B/ Un enfermement proportionné
La Cour opère un contrôle afin de
déterminer si l'enfermement est justifié. Cet examen porte
à la fois sur la question de savoir si l'enfermement est
approprié au motif de détention (1), et s'il est
proportionné au statut du détenu (2).
1) Un enfermement approprié au motif de
détention
L'article 5 § 1 n'exige pas seulement que la privation de
liberté soit encadrée par la loi mais également qu'elle
soit conforme au but consistant à protéger l'individu contre
l'arbitraire. La Cour exige ainsi la conformité de toute privation de
liberté au but de l'article 5141. Or, pour ne pas être
taxée d'arbitraire, une mesure privative de liberté prise sur le
fondement de l'article 5 § 1 f) doit se faire de bonne foi et être
étroitement liée au motif de détention invoqué par
le Gouvernement142.
Pour les étrangers, la détention est souvent le
préalable à une expulsion, c'est-à-dire un moyen de
prévenir leur évasion avant de les renvoyer. Le temps de
détention devient alors aussi celui de la procédure d'expulsion.
Au regard du but visé par le deuxième volet de l'article 5 §
1 f) qui concerne la politique d'immigration, la Cour considère que,
tant qu'un individu fait l'objet d'une << procédure d'expulsion en
cours » contre lui, cette disposition n'exige pas que sa détention
fût en outre considérée comme << raisonnablement
nécessaire », par exemple pour l'empêcher de commettre une
infraction ou de s'enfuir, comme le prévoit l'article 5 § 1
c)143.
La détention doit ainsi être proportionnée
au motif qui est invoqué pour la justifier mais plus
précisément un lien doit exister entre celle-ci et les conditions
de détention c'est-àdire le lieu et le régime de
détention144. Concernant le demandeur d'asile le motif de
détention renvoie à l'alinéa f) de l'article 5§1
selon lequel la privation de liberté est justifiée << s'il
s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières
d'une personne pour l'empêcher de pénétrer
irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une
procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours ». En d'autres
termes, c'est le contrôle de l'immigration qui justifie
141 Arrêt Amuur précité, § 50 ;
Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, §
74, Arrêt Saadi précité, § 67.
142 Arrêt Saadi précité, §
74
143 Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni,
Req. n° 22414/93, § 112 ; Cour EDH, 19 janvier 2012, Popov c.
France, Req. n° 39472/07 et 39474/07, § 120.
144 Cour EDH, 30 juillet 1998, Aerts c. Belgique, Req.
n° 25357/94, § 46 ; Arrêt Mubilanzila Mayeka et
KanikiMitunga précité, § 53.
l'enfermement. Or, le lieu et les conditions de
détention doivent être appropriés à ce
motif145. La Cour met ainsi en exergue que les mesures de
détention s'appliquent à des ressortissants étrangers qui,
le cas échéant, n'ont pas commis d'autres infractions que celles
liées au séjour. De ce fait, si la procédure d'expulsion
n'est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse
d'être justifiée au regard de l'article 5§1
f)146.
La notion de conditions de détention fait notamment
référence à la durée de celle-ci. En effet, la
durée de la mesure d'enfermement ne doit pas excéder le
délai raisonnable pour atteindre le but poursuivi. L'arrêt
Saadi contre Royaume-Uni de 2008 offre un exemple de cette
règle. Dans cet arrêt la Cour a souligné que la mesure de
détention s'appliquait non pas à des auteurs d'infractions
pénales mais à des étrangers qui, craignant souvent pour
leur vie, fuient leur propre pays de sorte qu'il fallait en tenir compte dans
l'application de la mesure d'enfermement. Or, la cour avait conclu qu'il n'y
avait pas eu violation de l'article 5§1 eu égard au contexte de
l'affaire. En effet le Royaume Uni était confronté à de
sérieux problèmes administratifs à l'époque car le
nombre de demandeurs d'asile connaissait une augmentation vertigineuse. Il
n'était donc pas incompatible avec l'article 5 § 1 f) de
détenir le requérant pendant sept jours dans des conditions
convenables, afin de permettre un traitement rapide de sa demande d'asile.
Cette jurisprudence a été reprise dans deux affaires concernant
des faits similaires, l'affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki
Mitunga147, et l'affaire Muskhadzhivyeva et
autres148 mais encore dans l'arrêt récent
Popov contre France du 19 janvier 2012149.
Quant à la durée, la mise en oeuvre d'une mesure
provisoire pourrait sembler problématique. En effet, lorsqu'une mesure
provisoire est mise en oeuvre, la procédure d'expulsion est suspendue ce
qui peut allonger le temps de détention du demandeur d'asile. Ce fut le
cas dans l'affaire Gebremedhin. Mais la Cour a décidé
que la mise en oeuvre d'une mesure provisoire est en elle-même sans
incidence sur la conformité à l'article 5 § 1 de la
Convention. Elle a précisé que « le fait que l'application
d'une telle mesure empêche provisoirement la poursuite de la
procédure d'expulsion au sens du deuxième volet de l'article 5
§ 1 f) ne rend pas irrégulière une détention,
à condition que les autorités envisagent toujours l'expulsion et
que le prolongement de la détention ne soit pas
déraisonnable150 ». Une autre réponse aurait
été surprenante au regard de l'objet des mesures provisoires qui
sont justement
145 Arrêt Saadi précité, § 74 ;
Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, §
74 ; Cour EDH, 5e Sect., 19 janvier 2012, Popov c. France,
Req. no 39472/07 et 39474/07.
146Arrêt Chahal précité,
§ 113 ; Cour EDH, G.C. 19 février 2009, A. et autres c.
Royaume-Uni, Req. n° 3455/05, § 164.
147 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
précité.
148 Cour EDH, 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva et autres c.
Belgique, Req. n° 41442/07
149 Arrêt Popov précité,
§§ 116 à 118.
150 Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien]
précité, § 74.
destinées à permettre l'examen de la demande
d'asile lorsqu'une mesure d'expulsion a été prononcée.
Par conséquent, la Cour ne revient pas sur
l'autorisation d'enfermer les demandeurs d'asile, mais il apparait qu'elle
utilise la Convention pour ne pas que cet enfermement soit un obstacle au droit
d'asile. Ainsi la Cour considère tout particulièrement la
situation des demandeurs d'asile qui sont détenus en raison de leur
situation irrégulière, mais elle n'oublie pas de circonstancier
encore plus son contrôle en exigeant un enfermement adapté au
statut du détenu.
2) Un enfermement adapté au statut du
détenu
La Cour contrôle le respect de l'article 5 §1 de la
Convention au regard du motif de détention comme on l'a vu, mais
également au regard du statut du détenu. En d'autres termes, la
Cour tient compte de la personne qui est détenue en elle-même et
non pas seulement du fait qu'il s'agit d'un étranger en situation
irrégulière.
La vulnérabilité des demandeurs d'asile est
spécialement mise en exergue par la Cour européenne qui porte un
examen attentif aux affaires les concernant tel qu'on l'a
précédemment étudié pour l'article 3 de la
Convention. C'est également le cas en matière de droit à
la liberté et à la sûreté protégé par
l'article 5.
C'est surtout lorsque des enfants mineurs étrangers sont
détenus que le contrôle circonstancié du respect de
l'article 5 a montré ses vertus.
En effet, les enfants mineurs étrangers font l'objet
d'une attention particulière de la part de la Cour européenne.
Ainsi, par exemple dans l'arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
contre Belgique du 12 octobre 2006, la mineur Tabitha a été
« détenue dans un centre fermé conçu pour des adultes
étrangers en séjour illégal, dans les mêmes
conditions qu'une personne adulte, lesquelles n'étaient pas
adaptées à sa situation d'extrême
vulnérabilité liée à son statut de mineure
étrangère non accompagnée151 ». Dans ces
conditions, la Cour a estimé que le système juridique belge en
vigueur à l'époque et tel qu'il a été
appliqué en l'espèce n'a pas garanti de manière suffisante
le droit de Tabitha à sa liberté protégé par
l'article 5 de la Convention. C'est aussi dans l'arrêt Popov que
la Cour a souligné l'inadaptation de la détention au statut de
mineur migrant, mais comme nous le verrons plus loin, c'est
151 Arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga
précité, § 103.
essentiellement sur le terrain de l'article 8 de la Convention
que cet arrêt présente un réel
intérêt152.
Grâce à une application stricte des articles 13
et 5 § 1 de la Convention, et grâce à des définitions
autonomes de plus en plus détaillées des notions qui en
ressortent, la Cour parvient ainsi à ériger une protection
efficace des droits procéduraux des demandeurs d'asile en
empêchant les entraves procédurales à l'examen des demandes
d'asile.
On ne peut malheureusement pas dire que ce degré
élevé de protection a été également atteint
en ce qui concerne la protection des droits substantiels. Celle-ci en est
plutôt à son commencement.
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