WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring

( Télécharger le fichier original )
par Daniel KIMBMBA KAHYA
Université catholique du Congo - Licence 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

III.2.1. L'objet dans l'appréciation morale d'un acte selon Häring

Pour Häring, la moralité, c'est-à-dire en somme la bonne volonté, ne peut tenir qu'à une intention fixée sur une fin qui soit objectivement bonne, qui trouve son contenu dans ce qu'appelle l'essence véritable de l'homme, dans ce qui manque à l'achèvement qui lui est dû selon des critères tout à fait naturels.254(*) C'est le type de développement que l'on trouve dans le soin que met saint Thomas à articuler l'un sur l'autre, autant qu'à distinguer les uns des autres, les différents paliers de bonté : celui de l'être, convertible avec l'être même ; celui de l'être naturel, auquel ne peut s'opposer comme mal que la privation de la perfection que sa nature appelle ; celui de l'homme, finalement, qui ajoute la conformité consciente et volontaire à ce qu'appelle sa nature.255(*)

Il y a lieu, pour appliquer ces considérations à un acte, de discerner la triple bonté que cet acte revêt éventuellement : d'abord celle, ontologique, qu'il tient du seul fait d'être posé et qui est coextensible à son existence même ; ensuite celle, naturelle ou ontique, qu'il tient d'être posé d'une manière physiquement correcte, de manière à produire ses effets naturels [tel une relation sexuelle complète] ; enfin celle, morale et humaine, qu'il tient d'être posé en conformité avec ce qui fait de l'homme un homme, c'est-à-dire sa raison, et qui est celle qui intéresse évidemment le moraliste [tel une relation sexuelle complète entre époux]. Et sous ce dernier plan, des actes sont intrinsèquement bons ou mauvais, selon que leur définition comporte quelque chose qui se conforme ou contrarie la raison droite. (Cf. Q. D. De malo, q. 2, art. 2 et I-II, q. 18, art. 4)

Pour Häring, donc, sous peine de tomber dans un vide ou un arbitraire total, il faut que le premier fondement pour l'appréciation morale provienne de la nature même de l'acte envisagé.256(*) Celui-ci doit avoir de fait une essence déterminée et des résultats moraux que l'on se propose quand on décide de le poser, sans quoi on ne le choisirait jamais. Comme on le choisit pour ce qu'il est de nature à donner, c'est dans cette mesure qu'il faut chercher ce qui, d'abord, permet de l'apprécier.257(*)

Saint Thomas répète à souhait que c'est de son objet que la volonté tire sa bonté ou malice258(*). Pour bien saisir le sens de ce principe, il faut rappeler que pour lui comme pour Aristote, toutes les puissances de l'âme ont un objet qui leur est propre259(*). Ainsi la vue, qui est une puissance de l'âme, a pour objet la couleur ; l'ouïe, qui en est une autre, a pour objet le son, les qualités olfactives des corps ; leurs saveurs ; et le toucher, leurs qualités tactiles, à savoir le dur, le mou, le chaud, le froid...

Bien que partielle, cette énumération permet déjà de comprendre qu'à toute puissance correspond un objet spécifique, et inversement. Puis donc que la volonté est une puissance spécifique de l'âme, elle devra, elle aussi, avoir un objet qui lui corresponde et qui ne soit celui d'aucune autre puissance, c'est-à-dire un objet propre. Et quel sera donc cet objet ? Saint Thomas nous le dit, c'est le bien en général260(*). Plus précisément, puisque la volonté est une puissance aveugle, ou mieux, un appétit rationnel, son objet sera le bien appréhendé, c'est-à-dire le bien tel qu'il lui est présenté par la raison.

Cette dernière précision n'est pas sans importance. Elle explique l'écart qu'on rencontre parfois entre le bien réel et le bien apparent. Il arrive en effet que la raison se trompe et présente à la volonté comme un bien ce qui est en réalité un mal : tel acte mensonger pour se tirer d'embarras, tel vol pour s'enrichir rapidement ou tel adultère pour assouvir ses passions, par exemple. Inversement, il lui arrive aussi de prendre pour un mal ce qui est en réalité un bien : l'opposition des Témoins de Jéhovah aux transfusions sanguines, pour prendre un exemple bien connu, ou encore le refus de la famille ou du personnel médical de cesser un traitement devenu disproportionné. Selon l'heureuse distinction qu'on retrouve quelque part chez Platon, il s'agit alors de biens et de maux apparents et non pas réels261(*).

Étant donné qu'une puissance ne peut pas défaillir envers son objet propre, si l'on disait que l'objet propre de la volonté est le bien sans autre précision, nous parlerions comme s'il ne lui arrivait jamais de s'attacher au mal. Ce qui est évidemment faux. Dire que l'objet propre de la volonté n'est pas le bien tout court, mais le bien appréhendé explique l'attachement possible à un bien qui ne soit qu'apparent et rend donc mieux compte de la réalité.262(*)

Du point de vue de son étymologie, objet signifie d'ailleurs chose placée devant. Ce qui nous amène à faire remarquer que l'objet d'un acte est toujours corrélatif de cet acte. Ainsi, l'objet de l'amour, ce sera toujours l'être aimé. Car de même qu'il n'y a pas d'amour sans un être aimant, de même il n'y en a pas non plus sans un être aimé. Et si l'acte de l'être aimant c'est l'amour, alors l'objet de cet acte, c'est son terme, à savoir l'être aimé. Et il en est de même pour les autres sortes d'acte du même genre : si l'acte de l'oeil c'est la vision, alors l'objet de la vue, ce sera le visible en tant que tel, c'est-à-dire la couleur ; si l'acte de l'oreille c'est l'audition, alors l'objet de l'ouïe, ce sera l'audible en tant que tel, à savoir le son ; et ainsi du reste.

Pareillement, vouloir c'est vouloir quelque chose ; or, la chose qui est voulue, voilà l'objet de la volonté. Ainsi, dans cette logique l'objet du vol n'est pas la chose volée, ni celui de l'adultère la personne à laquelle on s'unit extra conjugalement. L'éthique étudie en effet l'agir humain. Or il n'y a pas d'agir sans un acte de la volonté délibérée. En morale, le terme ou l'objet de la volonté sera donc toujours un agir. Et si c'est un agir, ce ne peut être ni une personne, ni une chose. L'objet du vol ne sera donc pas la chose volée, mais l'acte par lequel on s'approprie furtivement cette chose. Celui de l'adultère ne sera pas la personne même à laquelle on s'unit extra conjugalement, mais l'acte délibéré par lequel on s'y unit.

Cette référence à l'objet appelle d'emblée une précision capitale. En effet, l'objet d'un acte à portée morale est proprement constitué non par le contenu purement physique de l'acte sur le plan du genus naturae (l'ordre de la nature au sens étroit), comme disent les scolastiques, mais par le contenu intelligible visé par la raison sur le plan du genus moris (l'ordre des moeurs). Autrement dit, l'objet moral, c'est-à-dire l'objet sur lequel porte la raison pratique, n'est jamais simplement l'objet (physique, `naturel') de l'acte d'une quelconque de nos facultés, mais cet acte lui-même en tant qu'il est soumis à l'empire de la volonté et donc en tant qu'il est posé par la personne dans un contexte humain.

En d'autres termes, l'objet proprement moral du meurtre n'est pas l'innocent que l'on tue, mais l'acte par lequel on le supprime ; celui du mensonge n'est pas la parole fausse que l'on prononce, mais l'acte par lequel on dit le contraire de sa pensée à l'insu d'autrui ; celui de la contraception n'est pas le moyen qu'on utilise, ni l'usage du mariage en période inféconde, mais l'acte par lequel on frustre délibérément de sa finalité procréatrice l'union sexuelle librement consentie, etc. Bref, en morale, l'objet, c'est toujours un agir délibéré. Et c'est pour l'avoir perdu de vue que certains moralistes sont allés jusqu'à prendre le conjoint d'un autre pour l'objet de l'adultère, l'objet volé pour l'objet du vol ou l'inhibition volontaire de l'ovulation en prévision d'un viol pour de la contraception.263(*)

Que la volonté soit spécifiée par son objet signifie encore qu'elle tire de celui-ci sa bonté ou malice fondamentale. Saint Thomas dit en effet qu'il y a une proportion entre le rapport d'un être naturel à sa forme et celui d'un acte à son objet : « Les êtres naturels tirent leur espèce de leur forme, et l'action la reçoit de son objet, de même que le mouvement la reçoit de son terme. »264(*) Et c'est justement sur cette proportion qu'il s'appuie pour affirmer que la bonté première d'un acte moral - qu'on appelle aussi générique, fondamental ou foncière-lui vient de son objet : « C'est pourquoi, de même que la bonté première d'un être naturel provient de la forme qui le spécifie, de même la bonté première d'un acte moral résulte de l'objet qui lui convient ; aussi cette bonté est-elle appelée par certains auteurs bonté générique ; elle consiste, par exemple, à user de ce qu'on possède. »265(*)

Et comme le mal s'entend de la privation du bien, la même analogie de proportionnalité servira à établir que le mal fondamental ou foncier d'un acte lui viendra aussi de son objet : Dans l'ordre de la nature, le premier mal consiste en ce que la chose engendrée n'atteint pas sa forme spécifique, lorsque, par exemple, ce n'est pas un homme qui est engendré, mais autre chose à sa place. De même le premier mal dans les actions morales vient-il de leur objet, par exemple prendre le bien d'autrui.266(*)

Remarquez comment saint Thomas formule les deux exemples qu'il donne. Dans le premier où il s'agit d'illustrer un objet moral bon, il dit : « user de ce qu'on possède ». Et dans le second où il s'agit d'illustrer un objet moral mauvais, il dit : « prendre le bien d'autrui ». Dans un cas comme dans l'autre, la description donnée de l'objet commence par un verbe d'action. Nous y voyons une confirmation très nette de l'idée que soutien Häring en morale, l'objet est toujours un agir délibéré.267(*)

* 254 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 300.

* 255 Cfr. Ibidem.

* 256Cfr. Ibidem.

* 257Cfr. Ibidem.

* 258 « C'est à partir de la bonté et de la malice de la chose voulue que l'acte de la volonté est bon ou mauvais. » (Super III Sent., d. 39, q. 1, art. 2).

* 259 L'universalité de ces propos en fait foi : « Tel est précisément le bien en général, vers quoi la volonté tend naturellement comme toute puissance vers son objet. » (I-II, q. 10, art. 1, rép.)

* 260«Le bien en général qui a raison de fin, est l'objet de la volonté » (I-II, q. 9, art.1, rép.). -- « Tel est précisément le bien en général, vers quoi la volonté tend naturellement comme toute puissance vers son objet.» (I-II, q. 10, art. 1, rép.). -- « De même que l'être coloré en acte est l'objet de la vue, de même le bien est l'objet de la volonté. » (I-II, q. 10, art. 2, rép.).

* 261 D'où cette importante remarque concernant le fonctionnement de la conscience morale : « La volonté qui refuse d'obéir à la raison ou à la conscience qui se trompe, devient mauvaise à cause de l'objet dont dépend sa bonté ou sa malice ; non à cause de l'objet pris en lui-même, mais tel qu'il est saisi accidentellement par la raison, comme un mal à faire ou à éviter. Or, comme l'objet de la volonté, nous l'avons vu, est ce que lui propose la raison, dès que celle-ci présente un objet comme mauvais, la volonté devient elle-même mauvaise si elle se porte vers lui. » (I-II, q. 19, art. 5, rép.). Car, explique-t-il : « Pour qu'on dise que l'objet vers lequel se porte la volonté est mauvais, il suffit qu'il soit tel de sa nature, ou que la raison le considère comme tel ; mais pour être bon, il est nécessaire qu'il soit bon sous ce double rapport. » (I-II, q. 19, art. 6, sol. 1).

* 262 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 320.

* 263 C'est le fameux cas des religieuses à l'Est de notre Pays. Craignant d'être victimes des viols systématiques opérés par les militaires ennemis, celles-ci se sont demandé si elles pouvaient prendre des anovulants afin de prévenir d'éventuelles grossesses. Certains moralistes ont trouvé le moyen de dire non parce qu'ils y ont vu, à tort, une forme de contraception. En effet, où est donc passée l'union sexuelle librement consentie dont on voudrait frustrer la finalité procréatrice en pareil cas ? À l'inverse, certains se sont demandé pourquoi ce qui a été déclaré licite pour la religieuse ne pouvait pas être étendu à la femme mariée, négligeant une fois de plus la différence radicale qu'il y a du point de vue moral entre un acte subi contre les conséquences duquel on veut se prémunir et un autre, librement consenti, dont on frustre sciemment la finalité naturelle.

* 264 B. HÄRING. Quelle morale pour l'Église. Op. Cit., p. 107.

* 265 Cfr. Ibidem.

* 266 Cfr. A. Léonard, Le fondement de la morale. Paris, Cerf, 1991, p. 295.

* 267 B. HÄRING. Quelle morale pour l'Église. Op. Cit., p. 78.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld