, peu importe le fait que le grief tiré du seul
article en question n'ai pas été jugé recevable par
ailleurs126.
Une autre solution qui permet d'améliorer
l'effectivité de l'article 13 a été envisagée par
la Cour européenne.
En effet, dans l'arrêt I.M. contre France, la
Cour a permis au requérant d'invoquer l'article 13 qui consacre le droit
à un recours effectif, alors même que la procédure en
question avait été dépassée et que la violation
avait été consommée. Il s'agissait de la question des
recours en cas de placement en procédure prioritaire. Cette
procédure française particulièrement désavantageuse
permet un examen accélérée des demandes d'asile. Le
requérant avait obtenu le statut de réfugié bien
après la dernière décision rendue par les autorités
internes à la suite du recours qu'il a exercé et dont il
dénonce l'ineffectivité devant la Cour. La violation
alléguée de l'article 3 de la Convention avait donc
déjà été réparée puisque
l'éloignement ne pouvait plus avoir lieu. Cependant, la Cour souligne
que seule l'application de l'article 39 de son règlement a pu suspendre
l'éloignement du requérant, pour lequel un laissez-passer avait
déjà été émis par les autorités
soudanaises après la présentation du requérant devant
celles-ci. Cet article 39 permet à la Cour de prendre des mesures
provisoires. Or c'est uniquement grâce au maintien du requérant
sur le territoire français, en vertu d'une telle mesure, que la CNDA a
pu poursuivre l'examen de la demande du requérant127. En
effet
123 Ibid. § 24
124 Ibid § 32
125 Ibid § 33
126 Voir Nicolas Hervieu, << Conventionalité de
l'absence de recours suspensif contre une mesure d'expulsion
<< seulement » susceptible d'affecter la vie
privée et familiale » in Lettre « Actualités
Droits-Libertés » du CREDOF, 1er juillet 2011.
127Arrêt I.M. c. France,
précité, § 33.
le recours devant cette CNDA n'avait pas de caractère
suspensif dés lors que le requérant avait été
placé en procédure prioritaire. De ce fait, le requérant
ne pouvait plus se prétendre victime d'une violation au regard de
l'article 3 de la Convention mais la question de la violation au regard de
l'article 13 restait actuelle.
En effet, le risque de traitement contraire à l'article
3 présentait << un degré suffisant de
crédibilité >> au moment où la procédure
interne litigieuse s'est déroulée128. Dès lors,
la Cour a effectivement jugé que l'intéressé n'avait pas
perdu sa qualité de << victime >> de la violation
alléguée de l'article 13 combiné avec l'article 3. Selon
la jurisprudence de la Cour, pour qu'une décision ou une mesure
favorable au requérant suffise à lui retirer la qualité de
victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu,
explicitement ou en substance, puis réparé la violation
alléguée de la Convention. Or ces conditions n'étaient pas
remplies s'agissant du grief tiré des articles 13 et 3
combinés.
Du point de vue de l'article 13, la violation avait eu lieue
sans qu'il soit possible de revenir dessus, alors qu'une violation
alléguée de l'article 3 peut évoluer, le risque de
traitements inhumains ou dégradants pouvant apparaitre puis disparaitre.
Lorsque le risque de renvoi vers le Soudan a été levé, et
qu'ainsi le requérant a perdu la qualité de victime, le
défaut d'effectivité des voies de recours disponibles en cas de
placement en procédure prioritaire existait. La Cour a ainsi
déjoué une fois de plus le fait que le grief tiré de
l'article 3 isolé n'était plus défendable en raison de la
disparition de la violation grâce à une appréciation du
grief tiré de l'article 3 au moment où le recours aurait du
être effectif en vertu de l'article 13.
Le fait que la violation ait disparue en raison du seul fait
de la mesure provisoire prononcée par la Cour a en outre
encouragé celle-ci à dégager une solution pour que la
violation alléguée de l'article 13 soit examinée. Les
mesures provisoires apparaissent trop souvent comme un substitut à la
mise en place de recours suspensifs par les Etats. Il fallait donc trancher la
question de la violation du droit à un recours effectif afin que la
France prenne ses responsabilités.
Ce même raisonnement concernant
l'indissociabilité de l'article 13 aux autres articles de la Convention
avait été retenu par la Cour EDH dans l'arrêt
Gebremedhin. La Cour a jugé qu'elle n'était pas d'accord
avec la thèse selon laquelle << l'article 13 étant
indissociable des articles de la Convention auxquels il se combine, le
requérant ne peut plus se dire victime d'une violation de l'article 13
combiné avec l'article 3 dès lors qu'il n'est plus victime de la
violation alléguée de cette dernière disposition
129>>.
128 Ibid. §100.
129 Arrêt Gebremedhin, précité,
§ 56.
Elle avait aussi considéré que la violation
alléguée sur le terrain de l'article 13 était «
consommée » c'est-à-dire qu'elle avait eu lieue et qu'elle
était irréversible au moment où le risque de renvoi vers
l'Erythrée avait disparu.
Ainsi le requérant n'avait pas perdu la qualité de
victime en vertu de l'article 13 même s'il l'avait perdu en ce qui
concernait le grief tiré de l'article 3 pris isolément.
Cette jurisprudence qui atténue la dépendance de
l'article 13 aux autres articles de la Convention renforce
considérablement son efficacité, tout comme la définition
que la Cour a donné de l'effectivité du recours, se rapprochant
sensiblement de la protection offerte sur le terrain de l'article 6 et offrant
même l'assurance d'un caractère suspensif.
Ces droits procéduraux ainsi découverts en
faveur des demandeurs d'asile grâce à l'article 13 de la
Convention sont d'une importance capitale pour que le droit d'asile existe
lui-même, c'est également ce constat qu'il est possible de dresser
concernant les droits issus de l'article 5 de la Convention.
Paragraphe 2. La protection du droit au respect de la
liberté
La Cour fait une utilisation récurrente de l'article 5
§ 1 de la CEDH pour venir encadrer les conditions de détention des
demandeurs d'asile. Selon cet article : « Toute personne a droit à
la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être
privé de sa liberté [...] ». L'article 5 § 1 de la CEDH
pose comme principe la liberté physique de la personne, de sorte que nul
n'en soit privé de manière arbitraire. Mais cette règle
générale peut souffrir d'exceptions qui sont prévues aux
alinéas a) à f) de l'article 5 § 1. L'exception posée
à l'alinéa f) permet aux Etats de restreindre la liberté
des étrangers dans le cadre du contrôle de
l'immigration130. Ainsi, les Etats ont la faculté de placer
en détention des candidats à l'immigration ayant sollicité
- par le biais d'une demande d'asile ou non - l'autorisation d'entrer dans le
pays. Cependant, des conditions entourent cette dérogation au principe
du droit à la liberté et à la sûreté.
L'enfermement doit effectivement être à la fois approprié
(A) et proportionné (B).
130 Arrêt Saadi , § 64.
A/ Un enfermement régulier
La privation de liberté doit être «
régulière » selon la Cour européenne. Cela implique
nécessairement qu'il existe une base légale à la
détention (1), mais la Cour va plus loin en exigeant que cette base
légale soit de qualité (2).
1) L'existence d'une base légale
L'enfermement des étrangers est autorisé par les
juges européens. En effet les Etats jouissent du « droit
indéniable de contrôler souverainement l'entrée et le
séjour des étrangers sur leur territoire 131 » et ont la
faculté de placer en détention des étrangers, notamment
demandeurs d'asile. Toutefois, la Cour pose comme évidence que ce droit
doit s'exercer en conformité avec les dispositions de la
Convention132. Cette règle a été
rappelée dans l'affaire Baranowski contre Pologne du 28 mars
2000. Ainsi la Cour s'en tient à son rôle qui est de
contrôler le respect de la Convention EDH. Mais en ce qui concerne
l'article 5§1 de celle-ci, le contrôle de la
régularité de la mesure ne se fait pas seulement au regard de la
Convention mais également du droit interne.
En effet, toute arrestation ou détention doit avoir une
base légale en droit interne133, c'està-dire qu'elle
doit se faire « selon les voies légales134 ». A
l'alinéa f) de l'article 5§1, il est précisé que
l'arrestation ou la détention doit être «
régulière », comme le rappelle la Cour européenne
dans sa jurisprudence. La question qui se pose est de savoir quelles sont les
voies légales auxquelles la détention doit être conforme.
La Cour exige d'abord que l'enfermement ait une base légale dans le
droit national, c'est-à-dire le droit de l'Etat où la mesure
d'enfermement a été prise.
Ce principe a été réaffirmé dans
l'arrêt du 6 mars 2001, Peers et Dougoz contre Grèce. Le
requérant se plaignait de l'illégalité et de la
durée de sa détention. La Cour rappelle qu'en exigeant que toute
privation de liberté soit effectuée « selon les voies
légales », l'article 5 § 1 impose, en premier lieu, que toute
arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. La
Cour pose effectivement l'obligation d'observer les normes de fond comme de
procédure du droit national. Mais cette obligation varie selon
l'existence ou non d'un lien direct avec la Convention EDH. En effet, les
autorités nationales doivent interpréter et appliquer le droit
131 Cour EDH, 25 juin 1996, Amuur c. France, Req.
n° 19776/92, § 41.
132 Ibid.
133 Ibid, § 50.
134 Article 5§1 de la Convention EDH.
interne, mais dans les matières où la Convention
renvoie directement à ce droit c'est la Cour EDH qui contrôle le
respect du droit interne. C'est l'existence d'une correspondance entre le droit
interne et la Convention qui justifie ce contrôle. En ce cas là,
<< la méconnaissance du droit interne entraine [directement] celle
de la Convention de sorte que la Cour peut et doit exercer un certain
contrôle >>135. Le contrôle du droit interne se
juxtapose ainsi en quelque sorte au contrôle classique de la
Convention.
Cette exigence de régularité de l'enfermement au
regard de la loi nationale est consolidée par la Cour qui insiste
également sur la qualité de la base légale.
2) La qualité de la base légale
La cour a affirmé que pour rechercher si une privation
de liberté a respecté le principe de légalité
interne, il lui incombe d'apprécier non seulement la législation
en vigueur dans le domaine considéré, mais aussi la
qualité des normes juridiques applicables aux intéressés.
Cette exigence de qualité renvoie à un principe classique en
matière de droit international. Il s'agit du principe de
sécurité juridique. La Cour parle de <<
prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble
des articles de la Convention136 >> pour expliquer cette
exigence particulière.
En effet, la qualité à laquelle fait
référence la Cour européenne implique qu'une loi nationale
autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et
précise afin d'éviter tout danger d'arbitraire137.
Ceci s'applique aux mesures d'enfermement des étrangers mais tout
particulièrement à celles qui s'adressent aux demandeurs d'asile.
En effet, dans l'arrêt Amuur contre France la Cour a
relevé l'importance du respect de la sécurité juridique en
ce qui concerne des demandeurs d'asile << compte tenu notamment de la
nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et
les impératifs de la politique de l'immigration des Etats138
>>.
A l'occasion de cette affaire, la Cour a conclu que le
système juridique français en vigueur à l'époque et
tel qu'il a été appliqué dans cette affaire n'avait pas
garanti de manière suffisante le droit des requérants à
leur liberté. En l'espèce, des somaliens étaient maintenus
dans la zone internationale de l'aéroport de Paris-Orly. La cour a
estimé qu'au moment des faits, aucun texte ne permettait au juge
judiciaire de contrôler les conditions de séjour des
étrangers ni, au
135 Parmi d'autres, Cour EDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c.
Pays-Bas, Req. n° 6301/73, § 46, § 68.
136 Arrêt Amuur c. France, précité,
§ 50 ; Cour EDH, Dougoz c. Grèce, Req. n° 40907/98,
§ 55.
137 Ibid.
138 Ibid.
besoin, d'imposer à l'administration une limite
à la durée du maintien litigieux et ne prévoyait un
accompagnement juridique, humanitaire et social ni ne fixait les
modalités et les délais d'accès à une telle
assistance afin que soient assurées les démarches des demandeurs
d'asile, tels que les requérants. Il y avait donc une détention
arbitraire.
Dans l'arrêt Baranowski contre Pologne du 28
mars 2000139 la Cour confirme que lorsqu'il s'agit d'une privation
de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au
principe général de la sécurité juridique. Il est
essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du
droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même
soit prévisible dans son application, de façon à remplir
le critère de << légalité » fixé par la
Convention. Toute loi doit donc être suffisamment précise pour
permettre au citoyen de prévoir, à un degré raisonnable
dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à
dériver d'un acte déterminé.
L'importance de la qualité de la base légale
exigée a encore été soulignée à l'occasion
de l'arrêt Riad et Idiab contre Belgique de 2008 140.
Dans cette affaire, deux libanais, demandeurs d'asile politique au Royaume-Uni
furent placés au << Centre 127 ». Ils formèrent une
demande d'asile qui fut rejetée. Les requérants
dénonçaient les conditions de leur détention dans la zone
de transit de l'aéroport de Bruxelles-National, à la suite de
leur entrée irrégulière sur le territoire belge. Le fait
de << détenir » un individu dans cette zone durant une
période indéterminée et imprévisible, sans que
cette détention se fonde sur une disposition légale
concrète ou sur une décision judiciaire valable et avec des
possibilités de contrôle judiciaire limitées vu les
difficultés de contact permettant un accompagnement juridique concret, a
été jugé contraire au principe de sécurité
juridique.
Les juges vérifient ainsi si une base légale
à la détention existe en droit interne et si celle-ci est de
qualité afin de déterminer si l'enfermement est régulier.
Mais en plus d'être régulier, l'enfermement doit aussi être
proportionné.
139 Cour EDH, 28 mars 2000, Baranowski c. Pologne, Req.
n° 28358/95.
140 Cour EDH, 24 janvier 2008, Riad et Idiab c.
Belgique, Req. n° 29787/03 et 29810/03.
B/ Un enfermement proportionné
La Cour opère un contrôle afin de
déterminer si l'enfermement est justifié. Cet examen porte
à la fois sur la question de savoir si l'enfermement est
approprié au motif de détention (1), et s'il est
proportionné au statut du détenu (2).
1) Un enfermement approprié au motif de
détention
L'article 5 § 1 n'exige pas seulement que la privation de
liberté soit encadrée par la loi mais également qu'elle
soit conforme au but consistant à protéger l'individu contre
l'arbitraire. La Cour exige ainsi la conformité de toute privation de
liberté au but de l'article 5141. Or, pour ne pas être
taxée d'arbitraire, une mesure privative de liberté prise sur le
fondement de l'article 5 § 1 f) doit se faire de bonne foi et être
étroitement liée au motif de détention invoqué par
le Gouvernement142.
Pour les étrangers, la détention est souvent le
préalable à une expulsion, c'est-à-dire un moyen de
prévenir leur évasion avant de les renvoyer. Le temps de
détention devient alors aussi celui de la procédure d'expulsion.
Au regard du but visé par le deuxième volet de l'article 5 §
1 f) qui concerne la politique d'immigration, la Cour considère que,
tant qu'un individu fait l'objet d'une << procédure d'expulsion en
cours » contre lui, cette disposition n'exige pas que sa détention
fût en outre considérée comme << raisonnablement
nécessaire », par exemple pour l'empêcher de commettre une
infraction ou de s'enfuir, comme le prévoit l'article 5 § 1
c)143.
La détention doit ainsi être proportionnée
au motif qui est invoqué pour la justifier mais plus
précisément un lien doit exister entre celle-ci et les conditions
de détention c'est-àdire le lieu et le régime de
détention144. Concernant le demandeur d'asile le motif de
détention renvoie à l'alinéa f) de l'article 5§1
selon lequel la privation de liberté est justifiée << s'il
s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières
d'une personne pour l'empêcher de pénétrer
irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une
procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours ». En d'autres
termes, c'est le contrôle de l'immigration qui justifie
141 Arrêt Amuur précité, § 50 ;
Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, §
74, Arrêt Saadi précité, § 67.
142 Arrêt Saadi précité, §
74
143 Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni,
Req. n° 22414/93, § 112 ; Cour EDH, 19 janvier 2012, Popov c.
France, Req. n° 39472/07 et 39474/07, § 120.
144 Cour EDH, 30 juillet 1998, Aerts c. Belgique, Req.
n° 25357/94, § 46 ; Arrêt Mubilanzila Mayeka et
KanikiMitunga précité, § 53.
l'enfermement. Or, le lieu et les conditions de
détention doivent être appropriés à ce
motif145. La Cour met ainsi en exergue que les mesures de
détention s'appliquent à des ressortissants étrangers qui,
le cas échéant, n'ont pas commis d'autres infractions que celles
liées au séjour. De ce fait, si la procédure d'expulsion
n'est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse
d'être justifiée au regard de l'article 5§1
f)146.
La notion de conditions de détention fait notamment
référence à la durée de celle-ci. En effet, la
durée de la mesure d'enfermement ne doit pas excéder le
délai raisonnable pour atteindre le but poursuivi. L'arrêt
Saadi contre Royaume-Uni de 2008 offre un exemple de cette
règle. Dans cet arrêt la Cour a souligné que la mesure de
détention s'appliquait non pas à des auteurs d'infractions
pénales mais à des étrangers qui, craignant souvent pour
leur vie, fuient leur propre pays de sorte qu'il fallait en tenir compte dans
l'application de la mesure d'enfermement. Or, la cour avait conclu qu'il n'y
avait pas eu violation de l'article 5§1 eu égard au contexte de
l'affaire. En effet le Royaume Uni était confronté à de
sérieux problèmes administratifs à l'époque car le
nombre de demandeurs d'asile connaissait une augmentation vertigineuse. Il
n'était donc pas incompatible avec l'article 5 § 1 f) de
détenir le requérant pendant sept jours dans des conditions
convenables, afin de permettre un traitement rapide de sa demande d'asile.
Cette jurisprudence a été reprise dans deux affaires concernant
des faits similaires, l'affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki
Mitunga147, et l'affaire Muskhadzhivyeva et
autres148 mais encore dans l'arrêt récent
Popov contre France du 19 janvier 2012149.
Quant à la durée, la mise en oeuvre d'une mesure
provisoire pourrait sembler problématique. En effet, lorsqu'une mesure
provisoire est mise en oeuvre, la procédure d'expulsion est suspendue ce
qui peut allonger le temps de détention du demandeur d'asile. Ce fut le
cas dans l'affaire Gebremedhin. Mais la Cour a décidé
que la mise en oeuvre d'une mesure provisoire est en elle-même sans
incidence sur la conformité à l'article 5 § 1 de la
Convention. Elle a précisé que « le fait que l'application
d'une telle mesure empêche provisoirement la poursuite de la
procédure d'expulsion au sens du deuxième volet de l'article 5
§ 1 f) ne rend pas irrégulière une détention,
à condition que les autorités envisagent toujours l'expulsion et
que le prolongement de la détention ne soit pas
déraisonnable150 ». Une autre réponse aurait
été surprenante au regard de l'objet des mesures provisoires qui
sont justement
145 Arrêt Saadi précité, § 74 ;
Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, §
74 ; Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012, Popov c. France,
Req. no 39472/07 et 39474/07.
146Arrêt Chahal précité,
§ 113 ; Cour EDH, G.C. 19 février 2009, A. et autres c.
Royaume-Uni, Req. n° 3455/05, § 164.
147 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
précité.
148 Cour EDH, 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva et autres c.
Belgique, Req. n° 41442/07
149 Arrêt Popov précité,
§§ 116 à 118.
150 Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien]
précité, § 74.
destinées à permettre l'examen de la demande
d'asile lorsqu'une mesure d'expulsion a été prononcée.
Par conséquent, la Cour ne revient pas sur
l'autorisation d'enfermer les demandeurs d'asile, mais il apparait qu'elle
utilise la Convention pour ne pas que cet enfermement soit un obstacle au droit
d'asile. Ainsi la Cour considère tout particulièrement la
situation des demandeurs d'asile qui sont détenus en raison de leur
situation irrégulière, mais elle n'oublie pas de circonstancier
encore plus son contrôle en exigeant un enfermement adapté au
statut du détenu.
2) Un enfermement adapté au statut du
détenu
La Cour contrôle le respect de l'article 5 §1 de la
Convention au regard du motif de détention comme on l'a vu, mais
également au regard du statut du détenu. En d'autres termes, la
Cour tient compte de la personne qui est détenue en elle-même et
non pas seulement du fait qu'il s'agit d'un étranger en situation
irrégulière.
La vulnérabilité des demandeurs d'asile est
spécialement mise en exergue par la Cour européenne qui porte un
examen attentif aux affaires les concernant tel qu'on l'a
précédemment étudié pour l'article 3 de la
Convention. C'est également le cas en matière de droit à
la liberté et à la sûreté protégé par
l'article 5.
C'est surtout lorsque des enfants mineurs étrangers sont
détenus que le contrôle circonstancié du respect de
l'article 5 a montré ses vertus.
En effet, les enfants mineurs étrangers font l'objet
d'une attention particulière de la part de la Cour européenne.
Ainsi, par exemple dans l'arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
contre Belgique du 12 octobre 2006, la mineur Tabitha a été
« détenue dans un centre fermé conçu pour des adultes
étrangers en séjour illégal, dans les mêmes
conditions qu'une personne adulte, lesquelles n'étaient pas
adaptées à sa situation d'extrême
vulnérabilité liée à son statut de mineure
étrangère non accompagnée151 ». Dans ces
conditions, la Cour a estimé que le système juridique belge en
vigueur à l'époque et tel qu'il a été
appliqué en l'espèce n'a pas garanti de manière suffisante
le droit de Tabitha à sa liberté protégé par
l'article 5 de la Convention. C'est aussi dans l'arrêt Popov que
la Cour a souligné l'inadaptation de la détention au statut de
mineur migrant, mais comme nous le verrons plus loin, c'est
151 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
précité, § 103.
essentiellement sur le terrain de l'article 8 de la Convention
que cet arrêt présente un réel
intérêt152.
Grâce à une application stricte des articles 13
et 5 § 1 de la Convention, et grâce à des définitions
autonomes de plus en plus détaillées des notions qui en
ressortent, la Cour parvient ainsi à ériger une protection
efficace des droits procéduraux des demandeurs d'asile en
empêchant les entraves procédurales à l'examen des demandes
d'asile.
On ne peut malheureusement pas dire que ce degré
élevé de protection a été également atteint
en ce qui concerne la protection des droits substantiels. Celle-ci en est
plutôt à son commencement.
SECTION 2. La protection inachevée des droits
substantiels garantis par la Convention européenne des droits de
l'Homme
Les droits substantiels, aussi appelés droits
matériels, sont des règles de fond qui régissent un
domaine particulier du droit, par opposition aux droits procéduraux. Ils
sont nombreux dans la Convention européenne, pourtant seuls certains,
précisément deux, tendent à être reconnus aux
demandeurs d'asile. Il s'agit du droit au respect de la vie privée et
familiale d'une part, et des droits sociaux d'autre part. Alors que le premier
tend vers une protection avancée des demandeurs d'asile par la
Convention européenne (Paragraphe 1), les seconds font assurément
l'objet d'une protection partielle (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Vers une protection avancée du droit
au respect de la vie privée et familiale
Il n'existe pas, au regard du droit, de définition
juridique unanime de la << famille153 ». Cela peut poser
des problèmes pour une cour internationale dont la jurisprudence n'est
pas dédiée à s'appliquer à un seul Etat mais
à plusieurs, en l'occurrence quarante sept Etats pour la Cour
européenne des droits de l'Homme. Or le non respect de ce droit pour les
demandeurs d'asile est un risque face à des politiques migratoires
restrictives qui s'attache déjà à entraver le
séjour des demandeurs d'asile eux-mêmes avant même de
s'occuper de leur famille.
152 Voir Frédéric Sudre, << La pratique
française de rétention de mineurs migrants au ban de la
Convention », La semaine juridique Edition générale n°
8, 2012, p 221.
153 La Convention européenne des droits de l'Homme donne
elle-même une définition autonome de la famille, et s'y rajoute
les définitions propres au droit de chaque Etat.
Cependant, un droit a émergé pour garantir aux
migrants le droit de garder une cellule familiale unie. Certains parleraient du
droit au « regroupement familial », pourtant ni la Convention, ni la
Cour européenne ne connaissent ce vocable. Le « regroupement
familial » est une règle communautaire ou nationale, qui
prévoit des conditions d'autorisation pour que la famille d'un
étranger puisse le rejoindre sur le territoire de l'Etat où il
séjourne régulièrement. Toutefois, la Cour
européenne peut connaitre d'autres développements l'amenant
à statuer sur le droit à mener une vie familiale normale au sens
de l'article 8 de la Convention EDH dans des cas propres aux étrangers
en situation irrégulière, à savoir la fuite du pays
d'origine ou l'expulsion du pays tiers c'est-à-dire le franchissement
d'une frontière (A), mais également l'enfermement (B).
A/ Le droit au respect de la vie familiale lors du
franchissement de frontière
La famille peut être désolidarisée par le
fait d'un déplacement hors du pays d'origine. Dès lors, le droit
à une vie familiale normale au sens de la Convention peut recouvrir deux
acceptions : le droit pour un étranger de voir sa famille le rejoindre
dans le pays où il séjourne d'une part (1), et le droit de ne pas
être séparé de sa famille en cas d'éloignement
d'autre part (2). Cette distinction donne justement lieu à une
jurisprudence distincte de la Cour EDH.
1) Le droit d'être rejoint par sa
famille
Il s'agit ici de l'acception généralement admise
du droit au regroupement familial tel que certains Etats le connaisse, en
particulier les Etats membres de l'Union européenne, c'està-dire
du droit accordé aux membres de la famille d'un étranger de le
rejoindre dans le pays où il se trouve. Il est le plus souvent admis que
l'autorisation des Etats à ce regroupement se fait en faveur des membres
de la famille d'un étranger résidant régulièrement
sur leur territoire. Cela signifie qu'un étranger en situation
régulière aurait le droit de faire entrer d'autres
étrangers sur le territoire de l'Etat où il réside pour
l'unique raison qu'ils font partie de sa famille. Ce droit n'est pas exactement
reconnu par la Convention dont l'article 8 énonce en son alinéa
1er que « toute personne a droit au respect de sa vie
priée et familiale [...] ». Il s'agit donc plus exactement d'un
droit à la protection de la vie familiale. Plus restreint, que le droit
au regroupement familial prévu notamment par une directive de l'Union
européenne154,
154 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative
au droit au regroupement familial.
le droit prévu à l'article 8 de la Convention
n'impose pas aux Etats signataires d'accepter les membres de la famille de
l'étranger en situation régulière ou
irrégulière dans le pays d'accueil155. Cela n'a pas
empêché la Cour de permettre aux étrangers de se
prévaloir de la Convention afin de faire valoir un droit au <<
regroupement familial ». Ce droit tel qu'il ressort de l'article 8
présente d'autant plus d'intérêt qu'il touche tous les
justiciables au sens de la Convention et donc également les
étrangers en situation irrégulière présents sur le
territoire d'un Etat contractant. Cela concerne donc ici encore les demandeurs
d'asile alors que ce n'est pas ce qui est prévu par la Directive de
l'UE.
Toutefois, dans l'arrêt fondateur du 28 mai 1985,
Abdulaziz, Cabales et Balkandali contre Royaume Uni156, la
Cour de Strasbourg a entendu garantir aux étrangers le
bénéfice de l'article 8 de la Convention. Elle a effectivement
déclaré que l'on << ne saurait exclure que des mesures
prises dans le domaine de l'immigration risquent de porter atteinte au droit au
respect de la vie familiale, garanti par l'article 8157 ».
Toutefois, confrontée à un domaine sensible pour lequel les Etats
se considèrent largement souverains, la Cour n'est pas allée
jusqu'à reconnaître une garantie absolue de ce droit face aux
politiques migratoires nationales. Pour elle, en l'espèce, <<
l'article 8 ne saurait s'interpréter comme comportant pour un
État contractant l'obligation générale de respecter le
choix, par des couples mariés, de leur domicile commun et d'accepter
l'installation de conjoints non nationaux dans le pays. » Dans ces trois
affaires jointes, << les requérantes n'ont pas prouvé
l'existence d'obstacles qui les aient empêchées de mener une vie
familiale dans leur propre pays, ou dans celui de leur mari, ni de raisons
spéciales de ne pas s'attendre à les voir opter pour une telle
solution158 ».
En conséquence, << il n'y a pas eu "manque de
respect" pour la vie familiale, ni donc infraction à l'article 8
considéré isolément »159. La
souveraineté des Etats n'est ainsi pas remise en cause par la Cour dont
la jurisprudence apparait ici réservée.
De même, avec l'arrêt Sen contre Pays-Bas
du 21 décembre 2001, la Cour européenne des droits de l'homme a
précisé que << l'article 8 peut engendrer des obligations
positives inhérentes à un "respect" effectif de la vie familiale.
Les principes applicables à pareilles obligations sont comparables
à ceux qui gouvernent les obligations négatives. Dans les deux
cas, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager
entre les intérêts concurrents de l'individu et de la
société dans son ensemble ; de même, dans les deux
hypothèses, l'État jouit
155 Denis Martin, << La Cour de justice et le droit au
regroupement familial : trop ou trop peu ! », RTDH 2008, p. 603.
156 Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et
Balkandali, Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.
157 Ibid., § 60.
158 Ibid § 68.
159 Ibid § 69.
d'une certaine marge d'appréciation160
».
Le contrôle de proportionnalité qui n'est pas
réservé aux affaires touchant au droit des étrangers,
n'est cependant pas une technique juridique utilisée de manière
anodine. La Cour se prémunit aussi contre les contestations des Etats
qui refuseraient l'application d'un droit inconditionnel au « regroupement
familial ». Ainsi au paragraphe 36 du même arrêt, la CEDH a
précisé les principes applicables en la matière, tels
qu'énoncés dans ses arrêts Gül contre
Suisse161, du 19 février 1996 et Ahmut contre
Pays-Bas162 du 28 novembre de la même année. En
premier lieu, « l'étendue de l'obligation pour un État
d'admettre sur son territoire des parents d'immigrés dépend de la
situation des intéressés et de l'intérêt
général. » En deuxième lieu, selon « un principe
de droit international bien établi, les États ont le droit, sans
préjudice des engagements découlant pour eux de traités,
de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol. » En
troisième lieu, « en matière d'immigration, l'article 8 ne
saurait s'interpréter comme comportant pour un État l'obligation
générale de respecter le choix, par des couples mariés, de
leur résidence commune et de permettre le regroupement familial sur son
territoire.163 »
Il n'y a donc pas de règle générale en la
matière. C'est même plutôt l'imprévision qui
règne. Seule la jurisprudence concernant des enfants offre une certaine
sécurité.
En effet, la Cour a l'habitude de leur dédier une
jurisprudence circonstanciée du principe d'intérêt
supérieur de l'enfant. Dans les décisions intéressant
l'article 8 de la CEDH, comme pour celles intéressant l'article 3, les
juges prennent en considération l'âge des enfants
concernés, leur situation dans leur pays d'origine et leur degré
de dépendance par rapport à des parents164 comme nous
l'avons vu précédemment. Or, la Cour donne l'impression qu'un
constat de violation de l'article 8 de la CEDH s'impose dès lors qu'un
enfant est concerné. Ce n'est pas une règle énoncée
par la Cour mais un sentiment qui se dégage à la lecture de sa
jurisprudence.
Le caractère régalien du droit des
étrangers ressort ainsi amplement de cette jurisprudence, et c'est la
même constatation qui s'impose à l'étude du droit de ne pas
être éloigné de sa famille.
160 Cour EDH, 21 décembre 2001, Sen c/ Pays-Bas,
n° 31465/96, § 31
161 Cour EDH 19 févr. 1996, Gül c/ Suisse,
Req. n° 23218/94, § 38.
162 Cour EDH 28 nov. 1996, Ahmut c/ Pays-Bas, Req.
n°21702/93, § 67.
163 Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali
c. Royaume Uni, Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.
164 Arrêt Sen précité, § 37 ;
Cour EDH 31 janv. 2006, Rodrigues da Silva c. Pays-Bas, § 39.
2) Le droit de ne pas être expulsé et
séparé de sa famille
On parle parfois de << double peine » lorsqu'un
seul des membres d'une famille est frappé d'une mesure
d'éloignement, et ainsi forcé de quitter la cellule
familiale165. C'est en se fondant sur l'article 8 de la CEDH mais
également sur l'article 9 de la Convention de Rome166, que la
Cour européenne a initié une protection contre cette <<
double peine » ne touchant pas seulement la personne expulsée, mais
également sa famille. Mais la Cour s'est montrée, sur ce terrain
sensible, très timide.
Elle distingue la situation des étrangers
illégalement établis sur le territoire d'un État membre de
celle des étrangers en séjour régulier mais faisant
l'objet d'une mesure d'expulsion à la suite d'une condamnation
pénale.
En ce qui concerne les étrangers qui se sont
établis illégalement sur le territoire d'un Etat contractant, la
Cour refuse généralement de reconnaître le droit de ne pas
être expulsé pour raison familiale ce qui reviendrait à
accorder à ces personnes un véritable droit de séjour sur
le fondement de l'article 8167. Toutefois, il arrive que, compte
tenu des circonstances particulières d'une affaire, la Cour prenne
exceptionnellement une décision inverse168. L'aléa
dans la reconnaissance de la violation de ce droit n'en fait donc pas une
garantie importante pour cette catégorie d'étrangers.
Or, l'étranger, avant de déposer une demande
d'asile n'est pas en situation régulière, il ne
bénéficie donc d'aucune protection de sa vie familiale.
La difficulté de protéger le droit à une
vie familiale normale des demandeurs d'asile est particulièrement
révélatrice de la particularité de leur statut. En effet,
ce statut n'étant que temporaire, il n'apparait pas toujours utile aux
yeux des autorités nationales de leur reconnaitre certains droits
fondamentaux. Nul ne sait combien de temps un demandeur d'asile
séjournera sur le territoire, car il est susceptible d'être
renvoyé dans son pays d'origine à n'importe quel moment.
Dès lors, la mise en oeuvre du rapprochement de la famille n'est pas
aisée ni jugée raisonnable tant que leur situation n'est pas
stabilisée. Les procédures de demande d'asile peuvent pourtant
être longues et périlleuses, et le soutien de la famille peut
alors s'avérer comme essentiel.
En ce qui concerne les étrangers en situation
régulière dans le pays d'accueil, les
165 Henri Labayle, << Le droit au regroupement familial,
regards croisés du droit interne et du droit européen »,
RFDA, 2007, p. 101.
166 Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de
l'enfant.
167 Cour EDH 13 mai 2003, Chandra et autres c. Pays Bas,
Req. n° 5302/99
168 Cour EDH, 31 janvier 2006, Rodrigues da Silva et
Hoogkamer c. Pays Bas, Req. n° 50435/99, § 44.
décisions sont tout à fait différentes
puisque le droit de ne pas être éloigné au regard du risque
pour l'unité familiale est envisageable même s'il est largement
conditionné169.
Si la jurisprudence établi une telle distinction en la
matière, c'est certainement parce qu'elle ne peut pas faire autrement.
Mais la marge d'appréciation qui est laissée aux Etats concernant
l'entrée et le séjour des migrants sur leur territoire fait alors
obstacle à toute avancée sur le terrain de l'article 8 de la
Convention. L'application des droits de l'Homme trouve ici des limites.
Toutefois la Cour a montré qu'elle pouvait les dépasser.
B/ Le droit au respect de la vie familiale lors de la
détention
Ce droit au respect de la vie familiale lors de la
détention est très particulier en raison des circonstances qui
amènent les personnes à l'invoquer. En effet, il s'agit du cas de
parents qui seraient détenus en présence de leurs enfants. Il y a
donc d'autant plus d'originalité dans ces circonstances que la
détention d'enfants n'est permise que dans trois pays parties à
la Convention. Au départ, ce n'était qu'en faveur des mineurs
isolés que la rétention avait été condamnée
sur le terrain de l'article 8170 mais l'arrêt Popov
de 2012 a étendu l'applicabilité de l'article 8 de la CEDH aux
mineurs enfermés avec leurs parents.
Il n'est donc pas question de réunification puisqu'ils
sont déjà réunis. Mais au regard de l'intérêt
supérieur de l'enfant, le fait d'être aux côtés de
ses parents ne suffit pas à préserver le droit à une vie
familiale. En effet, c'est une véritable obligation positive que la Cour
fait peser sur les pouvoirs publics de l'Etat en question en sorte que le
respect de la vie familiale doit être effectif. Il s'agit pour les Etats
« d'agir de manière à permettre aux intéressés
de mener une vie familiale normale171 >>. Or le seul fait que
les membres de la famille soient réunis ne suffit pas à garantir
le respect du droit à une vie familiale normale, «
particulièrement lorsque la famille est détenue
>>172. Au contraire, la Cour a considéré que le
seul fait de maintenir la famille dans un lieu de privation de liberté
pendant quinze jours pouvait s'analyser comme une ingérence dans
l'exercice effectif de leur vie familiale173. Le juge a alors
opéré un contrôle de proportionnalité et de
nécessité afin de savoir si l'ingérence pouvait « se
justifier sous l'angle du paragraphe 2 de l'article 8, c'est-à-dire si,
« prévue par la loi >>, elle poursuit
169 Cour EDH, 2 août 2001, Boultif c. Suisse, req.
n° 54273/00 ; Cour EDH, 30 oct. 2006, Üner c. Pays-Bas, Req.
n° 46410/99
170 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
précité.
171Arrêt Popov précité,
§ 133.
172 Ibid, § 134.
173 Ibid.
un ou des buts légitimes énumérés
dans cette disposition et est << nécessaire dans une
société démocratique >>, pour le ou les atteindre
>>174.
Ce contrôle par les juges européens a
été sans appel puisque selon eux d'autres moyens auraient du
être envisagés pour parvenir au but poursuivi par les
autorités, à savoir l'éloignement.
Cette condamnation de la France par la Cour européenne
est primordiale car sous l'angle de l'article 8 de la CEDH, la Cour
réussit à dénoncer l'enfermement abusif des familles de
migrants. Certes elle ne l'interdit pas mais elle souligne que la France compte
parmi les trois seuls pays européens qui recourent
systématiquement à l'enfermement des mineurs
migrants175, et elle met en exergue l'obligation pour les
autorités de << limiter autant que faire se peut la
détention de familles accompagnées d'enfants et préserver
le droit à une vie familiale176 >>. Le durcissement des
exigences conventionnelles est ici perceptible comme le souligne
elle-même la Cour au paragraphe 147 de cet arrêt177.
L'article 8 de la Convention devient immanquablement, mais non
sans difficultés, un instrument de protection efficace pour les
demandeurs d'asile. Toutefois la protection des droits sociaux ne fait pas
écho à cette avancée.
Paragraphe 2. Une protection imparfaite des droits sociaux
des demandeurs d'asile
En comparaison avec les quelques garanties offertes aux
demandeurs d'asile, les droits sociaux sont loin d'être pleinement
garantis aux demandeurs d'asile. Leur protection apparait assurément
comme la plus accessoire. La reconnaissance de ceux-ci au profit des demandeurs
d'asile est donc lente (A) mais la Cour y parvient avec parcimonie (B).
A/ La lente reconnaissance des droits sociaux au profit
des demandeurs d'asile
Il peut paraitre invraisemblable de parler des droits sociaux
au regard de la Convention EDH, traditionnellement consacrée aux droits
<< de première génération >>, dits <<
classiques >>. La garantie des droits sociaux révèlerait
alors un système de protection abouti, englobant les droits de
première mais également de seconde génération. La
Convention européenne des
174 Ibid. § 135.
175 Ibid, § 142.
176 Ibid, § 147.
177 A propos de l'arrêt Muskhadzhivyeva et autres
précité, dont le grief similaire avait été
déclaré irrecevable.
droits de l'Homme a pour objet la défense des droits
<< fondamentaux178 », ou droits de l'Homme, pris en son
sens universel c'est-à-dire en tant que droits de l'humain. Elle ne
contient donc pas l'énoncé de droits sociaux. Faut il y voir
l'aveu que les droits sociaux ne sont pas considérés comme des
droits fondamentaux, universels ?
La définition de ces droits sociaux nous aiderait
à répondre à cette interrogation, pourtant celle-ci est
fuyante. Pour D. Roman, ils recouvriraient << le droit d'exercer une
activité professionnelle et le droit de bénéficier de
prestations sociales protectrices palliant les carences du libre jeu du
marché179 ». Il s'agit là d'une vision
très économique et occidentale de ces droits qu'il parait
difficile de concilier avec l'universalité des droits de l'Homme telle
qu'ils sont protégés par la Convention EDH. Pourtant, la
jurisprudence de la Cour a donné quelques indices de
l'intérêt qu'elle tend à accorder à ce sujet. Cet
intérêt a été explicité dès 1979 dans
l'arrêt Airey 180 où les juges ont
consacré ce que F. Sudre a appelé la <<
perméabilité » de la Convention européenne aux droits
sociaux181. Il ne s'agissait pas d'une affaire touchant des
étrangers, et encore moins des demandeurs d'asile. Cela parait assez
évident au regard de la subsidiarité de ces droits par rapport
aux droits de première génération, mais encore au regard
du statut particulier de demandeur d'asile qui n'est pas encore admis à
la qualité de réfugié c'est-à-dire à une
protection égale à celle des nationaux des Etats parties. De
plus, cette jurisprudence non spécifique aux étrangers reste
extrêmement timide tant la Cour laisse une large place à la marge
d'appréciation des Etats dans le domaine social.
Néanmoins, ces droits sociaux laissent transparaitre
une dimension universelle si l'on conçoit qu'il s'agit du droit à
des conditions de vie décentes, recouvrant par là même tous
les aspects de la vie sociale, économiques et non économiques.
L'article 3 de la CEDH pourrait alors fonder ce droit à un minimum de
conditions sociales pour tous, nationaux et étrangers. Jamais cette
possibilité n'a été soulevée avec grand
enthousiasme. Seuls certains juges l'ont admis et la doctrine a pu parler de
droit à des << moyens de subsistance minimaux ». Il y aurait
ainsi, selon certains, une obligation à la charge des Etats de ne pas
priver un individu de son droit fondamental à des moyens pour vivre.
L'unanimité n'est pas la règle, tant les droits sociaux
apparaissent comme périphériques aux yeux de juges
déjà en proie à des difficultés
178 V. en ce sens les stipulations très explicites du
Traité de Londres, signé le 5 mai 1949 et fondant le Conseil de
l'Europe
179 Diane Roman, << Les droits sociaux des immigrants
légaux : aspects de droits européens » in L'immigration
légale : aspects de droits européens, Bruylant 2011, p.
175.
180 Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, Req.
n° 6289/73, § 26.
181 F. Sudre, << La `perméabilité' de la
Convention européenne des droits de l'Homme aux droits sociaux »,
Mélanges J. Mourgeon Bruylant, 1998, pp. 467-478.
pour permettre une protection effective des droits
procéduraux et substantiels des demandeurs d'asile tels que ceux
protégés par l'article 5 ou 13 mais encore l'article 8 comme on
l'a vu précédemment examinés.
Ce ne serait pourtant pas contre l'avis de certains Etats
membres comme par exemple le Royaume Uni dont la Chambre des Lords a
formulé un avis favorable à la reconnaissance du droit à
des moyens de subsistance minimaux à l'égard des demandeurs
d'asile souvent les plus délaissés dans le système
social182. En effet, les juges britanniques ont estimé que le
fait, pour le ministère, de refuser le gîte et le couvert aux
demandeurs d'asile n'ayant pas demandé rapidement ce statut à
leur arrivée est inhumain et dégradant et ainsi contraire
à l'article 3 de la CEDH. En France, les demandeurs d'asile, une fois
leur demande formulée, bénéficient légalement d'une
protection sociale minimale, et notamment d'un logement. Le Conseil d'Etat a
même reconnu, par une ordonnance du 10 février 2012, que
l'hébergement d'urgence était au nombre des libertés
fondamentales183. La jurisprudence de la Chambre des Lords pourrait
donc aisément s'appliquer en France en cas de non respect de cette
législation.
La Cour européenne n'a pas entendu s'exprimer aussi
franchement. Elle a effectivement émit l'idée que les conditions
de vie pouvaient soulever un questionnement sous l'angle de l'article 3 mais
uniquement lorsque cela atteindrait un degré de gravité minimal.
Et c'est dans cette même jurisprudence qu'elle a
préféré se désengager en disant, comme elle
pourrait le faire pour le droit d'asile, que la « Convention ne garantit
pas, en soi, des droits socioéconomiques, notamment le droit à un
logement gratuit, le droit au travail, le droit à l'assistance
médicale, ou encore le droit de réclamer une aide
pécuniaire à l'Etat pour préserver un certain niveau de
vie »184. Certes, mais ça ne signifie pas que les juges
ne puissent pas reconnaitre un minimum de protection de ces droits par une
interprétation extensive de certains articles. L'article 3 de la
Convention interdit les traitements inhumains et dégradants. Or il ne
peut être contredit que certaines conditions d'accueil sont telles qu'il
peut s'agir d'un traitement inhumain ou dégradant. C'est ce qui ressort
de la jurisprudence concernant les demandeurs d'asile.
182 R. c. Secretary of State for the Home Department, ex
parte Adam, Limbuela and Tesema, Chambre des Lords, arrêt du 3
novembre 2005, consultable à l'adresse
http://www.
publications.parliament.uk/pa/ld/ldjudgmt.htm
183 Ordonnance du 10 février 2012, M.A, n°356456.
184 Cour EDH, 28 octobre 1999, Pacenko c. Lettonie,
Req. n° Voir aussi Opinion individuelle de M. Cabral Barreto jointe au
rapport de la Commission européenne des Droits de l'Homme sur l'affaire
CEDH, B.B. c. France, 7 septembre 1998.
C'est en effet récemment avec l'effervescence du droit
d'asile en Europe notamment grâce à l'avancée de l'Union
européenne en ce domaine que la Cour s'est autorisée à
reconnaitre des droits sociaux spécifiques aux demandeurs d'asile mais
la spécificité n'est pas toujours un avantage laissant place
à une reconnaissance parcimonieuse.
B/ La reconnaissance parcimonieuse des droits sociaux
aux demandeurs d'asile
La Cour européenne s'en tient au strict minimum
concernant les droits sociaux des demandeurs d'asile. Elle leur accorde ces
droits avec parcimonie en s'occupant spécifiquement de l'accueil (1) et
de l'accès aux soins (2) des requérants.
1) L'accueil des demandeurs d'asile
C'est avec l'arrêt MSS contre Belgique et
Grèce que la Cour a entamé une jurisprudence nouvelle
concernant les droits sociaux des demandeurs d'asile, en soulignant
l'exceptionnelle gravité des conditions d'accueil
réservées à ceux-ci en Grèce. Cela ne l'a pas
empêché de rappeler sa jurisprudence classique à savoir les
arrêts Chapman185 et Muslim186.
Selon ces arrêts, << l'article 3 ne saurait être
interprété comme obligeant les Hautes Parties contractantes
à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur
juridiction [et] il ne saurait non plus être tiré de l'article 3
un devoir général de fournir aux réfugiés une
assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain
niveau de vie 187 >>.
Cependant, la particularité ici, était encore
une fois l'enchevêtrement de fondements protégeant les droits
sociaux puisque des obligations découlaient du droit national, lequel
appliquait le droit de l'Union européenne. La Cour a ainsi relevé
que << l'obligation de fournir un logement et des conditions
matérielles décentes aux demandeurs d'asile démunis fait
à ce jour partie du droit positif et pèse sur les
autorités grecques en vertu des termes mêmes de la
législation nationale qui transpose le droit communautaire, à
savoir la directive 2003/9 du 27 janvier 2003 relative à des normes
minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres. 188
>> Le reproche qui était fait aux autorités grecques
était précisément l'impossibilité pour le
requérant de par leur action ou leurs omissions
délibérées, de jouir en pratique des droits afin de
pourvoir à ses besoins essentiels.
185 Cour EDH, G.C. 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume
Uni, Req. n° 27238/95, § 99.
186 Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, no
53566/99, § 85.
187 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et
Grèce, Req. no 30696/09, §249.
188 Ibid. §250
Or, c'est précisément l'impossibilité de
jouir des droits contenus dans cette directive communautaire dite <<
directive Accueil » qui faisait la différence 189 avec
d'autres cas notamment l'affaire Müslim190.
L'autre originalité de la situation tenait à la
qualité de demandeur d'asile, appartenant à un << groupe de
la population particulièrement défavorisé et
vulnérable191 », car la protection qui lui revient est
alors << spéciale192 ». Pour se justifier la Cour
européenne n'hésite pas à se référer
à la Convention de Genève et à la directive <<
Accueil » de l'Union européenne. Cependant, cela soulève une
évidence. La Cour européenne n'est pas précurseur en ce
domaine. Le consensus193 dont elle fait état s'est construit
à ses dépens alors même qu'elle fait figure de grande
protectrice des droits humains en Europe. Cette référence
à d'autres instruments internationaux n'est donc pas seulement la preuve
de l'extension de son champ d'action, mais également l'aveu d'une lacune
en ce qui concerne le droit d'asile.
Enfin, les juges ont fait appel à des tiers
(Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, H.C.R.,
organisations non gouvernementales) afin d'avoir une expertise complète
sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Grèce. L'affaire
dépassait donc le cadre des seules allégations du
requérant. Il était ainsi démontré que << la
situation décrite par le requérant est un phénomène
à grande échelle et correspond à la réalité
pour un grand nombre de demandeurs d'asile présentant le même
profil que le requérant. 194»
Les juges restent ainsi réservés et les Etats
libérés de toute contrainte mais dans la limite de l'acceptable.
Toutefois il ne faut pas sous estimer cette jurisprudence, car c'est l'article
3 de la CEDH que la Cour a choisi. Et l'on sait que cet article est au centre
du système conventionnel de par son intangibilité, ce qui donne
de l'importance à la protection esquissée.
La proportionnalité est donc de mise pour ces garanties
en construction. En revanche, concernant les soins des demandeurs d'asile la
proportionnalité est tellement stricte qu'il parait presque impossible
pour les requérants de s'en prévaloir.
189 Ibid.
190 Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie,
Req. n° 53566/99.
191 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce
précité, §251.
192 Ibid.
193 Ibid.
194 Ibid §255
2) Les soins des demandeurs d'asile
Le droit aux soins fait partie intégrante des droits
sociaux. Ils semblent même permis de penser qu'il s'agit d'un
élément fondamental de ce domaine tant l'accès aux soins
peut être vital. Or, c'est précisément ceci qui fait
l'objet d'une restriction explicite par la Cour européenne en ce qui
concerne les demandeurs d'asile.
C'est dans l'arrêt N. c. Royaume Uni de 2008
que la Cour traite du droit d'être soigné. Or il s'agit d'un
renversement d'une jurisprudence de 1997 qui avait établi un lien entre
absence d'accès aux traitements médicaux et exposition à
un traitement inhumain et dégradant195. C'est donc
également à l'inverse du raisonnement qui avait permis, dans
l'arrêt M.S.S., de reconnaitre que des conditions d'accueil
globalement déplorables violent l'article 3 de la Convention que la Cour
a refusé en 2008 de reconnaitre cette violation alors que la
requérante ougandaise souffrait du sida. Elle a décidé que
<< les non nationaux qui sont sous le coup d'un arrêté
d'expulsion ne peuvent en principe revendiquer un droit à rester sur le
territoire d'un Etat contractant afin de continuer à
bénéficier de l'assistance et des services médicaux,
sociaux ou autres fournis par l'Etat qui l'expulsent196 ».
En 2008, la Cour n'a finalement pas totalement renversé
la jurisprudence antérieure, mais a plutôt renforcé les
conditions pour qu'il y ait violation. Selon elle, << l'article 3 ne fait
pas obligation à l'Etat contractant de pallier [les] disparités
en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à
tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son
territoire. Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde pour les
Etats contractants197 ». La marge nationale
d'appréciation est ici clairement inscrite. L'article 3 de la CEDH ne
pourrait ainsi jouer que << dans des cas très
exceptionnels198 ». Le caractère << très
exceptionnel » ne doit pas manquer d'étonner au regard de la
gravité de l'état de la requérante en l'espèce.
Pour la Cour, << le fait qu'en cas d'expulsion de l'Etat
contractant le requérant connaitrait une dégradation importante
de sa situation, et notamment une réduction significative de son
espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour emporter violation de
l'article 3199 ». De même ce n'est que dans des cas
très exceptionnels que << la décision d'expulser un
étranger atteint d'une maladie physique ou mentale grave vers un pays
où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à
ceux disponibles dans l'Etat contractant est susceptible de soulever
195 Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume Uni, Req.
n° 30240/96.
196 Cour EDH, G.C., 27 mai 2008, N. c. Royaume Uni, Req.
n° 26565/05, § 42.
197 Ibid.
198 Ibid § 40.
199 Ibid.
une question sous l'angle de l'article 3200 ».
Quelles sont alors ces circonstances « très exceptionnelles »
? Les juges répondent qu'il s'agit des cas où « les
considérations humanitaires militant contre l'expulsion sont
impérieuses201 ».
Dans l'affaire D. contre Royaume Uni de 1997 les
juges avaient pris en compte la circonstance que le requérant n'avait
dans son pays d'origine aucun parent désireux ou en mesure de s'occuper
de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu'un toit ou un minimum de nourriture
ou de soutien social202. La reconnaissance du droit d'être
soigné dans le pays d'accueil est ainsi très aléatoire,
nul ne peut ici prétendre connaitre la réponse que les juges
pourraient donner à un nouveau cas d'espèce en la
matière.
La seule opinion engagée pour la reconnaissance de ce
droit envers les étrangers et en particulier les demandeurs d'asile a
été donnée à l'occasion de l'affaire B.B. c.
Royaume Uni de 1998203. C'est dans une opinion
séparée jointe au rapport de la Commission que le juge Cabral
Barreto a fait savoir qu'il était anormal qu'un étranger sans
titre de séjour ne soit pas assujetti au régime de
sécurité sociale. L'affaire en question concernait un demandeur
d'asile atteint d'une maladie grave qui l'obligeait à se déplacer
régulièrement à l'hôpital. Le juge
considérait alors qu' « un étranger gravement malade, qui
réside dans un pays dans une sorte de clandestinité sans pouvoir
bénéficier pleinement du régime de la protection sociale,
se trouve dans une situation qui n'est pas conforme aux exigences de l'article
3 de la Convention ».
On ne peut pas dire que la protection des droits sociaux des
demandeurs d'asile est inexistante, cependant la Convention est encore muette
à ce sujet et la Cour ne semble pas prête à montrer un
engagement franc en ce sens. Le constat qui s'impose est bien celui d'une
protection imparfaite mais pas impossible de ces droits sociaux en faveur des
demandeurs d'asile.
200 Ibid
201 Ibid
202 Arrêt D. c. Royaume Uni précité,
§52.
203 Cour EDH, 7 septembre 1998, B.B. c. Royaume Uni.,
Req. n° 30930/96.
CONCLUSION
Ces dernières années, la Cour européenne
des droits de l'Homme a montré un intérêt grandissant
à protéger les droits des étrangers. Qu'il s'agisse
spécifiquement de demandeurs d'asile ou non, les droits qui ont
été découverts ont permis une avancée certaine vers
la reconnaissance d'un droit d'asile européen. Ce droit n'a toujours pas
été inscrit dans la Convention et le dernier projet de
réforme en ce sens date du début des années
90204. Il y aurait pourtant une cohérence certaine à
le faire aujourd'hui.
La Cour européenne ne le dit pas mais sa jurisprudence
révèle ses intentions. Les affaires amènent elles
mêmes la Cour à traiter du sujet et les premiers pas vers la
reconnaissance du droit d'asile par les juges européens
sont d'ailleurs anciens. Les affaires récentes ont simplement
montré qu'il y avait urgence à inscrire ce droit dans la
Convention.
Le secrétaire général du Conseil de
l'Europe l'a avoué récemment : « il est évident que
la question de la gestion des frontières, du droit d'asile et du retour
des demandeurs d'asile déboutés a des implications
particulières au regard de la CEDH 205 ». Cependant,
c'est uniquement grâce à la protection par ricochet mise en oeuvre
par la Cour que les requérants demandeurs d'asile peuvent faire valoir
leurs droits. L'article 3 de la Convention européenne en est le meilleur
exemple car il a ouvert des perspectives incroyables aux demandeurs d'asile. De
même, la Cour s'est référée aux articles 13, 5 et 8
de la Convention pour défendre certains droits procéduraux et
substantiels à leur égard. Cependant, cette technique
présente de réels inconvénients notamment au regard du
principe de sécurité juridique. Aucune
prévisibilité n'est possible alors que la Cour fait face à
un nombre très important de personnes susceptibles d'être
concernées par la violation du doit d'asile.
De même, l'adhésion prévue de l'Union
européenne à la CEDH augmentera le nombre d'affaires portant sur
le droit d'asile car la Cour européenne devra vérifier la
conventionalité de la législation européenne. L'Union
européenne a justement mis en place un véritable régime
juridique entourant la demande d'asile. Le contentieux à ce propos sera
donc potentiellement important.
204 Dans sa recommandation 1236 de 1994, l'Assemblée
parlementaire proposait au Conseil des Ministres de modifier la Convention pour
y inscrire un droit d'asile en fondant le texte à adopter sur les
suggestions formulées dans la recommandation 293 (1961) ou dans l'Annexe
II au rapport de 1988 sur le droit d'asile (Doc 5930).
205 Document d'information SG/Inf(2011)10 rév, 10 juin
2011
La Cour avance ainsi sur un terrain qui lui est normalement
interdit et réussit à protéger le droit d'asile en
quasi-totalité. Mais la jurisprudence de la Cour ne peut pas remplacer
la force que présenterait une inscription du droit d'asile dans le texte
européen. De plus, à l'heure où la réforme de la
Cour est au centre des préoccupations, il ne fait aucun doute qu'une
mention expresse de tous les droits protégés serait une
solution.
Qu'attendre alors ? Est-ce que le droit d'asile ne doit tenir
qu'à l'activisme de la Cour ? Et peut-elle légitimement continuer
ainsi sans trop s'éloigner de la Convention et donc de son office?
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Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, Req. n°
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Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali,
Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.
Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, Req.
n° 14 038/88.
Cour EDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c.
Royaume-Uni, Req. n° 13163/87 ; 13164/87 ; 13165/87 ; 13447/87 ;
13448/87.
Cour EDH, 20 mars 1991, Cruz Varas et a. c.
Suède, Req. n° 15576/89.
Cour EDH, 19 février 1996, Gül c. Suisse,
Req. n° 23218/94.
Cour EDH, 25 juin 1996, Amuur c. France, Req.
no 19776/92.
Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, Req.
n° 22 414/93.
Cour EDH, 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, Req.
n°21702/93.
Cour EDH, 29 avril 1997, H.L.R. c. France, Req. n°
11/1996/630/81.
Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Req. n°
30240/96.
Cour EDH, 7 septembre 1998, B.B. c. Royaume Uni., Req.
n° 30930/96.
Cour EDH, Gr. Ch., 5 octobre 2000, Maaouia c. France,
Req. n° 39652/98.
Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudla c. Pologne, Req.
n°30210/96.
Cour EDH, 28 mars 2000, Baranowski c. Pologne, Req.
n° 28358/95.
Cour EDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, Req.
no 40035/98
Cour EDH, G.C. 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume Uni,
Req. n° 27238/95.
Cour EDH, 6 mars 2001, Dougoz c. Grèce, Req.
no 40907/98.
Cour EDH, 10 juillet 2001, Price c. Royaume Uni, Req.
n° 33394/96.
Cour EDH, 21 décembre 2001, Sen . Pays-Bas, Req.
n° 31465/96.
Cour EDH, 5 février 2002, Èonka c.
Belgique, Req. n° 51 564/99.
Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, Req.
n° 2346/02.
Cour EDH, 31 juillet 2003, Doran c. Irlande, Req.
no 50389/99.
Cour EDH, 1er avril 2004, Rivas c. France,
Req. n°59584/00.
Cour EDH, 4 février 2005, Mamatkulov et Askarov c.
Turquie, n° 46827/99 et 46951/99.
Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, n°
53566/99.
Cour EDH, 31 janvier 2006, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c.
Pays Bas, Req. n° 50435/99.
Cour EDH, 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeke et Kaniki
Mitunga c. Belgique, Req. n° 13178/03.
Cour EDH, G. C. 18 octobre 2006, Uner c. Pays-Bas, Req.
n° 46410/99.
Cour EDH, 1 er mars 2007, Jalloh c. Allemagne, Req
n° 54810/00.
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France, Req. no 25389/05.
Cour EDH, 20 septembre 2007, Sultani c. France, Req.
no 45223/05.
Cour EDH, 24 janvier 2008, Riad et Idiab c. Belgique,
Req. n° 29787/03 et 29810/03.
Cour EDH, 28 février 2008, Saadi c. Italie, Req.
no 13229/03.
Cour EDH, G.C. 27 mai 2008, N. c. Royaume-Uni, Req.
n° 26565/05.
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Royaume-Uni, Req. n° 3455/05.
Cour EDH, 12 juin 2009, S.D. c. Grèce, Req.
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Belgique, Req. n° 41442/07.
Cour EDH, 2 février 2010, Dalea c. France, Req.
n° 964/07.
Cour EDH, 1 septembre 2010, Y.P. et L.P. c. France, Req.
n° 32476/06.
Cour EDH, 18 novembre 2010, Boutagni c. France, Req.
no 42360/08.
Cour EDH, 21 janvier 2011, G.C. M.S.S. c. Belgique et
Grèce, Req. no 30696/09.
Cour EDH, 5 avril 2011, Rahimi c. Grece, Req. n°
8687/08.
Cour EDH, 1ère Sect. 7 juin 2011, R.U. c.
Grèce, Req. n° 2237/08.
Cour EDH, 28 juin 2011, Nunez c. Norvège, Req.
n° 55597/09.
Cour EDH, 4e Sect. 29 novembre 2011, A. et autres c.
Bulgarie, Req. n° 517776/08.
Cour EDH, 2e Sect. 20 décembre 2011,
Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, Req. n° 10486/10.
Cour EDH, 5e Sect. 30 juin 2011, De Souza Ribeiro
c. France, Req. n° 22689/07.
Cour EDH, 15 novembre 2011, Al Hanchi c.
Bosnie-Herzégovine, Req. n° 48205/09.
Cour EDH, 2e Sect. 13 décembre 2011,
Kanagaratnam c. Belgique, Req. n° 15297/09.
Cour EDH, 2e Sect. 20 décembre 2011,
Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, Req. n° 10486/10.
Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012, Popov c.
France, Req. nos 39472/07 et 39474/07.
Cour EDH, 5e Sect., 2 février 2012, I.M. c.
France, Req. n° 9152/09.
Cour de Justice de l'Union européenne :
CJUE, 1ère Ch., 28 avril 2011, Hassen El
Dridi, affaire C-61/11 PPU.
CJUE, Gr. Ch., 6 décembre 2011, Alexandre Achughbabian
c/ Préfet du Val-de-Marne, affaire C-329/11.
CJUE, Gr. Ch., 21 décembre 2011, N.S. contre
Secretary of State for the Home Department & M.E. et alii contre Refugee
Applications Commissioner, Minister for Justice, Euquality and Law Reform,
affaires jointes, C-411/10 & C-493/10.
Table des matières
Introduction ..1
CHAPITRE 1 : Le vecteur principal de la protection du
droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales 10
SECTION 1. La protection du droit d'asile établie sur un
fondement classique de la Convention européenne des droits de l'Homme
.10
Paragraphe 1. L'extension des cas de violations par une
interprétation originale de
l'article 3 de la CEDH 11
A/ La notion de violation « virtuelle» de l'article 3
de la CEDH 11
B/ La notion de violation « indirecte » de l'article 3
de la CEDH ..12
Paragraphe 2. La conventionalité du droit de
l'Union européenne, un nouveau
terrain de condamnations 15
A/ La condamnation d'un ordre juridique interne 15
B/ La répercussion sur l'ordre juridique de l'Union
européenne 17
SECTION 2. La protection du droit d'asile renforcée par
des méthodes développées par la Cour européenne des
droits de l'Homme 19
Paragraphe 1. Une mise en oeuvre de la protection par
des outils efficaces.....19
A/ La garantie d'une procédure suspensive grâce aux
mesures provisoires 19
B/ La garantie d'une procédure privilégiée
grâce à la politique de priorisation 23
Paragraphe 2. Une protection assurée par une
jurisprudence circonstanciée 25
A/ La prise en compte des éléments qui s'attachent
au droit d'asile en soi 25
1) L'actualisation de la situation politique du pays d'origine
par la Cour EDH ..25
2) Le particularisme lié à la qualité de
demandeur d'asile 26
B/ La prise en compte des éléments qui s'attachent
à la personne demandant
l'asile 28
1) Le demandeur d'asile affaibli ...28
a. Le demandeur d'asile malade 28
b. Le demandeur d'asile mineur 29
2) Le demandeur d'asile accusé de terrorisme .32
CHAPITRE 2 : Les fondements accessoires de la protection
du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales 36
SECTION 1. La protection développée des droits
procéduraux garantis par la Convention européenne des droits de
l'Homme .36
Paragraphe 1. La protection du droit au recours effectif
..36
A/ Une exigence élevée quant à
l'effectivité du recours .37
1) L'exigence d'un recours de qualité 37
2) L'exigence d'un recours suspensif 39
B/ Le dépassement de la limite affectant le fondement
42
Paragraphe 2. La protection du droit au respect de la
liberté 46
A/ Un enfermement régulier 47
1) L'existence d'une base légale .47
2) La qualité de la base légale ..48
B/ Un enfermement proportionné 50
1) Un enfermement approprié au motif de détention
..50
2) Un enfermement adapté au statut du détenu 52
SECTION 2. La protection inachevée des droits substantiels
garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme 53
Paragraphe 1. Vers une protection avancée du droit
au respect de la vie privée et familiale 53 A/ Le droit
au respect de la vie familiale lors du franchissement de
frontière ...54
1) Le droit d'être rejoint par sa famille . .54
2) Le droit de ne pas être expulsé et
séparé de sa famille 57
B/ Le droit au respect de la vie familiale lors de la
détention .58
Paragraphe 2. Une protection imparfaite des droits
sociaux des demandeurs d'asile 59
A/ La lente reconnaissance des droits sociaux au profit des
demandeurs d'asile 59
B/ La reconnaissance parcimonieuse des droits sociaux aux
demandeurs d'asile 62
1) L'accueil des demandeurs d'asile 62
2) Les soins des demandeurs d'asile 64
Conclusion 66
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