WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le droit d'asile et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

( Télécharger le fichier original )
par Clémentine PLAGNOL
Université Montesquieu Bordeaux IV - Master II droit communautaire et européen 2012
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

LE DROIT D'ASILE

ET LA CONVENTION EUROPEENNE

DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME

ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Clémentine PLAGNOL

Mémoire pour le Master II de recherche en Droit communautaire et européen
Sous la direction de Madame Catherine GAUTHIER
Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Remerciements

Mes remerciements s'adressent d'abord à Madame Catherine Gauthier pour sa patience et sa disponibilité depuis notre première rencontre.

J'adresse ensuite des remerciements tout particulier à la Cimade et à tous ses bénévoles de Bordeaux grâce à qui le sujet de mon mémoire a pris tout son sens.

Je voudrais enfin remercier ma famille et mes amis pour leur soutien tout au long de l'année.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1. Le vecteur principal de la protection du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales 10

SECTION 1. La protection du droit d'asile établie sur un fondement classique de la Convention européenne des droits de l'Homme . 10

SECTION 2. La protection du droit d'asile renforcée par des méthodes développées par la Cour européenne des droits de l'Homme .19

CHAPITRE 2. Les fondements accessoires de la protection du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales 36

SECTION 1. La protection développée des droits procéduraux garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme ..36

SECTION 2. La protection inachevée des droits substantiels garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme ..53

Introduction

<< La vie est faite d'illusions. Parmi ces illusions, certaines réussissent. Ce sont elles qui constituent la réalité.1 »

On pourrait avoir l'impression que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l'Homme ou CEDH) nous berce d'illusions, en ce sens qu'elle prétend défendre les droits de l'Homme et les libertés fondamentales, alors même que tous n'y sont pas inscrits. Ainsi le droit d'asile est absent d'un texte international aussi important que la CEDH.

Les difficultés de la reconnaissance de ce droit persistent bien que l'Histoire des migrations et du droit d'asile soit très ancienne. Au moyen âge, l'asile était conçu comme la possibilité d'être accueilli sur un territoire, par une autorité ou un établissement, afin de trouver refuge. L'asile apparaissait alors comme une action altruiste de la part de celui qui l'octroyait. L'asile donne à un territoire une dimension particulière, protectrice. C'est ce qui ressort de l'alliance des étymologies grecque et latine du mot asile2. L'asile << moderne » a émergé lentement aux XVIIIe, XIXe et surtout XXe siècles, comme une institution, tendant à accorder aux personnes injustement menacées le bénéfice d'un refuge pour se protéger contre les menaces qui pèsent sur elles dans leur pays d'origine. L'institutionnalisation du droit d'asile a véritablement débuté dès les premiers conflits mondiaux. Le XXème siècle, marqué par des conflits religieux et politiques atroces et par le creusement du fossé entre pays développés et pays en développement, a dû faire face à des mouvements importants d'individus fuyant leurs pays d'origine.

La Première Guerre Mondiale de 1914 à 1918 a été un prélude aux désastres subis par les populations déplacées pour cause de guerre. A partir de là émergea l'idée qu'il était nécessaire de créer des normes pour protéger ces populations. La Société des Nations (SDN), fondée afin de trouver des solutions pacifiques aux conflits entre États, s'est alors penchée sur la question et a créé le Haut Commissariat des Réfugiés (H.C.R.). Si cette première tentative s'est soldée par un échec, la SDN a néanmoins donné quelques pistes de réflexion à l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) fondée en 1945 à la suite de la Seconde Guerre

1Jacques Audiberti, L'Effet Glapion, Paris, Gallimard, coll. Le manteau d'Arlequin, 1959.

2 Le mot asile provient du grec ancien áóõëïí (asylon) << que l'on ne peut piller » et du latin asylum << lieu inviolable, refuge ».

Mondiale. Celle-ci ayant provoqué le déplacement de 40 millions de personnes, de vives réactions permirent enfin de poser les bases d'une protection renforcée des réfugiés.

L'O.N.U. s'est en effet emparée du sujet en édictant la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 dont l'article 14 énonce : << Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays >>. Cette Déclaration adoptée au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale a influencé nombre de règles juridiques internationales et nationales. Pour autant, elle n'a aucun effet juridique contraignant. C'est surtout en entérinant la création de l'Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (H.C.R.) le 14 décembre 1950 que les Nations Unies ont montré leur volonté de protéger les réfugiés. Disposant d'un mandat limité à trois ans, le H.C.R. s'est vu chargé de l'élaboration d'un texte. Intitulé la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés ou << Convention de Genève >>, ce fondement juridique de l'aide aux réfugiés a été adopté le 28 juillet 1951. Elle crée une obligation pour les Etats signataires de protéger toute personne qui correspond à la définition donnée d'un << réfugié >>3. Elle avait d'abord un champ d'application restreint puisqu'elle concernait uniquement les personnes menacées << par suite d'événements survenus avant le 1er janvier 19514 >> et l'Etat était tenu de préciser s'il s'agissait d'évènements survenus en Europe ou en Europe et ailleurs5. Il y avait donc une limitation du champ temporel, et un libre choix des Etats dans l'application spatiale de la Convention. Le Protocole de New York a mis fin à cette situation en 1967 en supprimant la restriction temporelle et en interdisant la limitation géographique6. La Convention de Genève devenait ainsi universelle et intemporelle.

Même si ces instruments juridiques tiraient leur source de la guerre mondiale qui les précédait, l'Histoire a montré la nécessité de l'expansion de ceux-ci, car l'O.N.U. a intervenir par la suite dans des situations de déplacement de personnes aux quatre coins du monde (déplacement en Asie et en Amérique latine dans les années 70 et 80 par exemple, puis

3 Convention de Genève, 1951, Article 1-A-2 : toute personne << qui, par suite d'événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays... >>.

4 Ibid.

5 Convention de Genève, 1951, Article 1-B-1 : << Aux fins de la présente convention, les mots << événements survenus avant le 1er janvier 1951 >> figurant à l'article 1, section A, pourront être compris dans le sens de, soit : a) << événements survenus avant le 1er janvier 1951 en Europe >> ; soit b) << événements survenus avant le 1er janvier 1951 en Europe ou ailleurs >> ; et chaque Etat contractant fera, au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion, une déclaration précisant la portée qu'il entend donner à cette expression au point de vue des obligations assumées par lui en vertu de la présente convention. >>

6 Protocole de New York, 1967, Article 1er.

en Afrique). Ces déplacements n'ont pas diminué au XXI° siècle, et le H.C.R. a été extrêmement sollicité, qu'il s'agisse des crises majeures de la République démocratique du Congo, de la Somalie ou de l'Asie. Une preuve de son utilité est l'augmentation du budget de l'organisation : de 300 000 dollars la première année, il est passé à plus de 3,59 milliards de dollars en 2012.

Parallèlement aux avancées juridiques et à la multiplication du nombre de situations de déplacement des populations, les Etats européens se sont crispés et ont radicalisé leurs politiques publiques anti-migratoires. Pour certains auteurs il y aurait eu un « retournement » de situation en ce sens que le droit d'asile s'est retourné contre les exilés eux-mêmes7. La crainte des Etats européens face aux flux migratoires est née. La protection du droit d'asile a alors fait l'objet de conditions de plus en plus importantes car la peur de la « pression migratoire » a amené nombre d'Etats à se prémunir contre elle.

Cette crispation emblématique des Etats européens a amené l'Union européenne à réagir. Cette organisation internationale créée en réaction à la Seconde guerre mondiale et comprenant 27 Etats membres s'est effectivement chargée du droit d'asile alors que ses compétences étaient au départ purement économiques. Face à l'augmentation du nombre de personnes qui tentaient d'entrer dans l'Union pour fuir les guerres, les persécutions, les catastrophes naturelles, ou simplement dans l'espoir d'un avenir meilleur, l'Union européenne a voulu créer des normes pour encadrer leur circulation. Cela s'est traduit notamment par la création de normes minimales concernant les demandeurs d'asile. Elle a par exemple établi les règles concernant les modalités et le lieu du traitement des demandes, l'accueil des demandeurs d'asile, le statut des personnes qui se voient accorder l'asile et le rôle des autorités nationales dans l'accomplissement de cette tâche.

Aujourd'hui, le droit d'asile existe donc à la fois au sein du droit national, du droit international classique, et du droit de l'Union européenne. La formalisation du droit d'asile au travers de ces trois ordres juridictionnels a permis sa juridicisation mais il est nécessaire de savoir quel est le sujet de ce droit? Qui peut s'en prévaloir?

De prime abord, le « réfugié » apparait comme le bénéficiaire historique du droit d'asile. Ce terme retenu par les Nations Unies reste une référence. Pourtant une autre catégorie de personnes doit être retenue : les demandeurs d'asile.

7 Jérôme Valluy, Rejet des exilés - Le grand retournement du droit de l'asile. Editions Du Croquant, 2009.

La distinction entre réfugié et demandeur d'asile tient au fait que le demandeur d'asile est un « réfugié potentiel », ou encore un « candidat réfugié8 ». C'est-à-dire qu'une fois que l'on se voit accorder l'asile, on devient réfugié. Le réfugié a donc forcément été demandeur d'asile auparavant. La définition retenue du « réfugié » est celle de la Convention de Genève énoncée plus haut, mais elle ne mentionne pas le demandeur d'asile. Elle opère une classification de droits auxquels il est possible de prétendre en fonction de sa situation juridique. Or, le demandeur d'asile est absent de l'énumération de ces situations. On est alors en droit de se demander si le statut de demandeur d'asile n'est pas une fiction permettant aux Etats de s'extraire des obligations que la Convention fait peser sur eux. La demande d'asile serait une situation juridique créée « clandestinement », de manière dissimulée, révélant ainsi le libre arbitre dans l'octroi des droits.

En effet, le demandeur d'asile ne relève d'aucun statut établi par le droit international classique. Sa protection peut ainsi faire l'objet du régime juridique choisi discrétionnairement par chaque Etat. Il y a donc une véritable différence avec le réfugié en termes de statut, car si l'un se trouve effectivement sur le territoire d'un Etat auquel il souhaite demander protection, l'autre a déjà obtenu l'autorisation d'y résider et d'y être protégé. Les garanties réelles n'apparaissent donc que lorsqu'un demandeur obtient le statut de réfugié. Les problèmes se posent surtout avant cette fin heureuse, lorsque l'étranger arrive dans un pays où il souhaite trouver refuge. Le droit de l'Union européenne prévoit un régime spécifique pour le demandeur d'asile qui est ainsi défini comme « un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride ayant présenté une demande d'asile sur laquelle il n'a pas encore été statué définitivement9 ». Or nous avons relevé précédemment le contexte de cette législation européenne qui s'est construite d'abord pour arrêter les flots de migrants aux portes de l'Europe dont les frontières intérieures avaient été abolies.

Les demandeurs d'asile font ainsi face à une situation particulièrement pénible tant ils sont soumis au risque des régimes dérogatoires, dérogatoire au droit des réfugiés et dérogatoire au droit des nationaux ou ressortissants des Etats membres de l'Union européenne. Cette protection nuancée n'a pas été démentie par la Cour européenne des droits de l'Homme (Cour EDH). En effet, bien que chargée de faire respecter la CEDH dans laquelle il n'est pas fait mention du droit d'asile, la Cour européenne a montré un certain intérêt à s'occuper de la protection de celui-ci.

8 Jean-Yves Carlier, Droit des réfugiés, E. Story-Sientia, Bruxelles, 1989, p.409.

9 Directive 2003/9/CE dite directive « Accueil », Article 2 (c.

Cette Cour est une juridiction internationale siégeant à Strasbourg. Elle est composée d'un nombre égal de juges à celui des Etats membres du Conseil de l'Europe ayant ratifié la CEDH. Présenté dès sa création en 1949 comme le précurseur d'une Europe en paix, le Conseil de l'Europe est chargé d'une large mission sur un grand territoire qui comprend 47 Etats. Il a pour but de créer sur tout le continent européen un espace démocratique et juridique commun, en veillant au respect de valeurs fondamentales: les droits de l'homme, la démocratie et la prééminence du droit. La défense des droits de l'Homme est donc un des objectifs essentiels du Conseil de l'Europe depuis l'origine, et son importance a été démontrée avec l'élaboration de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950.

Plus encore, l'effectivité de cette Convention s'est confirmée en 1959 par la création de la Cour européenne des droits de l'Homme qui se charge d'en contrôler le respect par les Etats signataires. Elle développe une jurisprudence autonome et dynamique. Son originalité est d'assurer une garantie juridictionnelle grâce à un recours que les particuliers peuvent directement former devant elle en cas de violation d'un des droits consacrés par la Convention10.

De plus, l'article 1er de la Convention prévoit que tous les individus, indépendamment de leur nationalité, peuvent faire valoir leurs droits devant la Cour et faire sanctionner l'insuffisance des Etats. Cet article énonce la règle selon laquelle << Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention. ». C'est ainsi qu'en dehors de toute considération de nationalité, un étranger, même originaire d'un Etat non signataire de la Convention, peut réclamer l'effectivité des droits contenus dans le texte européen. C'est donc le cas des demandeurs d'asile. Mais, paradoxalement, si ces derniers peuvent saisir la Cour européenne pour faire valoir la violation d'un des droits que la Convention EDH, ils ne peuvent pas invoquer le droit d'asile. Cette impossibilité tient à l'absence de ce droit dans le texte car, s'attachant plutôt à protéger les droits fondamentaux << classiques », les rédacteurs de la CEDH n'ont pas prévu le droit d'asile. Il est certain qu'il s'agit d'une lacune consciente, laissant aux Nations Unies le monopole de la protection du droit d'asile. La protection qui a été mise en oeuvre par le H.C.R. au moyen de la Convention de 1951 apparaissait comme autosuffisante aux yeux des rédacteurs de la CEDH qui n'ont pas estimé nécessaire d'inscrire

10 Article 34 de la CEDH selon lequel : << La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. »

ce droit. Mais cela s'est avéré archaïque de sorte que la Cour EDH a dépassé la carence textuelle en puisant dans la Convention pour dégager un droit d'asile.

Celle-ci est devenue un instrument juridique indispensable pour la défense des droits des individus. De 1959 à 2011, la Cour EDH a rendu 12 425 arrêts constatant au moins une violation de droits protégés par la CEDH. Et ceci ne rend pas compte de la totalité des demandes adressées à la Cour puisque toutes les requêtes n'aboutissent pas à un arrêt. Or, en 2011, 64 500 requêtes ont été attribuées à une formation judiciaire de la Cour européenne, et ce chiffre augmente d'année en année11. On voit ainsi que la charge de travail qui est supportée par la Cour ne diminue pas, bien au contraire. Cela a suscité des inquiétudes au point que l'on organise de grandes conférences comme celle de Brighton en avril 2012. Le thème de celle-ci souligne l'importance des problèmes puisqu'il s'agissait de parler de << l'avenir de la Cour européenne >>. Sans remettre en cause les dires de Winston Churchill, l'un des pères fondateurs du Conseil de l'Europe selon lequel << il n'y [avait] aucune raison de ne pas réussir à réaliser le but et à établir la structure de cette Europe unie dont les conceptions morales pourront recueillir le respect et la reconnaissance de l'humanité, et dont la force physique sera telle que personne n'osera la molester dans sa tranquille marche vers l'avenir >>12, les Etats membres du Conseil de l'Europe ayant ratifié la Convention ont dressé le constat d'une réforme nécessaire pour que la Cour européenne soit en mesure d'exercer sa mission. La Convention européenne est victime de son succès, mais il faut également souligner que la Cour a gagné en crédibilité grâce à une jurisprudence dynamique. En effet, puisque le texte ne dit pas tout, la Cour EDH a souvent prouvé qu'elle souhaitait étendre le champ d'application de la Convention. Elle a ainsi développé une jurisprudence particulière afin de garantir la protection d'un des droits inexistants dans le texte de la Convention13 : le droit d'asile. C'est la technique de la protection << par ricochet >> qu'elle a adopté pour parer à cette lacune. Cela signifie qu'elle protège le droit d'asile par le biais d'autres articles de la Convention. En premier lieu, l'article 3 de la CEDH qui interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants est un des articles les plus utilisés dans la défense du droit d'asile. Ensuite, l'article 5 qui consacre le droit à la liberté et la sûreté ainsi que l'article 13 qui prévoit le droit au recours, permettent à la Cour de créer des garanties procédurales du droit

11 En 2011, le nombre de requêtes attribuées à une formation judiciaire a augmenté de 10% par rapport à 2010.

12 Discours de Winston Churchill, alors Premier ministre du Royaume-Uni, le 12 aout 1949.

13Cour EDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, série A n° 215, p. 34, par. 102 ; Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, Req. n° 22 414/93, §73 : << les Etats contractants ont, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités internationaux y compris la convention, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non nationaux. Elle note aussi que ni la convention ni ses protocoles ne consacrent le droit à l'asile politique. >>. Voir aussi, Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Req. n° 30240/96, §46.

d'asile. Enfin la Cour se sert de l'article 8 afin de protéger le droit à une vie privée et une vie familiale des demandeurs d'asile.

Des textes ont bien été spécifiquement prévus pour les étrangers, mais la Cour n'a pas eu souvent recours à ceux-ci pour défendre les droits des demandeurs d'asile. Les textes en question sont deux protocoles annexés à la CEDH et un article de celle-ci : le Protocole n° 4 concernant l'interdiction des expulsions collectives et le Protocole n° 7 dont l'article 1er prévoit des garanties procédurales pour les étrangers ainsi que l'article 14 de la CEDH interdisant les discriminations. Le champ d'application limité des deux protocoles ne permet pas de développer une protection complète, et ne laisse aucune marge de manoeuvre aux juges européens. Il n'est donc pas surprenant que la jurisprudence touchant à ces textes soit quasiment inexistante. C'est un constat plus inattendu concernant l'interdiction des discriminations car il paraitrait naturel qu'il s'applique dès lors qu'un étranger fait l'objet d'une affaire devant la Cour européenne. Pourtant là aussi l'article 14 est absent de la jurisprudence relatif aux demandeurs d'asile. En conséquence, nous ne nous intéresserons ni aux Protocoles additionnels ni à l'article 14 de la CEDH.

La technique de protection par ricochet qui permet l'élargissement de la protection de certains droits de la CEDH à des droits non expressément protégés par elle, n'est pas sans soulever des interrogations quant à l'office du juge. La Cour n'excède t-elle pas la compétence qui lui est attribuée ? En 1978 ce questionnement existait déjà car le juge Matscher, dans son opinion séparée jointe à l'arrêt König contre Allemagne14 dénonçait alors l'arbitraire d'un juge qui déborderait sa fonction d'interprétation de la Convention pour « s'aventurer sur le terrain de la politique législative ». C'est finalement une technique qui permet de renforcer l'effectivité des droits garantis en réduisant les zones d'inapplicabilité de la Convention. Or, pour le droit d'asile on est en droit de se poser la question de la légitimité des juges à protéger un droit qui n'est pas directement visé dans le texte qu'ils doivent faire respecter. Cette « proactivité » de la Cour européenne qui laisse percevoir la reconnaissance implicite du droit d'asile, peut alors gêner ou encourager. Il est certain qu'elle a des impacts multiples. La CEDH est un outil de défense des droits de l'Homme reconnu à la fois par la société internationale et notamment l'Union européenne qui projette même d'y adhérer15, par les 47 Etats qui l'ont signée individuellement mais également par les Etats tiers à ces deux organisations qui y voient un modèle de défense des droits de l'Homme. L'influence de la Convention et de la jurisprudence qui en découle est importante, à la fois pour ceux qui en

14 Cour EDH, 28 juin 1978, König c. Allemagne, Req. n° 6232/73.

15 Voir Article 6.2 Traité de l'Union européenne.

sont bénéficiaires, et pour ceux qui sont sous son influence. Les juges européens ont ainsi une lourde responsabilité à supporter.

Il ne faut effectivement pas sous estimer les difficultés que la Cour EDH peut rencontrer lorsqu'elle rend un jugement, puisqu'elle doit toujours trouver un équilibre entre le droit des Etats signataires qui ont leur propre politique, et le droit issu de la Convention qu'elle entend faire respecter. De plus, certains Etats appartiennent aussi à l'Union européenne qui s'attache fortement à réglementer la situation des demandeurs d'asile. En 2011, 237 400 décisions de première instance ont été prises dans l'Union européenne à l'égard des demandeurs d'asile et le nombre enregistré de ceux-ci dans l'Union s'élevait à 301 000 16 . Par ailleurs, les liens entre la Cour EDH et la juridiction suprême de l'Union européenne, à savoir la Cour de justice de l'Union européenne, sont assez étroits. En effet, cette dernière respecte les droits fondamentaux notamment tels qu'ils sont issus de la Convention EDH en vertu de l'article 6.3 du Traité sur l'Union européenne17. Il y a donc une imbrication complexe des instruments et instances de protection du droit d'asile qu'il ne faut pas négliger, comme le prouve la jurisprudence européenne récente18.

Dans cette relation à trois (Etats, Union européenne et Conseil de l'Europe), l'imbroglio juridique voire politique est un risque. La Cour de Strasbourg doit alors agir en médiateur tout en jouant son rôle de gardienne des droits fondamentaux. On pourrait presque y voir la réalisation de la prédiction d'un autre père fondateur, Robert Schuman, qui affirmait que le Conseil de l'Europe était << le laboratoire où se préparait et s'expérimentait la coopération européenne. 19>>. Pour le droit d'asile qui divise et préoccupe, l'entreprise s'avère encore plus difficile.

16 Chiffres Eurostat, STAT/12/46.

17 << Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. >>

18 Cour EDH, 21 janvier 2011, G.C. M.S.S. c. Belgique et Grèce, Req. no 30696/09 ; puis, CJUE, Gr. Ch., 21 décembre 2011, N.S. contre Secretary of State for the Home Department & M.E. et alii contre Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Euquality and Law Reform, affaires jointes, C-411/10 & C493/10. Voir à ce sujet, Marie-Laure Basilien-Gainche, << Les gens de Dublin ont des droits : la qualification de pays d'origine sûr appliquée aux Etats membres de l'Union est une présomption réfragable >>, in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 29 décembre 2011.

19 Discours de Robert Schuman, alors Ministre des Affaires étrangères française, le 10 décembre 1951.

Il y a un dynamisme certain dans le travail de la Cour strasbourgeoise qui découvre la protection de droits occultés par la CEDH. Il en est ainsi pour le droit d'asile.

Pour autant, est-ce que la Cour EDH est véritablement parvenue, en partant de rien, à découvrir une protection complète de ce droit fondamental ?

Les juges européens ont réussi à faire de la Convention une boite de pandore pour défendre le droit d'asile. Aujourd'hui on ne peut même plus parler de droit d'asile sans parler de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit d'asile est ainsi une illusion « qui a réussi » puisqu'il constitue aujourd'hui une réalité.

Néanmoins, si les avancées en ce domaine ne sont pas négligeables, la protection offerte par la Cour EDH aux demandeurs d'asile est à parfaire car des zones d'ombres subsistent. Un vecteur principal existe pour protéger efficacement le droit d'asile par la Convention EDH (Chapitre 1), mais la protection offerte ainsi est loin d'être achevée. En effet, la protection assurée sur d'autres fondements laisse à désirer (Chapitre 2).

CHAPITRE 1. Le vecteur principal de la protection du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales

L'émergence de la protection du droit d'asile s'est faite au travers de l'article 3 de la CEDH qui garantit un droit intangible. La Cour a fait une utilisation originale de cet article essentiel de la Convention pour garantir la protection du droit d'asile. Puis, cette construction classique fondée sur l'article 3 (Section 1) s'est fortifiée par une jurisprudence circonstanciée et des outils efficaces (Section 2).

SECTION 1. La protection du droit d'asile établie sur un fondement classique de la Convention européenne des droits de l'Homme

La Convention EDH comporte divers articles mais tous n'ont pas la même valeur. L'article 3 de la CEDH selon lequel << Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitement inhumains ou dégradants » est primordial, dans la mesure où il défend un droit intangible, à propos duquel la Cour a parlé de << l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe 20 ». En 2002, la Cour a rappelé que, << contrastant avec les autres dispositions de la Convention, [l'article 3] est libellé en termes absolus, ne prévoyant ni exceptions ni conditions, et d'après l'article 15 de la Convention il ne souffre nulle dérogation.21». C'est donc naturellement, lorsqu'elle se réfère à cet article, que la Cour opère une protection majeure des demandeurs d'asile.

En outre cet article a fait l'objet d'une technique habituelle de la part de la Cour EDH qui consiste à donner des définitions autonomes à certaines notions. Ainsi elle se délie de conceptions trop restrictives, souvent conformes au droit national, pour en faire des conceptions européennes. Ce mode de formation bien connu du droit de la Convention européenne a été appliqué par la Cour européenne à la notion de << violation » au regard de l'article 3 CEDH (Paragraphe 1), aboutissant par là même à remettre en cause non pas le droit d'un Etat partie à la Convention mais celui d'une autre organisation internationale, bientôt partie à la Convention, l'Union européenne (Paragraphe 2).

20 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88, §88.

21 Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, Req. n° 2346/02, §49.

Paragraphe 1. L'extension des cas de violations par une interprétation originale de l'article 3 de la CEDH

Deux formes originales de violation de l'article 3 de la CEDH ont été dégagées par les juges de Strasbourg concernant les demandeurs d'asile : la violation << virtuelle >> (A), et par là même, la violation << indirecte >> (B), découlant toutes deux du prononcé d'une expulsion ou d'une extradition vers un autre Etat.

A/ La notion de violation « virtuelle22 » de l'article 3 de la CEDH

Une violation de l'article 3 de la CEDH devrait, a priori, être constatée lorsqu'il est admis qu'un individu a subi des traitements inhumains ou dégradants. On pense par exemple, à des violences physiques infligées pendant une garde à vue23, ou encore à la durée excessive d'une détention24. Cependant, la Cour EDH a admis des cas de violations de l'article 3 de la Convention en se fondant sur autre chose qu'un simple constat de souffrance éprouvée par une personne du fait d'un traitement contraire à l'article 3. En effet, la Cour a dégagé une notion de violation englobant de nouvelles situations, et permettant ainsi d'autres cas de condamnation. Il s'agit précisément de la notion de violation << virtuelle >>.

Depuis l'arrêt Soering25 de 1989, la Cour sanctionne le << risque réel >> que l'article 3 soit violé. En d'autres termes, il n'y a pas encore eu de torture ou de traitements inhumains ou dégradants mais la Cour condamne tout de même le défendeur. C'est en ce sens que la violation est potentielle, ou virtuelle. Condamner le risque ou la potentialité d'une atteinte pour caractériser une violation étend largement le champ d'application de l'article 3. La question que se pose la Cour dans ces cas là est de savoir dans quelles circonstances une personne éprouve un risque de subir un traitement inhumain ou dégradant de telle sorte qu'il serait contraire à l'article 3 de la CEDH. Il n'est pas surprenant que les juges européens appliquent ce type de raisonnement à l'article 3 et non pas à un autre, car l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants doit recevoir une protection absolue en raison de sa nature même. La Cour a alors souhaité étendre les cas de violations virtuelles.

22 Marc Bossuyt, Strasbourg et les demandeurs d'asile : des juges sur un terrain glissant, Bruylant, 2010.

23 Cour EDH, 1er avril 2004, Rivas c. France, Req. n°59584/00

24 Cour EDH, 27 août 1992, Tomasi c. France, Req. n°12850/87

25 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88

Dans un premier temps, la Cour admettait l'existence d'un traitement dégradant uniquement lorsqu'il était infligé par l'autorité publique.26 Désormais elle l'admet également lorsqu'il est infligé par d'autres personnes 27 , en l'occurrence des personnes privées. Récemment, ce fut le cas d'une famille dont le renvoi devait s'effectuer au Belarus, alors que le père et l'un des fils faisaient partie du mouvement d'opposition de ce pays28.

Elle pose cependant deux conditions à cette violation potentielle par des personnes privées. Il faut démontrer un risque réel comme pour toute violation virtuelle, mais encore l'incapacité de l'Etat d'y obvier par une protection adéquate. Par là même, elle fait peser sur les Etats la responsabilité de contrôler l'état des garanties de la protection des droits de l'Homme chez leurs voisins. En effet, un Etat auquel on reproche une violation virtuelle de l'article 3 de la CEDH en raison du risque réel que l'individu subisse un traitement inhumain ou dégradant par des personnes privées dans un autre Etat, sera condamné s'il a prévu d'envoyer l'individu dans ce pays alors même que le risque de violation ne pouvait être empêché par cet Etat.

Ainsi, le renvoi dans un autre Etat ne peut avoir lieu sans un examen assez approfondi des risques que la personne pourrait courir de ce fait.

La Cour européenne n'en est pas restée là puisqu'elle a également permis que la responsabilité d'un Etat soit engagée alors même qu'il n'aurait pas directement violé l'article 3 de la Convention européenne.

B/ La notion de violation « indirecte » de l'article 3 de la CEDH

La violation directe est celle qui se produit dans l'Etat partie à la Convention, Etat qui viole directement l'interdiction contenue dans l'article 3 de celle-ci.

La violation indirecte apparait quant à elle lorsque le traitement prohibé est infligé par un autre Etat, vers lequel l'étranger devrait être expulsé. C'est encore l'arrêt Soering29 de 1989 qui a découvert, avec la violation virtuelle, le cas de violation indirecte.

Ces deux violations vont généralement de pair. En effet, l'Etat défendeur est tenu pour
responsable de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants qui n'ont pas été infligés
au requérant par lui-même mais par un autre Etat vers lequel le requérant serait expulsé ou

26 Cour EDH, 25 avril 1978, Tyrer c. Turquie, Req. n° 5856/72

27 Cour EDH, 29 avril 1997, H.L.R. c. France, Req. n° 24 573/94, à propos de l'expulsion en Colombie d'une personne ayant dénoncé des trafiquants de drogue.

28 Cour EDH, 1er septembre 2010, Y.P. et L.P. c. France, Req. n° 32476/06

29 Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88

extradé, on parle alors de violation indirecte ou de responsabilité indirecte. Mais, puisque la procédure se déroule contre l'Etat en question, l'éloignement n'a en général pas encore eu lieu, le requérant ayant eu le temps de saisir la Cour. Ainsi la violation est virtuelle car c'est au regard du risque que pourrait courir le requérant après cet éloignement que la violation est admise et la responsabilité indirecte de l'Etat défendeur engagée.

Toutefois, violation virtuelle et violation indirecte peuvent être reconnues indépendamment. En effet, lorsque l'Etat défendeur a déjà procédé à l'éloignement, la violation n'est plus virtuelle, dans la mesure où le requérant aurait déjà subi des traitements contraire à l'article 3 de la CEDH. Il n'en demeure pas moins que l'Etat qui a directement violé cet article, n'est pas seul responsable.

Pour mieux cerner la distinction entre violation directe et indirecte, un exemple récent est probant : c'est l'arrêt du 21 Janvier 2011, M.S.S. contre Belgique et Grèce30. L'intitulé même de l'arrêt suppose que deux responsabilités distinctes seront reconnues, pour des motifs différents mais liés.

Dans cet arrêt, la formation solennelle strasbourgeoise devait examiner les griefs d'un ressortissant afghan entré sur le territoire de l'Union européenne via la Grèce. Cependant ce n'est qu'après être passé par la France, et arrivé en Belgique qu'il a enfin introduit sa demande d'asile. Les autorités de ce dernier État, en application de la procédure de réadmission dite << Dublin II >> établie par un règlement de l'Union européenne31, estimèrent que seule la Grèce était compétente pour examiner cette demande. En conséquence, la Belgique transféra l'intéressé en Grèce où il a du faire face à des conditions de vie inacceptables. Effectivement, il fut d'abord placé en détention dans un local attenant à l'aéroport d'Athènes puis fut relâché sans moyen de subsistance et sans que sa demande d'asile ne soit pleinement examinée. De plus, postérieurement à l'introduction de sa requête à Strasbourg, l'intéressé chercha par deux fois à quitter la Grèce mais fut arrêté. La première fois, il fut de nouveau placé en détention - où il affirme avoir encore subi des mauvais traitements - puis fut libéré au terme de sa peine. La seconde fois, les forces de police grecques essayèrent, avant de renoncer au dernier moment, de l'expulser à la frontière grécoturque.

30 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, Req. no 30696/09

31 Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil de l'Union européenne du 18 février 2003 << établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers >>

La Cour a d'abord observé une violation directe par la Grèce : qui est condamnée du fait de la manière dont fut traité le requérant demandeur d'asile32 laquelle constitue selon les juges un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3. La Grèce faisait aussi l'objet d'une condamnation pour violation virtuelle car elle a failli renvoyer le requérant afghan vers son pays, l'exposant ainsi à une violation potentielle de l'article 3 de la CEDH.

Mais l'affaire M.S.S. présentait un autre enjeu sur le terrain des griefs formulés contre la Belgique. En effet, en application de la technique classique de « violation par ricochet »33, il était reproché à cet Etat d'avoir exposé le requérant à des traitements contraires à l'article 3 du fait de son renvoi en Grèce. Ainsi il s'agit d'une violation indirecte en ce sens que l'Etat partie à la Convention est condamné du fait du renvoi vers un pays qui a violé les droits fondamentaux, en l'occurrence l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, de l'individu en question. La Cour condamne ici le manquement, également reproché sous le couvert de la violation virtuelle, dès lors que la Belgique n'a pas porté d'examen assez attentif à la situation dans l'Etat de renvoi.

Sans doute l'arrêt est plus marquant et la faute plus lourde lorsque la violation est indirecte mais non virtuelle, car il s'ensuit que le requérant n'a pas échappé aux traitements défendus par la Convention, le renvoi ayant eu lieu avant que la Cour européenne n'ai pu l'empêcher par exemple au moyen d'une mesure provisoire. Ce n'était pas le cas pour la Belgique qui avait effectivement renvoyé le requérant vers la Grèce où il a subi les pires atrocités.

Par ces condamnations pour violation indirecte, et pour violation virtuelle, la Cour appelle les Etats à porter une plus grande attention aux risques qu'encourent les demandeurs d'asile lorsqu'ils décident selon leur droit interne de les renvoyer. Cependant, la particularité de cet arrêt MSS tient au fait que la condamnation est celle d'un renvoi effectué selon le droit interne d'un Etat membre de l'Union européenne, lequel a dû appliquer une législation issue du droit de cette organisation.

32 v. § 159-193 de multiples rapports éloquents en ce sens ; pour de récentes condamnations similaires, v. Cour EDH, 1e Sect., 22 juillet 2010, A.A. c. Grèce, Req. n° 12186/08; Cour EDH, 1e Sect. 26 novembre 2009, Tabesh c. Grèce, Req. n° 8256/07 ; Cour EDH, 1e Sect. 11 juin 2009, S.D. c. Grèce, Req. n° 53541/07

33 v. par exemple et récemment, Cour EDH, 5e Sect. 2 décembre 2010, B. A. c. France, Req. n° 14951/09 ; Cour EDH, 3e Sect. 20 juillet 2010, N. c. Suède, Req. n° 23505/09 ; Cour EDH, 4e Sect. Dec. 6 juillet 2010, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 24027/07, 11949/08 et 36742/08

Paragraphe 2. La conventionalité du droit de l'Union européenne, un nouveau terrain de condamnations

En janvier 2011, le service presse de la Cour européenne indiquait qu'environ 960 affaires pendantes concernaient la question de la conventionalité du règlement << Dublin II >>. Ceci en fait objectivement un motif de condamnation important des ordres juridiques des Etats membres du Conseil de l'Europe, également membres de l'Union européenne (A), mais encore de l'ordre juridique de l'Union elle-même (B).

A/ La condamnation d'un ordre juridique interne

A l'origine, une violation indirecte était uniquement reconnue lorsque l'Etat infligeant le traitement prohibé était un Etat tiers à la Convention34. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. Dans l'affaire M.S.S., le renvoi litigieux était effectué vers un État parti à la Convention EDH et membre de l'Union européenne, au surplus en application du droit de cette dernière. Les juges strasbourgeois touchaient alors à une problématique récurrente, celle de la conventionalité du règlement << Dublin II >>.

Cet examen de la conventionalité du règlement de 2003 engage les juges strasbourgeois à regarder de plus près la présomption sur lequel il est fondé qui est double. D'une part, la présomption s'appuie sur l'idée que << les États membres [...] respectent tous le principe de non-refoulement >> des demandeurs d'asile vers un pays où ils risquent à nouveau d'être persécutés. D'autre part, le règlement présume que tous les États membres de l'Union << sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers >>35. Le problème qui surgit de ces présomptions c'est l'automaticité c'est-à-dire qu'elles conduisent le premier État à procéder à une réadmission quasi-automatique du demandeur d'asile vers l'État compétent selon le règlement et au nom de la confiance mutuelle36, et ce, indépendamment de savoir si ce dernier respecte ou non les exigences de la Convention.

34 L'arrêt Soering précédemment cité concernait, par exemple, la violation indirecte de l'article 3 de la CEDH par le Royaume Uni qui devait extrader le requérant vers les Etats-Unis d'Amérique où celui-ci aurait subi l'interminable attente dans les couloirs de la mort.

35 Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil de l'Union européenne du 18 février 2003 << établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers >>, repris dans l'arrêt MSS c. Belgique et Grèce, Considérant (2) - § 69.

36 H. Labayle, << Le droit européen de l'asile devant ses juges : précisions ou remise en question ? >> (1), RFDA 2011, p. 273.

Finalement, il s'agissait plus globalement pour les juges de statuer sur le constat d'une contradiction potentielle entre des obligations issues de deux organisations au coude à coude, à savoir, le Conseil de l'Europe et en particulier les obligations issues de la Convention, et l'Union européenne37. L'équilibre était difficile à faire.

La Cour a préféré se positionner quant à la responsabilité de l'Etat partie à la Convention - et en même temps soumis aux exigences du règlement << Dublin II >>, plutôt que de se faire directement l'avocat du droit de l'Union européenne. Ainsi, les juges européens ne remettent pas en cause la présomption favorable à l'Union européenne selon laquelle << l'organisation en question accorde aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention38 >>. Elle se concentre sur le cas d'espèce, en montrant que la Belgique est sortie du champ d'application de cette présomption.39 Et ce, pour la simple raison que l'Etat en question avait en l'espèce un pouvoir d'appréciation40.

En effet, la Cour rappelle qu'au sein du mécanisme << Dublin II >> existe une clause à l'article 3.2 du Règlement appelée << clause de souveraineté >> en vertu de laquelle << par dérogation au paragraphe 1, chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement >>.

Dès lors, la Cour en a déduit que << les autorités belges auraient pu, en vertu du règlement, s'abstenir de transférer le requérant si elles avaient considéré que le pays de destination, en l'occurrence la Grèce, ne remplissait pas ses obligations au regard de la Convention41 >>. Elle signifie là que la présomption n'est finalement pas irréfragable puisque une dérogation existe en vertu de l'art 3.2 du Règlement.

Or, il n'était pas difficile en l'espèce de savoir que l'accueil réservé aux demandeurs d'asile en Grèce est scandaleux. L'Europe le sait, ne serait-ce qu'en jetant un oeil sur les multiples condamnations de la Grèce par la Cour EDH42. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a rendu dix visites en Grèce depuis 1993, et dès 1997 il faisait part de ses préoccupations quant au traitement

37 . Cour EDH, G.C. 10 février 1999, Matthews c. Royaume-Uni, Req. n° 24833/94 ; Cour EDH, G.C. 30 juin 2005, Bosphorus c. Irlande, Req. n° 45036/98

38 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, Req. no 30696/09, § 338.

39 << présomption de protection équivalente ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce >> (§ 340).

40 << un Etat demeure entièrement responsable au regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses obligations juridiques internationales, notamment lorsqu'il a exercé un pouvoir d'appréciation >> (§ 338).

41 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, Req. no 30696/09, § 340.

42 Cour EDH, 11 juin 2009, S. D. c. Grèce, Req. n° 53541/07 ; Cour EDH, 26 nov. 2009, Tabesh c. Grèce, Req. n° 8256/07 ; Cour EDH, 22 juillet 2010, A.A. c. Grèce, Req. n° 12186/08

réservé aux étrangers en situation irrégulière placés en centre de rétention43. Ainsi, il y a peu de chances pour que la Belgique n'ait pas eu connaissance du risque réel qui était encouru par le requérant s'il était expulsé vers la Grèce.

Cette jurisprudence est novatrice et dévastatrice. Si la Cour rappelle qu'effectivement elle ne consacre pas le droit de séjourner librement dans un Etat dont on n'est pas ressortissant, elle censure cependant une pratique indécente à l'égard des demandeurs d'asile, tant du point de vue de l'Etat qui viole directement l'article 3 de la Convention du fait de la carence généralisée de son système, que du point de vue de l'Etat qui éloigne un demandeur d'asile vers ledit pays, connu pour ses lacunes.

Cela a des effets sur un certain nombre d'Etats, notamment la France dont le ministre de l'Intérieur et de l'Immigration d'alors, Brice Hortefeux, a annoncé, dans des lettres du 28 février 2011, avoir pris des instructions à destination des préfectures de ne plus procéder à des transferts vers la Grèce « jusqu'à nouvel ordre ».

La bataille n'est pas gagnée, mais des fléchissements face à la jurisprudence de la Cour EDH fleurissent ici et là.

Face à une organisation européenne avec laquelle le Conseil de l'Europe est en pourparlers concernant son adhésion à la Convention, la Grande Chambre semble avoir trouvé un compromis satisfaisant : ne pas condamner frontalement le système des réadmissions « Dublin II », mais dégager un angle permettant de contraindre chaque Etat partie - également membres de l'Union - au respect des exigences conventionnelles sans qu'il ne puisse se cacher derrière d'autres obligations européennes. Il n'en demeure pas moins que la répercussion de cette jurisprudence dans l'ordre juridique de l'Union européenne s'est rapidement manifestée.

B/ La répercussion sur l'ordre juridique de l'Union européenne

Ce choix de ne pas critiquer ouvertement le règlement de l'Union européenne est sans doute stratégique, à l'heure où se poursuivent les négociations relatives à l'adhésion de l'Union européenne au système conventionnel. En revanche, ça n'a pas empêché l'organe juridictionnel de l'Union d'appliquer les leçons données par la Cour européenne des droits de

43 Déclaration publique relative à la Grèce, Strasbourg, 15 mars 2011, CPT/Inf (2011) 10.

l'Homme. La machine de la coopération européenne est en marche, alimentée par le pouvoir juridictionnel.

En effet, la Cour de Justice de l'Union européenne réunie en Grande Chambre, a rendu un arrêt le 21 décembre 2011, à l'occasion de l'affaire N.S contre Secretary of State44. A l'origine, la Cour devait se prononcer sur le cas de demandeurs d'asile afghans, iraniens, algériens arrêtés au Royaume-Uni et en Irlande après y être entrés illégalement en transitant par la Grèce. Conformément au Règlement de 2003, les autorités des deux pays avaient transféré les intéressés vers la Grèce, pays désigné comme compétent pour traiter leurs demandes. Les intéressés ont fait appel en alléguant que leurs droits fondamentaux risquaient de ne pas y être respectés. La Cour leur a donné raison. Elle a estimé notamment que les Etats membres ont l'obligation de ne pas transférer un demandeur d'asile vers un Etat membre désigné comme responsable par le règlement lorsqu'ils « peuvent avoir des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants » au sens de la Charte des droits fondamentaux. La Convention n'est ici pas une référence, la Cour préférant renforcer ses lignes en invoquant son catalogue des droits, qui est une source de droit positif de l'Union depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009.

La Cour de Justice de l'Union européenne a même pris les devants en évoquant le comportement à adopter par les Etats lorsque le règlement leur impose de renvoyer un demandeur d'asile vers un pays où les risques de violation de la Charte sont réels. Effectivement, la Cour a indiqué que, sous réserve d'examiner lui-même la demande, l'Etat membre qui devait transférer le demandeur vers l'Etat membre responsable et qui se trouve dans l'impossibilité de le faire, doit examiner les autres critères du règlement « afin de vérifier si l'un des critères ultérieurs permet d'identifier un autre Etat membre comme responsable de l'examen de la demande d'asile ». Cet examen ne doit pas avoir « une durée déraisonnable » qui aggraverait la situation de violation des droits fondamentaux du demandeur. Au besoin, l'Etat membre devra donc examiner lui-même la demande.

Confirmant la position de cet arrêt, qui fait lui-même écho à la jurisprudence de l'Union européenne, le CPT a rendu publique une déclaration relative à la Grèce en mars 201145.

44 CJUE, Gr. Ch;, 21 décembre 2011, N.S. contre Secretary of State for the Home Department & M.E. et aliicontre Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Euquality and Law Reform, affaires jointes C-

411/10 & C-493/10.

45 Déclaration publique relative à la Grèce, Strasbourg, 15 mars 2011, CPT/Inf (2011) 10.

Il ne fait aujourd'hui aucun doute que la coopération européenne produit des effets positifs, ici pour encourager la Grèce à revoir son système concernant la rétention des étrangers en situation irrégulière, avec l'aide de l'Union européenne. Cette dernière ne peut plus, sans risque pour les droits de l'Homme, continuer à estimer que tous ses Etats membres offrent une protection équivalente à ces droits.

L'article 3 de la CEDH a donc permis une protection des droits des demandeurs d'asile sans équivalent ni dans le droit des Etats partis, ni dans le droit de l'Union européenne, mais cette armature est encore consolidée par l'activisme de la Cour européenne.

SECTION 2. La protection du droit d'asile renforcée par des méthodes développées par la Cour européenne des droits de l'Homme

La protection du droit d'asile via l'article 3 de la CEDH est fortifiée par l'utilisation d'outils qui permettent sa mise en oeuvre (Paragraphe 1), et par le regard circonstancié que porte la Cour sur les affaires relative au droit d'asile (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Une mise en oeuvre de la protection par des outils efficaces

Deux nouveautés se sont immiscées dans le travail des juges européens permettant de faire valoir l'importance de certains droits, dont le droit d'asile : il s'agit d'une part des mesures provisoires qui empêchent la violation intempestive des droits à l'occasion du déroulement de la procédure (A), d'autre part de la politique de priorisation qui offre un avantage à certaines affaires par leur traitement prioritaire (B).

A/ La garantie d'une procédure suspensive grâce aux mesures provisoires

Dans de nombreuses affaires relatives à des expulsions ou à des extraditions, la Cour EDH applique des mesures provisoires. Il s'agit de mesures prises dans le cadre du déroulement de la procédure devant la Cour et qui ne présagent pas de ses décisions ultérieures sur la recevabilité ou le fond des affaires. Elles consistent le plus souvent à suspendre l'expulsion du requérant le temps de l'examen de la requête ce qui paralyse l'action des Etats pendant un temps qui peut être long et alors même qu'il s'agit de domaines sensibles

comme l'asile. C'est de ce fait l'épine du pied de nombreux Etats, à savoir les Pays Bas, la France, la Royaume-Uni et la Suisse en première ligne46.

Les exemples sont nombreux mais les contre exemples sont tout aussi révélateurs de la portée de cet outil. A l'occasion de l'affaire M.S.S., la Cour n'a pas adopté de mesure provisoire destinée à empêcher la Belgique de renvoyer le requérant vers la Grèce mais elle en a adopté une autre afin que ce dernier Etat ne renvoie pas l'intéressé vers un pays tiers. La Cour a du se justifier quant à ce choix mystérieux car le Gouvernement défendeur s'en est servi comme preuve de l'absence de risque établi pour le requérant en Grèce47. La Cour a répondu en disant que si elle n'a pas estimé utile d'indiquer une mesure provisoire en vertu de l'article 39 de son règlement pour suspendre le transfert du requérant, c'est d'abord parce que l'imminence de l'expulsion rendait le prononcé de la mesure urgente. Or, au stade de la saisine, il n'appartient pas à la Cour de procéder à une analyse complète de l'affaire. De plus, dans des courriers, la Cour a demandé au gouvernement grec d'assurer un suivi individuel de la demande du requérant et de la tenir informée48.

Cette justification laisse planer « un sentiment d'insatisfaction ». La Cour aurait pu, comme elle le fait pour tous les autres requérants en proie à une expulsion imminente, opposer une mesure provisoire afin d'éviter une violation, elle aussi imminente, dans le pays de renvoi. Pourtant elle ne l'a pas fait, et justifie son choix sans en donner vraiment les raisons. Le fait d'avoir demandé un suivi individuel du requérant n'a rien empêché, ce qui prouve que les mesures provisoires sont seules efficaces face aux mesures d'éloignement.

Elles le sont surtout depuis l'affaire Mamatkulov et Askarov contre Turquie du 4 février 2005 à l'occasion de laquelle la Cour a déclaré reconnaitre l'effet contraignant des mesures provisoires. Il s'agit d'un revirement des jurisprudences Cruz Varas49 et Conka50.

Dans l'affaire de 2005, la Cour de Strasbourg avait conclu à la violation de l'article 34 de la Convention qui interdit aux parties d'entraver l'exercice efficace du droit au recours individuel car le Gouvernement ne s'était pas conformé à l'article 39 du Règlement de la Cour qui encadre les mesures provisoires.

Cette nouvelle position de la Cour a été critiquée, notamment parce qu'on pouvait y voir un
excès de pouvoir de la part des juges européens. C'est en tous les cas un instrument efficace

46 Statistiques par pays et par année à retrouver sur le site de la Cour européenne des droits de l'Homme : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/E14B0565-7BC4-4615-B002-890A006950B1/0/Art39_TabPaysEN.pdf

47 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 355.

48 Ibid. § 32, et 39.

49 Cour EDH, 20 mars 1991, Cruz Varas et a. c. Suède, Req. n° 15576/89

50 Cour EDH, 5 février 2002, Èonka c. Belgique, Req. n° 51564/99

qui permet une meilleure exécution et un plus grand respect des décisions de la Cour. Et, celle-ci a réussi à créer un nouveau rapport avec les parties, qu'il s'agisse des particuliers qui y ont recourt de plus en plus, ou des Etats qui craignent ces mesures. Mais, une nouvelle charge de travail attendait ainsi les juges européens.

En effet, face à une augmentation des demandes51, le président de la Cour, Jean-Paul Costa, a rendu publique une déclaration concernant les demandes provisoires le 11 février 2010, rappelant aux Gouvernements et aux requérants quel est le rôle approprié de la Cour en matière d'immigration et de droit d'asile, rôle finalement limité. Il a insisté sur les responsabilités de ces différentes parties.

Selon lui les mesures provisoires ne doivent pas être perçues comme un supplétif à un recours national. Ceci implique que le requérant ne se repose pas sur la mesure sans s'en remettre aux recours dont il peut user, mais cela implique surtout que les Etats prévoient des recours suspensifs à l'occasion de procédures visant l'éloignement des étrangers. En effet selon lui, en ce qui concerne le droit des étrangers demandeurs d'asile, les gouvernements doivent << prévoir au niveau national des recours à l'effet suspensif, fonctionnant de manière effective et juste conformément à la jurisprudence de la Cour, ainsi qu'un examen équitable dans un délai raisonnable de la question du risque ».

Par ailleurs, à l'occasion de l'arrêt De Souza Ribeiro en 201152, les juges Spielman, Berro-Lefèvre et Power ont émis une opinion en partie dissidente dans laquelle ils avancèrent l'argument qui allait dans le même sens que le Président d'alors. Selon eux : << A l'heure où la Cour doit faire face à un accroissement important des demandes d'article 39 [mesure provisoire] et qu'elle est appelée, bien malgré elle, à jouer de plus en plus le rôle des juridictions nationales, l'instauration de recours suspensifs pourrait enrayer cette tendance : elle obligerait les Etats à renforcer les garanties offertes et le rôle des juridictions nationales, ainsi que - par conséquence - la subsidiarité de la Cour dans le sens préconisé par la déclaration d'Interlaken, repris avec force dans celle d'Izmir ».

Ces avis convergent à juste titre puisque la Cour est prise à son propre piège. Les demandes de mesures provisoires augmentent mais la Cour ne peut plus toutes les satisfaire. Ainsi, en 2010, 1440 demandes ont été accordées contre 1823 refusées.

La Cour européenne cherche alors des solutions. A la suite de l'arrêt M.S.S., elle avait utilisé
un autre instrument afin d'améliorer le système judiciaire européen. Elle avait adressé une

51 Selon le Président de la Cour Jean-Paul Costa << entre 2006 et 2010, la Cour a connu une augmentation de plus de 4000% du nombre de demandes d'indication de mesures provisoires en vertu de l'article 39 du règlement : elle en a reçu 4786 en 2010, contre 112 en 2006 ».

52 Cour EDH, 5e Sect., 30 juin 2011, De Souza Ribeiro c/ France, Req. n° 22689/07

directive collective aux Etats membres du Conseil de l'Europe leur demandant de suspendre les réadmissions vers la Grèce, au vue du nombre élevé d'affaires en cours et des nombreuses demandes de mesures provisoires. Certains Etats s'y sont conformés53, d'autres ont préféré trainer des pieds, et encombrer le travail des juges européens54.

Par ailleurs, une nouvelle instruction pratique a été publiée à destination des requérants souhaitant formuler une telle mesure provisoire aux fins d'obtenir la suspension de leur extradition ou expulsion. Il s'agit là d'un véritable mode d'emploi afin de responsabiliser non plus les Etats mais les requérants, de sorte qu'ils ne formulent pas des demandes incomplètes ou sans pertinence. De même, la Cour a dressé un tableau statistique assez détaillé55 sur ces demandes de mesures provisoires durant le premier semestre 2011. Ainsi les requérants peuvent s'y référer afin de connaitre les chances que leur demande aboutisse, mais les autorités nationales sont elles aussi à même de savoir que pour tel pays de renvoi, la Cour suspendra sûrement la procédure d'éloignement.

Il semble que tout soit pensé pour que chacun prenne ses responsabilités, et surtout les Etats. Certains ont ainsi pu comparer ces actions à la technique connue des autres instances et organisations internationales : le << naming and shaming >> qui signifie << nommer et faire honte >>56. En effet, il s'agit pour la juridiction européenne de mettre en exergue les mauvais comportements de certains Etats, les exposant ainsi aux critiques de la communauté internationale et de leurs opinions publiques respectives. L'objet est de faire pression.

Les mesures provisoires ne doivent être conçues que comme une solution temporaire en attendant que les Etats se conforment aux recommandations de la Cour EDH. Les Etats ne pouvant pas supporter indéfiniment l'exercice répété de cette arme qui paralyse provisoirement leur système, il est possible d'espérer qu'ils prendront les mesures nécessaires pour qu'en vertu de leur propre droit, les requérants bénéficient de la garantie d'une suspension de la mesure d'éloignement le temps de la procédure.

Finalement, la force des mesures provisoires est d'offrir au demandeur d'asile une garantie immédiate de non-refoulement lorsque l'article 3 de la CEDH est en jeu, mais un autre mécanisme plus indirect produit les mêmes effets.

53 Le Royaume-Uni, la Suède, l'Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, l'Islande, la Norvège.

54 La France en premier, avec les lettres du 28 février 2011, citées précédemment.

55 Sont dénombrées les mesures provisoires acceptées et rejetées, ceci réparti par Etat défendeur et selon le pays de renvoi.

56 Nicolas Hervieu, << Cour européenne des droits de l'Homme : Bilan de la nouvelle section de filtrage et éclairantes statistiques sur les demandes de mesures provisoires >> in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 28 juillet 2011.

B/ La garantie d'une procédure privilégiée grâce à la politique de priorisation

En juin 2009, à l'occasion de la modification de son règlement, la Cour de Strasbourg a changé l'ordre dans lequel les affaires étaient instruites et jugées. Le critère d'urgence et d'importance a remplacé le critère chronologique. Avec l'alourdissement de la charge de travail de la Cour, le traitement des affaires par ordre chronologique avait pour conséquence que certaines allégations très graves de violation des droits de l'homme n'étaient pas examinées par la Cour avant un délai excessivement long - plusieurs années dans certains cas. Non seulement cela n'était manifestement pas satisfaisant pour les requérants mais cela signifiait également que des violations et leurs causes n'étaient pas détectées, ce qui risquait d'accroître le nombre des victimes et, potentiellement, le nombre des requêtes introduites devant la Cour.

C'est précisément l'article 41 du règlement de la juridiction européenne qui a été modifié. Il est désormais rédigé comme tel : << Pour déterminer l'ordre dans lequel les affaires doivent être traitées, la Cour tient compte de l'importance et de l'urgence des questions soulevées, sur la base de critères définis par elle. La chambre et son président peuvent toutefois déroger à ces critères et réserver un traitement prioritaire à une requête particulière ». Ce changement était nécessaire en raison de l'importance de l'arriéré de la Cour et permettait d'éviter un accroissement incontrôlé du nombre de victimes d'une violation. Le but est également de faire en sorte que les affaires les plus graves soient traitées plus rapidement.

Plusieurs catégories d'affaires ont dès lors été distinguées : les affaires urgentes, les affaires soulevant des questions susceptibles d'avoir une incidence sur l'efficacité du système de la Convention ou soulevant des questions importantes d'intérêt général comme les affaires interétatiques, les affaires comportant prima facie des griefs principaux portant sur les articles 257, 358, 459 ou 5 § 160 de la Convention, les affaires potentiellement bien fondées sur le terrain d'autres articles, les affaires répétitives, les requêtes identifiées comme soulevant un problème de recevabilité, les requêtes de comité manifestement irrecevables. Ces sept catégories sont énumérées dans l'ordre de priorité qui leur est dévolu. Il en ressort une certaine évidence en ce qui concerne les affaires concernant les demandeurs d'asile. En effet,

57 << Droit à la vie ».

58 << Interdiction de la torture ».

59 << Interdiction de l'esclavage et du travail forcé ».

60 << Droit à la liberté et à la sûreté ».

les affaires urgentes, les affaires soulevant des questions importantes d'intérêt général ainsi que les affaires portant sur les articles 2, 3, 4 ou 5 § 1 de la CEDH, sont toutes susceptibles de toucher le droit d'asile. Or, elles correspondent aux trois types d'affaires les plus prioritaires dans la liste des sept cas. Le droit d'asile serait donc affecté d'une << priorisation naturelle >>. Le caractère urgent est très souvent constitué lorsque l'éloignement est envisagé. Le risque pour la vie du requérant du fait d'un éloignement ou encore la séparation avec sa famille justifient souvent une mesure provisoire ce qui matérialise la situation d'extrême urgence. De plus, les affaires relatives au droit d'asile touchent forcément plusieurs Etats, qu'ils soient parties à la CEDH, tiers à celle-ci, ou encore membres d'autres organisations internationales comme l'Union européenne. Il peut donc facilement y avoir des questions sous jacentes de rapport entre systèmes telle que la question de la conventionalité du règlement << Dublin II >> de l'Union européenne dans l'affaire M.S.S. contre Belgique et Grèce. Enfin, on a vu que les affaires touchant aux articles 2, 3, 4, 5§1de la Convention EDH sont en troisième position dans l'ordre de priorité établi par la juridiction européenne. Or, l'article 3 de la CEDH s'avère être l'article primordial de la protection du droit d'asile. En devenant prioritaire par rapport à d'autres, la protection du droit d'asile se voit en quelque sorte sublimée. La Cour hiérarchise ainsi les droits fondamentaux en ce sens que, par exemple, une atteinte à la liberté d'expression (protégée par l'article 10) sera traitée après une allégation de torture ou traitement inhumain ou dégradant (interdit par l'article 3). L'affaire récente I.M. contre France61 est un exemple de cette politique de priorisation qui profite au droit d'asile.

Ce caractère privilégié découlant du bénéfice d'instruments efficaces tels que les mesures provisoires et la politique de priorisation est complété par une jurisprudence circonstanciée dont use la Cour européenne pour assurer la protection du droit d'asile.

61 Cour EDH, 3 février 2012, I.M c. France, Req. n° 9152/09, §5.

Paragraphe 2. Une protection assurée par une jurisprudence circonstanciée

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, pour tomber sous le coup de l'article 3 de la CEDH un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation du dépassement de ce seuil minimum est relative. Elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime. On retrouve cette jurisprudence notamment dans l'arrêt Price contre Royaume-Uni du 10 juillet 200162. Ainsi, la cour fait un examen circonstancié des affaires, c'est-à-dire un examen au cas par cas. Et ce qui fait l'efficacité de sa jurisprudence en matière d'asile c'est qu'elle considère tout à la fois des éléments s'attachant spécifiquement au droit d'asile (A), mais également des éléments s'attachant à la personne du demandeur d'asile (B).

A/ La prise en compte des éléments qui s'attachent au droit d'asile en soi

Le droit d'asile recouvre des particularités, notamment en ce que la personne qui s'en prévaut a généralement fui son pays d'origine en raison du contexte politique de celui-ci. La Cour EDH a entendu en tenir compte (1), et met également en exergue la vulnérabilité tenant au fait d'être demandeur d'asile (2).

1) L'actualisation de la situation politique du pays d'origine par la Cour EDH

Le contexte est un élément qui peut faire varier la décision de la Cour. Son évolution peut jouer en faveur ou en défaveur du requérant qui allègue qu'il subirait des traitements contraires à l'article 3 ou à l'article 2 de la CEDH en cas de retour dans son pays d'origine, ou à tout le moins en cas d'envoi dans un autre pays.

Dans l'arrêt Chahal contre Royaume-Uni en 1996, la Cour a posé le principe selon lequel l'appréciation du risque de violation de l'article 3 se fait au moment de l'examen de l'affaire63. Ainsi par exemple dans l'arrêt Vilvarajah et autres64 qui concernait un sri lankais, l'examen du contexte qui régnait en 1988 au Sri Lanka n'a pas permis de conclure à la violation de l'article 3 de la CEDH. De même, dans l'arrêt Al Hanchi contre Bosnie-

62 Cour EDH, 10 juillet 2001, Price c. Royaume Uni, Req. n° 33394/96

63 Arrêt Chahal précité, § 86.

64 Arrêt Vilvarajah précité.

Herzégovine du 15 novembre 2011 65 , le renvoi vers la Tunisie d'un combattant moudjahidin(ne) n'a pas été reconnu de nature à exposer ce dernier à des traitements contraires à l'article 3. C'est encore l'examen de la situation en Tunisie au jour de l'arrêt qui a amené la Cour à ne voir aucun risque pour le requérant en cas de renvoi vers son pays d'origine.

Ce n'est finalement que dans des cas isolés que la Cour a accepté de conclure à une violation de la Convention, lorsque le temps avait fait disparaitre le risque certain de violation. Ainsi par exemple dans l'arrêt N. contre Finlande de 2005, la violation était avérée même si huit ans s'étaient écoulés, diminuant par là même les intérêts des autorités de s'en prendre au requérant. Toutefois, la consistance du récit sur le passé du requérant permettait de retenir la violation66.

En définitive, la Cour prend elle-même le risque de se tromper sur la situation du pays, mais cette jurisprudence est révélatrice d'un jugement fin, au cas par cas, car la Cour s'adonne à un travail d'expert afin de déterminer si le risque est toujours actuel.

Le droit d'asile oblige en quelque sorte cet examen attentif du contexte du pays d'origine, car l'étranger cherche précisément de l'aide au regard de sa situation dans ce pays.

Le contexte politique n'est pas le seul élément propre au droit d'asile que la Cour prend en compte afin d'élaborer une jurisprudence équilibrée et circonstanciée, car elle s'attache également à reconnaitre la particularité de la qualité de demandeur d'asile par rapport aux autres requérants.

2) Le particularisme lié à la qualité de demandeur d'asile

Dans son récent arrêt M.S.S. contre Belgique et Grèce, le 21 janvier 2011, la Cour a précisé que le demandeur d'asile appartient << à un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable qui a besoin d'une protection spéciale67 ».

Pour affirmer ceci, la Cour s'appuie sur d'autres sources de droit international : la Convention de Genève68, le mandat et les activités du HCR et la directive << Accueil » de l'Union européenne69. Elle parle même de << large consensus au niveau international70 ».

65 Cour EDH, 15 novembre 2011, Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, Req. n° 48205/09.

66 Catherine Gauthier, Cour EDH, 26 juillet 2005, N. c. Finlande, (Req. n°38885/02), JCPA, n°49, 2005, n°1375.

67 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 251.

68 Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951

Il peut paraitre étrange que les juges européens voient un consensus se dégager de ces textes, de sorte que le droit international s'accorderait pour qu'une protection particulière soit donnée aux demandeurs d'asile.

En ce qui concerne la Convention de Genève, encore faut-il que l'individu corresponde à la définition d'un réfugié pour qu'il puisse bénéficier des droits qui découlent du texte ou du mandat du HCR. Au sujet de la directive Accueil, elle concerne effectivement les demandeurs d'asile, mais l'on peut s'interroger sur la motivation de cette protection spéciale, et par là même sur sa nature. S'agit-il de protéger une population particulièrement défavorisée, ou de << limiter les mouvements secondaires des demandeurs d'asile71 » en élaborant une << politique commune dans le domaine de l'asile72 » ?

La Cour européenne a ainsi dégagé un principe important pour la protection des demandeurs d'asile car le fait de les considérer comme un groupe de personnes particulièrement défavorisé et vulnérable signifie qu'il est nécessaire de prévoir une protection adaptée à leur statut. C'est ainsi que la Cour montre son engagement dans la définition d'un droit propre aux demandeurs d'asile. Le droit d'asile est certes un droit non écrit dans le texte de la Convention, mais les juges le découvrent implicitement.

Plusieurs raisons peuvent alors expliquer la référence à d'autres normes internationales prévoyant une protection spéciale pour les demandeurs d'asile.

Il peut s'agir d'une manière de légitimer le nouveau principe alors qu'il touche à une matière qui n'appartient normalement pas à la Cour. La culpabilité de toucher à un droit qui n'est pas inscrit dans la Convention serait ainsi atténuée par le fait qu'il s'agisse déjà d'un consensus au niveau international.

C'est peut être aussi, pour la Cour européenne, un aveu que d'autres organisations et d'autres textes sont dévolus à la protection du droit d'asile tandis que la Convention EDH n'en traite pas.

En définitive, il faut y voir l'appropriation du droit d'asile par la Cour européenne, un domaine déjà traité par d'autres instances et organisations internationales dont l'ONU et l'UE. Si la Cour EDH ne peut donc pas dire qu'elle-même protège le droit d'asile, elle arrive à le faire en se servant des autres droits garantis par la Convention comme l'interdiction de la

69 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres

70 Ibid.

71 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relatif à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres, dite directive << Accueil », Considérant (8).

72 Ibid. Considérant (1).

torture et des traitements inhumains, et elle s'appuie par ailleurs sur ce consensus au niveau international selon lequel les demandeurs d'asile doivent bénéficier d'une protection spéciale.

Il n'y a pas que ces éléments propres au droit d'asile qui permettent à la Cour de défendre les intéressés efficacement, elle s'attache également à examiner les caractéristiques spécifiques à chaque demandeur d'asile en tant que personne humaine.

B/ La prise en compte des éléments qui s'attachent à la personne demandant l'asile

Deux situations peuvent se présenter à la Cour : le demandeur d'asile peut être affaibli (1), mais il peut aussi faire ou avoir fait l'objet d'une condamnation (2).

1) Le demandeur d'asile affaibli

La faiblesse d'une personne peut être constituée soit par une maladie soit par l'âge de cette dernière. Qu'il s'agisse d'un demandeur d'asile malade (a), ou d'un demandeur d'asile mineur (b), la Cour EDH ne les traitera pas de la même manière que les autres.

a. Le demandeur d'asile malade

En ce qui concerne le demandeur d'asile malade on aurait pu penser que la Cour serait plus protectrice à leur égard. Cependant ce n'est pas le cas puisqu'elle exige qu'il y ait impossibilité de soins plus que difficultés de soin pour qu'une expulsion vers un autre pays soit jugée contraire à l'article 3 de la CEDH. Cette sévérité révèle une jurisprudence finalement imprévisible.

Dans l'arrêt D. contre Royaume-Uni du 5 février 1997, la Cour a précisé que, compte tenu de ces circonstances exceptionnelles et du fait que le requérant se trouvait en phase terminale d'une maladie incurable (le sida) et ne pouvait espérer bénéficier de soins médicaux ou d'un soutien familial s'il était expulsé, la mise à exécution de la décision de l'expulser vers Saint-Kitts constituerait, de la part de l'Etat défendeur, un traitement inhumain contraire à l'article 3 de la Convention. La Cour a considéré qu'il y avait bien violation de l'article 3 si le Royaume Uni décidait de maintenir sa décision d'expulsion d'un malade du sida en phase terminale, les soins ne pouvant, dans le pays de destination, lui être assurés.

Cependant, si en l'espèce, la Cour a jugé que l'expulsion était contraire à l'article 3 de la CEDH, ce n'est pas toujours le cas.

Dans un arrêt N. contre Royaume-Uni du 27 mai 200873, une femme Camerounaise, atteinte du VIH et installée au Pays-Bas sans titre de séjour régulier avait décidé quelques mois plus tard de suivre son compagnon pour s'installer en Belgique. Ils décidèrent de se marier mais l'illégalité de son séjour fut découverte. Une fois sa demande d'asile rejetée, elle fut enfermée dans un centre de détention et renvoyée vers le Cameroun. La cour a jugé que l'expulsion de la requérante camerounaise vers son pays d'origine n'était pas à considérer comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention, alors même qu'il est admis que l'accès aux soins est très difficile dans ce pays-là. La requérante avait pourtant développé plusieurs manifestations graves du syndrome. Finalement la Cour a rappelé sa jurisprudence selon laquelle elle reconnaît, à titre « très exceptionnel », si le traitement n'est pas disponible, et si le requérant n'a personne sur qui compter dans son pays d'origine, nulle part où aller, et qu'une très forte probabilité de mort prématurée et de souffrances physiques ou morales existe, que l'expulsion peut emporter violation de l'article 3. En l'espèce la Cour a estimé que la situation n'était pas marquée par des « circonstances très exceptionnelles », car même si le traitement est difficile à obtenir, le fait qu'il existe dans le pays d'origine suffit à exonérer le pays « d'accueil » d'une condamnation en cas de renvoi.

Il est difficile de conclure sur une jurisprudence aussi divergente mais l'on voit bien que la Cour peut exiger des conditions strictes pour qu'une décision d'expulsion emporte selon elle violation de l'article 3 de la CEDH.

Cette marge d'appréciation qui peut s'avérer contestable concernant les demandeurs d'asile malades ne se retrouve pas dans la jurisprudence concernant les demandeurs d'asile mineurs.

b. Le demandeur d'asile mineur

La Cour accorde une protection particulière aux mineurs étrangers en raison de leur vulnérabilité. Cette spécificité n'est pas surprenante au regard de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant communément admise au niveau international notamment en vertu de la

73 Cour EDH, G.C. 27 mai 2008, N. c. Royaume Uni, Req. n° 26565/05

Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 ou la Convention de New York sur les droits de l'enfant du 26 janvier 1990.

La Cour européenne a élaboré une jurisprudence, aujourd'hui bien établie, selon laquelle, sur le terrain de l'article 3, les enfants doivent bénéficier d'une protection spécifique car << les mineurs, qu'ils soient ou non accompagnés, comptent parmi les populations vulnérables nécessitant l'attention particulière des autorités74 ». Elle se réfère pour cela aux Conventions citées précédemment mais pas seulement. La Convention relative aux droits de l'enfant lui a servi d'appui par exemple dans un arrêt de 2011 où elle soulignait que l'article 22 de cette Convention << incite les Etats à prendre les mesures appropriées pour qu'un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié bénéficie de la protection et de l'assistance humanitaire qu'il soit seul ou accompagné de ses parents 75 ». La Cour européenne instrumentalise de ce fait la Convention pour protéger plus efficacement le droit d'asile, en particulier les demandeurs d'asile mineurs. Elle a ainsi rendu un certain nombre d'arrêts concernant des mineurs demandeurs d'asile pour lesquels le critère personnel, à savoir le << bas âge des enfants76 » a été pris en compte.

Dans l'arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga contre Belgique du 12 octobre 200677, il était question d'une mineure alors âgée de cinq ans. La Cour a observé que les conditions de détention de cet enfant étaient les mêmes que celles d'une personne adulte. Ainsi, l'enfant a été détenue pendant deux mois dans un centre initialement conçu pour adultes alors qu'elle était séparée de ses parents et ce, sans que quiconque n'ait été désigné pour s'occuper d'elle, ni que des mesures d'encadrement et d'accompagnement psychologiques ou éducatives ne soient dispensées par un personnel qualifié, spécialement mandaté à cet effet. En raison de son très jeune âge, du fait qu'elle était étrangère en situation d'illégalité dans un pays inconnu et qu'elle n'était pas accompagnée de sa famille et donc livrée à elle-même, la petite fille se trouvait, selon la Cour, dans une situation d'extrême vulnérabilité. Les dispositions prises par les autorités belges en l'espèce étaient loin d'être suffisantes au regard de l'obligation de prise en charge pesant en l'espèce sur ce gouvernement, qui disposait, pourtant, d'un éventail de moyens. La Cour a estimé que les autorités qui ont pris la mesure de détention ne pouvaient ignorer les conséquences psychologiques graves de celle-ci. A ses yeux, pareille détention fait preuve d'un manque

74 Cour EDH, 1e Sect. 5 avril 2011, Rahimi c. Grèce, Req. n 8687/08, §91.

75 Cour EDH, 4e Sect. 29 novembre 2011, A. et autres c. Bulgarie, Req. n° 517776/08, § 91.

76 Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012, Popov c. France, Req. nos 39472/07 et 39474/07, § 103.

77 Cour EDH, 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga c. Belgique, Req. n° 13178/03.

d'humanité et atteint le seuil requis pour être qualifiée de traitement inhumain interdit par l'article 3 de la CEDH. Dès lors, la Cour conclut à la violation de cet article à l'égard de l'enfant de cinq ans du fait de ses conditions de détention.

En l'espèce, il s'agissait en plus d'un mineur isolé, c'est-à-dire sans ses parents, ce qui lui valait une protection d'autant plus étendue, mais la Cour européenne a également reconnu la violation de l'article 3 à l'égard d'enfants accompagnés de leurs parents même si elle a déjà rappelé que les obligations de l'Etat quant au traitement de migrants mineurs, peuvent être différentes selon qu'ils sont ou non accompagnés. Dans l'affaire Muskhadzhiyeva et autres contre Belgique du 19 janvier 2010, le placement de jeunes enfants sri-lankais en compagnie de leur mère au sein d'un centre fermé, dans l'attente de leur expulsion, a été jugé comme un traitement inhumain et dégradant pour les enfants.

Aux yeux de la Cour, il faut donc présumer que les enfants sont vulnérables tant en raison de leur qualité d'enfants que de leur histoire personnelle et des circonstances de l'espèce.

Cet examen au cas par cas peut ici encore poser un problème de cohérence. La Cour ne dit pas clairement ce qu'elle récuse, laissant alors planer un sentiment d'incertitude. Interditelle le placement des enfants en centre de rétention ? Impose-t-elle aux Etats d'enfermer les enfants uniquement dans des centres adaptés à leur âge ? Pose-t-elle comme principe la reconnaissance de la qualité de réfugié à tout mineur qui la demande ? La réponse à cette dernière question est assurément négative car ce serait trop s'immiscer dans la politique migratoire des Etats. En revanche, il est possible de déceler une certaine volonté de condamner le principe même de la rétention des étrangers. Ainsi dans un arrêt de 2011 la Cour a indiqué qu'elle « accueill[ait] positivement la décision prise par les autorités belges de ne plus procéder à la détention en centre fermés des familles en séjour illégal78 ». Ceci marque une opinion certaine de la Cour qui affirmait ceci alors qu'aucun des « certificats médicaux [n']attesta[i]t de troubles psychologiques ayant affecté les enfants durant leur détention et [... malgré] le fait que les enfants étaient plus âgés » que dans d'autres précédents affaires79. Les Etats ont ainsi quelques indices sérieux à leur disposition pour éviter des condamnations futures de la Cour européenne. Ces recommandations implicites n'ont pas empêché certains d'entre eux de passer outre et de se faire condamner. Ce fut récemment le cas de la France.

78 Cour EDH, 2e Sect. 13 décembre 2011, Kanagaratnam c. Belgique, Req. n° 15297/09, § 63.

79 Ibid § 66.

Dans un arrêt Popov contre France du 19 janvier 201280, la Cour a repris sa jurisprudence sur les mineurs étrangers. Encore une fois selon elle, compte tenu du << bas âge des enfants », de la durée de leur détention et des conditions de leur enfermement, les autorités n'ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour eux. Elle considère que les autorités n'ont pas assuré aux enfants un traitement compatible avec les dispositions de la Convention et que celui-ci a dépassé le seuil de gravité exigé par l'article 3 de celle-ci. La Cour a ainsi jugé que la privation de liberté telle qu'elle a été effectuée a été un << facteur d'angoisse, de perturbation psychologique et de dégradation de l'image parentale pour les enfants81 ». La présence d'un parent a donc été ici un motif de plus pour considérer qu'il y avait violation de l'article 3 à l'égard des enfants alors même que cette violation n'a pas été retenue pour les parents.

Le seuil de gravité requis pour que l'article 3 soit violé est ainsi adapté selon la personnalité du sujet. Il ne sera pas le même pour un enfant ou pour un adulte. Il ne sera pas non plus le même pour un demandeur d'asile faisant l'objet d'une accusation pour acte de terrorisme.

2) Le demandeur d'asile accusé de terrorisme

Les juges européens pourraient faire abstraction des accusations qui pèsent par ailleurs sur les requérants qui se présentent devant eux. Pourtant, lorsqu'il s'agit de demandeurs d'asile, la Cour prend le soin d'examiner la situation au regard de leur personnalité et de leur histoire. Cela se justifie dans la mesure où un requérant qui sera accusé de terrorisme dans un Etat pourrait subir d'autant plus de persécutions en cas de retour dans son pays d'origine. Il apparait donc qu'à certains égards une protection renforcée bénéficie au demandeur d'asile accusé ou soupçonné d'être un terroriste dans le pays de destination.

Ce renforcement de la protection s'apprécie au regard du risque que le demandeur d'asile << terroriste » pourrait courir en cas de renvoi vers son pays d'origine. Dans l'affaire Chahal contre Royaume-Uni du 15 novembre 199682 par exemple, la Cour a conclu qu'un défenseur de la cause séparatiste sikh, faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion sur des motifs liés à la sécurité nationale, courrait un risque réel de mauvais traitements s'il était renvoyé en Inde. Il

80 Arrêt Popov c. France, précité.

81 Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012, Popov c. France, Req. nos 39472/07 et 39474/07, §101.

82 Arrêt Chahal, précité.

y avait donc violation de l'article 3 de la CEDH sileplitp aviRoioc slu mcguiptait mis ià exécution. Cette jurisprudence pourrait paraitre provocatrice alors que le terrorisme est l'une des préoccupations majeure des Etats de nos jours. Cependant, la Cour a bien conscience des difficultés que rencontrent les Etats à ce sujet mais elle rappelle que « la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime83 ». Ainsi, chaque fois qu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu'une personne courra un risque réel d'être soumise à des traitements contraires à l'article 3 si elle est expulsée ou extradée vers un autre Etat, la responsabilitp dE E l'Etat contractant est engagée. Dans ces conditions, les agissements de la personne considérée, aussi indésirables ou dangereux soient-ils, ne sauraient faire disparaitre la violation de l'interdiction contenue à l'article 3 de la CEDH.

Cette jurisprudence a été reprise et développée dans l'arrêt Saadi contre Italie du 28 février 200884 oil la Cour a confirmé solennellement le caractère absolu de la prohibition de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants même s'agissant de terroristes. Il y avait en l'espèce violation de l'article 3 en cas d'expulsion vers la Tunisie du requérant soupçonné d'activités en lien avec des entreprises terroristes. Monsieur Saadi, ressortissant tunisien entré en Italie, avait fait l'objet de poursuites pénales devant les juridictions de cet Etat. De plus, il a été condamné par contumace à vingt ans d'emprisonnement pour des infractions liées au terrorisme par le tribunal militaire de Tunis. Après avoir été placé en détention sans interruption de 2002 à 2006 en Italie, un arrêté d'expulsion vers la Tunisie fut pris à son encontre par les autorités italiennes. La procédure devant la Cour européenne intervenait alors dans le contexte éminemment sensible de lutte contre les actes terroristes. Comme la Cour l'a affirmé à plusieurs reprises, la règle contenue à l'article 3 de la CEDH « ne souffre aucune exception85 ». La perspective que la personne constitue une menace grave pour la collectivité si elle n'est pas expulsée ne diminue en rien le risque qu'elle subisse des mauvais traitements si elle est refoulée.

En avril 2012, dans un arrêt concernant l'éloignement de six étrangers vers les Etats Unis par le Royaume Uni 86 , la Cour EDH a souhaité clarifier les règles relatives à l'application de l'article 3 de la Convention. Il a d'abord été affirmé que la méthode d'évaluation du risque de violation ne varie pas selon « la base légale de l'expulsion d'un

83 Ibid § 79.

84 Cour EDH, 28 février 2008, Saadi c. Italie, Req. no 13229/03

85 Ibid. §138 ; Chahal précité, § 79 ; Cour EDH, Selmouni c. France [GC], Req. no 25803/94, § 95 ; Cour EDH, 21 novembre 2001, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 59 ; Cour EDH, 12 avril 2005, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 335.

86 Cour EDH, 4e Sect. 10 avril 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume Uni, Req. n° 24027/07

Etat87 », qu'il s'agisse d'une extradition ou d'une autre procédure de renvoi. Il s'ensuit que l'expulsion d'un demandeur d'asile ou d'un étranger dans une autre situation fera l'objet de la même étude par les juges. Ensuite, la Cour indique qu'elle s'abstient normalement d'apprécier si le mauvais traitement que risque de subir le requérant doit être qualifié de torture ou de peine ou traitement inhumain ou dégradant88 car une << évaluation prospective89 » est alors requise dans un contexte extraterritorial. Enfin, elle rappelle que la protection contre le risque de traitements contraires à l'article 3 en cas d'expulsion est absolue90 même s'agissant de << terroristes » et qu'il est donc inconcevable qu'elle mette cette protection en balance avec des impératifs telle que la lutte contre le terrorisme91. Mais la Cour admet que << le caractère absolu de l'article 3 ne signifie pas que toute forme de traitements [soit] susceptible de faire obstacle à une expulsion92 ».

La Cour ne fait donc pas de généralités, auquel cas ce serait contraire à l'efficacité qui ressort de l'examen circonstancié auquel elle se prête. Ainsi, dans l'arrêt Al Hanchi contre BosnieHerzégovine du 15 novembre 2011 93 , le renvoi vers la Tunisie d'un combattant moudjahidin(ne) de nationalité tunisienne et arrivé en Bosnie-Herzégovine afin de participer à la guerre de 1992 à 1995 ne serait pas de nature à exposer ce dernier à des traitements contraires à l'article 3 de la CEDH. La raison de la non violation se situe dans l'examen de la situation en Tunisie au jour de l'arrêt, autre élément, extérieur à la personne du requérant, que la Cour prend en compte.

De même, dans un arrêt de janvier 201294 concernant Omar Othman, un responsable terroriste connu sous le nom d' << Abu Quataba » et en raison de ses liens avec Al-Quaida, la Cour n'a pas jugé que ce dernier risquait pour sa vie en cas de retour vers la Jordanie. La Cour s'est ainsi conformée aux allégations des autorités jordaniennes au Royaume Uni qui assuraient l'absence de risque de torture pour le requérant. Cela n'est pas sans soulever des interrogations sur le raisonnement de la Cour lorsqu'elle prend une telle décision, d'autant plus quand l'examen de l'affaire est circonstancié comme en l'espèce. La systématicité est tout à la fois, signe d'une jurisprudence plus adaptée, et signe d'une liberté avérée des juges. Ils s'octroient ainsi une forme de jugement de valeur des Etats en décidant quels sont ceux qui sont à même de protéger contre un risque de torture et ceux qui ne le sont pas.

87 Ibid § 168

88 Ibid § 171

89 Ibid § 170

90 Ibid § 172

91 Ibid § 173

92 Ibid § 177

93 Cour EDH, 15 novembre 2011, Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, Req. n° 48205/09

94 Cour EDH, 4e Sect. 17 janvier 2012, Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, Req. n° 8139/09

En effet, dans l'arrêt Babar Ahmad de 2012 la juridiction européenne a relevé qu' « à l'exception des affaires impliquant la peine de mort, il a été [...] rarement jugé qu'il y aurait une violation de l'article 3 si un requérant était expulsé vers un Etat qui a une longue histoire de respect de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit95 ». La Cour nous donnerait elle ainsi une sorte de cartographie européenne des Etats ayant une longue histoire de respect des droits de l'Homme ?

Le risque d'insécurité juridique est certain, mais pour certains demandeurs d'asile la Cour EDH assure ainsi une protection adéquate.

Ainsi se mêlent examen des éléments propres au droit d'asile (contexte politique des Etats de destination, et vulnérabilité du demandeur d'asile), et examen des éléments propres à la personne du requérant, donnant naissance à une jurisprudence circonstanciée et par là même efficace sur le terrain de l'article 3 de la CEDH.

Alors que ce fondement principal et les méthodes juridiques de la Cour européenne assurent aujourd'hui une protection certaine aux demandeurs d'asile laissant percevoir la reconnaissance du droit d'asile en tant que tel, il semble que cela ne suffise pas. D'autres fondements servent encore à améliorer la défense de ce nouveau droit.

95 Cour EDH, 4e Sect. 10 avril 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume Uni, Req. n° 24027/07, § 179.

CHAPITRE 2. Les fondements accessoires de la protection du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales

Deux types de protection complètent la garantie classique que constitue l'article 3 de la CEDH : la protection des droits procéduraux (Section 1) et la protection des droits substantiels (Section 2). Si la première est déjà bien avancée, la seconde est encore limitée et mériterait d'être développée.

SECTION 1. La protection développée des droits procéduraux garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme

Les droits procéduraux des demandeurs d'asile sont de mieux en mieux protégés par la Convention qu'il s'agisse de la demande d'asile en soi au travers de l'article 13 de la CEDH (Paragraphe 1), ou de la procédure entourant l'enfermement sur le fondement de l'article 5 de ladite Convention (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. La protection du droit au recours effectif

Dans la Convention, la principale garantie en matière procédurale, la plus évidente, est la garantie offerte par l'article 6 de la CEDH qui consacre le droit à un procès équitable. Cet article prévoit des garanties générales en matière procédurale tels que le droit au juge, le droit à une justice de qualité, le droit à une audience publique, le droit à un jugement dans un délai raisonnable. Or, il n'est pas reconnu applicable au profit des étrangers.

Un texte de « remplacement » a été prévu pour ceux-ci. Il s'agit du protocole n°7 annexé à la Convention qui pose des garanties procédurales minimales au profit des étrangers en situation régulière menacés d'expulsion 96 . Ce texte n'a vraisemblablement rien à voir avec la protection maximale que permet l'article 6 inscrit dans le corps de la Convention.

96 Protocole n° 7, Article 1er : « Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d'un Etat ne peut en être expulsé qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir : faire valoir les raisons qui

La Cour se rattrape en quelque sorte en admettant l'applicabilité de l'article 13 de la Convention c'est-à-dire le droit à un recours effectif au profit des étrangers. Toutefois celui-ci ne prévoit pas les mêmes droits que ceux de l'article 6. La Cour témoigne ainsi d'un certain malaise au regard de son engagement sur le terrain de l'article 13 alors qu'elle se refuse toujours à utiliser l'article 6 de la CEDH. Elle cherche ainsi à offrir une bonne protection au travers de l'article 13 en élevant sans cesse l'exigence d'effectivité du recours (A) et en dépassant les limites affectant ce fondement (B).

A/ Une exigence élevée quant à l'effectivité du recours

La Cour tend à donner une définition autonome du droit au recours effectif consacré par la Convention. Elle élève l'exigence quant à la qualité du recours (1) se rapprochant ainsi de la protection offerte par l'article 6 de la CEDH, mais l'apport tient surtout au caractère suspensif du recours que les juges européens estiment nécessaire dans certains cas (2).

1) L'exigence d'un recours de qualité

L'article 6 de la CEDH qui énonce le droit au procès équitable et pose des exigences générales en matière procédurale n'est pas applicable aux étrangers. Cela a été confirmé par la jurisprudence Maaouia selon laquelle << les décisions relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers n'emportent pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil ni n'ont trait au bien-fondé d'une accusation en matière pénale, au sens de l'article 6 § 1 »97. Dernièrement, c'est dans l'arrêt Dalea contre France du 2 février 201098 que la Cour a refusé d'appliquer l'article 6§1 aux procédures administratives relatives à l'étranger, en rejetant, par une décision sur la recevabilité, l'allégation de violation du droit à un procès équitable formulée par le requérant qui n'a pu obtenir les motifs de son inscription au Système d'Information Schengen.

militent contre son expulsion, faire examiner son cas, et se faire représenter à ces fins devant l'autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité.

Un étranger peut être expulsé avant l'exercice des droits énumérés au paragraphe 1.a, b et c de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale ».

97 Cour EDH, G.C. 5 octobre 2000, Maaouia c. France, Req. n° 39652/98

98 Cour EDH, 2 février 2010, Dalea c. France, Req. n° 964/07 selon laquelle << La Cour rappelle que les décisions relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers ne relèvent pas du champ d'application de l'article 6 § 1, en tant qu'elles ne concernent pas des << obligations de caractère civil » ou le << bien-fondé d'une accusation en matière pénale ». »

Cette jurisprudence s'explique par le fait que l'article 6 est réservé aux matières civile et pénale99et la Cour adopte une définition autonome de ces notions. Or, elle a elle-même précisé que cet article ne s'appliquait pas aux étrangers dont les situations relèvent souvent du domaine administratif. La Cour tente alors de pallier cette lacune par l'application de l'article 13 de la Convention. Pourtant, cet article ne garantit pas les mêmes droits que l'article 6. L'article 13 garantit le droit à un recours effectif tandis que l'article 6 prévoit le droit à un procès équitable. La Cour a donc entrepris une démarche originale puisqu'elle développe une définition autonome du recours effectif de telle sorte que la protection au travers de l'article 13 se rapproche sensiblement de celle offerte par l'article 6.

Tout d'abord, pour définir le recours effectif la Cour rend compte d'une nuance entre effectivité << en droit >> et effectivité << en pratique >>. Pour elle, le recours exigé par l'article 13 de la Convention doit être << effectif en pratique comme en droit100 >>. Il est évidemment important pour la Cour que les recours internes fonctionnent dans le respect des droits de l'homme. Mais la Cour a également souligné la nécessité de << l'accessibilité pratique101 >> d'un recours qui ne peut rester que théoriquement disponible. Plus particulièrement, << son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l'Etat défendeur102 >>. Dans l'arrêt Conka contre Belgique103 en 2002, la Cour a justement conclu à la violation de l'article 13 car le recours en question, à savoir le recours en extrême urgence prévu devant le Conseil d'Etat belge, était accordé de manière aléatoire dans la pratique c'est-à-dire en l'espèce accordé sur demande. Les juges ont encore estimé que << le recours exigé par l'article 13 [devait] être effectif en pratique comme en droit >> et ont poursuivi en disant que << l'effectivité ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant 104 >>. Ce qui signifie qu'une marge d'appréciation est laissée aux Etats contractants. Effectivité ne veut donc pas dire succès assuré du recours.

De surcroit, il a été précisé un certain nombre d'autres éléments permettant de connaitre les implications de l'article 13 de la CEDH.

D'abord, la définition de l'effectivité du recours au sens de l'article 13 de la CEDH a été clarifiée. Il s'agit de l'exigence de rapidité à laquelle il faut prêter << une attention

99 Article 6 de la CEDH selon lequel : << Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. >>

100 Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudla c. Pologne, Req. n°30210/96.

101 Not. arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 288 et 318 ; arrêt I.M. c. France, précité, § 128 et 131. 102Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 290 ; arrêt I.M. c. France, précité, § 130.

103 Cour EDH, 5 février 2002, Èonka c. Belgique, Req. n° 51 564/99

104 Ibid. § 75

particulière [...] puisqu'il n'est pas exclu que la durée excessive d'un recours le rende inadéquat105 ». La célérité du recours fait donc partie des exigences impératives pour que le recours soit effectif.

De plus, selon la Cour, « l' instance dont parle cette disposition n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant elle. En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul.106 »

Si les « pouvoirs et les garanties » de l'instance entrent en ligne de compte, il est certain que l'on se rapproche de la protection offerte par l'article 6 selon lequel « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue [...] par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ». Les garanties requises en vertu de l'article 13 semblent rejoindre celles que l'article 6 exige comme l'indépendance et l'impartialité. Il a d'ailleurs été indiqué que l'effectivité d'un recours au sens de la CEDH implique nécessairement « un contrôle attentif par une autorité nationale, un examen indépendant et rigoureux107 ».

Parlant finalement d'exigence de « qualité108 », la Cour donne assurément l'impression, au travers de toute cette jurisprudence, de vouloir s'aventurer sur un terrain qui pourrait être celui de l'article 6 de la CEDH lequel garanti notamment le droit à une justice de qualité.

Les juges européens vont plus loin en prescrivant que les intéressés disposent d'un recours suspensif de plein droit. Or, cette exigence revêt un intérêt particulier pour les demandeurs d'asile puisqu'ils peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion.

2) L'exigence d'un recours suspensif

L'effectivité d'un recours tient notamment au caractère suspensif de celui-ci109. Cette exigence a été découverte à l'occasion d'affaires concernant des expulsions, ce qui touche spécialement les demandeurs d'asile.

105 Cour EDH, 31 juillet 2003, Doran c. Irlande, Req. no 50389/99, § 57; et en ce qui concerne une demande d'asile, l'arrêt I.M. c. France précité, § 133.

106 Entre autres les arrêts Conka précité, § 75 ; Gebremedhin précité, § 53 ; M.S.S. c. Belgique et Grèce précité, § 289 ; I.M. c. France précité, § 129.

107 I.M. c. France, précité, § 134.

108 Ibid. § 132.

109 Èonka c. Belgique, §§ 81-83 ; Gebremedhin précité, § 66 ; M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 290 à 293 ; et I.M. c. France, précité, § 132.

La Cour a insisté sur cette caractéristique en disant que « l'article 13 exige un recours interne habilitant à examiner le contenu du grief et à offrir le redressement approprié, même si les Etats jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose cette disposition110 ».

La Cour crée ainsi une obligation pour les Etats de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que l'examen du recours, c'est-à-dire de la demande d'asile, ait lieu. Permettre au recours de suspendre d'autres procédures en cours, surtout une procédure d'expulsion, fait partie de ces moyens. La Cour a aussi rappelé le caractère subsidiaire que revêt, par rapport aux systèmes nationaux, le mécanisme de plainte devant elle, puisqu'elle se garde d'examiner elle-même les demandes d'asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s'il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire vers le pays qu'il a fui111. Ainsi elle insiste sur la responsabilité qui pèse sur les Etats pour que les demandes d'asile soient effectivement observées. Elle entend aussi par là rétablir l'ordre bouleversé par l'utilisation systématique des mesures provisoires pour empêcher les expulsions afin que les demandes soient examinées. Trop souvent les recours ont pu être pris en compte grâce à une mesure provisoire. Les juges veulent ainsi mettre en avant qu'il revient aux Etats de satisfaire l'exigence d'effectivité et par là même du caractère suspensif des recours.

Cette exigence est surprenante au regard d'un arrêt de 1991, où la Cour affirmait que l'article 13 de la CEDH n'allait pas jusqu'à exiger une forme particulière de recours112 . Ce n'est que dans les années 2000 que l'exigence s'est renforcée et que le caractère suspensif est devenu absolument indispensable selon les juges. Un certain nombre d'affaires ont alors rendu compte de cette primordialité.

Dans l'affaire Gebremedhin contre France113 de 2007 par exemple la Cour a conclu à la violation de l'article 13 de la CEDH en raison de l'absence d'un recours qui ait pu suspendre la mesure d'éloignement ou d'expulsion car l'exécution de cette mesure exposait à des traitements contraires à l'article 3. En l'espèce, il s'agissait d'un demandeur d'asile érythréen qui avait été maintenu en zone d'attente à l'aéroport de Roissy. Or l'absence de recours suspensif de plein droit contre les décisions de refus d'admission sur le territoire et de réacheminement a été jugé contraire à l'article 13. La jurisprudence de la Cour a des

110 Cour EDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, Req. no 40035/98, § 48.

111 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 286 et 287.

112 Arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni précité, § 122.

113 Cour EDH, 26 avril 2007, Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, Req. no 25389/05.

conséquences, puisque depuis cet arrêt, une nouvelle loi française prévoit qu'un étranger qui fait l'objet d'un refus d'entrer sur le territoire français est en mesure d'en demander l'annulation au président du tribunal administratif grâce à un recours qui est suspensif114.

Cette exigence d'un recours suspensif a été maintes fois répétée par la Cour strasbourgeoise, comme dans l'affaire Boutagni contre France de 2010, et surtout cette année dans l'affaire du 2 février 2012, I.M. contre France. Il s'agissait de la demande d'asile d'un ressortissant soudanais qui n'a été prise en compte qu'au moment de sa rétention administrative en France. Il lui fut alors appliqué une procédure d'asile prioritaire par l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) 115 . Or cette procédure française, qui vise à une plus grande célérité dans l'examen des demandes d'asile, présente la caractéristique qu'un recours devant la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA)116 contre une décision de rejet de l'OFPRA est dépourvue de caractère suspensif. En l'espèce, le demandeur s'est justement vu opposer un refus de l'OFPRA, après lequel plus rien ne pouvait empêcher son expulsion. La Cour EDH a donc condamné la France sur le fondement de l'article 13 combiné avec l'article 3 de la Convention. Cette décision a mis en lumière une défaillance du système d'asile en France.

Ce même pays avait fait l'objet d'une décision dans l'affaire Sultani de 2007, mais la Cour n'avait constaté aucune violation de la Convention et avait conclu au rejet de la requête. Cependant, le contexte était différent puisque le requérant sollicitait l'asile dans le cadre d'une procédure de réexamen d'une précédente demande rejetée. Tel n'était pas le cas dans l'affaire I.M. contre France où le requérant, interpellé dès son arrivée à la frontière franco-espagnole a été condamné à une peine d'un mois d'emprisonnement pour infraction à la législation sur les étrangers. A sa sortie de prison, il fut frappé d'une mesure d'éloignement, qu'il contesta sans succès. Ce n'est qu'une fois placé en centre de rétention qu'il put enfin formuler sa demande d'asile examinée en procédure prioritaire, c'est-à-dire de manière accélérée.

Sans revenir sur sa jurisprudence, la Cour EDH rappelle souvent que l'effectivité du recours prévu par l'article 13 de la Convention n'exige pas en principe que le recours ait un

114 Article L. 213-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issu de l'article 24 de la LOI n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

115 L'OFPRA est un établissement public doté de l'autonomie administrative et financière, chargé de l'application des textes français et des conventions européennes et internationales relatifs à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d'apatride et à l'admission à la protection subsidiaire.

116 La Cour nationale du droit d'asile est une juridiction administrative spécialisée. Elle a une compétence nationale pour statuer en premier et dernier ressort sur les recours formés contre les décisions du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sous le contrôle du Conseil d'État, juge de cassation.

effet suspensif117. La France a échappé ainsi à une condamnation dans le cadre d'une affaire où le requérant de nationalité brésilienne se plaignait de l'impossibilité de contester le bienfondé d'une mesure de reconduite à la frontière dans le département de la Guyane qui est soumis à un régime dérogatoire du droit commun en matière de législation des étrangers. Bien que les intéressés aient la possibilité d'introduire parallèlement un recours en référésuspension, une telle voie de droit n'est cependant pas systématiquement suspensive. Cependant, la Cour a dit que les Etats ne sont pas contraints, du fait de l'article 13, de créer « une forme particulière de recours >> et qu'ils disposent en outre d'une « marge d'appréciation pour honorer les obligations qu'il leur impose >>118. La protection se montre ainsi accessoire. Le ton des juges n'est pas celui qui correspond à la protection dévolue à l'article 3 pour lequel aucune « marge d'appréciation >> ne semble être permise.

D'ailleurs, l'importance de ce caractère suspensif est surtout soulignée lorsque l'article 13 est combiné à l'article 3 de la CEDH au regard du dommage qui est susceptible d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements. Ainsi, les demandeurs d'asile doivent bénéficier plus que quiconque d'un recours suspensif car le renvoi vers le pays d'origine est souvent synonyme de risque pour leur vie, leur demande d'asile portant précisément sur celui-ci.

La Cour a également montré l'intérêt particulier de l'article 13 de la CEDH pour les demandeurs d'asile en dépassant une limite qui affecte ce fondement : celle de la dépendance aux autres articles de la Convention.

B/ Le dépassement de la limite affectant le fondement

L'article 13 « ne s'applique qu'en présence d'allégations de violations de la Convention constituant des griefs défendables au sens de sa jurisprudence >> 119 . Cette règle limite considérablement l'application de l'article 13 qui consacre pourtant un droit important pour les demandeurs d'asile, celui d'un recours effectif. La Cour EDH a donc permis une extension de cette dépendance obligatoire à un autre grief. La nécessité d'être combiné avec un grief défendable ne facilite pas la pleine effectivité de l'article 13 de la Convention.

117 Cour EDH, 5e Sect., 30 juin 2011, De Souza Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07, § 43.

118 Ibid. § 42

119 V. par exemple Cour EDH, 1e Sect. 5 avril 2011, Rahimi c. Grèce, Req. n° 8687/08.

Quel est le degré de dépendance du grief tiré de l'article 13 par rapport à celui tiré de l'autre article ? Telle est la difficulté car il n'est pas impossible que le grief tiré de l'article invoqué en combinaison de l'article 13 ne soit pas recevable ou n'emporte pas violation. Si la règle était strictement appliquée, il s'ensuivrait un déni automatique du grief tiré de l'article 13 en ces cas là. Mais la Cour européenne a dégagé des solutions qui permettent de conserver une certaine effectivité dans l'application de l'article 13 de la Convention.

Elle a rappelé maintes fois que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils y sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. Ainsi, l'article 13 ne peut être invoqué seul. Il doit impérativement être combiné avec un autre article.

Or, il semble que l'exigence d'un recours effectif contre une mesure d'éloignement ou d'expulsion qui en découle n'est consacrée que pour les cas où il est concomitamment allégué que l'exécution de cette mesure exposerait le requérant à des traitements contraires à l'art 2 ou 3120. Les principes généraux relatifs à l'effectivité des recours et des garanties fournies par les Etats contractants en cas d'expulsion d'un demandeur d'asile en vertu des articles 13 et 3 combinés de la Convention sont résumés dans l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce121. En effet, comme l'article 3 est le fondement principal de la protection du droit d'asile, c'est lui qui est naturellement combiné avec l'article 13 de la Convention.

Cependant d'autres combinaisons sont également retenues. Il est particulièrement intéressant de souligner la jurisprudence récente qui a admis la combinaison de l'article 13 avec l'article 8 qui consacre le droit à une vie privée et familiale normale.

Cette jurisprudence unique est celle de l'arrêt De Souza Ribeiro contre France de 2011122. Une des originalités de cet arrêt se trouvait dans le seul examen de la recevabilité, concernant justement l'obligation pour l'article 13 d'être invoqué en combinaison d'un grief défendable. La question était de savoir si l'article 13 peut être invoqué en combinaison d'un grief jugé irrecevable. La Cour a fait le choix d'accepter la recevabilité du grief tenant à l'article 13 combiné avec l'article 8 alors même que le grief tenant à l'article 8 pris isolément n'était plus recevable du fait de la réparation anticipée de la violation par les autorités. Le requérant ne pouvait plus être considéré comme victime au sens de l'article 34 de la Convention à partir du

120 Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité ; Cour EDH, 18 Novembre 2010, Boutagni c. France, Req. no 42360/08 ; Cour EDH, 1ère Sect. 7 juin 2011, R.U. c. Grèce, Req. n° 2237/08.

121 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité.

122 Cour EDH, 5e Sect. 30 juin 2011, De Souza Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07.

moment où son expulsion avait été empêchée par la délivrance d'une carte de séjour portant la mention << vie privée et familiale123 ». Il s'ensuit que son grief tiré de l'article 13 aurait du, selon la jurisprudence de la Cour à propos de cet article, être rejeté sur le même fondement, à savoir la perte de la qualité de victime. Toutefois, la Cour en a décidé autrement. Pour cela, elle s'est appuyée sur des considérations temporelles. Selon la Cour strasbourgeoise, il fallait se placer << au moment où le requérant a été reconduit à destination du Brésil124 », c'est-à-dire au moment de l'expulsion. Or, il y avait bien un problème qui se posait à ce stade sur le terrain de l'article 8. Le grief de violation de l'article 8 était toujours invocable. La Cour en conclut qu'il est tout à fait possible de << poursuivre l'examen au fond du grief tiré de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 8 125 ». Ainsi, la Cour ouvre la voie à des condamnations sur le terrain de l'article 13 lorsqu'il a été violé à un moment où la violation d'un autre article était bien démontrée, peu importe le fait que le grief tiré du seul article en question n'ai pas été jugé recevable par ailleurs126.

Une autre solution qui permet d'améliorer l'effectivité de l'article 13 a été envisagée par la Cour européenne.

En effet, dans l'arrêt I.M. contre France, la Cour a permis au requérant d'invoquer l'article 13 qui consacre le droit à un recours effectif, alors même que la procédure en question avait été dépassée et que la violation avait été consommée. Il s'agissait de la question des recours en cas de placement en procédure prioritaire. Cette procédure française particulièrement désavantageuse permet un examen accélérée des demandes d'asile. Le requérant avait obtenu le statut de réfugié bien après la dernière décision rendue par les autorités internes à la suite du recours qu'il a exercé et dont il dénonce l'ineffectivité devant la Cour. La violation alléguée de l'article 3 de la Convention avait donc déjà été réparée puisque l'éloignement ne pouvait plus avoir lieu. Cependant, la Cour souligne que seule l'application de l'article 39 de son règlement a pu suspendre l'éloignement du requérant, pour lequel un laissez-passer avait déjà été émis par les autorités soudanaises après la présentation du requérant devant celles-ci. Cet article 39 permet à la Cour de prendre des mesures provisoires. Or c'est uniquement grâce au maintien du requérant sur le territoire français, en vertu d'une telle mesure, que la CNDA a pu poursuivre l'examen de la demande du requérant127. En effet

123 Ibid. § 24

124 Ibid § 32

125 Ibid § 33

126 Voir Nicolas Hervieu, << Conventionalité de l'absence de recours suspensif contre une mesure d'expulsion

<< seulement » susceptible d'affecter la vie privée et familiale » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 1er juillet 2011.

127Arrêt I.M. c. France, précité, § 33.

le recours devant cette CNDA n'avait pas de caractère suspensif dés lors que le requérant avait été placé en procédure prioritaire. De ce fait, le requérant ne pouvait plus se prétendre victime d'une violation au regard de l'article 3 de la Convention mais la question de la violation au regard de l'article 13 restait actuelle.

En effet, le risque de traitement contraire à l'article 3 présentait << un degré suffisant de crédibilité >> au moment où la procédure interne litigieuse s'est déroulée128. Dès lors, la Cour a effectivement jugé que l'intéressé n'avait pas perdu sa qualité de << victime >> de la violation alléguée de l'article 13 combiné avec l'article 3. Selon la jurisprudence de la Cour, pour qu'une décision ou une mesure favorable au requérant suffise à lui retirer la qualité de victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention. Or ces conditions n'étaient pas remplies s'agissant du grief tiré des articles 13 et 3 combinés.

Du point de vue de l'article 13, la violation avait eu lieue sans qu'il soit possible de revenir dessus, alors qu'une violation alléguée de l'article 3 peut évoluer, le risque de traitements inhumains ou dégradants pouvant apparaitre puis disparaitre. Lorsque le risque de renvoi vers le Soudan a été levé, et qu'ainsi le requérant a perdu la qualité de victime, le défaut d'effectivité des voies de recours disponibles en cas de placement en procédure prioritaire existait. La Cour a ainsi déjoué une fois de plus le fait que le grief tiré de l'article 3 isolé n'était plus défendable en raison de la disparition de la violation grâce à une appréciation du grief tiré de l'article 3 au moment où le recours aurait du être effectif en vertu de l'article 13.

Le fait que la violation ait disparue en raison du seul fait de la mesure provisoire prononcée par la Cour a en outre encouragé celle-ci à dégager une solution pour que la violation alléguée de l'article 13 soit examinée. Les mesures provisoires apparaissent trop souvent comme un substitut à la mise en place de recours suspensifs par les Etats. Il fallait donc trancher la question de la violation du droit à un recours effectif afin que la France prenne ses responsabilités.

Ce même raisonnement concernant l'indissociabilité de l'article 13 aux autres articles de la Convention avait été retenu par la Cour EDH dans l'arrêt Gebremedhin. La Cour a jugé qu'elle n'était pas d'accord avec la thèse selon laquelle << l'article 13 étant indissociable des articles de la Convention auxquels il se combine, le requérant ne peut plus se dire victime d'une violation de l'article 13 combiné avec l'article 3 dès lors qu'il n'est plus victime de la violation alléguée de cette dernière disposition 129>>.

128 Ibid. §100.

129 Arrêt Gebremedhin, précité, § 56.

Elle avait aussi considéré que la violation alléguée sur le terrain de l'article 13 était « consommée » c'est-à-dire qu'elle avait eu lieue et qu'elle était irréversible au moment où le risque de renvoi vers l'Erythrée avait disparu.

Ainsi le requérant n'avait pas perdu la qualité de victime en vertu de l'article 13 même s'il l'avait perdu en ce qui concernait le grief tiré de l'article 3 pris isolément.

Cette jurisprudence qui atténue la dépendance de l'article 13 aux autres articles de la Convention renforce considérablement son efficacité, tout comme la définition que la Cour a donné de l'effectivité du recours, se rapprochant sensiblement de la protection offerte sur le terrain de l'article 6 et offrant même l'assurance d'un caractère suspensif.

Ces droits procéduraux ainsi découverts en faveur des demandeurs d'asile grâce à l'article 13 de la Convention sont d'une importance capitale pour que le droit d'asile existe lui-même, c'est également ce constat qu'il est possible de dresser concernant les droits issus de l'article 5 de la Convention.

Paragraphe 2. La protection du droit au respect de la liberté

La Cour fait une utilisation récurrente de l'article 5 § 1 de la CEDH pour venir encadrer les conditions de détention des demandeurs d'asile. Selon cet article : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté [...] ». L'article 5 § 1 de la CEDH pose comme principe la liberté physique de la personne, de sorte que nul n'en soit privé de manière arbitraire. Mais cette règle générale peut souffrir d'exceptions qui sont prévues aux alinéas a) à f) de l'article 5 § 1. L'exception posée à l'alinéa f) permet aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l'immigration130. Ainsi, les Etats ont la faculté de placer en détention des candidats à l'immigration ayant sollicité - par le biais d'une demande d'asile ou non - l'autorisation d'entrer dans le pays. Cependant, des conditions entourent cette dérogation au principe du droit à la liberté et à la sûreté. L'enfermement doit effectivement être à la fois approprié (A) et proportionné (B).

130 Arrêt Saadi , § 64.

A/ Un enfermement régulier

La privation de liberté doit être « régulière » selon la Cour européenne. Cela implique nécessairement qu'il existe une base légale à la détention (1), mais la Cour va plus loin en exigeant que cette base légale soit de qualité (2).

1) L'existence d'une base légale

L'enfermement des étrangers est autorisé par les juges européens. En effet les Etats jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l'entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire 131 » et ont la faculté de placer en détention des étrangers, notamment demandeurs d'asile. Toutefois, la Cour pose comme évidence que ce droit doit s'exercer en conformité avec les dispositions de la Convention132. Cette règle a été rappelée dans l'affaire Baranowski contre Pologne du 28 mars 2000. Ainsi la Cour s'en tient à son rôle qui est de contrôler le respect de la Convention EDH. Mais en ce qui concerne l'article 5§1 de celle-ci, le contrôle de la régularité de la mesure ne se fait pas seulement au regard de la Convention mais également du droit interne.

En effet, toute arrestation ou détention doit avoir une base légale en droit interne133, c'està-dire qu'elle doit se faire « selon les voies légales134 ». A l'alinéa f) de l'article 5§1, il est précisé que l'arrestation ou la détention doit être « régulière », comme le rappelle la Cour européenne dans sa jurisprudence. La question qui se pose est de savoir quelles sont les voies légales auxquelles la détention doit être conforme. La Cour exige d'abord que l'enfermement ait une base légale dans le droit national, c'est-à-dire le droit de l'Etat où la mesure d'enfermement a été prise.

Ce principe a été réaffirmé dans l'arrêt du 6 mars 2001, Peers et Dougoz contre Grèce. Le requérant se plaignait de l'illégalité et de la durée de sa détention. La Cour rappelle qu'en exigeant que toute privation de liberté soit effectuée « selon les voies légales », l'article 5 § 1 impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. La Cour pose effectivement l'obligation d'observer les normes de fond comme de procédure du droit national. Mais cette obligation varie selon l'existence ou non d'un lien direct avec la Convention EDH. En effet, les autorités nationales doivent interpréter et appliquer le droit

131 Cour EDH, 25 juin 1996, Amuur c. France, Req. n° 19776/92, § 41.

132 Ibid.

133 Ibid, § 50.

134 Article 5§1 de la Convention EDH.

interne, mais dans les matières où la Convention renvoie directement à ce droit c'est la Cour EDH qui contrôle le respect du droit interne. C'est l'existence d'une correspondance entre le droit interne et la Convention qui justifie ce contrôle. En ce cas là, << la méconnaissance du droit interne entraine [directement] celle de la Convention de sorte que la Cour peut et doit exercer un certain contrôle >>135. Le contrôle du droit interne se juxtapose ainsi en quelque sorte au contrôle classique de la Convention.

Cette exigence de régularité de l'enfermement au regard de la loi nationale est consolidée par la Cour qui insiste également sur la qualité de la base légale.

2) La qualité de la base légale

La cour a affirmé que pour rechercher si une privation de liberté a respecté le principe de légalité interne, il lui incombe d'apprécier non seulement la législation en vigueur dans le domaine considéré, mais aussi la qualité des normes juridiques applicables aux intéressés. Cette exigence de qualité renvoie à un principe classique en matière de droit international. Il s'agit du principe de sécurité juridique. La Cour parle de << prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble des articles de la Convention136 >> pour expliquer cette exigence particulière.

En effet, la qualité à laquelle fait référence la Cour européenne implique qu'une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et précise afin d'éviter tout danger d'arbitraire137. Ceci s'applique aux mesures d'enfermement des étrangers mais tout particulièrement à celles qui s'adressent aux demandeurs d'asile. En effet, dans l'arrêt Amuur contre France la Cour a relevé l'importance du respect de la sécurité juridique en ce qui concerne des demandeurs d'asile << compte tenu notamment de la nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique de l'immigration des Etats138 >>.

A l'occasion de cette affaire, la Cour a conclu que le système juridique français en vigueur à l'époque et tel qu'il a été appliqué dans cette affaire n'avait pas garanti de manière suffisante le droit des requérants à leur liberté. En l'espèce, des somaliens étaient maintenus dans la zone internationale de l'aéroport de Paris-Orly. La cour a estimé qu'au moment des faits, aucun texte ne permettait au juge judiciaire de contrôler les conditions de séjour des étrangers ni, au

135 Parmi d'autres, Cour EDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c. Pays-Bas, Req. n° 6301/73, § 46, § 68.

136 Arrêt Amuur c. France, précité, § 50 ; Cour EDH, Dougoz c. Grèce, Req. n° 40907/98, § 55.

137 Ibid.

138 Ibid.

besoin, d'imposer à l'administration une limite à la durée du maintien litigieux et ne prévoyait un accompagnement juridique, humanitaire et social ni ne fixait les modalités et les délais d'accès à une telle assistance afin que soient assurées les démarches des demandeurs d'asile, tels que les requérants. Il y avait donc une détention arbitraire.

Dans l'arrêt Baranowski contre Pologne du 28 mars 2000139 la Cour confirme que lorsqu'il s'agit d'une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de << légalité » fixé par la Convention. Toute loi doit donc être suffisamment précise pour permettre au citoyen de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé.

L'importance de la qualité de la base légale exigée a encore été soulignée à l'occasion de l'arrêt Riad et Idiab contre Belgique de 2008 140. Dans cette affaire, deux libanais, demandeurs d'asile politique au Royaume-Uni furent placés au << Centre 127 ». Ils formèrent une demande d'asile qui fut rejetée. Les requérants dénonçaient les conditions de leur détention dans la zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National, à la suite de leur entrée irrégulière sur le territoire belge. Le fait de << détenir » un individu dans cette zone durant une période indéterminée et imprévisible, sans que cette détention se fonde sur une disposition légale concrète ou sur une décision judiciaire valable et avec des possibilités de contrôle judiciaire limitées vu les difficultés de contact permettant un accompagnement juridique concret, a été jugé contraire au principe de sécurité juridique.

Les juges vérifient ainsi si une base légale à la détention existe en droit interne et si celle-ci est de qualité afin de déterminer si l'enfermement est régulier. Mais en plus d'être régulier, l'enfermement doit aussi être proportionné.

139 Cour EDH, 28 mars 2000, Baranowski c. Pologne, Req. n° 28358/95.

140 Cour EDH, 24 janvier 2008, Riad et Idiab c. Belgique, Req. n° 29787/03 et 29810/03.

B/ Un enfermement proportionné

La Cour opère un contrôle afin de déterminer si l'enfermement est justifié. Cet examen porte à la fois sur la question de savoir si l'enfermement est approprié au motif de détention (1), et s'il est proportionné au statut du détenu (2).

1) Un enfermement approprié au motif de détention

L'article 5 § 1 n'exige pas seulement que la privation de liberté soit encadrée par la loi mais également qu'elle soit conforme au but consistant à protéger l'individu contre l'arbitraire. La Cour exige ainsi la conformité de toute privation de liberté au but de l'article 5141. Or, pour ne pas être taxée d'arbitraire, une mesure privative de liberté prise sur le fondement de l'article 5 § 1 f) doit se faire de bonne foi et être étroitement liée au motif de détention invoqué par le Gouvernement142.

Pour les étrangers, la détention est souvent le préalable à une expulsion, c'est-à-dire un moyen de prévenir leur évasion avant de les renvoyer. Le temps de détention devient alors aussi celui de la procédure d'expulsion. Au regard du but visé par le deuxième volet de l'article 5 § 1 f) qui concerne la politique d'immigration, la Cour considère que, tant qu'un individu fait l'objet d'une << procédure d'expulsion en cours » contre lui, cette disposition n'exige pas que sa détention fût en outre considérée comme << raisonnablement nécessaire », par exemple pour l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir, comme le prévoit l'article 5 § 1 c)143.

La détention doit ainsi être proportionnée au motif qui est invoqué pour la justifier mais plus précisément un lien doit exister entre celle-ci et les conditions de détention c'est-àdire le lieu et le régime de détention144. Concernant le demandeur d'asile le motif de détention renvoie à l'alinéa f) de l'article 5§1 selon lequel la privation de liberté est justifiée << s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours ». En d'autres termes, c'est le contrôle de l'immigration qui justifie

141 Arrêt Amuur précité, § 50 ; Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74, Arrêt Saadi précité, § 67.

142 Arrêt Saadi précité, § 74

143 Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, Req. n° 22414/93, § 112 ; Cour EDH, 19 janvier 2012, Popov c. France, Req. n° 39472/07 et 39474/07, § 120.

144 Cour EDH, 30 juillet 1998, Aerts c. Belgique, Req. n° 25357/94, § 46 ; Arrêt Mubilanzila Mayeka et KanikiMitunga précité, § 53.

l'enfermement. Or, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés à ce motif145. La Cour met ainsi en exergue que les mesures de détention s'appliquent à des ressortissants étrangers qui, le cas échéant, n'ont pas commis d'autres infractions que celles liées au séjour. De ce fait, si la procédure d'expulsion n'est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d'être justifiée au regard de l'article 5§1 f)146.

La notion de conditions de détention fait notamment référence à la durée de celle-ci. En effet, la durée de la mesure d'enfermement ne doit pas excéder le délai raisonnable pour atteindre le but poursuivi. L'arrêt Saadi contre Royaume-Uni de 2008 offre un exemple de cette règle. Dans cet arrêt la Cour a souligné que la mesure de détention s'appliquait non pas à des auteurs d'infractions pénales mais à des étrangers qui, craignant souvent pour leur vie, fuient leur propre pays de sorte qu'il fallait en tenir compte dans l'application de la mesure d'enfermement. Or, la cour avait conclu qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 5§1 eu égard au contexte de l'affaire. En effet le Royaume Uni était confronté à de sérieux problèmes administratifs à l'époque car le nombre de demandeurs d'asile connaissait une augmentation vertigineuse. Il n'était donc pas incompatible avec l'article 5 § 1 f) de détenir le requérant pendant sept jours dans des conditions convenables, afin de permettre un traitement rapide de sa demande d'asile. Cette jurisprudence a été reprise dans deux affaires concernant des faits similaires, l'affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga147, et l'affaire Muskhadzhivyeva et autres148 mais encore dans l'arrêt récent Popov contre France du 19 janvier 2012149.

Quant à la durée, la mise en oeuvre d'une mesure provisoire pourrait sembler problématique. En effet, lorsqu'une mesure provisoire est mise en oeuvre, la procédure d'expulsion est suspendue ce qui peut allonger le temps de détention du demandeur d'asile. Ce fut le cas dans l'affaire Gebremedhin. Mais la Cour a décidé que la mise en oeuvre d'une mesure provisoire est en elle-même sans incidence sur la conformité à l'article 5 § 1 de la Convention. Elle a précisé que « le fait que l'application d'une telle mesure empêche provisoirement la poursuite de la procédure d'expulsion au sens du deuxième volet de l'article 5 § 1 f) ne rend pas irrégulière une détention, à condition que les autorités envisagent toujours l'expulsion et que le prolongement de la détention ne soit pas déraisonnable150 ». Une autre réponse aurait été surprenante au regard de l'objet des mesures provisoires qui sont justement

145 Arrêt Saadi précité, § 74 ; Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74 ; Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012, Popov c. France, Req. no 39472/07 et 39474/07.

146Arrêt Chahal précité, § 113 ; Cour EDH, G.C. 19 février 2009, A. et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 3455/05, § 164.

147 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga précité.

148 Cour EDH, 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, Req. n° 41442/07

149 Arrêt Popov précité, §§ 116 à 118.

150 Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74.

destinées à permettre l'examen de la demande d'asile lorsqu'une mesure d'expulsion a été prononcée.

Par conséquent, la Cour ne revient pas sur l'autorisation d'enfermer les demandeurs d'asile, mais il apparait qu'elle utilise la Convention pour ne pas que cet enfermement soit un obstacle au droit d'asile. Ainsi la Cour considère tout particulièrement la situation des demandeurs d'asile qui sont détenus en raison de leur situation irrégulière, mais elle n'oublie pas de circonstancier encore plus son contrôle en exigeant un enfermement adapté au statut du détenu.

2) Un enfermement adapté au statut du détenu

La Cour contrôle le respect de l'article 5 §1 de la Convention au regard du motif de détention comme on l'a vu, mais également au regard du statut du détenu. En d'autres termes, la Cour tient compte de la personne qui est détenue en elle-même et non pas seulement du fait qu'il s'agit d'un étranger en situation irrégulière.

La vulnérabilité des demandeurs d'asile est spécialement mise en exergue par la Cour européenne qui porte un examen attentif aux affaires les concernant tel qu'on l'a précédemment étudié pour l'article 3 de la Convention. C'est également le cas en matière de droit à la liberté et à la sûreté protégé par l'article 5.

C'est surtout lorsque des enfants mineurs étrangers sont détenus que le contrôle circonstancié du respect de l'article 5 a montré ses vertus.

En effet, les enfants mineurs étrangers font l'objet d'une attention particulière de la part de la Cour européenne. Ainsi, par exemple dans l'arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga contre Belgique du 12 octobre 2006, la mineur Tabitha a été « détenue dans un centre fermé conçu pour des adultes étrangers en séjour illégal, dans les mêmes conditions qu'une personne adulte, lesquelles n'étaient pas adaptées à sa situation d'extrême vulnérabilité liée à son statut de mineure étrangère non accompagnée151 ». Dans ces conditions, la Cour a estimé que le système juridique belge en vigueur à l'époque et tel qu'il a été appliqué en l'espèce n'a pas garanti de manière suffisante le droit de Tabitha à sa liberté protégé par l'article 5 de la Convention. C'est aussi dans l'arrêt Popov que la Cour a souligné l'inadaptation de la détention au statut de mineur migrant, mais comme nous le verrons plus loin, c'est

151 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga précité, § 103.

essentiellement sur le terrain de l'article 8 de la Convention que cet arrêt présente un réel intérêt152.

Grâce à une application stricte des articles 13 et 5 § 1 de la Convention, et grâce à des définitions autonomes de plus en plus détaillées des notions qui en ressortent, la Cour parvient ainsi à ériger une protection efficace des droits procéduraux des demandeurs d'asile en empêchant les entraves procédurales à l'examen des demandes d'asile.

On ne peut malheureusement pas dire que ce degré élevé de protection a été également atteint en ce qui concerne la protection des droits substantiels. Celle-ci en est plutôt à son commencement.

SECTION 2. La protection inachevée des droits substantiels garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme

Les droits substantiels, aussi appelés droits matériels, sont des règles de fond qui régissent un domaine particulier du droit, par opposition aux droits procéduraux. Ils sont nombreux dans la Convention européenne, pourtant seuls certains, précisément deux, tendent à être reconnus aux demandeurs d'asile. Il s'agit du droit au respect de la vie privée et familiale d'une part, et des droits sociaux d'autre part. Alors que le premier tend vers une protection avancée des demandeurs d'asile par la Convention européenne (Paragraphe 1), les seconds font assurément l'objet d'une protection partielle (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Vers une protection avancée du droit au respect de la vie privée et familiale

Il n'existe pas, au regard du droit, de définition juridique unanime de la << famille153 ». Cela peut poser des problèmes pour une cour internationale dont la jurisprudence n'est pas dédiée à s'appliquer à un seul Etat mais à plusieurs, en l'occurrence quarante sept Etats pour la Cour européenne des droits de l'Homme. Or le non respect de ce droit pour les demandeurs d'asile est un risque face à des politiques migratoires restrictives qui s'attache déjà à entraver le séjour des demandeurs d'asile eux-mêmes avant même de s'occuper de leur famille.

152 Voir Frédéric Sudre, << La pratique française de rétention de mineurs migrants au ban de la Convention », La semaine juridique Edition générale n° 8, 2012, p 221.

153 La Convention européenne des droits de l'Homme donne elle-même une définition autonome de la famille, et s'y rajoute les définitions propres au droit de chaque Etat.

Cependant, un droit a émergé pour garantir aux migrants le droit de garder une cellule familiale unie. Certains parleraient du droit au « regroupement familial », pourtant ni la Convention, ni la Cour européenne ne connaissent ce vocable. Le « regroupement familial » est une règle communautaire ou nationale, qui prévoit des conditions d'autorisation pour que la famille d'un étranger puisse le rejoindre sur le territoire de l'Etat où il séjourne régulièrement. Toutefois, la Cour européenne peut connaitre d'autres développements l'amenant à statuer sur le droit à mener une vie familiale normale au sens de l'article 8 de la Convention EDH dans des cas propres aux étrangers en situation irrégulière, à savoir la fuite du pays d'origine ou l'expulsion du pays tiers c'est-à-dire le franchissement d'une frontière (A), mais également l'enfermement (B).

A/ Le droit au respect de la vie familiale lors du franchissement de frontière

La famille peut être désolidarisée par le fait d'un déplacement hors du pays d'origine. Dès lors, le droit à une vie familiale normale au sens de la Convention peut recouvrir deux acceptions : le droit pour un étranger de voir sa famille le rejoindre dans le pays où il séjourne d'une part (1), et le droit de ne pas être séparé de sa famille en cas d'éloignement d'autre part (2). Cette distinction donne justement lieu à une jurisprudence distincte de la Cour EDH.

1) Le droit d'être rejoint par sa famille

Il s'agit ici de l'acception généralement admise du droit au regroupement familial tel que certains Etats le connaisse, en particulier les Etats membres de l'Union européenne, c'està-dire du droit accordé aux membres de la famille d'un étranger de le rejoindre dans le pays où il se trouve. Il est le plus souvent admis que l'autorisation des Etats à ce regroupement se fait en faveur des membres de la famille d'un étranger résidant régulièrement sur leur territoire. Cela signifie qu'un étranger en situation régulière aurait le droit de faire entrer d'autres étrangers sur le territoire de l'Etat où il réside pour l'unique raison qu'ils font partie de sa famille. Ce droit n'est pas exactement reconnu par la Convention dont l'article 8 énonce en son alinéa 1er que « toute personne a droit au respect de sa vie priée et familiale [...] ». Il s'agit donc plus exactement d'un droit à la protection de la vie familiale. Plus restreint, que le droit au regroupement familial prévu notamment par une directive de l'Union européenne154,

154 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.

le droit prévu à l'article 8 de la Convention n'impose pas aux Etats signataires d'accepter les membres de la famille de l'étranger en situation régulière ou irrégulière dans le pays d'accueil155. Cela n'a pas empêché la Cour de permettre aux étrangers de se prévaloir de la Convention afin de faire valoir un droit au << regroupement familial ». Ce droit tel qu'il ressort de l'article 8 présente d'autant plus d'intérêt qu'il touche tous les justiciables au sens de la Convention et donc également les étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire d'un Etat contractant. Cela concerne donc ici encore les demandeurs d'asile alors que ce n'est pas ce qui est prévu par la Directive de l'UE.

Toutefois, dans l'arrêt fondateur du 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali contre Royaume Uni156, la Cour de Strasbourg a entendu garantir aux étrangers le bénéfice de l'article 8 de la Convention. Elle a effectivement déclaré que l'on << ne saurait exclure que des mesures prises dans le domaine de l'immigration risquent de porter atteinte au droit au respect de la vie familiale, garanti par l'article 8157 ». Toutefois, confrontée à un domaine sensible pour lequel les Etats se considèrent largement souverains, la Cour n'est pas allée jusqu'à reconnaître une garantie absolue de ce droit face aux politiques migratoires nationales. Pour elle, en l'espèce, << l'article 8 ne saurait s'interpréter comme comportant pour un État contractant l'obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur domicile commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans le pays. » Dans ces trois affaires jointes, << les requérantes n'ont pas prouvé l'existence d'obstacles qui les aient empêchées de mener une vie familiale dans leur propre pays, ou dans celui de leur mari, ni de raisons spéciales de ne pas s'attendre à les voir opter pour une telle solution158 ».

En conséquence, << il n'y a pas eu "manque de respect" pour la vie familiale, ni donc infraction à l'article 8 considéré isolément »159. La souveraineté des Etats n'est ainsi pas remise en cause par la Cour dont la jurisprudence apparait ici réservée.

De même, avec l'arrêt Sen contre Pays-Bas du 21 décembre 2001, la Cour européenne des droits de l'homme a précisé que << l'article 8 peut engendrer des obligations positives inhérentes à un "respect" effectif de la vie familiale. Les principes applicables à pareilles obligations sont comparables à ceux qui gouvernent les obligations négatives. Dans les deux cas, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'État jouit

155 Denis Martin, << La Cour de justice et le droit au regroupement familial : trop ou trop peu ! », RTDH 2008, p. 603.

156 Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali, Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.

157 Ibid., § 60.

158 Ibid § 68.

159 Ibid § 69.

d'une certaine marge d'appréciation160 ».

Le contrôle de proportionnalité qui n'est pas réservé aux affaires touchant au droit des étrangers, n'est cependant pas une technique juridique utilisée de manière anodine. La Cour se prémunit aussi contre les contestations des Etats qui refuseraient l'application d'un droit inconditionnel au « regroupement familial ». Ainsi au paragraphe 36 du même arrêt, la CEDH a précisé les principes applicables en la matière, tels qu'énoncés dans ses arrêts Gül contre Suisse161, du 19 février 1996 et Ahmut contre Pays-Bas162 du 28 novembre de la même année. En premier lieu, « l'étendue de l'obligation pour un État d'admettre sur son territoire des parents d'immigrés dépend de la situation des intéressés et de l'intérêt général. » En deuxième lieu, selon « un principe de droit international bien établi, les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol. » En troisième lieu, « en matière d'immigration, l'article 8 ne saurait s'interpréter comme comportant pour un État l'obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur résidence commune et de permettre le regroupement familial sur son territoire.163 »

Il n'y a donc pas de règle générale en la matière. C'est même plutôt l'imprévision qui règne. Seule la jurisprudence concernant des enfants offre une certaine sécurité.

En effet, la Cour a l'habitude de leur dédier une jurisprudence circonstanciée du principe d'intérêt supérieur de l'enfant. Dans les décisions intéressant l'article 8 de la CEDH, comme pour celles intéressant l'article 3, les juges prennent en considération l'âge des enfants concernés, leur situation dans leur pays d'origine et leur degré de dépendance par rapport à des parents164 comme nous l'avons vu précédemment. Or, la Cour donne l'impression qu'un constat de violation de l'article 8 de la CEDH s'impose dès lors qu'un enfant est concerné. Ce n'est pas une règle énoncée par la Cour mais un sentiment qui se dégage à la lecture de sa jurisprudence.

Le caractère régalien du droit des étrangers ressort ainsi amplement de cette jurisprudence, et c'est la même constatation qui s'impose à l'étude du droit de ne pas être éloigné de sa famille.

160 Cour EDH, 21 décembre 2001, Sen c/ Pays-Bas, n° 31465/96, § 31

161 Cour EDH 19 févr. 1996, Gül c/ Suisse, Req. n° 23218/94, § 38.

162 Cour EDH 28 nov. 1996, Ahmut c/ Pays-Bas, Req. n°21702/93, § 67.

163 Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume Uni, Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.

164 Arrêt Sen précité, § 37 ; Cour EDH 31 janv. 2006, Rodrigues da Silva c. Pays-Bas, § 39.

2) Le droit de ne pas être expulsé et séparé de sa famille

On parle parfois de << double peine » lorsqu'un seul des membres d'une famille est frappé d'une mesure d'éloignement, et ainsi forcé de quitter la cellule familiale165. C'est en se fondant sur l'article 8 de la CEDH mais également sur l'article 9 de la Convention de Rome166, que la Cour européenne a initié une protection contre cette << double peine » ne touchant pas seulement la personne expulsée, mais également sa famille. Mais la Cour s'est montrée, sur ce terrain sensible, très timide.

Elle distingue la situation des étrangers illégalement établis sur le territoire d'un État membre de celle des étrangers en séjour régulier mais faisant l'objet d'une mesure d'expulsion à la suite d'une condamnation pénale.

En ce qui concerne les étrangers qui se sont établis illégalement sur le territoire d'un Etat contractant, la Cour refuse généralement de reconnaître le droit de ne pas être expulsé pour raison familiale ce qui reviendrait à accorder à ces personnes un véritable droit de séjour sur le fondement de l'article 8167. Toutefois, il arrive que, compte tenu des circonstances particulières d'une affaire, la Cour prenne exceptionnellement une décision inverse168. L'aléa dans la reconnaissance de la violation de ce droit n'en fait donc pas une garantie importante pour cette catégorie d'étrangers.

Or, l'étranger, avant de déposer une demande d'asile n'est pas en situation régulière, il ne bénéficie donc d'aucune protection de sa vie familiale.

La difficulté de protéger le droit à une vie familiale normale des demandeurs d'asile est particulièrement révélatrice de la particularité de leur statut. En effet, ce statut n'étant que temporaire, il n'apparait pas toujours utile aux yeux des autorités nationales de leur reconnaitre certains droits fondamentaux. Nul ne sait combien de temps un demandeur d'asile séjournera sur le territoire, car il est susceptible d'être renvoyé dans son pays d'origine à n'importe quel moment. Dès lors, la mise en oeuvre du rapprochement de la famille n'est pas aisée ni jugée raisonnable tant que leur situation n'est pas stabilisée. Les procédures de demande d'asile peuvent pourtant être longues et périlleuses, et le soutien de la famille peut alors s'avérer comme essentiel.

En ce qui concerne les étrangers en situation régulière dans le pays d'accueil, les

165 Henri Labayle, << Le droit au regroupement familial, regards croisés du droit interne et du droit européen », RFDA, 2007, p. 101.

166 Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant.

167 Cour EDH 13 mai 2003, Chandra et autres c. Pays Bas, Req. n° 5302/99

168 Cour EDH, 31 janvier 2006, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays Bas, Req. n° 50435/99, § 44.

décisions sont tout à fait différentes puisque le droit de ne pas être éloigné au regard du risque pour l'unité familiale est envisageable même s'il est largement conditionné169.

Si la jurisprudence établi une telle distinction en la matière, c'est certainement parce qu'elle ne peut pas faire autrement. Mais la marge d'appréciation qui est laissée aux Etats concernant l'entrée et le séjour des migrants sur leur territoire fait alors obstacle à toute avancée sur le terrain de l'article 8 de la Convention. L'application des droits de l'Homme trouve ici des limites. Toutefois la Cour a montré qu'elle pouvait les dépasser.

B/ Le droit au respect de la vie familiale lors de la détention

Ce droit au respect de la vie familiale lors de la détention est très particulier en raison des circonstances qui amènent les personnes à l'invoquer. En effet, il s'agit du cas de parents qui seraient détenus en présence de leurs enfants. Il y a donc d'autant plus d'originalité dans ces circonstances que la détention d'enfants n'est permise que dans trois pays parties à la Convention. Au départ, ce n'était qu'en faveur des mineurs isolés que la rétention avait été condamnée sur le terrain de l'article 8170 mais l'arrêt Popov de 2012 a étendu l'applicabilité de l'article 8 de la CEDH aux mineurs enfermés avec leurs parents.

Il n'est donc pas question de réunification puisqu'ils sont déjà réunis. Mais au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, le fait d'être aux côtés de ses parents ne suffit pas à préserver le droit à une vie familiale. En effet, c'est une véritable obligation positive que la Cour fait peser sur les pouvoirs publics de l'Etat en question en sorte que le respect de la vie familiale doit être effectif. Il s'agit pour les Etats « d'agir de manière à permettre aux intéressés de mener une vie familiale normale171 >>. Or le seul fait que les membres de la famille soient réunis ne suffit pas à garantir le respect du droit à une vie familiale normale, « particulièrement lorsque la famille est détenue >>172. Au contraire, la Cour a considéré que le seul fait de maintenir la famille dans un lieu de privation de liberté pendant quinze jours pouvait s'analyser comme une ingérence dans l'exercice effectif de leur vie familiale173. Le juge a alors opéré un contrôle de proportionnalité et de nécessité afin de savoir si l'ingérence pouvait « se justifier sous l'angle du paragraphe 2 de l'article 8, c'est-à-dire si, « prévue par la loi >>, elle poursuit

169 Cour EDH, 2 août 2001, Boultif c. Suisse, req. n° 54273/00 ; Cour EDH, 30 oct. 2006, Üner c. Pays-Bas, Req. n° 46410/99

170 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga précité.

171Arrêt Popov précité, § 133.

172 Ibid, § 134.

173 Ibid.

un ou des buts légitimes énumérés dans cette disposition et est << nécessaire dans une société démocratique >>, pour le ou les atteindre >>174.

Ce contrôle par les juges européens a été sans appel puisque selon eux d'autres moyens auraient du être envisagés pour parvenir au but poursuivi par les autorités, à savoir l'éloignement.

Cette condamnation de la France par la Cour européenne est primordiale car sous l'angle de l'article 8 de la CEDH, la Cour réussit à dénoncer l'enfermement abusif des familles de migrants. Certes elle ne l'interdit pas mais elle souligne que la France compte parmi les trois seuls pays européens qui recourent systématiquement à l'enfermement des mineurs migrants175, et elle met en exergue l'obligation pour les autorités de << limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d'enfants et préserver le droit à une vie familiale176 >>. Le durcissement des exigences conventionnelles est ici perceptible comme le souligne elle-même la Cour au paragraphe 147 de cet arrêt177.

L'article 8 de la Convention devient immanquablement, mais non sans difficultés, un instrument de protection efficace pour les demandeurs d'asile. Toutefois la protection des droits sociaux ne fait pas écho à cette avancée.

Paragraphe 2. Une protection imparfaite des droits sociaux des demandeurs d'asile

En comparaison avec les quelques garanties offertes aux demandeurs d'asile, les droits sociaux sont loin d'être pleinement garantis aux demandeurs d'asile. Leur protection apparait assurément comme la plus accessoire. La reconnaissance de ceux-ci au profit des demandeurs d'asile est donc lente (A) mais la Cour y parvient avec parcimonie (B).

A/ La lente reconnaissance des droits sociaux au profit des demandeurs d'asile

Il peut paraitre invraisemblable de parler des droits sociaux au regard de la Convention EDH, traditionnellement consacrée aux droits << de première génération >>, dits << classiques >>. La garantie des droits sociaux révèlerait alors un système de protection abouti, englobant les droits de première mais également de seconde génération. La Convention européenne des

174 Ibid. § 135.

175 Ibid, § 142.

176 Ibid, § 147.

177 A propos de l'arrêt Muskhadzhivyeva et autres précité, dont le grief similaire avait été déclaré irrecevable.

droits de l'Homme a pour objet la défense des droits << fondamentaux178 », ou droits de l'Homme, pris en son sens universel c'est-à-dire en tant que droits de l'humain. Elle ne contient donc pas l'énoncé de droits sociaux. Faut il y voir l'aveu que les droits sociaux ne sont pas considérés comme des droits fondamentaux, universels ?

La définition de ces droits sociaux nous aiderait à répondre à cette interrogation, pourtant celle-ci est fuyante. Pour D. Roman, ils recouvriraient << le droit d'exercer une activité professionnelle et le droit de bénéficier de prestations sociales protectrices palliant les carences du libre jeu du marché179 ». Il s'agit là d'une vision très économique et occidentale de ces droits qu'il parait difficile de concilier avec l'universalité des droits de l'Homme telle qu'ils sont protégés par la Convention EDH. Pourtant, la jurisprudence de la Cour a donné quelques indices de l'intérêt qu'elle tend à accorder à ce sujet. Cet intérêt a été explicité dès 1979 dans l'arrêt Airey 180 où les juges ont consacré ce que F. Sudre a appelé la << perméabilité » de la Convention européenne aux droits sociaux181. Il ne s'agissait pas d'une affaire touchant des étrangers, et encore moins des demandeurs d'asile. Cela parait assez évident au regard de la subsidiarité de ces droits par rapport aux droits de première génération, mais encore au regard du statut particulier de demandeur d'asile qui n'est pas encore admis à la qualité de réfugié c'est-à-dire à une protection égale à celle des nationaux des Etats parties. De plus, cette jurisprudence non spécifique aux étrangers reste extrêmement timide tant la Cour laisse une large place à la marge d'appréciation des Etats dans le domaine social.

Néanmoins, ces droits sociaux laissent transparaitre une dimension universelle si l'on conçoit qu'il s'agit du droit à des conditions de vie décentes, recouvrant par là même tous les aspects de la vie sociale, économiques et non économiques. L'article 3 de la CEDH pourrait alors fonder ce droit à un minimum de conditions sociales pour tous, nationaux et étrangers. Jamais cette possibilité n'a été soulevée avec grand enthousiasme. Seuls certains juges l'ont admis et la doctrine a pu parler de droit à des << moyens de subsistance minimaux ». Il y aurait ainsi, selon certains, une obligation à la charge des Etats de ne pas priver un individu de son droit fondamental à des moyens pour vivre. L'unanimité n'est pas la règle, tant les droits sociaux apparaissent comme périphériques aux yeux de juges déjà en proie à des difficultés

178 V. en ce sens les stipulations très explicites du Traité de Londres, signé le 5 mai 1949 et fondant le Conseil de l'Europe

179 Diane Roman, << Les droits sociaux des immigrants légaux : aspects de droits européens » in L'immigration légale : aspects de droits européens, Bruylant 2011, p. 175.

180 Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, Req. n° 6289/73, § 26.

181 F. Sudre, << La `perméabilité' de la Convention européenne des droits de l'Homme aux droits sociaux », Mélanges J. Mourgeon Bruylant, 1998, pp. 467-478.

pour permettre une protection effective des droits procéduraux et substantiels des demandeurs d'asile tels que ceux protégés par l'article 5 ou 13 mais encore l'article 8 comme on l'a vu précédemment examinés.

Ce ne serait pourtant pas contre l'avis de certains Etats membres comme par exemple le Royaume Uni dont la Chambre des Lords a formulé un avis favorable à la reconnaissance du droit à des moyens de subsistance minimaux à l'égard des demandeurs d'asile souvent les plus délaissés dans le système social182. En effet, les juges britanniques ont estimé que le fait, pour le ministère, de refuser le gîte et le couvert aux demandeurs d'asile n'ayant pas demandé rapidement ce statut à leur arrivée est inhumain et dégradant et ainsi contraire à l'article 3 de la CEDH. En France, les demandeurs d'asile, une fois leur demande formulée, bénéficient légalement d'une protection sociale minimale, et notamment d'un logement. Le Conseil d'Etat a même reconnu, par une ordonnance du 10 février 2012, que l'hébergement d'urgence était au nombre des libertés fondamentales183. La jurisprudence de la Chambre des Lords pourrait donc aisément s'appliquer en France en cas de non respect de cette législation.

La Cour européenne n'a pas entendu s'exprimer aussi franchement. Elle a effectivement émit l'idée que les conditions de vie pouvaient soulever un questionnement sous l'angle de l'article 3 mais uniquement lorsque cela atteindrait un degré de gravité minimal. Et c'est dans cette même jurisprudence qu'elle a préféré se désengager en disant, comme elle pourrait le faire pour le droit d'asile, que la « Convention ne garantit pas, en soi, des droits socioéconomiques, notamment le droit à un logement gratuit, le droit au travail, le droit à l'assistance médicale, ou encore le droit de réclamer une aide pécuniaire à l'Etat pour préserver un certain niveau de vie »184. Certes, mais ça ne signifie pas que les juges ne puissent pas reconnaitre un minimum de protection de ces droits par une interprétation extensive de certains articles. L'article 3 de la Convention interdit les traitements inhumains et dégradants. Or il ne peut être contredit que certaines conditions d'accueil sont telles qu'il peut s'agir d'un traitement inhumain ou dégradant. C'est ce qui ressort de la jurisprudence concernant les demandeurs d'asile.

182 R. c. Secretary of State for the Home Department, ex parte Adam, Limbuela and Tesema, Chambre des Lords, arrêt du 3 novembre 2005, consultable à l'adresse http://www. publications.parliament.uk/pa/ld/ldjudgmt.htm

183 Ordonnance du 10 février 2012, M.A, n°356456.

184 Cour EDH, 28 octobre 1999, Pacenko c. Lettonie, Req. n° Voir aussi Opinion individuelle de M. Cabral Barreto jointe au rapport de la Commission européenne des Droits de l'Homme sur l'affaire CEDH, B.B. c. France, 7 septembre 1998.

C'est en effet récemment avec l'effervescence du droit d'asile en Europe notamment grâce à l'avancée de l'Union européenne en ce domaine que la Cour s'est autorisée à reconnaitre des droits sociaux spécifiques aux demandeurs d'asile mais la spécificité n'est pas toujours un avantage laissant place à une reconnaissance parcimonieuse.

B/ La reconnaissance parcimonieuse des droits sociaux aux demandeurs d'asile

La Cour européenne s'en tient au strict minimum concernant les droits sociaux des demandeurs d'asile. Elle leur accorde ces droits avec parcimonie en s'occupant spécifiquement de l'accueil (1) et de l'accès aux soins (2) des requérants.

1) L'accueil des demandeurs d'asile

C'est avec l'arrêt MSS contre Belgique et Grèce que la Cour a entamé une jurisprudence nouvelle concernant les droits sociaux des demandeurs d'asile, en soulignant l'exceptionnelle gravité des conditions d'accueil réservées à ceux-ci en Grèce. Cela ne l'a pas empêché de rappeler sa jurisprudence classique à savoir les arrêts Chapman185 et Muslim186. Selon ces arrêts, << l'article 3 ne saurait être interprété comme obligeant les Hautes Parties contractantes à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction [et] il ne saurait non plus être tiré de l'article 3 un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie 187 >>.

Cependant, la particularité ici, était encore une fois l'enchevêtrement de fondements protégeant les droits sociaux puisque des obligations découlaient du droit national, lequel appliquait le droit de l'Union européenne. La Cour a ainsi relevé que << l'obligation de fournir un logement et des conditions matérielles décentes aux demandeurs d'asile démunis fait à ce jour partie du droit positif et pèse sur les autorités grecques en vertu des termes mêmes de la législation nationale qui transpose le droit communautaire, à savoir la directive 2003/9 du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres. 188 >> Le reproche qui était fait aux autorités grecques était précisément l'impossibilité pour le requérant de par leur action ou leurs omissions délibérées, de jouir en pratique des droits afin de pourvoir à ses besoins essentiels.

185 Cour EDH, G.C. 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume Uni, Req. n° 27238/95, § 99.

186 Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, no 53566/99, § 85.

187 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, Req. no 30696/09, §249.

188 Ibid. §250

Or, c'est précisément l'impossibilité de jouir des droits contenus dans cette directive communautaire dite << directive Accueil » qui faisait la différence 189 avec d'autres cas notamment l'affaire Müslim190.

L'autre originalité de la situation tenait à la qualité de demandeur d'asile, appartenant à un << groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable191 », car la protection qui lui revient est alors << spéciale192 ». Pour se justifier la Cour européenne n'hésite pas à se référer à la Convention de Genève et à la directive << Accueil » de l'Union européenne. Cependant, cela soulève une évidence. La Cour européenne n'est pas précurseur en ce domaine. Le consensus193 dont elle fait état s'est construit à ses dépens alors même qu'elle fait figure de grande protectrice des droits humains en Europe. Cette référence à d'autres instruments internationaux n'est donc pas seulement la preuve de l'extension de son champ d'action, mais également l'aveu d'une lacune en ce qui concerne le droit d'asile.

Enfin, les juges ont fait appel à des tiers (Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, H.C.R., organisations non gouvernementales) afin d'avoir une expertise complète sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Grèce. L'affaire dépassait donc le cadre des seules allégations du requérant. Il était ainsi démontré que << la situation décrite par le requérant est un phénomène à grande échelle et correspond à la réalité pour un grand nombre de demandeurs d'asile présentant le même profil que le requérant. 194»

Les juges restent ainsi réservés et les Etats libérés de toute contrainte mais dans la limite de l'acceptable. Toutefois il ne faut pas sous estimer cette jurisprudence, car c'est l'article 3 de la CEDH que la Cour a choisi. Et l'on sait que cet article est au centre du système conventionnel de par son intangibilité, ce qui donne de l'importance à la protection esquissée.

La proportionnalité est donc de mise pour ces garanties en construction. En revanche, concernant les soins des demandeurs d'asile la proportionnalité est tellement stricte qu'il parait presque impossible pour les requérants de s'en prévaloir.

189 Ibid.

190 Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, Req. n° 53566/99.

191 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce précité, §251.

192 Ibid.

193 Ibid.

194 Ibid §255

2) Les soins des demandeurs d'asile

Le droit aux soins fait partie intégrante des droits sociaux. Ils semblent même permis de penser qu'il s'agit d'un élément fondamental de ce domaine tant l'accès aux soins peut être vital. Or, c'est précisément ceci qui fait l'objet d'une restriction explicite par la Cour européenne en ce qui concerne les demandeurs d'asile.

C'est dans l'arrêt N. c. Royaume Uni de 2008 que la Cour traite du droit d'être soigné. Or il s'agit d'un renversement d'une jurisprudence de 1997 qui avait établi un lien entre absence d'accès aux traitements médicaux et exposition à un traitement inhumain et dégradant195. C'est donc également à l'inverse du raisonnement qui avait permis, dans l'arrêt M.S.S., de reconnaitre que des conditions d'accueil globalement déplorables violent l'article 3 de la Convention que la Cour a refusé en 2008 de reconnaitre cette violation alors que la requérante ougandaise souffrait du sida. Elle a décidé que << les non nationaux qui sont sous le coup d'un arrêté d'expulsion ne peuvent en principe revendiquer un droit à rester sur le territoire d'un Etat contractant afin de continuer à bénéficier de l'assistance et des services médicaux, sociaux ou autres fournis par l'Etat qui l'expulsent196 ».

En 2008, la Cour n'a finalement pas totalement renversé la jurisprudence antérieure, mais a plutôt renforcé les conditions pour qu'il y ait violation. Selon elle, << l'article 3 ne fait pas obligation à l'Etat contractant de pallier [les] disparités en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire. Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde pour les Etats contractants197 ». La marge nationale d'appréciation est ici clairement inscrite. L'article 3 de la CEDH ne pourrait ainsi jouer que << dans des cas très exceptionnels198 ». Le caractère << très exceptionnel » ne doit pas manquer d'étonner au regard de la gravité de l'état de la requérante en l'espèce.

Pour la Cour, << le fait qu'en cas d'expulsion de l'Etat contractant le requérant connaitrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour emporter violation de l'article 3199 ». De même ce n'est que dans des cas très exceptionnels que << la décision d'expulser un étranger atteint d'une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'Etat contractant est susceptible de soulever

195 Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume Uni, Req. n° 30240/96.

196 Cour EDH, G.C., 27 mai 2008, N. c. Royaume Uni, Req. n° 26565/05, § 42.

197 Ibid.

198 Ibid § 40.

199 Ibid.

une question sous l'angle de l'article 3200 ». Quelles sont alors ces circonstances « très exceptionnelles » ? Les juges répondent qu'il s'agit des cas où « les considérations humanitaires militant contre l'expulsion sont impérieuses201 ».

Dans l'affaire D. contre Royaume Uni de 1997 les juges avaient pris en compte la circonstance que le requérant n'avait dans son pays d'origine aucun parent désireux ou en mesure de s'occuper de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu'un toit ou un minimum de nourriture ou de soutien social202. La reconnaissance du droit d'être soigné dans le pays d'accueil est ainsi très aléatoire, nul ne peut ici prétendre connaitre la réponse que les juges pourraient donner à un nouveau cas d'espèce en la matière.

La seule opinion engagée pour la reconnaissance de ce droit envers les étrangers et en particulier les demandeurs d'asile a été donnée à l'occasion de l'affaire B.B. c. Royaume Uni de 1998203. C'est dans une opinion séparée jointe au rapport de la Commission que le juge Cabral Barreto a fait savoir qu'il était anormal qu'un étranger sans titre de séjour ne soit pas assujetti au régime de sécurité sociale. L'affaire en question concernait un demandeur d'asile atteint d'une maladie grave qui l'obligeait à se déplacer régulièrement à l'hôpital. Le juge considérait alors qu' « un étranger gravement malade, qui réside dans un pays dans une sorte de clandestinité sans pouvoir bénéficier pleinement du régime de la protection sociale, se trouve dans une situation qui n'est pas conforme aux exigences de l'article 3 de la Convention ».

On ne peut pas dire que la protection des droits sociaux des demandeurs d'asile est inexistante, cependant la Convention est encore muette à ce sujet et la Cour ne semble pas prête à montrer un engagement franc en ce sens. Le constat qui s'impose est bien celui d'une protection imparfaite mais pas impossible de ces droits sociaux en faveur des demandeurs d'asile.

200 Ibid

201 Ibid

202 Arrêt D. c. Royaume Uni précité, §52.

203 Cour EDH, 7 septembre 1998, B.B. c. Royaume Uni., Req. n° 30930/96.

CONCLUSION

Ces dernières années, la Cour européenne des droits de l'Homme a montré un intérêt grandissant à protéger les droits des étrangers. Qu'il s'agisse spécifiquement de demandeurs d'asile ou non, les droits qui ont été découverts ont permis une avancée certaine vers la reconnaissance d'un droit d'asile européen. Ce droit n'a toujours pas été inscrit dans la Convention et le dernier projet de réforme en ce sens date du début des années 90204. Il y aurait pourtant une cohérence certaine à le faire aujourd'hui.

La Cour européenne ne le dit pas mais sa jurisprudence révèle ses intentions. Les affaires amènent elles mêmes la Cour à traiter du sujet et les premiers pas vers la

reconnaissance du droit d'asile par les juges européens sont d'ailleurs anciens. Les affaires récentes ont simplement montré qu'il y avait urgence à inscrire ce droit dans la Convention.

Le secrétaire général du Conseil de l'Europe l'a avoué récemment : « il est évident que la question de la gestion des frontières, du droit d'asile et du retour des demandeurs d'asile déboutés a des implications particulières au regard de la CEDH 205 ». Cependant, c'est uniquement grâce à la protection par ricochet mise en oeuvre par la Cour que les requérants demandeurs d'asile peuvent faire valoir leurs droits. L'article 3 de la Convention européenne en est le meilleur exemple car il a ouvert des perspectives incroyables aux demandeurs d'asile. De même, la Cour s'est référée aux articles 13, 5 et 8 de la Convention pour défendre certains droits procéduraux et substantiels à leur égard. Cependant, cette technique présente de réels inconvénients notamment au regard du principe de sécurité juridique. Aucune prévisibilité n'est possible alors que la Cour fait face à un nombre très important de personnes susceptibles d'être concernées par la violation du doit d'asile.

De même, l'adhésion prévue de l'Union européenne à la CEDH augmentera le nombre d'affaires portant sur le droit d'asile car la Cour européenne devra vérifier la conventionalité de la législation européenne. L'Union européenne a justement mis en place un véritable régime juridique entourant la demande d'asile. Le contentieux à ce propos sera donc potentiellement important.

204 Dans sa recommandation 1236 de 1994, l'Assemblée parlementaire proposait au Conseil des Ministres de modifier la Convention pour y inscrire un droit d'asile en fondant le texte à adopter sur les suggestions formulées dans la recommandation 293 (1961) ou dans l'Annexe II au rapport de 1988 sur le droit d'asile (Doc 5930).

205 Document d'information SG/Inf(2011)10 rév, 10 juin 2011

La Cour avance ainsi sur un terrain qui lui est normalement interdit et réussit à protéger le droit d'asile en quasi-totalité. Mais la jurisprudence de la Cour ne peut pas remplacer la force que présenterait une inscription du droit d'asile dans le texte européen. De plus, à l'heure où la réforme de la Cour est au centre des préoccupations, il ne fait aucun doute qu'une mention expresse de tous les droits protégés serait une solution.

Qu'attendre alors ? Est-ce que le droit d'asile ne doit tenir qu'à l'activisme de la Cour ? Et peut-elle légitimement continuer ainsi sans trop s'éloigner de la Convention et donc de son office?

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

Denis Alland et Catherine Teitgen-Colly, Traité du droit d'asile, PUF, coll. << Droit fondamental », 2002.

Jacques Audiberti, L'Effet Glapion, Paris, Gallimard, coll. Le manteau d'Arlequin, 1959.

Marc Bossuyt, Strasbourg et les demandeurs d'asile : des juges sur un terrain glissant, Bruylant, 2010.

Jean-Yves Carlier, Droit des réfugiés, E. Story-Sientia, Bruxelles, 1989.

Thierry Di Manno et Marie-Pierre Elie, L'étranger : sujet du droit et sujet de droits, A la croisée des droits, Bruylant, 2008.

Olivier Forcade et Philippe Nivet, Les réfugiés en Europe << Du XVI° au XX° siècle », Nouveau Monde, 2008.

Henri Fulchiron, Les étrangers et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : LGDJ, 1999.

Catherine Gauthier et Marie Gautier, L'immigration légale : aspects de droits européens, Bruylant, 2011.

James Hathaway, The rights of refugees under international law, Cambridge University press, Cambridge, 2005.

Hélène Lambert, La situation des étrangers au regard de la Convention européenne des Droits de l'Homme, Ed. Conseil de l'Europe, 2007.

Jean-Paul Marguénaud, La Cour européenne des droits de l'homme : Dalloz, coll. "Connaissance du Droit", 6e éd., 2011.

Frédéric Sudre, Droit international et droit européen des droits de l'homme : PUF, coll. "Droit Fondamental", 10e éd., 2011.

Jérôme Valluy, Rejet des exilés - Le grand retournement du droit de l'asile. Editions Du Croquant, 2009.

Xavier Vandendriessche, Le droit des étrangers : Dalloz, coll. "Connaissance du droit", 9e ed. 2012.

Articles :

Marie-Laure Basilien-Gainche, << Les gens de Dublin ont des droits : la qualification de pays d'origine sûr appliquée aux Etats membres de l'Union est une présomption réfragable », in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 29 décembre 2011.

Marie-Laure Basilien-Gainche et Luc Leboeuf, << Droit d'asile : Conséquences du retrait d'une demande d'asile » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 7 mai 2012.

Laurence Burgorgue-Larsen, Actualité de la Convention européenne des droits de l'homme (janvier - juin 2011), AJDA 2011, p. 1993.

Christel Cournil, << Les droits de l'Homme en zones d'attente : condamnation européenne et résistances françaises », Cultures & Conflits, 71, automne 2008, p. 75-92. [En ligne], URL : http://conflits.revues.org/index16433.html

Christel Cournil, << Aux `confins des droits' des mineurs étrangers non accompagnés détenus et refoulés », Revue Critique de Droit International Privé, 2008, p. 35.

Marie Claire de Montecler, << L'application souple de la règle d'épuisement des recours internes par la CEDH - Y.P. et L.P. c. France, 2 septembre 2010 », AJDA 2010, p. 1621.

Patrick Dollat, << Le droit de vivre en famille et le regroupement familial en droit international et européen », RFDA 2009, p. 689.

Jean-François Dubost, << Nuages noirs à l'horizon pour la France : Recours suspensif, procédure d'asile et CEDH » (CEDH déc., 14 décembre 2010, I.M contre France), in CPDH, 24 Janvier 2011.

Jean-François Flauss, << Les droits de l'homme et la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés », dans La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugiés 50 ans après : Bilan et Perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 93.

Jean-François Flauss, Actualité de la Convention européenne des droits de l'homme (mars - août 2007), AJDA 2007, p. 1918.

Catherine Gauthier, CEDH, 26 juillet 2005, N. c/ Finlande, (req n°38885/02), JCPA, n°49, 2005, n°1375.

Catherine Gauthier, << Droits fondamentaux, immigrants légaux et droits européens >>, in L'immigration légale : aspects de droits européens (dir.) C. Gauthier et M. Gauthier, Bruylant, 2011.

Fabienne Gazin, << Du bon emploi du règlement << Dublin II >> sur la détermination de l'Etat européen responsable d'une demande d'asile : quand l'affaire NS du 21 décembre 2011 remet à l'honneur les valeurs européennes essentielles... >>, Revue Europe 2012, n°3, p. 4.

James Hathaway, << Reconcieving Refugee Law as Human Rights Protection >>, JRS, Vol. 4, n° 2, 1991, pp. 113-131.

Nicolas Hervieu, << Conventionalité de la procédure de réadmission << Dublin II >> dans son application aux demandeurs d'asile renvoyés vers la Grèce >>, in Lettre « Actualités DroitsLibertés » du CREDOF, 21 janvier 2011.

Nicolas Hervieu, << Conventionalité de l'absence de recours suspensif contre une mesure d'expulsion << seulement >> susceptible d'affecter la vie privée et familiale >> in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 1er juillet 2011.

Nicolas Hervieu, << Cour européenne des droits de l'Homme : Bilan de la nouvelle section de filtrage et éclairantes statistiques sur les demandes de mesures provisoires >> in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 28 juillet 2011.

Nicolas Hervieu, << Conventionalité du renvoi d'un moudjahidin vers la Tunisie en raison du changement de régime politique >>, in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 20 novembre 2011.

Nicolas Hervieu, << Conventionalité du renvoi d'étrangers atteints par le VIH et dilemme de la dissidence perpétuelle >>, in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 27 décembre 2011.

Nicolas Hervieu, << Encadrements conventionnels des expulsions d'étrangers terroristes menacés dans le pays de destination >> in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 24 janvier 2012.

Nicolas Hervieu, << Le droit français de l'asile et la procédure prioritaire à l'épreuve des exigences conventionnelles >> in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 3 février 2012.

Syméon Karagiannis, << Expulsion des étrangers et mauvais traitements à l'Etat de destination ou à des particuliers. Vers une évolution de la jurisprudence européenne >>, RTDH 1999, p. 33.

Henri Labayle, << L'éloignement des étrangers devant la Cour européenne des droits de l'homme >>, RFDA, 1997, p. 977.

Henri Labayle, << Le droit au regroupement familial, regards croisés du droit interne et du droit européen >>, RFDA, 2007, p. 101.

Henri Labayle, << Le droit européen de l'asile devant ses juges : précisions ou remise en question ? >> (1), RFDA 2011, p. 273.

Luc Legoux, << Asile, immigration : réconcilier les Droits de l'homme et ceux du citoyen >>, Revue européenne des migrations internationales, vol. 22 - n°2, 2006, pp. 95-103. [En ligne], URL : http://remi.revues.org/2822

Michel Levinet, << L'éloignement des étrangers délinquants et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, RTDH 1999, p. 89.

Christophe Pierucci, << Les principes généraux du droit spécifiquement applicables aux étrangers », RTDH 1999, p. 7.

Sylvia Preuss-Laussinotte, << Publication par le Comité anti-torture du Conseil de l'Europe (CPT) d'un rapport sur la Grèce » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 12 janvier 2012.

Cédric Raux, << La politique d'asile de l'union européenne dans le viseur de la Cour européenne des droits de l'homme », Cour eur. dr. h., M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, RTDH N°88, 2011, p. 1023.

Diane Roman, << Les droits sociaux des immigrants légaux : aspects de droits européens. », in L'immigration légale : aspects de droits européens (dir.) C. Gauthier et M. Gauthier, Bruylant, 2011.

Sylvie Saroléa, << Les droits procéduraux du demandeur d'asile au sens des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme, RTDH 1999, p. 119.

Serge Slama, << La Cour de justice consacre l'ubiquité du délit de séjour irrégulier, à la fois conforme et non conforme au droit de l'Union européenne selon la phase de la procédure de retour » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 7 décembre 2011.

Serge Slama, << Réadmission vers la Grèce : le droit européen de l'asile en question », Ecolloque, Fondation Albert Cohen, 2011, [En ligne], URL : http://ecolloque.fondationmemoirealbertcohen.org/index.php?page=readmissionsverslagrece

Jérôme Sohier, << Les privations de liberté de l'étranger, en droit belge au regard de l'article 5 de la Convention européenne », RTDH 1999, p. 147.

Frédéric Sudre, << La `perméabilité' de la Convention européenne des droits de l'Homme aux droits sociaux », Mélanges J. Mourgeon, Bruylant, 1998, pp. 467-478.

Catherine Teitgen-Colly, « Le droit d'asile : la fin des illusions », AJDA 1994, p. 97.

Jurisprudence :

Cour européenne des droits de l'Homme :

Cour EDH, 25 avril 1978, Tyrer c. Turquie, Req. n° 5856/72.

Cour EDH, 28 juin 1978, König c. Allemagne, Req. n° 6232/73.

Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, Req. n° 6289/73.

Cour EDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c. Pays-Bas, Req. n° 6301/73.

Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali, Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.

Cour EDH, 07 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, Req. n° 14 038/88.

Cour EDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 13163/87 ; 13164/87 ; 13165/87 ; 13447/87 ; 13448/87.

Cour EDH, 20 mars 1991, Cruz Varas et a. c. Suède, Req. n° 15576/89.

Cour EDH, 19 février 1996, Gül c. Suisse, Req. n° 23218/94.

Cour EDH, 25 juin 1996, Amuur c. France, Req. no 19776/92.

Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, Req. n° 22 414/93.

Cour EDH, 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, Req. n°21702/93.

Cour EDH, 29 avril 1997, H.L.R. c. France, Req. n° 11/1996/630/81.

Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Req. n° 30240/96.

Cour EDH, 7 septembre 1998, B.B. c. Royaume Uni., Req. n° 30930/96.

Cour EDH, Gr. Ch., 5 octobre 2000, Maaouia c. France, Req. n° 39652/98.

Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudla c. Pologne, Req. n°30210/96.

Cour EDH, 28 mars 2000, Baranowski c. Pologne, Req. n° 28358/95.

Cour EDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, Req. no 40035/98

Cour EDH, G.C. 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume Uni, Req. n° 27238/95.

Cour EDH, 6 mars 2001, Dougoz c. Grèce, Req. no 40907/98.

Cour EDH, 10 juillet 2001, Price c. Royaume Uni, Req. n° 33394/96.

Cour EDH, 21 décembre 2001, Sen . Pays-Bas, Req. n° 31465/96.

Cour EDH, 5 février 2002, Èonka c. Belgique, Req. n° 51 564/99.

Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, Req. n° 2346/02.

Cour EDH, 31 juillet 2003, Doran c. Irlande, Req. no 50389/99.

Cour EDH, 1er avril 2004, Rivas c. France, Req. n°59584/00.

Cour EDH, 4 février 2005, Mamatkulov et Askarov c. Turquie, n° 46827/99 et 46951/99.

Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, n° 53566/99.

Cour EDH, 31 janvier 2006, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays Bas, Req. n° 50435/99.

Cour EDH, 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga c. Belgique, Req. n° 13178/03.

Cour EDH, G. C. 18 octobre 2006, Uner c. Pays-Bas, Req. n° 46410/99.

Cour EDH, 1 er mars 2007, Jalloh c. Allemagne, Req n° 54810/00.

Cour EDH, 26 avril 2007, Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, Req. no 25389/05.

Cour EDH, 20 septembre 2007, Sultani c. France, Req. no 45223/05.

Cour EDH, 24 janvier 2008, Riad et Idiab c. Belgique, Req. n° 29787/03 et 29810/03.

Cour EDH, 28 février 2008, Saadi c. Italie, Req. no 13229/03.

Cour EDH, G.C. 27 mai 2008, N. c. Royaume-Uni, Req. n° 26565/05.

Cour EDH, G.C. 19 février 2009, A. et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 3455/05.

Cour EDH, 12 juin 2009, S.D. c. Grèce, Req. n° 53541/07.

Cour EDH, 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, Req. n° 41442/07.

Cour EDH, 2 février 2010, Dalea c. France, Req. n° 964/07.

Cour EDH, 1 septembre 2010, Y.P. et L.P. c. France, Req. n° 32476/06.

Cour EDH, 18 novembre 2010, Boutagni c. France, Req. no 42360/08.

Cour EDH, 21 janvier 2011, G.C. M.S.S. c. Belgique et Grèce, Req. no 30696/09.

Cour EDH, 5 avril 2011, Rahimi c. Grece, Req. n° 8687/08.

Cour EDH, 1ère Sect. 7 juin 2011, R.U. c. Grèce, Req. n° 2237/08.

Cour EDH, 28 juin 2011, Nunez c. Norvège, Req. n° 55597/09.

Cour EDH, 4e Sect. 29 novembre 2011, A. et autres c. Bulgarie, Req. n° 517776/08.

Cour EDH, 2e Sect. 20 décembre 2011, Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, Req. n° 10486/10.

Cour EDH, 5e Sect. 30 juin 2011, De Souza Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07.

Cour EDH, 15 novembre 2011, Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, Req. n° 48205/09.

Cour EDH, 2e Sect. 13 décembre 2011, Kanagaratnam c. Belgique, Req. n° 15297/09.

Cour EDH, 2e Sect. 20 décembre 2011, Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, Req. n° 10486/10.

Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012, Popov c. France, Req. nos 39472/07 et 39474/07.

Cour EDH, 5e Sect., 2 février 2012, I.M. c. France, Req. n° 9152/09.

Cour de Justice de l'Union européenne :

CJUE, 1ère Ch., 28 avril 2011, Hassen El Dridi, affaire C-61/11 PPU.

CJUE, Gr. Ch., 6 décembre 2011, Alexandre Achughbabian c/ Préfet du Val-de-Marne, affaire C-329/11.

CJUE, Gr. Ch., 21 décembre 2011, N.S. contre Secretary of State for the Home Department & M.E. et alii contre Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Euquality and Law Reform, affaires jointes, C-411/10 & C-493/10.

Table des matières

Introduction ..1

CHAPITRE 1 : Le vecteur principal de la protection du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales 10

SECTION 1. La protection du droit d'asile établie sur un fondement classique de la Convention européenne des droits de l'Homme .10

Paragraphe 1. L'extension des cas de violations par une interprétation originale de

l'article 3 de la CEDH 11

A/ La notion de violation « virtuelle» de l'article 3 de la CEDH 11

B/ La notion de violation « indirecte » de l'article 3 de la CEDH ..12

Paragraphe 2. La conventionalité du droit de l'Union européenne, un nouveau

terrain de condamnations 15

A/ La condamnation d'un ordre juridique interne 15

B/ La répercussion sur l'ordre juridique de l'Union européenne 17

SECTION 2. La protection du droit d'asile renforcée par des méthodes développées par la Cour européenne des droits de l'Homme 19

Paragraphe 1. Une mise en oeuvre de la protection par des outils efficaces.....19

A/ La garantie d'une procédure suspensive grâce aux mesures provisoires 19

B/ La garantie d'une procédure privilégiée grâce à la politique de priorisation 23

Paragraphe 2. Une protection assurée par une jurisprudence circonstanciée 25

A/ La prise en compte des éléments qui s'attachent au droit d'asile en soi 25

1) L'actualisation de la situation politique du pays d'origine par la Cour EDH ..25

2) Le particularisme lié à la qualité de demandeur d'asile 26

B/ La prise en compte des éléments qui s'attachent à la personne demandant

l'asile 28

1) Le demandeur d'asile affaibli ...28

a. Le demandeur d'asile malade 28

b. Le demandeur d'asile mineur 29

2) Le demandeur d'asile accusé de terrorisme .32

CHAPITRE 2 : Les fondements accessoires de la protection du droit d'asile par la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales 36

SECTION 1. La protection développée des droits procéduraux garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme .36

Paragraphe 1. La protection du droit au recours effectif ..36

A/ Une exigence élevée quant à l'effectivité du recours .37

1) L'exigence d'un recours de qualité 37

2) L'exigence d'un recours suspensif 39

B/ Le dépassement de la limite affectant le fondement 42

Paragraphe 2. La protection du droit au respect de la liberté 46

A/ Un enfermement régulier 47

1) L'existence d'une base légale .47

2) La qualité de la base légale ..48

B/ Un enfermement proportionné 50

1) Un enfermement approprié au motif de détention ..50

2) Un enfermement adapté au statut du détenu 52

SECTION 2. La protection inachevée des droits substantiels garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme 53

Paragraphe 1. Vers une protection avancée du droit au respect de la vie privée et
familiale 53
A/ Le droit au respect de la vie familiale lors du franchissement de

frontière ...54

1) Le droit d'être rejoint par sa famille . .54

2) Le droit de ne pas être expulsé et séparé de sa famille 57

B/ Le droit au respect de la vie familiale lors de la détention .58

Paragraphe 2. Une protection imparfaite des droits sociaux des demandeurs
d'asile 59

A/ La lente reconnaissance des droits sociaux au profit des demandeurs d'asile 59

B/ La reconnaissance parcimonieuse des droits sociaux aux demandeurs d'asile 62

1) L'accueil des demandeurs d'asile 62

2) Les soins des demandeurs d'asile 64

Conclusion 66






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry