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Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

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par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

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    UNIVERSITÉ CATHOLIQUE D'AFRIQUE CENTRALE
    INSTITUT CATHOLIQUE DE YAOUNDÉ
    Faculté de Sciences Sociales et de Gestion

     
     

    LES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES EN ZONE RURALE :
    CAS DU MOULIN À GRAINS

    DANS LE DÉPARTEMENT DE TOMA AU BURKINA FASO

    ~~~~~~~ q w~i~~js~

    En Sciences Socia~~s

    Présenté par Sous la direction de

    Jean cPau~~n R7 Séverin Céci~~ J4ÇBEÇJ4

    Maître de conférences

    SEPTEMBRE 2000

     

    2

    SOMMAIRE

    Sommaire 1

    Dédicace 4

    Remerciements 5

    Sigles et abréviations 6

    Introduction générale 7

    1. Constat 7

    2. Champ et objectif 8

    3. Problématique et hypothèses 8

    4. Méthodologie et approche du sujet 10

    Chapitre 1 : approche théorique de la technologie et des technologies appropriées 12

    1. Approche notionnelle de la technologie. 12

    2. Le rapport technologie et société 18

    3. Problématique des technologies appropriées 28

    4. Les aspects techniques des technologies appropriées 33

    5. Les aspects socio-économiques des TA. 34

    Chapitre 2 : présentation du site d'étude : le département de Toma. 38

    1. Le milieu naturel 41

    2. Les aspects socio-démographiques et économiques 44

    3. Réalisations en matière de développement 52

    Chapitre 3 : techniques et technologies de mouture des céréales 55

    1. Les techniques et technologies anciennes de mouture. 55

    2. Les moulins, technologie nouvelle de mouture des grains 64

    3. Le système de mouture des grains dans les villages 74

    4. Les représentations sociales autour du moulin 79

    Chapitre 4 : impact du moulin sur la vie des femmes dans le département de Toma. 84

    1. Impact d'ordre physico-biologique. 84

    2. Le temps de travail féminin 88

    3. Les aspects économiques de l'impact du moulin. 95

    3

    4. Les aspects sociaux de l'impact du moulin. 105

    Chapitre 5 : technologies appropriées pour femmes et changement social 114

    1. Les fonctions sociales du moulin 114

    2. Le moulin, facteur de changement social 120

    3. Le moulin, un enjeu des rapports sociaux de sexe. 122

    4. Technologies appropriées et promotion de la femme 126

    Conclusion et perspectives 129

    A n n e x e s 134

    Liste des annexes 135

    Bibliographie 147

    Table des tableaux 156

    Table des photographies 156

    Table des cartes 156

    Table des annexes 156

    Table des matières 157

    DÉDICACE

    4

    A MA MERE

    « Femme noire, femme africaine,
    Ô toi, ma mère, je pense à toi...
    Femme des champs, femme des rivières
    femme du grand fleuve,
    Ô toi, ma mère, je pense à toi...
    Femme simple, femme de la résignation,
    Ô toi, ma mère, je pense à toi...
    »

    Camara LAYE, L'enfant noir, Paris, Plon 1953.

    Je dédie ce travail à ma mère CLOTILDE KOUROUMA TOE, qui, comme toutes les femmes du département de Toma, a longtemps écrasé les grains sur la meule de pierre, et maintenant utilise le moulin.

    5

    REMERCIEMENTS

    « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut » (Jn 1, 3). Gloire à Dieu pour les siècles.

    Le présent travail porte mon nom, mais en réalité, il est le fruit d'une large collaboration. Il n'aurait jamais vu le jour sans le concours d'un certain nombre de personnes et d'institutions. J'adresse à travers ces lignes ma profonde gratitude à toutes celles et à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont aidé à sa réalisation. Toutefois, quelques-uns d'entre eux méritent d'être cités ici.

    Ma reconnaissance va d'abord à mon évêque Monseigneur Zéphirin TOE qui m'a envoyé aux études et n'a ménagé aucun effort pour mettre à ma disposition tous les outils nécessaires de travail.

    J'adresse un merci particulier aux autorités administratives et politiques de Toma, en l'occurrence le Haut-Commissaire et le Préfet qui ont mis à ma disposition les sources documentaires.

    Ensuite, mon directeur de mémoire M. Séverin Cécile ABEGA, guide immédiat dans la conception et la rédaction de ce mémoire, a été pour moi un maître de discipline et de méthode dans ces premiers pas que je fais dans la recherche socio-anthropologique. Je lui en sais gré pour sa patience, son souci du travail bien fait et pour ses talents d'écrivain dont j'ai profités.

    Aux autorités de l'Institut Catholique, j'adresse mes remerciements pour les quatre années de formation passées dans cette institution. Ma gratitude va spécialement au Révérend Père Louis de VAUCELLES, Doyen de la Faculté de Sciences Sociales et de Gestion, qui, dès mon année de licence, a montré un intérêt particulier pour mon thème de recherche.

    Sur mes professeurs, en particulier M. Robert NANTCHOUANG et les Révérends Pères Claude PAIRAULT et Jacques FÉDRY, qui m'ont manifesté leur amitié par leurs conseils et leur soutien, j'invoque la bénédiction de Dieu.

    Que tous mes amis, étudiants et collaborateurs, M. l'Abbé Bernard FANSAKA, Etienne DAFOGO, A. Martial DEUGOUE, Prosper ABE'ELE, Amin IDRISS ADOUM, Bertrand BAZEL, Yacouba SAMBORE, Michèle et Célestin NKOA, Cyriaque PARE, Djim NAOUSSENGAR, Ernest TAMINI, Kadjangaba TAKOBO, Anata MAWATA, Albert GAUTHIER, Abel MADENGUE, Sylvie YAMEOGO, Emmanuel FORO, M. l'Abbé Toussaint TIENDREBEOGO, M. l'Abbé Jean KADENDE, Soeur Léontine POHO, Thomas AIKO et Eric PARE trouvent dans ces lignes le témoignage de mon amitié pour eux.

    A ceux qui m'ont aidé à collecter les informations : les abbés Abraham ZERBO, Lambert KONATE et Emile SIMBORO, Dr Sabine GIES, Michel KI alias le Moine, ainsi qu'à mes informatrices et à toutes les femmes rurales du département de Toma dont la condition m'a inspiré le thème de ce mémoire, j'adresse mes sincères remerciements. Je remercie les prêtres et les religieuses SAB de la paroisse de Toma pour leur hospitalité et leur fraternité.

    Enfin à mes parents, Danro Cyrille KI et Kourouma TOE à Sien, Fidèle TOE et sa famille à Ouagadougou, Soeur Marie Cécile TOE, Supérieure Générale des SAB, je termine en disant : « le Seigneur n'oubliera aucun de vos bienfaits ».

    6

    SIGLES ET ABRÉVIATIONS

    ADRTOM : Association pour le Développement de Toma.

    AGR : Activité Génératrice de Revenus.

    APICA : Association pour la Promotion des Initiatives Communautaires Africaines.

    AVV : Aménagement des Vallées des Voltas.

    BMHN : Boucle du Mou-Houn.

    CESAO : Centre d'Etudes économiques et Sociales de l'Afrique de l'Ouest.

    CFA : Communauté Financière Africaine.

    CICA : Commerce International pour le Continent Africain.

    CRDI : Centre de Recherche pour le Développement International (Canada).

    CRPA : Centre Régional de Promotion Agro-pastorale.

    CV : Cheval - Vapeur.

    D.M.A. : Division du Machinisme Agricole (Mali).

    GVF : Groupement Villageois Féminin.

    i.e : id est (c'est-à-dire)

    INADES : Institut Africain pour le Développement Economique et Social.

    INSD : Institut National de la Statistique et de la Démographie.

    IPD / AOS: Institut Panafricain pour le Développement / Région de l'Afrique de l'Ouest-Sahel.

    IRD : Institut de Recherche et de Développement.

    ONG : Organisation Non Gouvernementale.

    ONUDI : Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel.

    ORD : Organisme Régional de Développement.

    PEM-LON : Nom d'une association en langue san signifiant « Dites : "Les femmes" ».

    PME : Petites et moyennes entreprises.

    PSP : Poste de Santé Primaire.

    RGPH : Recensement Général de la Population et de l'Habitat.

    SAB : Soeur de l'Annonciation de Bobo-Dioulasso.

    SEMRY : Société de modernisation de la riziculture de Yagoua.

    TA : Technologie Appropriée.

    UGPN : Union des Groupements Producteurs du Nayala.

    UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

    7

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    Ce travail aurait pu être intitulé Femmes rurales et innovation technologique. Le cas du moulin à grains. Mais notre enquête nous a révélé que le moulin n'est pas seulement l'affaire des femmes bien que celles-ci soient le plus en contact avec cet outil de travail. De plus nous avons voulu prendre en considération toute la problématique des Technologies Appropriées (TA).

    1. CONSTAT

    Le milieu rural africain fait, depuis quelques décennies, l'objet de préoccupation pour les Etats et divers agents (particuliers, groupes et ONG) oeuvrant pour le développement. Et pour cause : la campagne comparativement à la ville reste moins nantie sur beaucoup de plans. Les efforts en matière de développement visent ainsi à doter le milieu rural de certains moyens de progrès économique, social et culturel. Il s'agit des technologies dites appropriées au milieu rural.

    Depuis les indépendances, le gouvernement du Burkina Faso (alors Haute -Volta) intervient auprès des masses paysannes par le biais des Organismes Régionaux de Développement (O.R.D) en les dotant de technologies agricoles : techniques de production, matériel agricole moderne (charrues, tracteurs, moto-pompes...), matériel de transformation alimentaire, etc. Et pendant longtemps, ces technologies ont beaucoup plus aidé les hommes que les femmes dans leurs conditions de vie et de travail. En effet, malgré leur rôle capital dans la chaîne alimentaire, les femmes rurales au Burkina ne sont toujours pas bien équipées.

    A partir de 1975, année de la femme1, les préoccupations se font de plus en plus grandes pour la condition de la femme rurale, condition présentée de plusieurs manières selon les idéologies. Aujourd'hui de nombreuses ONG se battent au Burkina pour la promotion de la femme rurale par l'introduction d'outils visant à faciliter son travail domestique.

    1 L'année 1975 a été désignée « année de la femme » par l'Assemblée Générale des Nations Unies.

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    Si dans le présent travail nous nous intéressons aux moulins à grains, technologie moderne de transformation alimentaire, c'est parce que nous constatons que malgré les efforts de l'Etat et des agents de développement, la condition de la femme rurale au Burkina Faso en général, et dans le département de Toma en particulier, reste pénible et exige une réflexion. Qu'apportent les moulins à la condition de la femme rurale à Toma ?

    2. CHAMP ET OBJECTIF

    Si le champ géographique de notre recherche est le milieu rural et plus précisément le département de Toma, dans la Province du Nayala, au Burkina Faso, le champ théorique en anthropologie sociale se veut être la technologie culturelle et le changement social. En effet, l'étude comparée des techniques anciennes et modernes de mouture des céréales nous permet d'observer et d'analyser les changements socioculturels et économiques dans la région de Toma. En outre, parce que la mouture des grains est une activité culturellement réservée aux femmes dans la société san, l'approche par le genre nous sera d'une utilité pour interpréter les comportements féminins et masculins autour du moulin.

    L'objectif de ce travail est de connaître et de mettre en relief les effets produits par l'introduction des technologies appropriées dans le milieu rural afin de découvrir comment le moulin modèle les conditions de vie des populations et quels problèmes de développement il soulève. En ciblant les femmes, notre recherche entend être une contribution à l'étude des problèmes liés à la condition de la femme en milieu rural. Ce faisant, l'étude intégrera les questions du rapport de l'homme au travail, du rapport homme/machine et de la modernité. En fait, il s'agit, à partir d'un cas d'innovation technologique, de faire ressortir les dynamiques sociales nouvelles, indices d'un processus de développement.

    3. PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHESES

    Depuis les indépendances, les stratégies de développement en Afrique ont suivi plusieurs voies afin de permettre, en ce qui concerne le milieu rural, d'accéder à certaines conditions de vie plus aisées. De plus, depuis ce temps la recherche des moyens techniques adaptés au milieu rural a fait son chemin, donnant naissance à l'expression de technologies appropriées dans les années 1970. Le terme « appropriées » vise donc à répondre aux besoins fondamentaux des populations concernées : besoins en nourriture, logements, vêtements, santé, éducation, etc.

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    Par technologies appropriées il faut entendre à la fois technologies traditionnelles (locales) et technologies modernes (souvent objet de transfert des pays développés vers ceux en voie de développement).

    Selon Marc Ecrement (1984 : 57), la technologie est « l'ensemble de connaissances appropriées et de savoir-faire ordonnés à la transformation de ressources en vue de la production de biens ou de services ». L'appropriation dont il est question se fait au sein d'une société donnée et demande du temps. C'est la raison pour laquelle J.Perrin (1984 : 95) parle de la technologie comme « apprentissage social ». Elle doit, pour être acquise, « s'intégrer dans le système de représentation de l'acquéreur » (1984 : 6).

    L'innovation technologique produit toujours des transformations sociales dont les effets directs ou indirects ne sont pas toujours maîtrisés. Ces transformations touchent soit une catégorie de la population, soit l'ensemble de celle-ci ainsi que le souligne la Commission Internationale d'histoire des mouvements sociaux et des structures sociales, (1989 :4è de couverture) : "l'utilisation d'une technologie nouvelle peut transformer complètement l'aspect d'une région et les coutumes de ses habitants". Dans le cas du moulin à grains, notre question de départ est la suivante : Quel est l'impact du moulin à grains sur la vie sociale et économique des femmes du département de Toma ?

    Quelques hypothèses de recherche servent de réponses provisoires à cette question en attendant d'être confirmées ou infirmées par les résultats de recherche :

    1. Le moulin allège le travail domestique des femmes.

    2. Le moulin permet aux femmes de réaliser un gain de temps tout en introduisant d'autres modalités de le gérer.

    3. Le moulin réorganise les rapports humains au village.

    4. Le moulin faisant intervenir l'argent, restructure l'économie villageoise et partant, induit des changements dans les perceptions, faits et pratiques gestionnaires.

    5. L'introduction et la présence du moulin apportent des changements dans les rôles et les places des femmes au sein des sociétés rurales et font apparaître de nouveaux rôles.

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    4. METHODOLOGIE ET APPROCHE DU SUJET

    Toute recherche scientifique doit suivre une méthodologie. Celle que nous avons appliquée est celle des sciences sociales où le chercheur s'applique à « écarter systématiquement toutes les prénotions » sur le sujet (Durkheim, 1895, 1988 : 125).

    + La recherche documentaire et l'enquête

    Pour mener à bien cette recherche, nous avons procédé d'abord (en juillet 1999) à une recherche documentaire au Burkina Faso dans des bibliothèques (CESAO, INADES-FORMATION, IPD/AOS et IRD). Ensuite, une synthèse des différentes lectures nous a permis d'élaborer une problématique provisoire et des hypothèses de recherche. Ce n'est qu'après cela que nous avons pu procéder à une première enquête à partir d'un questionnaire. Une deuxième enquête de terrain fut effectuée du 16 décembre 1999 au 18 janvier 2000 afin de couvrir un échantillon plus large. La nécessité d'une recherche documentaire plus pointue nous conduisit en avril 2000 à l'APICA (Association pour la promotion des initiatives communautaires africaines) à Douala.

    + L'échantillon

    Un échantillon stratifié de 130 personnes dont la majorité (100 personnes) composée de femmes nous a permis de recueillir les données sur le terrain. La proportion importante de femmes s'explique : ce sont elles qui sont les premières concernées par les technologies de transformation alimentaire. Une distinction est faite entre :

    - les femmes n'ayant connu que la mouture à meule de pierre (20 personnes).

    - les femmes n'ayant connu que la mouture avec le moulin (50 personnes).

    - les femmes ayant l'expérience de la mouture à meule et du moulin motorisé (30 personnes).

    Les hommes ne sont pas exclus de notre échantillon dans la mesure où en matière de faits sociaux, ce qui concerne un sexe concerne généralement l'autre aussi. Dans le département de Toma, les chefs de ménages interviennent par exemple financièrement dans la mouture par moulin. Une autre raison, c'est que les meuniers sont tous des hommes. Enfin, à l'exception des

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    groupements féminins, les propriétaires de moulins sont des hommes dans le département de Toma.

    L'observation participante et l'entretien semi-directif sur base de questionnaires nous ont

    servi comme moyen de collecte des données. Quatre questionnaires furent adressés aux

    catégories suivantes :

    - les propriétaires de moulin (particuliers et associations)

    - les meuniers

    - les chefs de ménages.

    - les femmes

    Nous avons également consulté les personnes et institutions (bailleurs de fonds et ONG)

    oeuvrant pour la promotion de la femme.

    + Le cadre théorique

    L'élaboration de ce travail fait enfin appel à un corps de théories scientifiques utilisées par les sociologues et les anthropologues. Ainsi à travers l'approche dynamique (dynamisme), nous entrons dans une anthropologie qui se donne l'innovation pour objet, une anthropologie attentive aux changements. Car l'innovation (qu'elle soit religieuse, politique ou agro-alimentaire) est un objet légitime pour les Sciences Sociales.

    Le fonctionnalisme à travers la théorie des besoins nous permet de comprendre les mobiles de l'importation des moulins et, d'autre part, à travers la théorie des rôles d'appréhender les fonctions sociales de ceux-ci.

    Tandis que l'analyse stratégique aura son importance dans l'appréhension des stratégies déployées autour des moulins par les femmes, les meuniers et les propriétaires de moulins, l'approche systémique nous permettra, à travers la méthode comparative, de situer le moulin par rapport à d'autres secteurs d'activités des femmes afin d'en mesurer l'impact.

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    CHAPITRE 1 : APPROCHE THÉORIQUE DE LA
    TECHNOLOGIE ET DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES

    Ce premier chapitre de notre travail consiste en une revue de la littérature sur la technologie et les technologies appropriées. Il s'efforce de mettre en relief différentes approches d'auteurs sur le thème. Ce travail préalable nous permettra en même temps de préciser notre approche et de présenter la problématique qui est la nôtre. Procédant par une démarche thématique, nous ferons le tour du sujet en partant d'abord d'une approche notionnelle pour ensuite considérer le rapport technologie et société. Par la suite, une prise en compte de la problématique des technologies appropriées, de leurs aspects techniques et socio-économiques complètera cette revue de littérature.

    1. APPROCHE NOTIONNELLE DE LA TECHNOLOGIE.

    Cette approche prend successivement en compte les origines et l'évolution du concept de technologie pour s'intéresser à la distinction technologie ancienne et technologie nouvelle.

    a). Aux sources du mot « technologie ».

    Etymologiquement le mot vient du terme grec « technologia » lui-même formé de la racine « technè » (art, technique) et de « logos » (discours). La technologie serait donc le discours sur la technique ou les techniques. En d'autres termes, la technologie est la "science qui a pour objet les techniques" (Salomon, 1992 : 66). Mais qu'en est-il de la technique elle-même ?

    Une technique n'existe que par rapport à une action. La technique est inséparable de l'activité, car c'est elle qui permet la réalisation de celle-ci. M. Weber (cité par J.Y. GOFFI,1988 : 21-22) écrit en effet que « la technique d'une activité est la somme des moyens nécessaires à son exercice ». Mais la technique est une opération rationnelle. Cette technique rationnelle est, toujours selon Weber, « la mise en oeuvre de moyens intentionnellement et méthodiquement en fonction d'expériences, de réflexions et - poussant la rationalité à son plus haut degré - de considérations scientifiques ». Cette définition nous amène à conclure que toute activité élaborée est le fruit d'une technique. La technique met en relief l'aspect artistique de l'activité. Disons ici que la technique correspond à l'ensemble des savoir-faire déployés dans la

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    réalisation d'une oeuvre. Application concrète d'un savoir-faire à une activité, la technique dans le sens weberien se définit en terme d'action. D'où son dynamisme intrinsèque. Au total, nous définissons la technique comme un savoir-faire pratique.

    La technologie, dans une première approche est la théorie de ce savoir-faire pratique. Elle est un discours organisé sur la technique, sur le savoir-faire humain. Leroi-Gourhan (1988 : 1030) qui s'est beaucoup intéressé à la technologie la définit justement comme « l'étude de tout ce qui concerne l'action de l'homme sur la matière ». Cette définition de Leroi-Gourhan laisse sous-entendre non seulement la notion de savoir-faire déjà organisé mais aussi celle d'une recherche sur l'impact de l'action humaine sur l'environnement physique. Une telle approche tend à faire de la technologie une discipline. Sigaut (1984 : 360) va dans la même ligne de pensée et dit que depuis Marcel Mauss et même auparavant, "les ethnologues appellent technologie la branche des sciences humaines dont la tâche est de décrire, d'analyser et de comprendre les faits techniques". Mais la technologie ne réussira pas à s'imposer comme discipline scientifique. Bien plus, la compréhension du terme a connu une évolution avec le temps.

    b). Évolution du concept.

    Nous ne sommes pas restés au premier sens du mot « technologie ». "Le sens étymologique, nous dit Jean Jacques Salomon (1992 : 66), a été renouvelé, d'un côté, par l'histoire de l'industrialisation et, de l'autre, par l'usage prédominant du mot dans son acception anglaise". Dès lors, la technologie désigne à la fois des objets matériels et immatériels.

    + La technologie comme un ensemble d'objets matériels

    Du point de vue de la langue anglaise qui selon Salomon (1992 :67) « ignore le substantif "technique", et parle des "arts techniques" au sens de l'artisanat ou des arts et métiers », le mot technologie peut désigner «des objets matériels, des outils et des dispositifs simples (levier, marteau, charrue, etc.) et des systèmes complexes (une usine, un réseau de chemins de fer, d'ordinateurs, de satellites, etc.) ». L'auteur note d'ailleurs que la frontière entre outils et systèmes plus complexes n'est pas nette dans la mesure où ceux-ci peuvent faire partie de systèmes plus larges ("roues et ailes d'un moulin, bielles et manivelles d'une machine") et où il existe des systèmes plus complexes que d'autres.

    14

    Comme on le voit, la technologie tout en gardant son sens originel théorique de discours, de science, de corps de connaissances et de savoir-faire ordonné à la transformation de la matière se confond ici avec cette matière. Une relation d'identité s'établit ainsi entre la technologie et l'objet matériel, produit d'un savoir-faire technique. Leroi-Gourhan (1971 : 316) appréhendait d'ailleurs la technologie sous cet angle. Pour lui « la technologie, mot précis dans le vocabulaire industriel moderne, s'étend progressivement du poste de télévision au silex éclaté ». En effet, nous pouvons dire que l'évolution de la compréhension du terme est liée à la révolution industrielle de la fin du XVIIIè siècle (appelée, à juste titre, révolution technologique), qui a permis de mettre progressivement sur le marché des produits et des techniques sophistiquées appelés technologie de pointe. Aujourd'hui la technique, telle que nous l'avons définie, et le produit de la technique définissent la technologie. L'ensemble de matériels et d'outils divers conduira par ailleurs à utiliser le mot technologie au pluriel. On parle aujourd'hui des technologies : technologies dans le domaine agricole, dans le domaine de l'information, etc.

    Les spécialistes du développement rural, en Europe dans les années 1950, et du développement africain à partir des années 1960, mettront davantage l'accent sur l'aspect matériel de la technologie. Une conséquence de cela est la tendance à voir dans ce que l'on appelle transfert de technologies uniquement un ensemble d'outils et de matériels transportés depuis l'Europe vers les pays en voie de développement. Mais il n'y a pas que l'aspect matériel dans la technologie ; la technologie désigne également un ensemble d'objets immatériels.

    + La technologie, ensemble d'objets immatériels.

    A côté du radical "technè" qui renvoie au caractère matériel de la technologie se trouve le suffixe "logos" qui en désigne l'aspect immatériel. En effet, « le mot peut aussi désigner des objets immatériels, des idées, des connaissances, des symboles, bref un savoir. C'est ce sens que l'on retient, lorsqu'on parle du Massachusetts ou du California Institute of Technology, c'est-à-dire de lieux où l'on enseigne, transmet, renouvelle et crée un savoir sur la manière de produire des dispositifs et des systèmes qui associent la science et le savoir-faire, les coups de main de l'artisan, la pratique de l'ingénieur et les théories du savant » (Salomon, 1992 : 67). Comme discours sur les techniques, la technologie se voudrait d'abord une science, un savoir. C'est ce savoir qui permettra la production du matériel technique.

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    Savoir enseigné et transmis en vue d'une opération, la technologie comme science pose un autre problème, celui de discipline ou branche de la science. En d'autres termes, si la technologie est une science, cela suffit-il pour la considérer comme une discipline scientifique ? A cette question Salomon répond que la technologie comme discipline scientifique n'existe pas et ne peut exister en tant que telle. Car "la « science des techniques », objet de recherche et de pédagogie, capable de dresser la carte de toutes les techniques et de tous leurs procédés, est demeurée un projet sans avenir. Il y a, certes, des spécialistes ou des « étudiants de la technologie » pour parler des techniques (de Beckmann à Mumford, en passant par les Encyclopédistes, Marx, Espinas, Reuleaux et tant d'autres), aucun toutefois n'a jamais été ni prétendu être un « technologue »" (1992 : 71). L'auteur ajoute comme raison à cela que la technologie en tant que discours sur les techniques n'est pas à la technique ce que la linguistique est au langage ou la biologie aux êtres vivants. Ceci sous-entend qu'il n'y a pas de base commune des techniques ni de critères déjà définis permettant au chercheur en ce domaine de devenir technologue au sens de spécialiste des techniques. Il y aurait donc difficulté à ériger la technologie en discipline scientifique. Nous ne relèverons pas toutes les causes, mais signalons qu'une des causes principales de cet état de fait pourrait se trouver dans le développement du machinisme et de la révolution industrielle. En effet, si au Moyen Age, le mot technologie renvoyait à la "technique de la logique", au XVIIIè siècle le concept oscille entre deux pôles : "d'un côté, celui d'une entreprise universitaire qui vise à recenser, à codifier et à réunir en un corps de doctrine cohérent tout ce que l'on peut savoir des opérations de l'art ; de l'autre, celui d'une entreprise politique qui vise à légiférer sur le rôle des techniques dans l'univers économique et social" (Salomon, 1992 : 71). Ce serait donc le poids de plus en plus croissant du deuxième pôle qui fera de la technologie un "processus social". Ce processus est celui qui établit le lien entre technologie et société prenant en compte le politique, l'économique et le culturel. Nous développerons cet aspect dans la deuxième section de ce travail lorsque nous parlerons du rapport technologie et société.

    Toujours au sujet de l'immatérialité de la technologie, force est de reconnaître qu'une frontière rigide entre ce qui est matériel et ce qui est immatériel semble impossible. En effet, comme dit Salomon (1992 : 67) "de quel côté situer le logiciel d'un ordinateur ?"

    Il apparaît au terme de ce développement que les objets matériels et immatériels doivent être considérés non pas comme des éléments séparés de la technologie mais comme un tout

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    formant la technologie. On définirait mal la technologie en faisant abstraction d'un aspect. Traitant donc du moulin comme technologie moderne, nous n'en resterons pas à son aspect matériel qui relève uniquement de la production technique. Autour du moulin gravite tout un ensemble de valeurs culturelles qui intéressent notre sujet. Mais en attendant, essayons d'approfondir notre connaissance des technologies à travers les différents vocables existant à ce propos.

    c).Technologies anciennes et technologies nouvelles.

    La présentation des qualificatifs des technologies a une double importance pour notre étude. D'abord, ces qualificatifs nous permettent de voir comment les termes évoluent et/ou se précisent avec le temps. Ensuite, ils rendent possible une certaine catégorisation des technologies et nous permettent de choisir la catégorie de technologies dont nous voulons traiter dans notre étude.

    La qualification des technologies est née de la dynamique même de l'évolution, de la prolifération et de la diversité des matériels et des procédés ou savoir-faire techniques. Grâce au progrès de la science, il est difficile de nos jours de parler de technologie au singulier. Les technologies modernes se disent au pluriel. Une certaine classification a donné lieu aux terminologies suivantes parfois en couples d'opposition : technologies anciennes / technologies nouvelles (ou technologies traditionnelles / technologies modernes), technologies douces / technologies sophistiquées, technologies appropriées (ou technologies intermédiaires) / technologies conventionnelles. Signalons que cette classification est liée au temps, mais aussi aux idéologies ayant soutenu les politiques de développement ou d'aménagement de l'espace rural. Dans ce dernier cas, les mêmes matériels et outils peuvent se retrouver sous plusieurs attributs.

    En Europe, c'est la révolution industrielle (1780-1950) qui a permis de faire une distinction entre les technologies considérées dorénavant comme anciennes ou traditionnelles et celles dites nouvelles ou modernes. Ainsi se regroupent sous l'appellation de technologies traditionnelles toutes les techniques, procédures, savoir-faire et matériel à caractère essentiellement artisanal sanctionnés par le machinisme de cette époque. Dans le domaine économique par exemple, ces technologies se caractérisent par leur faible capacité de production et de rendement. En outre, elles font appel à la force humaine ou animale comme

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    source d'énergie, d'où le caractère pénible de ces technologies. Il s'agit de toutes les technologies depuis l'antiquité jusqu'à la révolution industrielle.

    Les technologies nouvelles ou modernes quant à elles se montrent plus efficaces par leur rapidité, leur grand rendement et par le repos qu'elles procurent à l'homme dans l'exécution des tâches. La raison en est que la plupart de ces technologies bénéficient de la motorisation avec pour source d'énergie la vapeur d'abord et par la suite le carburant et l'électricité. Les technologies modernes sont essentiellement industrielles.

    L'expression de "nouvelles technologies" est beaucoup plus récente et date des années 1980. Elles sont fondées sur la micro-électronique. Selon Ajit Bhalla (1992 : 458) "leur introduction modifie la structure professionnelle de la main-d'oeuvre au bénéfice de la programmation et des compétences générales, et au détriment d'une spécialisation trop poussée". Ces nouvelles technologies sont concentrées et contrôlées par les grandes firmes multinationales.

    Dans le contexte africain, sont considérés comme technologies traditionnelles celles d'avant la période coloniale, et modernes toutes celles issues du contact avec l'Occident. Les informations que nous détenons sur les technologies traditionnelles grâce aux historiens révèlent que les sociétés africaines, comme les autres dans le monde, étaient techniquement bien équipées et connaissaient une évolution technologique intéressante. Nous lisons par exemple que le premier millénaire de l'ère chrétienne, dans les sociétés de l'Afrique subsaharienne, se caractérise par des changements fondamentaux dans tous les domaines : "L'économie passe du stade du parasitisme à celui de la maîtrise des moyens de production alimentaire végétale et animale. De même la technologie rudimentaire, en grande partie fondée sur l'utilisation de la pierre et du bois, fait place à une technologie beaucoup plus complexe fondée sur l'emploi de divers métaux parallèlement à celui de la pierre" (Posnansky, 1987 : 503). Déjà dès ce premier millénaire (+ 800) les sociétés africaines disposaient de moyens techniques pour l'exploitation des minéraux (le cuivre, le fer, le sel, l'or...).

    De la colonisation à nos jours, l'Afrique bénéficiera, pour son développement, de plusieurs transferts de technologies occidentales. C'est de ce choc de cultures que les technologies locales seront appelées traditionnelles et les nouvelles venues modernes.

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    Un regard rétrospectif sur ce premier point du chapitre nous permet de conclure que la technologie est polysémique et multifonctionnelle : savoir et pratique, objets matériels et immatériels. Symbole du progrès et de la dynamique des sociétés, elle ne saurait être appréhendée entièrement en dehors d'elles. C'est pourquoi il nous faut à présent nous intéresser au rapport entre technologie et société car c'est par et dans la société que toute technologie existe et prend sens.

    2. LE RAPPORT TECHNOLOGIE ET SOCIÉTÉ

    Un rapport intrinsèque existe entre société et technologie. C'est pourquoi nous voulons traiter ici de la technologie comme fait social. En effet, les procédés comme les équipements ou outils sont des productions sociales. C'est pourquoi Salomon (1992 : 67) ne manque pas de signaler qu'au-delà même du savoir théorique qui a pu la produire, toute technologie renvoie aux finalités, donc aux structures sociales (mentalités et croyances, besoins et institutions économiques, politiques, culturels, etc.) qu'elle a précisément pour fonctions de servir. Dans ce deuxième point du chapitre, il sera essentiellement question de la culture matérielle, du rapport technologie-pouvoir-société et de l'innovation technologique.

    a). Société et culture matérielle.

    La question de la culture matérielle des sociétés trouve son préalable dans celle du rapport de l'homme à la matière. En effet, l'histoire des inventions et des techniques nous présente l'homme au travail et nous le révèle comme homo faber et animal technicus. Ainsi, non seulement l'homme se sert des objets mais encore les fabrique pour un usage durable. Présenté sous cet angle, le premier rapport de l'homme avec la matière, et de façon générale à son environnement physique, est celui qui consiste à le modifier par le travail pour se réaliser, satisfaire ses besoins. Loin d'être celui d'un seul individu, ce travail est, en définitive, un travail social et sociétal, celui d'un groupe, d'une société. L'accumulation des productions de cette société forme alors, au fil du temps, sa civilisation matérielle. D'où le paradigme du patrimoine culturel.

    Selon cette théorie, toute société se fait connaître d'abord à travers les éléments matériels de sa culture. Les auteurs de la technologie culturelle, dont Leroi-Gourhan, Mumford et Gille, ne manquent pas d'insister sur cette réalité et le lien entre société et technologie.

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    L'établissement d'un rapport entre société et culture matérielle, dans le cadre de notre étude, vise avant tout à montrer que la technologie naît et existe par et dans la société. Michaïlof (1984 : 127) le fait remarquer déjà lorsqu'il écrit que "toute technologie est avant tout le produit d'une société spécifique, c'est-à-dire d'un environnement économique, social et politique particulier". Et bien avant lui, Leroi-Gourhan (1945 : 347) insistait sur cet aspect en parlant de milieu et techniques. Pour lui, il existe un groupe ethnique et un groupe technique. "le groupe ethnique existe par la présence dans son enceinte matérielle d'un milieu intérieur continu et ce milieu se prête à des abstractions de commodité (...). Comme le groupe ethnique est l'expression matérielle du milieu intérieur, le groupe technique est la matérialisation des tendances qui traversent le milieu technique". Il est clair pour nous que le groupe ethnique dont parle Leroi-Gourhan renvoie à la société d'où émergent les techniques et les outils techniques. Cette approche nous permet de dire que de même qu'il n'existe pas de société sans technologie, de même il n'existe pas de technologie qui ne soit pas le produit d'une société. Mais il nous faut d'ores et déjà signaler que les techniques diffèrent selon les groupes. Il ne faudrait donc pas s'étonner de voir que tel ou tel outil technologique existe chez un peuple et n'existe pas chez un autre. Car, "Conçus par une société, dit Ecrement (1984 : 57), pour la transformation de ses ressources en vue de la satisfaction de ses besoins, procédés, machines, produits, modes organisationnels de la production, sont marqués du sceau des sociétés qui les ont conçus et sont l'expression de leur niveau technologique". Le domaine de l'architecture est un exemple frappant de cette réalité. Besoins et niveau technologique expliquent bien les degrés divers d'avancement technologique des sociétés à travers le monde. Mais la technologie s'apprend et s'emprunte parce qu'elle est de l'ordre de la culture et non de la nature, c'est-à-dire de l'acquis et non de l'inné.

    Le second paradigme mis en relief par les auteurs, après celui qui fait de la technologie le patrimoine culturel des sociétés, est celui de la technologie comme culture et apprentissage. La technologie est un élément de la culture d'un groupe social, d'une société. Elle entre d'abord dans le patrimoine culturel du groupe technique qui l'a produite. Ensuite par diffusion ou emprunt elle peut devenir élément culturel d'un autre groupe qui se l'appropriera avec le temps. Cette question de l'appropriation a fait voir la technologie, à des auteurs tels que J.Perrin (1984 :95), comme un apprentissage social. En effet pour cet auteur, du fait que l'appropriation nécessite du temps, la technologie doit, pour être acquise, « s'intégrer dans le système de représentation de l'acquéreur ». L'acquisition dit bien ici emprunt. Il y a un processus de transmission qui se met en place. Et de fait, les technologies modernes connaissent une plus

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    grande et rapide diffusion grâce aux progrès techniques surtout dans le domaine de la communication et des transports.

    Cette diffusion est en même temps diffusion de culture, car les technologies renvoient aux sociétés qui les ont produites. C'est pourquoi, diffusée dans une société autre que la sienne, la technologie nécessite apprentissage et adoption. (Ce disant, nous n'excluons pas le fait que la technologie s'apprend même au sein de « sa » société d'origine). Ainsi en est-il des moulins à grains importés. En outre, nous pouvons ajouter que la technologie devient communication dans la mesure où, empruntée, elle relie des sociétés différentes. Georges Balandier (1971 :146) considère d'ailleurs la transmission des techniques comme un problème de communication. En effet, pour lui, « il s'agit de faire `passer' un complexe de techniques d'un système qui l'a conçu à un système pour lequel il est, au départ, radicalement étranger ». Ce processus implique nécessairement que soit trouvé un langage qui établisse le lien entre les deux systèmes et qui puisse être décodé ou traduisible par les deux. Point n'est besoin d'insister ici sur l'importance de la communication dans le processus d'apprentissage.

    Les technologies circulent donc tout en diffusant les valeurs et idées des sociétés qui les ont produites. Les transferts de technologies de l'Europe qu'ont connus les différents pays africains (sous forme d'emprunt et d'imposition) depuis la période coloniale témoignent de cette réalité. C'est au regard de cette réalité transactionnelle que des auteurs ont appréhendé la technologie comme un instrument de pouvoir et de domination. Mais la technologie n'est-elle pas neutre en soi ?

    b) Technologie, pouvoir et société

    Pour certains penseurs comme J. Ki-Zerbo, le postulat de base de la relation entre technologie, pouvoir et société, c'est que « la technologie n'est pas neutre ». En effet, pour Ki-Zerbo (cité par Raulin, 1984 :340), « tout objet est un précipité de valeurs ; une fois ingéré par une société, et s'il ne déclenche pas un phénomène de rejet, il développe dans cet organisme le système même de valeurs qui a présidé à sa création ». C'est dire combien la technologie ne laisse pas indifférent et peut être utilisée à des fins politiques. Comme nous le verrons à propos des technologies appropriées, c'est la critique adressée au mouvement de transfert de technologies durant les deux décennies de l'après guerre (1955-1975).

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    Canal de communication, la technologie est, selon J.Perrin et J.Mc.Ela, au centre des rapports de pouvoir et de domination. Ces auteurs se montrent très critiques au sujet des transferts de technologies. Tandis que Perrin (1984 : 7) considère que la technologie n'est pas une ressource naturelle ni un patrimoine commun au service du développement, J.Mc.Ela (1982 : 167), eu égard au contexte africain, pense que les technologies sont la production d'un système de domination dont les racines s'étendent progressivement jusqu'aux villages les plus reculés de la forêt et de la savane. Ceci étant, « toute injection d'une technologie `moderne' en milieu rural africain est une courroie de transmission d'une énorme machine qui produit la dépendance et la misère ». Ainsi, en est-il de même, selon lui, des projets de développement imposés d'autorité et qui finissent par entrer en conflit avec les intérêts des groupes locaux (1994 : 239).

    De ce qui vient d'être affirmé, il y a beaucoup de choses à redire. Nous pensons que la pensée de Ela est idéologique. Il n'est pas possible que les technologies dans leur ensemble soient la production d'un système de domination. De plus, que toute injection d'une technologie supposée moderne en milieu rural africain soit une courroie de transmission d'une énorme machine qui produit la dépendance et la misère, signifierait la mort des communautés villageoises en pleine mutation. En quoi l'introduction de la culture attelée, par exemple, produit-elle la dépendance et la misère ? En outre l'usage du terme « injection » dénote qu'Ela attribue une intention précise au phénomène de la diffusion technologique. Ici, il n'y a pas d'injection ni d'intentionnalités, mais diffusion.

    Remarquons que ces auteurs sont quelque peu rigides dans leur position. Cela s'explique par le fait qu'ils se situent dans le champ politique et voient ainsi des firmes multinationales transférer dans les "pays déshérités" « des équipements `sophistiqués' dont l'entretien et la réparation posent de nouveaux problèmes. Parfois il faut recourir à la maison-mère pour remettre en marche le matériel importé » (Ela, 1994 : 229). Ce sont toutes les politiques et stratégies du développement des pays du Sud qui se trouvent remises en cause. Pour ces auteurs, en particulier Jean Marc Ela, la conclusion est nette : d'abord les technologies transférées sont inadaptées aux conditions locales. Ensuite, les activités de recherche-développement sont concentrées dans les pays d'origine des firmes multinationales. Enfin, il faut noter la faiblesse des effets d'entraînement du transfert de technologie sur l'économie locale. Mais il est une chose donc Ela ne parle pas : c'est la possibilité donnée à chaque nation de créer les voies et moyens de son développement. On peut regarder, copier et même améliorer une technologie

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    d'un autre pays. Le cas japonais est le meilleur qui soit toujours cité (cf. L'ère MEIJI : 18681912). En outre, ces auteurs semblent voir le transfert technologique dans le sens d'une imposition. Mais n'y a t-il pas lieu, au regard des souffrances et des besoins du monde rural, d'appréhender ce transfert en termes d'importation et partant, d'emprunt ? D'autre part, transféré ou non, tout outil, surtout à usage communautaire, occasionne une confrontation de stratégies liées aux enjeux des différents acteurs et peut créer une stratification sociale. L'exemple des moulins à grains dans le département de Toma nous permettra de mieux approfondir cette problématique.

    Certes, nous reconnaissons que le mécanisme de la diffusion suppose, dans sa forme simple, un décalage entre deux groupes permettant à l'un de transmettre le produit de son innovation technologique et à l'autre de le recevoir. Mais ce n'est pas à chaque fois qu'il y a transfert de technologie qu'il faut y voir nécessairement une domination. La position de Leroi-Gourhan nous paraît plus souple lorsqu'il dit : « Ce matériel (celui diffusé) est souvent guerrier et sa politique souvent conquérante, mais il n'est pas moins fréquent que le commerce et la politique commerciale, la culture intellectuelle et la politique d'expansion civilisatrice soient en cause » (1945 : 429). Signalons que si la technologie est perçue comme instrument de domination politique, cela est essentiellement dû au contexte actuel des relations internationales et de la situation de dépendance des pays africains qui n'ont pas encore trouvé la formule de la déconnexion.

    L'analyse de Sanjaya Lall (1994 : 312) n'est pas moins pertinente. Pour lui le développement technologique a toujours recours aux importations de technologies en provenance des pays avancés. « Mais le degré de dépendance à l'égard des technologies importées, et la nature des importations de technologie, affectent le développement des capacités technologiques nationales ». Ainsi, si l'on n'y prend garde l'absorption passive des compétences, des connaissances et des technologies étrangères, peut conduire à la stagnation à un niveau peu élevé des capacités technologiques. Il se trouve posé là le problème de la nécessité d'une innovation technologique endogène sans laquelle la dépendance vis-à-vis d'autres milieux techniques d'un niveau technologique supérieur devient le passage obligé de tout temps.

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    c). Société et innovation technologique : la technologie comme facteur de changement.

    La culture matérielle des sociétés et leur équipement technologique se constituent et s'accroissent surtout grâce à l'innovation technologique. C'est pourquoi nous donnons à l'innovation technologique une importance particulière dans cette recherche sur les moulins à grains. Elle est pour nous le nerf du changement à tous les niveaux. De plus, le degré de modernité d'une société s'évalue à sa capacité d'innover. De cette capacité innovatrice dépend aussi le développement économique. Comme dans un système, la problématique de l'innovation dans la société reste liée à la technique, au politique, à la culture et à l'économique. D'abord quelle définition donner de l'innovation ?

    Précisons de prime abord la différence entre l'innovation (surtout lorsqu'il s'agit de l'innovation technologique) et l'invention qui est selon Leroi-Gourhan (1973 : 377) un acte de l'intelligence et consiste en tout apport (un corps technique entier : l'agriculture, un objet nouveau dans une technique : la charrue...) du milieu intérieur au groupe technique. Ainsi, tandis que l'invention semble insister sur la création matérielle et émerge de l'intérieur, l'innovation va au-delà du matériel et peut être la résultante d'une dynamique interne ou d'un emprunt. Ce qui importe dans l'innovation, c'est la nouveauté. En effet l'innovation se définit comme toute introduction dans un milieu d'un fait nouveau. Nous pouvons retenir ici la définition de Rogers Shoemaker cité par Roland Treillon (1992 :70) : «Une innovation est une idée, une pratique ou un objet considérés comme nouveaux par un individu ou un groupe. Il importe peu que cette appréciation de nouveauté soit objective ou non, mesurée en termes de délai par rapport à une découverte ou un premier usage. C'est la nouveauté, telle qu'elle est perçue par l'individu ou le groupe, qui détermine son comportement. Si l'idée semble nouvelle pour l'individu et le groupe, c'est une innovation ».

    Au-delà de cette approche conceptuelle de l'innovation, il faut insister sur sa nature pratique. Et à ce sujet, la sociologie de l'innovation, telle que nous en parle Michel Robert (1986 :95), a connu une évolution sous l'influence des recherches américaines. L'innovation est d'abord liée à l'idée du changement. La mise en pratique des politiques de développement orientera ce changement dans le sens de « reconstruction nationale » avec tendance à rendre le fait nouveau matériel, technique ou technologique (cf. l'exemple du maïs hybride ou du tracteur). Le changement lui-même signifiera la transformation matérielle apportée ou ses

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    conséquences sur la vie du groupe social. La sociologie de l'innovation finira par aboutir à l'identification de l'innovation technologique avec le progrès technique qui devient lui-même le progrès tout court. Comme on le constate, l'innovation dans la sociologie du développement est restée au stade pratique orientée sur la production économique. Elle est définie dans ce sens par Shumpeter (cité par Jean Pierre Olivier de Sardan, 1995 : 78) comme « toute nouvelle combinaison de moyens de production ». Olivier de Sardan lui-même va plus loin en intégrant le côté immatériel de l'innovation, la considérant alors comme « toute greffe de techniques, de savoirs ou de modes d'organisation inédits (en général sous formes d'adaptations locales à partir d'emprunts ou d'importations) sur des techniques, savoirs et modes d'organisation en place ». Cette approche rend mieux compte de la réalité que nous sommes en train d'étudier. Car l'introduction des moulins à grains dans le département de Toma comme innovation est le résultat d'une importation et de greffe de savoirs et de savoir-faire, d'une technologie de mouture sur une autre technologie, locale, de mouture.

    Ce qui manque toutefois à ces différentes approches de l'innovation et que nous intégrons à notre approche c'est le résultat ou les répercussions de l'innovation sur l'individu ou le groupe qui innove. C'est pourquoi nous nous intéressons à la question de l'impact des moulins. Du point de vue de la technique et du social, l'impact des technologies est très important et mérite qu'on s'y arrête. Du côté social et culturel par exemple, on sait que le rôle des acteurs qui introduisent la nouveauté, que Olivier de Sardan (1995 : 86) appelle les « porteurs sociaux », oriente les résultats de l'innovation. Les résultats d'un moulin introduit par une ONG ou par l'Etat ne sont pas les mêmes que ceux des moulins introduits par les commerçants.

    Ce que nous tentons de montrer progressivement dans cette sous-partie de notre travail, c'est que les technologies appropriées (importées ou produites localement), comme innovation, sont des facteurs de changement comme toute technologie. Beaucoup de recherches en développement ont démontré cet aspect de la technologie comme facteur de changement social.

    Du point de vue économique et social, les études de V. Paskaleva, L. Beron et M. Isusov (1989 : 93) sur le progrès technique en Bulgarie du XVIIIè siècle à nos jours montrent combien « les transformations de la structure sociale du village bulgare et des rapports agraires ont été liées à la mécanisation graduelle des activités agricoles ». Pour ces auteurs, tracteurs et moissonneuse-batteuses ont joué un rôle très important dans ce processus de changement.

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    François Caron (1989 : 6) qui s'est penché sur les aspects économiques de l'innovation technologique montre également que l'innovation est le « canal des investissements productifs, moteur principal de la croissance des nations et de la hausse des niveaux de vie ». Cet auteur met bien en relief l'innovation technologique qui est source d'un perpétuel bouleversement des structures sociales. En effet, « la technologie est à la fois instrument de destruction et de libération. Car la croissance est synonyme de changement et de mobilité » (1989 : 9).

    Somme toute, les technologies de production aident à l'accroissement quantitatif des rendements de la production, tant au niveau macro que microéconomique et quel que soit le domaine (agriculture, entreprise...). Le changement à ce niveau semble avoir pour synonyme l'évolution de variables quantitatives. Mais pour être plus complète, cette définition doit intégrer celle des variables qualitatives que comportent tous les aspects socio-anthropologiques.

    Ginette Kurgan-Van Hentenryk (1989 : 11), pour avoir étudié les aspects sociaux de l'innovation technologique et le rôle de l'Etat, insiste sur le changement des conditions de travail. D'abord la pénibilité du travail est réduite. En effet, au regard du cas de l'industrie textile lors de sa première mécanisation en Europe comme en Outre-Atlantique, il apparaît que « l'innovation technologique réduit le recours à la force physique du travailleur, à tel point que dans certaines industries, les ouvriers masculins sont remplacés par des femmes et des enfants ». L'auteur signale aussi que selon plusieurs autres auteurs « l'introduction de la machine modifie profondément le rythme du travail, exerce une forte pression sur la main-d'oeuvre, déplaçant la tension physique vers une tension nerveuse et psychique » (1989 : 12). En Afrique également ces changements sont si importants qu'ils accélèrent le rythme même de la modernisation. Les études de Guy Belloncle (1985) et d'Isabelle Droy (1990), montrent combien les expériences d'aménagements hydro-agricoles dans plusieurs pays (Office du Niger au Mali, la SEMRY2 au Cameroun, les AVV et le Sourou au Burkina, etc.) témoignent de véritables transformations socioculturelles, économiques et même politiques. Aujourd'hui dans les régions rurales, charrettes, charrues, moulins motorisés, foyers améliorés, bornes-fontaines,...sont autant d'outils technologiques apportant des changements tant au niveau de la méthode de travail que de la condition de vie des populations.

    2 SEMRY : Société de modernisation de la riziculture de Yagoua (Nord Cameroun). - AVV : Aménagement des Vallées des Voltas.

    - Sourou est le nom d'un affluent du fleuve Mouhoun au Burkina.

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    Par ailleurs, le changement social même reste une réalité multiforme. « L'innovation technologique provoque des changements sociaux dont l'ampleur et le processus selon lequel ils s'introduisent, sont variables. A première vue, le changement paraît d'autant plus radical que la résistance à l'innovation a été plus forte » (Kurgan-Van Hentenryk, 1989 :18). A cet aspect l'auteur ne manque pas d'ajouter que l'impact social de l'innovation technologique diffère selon les conditions conjoncturelles. Cela sous-entend que les objectifs recherchés dans l'introduction d'une technologie dans une région peuvent être biaisés et l'innovation produire d'autres effets non attendus ou même produire les effets escomptés plus tôt que prévus ou bien encore, à retardement. C'est pourquoi l'auteur insiste pour dire que « l'innovation technologique ne produit pas nécessairement des changements spectaculaires, (...) par contre, de par sa nature, une innovation technologique peut modifier rapidement en profondeur le caractère d'une activité » (1989 : 84).

    L'analyse de Ginette Kurgan-Van Hentenryk se situe au coeur même de notre projet d'étude sur deux plans. D'abord parce qu'il s'agit du rapport de l'homme à la machine (et pour notre cas il s'agit du moulin motorisé) et ensuite des changements sociaux introduits par l'utilisation de la machine, changements qui font l'objet même de notre étude sur le moulin afin d'appréhender comment une société est en progrès. C'est en cela qu'une approche historique du groupe social se montre intéressante pour en observer les différentes phases d'évolution. Car « les mêmes innovations peuvent donc produire des résultats très différents dans des cadres différents, ou à des moments différents dans la même société » (Salomon 1994 : 7). Nous insisterons sur les différents aspects des transformations apportées par l'introduction et la présence des moulins à grains dans le département de Toma d'une manière générale, mais plus particulièrement chez les femmes de ce département, en nous appuyant sur les théories du changement social.

    Sur le plan politique, et dans le cadre d'une politique nationale de développement, les expériences telles que celles des aménagements hydro-agricoles ou de création d'entreprises montrent une action de proximité entreprise par les autorités politiques d'une nation auprès des populations. En effet, nous pensons qu'en matière de développement, les deux principaux acteurs sur la scène nationale sont d'abord l'Etat et les populations locales.

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    Il nous faut signaler enfin un autre aspect des changements occasionnés par l'introduction d'une technologie dans un milieu : c'est tout le jeu de pouvoir qui se déploie autour. Au plan national comme au plan d'une communauté villageoise, des stratégies de conquête et de gestion du pouvoir naissent toujours autour des technologies chez les différents acteurs qui interviennent. Le cas des moulins à grains ne fera pas l'exception.

    Sur le plan environnemental, certaines innovations technologiques influent nécessairement sur l'environnement physique et modifient le rapport de l'homme à la nature ou au physique. Le rapport de l'homme à l'environnement sera vu sous un double aspect de transformation de cet environnement et d'adaptation de l'homme à celui-ci. Ici, se déploient toutes les stratégies d'exploitation de l'espace grâce aux outils technologiques. Les théories et les politiques de développement du milieu rural en Europe dans les années 1960 (cf. les travaux de H.Mendras) et en Afrique étaient en termes de transformation, de restructuration du milieu rural. L'environnement tient aussi une place dans notre étude dans la mesure où les moulins produisent du bruit que l'on peut classer comme nuisance. De plus, la présence des moulins diminue le nombre de meules et partant, l'activité de taille des pierres. Enfin, il nous faut signaler cet autre rôle de la présence des moulins dans la restructuration de l'espace villageois. En effet, la construction des abris des moulins intégrant des fûts vient donner une certaine configuration à l'architecture villageoise (cf. photo 7, page 74).

    La conclusion de cette sous-partie sur l'innovation technologique et la technologie nous invite à une définition claire du changement social dans le cadre d'un processus de développement que nous entendons à la fois quantitatif et qualitatif. Pour cela nous retenons la définition de Guy Rocher qui met en relief quatre caractéristiques : le caractère collectif, structurel, temporel et la durée (i.e. la permanence). Selon Rocher (1968 :22), le changement social est « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d'une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l'organisation sociale d'une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire ». Les technologies appropriées ne sont pas sans produire un tel type de changement que nous cherchons à analyser dans le département de Toma au Burkina Faso. Mais avant cette étape, il convient de faire un tour d'horizon de la problématique et des enjeux des technologies appropriées.

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    3. PROBLÉMATIQUE DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES

    Les technologies appropriées (TA)3 sont historiquement liées à un contexte social. Dans cette partie de notre travail, nous voulons d'abord poser la problématique des TA, ensuite présenter leurs aspects techniques et enfin faire l'état des aspects socio-économiques. Ce tour d'horizon nous permettra ainsi de réactualiser le débat sur les TA, dans le contexte des moulins à grains.

    Cette problématique prend en compte le contexte de naissance et la philosophie des TA, les nuances terminologiques et la question du développement.

    a). Contexte de naissance et philosophie des TA.

    Avant d'être celle des pays du Sud, la problématique des technologies appropriées est apparue d'abord comme celle des pays du Nord. En Europe, le contexte socio-économique de la technologie appropriée est celui de l'après deuxième guerre. En Afrique et dans les pays en développement, il consiste à rattraper les pays occidentaux et à atteindre le même seuil de développement par un transfert massif de technologies.

    L'Europe de l'après deuxième guerre avait mis le cap sur la production industrielle pour réaliser son développement économique. Le capitalisme aidant, elle arriva à la production de technologies (biens d'équipement et des services annexes ) non seulement très chères mais dont les effets tant sociaux, économiques qu'écologiques semblaient créer beaucoup de risques pour la société. Les socialistes et les écologistes ne manquèrent donc pas de rappeler l'objectif premier de la production industrielle : servir les besoins des individus et de la société.

    Dans le même temps (1955-1975), dans les pays du Sud, particulièrement en Afrique, où l'on avait voulu réduire l'écart de développement qui séparait les deux pôles par un transfert de technologies, se pose le problème de l'inadaptation de ces technologies transférées. En effet, les stratégies de développement qui avaient insisté sur la maximalisation de la production industrielle connaissent quelques échecs. En outre ces stratégies de développement étaient en faveur des villes et au détriment des campagnes. Installée dans les régions urbaines la grosse technologie moderne avait pour conséquence l'exode rural.

    3 L'expression « Technologie Appropriée » s'écrira désormais TA.

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    Les critiques adressées aux technologies occidentales « classiques », le constat de l'échec des expériences industrielles et la question du développement des zones rurales sont donc à l'origine d'une nouvelle approche de la technologie qui entend replacer l'homme et la société au centre des préoccupations. L'idée sous-jacente aux TA est, selon Odeyé-Finzi et Berot-Inard (1996 : 10), celle de « promouvoir des systèmes de production durables, respectueux des hommes et de l'environnement, de parvenir à une véritable maîtrise sociale des techniques ». Selon les membres du mouvement de la technologie appropriée, "Technap", c'est l'utilité sociale réelle qui est la caractéristique même de la technologie appropriée par rapport à tout autre produit dont la fabrication est guidée par les lois de la demande et du marché. A tout cela s'ajoute l'idéologie de l'autopromotion. Les TA doivent permettre à la société et aux différents utilisateurs de pourvoir à leurs propres besoins. Elles-mêmes sont appropriées parce qu'adaptées aux systèmes de production locaux et aux types d'organisation sociale en place.

    Cependant, on constate que d'un pays à l'autre (Inde, Europe, Etats-Unis), la problématique des technologies appropriées est élaborée différemment. Ainsi, si en Inde depuis le siècle dernier « la réhabilitation et le développement des industries rurales traditionnelles sous l'impulsion de Gandhi prirent l'aspect d'une lutte de libération vis-à-vis des structures sociales internes du pays » (Blanc, 1981 : 112), en Europe et aux Etats-Unis « c'est d'abord dans le cadre du développement du Tiers Monde que se sont élaborés les concepts fondamentaux de la technologie appropriée et que se sont organisés les premiers grands centres de TA (VITA, TAICH, TALC par exemple), surtout dans les pays anglo-saxons » (Blanc, 1981 :113). Comme on le voit, la problématique des technologies appropriées est fonction des besoins et des intérêts des pays producteurs de ces technologies. Il y a donc lieu de s'interroger sur les enjeux d'une telle production. Nous en ferons cas dans la sous-section sur les aspects socio-économiques des TA. Pour l'instant, examinons les nuances terminologiques introduites sous l'effet des critiques adressées à la technologie moderne « classique ». Selon les auteurs, ces nuances ont tendance à se confondre aux TA.

    b). Quelques nuances terminologiques

    Nous trouvons dans la littérature sur les technologies appropriées d'autres termes dont les plus courants sont : technologies intermédiaires, technologies douces et technologies alternatives.

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    + Technologies intermédiaires.

    Pour l'ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le développement industriel), l'expression technologie appropriée veut dire « adéquate aux objectifs de développement économiques et sociaux établis par les gouvernements et non pas technologie intermédiaire ou simplifiée » (Bizec, 1981 :147). Nous épousons cette définition dans la mesure où aucune technologie n'est appropriée en elle-même ; à moins que l'appropriation ne signifie pas qu'il revient à l'acquéreur de l'outil de devenir son véritable propriétaire par une maîtrise suffisante dans l'utilisation. L'appropriation est tout un processus d'adoption en vue de satisfaire un besoin. Ainsi la plus ou moins grande satisfaction du besoin permettra de savoir si oui ou non l'outil est adapté, donc approprié.

    Dans le présent travail, nous entendons par technologie appropriée un ensemble non séparable de matériel et de savoir-faire que l'homme met au service de la satisfaction de ses besoins. C'est dans ce cadre que la théorie fonctionnaliste nous sera d'un grand apport pour comprendre et expliquer certains usages faits du moulin à grain dans le département de Toma. Nous développerons à ce sujet la problématique du rôle social du moulin.

    Selon Christine Brochet (1981 : 8), les technologies appropriées « ne sauraient être confondues avec les technologies intermédiaires qui ne peuvent apporter que des solutions partielles aux problèmes industriels des pays en développement ». Pour cet auteur, les technologies intermédiaires seraient des succédanés fort limités de technologies industrielles qui sont, elles, capables de promouvoir un véritable développement. Treillon (1992 : 77) établit

    également une distinction entre les deux termes. Pour lui les technologies intermédiaires

    illustrent dès le départ l'idéologie du «small is beautiful» de Schumacher. Dans cette optique l'innovation concerne préférentiellement des machines à échelle de production réduite, à coût de capital faible, favorisant la création d'emplois et respectant les modes de consommation traditionnels. Les technologies intermédiaires sont une association de modèles d'objets européens et de modèles des pays en développement. La démarche d'innovation consiste à prendre en compte les systèmes techniques traditionnels propres aux économies en développement, tandis qu'à travers les technologies appropriées on recherche la solution technique la mieux adaptée face à un problème à traiter.

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    Treillon (1992 : 77) montre bien que les différentes appellations relèvent des objectifs visés par les protagonistes des technologies. En effet, objectivement la différence reste difficile à établir entre les types d'objets que ces protagonistes n'indiquent pas. Il en est de même des technologies dites douces.

    + Technologies douces

    Les termes de technologies douces sont également employés pour désigner les technologies appropriées ou intermédiaires. Bizec (1981 : 139) souligne bien cette réalité : «"Technologie appropriée" est un terme que l'on utilise volontiers comme substitut de mots tels que "technologie alternative","intermédiaire", "douce", etc., autant de concepts désormais relativement précis mais dont l'application au développement des pays du Tiers Monde soulève des querelles de première grandeur, tant au Sud qu'au Nord.». Ces technologies sont douces au regard de leur coût, de leur maniabilité et de leur moindre impact sur l'environnement. Mais en réalité, il nous faut tenir compte du contexte historique de la naissance de ces concepts qui cachent certaines idéologies. La plupart des termes sont liés aux mouvements de refus du monde industriel actuel : mouvement anticapitaliste, mouvement des écologistes, etc. Le mouvement des écologistes par exemple prône une technologie en harmonie avec la nature. Toujours selon Bizec (1981), Robin Clark qui fut le premier à en codifier les principes d'action disait ceci : "L'homme doit passer avant la machine, le peuple avant l'Etat, la pratique avant la théorie (...), la campagne avant la ville, la matière organique avant la matière synthétique, la plante avant l'animal (...), la qualité avant la quantité".Tels seraient donc les caractéristiques de la technologie douce, une technologie qui ne détruit pas l'écosystème et respecte l'homme dans sa pureté originelle. Cette définition de la technologie douce est purement écologique et peut-être idéaliste dans la mesure où il est difficile de savoir quelle est la pureté originelle de l'homme. Qu'en est-il enfin des technologies alternatives ?

    + Technologies alternatives

    L'idéologie qui est derrière le concept de technologie alternative s'inspire de l'exemple du Mahatma Gandhi en Inde pour insister sur le fait que l'on doit compter sur les ressources locales. Quant aux technologies intermédiaires, l'idéologie qui prévaut, suite aux conséquences socio-économiques négatives des transferts de technologies dans les pays en développement, est

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    celle de la simplicité et de la petitesse. Il s'agit désormais de mettre au point "de petits équipements, de technologies intermédiaires entre l'outil ancestral et le produit de la technologie du monde industriel" (Bizec 1981 : 143). Il ne fallait plus transférer de technologies sophistiquées mais "des technologies se situant entre les technologies de pointe et les technologies archaïques, relevant à la limite de l'artisanat" (Brochet, 1981 : 46). Ici, les technologies alternatives seraient les mêmes que les technologies intermédiaires.

    En conclusion, on se demande quel est l'intérêt de tous ces termes. S'il y a un intérêt particulier pour les protagonistes des technologies qui sont un monde professionnel d'ingénieurs cherchant à écouler leurs produits sur les marchés des pays en voie de développement, celui des ces pays en développement reste secondaire. Car la démarche d'innovation part du « Centre » vers la périphérie. Odéyé-Finzi (1996) n'aurait-elle pas raison d'intituler un de ses ouvrages Des machines pour les autres ? Toutes ces technologies restent liées au véritable problème que connaissent les pays du Sud : celui du développement.

    c).TA et développement

    Les TA sont dès leur origine en rapport direct avec le développement économique et social. Ce développement se définit selon Bernard Holzer (1989: 36) comme "un processus continu de changement par lequel un pays, un peuple donné ou une population donnée dans un milieu naturel, culturel, social donné et un moment historique déterminé, dans un cadre de relations internationales, transforme ses structures de production, établit de nouveaux rapports sociaux, se donne des institutions politiques et administratives adéquates, réélabore sa propre culture, en vue de parvenir à une qualité d'existence améliorée". Autant la réalité du développement est complexe, autant l'est sa définition. C'est pourquoi nous retiendrons pour notre part une définition simple du terme comme étant une recherche et une oeuvre d'amélioration des conditions de vie. Les TA sont dans cette dynamique des moyens, comme tant d'autres, non de parvenir au développement qui n'est jamais atteint mais d'améliorer ces conditions d'existence. Concernant l'action sur le terrain, le développement rural semble se ramener, comme le font remarquer Boiral et al. (1985 : 7), à « l'ensemble des opérations volontaristes de transformation des sociétés rurales, opérées à l'initiative d'institutions extérieures à celles-ci ». C'est pourquoi Olivier de Sardan (1995 :78) peint cette image caricaturale des « développeurs » munis de moyens techniques et opérant « une greffe de techniques, de savoirs ou de modes d'organisation ». Les technologies appropriées, dans le

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    processus du développement des pays du Sud, donnent l'impression d'être des machines pour les autres. Toutefois, cette réalité ne leur enlève pas leur utilité pour ces pays en développement, surtout dans les zones rurales où le pouvoir d'achat est limité. Ces technologies bien qu'apparemment construites pour les autres, aident à l'amélioration des conditions de vie des populations bénéficiaires. Elles apportent des changements que n'auraient pas autrement connus ces populations ou alors avec davantage de retard. Car leur vulgarisation jusqu'ici a été l'oeuvre d'ONG et non des gouvernements des pays du Sud.

    La problématique des TA qui s'est constituée à travers des évolutions terminologiques est donc fondamentalement celle du développement des pays du Sud auxquels il faudrait des moyens adaptés à leurs conditions de vie et à leurs systèmes de production économique. L'idéologie du développement ne risque t-elle pas de cantonner ces pays à un mode de production qui ne connaîtrait jamais l'espoir d'atteindre celui des pays du Nord ? Afin de mieux comprendre cette question il nous semble important d'analyser les aspects techniques des TA.

    4. LES ASPECTS TECHNIQUES DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES.

    Les indices semblent clairs. Les technologies appropriées comportent des caractéristiques communes reconnues par leurs promoteurs : « faible coût en capital, faible coût par poste de travail, simplicité de l'organisation requise, très grande spécificité d'un environnement social ou culturel particulier, faible consommation en énergie et en matières premières non renouvelables, faible impact sur l'environnement » (Blanc, 1981 : 116). Tout est faible avec les TA, même leur rendement qui, ici, n'est pas spécifié. Ceci pourrait sous-entendre aussi un faible développement et par conséquent un maintien de l'écart entre pays du Nord et du Sud. Alors, quelle typologie dresser des TA, et sachant cela, quels problèmes techniques drainent-elles avec elles ?

    a) Typologie

    Dans l'homme et la matière Leroi-Gourhan (1971) classe les outils selon le geste d'emploi, par exemple percussion avec préhension ou percussion avec jet. En ce qui concerne les TA, une typologie reste difficile à dresser car les promoteurs de la technologie appropriée n'ont jamais indiqué clairement l'éventail d'outils couvert par l'expression. Les caractéristiques dont a parlé Blanc restent généralement la référence des TA. Toutefois on sait qu'il y a des TA

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    dans le domaine de la production, de la transformation et de la conservation des produits. De plus, chaque société n'a-t-elle pas son classement des outils ?

    b) Problèmes techniques

    Les problèmes techniques posés par les TA sont de l'ordre de la conception, de la disponibilité des pièces de rechange et de la qualité du produit. Toutes ces conditions sont-elles réalisables ou disponibles chez les utilisateurs de TA ? A quelles conditions peuvent-ils se procurer des outils de qualité et performants? Et quels produits leur fournit-on ? Voilà un ensemble de questions qui se posent lorsqu'on aborde le sujet des problèmes techniques des TA. Ces problèmes sont en lien direct avec les objectifs qu'elles doivent atteindre, c'est-à-dire en définitive avec l'objectif global de développement.

    En ce qui concerne les moulins à grains, certains problèmes techniques trouvent leur résolution dans la réparation et la fabrication locale des pièces par les artisans. Nombreux sont aujourd'hui au Burkina les artisans qui fabriquent des moulins par imitation (cf. annexe 5). Toutefois il se pose le problème de la qualité par rapport aux moulins d'origine (industriellement fabriqués). En fait, retenons que les problèmes techniques sont étroitement en relation avec des questions non techniques relevant de l'organisation sociale par exemple. C'est pourquoi il nous faut prendre en considération les aspects socio-économiques des TA.

    5. LES ASPECTS SOCIO-ÉCONOMIQUES DES TA.

    L'analyse que nous faisons des aspects socio-économiques des TA prend en compte, dans un premier temps, la question des transferts, et dans un second, les effets sur la production, les échanges et la consommation.

    a). La question des transferts

    Nous avons déjà considéré la problématique des TA comme étant d'abord celle des pays du Nord avant d'être celle des pays du Sud. La question du transfert de technologies nous situe au centre de ce débat. Mais plutôt que de focaliser le débat sur le mouvement lui-même qui est à sens unique, nous nous intéressons ici aux acteurs des deux camps et aux mobiles du transfert.

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    Les protagonistes du transfert de TA sont en amont, du côté occidental comme des pays en développement, des individus (généralement des ingénieurs, des commerçants), des institutions (les Centres de recherche technologique) et des associations (les ONG). Les Etats complètent cette liste par leur rôle de facilitation du transfert. En aval, nous avons les bénéficiaires constitués des populations des pays du Sud, et plus particulièrement de la catégorie paysanne ou rurale. La configuration présente d'un côté des offreurs (ou vendeurs), ceux qui ont les moyens, et de l'autre des demandeurs (ou acheteurs), ceux qui sont démunis et « sous-développés ». Les objectifs des TA, où se trouvent leurs aspects socio-économiques, seront différents selon les sous-groupes de population. Pour le sous-groupe féminin par exemple, il s'agit, ainsi que l'indique Christine Pomerleau (986 : 36) d'« alléger leurs travaux, améliorer leur bien-être et celui des membres de leurs familles en termes d'hygiène, santé et nutrition, aussi bien qu'augmenter le temps consacré par les parents aux besoins physiques, intellectuels ou émotionnels de leur famille entière à l'intérieur de leur communauté ». Ceci montre que les aspects socio-économiques des TA sont liés aux conditions de vie des bénéficiaires et aux intentions des promoteurs.

    Les mobiles ne sont pas toujours connus de façon claire. Michèle Odéyé-Finzi 1996 : 11) qui s'est intéressée à la question écrit : « Ces machines pour les autres restent un moyen privilégié de concrétiser son souhait d'être solidaire des populations du Sud. (...) Derrière ce souhait général d'être solidaire des plus démunis, les motivations des promoteurs de technologies appropriées restent du domaine du non-dit. Tant dans les motivations classiquement non dites que dans l'idéologie portée par les TA, il y a cette idée de relier les hommes par l'intermédiaire de la technique ». Ainsi donc, les aspects socio-économiques des TA vont plus loin que ce qui apparaît. Et les populations bénéficiaires n'en perçoivent qu'un aspect : l'aide. Seuls les promoteurs de TA , au regard de leurs situations personnelles, peuvent déclarer les vraies intentions qui les animent.

    Une réalité est certaine, c'est que les TA ont des effets intéressants sur chacun des groupes cibles en ce qui concerne la production, les échanges et la consommation.

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    b). Les effets sur la production, les échanges et la consommation.

    Introduites et adoptées dans un milieu où la nécessité se fait sentir, les technologies appropriées ont un apport positif. Mireille Lecarme (1992 : 303), parlant de la commercialisation du poisson chez les Lebu à Dakar, signale par exemple l'apport bénéfique de l'adoption d'outils modernes : « L'adoption des techniques nouvelles, senne tournante (grand filet coulissant) et pirogues à moteur, a augmenté la productivité dans les années 60-70. (...) Quant au mareyage à distance, il est devenu possible grâce à des camionnettes ». Cette augmentation de la productivité ne peut rester sans effet sur la consommation et vice-versa ; en outre, l'augmentation de la consommation agira sur le flux des échanges commerciaux. Il se crée ainsi, grâce à la technologie appropriée, un cercle vertueux où toute la vie sociale trouve un dynamisme.

    Les effets des TA sur la production, la consommation et les échanges s'étendent plus loin qu'on ne l'imagine souvent. Car l'effet système s'étend toujours d'une petite échelle à une grande : du village, par exemple, à l'échelle internationale. En effet, « Un système de procédés intégrés de production, de conditionnement et de transformation des produits alimentaires agira nécessairement sur l'augmentation des exportations du pays » (Moïse Nzemen, 1986 : 47). Le commerce de poisson fumé ou séché entre le Burkina et le Mali en est un exemple. Au total, les aspects socio-économiques des TA ne doivent pas être perdus de vue, autant dans la recherche que dans l'action de développement.

    A ce stade, notre approche des technologies appropriées nous aura permis de les appréhender comme un ensemble de moyens techniques et de savoir-faire, aptes à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations en quête d'amélioration quantitative et qualitative de leurs conditions de vie. Nous précisons bien que, selon la définition que nous entendons donner au terme, les technologies appropriées posent, en même temps que le problème de leur adaptation aux conditions socio-économiques des pays en développement, celui de l'appropriation des techniques par les populations de ces pays.

    Conclusion partielle

    Ce premier chapitre sur l'approche théorique de la technologie et des technologies appropriées nous a permis de faire le tour de la notion de technologie et de poser la

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    problématique des technologies appropriées dans le cadre du développement, c'est-à-dire, de l'amélioration des conditions de vie des populations des pays du Sud. Ce travail est un préalable nécessaire dans la mesure où le sujet a été étudié par d'autres plus expérimentés que nous. Dans le présent mémoire, nous traitons des technologies appropriées. Nous entendons par-là une association judicieuse des moyens techniques et savoir-faire locaux avec d'autres moyens techniques et savoir-faire importés afin de répondre, dans un milieu social donné, aux besoins fondamentaux des populations en matière d'amélioration de leurs conditions de vie. Comme nous l'avons développé plus haut, c'est le rapport dynamique entre société et technologie qui permet d'atteindre un tel objectif. Dans les pays du Sahel, le moulin à céréales est, dans son aspect matériel comme dans ses modes d'usage, une technologie appropriée conformément à la définition ci-dessus donnée. Par ailleurs, faisant un choix de terminologie, nous préférons parler de technologies locales plutôt que de technologies traditionnelles. L'expression de technologie appropriée, selon la problématique qui sous-tend l'étude du moulin, fait appel à un processus dynamique. Il s'agit d'un processus d'innovation continu dans le temps, constitué de renouvellement et d'adaptation afin d'optimiser la satisfaction des besoins existentiels de groupes sociaux en situation hic et nunc. C'est pourquoi il est d'une importance capitale que soit pris en considération le rapport technologie et société.

    Au regard de ce rapport, notre problématique dans cette étude sur le moulin en zone rurale est avant tout celle de l'innovation technologique dans un contexte naturellement contraignant où la nécessité de moyens de production et de transformation s'impose. Le problème de fond ici est donc celui de l'évolution technologique des sociétés en phase continuelle de modernisation. C'est pourquoi les dynamiques sociales à la base de l'introduction des moulins dans le département de Toma sont celles du changement. Mais le changement ne vient pas du coup et n'affecte pas toutes les couches sociales de la même façon. Le cas des femmes du département de Toma nous permettra de vérifier l'hypothèse que le moulin leur apporte une certaine libération par rapport aux activités ménagères tout en créant de nouvelles contraintes.

    CHAPITRE 2 : PRÉSENTATION DU SITE D'ÉTUDE : LE
    DÉPARTEMENT DE TOMA.

    En introduction à cette partie, nous présentons succinctement le contexte du Burkina Faso dans lequel se trouve le département de Toma. Connu comme un pays à forte population rurale (+ 90% de la population), le Burkina Faso (274 200 km2) se trouve enclavé au coeur du Sahel entre le Mali (au nord et à l'ouest), la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin (au sud), et enfin le Niger (à l'est). Cet enclavement du pays a une influence sur son économie et sa place dans le système monde. En effet, l'une des caractéristiques essentielles du Burkina, souvent mise en relief, est sa pauvreté en ressources naturelles qui le classe parmi les pays « les plus pauvres » du monde. Le rapport de 1999 de la Banque Mondiale (1999 : 212) sur le développement signale un produit national brut (PNB) par habitant de 240 dollars4. Quant aux voies de communication, le Burkina possède 560 km de chemin de fer, 13 070 km de routes et de pistes dont près de 1500 bitumées (Jeune Afrique, 1993 : 69).Ces données montrent combien ce pays connaît d'énormes problèmes de transport terrestre.

    Par ailleurs, à cause des conditions climatiques rudes (8 à 9 mois de saison sèche et 3 à 4 mois de pluies aléatoires variant entre 400 et 1000 mm par an), ce pays semi-désertique est souvent exposé à une perturbation du cycle agricole. Le climat sahélien du Burkina induit donc la culture d'un certain type de céréales (mil, maïs, sorgho, riz, fonio, haricot...), alimentation de base de la population.

    38

    4 Ce chiffre est celui de 1997.

    39

    Carte 1 : Localisation de la province du Nayala au Burkina Faso.

    40

    Carte 2 : Localisation du département de Toma.

    41

    1. LE MILIEU NATUREL.

    Le Département de Toma s'étend sur 600 km2 environ 5 dans la province du Nayala, elle-même située au nord-ouest du Burkina Faso. Il est presque encerclé par les départements de Yaba, Kougny, Yé et Gossina. Le département de Toma fait, avec ceux de Yaba et Gossina, frontière avec la province du Sanguié en pays Gourounsi.

    A) Relief

    Le relief du département de Toma, comme d'ailleurs celui de toute la province du Nayala, se caractérise par sa monotonie qui lui donne un visage plat. Quelques petites collines et rivières rompent cette monotonie çà et là. Mais il faut vraiment en être près pour s'en rendre compte.

    B) Climat

    Le climat correspond à celui du Burkina, un climat de pays de Sahel caractérisé en saison sèche froide (d'octobre à février) par un vent poussiéreux, l'harmattan, et en saison sèche chaude (de mars à juin) par un vent sec et brûlant. Les variations de températures vont de 15°C en janvier à 45°C en avril-mai pour connaître un adoucissement autour de 35°C pendant l'hivernage (de fin juin à septembre).

    Quant à la pluviométrie, il faut dire que l'ensemble de la province du Nayala est une zone à précipitations moyennes variant entre 600 et 800 mm d'eau. Ces précipitations sont réparties sur une période de 40 à 50 jours. Le tableau suivant donne une idée de l'évolution de la pluviométrie du département de Toma sur quatre ans.

    5 Sur le département, nous tenons la plupart des données statistiques du Haut Commissariat, de la Préfecture et surtout d'une monographie faite par Amadou Kaba et Roland Modeste Toé sur la province du Nayala en décembre 1998 sous la direction du Ministère de l'économie et des finances.

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    Tableau 1: Répartition des précipitations dans le département de Toma sur 4 ans.

    Périodes

    Mm d'eau

    Nombre de jours

    1993-1994

    483

    43

    1994-1995

    913,3

    54

    1995-1996

    743,7

    51

    1996-1997

    723,7

    43

    Source : CRPA-BMHN Dédougou.

    Courbe 1: Courbe d'évolution de la pluviométrie.

    1993-1994 1994-1995 1995-1996 1996-1997

    Hauteurs

    1000

    400

    800

    600

    200

    0

    Périodes

    Source : CRPA-BMHN Dédougou.

    Suite à ce tableau, il faudrait signaler non seulement le nombre réduit de jours de pluies, mais aussi le caractère aléatoire du régime pluviométrique. Tout ceci n'est que l'effet d'un climat régulièrement changeant avec des années de « vaches maigres » et des années de « vaches grasses ». On comprend alors la difficulté des paysans même dotés de technologies modernes. Il est des années où les paysans font les semailles quatre fois ; certaines cultures sont abandonnées et les paysans sont à la recherche de variétés hâtives de mil et de sorgho. Une dernière conséquence de ce climat soudano-sahélien est l'obligation pour les paysans de construire des réserves que sont les greniers (cf. photo n°1).

    43

    Photo 1 : Greniers en pays san.

    Photo Jn. P. Ki. Zouma, le 7/1/2000

    c). Végétation, sols, hydrographie.

    La végétation dans cette partie nord-ouest du Burkina est clairsemée. Nous avons affaire à une savane arbustive composée d'arbres comme le karité, le néré, le tamarinier, le baobab, l'acacia, etc. La végétation constitue également une savane herbacée. Il n'y a pas de forêt, mais quelques bosquets près des villages. Les arbres sont clairsemés. En outre, malgré les luttes contre la désertification, près de 50% des superficies sont brûlées chaque année par les feux de brousse.

    Les sols sont composés des types suivants :

    - Les sols argileux qui comprennent les sols bruns argileux et les sols argileux sableux favorables à la culture des céréales et du coton.

    - Les sols gravillonnaires, presque incultes.

    - Les sols ferrugineux favorables aussi à la culture des céréales, du coton et de l'arachide.

    En ce qui concerne l'hydrographie, les deux principaux cours d'eau que sont les rivières de Koin et de Zouma (le Nayala6 dont le nom a été donné à la Province) traversent le

    6 Nayala signifie « la rivière mère » en référence à son importance dans la région.

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    département de Toma. Un barrage à Toma, réalisé en 1996 (376 m de long sur 3 m de haut), et quelques retenues d'eau existent dans l'un ou l'autre village.

    En somme, sols ingrats, végétation clairsemée, climat rude et pluies insuffisantes et aléatoires sont les éléments d'ensemble de la condition de vie des sahéliens en général et plus particulièrement de la population du département de Toma. Dans un tel contexte, où la nature impose des contraintes aux populations, l'usage de technologies appropriées devient une nécessité ; surtout dans le domaine agricole - aussi bien au niveau de la production que de la transformation des produits - comme renfort aux capacités physiques des humains.

    2. LES ASPECTS SOCIO-DÉMOGRAPHIQUES ET ÉCONOMIQUES.

    a). Population

    Le Département de Toma compte 17 villages. Il totalise, selon les résultats du Recensement Général de la Population et de l'Habitat de 1996, une population résidente de 22 946 habitants, dont 11 460 hommes et 11 486 femmes, soit une densité de 38 hts/km2. Le recensement administratif de 1998 donne également des chiffres du même ordre : une population totale de 22 613 habitants dont 11 333 hommes et 11 280 femmes.

    Nous donnons ici une idée de la répartition de la population des villages où nous avons mené nos enquêtes, pour l'ensemble des villages du département, on se référera à l'annexe n°2.2.

    Tableau 2: Répartition de la population des villages de notre enquête.

    Villages

    Tranches d'âges

    Total

     

    0 - 3 ans

    4 -15 ans

    16 - et +

     

    1. KOIN

    326

    1 074

    1 412

    2 812

    2. NIEME

    60

    195

    300

    555

    3. SAWA

    76

    262

    372

    710

    4. SIEN

    78

    246

    331

    655

    5. TOMA

    866

    3 247

    4 879

    8 992

    6. ZOUMA

    283

    982

    1 160

    2 425

     

    Total

    1689

    6 006

    8 454

    16 149

    Source : Recensement administratif 1998.

    45

    Dans le département de Toma, comme d'ailleurs dans toute la province du Nayala, le groupe ethnique majoritaire et autochtone est constitué des Sanan (couramment appelés Samo)7 dont la langue parlée est le San.

    L'histoire révèle que les Sanan sont un groupe mandé descendu du Mali avec qui le pays san fait d'ailleurs frontière. Ce groupe d'agriculteurs se subdivise en trois principaux sous-groupes à variances linguistiques : le premier groupe, celui de la région de Kiembara se signale par l'expression "maya" en début d'expression verbale. Le second groupe est celui de Tougan usant du terme "makya". Ces deux groupent forment, de par leur position géographique les Sanan du Nord, tandis que le troisième, celui de la région de Toma constitue les Sanan du Sud qui se signalent par l'usage du terme "maka" en début de phrases. Notre étude sur le moulin à grains se situe dans cette région sud du pays san. (Cf. carte n°3 ci-dessous).

    7 Le mot san désigne le groupe social et la langue. Les membres de ce groupe se désignent au singulier par san (ex. "Je suis un san") et au pluriel par sanan (ex. "Nous sommes des sanan"), contrairement à l'usage courant en français qui les nomme "samo". Ce terme de samo est, il nous semble, une transcription du terme samogo ou samogho (en dioula "gens de san") par lequel les Mossi et les Dioula appellent les Sanan.

    Carte 3 : Carte du pays san

    46

    Source : Héritier F. (1981 : 83).

    47

    b). Organisation socio-politique.

    Les sociétés dont l'organisation socio-politique diffère de celles dotées d'un gouvernement central sont généralement considérées comme des sociétés anarchiques ou sociétés acéphales8. Mais, en réalité, il s'agit de sociétés segmentaires à hiérarchie diffuse, c'est-à-dire sans regroupement général autour d'un roi, sans gouvernement central. Certaines de ces sociétés sont à base villageoise comme les Sanan et les Bwa du Burkina et d'autres à base lignagère comme les Lobi (Burkina) et les Nuer du sud-Soudan à propos desquels Evans-Pritchard (éd 1994 : 22) écrit :"En vérité, les Nuer n'ont point de gouvernement et l'on pourrait caractériser leur Etat comme une anarchie ordonnée". On peut aussi faire un rapprochement identique avec les Sanan au sujet de qui Maurice Ky ( cité par Kaba A. et Toé R. M., 1998 : 37), écrit : "Les Samogho constituent une population agraire, indépendante, belliqueuse et autosuffisante. Ils n'ont jamais réussi à s'unir même devant un ennemi commun. A quelque niveau que l'on observe cette société, il apparaît qu'elle fait montre dans ses moindres comportements d'une méfiance instinctive voire d'une allergie à toute hiérarchie autoritaire, à tout système à caractère contraignant et unitaire, à tout pouvoir qui ne peut être contrôlé à tout instant et remis en cause. Ainsi donc tout l'édifice politique repose-t-il sur l'autorité des villages. En effet, les Samogho vivent dans des villages dont les familles se regroupent en quartiers plus ou moins proches les uns des autres".

    L'organisation sociale des Sanan révèle cinq principaux groupes horizontaux de parenté dans chaque village san.. Chaque groupe, formant un quartier, est repérable à son patronyme : Ki, Toé, Sô, Go, Parè. Chaque groupe exerce une fonction sociale reconnue par les autres : les chefs de village (Ki), les chefs de terre (T), les griots (Sô), les forgerons (Go) et les juges (Parè). La place de la femme dans la société san reste encore, comme dans la plupart des sociétés villageoises africaines, celle de mère au foyer, abandonnant la vie politique à l'homme.

    Il est important de préciser ici que c'est le sous-groupe des forgerons qui a la maîtrise de la fabrication des outils de production agricole et de cuisson des aliments. Tandis que les

    8 A propos des expressions « anarchique » et « acéphale », Cf. Fortes (M.) , Evans Pritchard (E.E.), 1964, Systèmes politiques africains, Paris, éd. PUF, 1ère éd. en anglais 1940, 302 p. ;Clastres (P.), 1974, La société contre l'Etat, Paris, éd. Minuit, 188 p. ; Collectif, 1982, Nature et formes de pouvoir dans les sociétés dites acéphales. Exemples camerounais, Paris, ORSTOM, 172 p. ; Gresle (F.) et al., 1990, Dictionnaire des sciences humaines. Sociologie, psychologie sociale, anthropologie, Paris, Nathan, 384 p.

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    hommes s'attèlent à la forge, leurs femmes maîtrisant l'art de la poterie fabriquent jarres, canaris, tasses et pots.

    c). Organisation économique.

    D'un point de vue économique, l'activité du département est essentiellement agricole. Les paysans font de la culture céréalière. Ainsi, tandis que la production agricole concerne le sorgho, le mil, l'arachide, le sésame, le niébé (haricot), le coton, le piment et la culture maraîchère, la production animale se compose de mouton, chèvre, porc, boeuf et volaille. Il s'agit d'un type d'élevage traditionnel servant plutôt au prestige social de l'éleveur que d'une véritable exploitation économique.

    Le système d'exploitation des terres est individuel. Les descendants d'un même ancêtre héritent de la propriété léguée par celui-ci. Ainsi, les membres d'un même lignage exploitent à volonté leurs domaines fonciers. Cependant les femmes, du fait de l'exogamie, ne peuvent avoir une propriété foncière. Quant aux épouses, elles exploitent, de façon générale pour les besoins de la cuisine, les parcelles que leurs maris leur indiquent. Bien souvent ces parcelles se trouvent aux alentours des concessions. Là, elles font des jardins potagers et y cultivent du piment, légumes divers, parfois du maïs. De nos jours le piment est beaucoup prisé par les femmes parce qu'il s'achète bien et offre ainsi des possibilités d'une indépendance économique. Selon nos enquêtes, plus de 80% des femmes interrogées comptent sur les revenus du piment pour moudre leurs grains au moulin..

    La production agricole qui est familiale se fait sous l'autorité du chef de famille. De tout temps les femmes en pays san travaillent au champ avec leurs maris, et cela selon un rythme alternatif de deux jours à cause de la préparation des repas. La ration alimentaire (le mil) est donnée tous les deux jours à la femme qui se débrouille pour trouver les condiments.

    Jusqu'à aujourd'hui les instruments de production agricole sont la pioche (sukun), la hache (sèmien), la petite pioche pour les semailles (bambaran) et la houe appelée couramment « daba » (kan). La caractéristique commune de tous ces instruments aratoires est de faire adopter à l'homme au travail une stature courbée. Les Sanan ne disposent pas d'instrument de production agricole permettant de travailler debout ni même à moitié courbé. Ceci pourrait avoir un effet quelconque sur la colonne vertébrale. La production mécanisée est inexistante dans

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    toute la province du Nayala à cause de la nature des sols et de la pluviométrie qui ne permettent pas l'utilisation de machines tels que les tracteurs couramment utilisés dans la région de Solenzo et de Bobo-Dioulasso. Toutefois, à défaut de mécanisation, la production agricole dans la région bénéficie de l'apport de la culture attelée avec le concours de l'ADRTOM (Association pour le Développement de la Région de Toma) qui est une structure héritière du "PROJET-TOMA" initié en 1968 par l'évêché du diocèse de Nouna-Dédougou (dont Toma est la première paroisse créée) pour introduire la culture attelée dans la région.

    Pendant la saison sèche, quelques paysans pratiquent le maraîchage et les femmes s'attèlent au petit commerce et surtout à la préparation de la bière de mil appelée yo dans la langue san et couramment connue au Burkina sous le nom de dolo.

    D'une manière générale dans le pays san, ce sont les activités agricoles qui rythment la vie économique des habitants. Cette réalité est bien une des caractéristiques de la zone rurale. A. Kaba et R.M. Toé (1998 : 44) ont essayé de dresser le calendrier agricole suivant pour l'ensemble de la province du Nayala :

    Tableau 3: Calendrier des travaux champêtres.

    - Avril-mai

    Préparation des champs (nettoyage, labour, etc.).

    - Juin au 15 juillet

    Semis des céréales (sorgho, mil, maïs, riz) ainsi que du coton et de l'arachide.

    - Août

    Semis du voandzou (pois de terre).

    - Juin à septembre

    Opérations d'entretien (sarclage, binage, resemis, traitements des cultures, buttage).

    - Septembre à octobre

    Labour de fin hivernage, récolte des cultures (maïs, arachide, mil sorgho, niébé, etc.).

    - Novembre

    Récoltes et transport des résidus de récoltes pour animaux.

    -Novembre à décembre

    Préparation et mise en place des cultures maraîchères, début de la commercialisation.

    -Janvier à mars

    Commercialisation des cultures maraîchères, récolte du riz pluvial, fabrication de fumier, dressage des animaux de trait, coupe des tiges de cotonniers, formation professionnelle des agents et producteurs, bilan de la campagne agricole écoulée.

    Source : Kaba A. et Toé R. M.(1998 : 44)

    Le commerce semble avoir pris une place secondaire chez les Sanan : il n'est pas très développé à cause de certaines valeurs culturelles et obligations sociales. Dans plusieurs

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    villages, il existe des « marchés fictifs » dont les jours sont pourtant bien connus de tous et qui servent de référence aux jours de la semaine ; mais en réalité dans ces villages il n'y a pas de place publique pour les échanges. Ces marchés fictifs consistent surtout en des marchés de dolo où la vente se fait à domicile. Cependant dans les gros villages du département de Toma tels que Toma, Koin et Zouma, des places publiques existent servant de marchés. Dans certains villages tel que Sien, malgré la réhabilitation de l'ancienne place du marché par les habitants eux-mêmes, ceux-ci n'y vont pas pour échanger. Vendeurs et vendeuses font plutôt du porte à porte. Les femmes font presque toutes de la préparation du dolo leur principale activité commerciale. Quelques-unes cependant ajoutent à la vente du dolo celle de légumes. Rares sont les femmes qui possèdent une boutique. Leur éternel refrain c'est qu'"il n'y a pas de marché" (au sens de secteur commercial portant) "Pii bãbã min ta koe wa". En fait, la vente de la bière de mil correspond plus à une activité sociale que commerciale.

    La situation économique des femmes du département est précaire. En effet, les femmes sanan restent dépendantes de leurs maris qui possèdent et contrôlent les moyens de production. Et pourtant, elles jouent un rôle très important dans le domaine de la production agricole9 et la gestion des ménages. Leur emploi de temps, ainsi que l'indique le tableau qui suit, leur donne très peu de repos.

    Tableau 4: Activités de l'emploi de temps des femmes sanan.

    Tâches régulières

    Supplément en hivernage

    - Ménage (balayage, vaisselle...)

    - Travaux champêtres

    - Lavage de vêtements

    - Jardinage (piments,

    - Travaux de cuisine : pilage, décorticage, mouture du mil

    légumes)

    collecte d'eau, de bois, cuisine ...

    - Collecte de noix de karité.

    - Soins des enfants.

     

    - Filage du coton

     

    - Petit commerce (préparation et vente de bière de mil, etc.).

     

    - Jardinage.

     

    - Réunions de groupement.

     

    - Voyages, fêtes et deuils.

     

    Source : notre enquête.

    Enfin pour terminer avec l'organisation économique, il est bon de signaler l'absence d'industrie dans toute la province du Nayala. Dans leur monographie, A. Kaba et R. M. Toé

    9 Les femmes Sanan travaillent au champ avec leurs maris et rentrent le soir pour s'occuper des tâches domestiques.

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    (1998 : 57) mettent cela en exergue : "L'industrie est presque inexistante. Cependant il faut noter la présence de nombreux moulins installés par les différents organismes de développement intervenant au Nayala". En effet entre 1989 et 1994, l'ADRTOM a installé 20 moulins dans 20 villages de sa zone d'action, accordés à crédit aux groupements villageois féminins (GVF). On compte dans l'ensemble de la province du Nayala environ 221 moulins à grains répartis comme suit par département :

    Tableau 5: Nombre de moulins du Nayala par département.

    Départements

    Nombre de moulins

    1. Toma

    57

    2. Yé

    48

     

    3.Yaba

    45

    4. Gassan

    27

    5. Gossina

    27

    6. Kougny

    17

     

    Total

    221

    Source: Perception de Toma

    Comme on le constate, le département de Toma vient en tête de liste avec un nombre important de moulins.

    d). Système de parenté chez les Sanan.

    Lévi-Strauss, dans ses études sur la parenté, avait identifié des systèmes élémentaires et des systèmes complexes de parenté désignant le sens de l'alliance ou la classe où prendre son conjoint. F.Héritier (1981 : 74) a pu identifier des systèmes semi-complexes de parenté parmi lesquels elle classe le système de parenté des Sanan qu'elle a étudié. Ces systèmes semi-complexes sont des "systèmes de parenté (filiation et alliance) qui signalent, au moyen de prohibitions explicites, les groupes sociaux définis par rapport à Ego ou les classes de consanguins par rapport au même Ego ou à un parent tiers, à l'intérieur desquels il n'est pas possible de choisir son conjoint (...). Sachant qui ne pas épouser, tout individu est libre d'épouser qui il veut ailleurs". Contrairement à certaines sociétés où les interdits matrimoniaux se limitent à un certain nombre de degrés en ligne directe ou en ligne collatérale, chez les Sanan

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    ces interdits demeurent (du côté paternel comme du côté maternel) sur plusieurs générations jusqu'à oubli complet de l'origine commune. Cette rigueur de l'exigence connaît, de nos jours, beaucoup de difficultés à cause de la mobilité des gens.

    Le système san de parenté est un système segmentaire à lignages. Et comme Héritier (1994 : 160) le fait remarquer, il n'existe pas de clan au sens d' « association qui dépasserait le cadre villageois en unissant des lignages qui auraient même origine et même nom ». Cependant, une branche de lignage peut décider d'aller s'établir ailleurs. De manière générale, chez les Sanan tous ceux qui appartiennent au même lignage se regroupent et forment ainsi un quartier. On trouvera par exemple à Parpa (de Parè piè : le domicile des Parè) tous ceux qui ont Paré pour patronyme et ainsi de suite pour les Ki (Ki n piè), les Sô (Sôpiè), Toé (Tonen piè), etc.

    Signalons enfin que la filiation est patrilinéaire ; les enfants n'appartiennent jamais au lignage maternel. En outre, la résidence pour les femmes est virilocale. C'est ce qui explique que la femme n'a pas droit à l'héritage paternel.

    Dans la perspective de notre problématique, une telle présentation permet au lecteur d'avoir non seulement une idée de la société dont nous parlons (son organisation, ses modes de production et ses réseaux de relations) mais encore de comprendre la situation des femmes, échantillon majeur dans notre recherche.

    3. RÉALISATIONS EN MATIERE DE DÉVELOPPEMENT.

    La région de Toma est une zone totalement rurale malgré le découpage administratif qui fait de Toma le chef-lieu d'une province (le Nayala) ; ainsi Toma fait figure de ville. Mais jusqu'à présent Toma n'a ni eau courante, ni électricité et manque de voie routière praticable. Quelques forages existent dans les villages tandis que des plaques solaires sont observables çà et là dans la ville chez quelques particuliers et dans l'un ou l'autre service administratif. L'éclairage est essentiellement assuré par des lampes à pétrole dans l'ensemble des villages.

    Quelques structures de développement existent et interviennent auprès des couches sociales. On peut citer l'A.D.R.TOM (Association pour le Développement de la Région de Toma), le C.R.P.A (Centre Régional de Promotion Agropastoral), l'association PEM-LON (« Dites les femmes »), et l'UGPN (Union des Groupements Producteurs du Nayala).

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    Quant aux infrastructures scolaires, le département de Toma possède 16 écoles primaires (en 1999) dont 7 dans la commune de Toma même, un lycée provincial et un Centre d'Animation et de Formation tenu par les Frères du Sacré-Coeur.

    En matière de santé, il existe à Toma un hôpital éclairé par plaques solaires et dont le bloc opératoire est encore en construction. Dans chaque village, des femmes formées à la fonction d'"accoucheuses villageoises" rendent service aux autres femmes. Par contre, quelques-uns des villages seulement sont dotés d'un P.S.P. (Poste de Santé Primaire).

    Conclusion partielle.

    Tel se présente le site de notre étude : un milieu essentiellement rural. Les conditions climatiques défavorables influent sur la végétation et la pluviométrie, rendant ainsi le milieu naturel rude pour la population dont l'activité est totalement agricole. En effet, les habitants du département de Toma luttent pour produire, conserver et transformer les produits de leurs champs avec des moyens technologiques assez rudimentaires. L'apport de certaines technologies appropriées (charrettes, culture attelée, moulins...) et d'infrastructures de développement reste un appui important pour les populations.

    La problématique sous-jacente à ce chapitre est celle du rapport entre milieu et technique ou entre milieu et innovation technologique. Toute innovation technologique est fonction du milieu géographique comme du milieu social. Et tout apport de technologies nouvelles dans un milieu vise à opérer un changement significatif. Dans la mesure où notre étude s'inscrit dans cette ligne, il importe d'abord de tenir compte de ce milieu pour mieux évaluer les incidences de l'innovation en matière de moulins à grains. Comme le fait remarquer Guy Rocher (1968 : 57), « On ne peut apprécier l'influence réelle de la technologie sans tenir compte du contexte culturel où elle se trouve...elle (la technologie) relève en même temps du monde des choses et de l'univers de la pensée, des attitudes et des valeurs ».

    La présentation de la société san, dans le contexte de l'étude des technologies appropriées, a son intérêt dans la dynamique du rapport technologie et société. Les technologies importées trouvent en place une structuration sociale sur laquelle elles auront un impact :

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    l'organisation économique et politique, les rapports de parenté, les rapports de genre en lien avec la division sexuelle du travail, les places et les rôles sociaux en seront affectés. La technologie nouvelle ne sera appropriée que lorsqu'elle aura pris place au coeur de cette structuration sociale.

    Le prochain chapitre nous présente les différentes techniques et technologies de mouture des céréales du département de Toma.

    55

    CHAPITRE 3 : TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES DE
    MOUTURE DES CEREALES

    Le présent chapitre analyse le passage d'une technologie à une autre dans le département de Toma. Il s'agit de la technique de mouture traditionnelle à la meule dormante, puis de celle avec le moulin motorisé. Nous accordons une importance particulière à cette évolution, car elle nous permet de comprendre, à travers une analyse dynamique, les changements intervenus. Cette présentation s'articule autour de quatre points : Les techniques et technologies anciennes, les moulins comme technologies nouvelles, le système de mouture et les représentations sociales autour du moulin.

    1. LES TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES ANCIENNES DE MOUTURE.

    La mouture des céréales en pays san, comme chez beaucoup de peuples dans le monde, s'est faite bien longtemps avant l'arrivée du moulin grâce à des outils technologiques tirés de l'environnement immédiat et du génie créateur du peuple san. Chez les Sanan on trouve la meule en pierre accompagnée d'autres instruments ménagers destinés aux transformations alimentaires tels que le pilon, le mortier et le tamis. Ces instruments sont surtout maniés par les femmes à qui revient l'art de la préparation alimentaire. L'intérêt de ce chapitre par rapport à notre problématique, c'est de nous permettre de mieux évaluer l'impact du moulin dans la condition de vie des femmes du département de Toma. Nous pensons en effet que c'est en partant des technologies existantes que nous pouvons mieux évaluer l'apport de celles qui sont importées.

    a). Les origines de la technique de mouture des grains chez les Sanan.

    L'usage de la pierre par l'homme remonte à l'antiquité. Première trouvaille technologique de l'homme, la pierre, surtout le silex et le granite, s'est montrée depuis lors efficace. "Il semble, dit l'historien et archéologue Posnansky (1987 : 507), que les minerais extraits étaient broyés au moyen de pilons de pierre". Il serait très difficile de dresser un listing des différents usages de la pierre. Mais pour le sujet qui nous concerne, il reste clair toujours selon le même archéologue

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    que "la pierre était presque certainement extraite à des fins variées, la plus importante étant la fabrication d'outils de pierre polie et de meules. De nombreuses sociétés utilisaient des meules dormantes et portaient leurs graines jusqu'à un affleurement rocheux où elles pouvaient à la fois faire sécher leurs provisions et moudre des graines ou broyer des aliments végétaux". La pierre est donc très importante dans l'histoire alimentaire des hommes.

    A la suite des historiens de la technologie qui ont tenté de trouver les origines de la technologie dans les mythes des divinités grecques, nous nous sommes intéressé aux mythes sur la mouture des grains chez les Sanan. Deux récits existent.

    + Premier récit.

    Le récit suivant nous a été livré par une femme de Koin.

    "Un jour, un chasseur alla trouver un génie en train de moudre du grain sur du granite. Il resta à l'observer. A son retour au village, il en parla à son père. Celui-ci lui dit de prendre prochainement son courage à deux mains pour mieux l'observer. Le lendemain, le chasseur s'enquit de la mouture et de ses raisons auprès du génie. Le génie lui posa alors cette question : "Vous les Sanan, vous ne connaissez pas cela ? Et il lui expliqua : "Quand on pile le mil, on l'écrase pour pouvoir le préparer en pâte". De retour à la maison, le chasseur raconta à son père tout ce qu'il avait vu et ce que le génie lui avait dit. Ils décidèrent alors d'en faire pareillement. Depuis ce temps, les Sanan savent moudre et préparer la pâte de mil."10

    + Deuxième récit.

    Ce récit nous a été fourni par un homme de Toma. Il commence ainsi :

    "Autrefois les Sanan ne connaissaient pas le wu (pâte à base de farine de mil) et mangeaient le mil bouilli. Un jour, une femme partit en brousse pour chercher des légumes. Elle eut soif. Elle entra chez des génies et en trouva un. Elle lui demanda de l'eau à boire. Le génie lui dit de s'asseoir. Elle s'assit. Entre temps arrivèrent de leur promenade les enfants du génie qui trouvèrent la femme. Ceux-ci demandèrent à leur mère de leur donner à manger. Elle leur dit de patienter le temps d'écraser des grains de mil. Alors elle prit les grains, les déposa entre deux pierres et les écrasa. Elle ramassa la farine obtenue, fit du feu et versa la farine dans la marmite quand l'eau bouillit. Elle malaxa ensuite la farine avec une spatule pour obtenir une

    10 Récit recueilli le 3/01/00 à Koin.

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    pâte. Lorsque la pâte atteignit un degré suffisant de cuisson, elle l'enleva et fit des parts qu'elle donna à ses enfants et à la femme san qui en mangea. Celle-ci trouva que c'était bon. De retour à la maison, la femme imita le génie en écrasant le mil et en le préparant. Depuis ce temps, les Sanan connaissent la pâte de mil"11.

    Si l'origine de la technologie ne se trouve pas dans la mythologie mais plutôt les besoins de l'homme en face d'un environnement à transformer, le mythe peut au moins aider à comprendre comment les hommes et les sociétés se représentent la technologie à travers leurs systèmes de valeurs et l'intègrent dans leurs comportements et leurs attitudes. L'analyse de ces deux récits semblables et dissemblables en quelques aspects nous conduit à dire que si la source de certains savoirs peut se trouver en dehors du groupe social, ici le groupe san, ces mêmes savoirs techniques peuvent faire l'objet d'un apprentissage et surtout d'un emprunt, selon la théorie diffusionniste. A travers ces deux mythes, il nous apparaît clairement que les Sanan tentent d'expliquer non seulement l'origine de la mouture des grains et de leur préparation en pâte, mais encore comment se fonde leur culture technologique. Dans ces récits, les instruments techniques sont la pierre, le feu, la marmite (ou le canari), le mortier et le pilon. Les acteurs sont les génies et les humains représentés par le chasseur, son père et la femme. Le cadre de la rencontre entre ces acteurs est le cadre familial des génies si on fait référence aux enfants du génie dont le second récit parle. La communication et l'observation semblent être la base de l'apprentissage et de l'imitation a posteriori. Enfin, l'adoption et l'appropriation sont la phase finale du processus d'apprentissage de l'art de la mouture et de la préparation culinaire, disons de toute innovation technologique : "Depuis ce temps" (sous-entendu jusqu'à nos jours) les Sanan savent faire... En définitive, ces mythes posent le problème de l'innovation technologique en pays san. La forme de l'innovation ici n'est pas l'invention du nouveau au sein du milieu social technique lui-même, mais l'adoption d'un élément nouveau pris ailleurs, à un autre milieu technique. En cela l'innovation consiste en un enrichissement d'un savoir-faire culturel existant : le passage du mil bouilli à sa transformation en farine puis en pâte cuite avant de le manger.

    Ces deux mythes ont une grande portée pour notre sujet. Ils s'appliquent très bien au contexte de l'introduction et de l'adoption des moulins comme processus d'emprunt d'une technologie nouvelle. Une analyse comparative des deux contextes nous permet de faire

    11 Récit selon Sô Benoît Kossonguin né en 1931, recueilli le 12/01/2000.

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    l'interprétation suivante : à l'instar du chasseur du premier mythe, quelqu'un est allé à l'aventure et a découvert une nouvelle technologie : le moulin. Beaucoup d'innovateurs sont, certes, ceux qui sont sortis de leur milieu quotidien de vie. Mais la découverte seule ne suffit pas. Pour que le moulin soit une technologie appropriée, adoptée dans la culture san, il faut bien observer et apprendre ; au besoin, retourner comme ce chasseur sur les lieux une seconde fois. C'est pourquoi le processus de l'innovation technologique, processus de diffusion et d'emprunt culturel, demande du temps et de la persévérance. Le moulin est venu. Les Sanan l'ont préféré à la meule de pierre. Depuis lors, les Sanan écrasent leurs grains au moulin pour la préparation des repas.

    Mais le moulin n'est pas sans impact sur les femmes sanan (traditionnellement attelées à la mouture manuelle sur la pierre) ni même sur l'ensemble de leur région. C'est cet impact et le changement social apportés que ce travail veut étudier

    Ces mythes nous invitent à présent à la présentation des technologies et techniques de mouture des grains dans le département de Toma.

    b). Instruments et techniques de mouture.

    Dans le département de Toma, comme dans tout le pays san, ce sont les femmes qui ont la maîtrise des techniques et technologies de mouture. La mouture des grains s'insère dans la grande chaîne de transformation alimentaire qui commence par la séparation des graines des épis, se poursuit par le décorticage, le séchage, la mouture et se termine par la préparation de la pâte de mil. Au pays san, broyer le grain est l'une des tâches principales assignées à la femme dans sa fonction de ménagère chargée de la cuisine. La meule est l'outil principal auquel est associé le mortier à pilon. Divers instruments sont utilisés à chacune des étapes de la transformation alimentaire.

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    + Le mortier et le pilon (cf. photo n°2)

    Le mortier et le pilon sont des instruments en bois taillé fabriqués et vendus généralement par des artisans du village. Mortiers et pilons sont de tailles variables en pays san pour des questions de commodité. Mais leur usage exige de la femme, comme première technique, la stature droite du corps. Il faut remarquer que si ces instruments servent essentiellement pour le décorticage et le pilage chez les femmes sanan, ils sont très rarement utilisés pour la mouture du mil. Les femmes font le broyage des céréales au mortier lorsqu'elles ont du maïs ou lorsqu'elles veulent préparer des galettes de mil. La technique de mouture au mortier est utilisée surtout par les Peuls dans le département de Toma.

    Comment se passe généralement l'opération de pilage ? Bien souvent les femmes se mettent en groupe pour le pilage et le décorticage. A tour de rôle et selon une certaine cadence, rythmant et accélérant ainsi l'action de piler, chaque femme lève et fait descendre son pilon dans le mortier. Parfois des claquements de doigts au contact du pilon accompagnent cette activité. De temps en temps une femme lance son pilon en l'air et le rattrape sans casser le rythme de pilage.

    Mais, le pilon et le mortier exigent de la femme, pour leur maniement, de l'énergie et ont une incidence sur son physique. Ces outils de travail laissent leur marque sur les paumes des femmes qui se durcissent et forment des cals.

    Signalons enfin que dans la culture san, le pilon remplit d'autres fonctions que celle de piler. Nous savons par exemple qu'en cas de profanation de la brousse12 par un acte sexuel, dont le manque prolongé de pluies est supposé en être la conséquence, les rites religieux de réparation nécessitent une reprise symbolique et publique de l'acte sexuel par les coupables qu'on fouette. A défaut des intéressés, les Sanan juxtaposent deux pilons. Ceci explique que les Sanan attribuent un symbolisme au pilon à partir de sa forme qui renvoie au phallus.

    12 Les Sanan considèrent que la brousse est sacrée.

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    Photo 2: Pilon et mortier

    Photo Jn. P. Ki. Toma, le 21/8/1999

    + La meule en pierre. (cf. photos N°3 et 4)

    Du point de vue des femmes lors de nos enquêtes, la meule en granite telle qu'elle existe de nos jours encore dans le département, fait elle-même l'objet d'une importation depuis les régions de Kiembara (environ 60 km au nord de Toma) et de Dédougou (90 km à l'ouest de Toma). Avant la pierre en granite, existait la latérite taillée. Celle-ci avait pour inconvénient majeur de s'effriter rapidement et de rougir la farine de mil. On trouve encore des restes de ces pierres taillées dans certaines concessions. L'avantage du granite c'est sa résistance.

    La meule de granite se compose de deux éléments : une partie principale, gii dan, la "meule-mère", de forme rectangulaire (environ 45 cm sur 30 à 35 cm) fixée à peu près à hauteur de 80 à 90 cm du sol sur une élévation en terre battue, et une partie secondaire, gii né, la "meule-fille", (une barre de granite de longueur à peu près égale à la largeur de la meule-mère)

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    que la femme promène à la surface de la « meule-mère » dans un mouvement de va-et-vient en exerçant une pression sur les grains pour les écraser. Disons qu'il s'agit d'une meule et d'un broyeur.

    Ici, la femme adopte une position courbée et appuie de toutes ses forces sur la "meule-fille". De temps en temps elle dépose sur la « meule-mère » quelques grains à l'aide d'une main pendant que l'autre continue de remuer la « meule-fille ». Le broyage des céréales est une opération longue et pénible durant laquelle la femme fait des pauses pour reprendre son souffle.

    Photo 3: Meules « mère » et « fille » Photo 4: Mouture du mil.

    Photos Jn. P. Ki. Toma, le 13/1/2000.

    Les Sanan établissent un rapport de filiation entre la meule et le broyeur. D'où les termes « meule-mère » et « meule-fille » qui ont une signification symbolique. Ce symbolisme est celui de la reproduction. En san, le mot gii donné à la meule signifie aussi « multiplier, devenir beaucoup, germer ». En outre, la position du broyeur par rapport à la meule rappelle l'enfant au dos de sa mère.

    + Le balai et le tamis

    A proprement parler, le tamis, tèmè, n'est pas un instrument de mouture, mais il intervient aussitôt après la mouture pour tamiser la farine obtenue et la débarrasser de la balle ou d'éventuelles fourmis attirées par la farine et le mil. Pendant et à la fin de la mouture, la femme utilise régulièrement un petit balai, gii mèsè, pour rassembler les grains dispersés et le restant de farine.

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    + Le totoarè, instrument d'habillage de la meule.

    Le totoarè est une sorte de poinçon emmanchée servant à donner à la meule et à la meulette une surface rugueuse afin de faciliter l'écrasement des grains. Le totoarè est un instrument indispensable à toute femme qui dispose d'une meule, car son utilisation est régulière. De plus, la femme se repose mieux si la meule est bien poinçonnée. L'usage du totoarè exige une grande adresse et un savoir-faire. En effet si la surface de la meule devient trop granuleuse, elle n'écrase pas bien ; de même que si elle est trop lisse. L'habillage des meules métalliques des moulins, qui consiste à entailler leurs surfaces travaillantes d'une série de rayons, peut être rapproché de cette technique locale du pays san.

    Photo 5. Femme san poinçonnant la meulette avec un totoarè

    Photo Jn. P. Ki, Toma, le 13/1/2000

    Ces instruments et ces techniques qui constituent une partie de la culture matérielle des Sanan se trouvent aujourd'hui sanctionnés par la révolution du moulin, et sont mis au rebut en l'espace de dix ans. Dans certaines familles, on n'y recourt que quand le moulin est en panne ; mais dans d'autres familles, les meules n'existent plus. L'usage optimal de tous ces instruments nécessite certaines techniques du corps auxquelles le socio-anthropologue doit s'intéresser.

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    + Des techniques du corps

    Nous limiter à une classification des formes d'outils n'aurait pas une pertinence anthropologique. Car comme le dit Leroi-Gourhan (1965 : 35) « l'outil n'est réellement que dans le geste qui le rend efficace ». Les méthodes de transformation alimentaire relèvent de tout un art chez les femmes sanan. Autrefois, dans certaines concessions, un grand vestibule (à l'entrée) servait d'espace commun à l'édification des meules individuelles des femmes desdites concessions. Selon le nombre de femmes, on trouvait (même aujourd'hui encore) un alignement de meules allant parfois jusqu'à huit (Cf. Annexe 4.2). Ces vestibules étaient le lieu par excellence où les femmes fredonnaient seules quelques chansons populaires et où les cantatrices pouvaient avoir quelque inspiration pour des prestations publiques ultérieures. Lorsque les femmes se retrouvaient nombreuses au même moment, on assistait parfois à un véritable concert composé de chants, scandés de "yililili"13, traitant directement ou indirectement d'actualité, de la condition féminine ou visant une personne particulière. Nous pensons que ce plaisir lié au travail de mouture soulageait, comme pour le pilage, la peine y afférant. En effet malgré l'humeur joyeuse des femmes, toute l'activité s'accompagne de grosses gouttes de sueur et se solde avec le temps par le durcissement des paumes en une forme de cancérisation.

    Dans cette activité de mouture, langage et geste s'harmonisent pour créer un rythme rendant l'exercice agréable. Les reprises de refrains en choeur par les femmes donnent à cette activité toute sa dimension sociale. Il y a lieu de rappeler ici avec Mauss (1950 :372) que « le corps est le premier et le plus naturel instrument de l'homme. Ou plus exactement, sans parler d'instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l'homme, c'est son corps ». Le corps humain est la mesure de tout, c'est pourquoi nous lui accorderons une place dans l'analyse de l'impact du moulin sur les femmes au chapitre 4.

    Nous récapitulons ces quelques indications en précisant que la présentation des technologies locales de mouture des céréales trouve son intérêt dans la problématique de la technologie culturelle. Chaque société fabrique les instruments en fonction de ses besoins et de son environnement. Les formes, les modes d'utilisations et les symbolismes de ces instruments sont l'expression de la culture de cette société.

    13 Au pays san le yililili est un cri d'acclamation que seul les femmes poussent à certaines occasions pour encourager l'auteur d'une action, d'un discours, d'un chant, etc. pour manifester leur satisfaction. Le yililili est une technique de remuement de la langue dans le sens transversal (de gauche à droite) de la bouche. Un yililili bien prononcé s'entend au moins à 200 mètres.

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    Cette section nous a permis de mettre en relief la catégorie sociale qui, dès les origines mythiques, fait de la mouture des céréales, sa part dans la division sociale et sexuelle du travail. Les techniques du corps accompagnant le maniement des outils montrent l'importance de la dimension corporelle dans toute activité humaine. Loin d'être figées, ces techniques changent et s'adaptent à l'environnement technologique. Ainsi en sera-t-il au sujet des moulins dans le département de Toma.

    2. LES MOULINS, TECHNOLOGIE NOUVELLE DE MOUTURE DES GRAINS.

    Comme connu, les moulins et les décortiqueuses sont transférés d'Europe dans l'après deuxième guerre mondiale (1950) vers les pays africains. Selon Treillon (1992 :13), en France, ce matériel, oeuvre de quelques entreprises, est dans un premier temps destiné aux exploitations agricoles pour la fabrication d'aliments pour le bétail. « L'une de ces entreprises, Daly, a l'idée de s'implanter sur le marché africain avec le même type de matériel pour l'alimentation humaine. Par l'intermédiaire d'une société d'exportation, Landes, elle diffuse son moulin à céréales, Turbofix, vers le Sénégal ». L'expérience étant concluante, d'autres constructeurs comme Olby (entreprise danoise) suivront cet exemple. En présentant ce contexte historique, notre objectif est de montrer que les moulins sont le fruit d'un emprunt. Comment ont-ils été introduits ? Quelles marques sont installées ? Et comment fonctionnent-ils ?

    a). Présentation et répartition des moulins dans le département de Toma.

    Les modalités d'introduction des moulins dans le département de Toma sont diverses. On note parmi ceux qui opèrent le transfert, des acteurs privés (commerçants, anciens combattants), l'Etat et des ONG servant de relais aux groupements et associations.

    Le premier moulin à mil fut installé à Toma en 1962 par Joseph Korpãn Karambiri, originaire de Nimina et premier commerçant de Toma à ouvrir une boutique. Le second sera introduit quelques années après (2 ou 3) par Saturnin Ki, un ancien combattant entrant en retraite. Et aujourd'hui le nombre de moulins à grains dans la ville de Toma est de 22 dont une dizaine en panne depuis au moins un an.

    Il faut remarquer que la catégorie sociale des deux pionniers est d'une portée significative dans l'introduction des moulins à Toma. Ils sont, l'un commerçant et l'autre ancien

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    combattant. Ce sont des gens qui ont un statut social imposant à cause de leurs moyens financiers, du savoir nouveau acquis en dehors du terroir san. Tout ceci leur confère un certain pouvoir dans la société, mais surtout leur permet d'être des innovateurs.

    Le nombre total des moulins dans le département est de 57 dont 35 dans les villages environnants, 45 moulins privés et 12 appartenant aux groupements villageois féminins (GVF). Le tableau suivant donne une idée de la répartition par village et de leur état actuel de fonctionnement.

    Tableau 6: Répartition des moulins du département de Toma par village.

    Villages

    Population Nombre de moulins Moulins

    moulins individuels GVF

    Etat actuel

    Fonctionnel

    En Panne

    1. Goa

    436

    2

    2

    0

    2

    0

    2. Goussi

    425

    1

    1

    0

    1

    0

    3. Koin*

    2 812

    5

    4

    1

    3

    2

    4. Kolan

    791

    3

    2

    1

    2

    1

    5. Konti

    275

    2

    2

    0

    2

    0

    6. Nièmè*

    555

    2

    1

    1

    2

    0

    7. Nyon

    485

    1

    1

    0

    1

    0

    8. Pankélé

    1 357

    3

    2

    1

    2

    1

    9. Sawa*

    710

    2

    1

    1

    2

    0

    10. Sien*

    655

    2

    0

    2

    1

    1

    11. Sièpa

    687

    1

    1

    0

    1

    0

    12. To

    1 294

    4

    3

    1

    3

    1

    13. Toma*

    8 992

    22

    19

    3

    12

    10

    14. Zouma*

    2 425

    7

    6

    1

    5

    2

    15. Raotenga

    219

    0

    0

    0

    0

    0

    16.Semba

    368

    0

    0

    0

    0

    0

    17.Yayo

    127

    0

    0

    0

    0

    0

    Total

    22 613

    57

    45

    12

    39

    18

    *. Villages où nous avons mené nos enquêtes.

    Source : Perception de Toma.

    Comme on peut le constater sur ce tableau, le nombre de moulins serait largement suffisant dans le département de Toma n'eussent été leurs pannes fréquentes. Toutes les femmes interrogées se plaignent de cette situation. Lorsqu'on considère le cas de chaque village, on constate que 11sur 17 ont plus d'un moulin alors que la moitié atteignent à peine 600 habitants. Or selon les études de Treillon (1992 : 18) il faudrait une population minimale de 1200 habitants

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    pour qu'un moulin soit rentable dans un village. De plus, selon Lemonnier (1991 : 97) ces moulins motorisés (qu'ils soient à meules ou à marteaux) ont des capacités horaires théoriques de 100 à 150 kg. On pourrait à la limite dire, sauf pour les plus gros villages, qu'un moulin en bon état est suffisant par village.

    L'implantation des moulins connaît un succès dans le département pour plusieurs raisons : d'un point de vue économique et financier (il fait l'affaire des commerçants), du point de vue de l'allègement de la fatigue des femmes et sous l'influence de l'Etat et des ONG.14 Cependant, les habitants de Raotenga, Semba et Yayo n'ont pas encore accès à cette nouvelle technologie ; et s'ils y ont accès, ils devront se rendre dans les villages voisins pour la mouture de leurs céréales.

    Quant à l'état actuel des moulins, on note que 18 sur 57 moulins (soit 31,6%) sont en panne depuis au moins un an. Sur ces 18 moulins en panne six (6), sont des moulins GVF et douze (12) des moulins individuels. Le tiers (1/3) de l'ensemble des moulins en panne est ainsi constitué de moulins GVF. A considérer chaque catégorie (moulins GVF et moulins individuels) à part, on remarque que sur l'ensemble des moulins individuels (45) douze (12) sont en panne, soit 26,67%, tandis que la moitié (50%) des moulins GVF n'est pas fonctionnelle depuis au moins un an. L'écart qui s'élève à 23,33% est important et donne à réfléchir. Pourquoi la moitié des moulins GVF sont-ils en panne ? Et pourquoi, en terme de pourcentage, y a-t-il plus de moulins communautaires que de moulins individuels en panne ? Nous attribuons cette situation au problème de la gestion collective des moulins par les femmes et au sens du bien commun. Mais la marque des moulins et des moteurs est à prendre également en compte.

    b). Typologie des moulins motorisés dans le département.

    Nous nous sommes aussi intéressé aux caractéristiques techniques des moulins importés. A part quelques anciens modèles de marque Blakstone et Nissan, on trouve les marques suivantes : Lion, Anil, Lister pour le moteur et Nola Rex, Diamant, Amuda, pour le moulin. Tous les moulins installés par l'ADRTOM (au total 20) sont de marque Diamant et le moteur de marque Lister. En effet ces deux marques semblent mieux s'adapter aux conditions climatiques à cause du système de refroidissement à l'eau du moteur.

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    Nous pensons que la question des caractéristiques des moulins est importante, car sur le plan technique c'est par-là qu'on peut vérifier si une technologie est appropriée à un milieu et à un usage. En effet, la marque de moulin conditionne essentiellement trois choses : sa durée de vie, sa fonctionnalité et sa rentabilité. Puisque la majorité des moteurs est Lister et le moulin Diamant, nous allons dresser les caractéristiques de ces deux marques.

    + Le moteur Lister et ses dérivées.

    Le moteur Lister est d'abord d'origine anglaise. Mais de plus en plus, on trouve sur le marché des fabrications indiennes du même type portant d'autres noms tels que Amuda, Rajan. Le Nigeria fait également des assemblages de Lister. Les caractéristiques du moteur Lister sont : - Moteur Diesel

    - Démarrage à manivelle : démarrage lent avant que le moteur retrouve son régime normal : 1500 tr/mn.

    - Système de refroidissement à eau. (On constatera derrière les bâtiments qui abritent les moulins deux citernes d'eau. Cf. Photo n° 7).

    - Tuyauterie (généralement soumise à la rouille).

    - Puissance : 8 à 12 CV.

    - Un ou deux cylindres.

    - Consommation horaire en carburant excessive : deux litres de gasoil pour 90% de la puissance selon le rapport du séminaire national sur les moulins (Cf. Ministère du développement rural, 1984 : 28).

    Le moteur Lister présente des avantages et des risques pour la zone rurale. Parmi les avantages, on peut citer le coût assez bas à l'achat (450 000 F CFA par rapport à d'autres allant jusqu'à 600 000 F CFA), une durée de vie moyenne de 5 ans et des pièces faciles à trouver. Selon Inga Nagel (1992 : 69-70) la durée de vie du moteur Lister peut même aller jusqu'à dix ans. Ses pièces sont interchangeables avec celles des moteurs Anil et Rex.

    14 En 1994 le gouvernement burkinabè procédait à une opération dite "Opération mille moulins" en accordant des moulins à crédit aux groupements villageois féminins par le biais des ONG. La région de Toma bénéficia de vingt moulins installés par l'ADRTOM dans différents villages.

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    Quant aux inconvénients, on peut relever d'abord que le système de manivelle est très dangereux pour la santé. Mal maniée, la manivelle peut casser la clavicule ou le bras. Ce risque, ajouté à l'effort physique nécessaire pour le démarrage, fait que les femmes des GVF sollicitent toujours un meunier qui est généralement un jeune homme de 20 à 25 ans environ.

    Ensuite, la transmission du mouvement par courroie entraîne des dégâts et des accidents parfois mortels. Nous avons été témoin d'une situation où la courroie ayant accroché le pagne d'une jeune fille, l'a entraînée et lui a labouré le ventre et le dos. En outre, l'échauffement fait dilater la courroie qui peut se rompre et cingler les personnes se tenant à proximité du moteur.

    Enfin, signalons l'impact du moteur sur la santé. En effet, malgré les filtres le moteur Lister est bruyant. A long terme, le risque de surdité est important pour le meunier. Telles sont les caractéristiques du moteur le plus généralement utilisé en accouplement aux moulins à meules.

    + Les moulins à meules.

    Les moulins à meules sont encore appelés moulins à disques. Tous les moulins des villages où nous avons mené nos enquêtes sont à meules. Et l'on rencontre deux types de meules : les meules en pierre (moulin Diamant) et les meules métalliques (autres marques de moulin). Des marques identiques de moulins sont implantées dans l'ensemble du département de Toma. La chambre de mouture comporte deux meules dont l'une est fixe et l'autre mobile. Les moulins à meules sont intéressants à cause d'un système de réglage de l'écartement des meules et de variation de vitesse de rotation permettant d'obtenir un type de farine souhaité par les femmes.

    Les moulins à meules métalliques (fonte ou fonte aciérée) sont polyvalents ; ils acceptent toute sorte de grains et supportent la mouture par voie sèche comme par voie humide. Par voie sèche, il s'agit des grains secs non décortiqués par les femmes, qu'il s'agisse du mil, sorgho ou du maïs ; et par voie humide, il s'agit des grains décortiqués traditionnellement au mortier et apportés au moulin après un petit temps d'assèchement. Cette seconde pratique est très courante chez les femmes du département et même chez l'ensemble des femmes de la province du Nayala. Elle est la résultante des habitudes de mouture à la meule en silex. En outre, le décorticage selon les femmes leur permet d'avoir non seulement de l'eau fermentée pour la

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    préparation de la pâte de mil, mais encore du son pour l'alimentation des animaux15. Faites d'alliage d'acier et de fonte, les meules métalliques s'usent sous l'effet du frottement et exigent d'être aiguisées régulièrement.

    Par contre, les moulins à meules en pierre (formées d'un assemblage de pierres siliceuses proches du quartz) ne supportent que la mouture par voie sèche mais non pas la mouture de grains humides. La plupart des moulins Diamant sont de ce modèle. Ils fournissent de la farine très bien écrasée qui, au sortir de la chambre de mouture, est aussi très chaude. Lorsque les grains sont humides, la farine se colle sur les parois de la chambre de mouture et sur les meules et peut entraîner un blocage du système. Lors de nos enquêtes nous étions obligé d'expliquer cela aux femmes du groupement MISOLA16 de Toma qui ne comprenaient pas les raisons des blocages de leur moulin et qui ont dû acheter une autre marque de moulin de fabrication locale. Toutefois plus résistantes et plus épaisses que les meules métalliques, les meules en pierre ont une durée de vie également plus longue ; au moins deux ans.

    En somme, les moulins à meules présentent l'avantage d'accepter toutes sortes de grains, même l'arachide et le sel. Cette polyvalence les adapte mieux aux pratiques locales. Ceci explique le choix de plusieurs villages. De plus, les meules légères sont facilement démontables et aiguisables plusieurs fois. Ce qui n'est pas le cas pour les moulins à marteaux.

    15 Il faut signaler ici que les femmes sanan sont de grandes éleveuses de porcs auxquels elles accordent un soin particulier. Une femme peut posséder à elle seule 5 à 10 porcs qu'elle vendra selon les nécessités pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Les hommes pratiquent très peu l'élevage de porcs au pays san.

    16 MISOLA désigne les termes mil, soja et l'arachide. Il s'agit de la production de farine enrichie pour l'alimentation des enfants manquant de vitamines. Cette farine est encore appelée farine de sevrage.

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    Photo 6 : Moulin Diamant et moteur Lister.

    Photo Jn. P. Ki. Sawa, le 7/1/2000.

    + Les moulins à marteaux (cf Broyeur, annexe 3)

    Nous n'avons pas rencontré de moulin à marteaux lors de nos tournées, mais comme ces modèles sont largement répandus au Burkina, il pourrait aussi en exister dans le département de Toma. A la place des meules se trouvent des lames sous formes de marteaux. Ce sont ces marteaux qui, tournant à grande vitesse (3000 tr /mn), écrasent les grains. Les broyeurs à marteaux sont comme les meules en pierre : ils n'acceptent que la mouture sèche pour laquelle ils sont conçus.

    Les marteaux ont une durée de vie plus longue que les meules mais leur utilisation est délicate. Or dans un contexte où les femmes font le passage d'une technologie à une autre, de la mouture humide avec des meules de pierres dormantes à la mouture sèche exigée par le moulin motorisé, les comportements mettent du temps à changer malgré les plaintes des meuniers. Déjà, certaines femmes sont obligées de faire sécher le mil décortiqué devant le moulin après le rejet du meunier. Les moulins à marteaux exigent un changement et une adaptation des procédés traditionnels des femmes.

    71

    Que les moulins soient à meules ou à marteaux, tous présentent l'avantage du réglage de la vitesse de rotation et du choix de la mouture en vue de différents types de mets. Une comparaison entre les moulins à meules et les moulins à marteaux montre que les moulins à meules sont plus avantageux au regard de la consommation d'énergie et de la capacité à moudre sec et humide, bien que les moulins à marteaux soient pourtant facilement réglables et fournissent des farines plus fines. Les moulins à meules par contre ne fournissent pas toujours de farines fines. Selon que les meules sont mal aiguisées ou trop usées, la qualité de la farine change. Nous avons vu des femmes remettre leur farine dans le moulin pour une seconde mouture. Un tableau comparatif des deux types de moulins, dressé par Denis Sautier et Michèle O'Deyé (1989 : 67-68) peut aider à mieux comprendre ce dont nous parlons.

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    Tableau 7: Caractéristiques des moulins par typologie.

    Principes

    Broyeur à marteaux

    Moulin à meules métalliques

    - Grains pulvérisés sous le choc de marteaux tournant à grande vitesse (3000 t/mn).

    - Granulométrie de la farine constante définie par la grosseur des tamis de sortie.

    - Grains écrasés entre deux meules métalliques, l'une fixe l'autre en rotation (800 t/mn).

    - Granulométrie de la farine définie par l'écartement entre les meules et leur degré d'usure.

     

    Utilisations

    -Mouture des céréales sèches et de divers produits secs non oléagineux.

    - Mouture des céréales ou autres produits secs ou humides.

    Débit théorique

    - 150 à 500 kg/h

    - 120 à 350 kg/h

    (Fonctionnement continu).

    Avantages

    - Granulométrie de la farine régulière. Réglage par tamis.

    - Peu d'usure, les marteaux peuvent être retournés 4 fois avant remplacement.

    - Fabrication locale envisageable.

    - Appareil polyvalent

    - Peut fonctionner à vitesse lente actionnée par l'énergie humaine, animale ou un moteur de faible puissance.

    - Consommation spécifique plus faible que celle des moulins à marteaux.

     

    Inconvénients

    - Exige une vitesse de rotation élevée et une motorisation puissante. Utilisation de l'énergie animale exclue.

    - Ne permet pas de faire des pâtes ni de traiter des produits humides. - Entraîne un échauffement de la farine (50 à 70° C), légèrement plus élevé que celui causé par les moulins à meules (50 à 60° C). -Consommation spécifique plus élevée.

    - Granulométrie moins régulière. - Usure relativement rapide des meules qui peut nécessiter d'effectuer plusieurs passages.

    - Frais d'entretien (retaillage et remplacement des meules). - Risque de retrouver des particules métalliques dans la farine.

     

    Consommation spécifique

    (Pour obtenir des farines sensiblement de même finesse)

    - Non adapté

    - 83 à 112 kJ/kg (8 g gaz oïl /kg).

    - 48 à 68 kJ/ kg (= 5 g gaz oïl/kg) - 54 à 68 kJ/kg (= 6 g gaz oïl/kg).

    1. Mouture humide.

    2. Mouture sèche.

    Puissance requise

    - 9 à 11 CV.

    - 7 à 8 CV.

     

    Source : DMA (1984) in Denis Sautier et Michèle O'Deyé (1989 : 67-68)

    + Moulins individuels et moulins d'associations.

    Notre analyse de la situation des moulins dans le département de Toma ne se limite pas à leurs caractéristiques techniques. Elle s'étend aussi aux différents acteurs sociaux. On distingue deux catégories de moulins : les moulins individuels qui appartiennent pour la plupart à des commerçants et les moulins d'associations ou de groupements féminins.

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    Selon le tableau n° 6 que nous avons dressé, on trouve dans le département 45 moulins individuels. Certains appartiennent à un même propriétaire qui les a installés dans des villages différents afin d'en tirer du bénéfice. Quant aux moulins de groupements féminins, ils ont été installés avec l'aide d'ONG, tels que l'ADRTOM, l'UGPN et PEM-LON. On en dénombre 12.

    Les propriétaires des moulins individuels et les membres d'associations ou de groupements poursuivent des buts différents dans l'installation des moulins. Tandis que les premiers poursuivent des objectifs purement financiers, les seconds ajoutent au financier d'autres objectifs tels que l'apprentissage de la maîtrise des outils de gestion et de comptabilité, la création d'un cadre de rencontre et de solidarité, enfin le souci d'échapper à la dure corvée de la mouture manuelle avec la meule de pierre. Nous avons constaté que le fait pour les groupements féminins d'allier objectifs financiers et sociaux a un impact sur la maintenance de leurs moulins.

    Parlant des moulins dans le département de Toma, nous aurions pu orienter notre étude vers une catégorie de moulins, comme il en existe déjà abondamment au Burkina sur les moulins des GVF (groupements villageois féminins). Si nous n'avons pas opté pour cette ligne, c'est que toutes les études existantes se contentaient de signaler les besoins des femmes rurales en moulins et s'intéressaient aux conditions d'implantation et aux modes de gestion communautaire de ces moulins. Nous avons voulu apporter notre contribution à la problématique des moulins et de la condition des femmes rurales en nous penchant sur l'aspect technologique des moulins. Ce terrain, à notre connaissance, n'est pas encore exploré et peut servir de clé de compréhension aux phénomènes sociaux en lien avec les moulins.

    En conclusion, on peut dire que l'introduction et l'installation des moulins dans le département sont réalisées par plusieurs acteurs différents. En outre, à part les moulins des GVF, la propriété des moulins est assurée par les hommes. Cependant depuis un an, il existe à Toma une femme propriétaire d'un moulin. Si d'une part l'introduction des moulins par les commerçants répond à des préoccupations financières, il reste d'autre part que la problématique des moulins dans le département de Toma participe en définitive du développement rural. Leur influence sur les populations concernées mérite analyse. Mais avant cette analyse, présentons le système de mouture moderne des céréales.

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    3. LE SYSTEME DE MOUTURE DES GRAINS DANS LES VILLAGES.

    Cette présentation se base sur l'organisation que nous avons trouvée dans les villages où nous avons mené nos enquêtes : Toma, Koin, Nième, Sien, Sawa et Zouma (Cf. carte. Annexe N°1). Mais, d'une manière générale le système de mouture est le même dans tout le département de Toma. Sont pris en compte ici les locaux, les heures de travail, l'ordre et le rang, le rapport quantité-prix, et enfin l'organisation des mesures et les stratégies des femmes.

    a). Les locaux des moulins

    Généralement, les locaux qui abritent les moulins sont construits soit en banco avec des toits de terre battue ou couverts de tôles, soit en semi-dur. Tandis que l'emplacement des moulins des commerçants se situe dans leurs concessions, celui des moulins des associations et GVF se trouve soit chez la responsable du groupement (comme à Sawa et Zouma), soit dans une place publique choisie à dessein (comme à Toma, Koin et Sien). Ces locaux sont généralement de petites dimensions de 5,50 mètres sur 5,00 mètres (comme à Koin). Un banc ou un hangar devant l'un ou l'autre moulin offre aux femmes des commodités de conversation. Cependant, certains groupements (comme à Sien et Nièmè) n'ont rien prévu dans ce sens, laissant les femmes se débrouiller pour trouver ça et là qui une pierre, qui un morceau de brique pour s'asseoir ; certaines femmes s'assoient à même le sol, attendant leur tour de mouture.

    La question de l'emplacement du local d'un moulin communautaire au village est souvent un véritable noeud de vipères. Les nombreux problèmes que pose par exemple la domiciliation chez la responsable de groupement finissent par aboutir à un changement de lieu comme cela fut le cas à Sien. Ces paramètres doivent être pris en compte dans l'analyse des changements introduits par le moulin et de leur impact sur les femmes.

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    Photo 7. Abri d'un moulin à Nième avec citernes d'eau de refroidissement.

    Photo Jn. P. KI. Nième, le 7/1/2000.

    b). Les heures de travail

    Notre enquête auprès des meuniers a révélé que chez les commerçants, il n'y a pas d'heure d'ouverture ni de fermeture des moulins. Tout se fait au gré du meunier qui juge s'il y a une quantité suffisante de grains à moudre pour ne pas tourner à perte. Certains ouvrent le matin et d'autres l'après-midi ou même le soir selon leur emploi de temps, lorsqu'il s'agit de l'hivernage. D'autres propriétaires, eux-mêmes meuniers, n'ont pas de choix d'heure comme ce commerçant qui déclare : « Chaque matin jusqu'au soir, tant qu'il y a de la clientèle, mon moulin tourne ». Il faut signaler que ce manque de fixation d'heures d'ouverture et de fermeture est tantôt à l'avantage comme au désavantage des femmes. Dans les villages où il n'y a qu'un seul moulin, les femmes doivent subir les caprices du meunier.

    Les GVF, quant à eux, essaient d'indiquer des heures d'ouverture à leurs meuniers. A Toma, ces heures varient entre 8h et 10h tandis que dans les villages environnants où la sollicitation est moindre, c'est l'après-midi qui est indiqué (autour de 14h / 15h). Chez les GVF également il n'y a pas d'heure de fermeture. Le moulin ferme après le dernier client de la journée. Il est clair qu'un tel rythme de travail provoque la surchauffe du moteur dont la durée de vie finit par en pâtir.

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    c) Ordre et rang au moulin.

    La mouture des grains au moulin exige des femmes d'aligner leurs calebasses par ordre d'arrivée. Cette pratique a pour avantage d'offrir aux femmes une égalité de chance, d'éviter les bousculades et le favoritisme de la part des meuniers. Mais cette organisation n'est pas toujours respectée partout avec rigueur et pour plusieurs raisons. D'abord, les cas urgents. Les femmes sont très reconnaissantes les unes envers les autres pour les cas urgents qui se présentent par moment à chacune d'elles. Ainsi nous dit une femme : « Parfois, ta camarade vient t'expliquer qu'elle doit amener de la nourriture à un malade à l'hôpital par exemple. Tu ne peux pas refuser. Demain c'est peut-être ton tour ». Il en est de même lorsqu'une femme reçoit à domicile des étrangers de passage à qui il faut préparer rapidement un repas. Ensuite, il y a les cas de femmes qui allaitent : elles s'excusent à cause du bébé qu'elles ont laissé à la maison. Notons enfin que les femmes citent un certain nombre de cas sociaux pour ne pas se soumettre aux exigences de l'ordre établi. Ces cas, bien expliqués, ne créent généralement pas de tensions entre les femmes. La plupart du temps, celle qui est pressée demande l'avis favorable de toutes celles qui viennent après le niveau du rang où elle veut s'insérer. Mais il y a aussi des femmes qui viennent et se donnent un certain droit de passer avant les autres « parce qu'elles se croient pressées » (« m'a asè yii n fuu »). Ces personnes créent souvent des tensions qui vont jusqu'à la bagarre avec le risque de briser des calebasses. Cependant, une considération particulière est accordée aux vieilles personnes qui arrivent. Mais bien souvent les enfants font facilement l'objet de négligence. « Bè néan mèn yi a kaka wa, a ka wasa men mãsin léa » (« Si un enfant n'est pas éveillé, le soir peut le trouver au moulin ») affirment les femmes. Les adultes ont toujours tendance à vouloir passer avant les fillettes envoyées par leurs mamans.

    Ces différentes attitudes existent dans tous les moulins et sont vite observables lorsqu'on se rend au moulin. Les différents comportements révèlent les stratégies mises en place par les femmes pour pouvoir à la fois bénéficier de la mouture sans perdre du temps et se soustraire à un système social coercitif.

    D) Rapport quantité - prix.

    Avant de verser son mil dans la trémie du moulin, chaque femme mesure, sous l'oeil contrôleur du meunier, la quantité qu'elle a apportée à l'aide de boîtes dont le contenu correspond à un tarif connu. Les prix varient selon la quantité et selon le type de céréales

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    écrasées, de même que légèrement d'un village à l'autre. De façon générale, les prix sont sensiblement les mêmes. Les différences proviennent du coût du transport du gasoil dont tous les villages viennent s'approvisionner à Toma. Le tableau ci-dessous nous permet d'apprécier le rapport quantité - prix.

    Tableau 8: Moyenne des prix par mesure dans les villages (en f. CFA).

    BOITE

    CEREALES

    Dimensions

    Sorgho
    pilé

    Mil

    Maïs
    pilé

    Maïs
    non pilé

    Haricot

    Sorgho
    non pilé

    1

    (Grande)

    16 x 10 x24 cm

    50 F

    50 F

    50 F

    60 F

    60 F

    60 F

    2

    (Moyenne)

    14,5 x 11,5 x 16 cm

    35 F

    35 F

    35 F

    45 F

    45 F

    45 F

    3

    (Petite)

    14,5 x 11,5 x 10 cm

    25 F

    25 F

    25 F

    30 F

    30 F

    30 F

    Source : Inspiré de Toni Doro T. (1992 : 24)

    Les boîtes utilisées ne sont pas les mêmes partout, d'où les différences de dimensions des bases et des largeurs, les hauteurs étant diminuées volontairement pour avoir les tailles désirées.

    La différence des prix par type de céréales s'explique par le fait qu'une catégorie (sorgho pilé, mil, et maïs pilé) est moins dure à écraser que l'autre parce qu'ayant été trempée dans de l'eau. Le mil (nyanã) même non pilé entre dans cette catégorie parce qu'il est, de nature, moins dur que les autres. Dans ce tableau n'apparaît pas le tarif de la tine de sorgho germé servant à la préparation du yo (bière de mil). La tine de mil (10 à 15 kg) est tarifée à 1500 francs Cfa.

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    e). Organisation des mesures et stratégies. (Cf. Photo n°8)

    Les dimensions, telles que données plus haut, sont en réalité déformées par les meuniers qui enfoncent les côtés des boîtes en réaction à la façon exagérée de mesurer des femmes qui cherchent à maximiser le profit et à minimiser le coût. La boîte déposée dans un récipient plus large (généralement une bassine) est remplie jusqu'à débordement ; cet ensemble est considéré par les femmes comme une mesure. L'occasion nous a été donnée de peser chez dix femmes leurs mesures. La moyenne de poids des quantités retenues dans les boîtes donne 3,5 kg de mil tandis que celle des quantités retenues par la bassine est de 4 kg. Ce qui veut dire que pour un prix indiqué, le moulin moud deux fois la mesure correspondante majorée de 0,5 kg. Pour amortir les baisses de recettes, les propriétaires de moulins demandent aux meuniers de déformer les boîtes.

    Les mêmes comportements d'exagération des mesures se retrouvent aussi dans les moulins des groupements villageois féminins où les femmes, bien que membres du groupement, mettent en place d'autres stratégies. Organisées par couple de manière à surveiller les mesures et à recueillir l'argent de la mouture, les femmes non seulement procèdent à des mesures débordantes mais encore se font des faveurs en permettant la mouture à crédit, voire gratuitement avec l'espoir de bénéficier d'un comportement identique en retour. Le système de la surveillance à tour de rôle nourrit et entretient un cercle vicieux de comportements car chaque femme pense à sa situation plutôt qu'au bien commun. En outre, dans la plupart des groupements ces femmes assurant le service bénéficient chacune de la mouture gratuite soit de deux mesures de la grande boîte (soit environ 7kg de mil), soit de la totalité de leur ration familiale. Il en résulte que les moulins des GVF font progressivement moins de rentrée d'argent, sont souvent en panne et créent dans certaines localités plus de problèmes aux femmes qu'ils n'en résolvent. Nous donnerons en détail l'explication sociologique de ces comportements lorsque nous parlerons de l'impact de l'introduction des moulins dans les villages par les ONG pour les GVF. Ce qu'il importe maintenant de prendre en considération, ce sont les représentations sociales sur le moulin.

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    Photo 8 : Mesure des grains.

    Photo Jn. P. Ki, Nième, le 5/1/2000

    4. LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUTOUR DU MOULIN.

    Qu'est-ce qu'une représentation sociale ? Quelle peut être son importance dans le contexte de notre étude ? La représentation sociale est, selon Denise Jodelet (1989 : 36), « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ». Il s'entend alors que les représentations sociales sont un « savoir de sens commun », des systèmes de pensée et d'interprétation organisant la vie sociale tant au niveau des conduites que de la communication sociale. Ce faisant, les représentations sociales jouent un rôle important « dans le maintien de l'identité sociale et de l'équilibre socio-cognitif qui s'y trouve lié » (Jodelet 1989 :51). L'arrivée du moulin dans le département de Toma comme nouvelle technologie ne manqua pas de donner lieu à la production de représentations sociales.

    Selon la première personne ayant introduit le moulin à Toma en 1962, Joseph Korpan Ki, et les femmes interrogées, autant le moulin suscita vite l'attrait et la curiosité des femmes, autant il entraîna des résistances. En effet, « beaucoup de personnes disaient que la pâte préparée à partir de la farine sortie du moulin n'était pas bonne. EIles disaient que la pâte avait un goût de gas-oil, qu'il y avait du fer dedans. Certains hommes trouvaient que « sa

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    pâte» étaient gluante (« a wu a zoron ») et qu'elle ne rassasiait pas ». Relevons ici que tout changement de situation fait apparaître très vite les différences avant le temps de l'adaptation. Ainsi en est-il du goût du gas-oil et du fer. Le fait que la pâte soit considérée comme « gluante » était dû à la grande finesse de la farine obtenue au moulin. Le moulin écrase fin, alors la pâte ne peut qu'être lisse comparativement à la farine de la meule qui contient des débris de granite. Tout ceci nourrit des représentations. Une relation est vite établie entre la douceur de la pâte et sa digestion rapide. Ainsi on peut dire alors que « la pâte du moulin » ne rassasie pas. Ces premières réactions ont, selon les personnes interrogées, poussé certains maris à interdire à leurs femmes l'usage du moulin.

    Par ailleurs, beaucoup de femmes trouvaient aussi que la farine obtenue du moulin était difficile à préparer. « A wu basii don goon nè » ( « Sa pâte fuit dans la marmite ») disaient-elles ; ou bien encore « A wu kokore » (« Sa pâte forme des boulettes farineuses »). Le problème ici est clair, c'est celui de la maîtrise de la préparation de la farine lisse. La préparation de cette nouvelle qualité de farine nécessite un apprentissage par des gens qui pourtant savent déjà préparer. L'adoption d'une technologie nouvelle est synonyme ici de changement des habitudes. C'est également là que le changement peut être appréhendé comme une rupture. « Tout apprentissage requiert rupture, tout changement véritable signifie crise pour ceux qui le vivent ». (Crozier et Friedberg : 1972 : 400).

    Une analyse plus approfondie de ces données révèle que nous nous situons au niveau des étapes de l'adoption des innovations. Comme élan de décision d'accepter l'innovation et de modifier le comportement, l'adoption est définie par Van Den Ban (1994 :115) comme un « processus mental par lequel l'individu passe de la connaissance initiale d'une innovation à la décision de l'accepter, de la pratiquer ou de la rejeter, cette décision étant ultérieurement confirmée ». Les représentions sociales participent de la disposition mentale des populations au sujet de l'innovation. Nous retrouvons ici la dimension culturelle de l'innovation technologique. Il y a nécessairement rencontre de cultures ou acculturation qui peut réussir ou connaître un échec. En effet, comme le souligne Treillon (1992 : 47) « toute innovation est confrontée à un ensemble structuré de normes, de règles et de valeurs correspondant à l'environnement symbolique propre à une communauté. A défaut d'intégration possible à ce niveau, la nouveauté a tendance à être rejetée ». Ceci explique pourquoi au départ certains hommes interdisaient l'usage du moulin à leurs femmes. Par ailleurs, le moulin est vu, aujourd'hui encore, comme un outil des Blancs dont beaucoup de personnes dans les villages ignorent le mode de

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    fonctionnement. Le moulin, comme d'autres engins motorisés, est toute une mécanique qui échappe au commun des villageois et de surcroît aux femmes qui ont peu d'occasion de les manipuler. Et par rapport aux avantages du moulin, on entend facilement dire « les Blancs sont venus nous donner du repos » (« Nansaran man ne da susui ko wo la »). Si la relation du moulin au Blanc dit son origine, il reste dans les consciences un objet lointain, non encore approprié mais dont on peut profiter des effets bienfaisants. Par métonymie, les gens substituent le Blanc au moulin. Ainsi, le repos procuré par le moulin est perçu ici comme le résultat d'une action salvatrice du Blanc ou de l'Occident si on ne veut pas parler en terme de race. La réalité sous-jacente de ces propos est celle de la reconnaissance d'une supériorité technique qui différencie les sociétés. Cette supériorité technique s'évalue au rendement de l'outil ou de la méthode utilisée. Selon Ecrement (1984 :60) citant Marglin (in Gorz A. ,Critique de la division du travail, Seuil, Paris , 1973, P.48), « une méthode de production est dite technologiquement supérieure à une autre si elle crée plus de produits avec les mêmes facteurs (effectifs de main-d'oeuvre diversement qualifiée, durée et intensité du travail, matières premières, énergies, équipement de production ...) ou encore si elle crée la même quantité de produits avec proportionnellement moins de facteurs ». Ecrement donne ailleurs une autre citation de Marglin complétant cette première définition de la supériorité technique : « Une méthode de production est dite technologiquement efficace s'il n'existe aucune autre méthode technologiquement supérieure qui puisse lui être substituée hic et nunc » (idem, p. 94). Les villageois sont conscients de cette réalité dans le cas du moulin et de la meule de pierre. Il y a supériorité technologique d'une culture par rapport à une autre à partir du constat de la différence d'efficacité des outils. Toutefois, signalons qu'en vérité, les résultats s'évaluent par rapport au contexte. Car ce qui semble supérieur ou efficace pour les uns peut ne pas l'être pour les autres.

    Par ailleurs, le caractère mécanique du moulin fait croire à certaines personnes que ce dernier « ne se fatigue pas ». Cette réflexion est d'ailleurs courante chez les Sanan qui considèrent que le fer résiste à tout : « Waa ne wé folo a ? ». Littéralement, cette phrase se traduit par « Qu'est-ce qui peut faire souffrir le fer ? ». C'est ainsi que certaines personnes ne comprennent pas pourquoi après deux ou quatre heures de fonctionnement, il faut laisser le moulin « se reposer ». Le moulin incarne une puissance de travail qui n'existe pas chez la personne humaine. En outre les femmes pensent que son maniement convient aux hommes et non à elles. En fait, elles ne peuvent penser autrement dans un contexte culturel où la métallurgie est réservée à l'homme et le travail de la glaise à la femme, si l'on se réfère à l'exemple du forgeron et de la potière.

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    D'autres représentations naissent autour des moulins en ce qui concerne la propriété. Les moulins individuels des commerçants sont vus et considérés comme tels en rapport au commerce et à la propriété privée tandis que les moulins des groupements sont liés à l'aide et à la propriété collective. Il s'ensuit alors des différences de comportements selon que l'on est chez tel ou tel propriétaire ou au moulin communautaire.

    Pour nous résumer, les représentations sociales nous permettent d'aller au coeur de la complexité des interactions entre la diffusion des techniques et la dynamique du changement social. Et « étudier ce que les utilisateurs font (et ne font pas), les représentations mentales qu'ils associent à ces usages, c'est éclairer les modalités d'appropriation de la technique par la société » (Scardigli, 1992 :11).

    Conclusion partielle

    Dans ce chapitre il a essentiellement été question des techniques et des technologies de mouture des céréales. Nous avons vu que les technologies anciennes propres au pays san remplissaient des fonctions techniques et symboliques en lien avec les besoins et les représentations sociales. Ceci révèle que la technologie n'est pas en dehors de la culture que nous définissons comme l'ensemble des représentations et des manières de faire d'une société. Au contraire, elle prend corps dans la société et devient son expression culturelle. Ainsi, le mortier, le pilon, la meule de pierre sont des éléments de la culture matérielle des Sanan. Mais les sociétés évoluent dans le temps avec leurs cultures. C'est pourquoi la culture matérielle des Sanan s'est enrichie à un moment de son histoire par d'autres éléments culturels étrangers que sont les moulins.

    Ce passage d'une technologie à une autre constitue un progrès et une innovation technologiques. A la lumière de la théorie de la diffusion, selon laquelle un fait culturel caractéristique d'une société donnée pénètre dans une autre qui l'emprunte et l'adopte, nous pouvons comprendre comment progressivement les moulins ont été introduits et se sont répandus dans le département de Toma grâce à des pionniers, des porteurs sociaux externes et internes. Comme processus dynamique, l'innovation technologique a une profonde influence sur la culture. Si le moulin remplit de manière rapide et efficace la même fonction technique que les anciennes technologies de mouture du pays san, il supprime cependant les fonctions symboliques et crée d'autres représentations sociales. En outre il remet en cause l'ancienne

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    division sociale du travail. Ce faisant, il réorganise les rapports sociaux. Les rôles et les places des femmes s'en trouvent modifiés.

    Le rapport de l'homme avec l'outil a été également mis en relief dans ce chapitre à travers la question des techniques du corps. Les techniques s'adaptent aux différents outils. Le passage de la meule de pierre au moulin motorisé implique un changement de technique et de logique. Tout cela révèle finalement que l'être humain est un ensemble de possibilités, capable de s'adapter et d'apprendre de nouvelles techniques.

    Il importe cependant, par rapport aux différentes couches sociales, d'étudier les incidences de l'innovation technologique. C'est l'objectif du prochain chapitre consacré à l'impact du moulin sur la vie des femmes du département de Toma.

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    CHAPITRE 4 : IMPACT DU MOULIN SUR LA VIE DES
    FEMMES DANS LE DEPARTEMENT DE TOMA.

    Si dans le chapitre précédent nous nous sommes intéressé aux technologies de mouture, il convient dans le présent chapitre de présenter et d'analyser leur impact. Par impact, nous entendons l'influence qu'exercent les technologies sur la vie des populations qui les utilisent. Cette influence naît de la relation dynamique entre l'homme et l'outil. Les effets des moulins, dans le département de Toma, se manifestent au niveau de toutes les couches sociales d'une manière ou d'une autre. Tout en ne négligeant pas les autres composantes de la société, nous avons choisi d'étudier l'impact sur les femmes à qui revient, à plein temps, l'activité de transformation des aliments dans leur rôle de ménagères. Procédant par la méthode comparative, nous présentons ici les différents points de vue des femmes pour mieux mettre en évidence l'impact du moulin par rapport à la meule en silex. Notre présentation s'articule autour de quatre axes : L'impact d'ordre physico-biologique, le temps de travail féminin, l'impact sur la vie économique et l'impact sur la vie sociale. Les données présentées ici sont celles de nos enquêtes et observations de terrain.

    1. IMPACT D'ORDRE PHYSICO-BIOLOGIQUE.

    La culture a une composante biologique dans la mesure où les activités sociales réagissent sur l'organisme humain. C'est pourquoi, le sociologue et l'anthropologue ont aussi pour objet l'étude des phénomènes physico-organiques car ceux-ci concernent l'homme et son environnement. La prise en considération de ces phénomènes, à travers une analyse croisée, leur permet de comprendre certains comportements et institutions sociaux et de rendre les interprétations pertinentes. L'impact physico-biologique du moulin intègre les dimensions sanitaire et nutritionnelle.

    D'un point de vue sanitaire, le repos et l'absence de fatigue physique constituent les premières réponses de la totalité des femmes à la question « quels sont, selon vous, les avantages du moulin ? ». Les femmes disaient : « A na da susui ko wo la » (« Il est venu nous donner le repos ») ou encore « A na da noma bo wo mii ni » (« Il est venu enlever de notre tête

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    la fatigue »). Littéralement rapportées ainsi, ces expressions mettent bien en relief un rapport entre la présence du moulin et le corps humain. Comparativement au mortier et à la meule, le moulin présente des avantages pour l'organisme humain. L'expression « enlever de la tête » présente la fatigue occasionnée par la meule ou le mortier comme un fardeau dont le moulin décharge les femmes. C'est bien d'ailleurs dans ce sens que la plupart des études de cas sur les moulins signalent que le moulin « allège » la fatigue des femmes dans leurs travaux ménagers. A titre d'exemple, Marie-Christine Gueneau (1986 : 61) écrit : « Le moulin prend en charge la phase de préparation du mil la plus pénible, celle de la mouture des grains, traditionnellement effectuée par écrasement entre deux pierres. Le moulin est donc l'instrument d'une moindre pénibilité de travail des femmes ». Les femmes interrogées ne manquent pas d'exprimer leur douleur : « Le jour où tu écrases sur la meule, nous dit une femme, elle te fatigue ; le lendemain tu ne peux plus rien faire. Ta poitrine se contracte, ton cou se raidit, tu as mal aux bras et aux épaules ; tes paumes chauffent ». Comme travail manuel, la mouture à la meule demande une dépense énergétique à tout l'organisme humain. Un effort excessif demandé aux muscles finit par les endolorir. Il convient en effet de signaler que dans l'ordre des étapes des travaux de la préparation du mil en pâte, la mouture intervient en cinquième position, soit en avant-dernière position, après la séparation du grain de l'épi, le vannage, le nettoyage et le décorticage. Cette chaîne d'activités occupe les femmes pendant toute la journée de cuisine. Selon Sautier et Odéyé (1989 : 51), « le rendement horaire moyen du décorticage au pilon a été calculé au Sénégal : de 9,3 à 13kg/h/femme (...). Le CRDI17 (1983) donne un temps de pilonnage de 11à 21 minutes pour 3kg de grains (...). Le décorticage manuel est donc une opération longue et pénible (dépense énergétique de 20à 62kJ/kg) ». En outre, signalons qu'il n'est pas évident que les dépenses énergétiques des femmes sont proportionnellement compensées en calories et vitamines.

    Si la pénibilité du travail de mouture doit être mise en rapport avec la nature même de l'activité, elle doit être également évaluée par rapport au nombre de personnes à la charge de chaque femme par famille. Mahaman (1990 : 27), étudiant le cas des femmes nigériennes, écrit à ce propos : « Il est important de signaler à titre d'exemple que pour nourrir une famille moyenne de cinq (5) personnes travaillant aux champs, il faudrait moudre par jour environ 15 kilogrammes de grains, et dire que ces 15 kilos doivent être travaillés par une seule personne serait vraiment une corvée ». Certes, la quantité de 15 kilogrammes pour 5 personnes nous

    17 CRDI : Centre de Recherche pour le Développement International (Canada).

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    paraît une exagération. On imagine mal une personne consommant 3 kilogrammes de nourriture par jour. Mais la taille des familles est ici une donnée importante pour comprendre la souffrance des femmes dans leurs activités ménagères. Les résultats de notre enquête montrent, sur 20 familles, un effectif moyen de 9 personnes à charge par femme. Il faudrait, pour la ration journalière de 9 personnes, doubler la mesure d'une boîte de 3,5 kilogrammes de grains (soit 7 kilogrammes). Or, piler et moudre une telle quantité de grains n'est pas une tâche facile pour une seule femme. Nous convenons donc que la taille des familles, la quantité de grains à travailler, la nature même de l'activité, le temps de travail et l'état rudimentaire des outils concourent conjointement à la pénibilité de la transformation des céréales chez les femmes.

    Par ailleurs, outre la question du repos et de l'allégement de la fatigue, beaucoup de femmes à Toma, (où il y a déjà une longue expérience du moulin), nous montraient leurs paumes devenues lisses depuis qu'elles ne se servent plus de la meule. La présence du moulin diminue les risques de courbatures, de contraction de la poitrine et de cancérisation des mains. Cependant chez certaines personnes, le pilon laisse encore une grosse croûte sur le pouce (Cf. Photo n°9). Si, comme exercice physique, la mouture des grains sur la meule peut constituer un sport, elle détériore plus vite la santé des femmes de constitution fragile. Ce qui peut avoir des répercussions sur leur vivre en société. Déjà, la fatigue de la journée peut, à elle seule, être cause d'incompréhension entre la femme et son mari face à certaines exigences de ce dernier.

    La prise de conscience de la pénibilité de l'écrasement manuel des grains fait que, de nos jours, le moulin devienne une exigence de mariage dans les villages du département de Toma : « Par crainte de la souffrance et de la fatigue, dit un jeune homme de Sawa, certaines filles te demandent d'abord si un moulin existe dans votre village avant d'accepter de devenir ta femme. Toutes nos filles vont se marier à Toma à cause du moulin ». Comme pour attester cet état de fait, les femmes âgées, que leurs brus ont relayées au foyer et qui n'ont connu que la mouture à la meule, trouvent que le moulin est venu rendre les femmes paresseuses. « Wosèn woa wara, dié ne n yiri kwè mãsin gana ? Ma n boé do n da wosa mièn nè n wudi lè ko nla , aa miè, n bii n ton woatan » (« De notre temps, qui pensait au moulin ? Lorsque tu reviens du champ le soir, on te donne le mil et le repas est prêt avant que les gens ne dorment »). On note une certaine fierté chez ces femmes à raconter leur passé. Ces propos nous semblent relever du phénomène de conflit de générations. Car les femmes qui ont fait l'expérience de la meule puis du moulin trouvent que leur situation était proche de l'esclavage. « Nous nous tuions » disent-elles (« wo wo gwan ndini dii »).

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    A ce niveau, nous pouvons pour l'instant conclure que le moulin permet aux femmes de conserver leur santé, en leur épargnant la dure corvée de la mouture manuelle.

    Du point de vue de la consommation, les femmes signalent la finesse de la farine obtenue au moulin par rapport à la meule. Elles évaluent cette qualité en fonction de l'absence des grains de pierre dans la farine. Cette absence de grains de pierre est un avantage dans la mesure où elle concourt à diminuer le taux de maladies de ventre ou d'appendicite. De plus, le moulin sort une farine hygiéniquement propre et dispense de l'usage d'un tamis pour éliminer les saletés.

    Au total, le moulin présente pour l'organisme humain des avantages importants pour la santé, en lien direct ou indirect avec la vie sociale. Tandis que la meule participe à la réduction progressive et rapide de la force de travail, le moulin conserve l'individu. Un homme de Toma nous disait : « Depuis que le moulin est là, nos femmes sont regardables ; elles ont belle apparence ». Outre son impact physico-biologique, le moulin garde une place importante dans le temps de travail des femmes.

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    Photo 9: Marques laissées par le pilon sur la main.

    Photo Jn. P. Ki, Toma, le 27/8/1999.

    2. LE TEMPS DE TRAVAIL FÉMININ.

    L'emploi de temps des femmes rurales est une question fondamentale aujourd'hui dans l'idéologie de promotion de la femme. Ce temps dont on pensait que les habitants du milieu rural n'ont aucune notion, est devenu aujourd'hui un enjeu important. Nous avons fait du gain de temps une de nos hypothèses de recherche en nous basant sur le fait que les techniques et technologies modernes, de façon générale, présentent un avantage en terme de rapidité et, partant, font gagner du temps. Cette hypothèse se vérifie-t-elle aussi avec le moulin ou bien le moulin ne fait-il que déplacer le contenu de l'emploi du temps des femmes ? Quelles nouvelles

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    contraintes le moulin impose-t-il aux femmes ? Les réponses des femmes à ces deux principales questions nous permettront de tester notre hypothèse.

    a). Gain de temps par rapport à la meule.

    Dans tous les villages parcourus où nous posions aux femmes la question de savoir si le moulin était vraiment rapide par rapport à la meule et quels étaient ses avantages, les femmes répondaient à 100% que le moulin est rapide et leur permet de se reposer. Elles relevaient par-là la différence entre un travail manuel et un travail fait à la machine. Les réponses comme celles-ci nous ont été données : « Le moulin donne le repos, il est rapide. Même quand tu pars au champ, tu peux venir et préparer la nourriture ». Ou bien encore : « Le moulin ne fatigue pas ; si tu as un autre travail, tu peux aller le faire, tel que aller chercher le bois par exemple ». Enfin d'autres femmes ajoutent : « C'est quand tu as une grande quantité de mil que tu connais la valeur du moulin ». Toutes ces réponses tendent ainsi à montrer que le moulin est rapide et, partant, avantageux. Les femmes le savent par rapport à leur propre rythme de travail, à l'ensemble de leurs activités et au temps mis par le moulin pour écraser les quantités de grains qu'elles y apportent.

    Dans notre recherche, nous ne nous sommes pas contenté du seul point de vue des femmes. Interrogés également, certains maris affirment manger plus tôt le soir depuis qu'il y a un moulin dans leur village. De plus, le souci de vérification de notre hypothèse sur des bases objectives nous a conduit à procéder le 13/1/2000 à une expérience de mouture en vue de relever les écarts de temps. Le temps mis par le moulin pour écraser 3,5 kg de mil (mesure d'une boîte)18 est de quatre minutes (4 mn) tandis qu'une femme a mis 1h 25 mn pour écraser la même quantité. L'écart en temps est bien grand et le serait davantage avec une quantité plus grande qui finirait par épuiser la femme.

    Ainsi, il n'y a pas de doute que le moulin soit techniquement plus rapide. Mais la mouture des grains au moulin fait partie de tout un engrenage formant un système que les femmes n'ignorent pas. C'est pourquoi, en même temps que les femmes affirment la rapidité du

    18 La mesure d'une boîte est celle que les familles nombreuses jusqu'à 7 personnes utilisent comme ration quotidienne. Cette quantité se prépare chez la plupart des femmes dans des marmites N°5 ou N°6 (12 à 14 litres). Les familles plus nombreuses que 7 et qui atteignent 10 personnes, et même plus, sont obligées de doubler la boîte, ce qui donne une quantité de l'ordre de 7 à 10 kilos si l'on tient compte de la façon exagérée des femmes de mesurer le mil au moulin. La mouture de telles quantités à la meule occupe une large partie du temps des femmes.

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    moulin, elles ajoutent à leurs réponses « A condition que tu partes trouver que le moulin n'est pas rempli de mil ». Ceci veut dire que la question du gain de temps n'est pas seulement liée à la rapidité mécanique du moulin. Elle doit être perçue et analysée en rapport avec l'ensemble du système de mouture et même du système social : le temps mis pour se rendre au moulin et en revenir, l'alignement, etc. Le système du rang en effet ne permet pas parfois aux femmes de constater qu'elles gagnent du temps. Dans les villages où de façon générale les femmes préparent la ration alimentaire pour deux jours, il arrive souvent que presque toutes les femmes du village se retrouvent à l'unique moulin lorsqu'il n'y en a pas deux. Les premières reviennent tôt du moulin mais beaucoup accusent du retard dans la préparation. Lorsque le moulin est rempli comme le montre la photo N°10, les femmes qui tiennent la dernière position dans le rang peuvent attendre entre 30 minutes à une heure avant que leur tour de mouture arrive. Certaines affirment que leur mil a séjourné plusieurs fois au moulin. Dans ce cas, la famille dort à jeun ces jours-là. D'autres, de retour du moulin, constatent que leurs camarades, qui ont utilisé la meule, ont fini de moudre et commencé la préparation du repas familial. Parfois aussi, l'éloignement du moulin crée du retard : surtout lorsque ce dernier est situé dans un autre village. Au nombre des occasions de perte de temps des femmes au moulin, il faut citer les nombreuses pannes qui créent des blocages systématiques pour tout un village lorsqu'il n'y a qu'un seul moulin. Les femmes n'ont alors le choix qu'entre aller écraser leurs grains dans un autre village à pied (peut-être envoyer un enfant à vélo) et retourner à la meule en pierre. Or la plupart des femmes ont abandonné la mouture manuelle et arraché leurs meules depuis l'installation des moulins. Elles attendent donc, espérant à longueur de journée, que le moulin soit réparé.

    Nous avons observé aussi que les femmes, pour gagner du temps, confient leur mil à d'autres camarades qui se chargent de suivre la mouture tandis qu'elles-mêmes vaquent à d'autres occupations. Il en est de même lorsqu'elles envoient leurs enfants au moulin. Cette délégation de service reste difficile dans le cas de la mouture manuelle où c'est la femme elle-même qui devra suivre le processus de mouture de bout en bout.

    Ces quelques exemples montrent combien le moulin est techniquement reposant, rapide et libère du temps pour les femmes. Mais la distance, les pannes et l'abondance de mil au moulin sont des paramètres dont il faut tenir compte dans une analyse systémique du problème. Dans certains villages, deux moulins aideraient les femmes à mieux résoudre le problème du temps. Mais le pari de la rentabilité financière serait difficilement gagné, à cause de la petite

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    taille de la plupart des villages. Ces derniers atteignent à peine une population de mille habitants. Or selon le rapport du séminaire national tenu en 1984 sur les moulins villageois (Ministère du développement rural, 1984 : 20), il faudrait un minimum de 1500 habitants pour implanter un moulin dans un village. Remarquons ici que si le rapport population / consommation indique la rentabilité, c'est surtout la quantité de grains écrasés qui est la mesure de cette rentabilité19.

    Selon les femmes et à partir de notre expérience de chronométrage de l'activité de mouture, la réalité est que le moulin libère du temps pour les femmes, malgré le temps d'attente. En cela notre hypothèse se trouve vérifiée. Les femmes elles-mêmes évaluent cette libération du temps à partir du repos qu'elles ont désormais au regard de leurs emplois de temps (dont nous avons déjà construit le tableau au Chapitre II), de la possibilité d'accomplir d'autres activités au cours de la journée, et surtout de la quantité de mil à écraser. C'est ce temps libéré qui leur permet d'entreprendre des activités génératrices de revenus afin de payer encore le prix de la mouture. Nous pensons que l'analyse du gain de temps doit se faire à travers une approche systémique afin d'être pertinente. Nous présentons dans le tableau suivant les gains et pertes des deux systèmes de mouture.

    Tableau 9 : Comparaison des gains et pertes des deux systèmes de mouture.

     

    Pertes

    Gains

    MEULE MANUELLE

    - Fatigue corporelle.

    - Perte en temps plus grande. - Isolement de la femme dans le cadre familial.

    - Remémoration des soucis et souffrances à travers le chant.

    - Avantage d'avoir l'outil de mouture à

    domicile.

    - Possibilité de mettre la marmite au feu pendant la mouture.

    MOULIN

    - Attente plus ou moins variable.

    - Distance (variable). - Pannes.

    - Repos.

    - Communication avec autrui.

    - Informations.

    - Ouverture à la vie du village.

    - Oubli momentané des soucis de ménage et

    personnels.

    - Possibilité de relations commerçantes (kola,

    arachides, sel, cube maggi...)

    Source : Nos enquêtes

    19 Selon le même rapport (1984 : 32) une activité de 108 tonnes par an peut garantir cette rentabilité en ramenant les tarifs à 12 F CFA le kilo. Une question demeure cependant : comment évaluer les quantités écrasées au village ? Nous avons proposé le système pesée des grains à certains GVF et commerçants, mais les femmes trouvent cette méthode désavantageuse pour elles car elles ne pourront plus mesurer à déborder. Certains commerçants par contre semblent favorables à cette idée.

    92

    Une analyse croisée de chacun des éléments de ce tableau (qui interviennent tous dans la problématique du gain global de temps) avec les autres, montre qu'il y a un gain dans l'usage du moulin. Par ailleurs, cette comparaison des gains et pertes des deux systèmes de mouture nous amène à conclure que le moulin fait gagner plus de temps aux femmes qu'il ne leur procure du repos. Le moulin fait travailler les femmes deux fois plus qu'auparavant. Car le temps gagné dans la rapidité du moulin est investi dans d'autres tâches ménagères, des activités génératrices de revenus et même des travaux champêtres (cf. infra la gestion du temps). C'est pourquoi il convient de retenir avec Isabelle Droy (1990 : 162) qu'en zone rurale « contrairement à une idée répandue, le temps libre est une denrée rare et tout accroissement du temps de travail agricole doit s'accompagner d'un allègement des autres tâches ». Cette dernière proposition reste encore un idéal dans la plupart des communautés villageoises. Le temps gagné grâce au moulin est loin d'être un temps de repos ; toutefois, il est à l'avantage des femmes dès lors que les activités génératrices de revenus par exemple leur apportent une indépendance économique et financière.

    Du point de vue de la socio-anthropologie, peu d'auteurs se sont intéressés à la question du temps (ou plutôt nous n'avons pas trouvé de la documentation à ce propos). L'importance du temps a été montrée par Benjamin Franklin (cité par Max Weber 1964 : 44) à propos de l'esprit du capitalisme : « Souviens-toi que le temps c'est de l'argent ». Mais en dehors de l'esprit capitaliste et de son caractère mesurable, le temps a des implications sociologiques importantes. Le temps est précieux à plusieurs égards. D'abord, le temps est un moment de l'action humaine permettant l'accomplissement d'activités pour la vie. En disposer donc est très important. Ensuite, le temps est celui des interactions sociales et des affaires.

    Des données qui précèdent, il ressort que les technologies modernes ont l'avantage de permettre l'acquisition d'un temps supplémentaire à cause de leur rapidité. Notre préoccupation à présent est de savoir quelle gestion les femmes font du temps libéré par le moulin ?

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    Photo 10. Rang au moulin à Koin

    Photo Jn. P. Ki. Koin, le 2/1/2000. b). La gestion du temps libéré

    Afin de connaître la gestion que font les femmes de leur temps, nous leur avons posé les questions suivantes : « Quels sont les avantages du moulin ? Que fais-tu lorsque tu envoies ton mil au moulin ? ». Les réponses des femmes sont orientées dans deux directions en fonction des réalités qu'elles vivent au quotidien. Tandis que certaines disent qu'elles laissent leur mil au moulin ou le confient à d'autres camarades pour aller vaquer à d'autres activités ménagères (aller chercher de l'eau, du bois, des légumes ...), pour d'autres cette pratique est difficile parce qu'on vole le mil au moulin. Alors elles préfèrent rester auprès de leur mil jusqu'à écrasement complet. Mais la question du temps libéré est fonction de la rapidité du moulin. Généralement lorsque les femmes reviennent tôt du moulin, elles en profitent pour enchaîner avec les autres

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    activités ménagères afin de se ménager un large temps de repos le soir. Nous constatons que les femmes sont maintenant fréquentes dans les cabarets de yo (bière de mil) le soir vers 17 h 30 - 18 h, heure à laquelle, avant la venue de moulins dans certains villages, elles étaient attelées à la préparation des repas. En effet, les femmes reconnaissent que depuis l'arrivée des moulins dans les villages, elles finissent de préparer avant la tombée de la nuit. Ceci indique que le temps libéré par le moulin sert aussi aux loisirs tel que boire une calebasse de yo en compagnie d'autres femmes ou même rendre visite dans les familles amies. Disons que la gestion du temps libéré par le moulin est liée à l'organisation individuelle de chaque femme qui devra savoir le mettre à profit, car ce temps tel que nous en parlons n'est jamais une suite continue d'heures libres. Il est bien morcelé, reparti entre d'autres tâches ménagères ; ces tâches sont loin d'être supprimées par la présence du moulin. Enfin, face à la contrainte financière imposée par le moulin, les femmes utilisent également le temps libéré aux activités dites génératrices de revenus (aspect que nous développerons dans la prochaine sous-section).

    En somme, les femmes emploient leur temps supplémentaire à de multiples autres activités dans le domaine ménager incluant la production et la transformation de produits dont elles ne sont pas les seuls bénéficiaires. La problématique du temps dans le cadre de notre étude s'insère dans celle de la condition de la femme et dans celle de son travail domestique. De nombreuses études (Riss,1989 ; Bisilliat, 1992 ; Combes et Dévreux, 1992...) montrent que « le travail domestique quotidien demande beaucoup de temps à la femme » (Riss, 1989 : 64). Malheureusement, les données chiffrées permettant une évaluation approximative du temps de travail domestique des femmes manquent, comme cela l'est d'ailleurs pour l'ensemble de l'économie domestique. Néanmoins, les travaux domestiques tels que la recherche d'eau, de bois, le soin des enfants, la préparation des repas occupent pendant de longues heures les femmes qui, de surcroît, s'adonnent aux travaux champêtres pendant la saison des pluies. C'est au coeur de cette réalité quotidienne que les technologies appropriées prennent une importance comme moyen d'allégement du travail. De fait, « la vie domestique de la femme connaît des améliorations grâce à la vulgarisation des machines collectives » (Riss 1989 : 102). Cependant, ces améliorations ne sont pas sans influence sur la vie économique de la femme.

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    3. LES ASPECTS ECONOMIQUES DE L'IMPACT DU MOULIN.

    Notre étude des aspects économiques de l'impact du moulin sur la vie des femmes prend en compte les contraintes apportées par le moulin et la question de l'accès des femmes au moulin et de l'appropriation de ce dernier.

    a). Les contraintes du moulin

    Il est clair que la plupart des changements apportés par les technologies modernes exigent des moyens financiers. Le moulin exige des femmes une participation financière, ce qui les oblige à entreprendre des activités économiques.

    + Rapport rapidité - coût.

    On gagne en temps, mais la pénibilité n'est pas pour autant éliminée. Il y a quelque part un prix à payer. L'expérience des technologies modernes montre qu'il est parfois très difficile d'allier rapidité et moindre frais. Plus on va vite, moins le temps est long et plus le prix de consommation est élevé. L'exemple simple du transport terrestre et aérien nous fait comprendre cette théorie. Le moulin ferait-il l'exception ?

    Lors de nos enquêtes, les femmes nous disaient : « Si tu utilises la meule tu économises ton argent mais tu ne finis pas vite » ou bien encore « Le moulin est rapide mais occasionne beaucoup de dépenses ». « Les moulins n'enrichissent que leurs propriétaires ». Certaines femmes allaient jusqu'à dire que depuis l'arrivée du moulin, elles n'arrivent plus à s'acheter des pagnes. Le refrain courant est celui-ci : « Mãsin lè woa woro tuma bii » (« le moulin mange tout notre argent »). Les femmes affirment ne plus pouvoir économiser suffisamment d'argent. Ceci est d'autant plus vrai que dans les villages les maris ne donnent l'argent de mouture du mil que lorsqu'ils engagent des ouvriers pour les travaux champêtres ou lorsqu'il y a des fêtes ou des funérailles. Ils se contentent de dire à leurs femmes que chacun doit contribuer à la nutrition de la famille ; ils disent avoir donné le mil de leur grenier, alors la femme aussi doit payer la mouture. Une analyse de ces données révèle bien un changement de mode de vie qu'il faut désormais apprendre à gérer. Cette évolution du mode de vie aboutit à la pénétration des rapports marchands dans la vie familiale. Le moulin vient poser avec acuité la question de l'argent dans la vie domestique des femmes rurales. Cette vie, dans le contexte ancien,

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    n'exigeait ni de la femme ni du mari aucune contribution financière. Il suffisait que l'homme donne à la femme le fruit de son champ et que celle-ci apporte les légumes de son jardin potager pour que le repas familial soit assuré. Aujourd'hui, avec le moulin, l'effort de contribution doit s'accroître. La monétarisation de l'économie familiale aura également une incidence sur l'espace géographique de la femme dont nous parlerons de manière plus approfondie dans la sous-section concernant les rôles et places des femmes (Cf. 4. : les aspects sociaux de l'impact du moulin).

    Sur un autre plan, la plupart des femmes des villages (80%) signalent que depuis l'existence d'un moulin dans leur village, leur participation aux travaux champêtres a augmenté. Nous donnons ici à titre d'exemple la réponse d'une femme : « Le moulin nous a apporté le repos, mais surtout les travaux des champs ». La logique de cette phrase semble incorrecte mais elle est correcte dans la mesure où la présence du moulin n'a fait que « changer le fusil d'épaule ». La pénibilité du travail n'est pas supprimée mais transférée à un autre pôle. L'évaluation en terme de gain révèle que les femmes gagnent sur un plan en perdant plus sur d'autres. Avec la meule en pierre, elles perdaient du temps, leur santé était quelque peu atteinte, mais elles économisaient leur argent pour d'autres besoins, même de santé. Maintenant avec le moulin, elles gagnent du temps mais n'économisent plus, travaillent davantage au champ avec leurs maris qui refusent de payer la mouture et enfin doivent travailler doublement pour avoir l'argent de cette mouture. L'on se demande s'il s'agit de la pratique du dicton « qui perd, gagne » ou bien « qui gagne, perd». En tout cas, l'hypothèse que le moulin allége le travail des femmes ne se vérifie pas ici. En terme de production, le moulin a plutôt alourdi le travail des femmes. La preuve nous est donnée dans les contraintes de travaux champêtres imposés par les maris sous le prétexte de la rapidité du moulin à moudre les grains. Dans le même ordre d'idée, il faut reconnaître que le moulin joue à peu près le même rôle que la charrue quant à l'augmentation des superficies des champs. Le moulin permettant la mouture de grandes quantités de grains, les maris ont la possibilité d'embaucher et de nourrir un nombre important d'ouvriers pour les travaux des champs. Ce qui demande à la femme plus de travail pour le pilage, le décorticage et la préparation de la nourriture. Si à cela s'ajoute la régularité d'embauche d'ouvriers comme cela se fait dans certaines familles à Sien et à Toma, les femmes finissent par ne plus avoir de repos, tandis que le moulin aura accru la superficie des champs grâce au travail des ouvriers. Une autre preuve de l'alourdissement du travail des femmes, ce sont les multiples activités entreprises en vue de trouver l'argent de la mouture. Il ressort donc

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    que le moulin allège seulement l'activité de mouture, mais non le travail domestique des femmes.

    Du point de vue financier, le moulin appauvrit les femmes. Dans un contexte de précarité économique, il les appauvrit en augmentant leurs charges financières. Ceci est une piste d'interprétation qui nous permet de comprendre leurs manières exagérées de mesurer les quantités de mil et leur refus de payer la mouture au kilogramme. En effet, le minimum des dépenses quotidiennes de mouture par femme à Toma est de 50 F et de 25 F dans les autres villages20 à raison de la mesure d'une boîte pour la ration d'une famille de taille d'environ 5 personnes. Or, les effectifs par famille atteignent parfois 15 personnes à charge. Ce qui double ou triple le prix à payer. La dépense mensuelle minimum par femme à Toma s'élève à 1500 F CFA si elle paie le prix d'une boîte et à 3000 F si la mesure est doublée. Dans les villages, cette dépense est réduite de moitié (750 F et 1500 F) à cause de l'alternance des jours de préparation (tous les deux jours). On peut étaler ces dépenses sur l'année. On aura alors pour Toma les sommes de 18000 F et 36000F par femme et pour les villages 9000 F et 18000 F par femme. Ces données présentées dans un tableau peuvent être mieux observées.

    Tableau 10: Dépenses mensuelles et annuelles de mouture par femme à Toma et dans les villages environnants.

     

    Toma

    Villages alentours

    Une mesure
    (50 F )

    Deux mesures
    (100 F)

    Une mesure
    (50 F)

    Deux mesures
    (100 F)

    Par mois

    1 500 F CFA

    3 000 F CFA

    750 F CFA

    1 500 F CFA

    Par an

    18 000 F CFA

    36 000 F CFA

    9 000 F CFA

    18 000 F Cfa

    Source : Nos enquêtes

    Ces chiffres peuvent être insignifiants pour le citadin, mais dans le contexte du village où l'activité commerciale est réduite et où il n'y a pas de salaires, il n'est pas évident de toujours trouver l'argent de la mouture sans endettement. Signalons par ailleurs que dans un tel contexte, le risque est grand d'aboutir à des arrangements entre le meunier et la femme (ou la fille) favorisant le paiement de la mouture en nature, c'est-à-dire une compensation sexuelle. Des cas ne nous ont pas été signalés lors de nos enquêtes, mais nous ne devons pas oublier que

    20 La base de ces chiffres est le régime de préparation de la pâte de mil qui, dans les villages, est un régime alternatif de deux jours tandis qu'à Toma ( qui fait figure de ville), les femmes affirment préparer chaque jour et rares sont les femmes qui préparent une quantité inférieure à la mesure d'une boîte.

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    l'argent des femmes doit servir aussi à payer le sel, le pétrole, l'huile, le savon, le balai et bien d'autres biens de consommation pour le ménage. La question est alors la suivante : où trouver de l'argent ? Cette situation contraint les femmes à se mobiliser individuellement ou par groupe pour entreprendre des activités génératrices de revenus.

    + Les activités génératrices de revenus.

    L'argent des femmes dans le département de Toma provient essentiellement d'activités à but lucratif appelées couramment activités génératrices de revenus (AGR). Ces AGR sont de tous ordres et nous les classons ici en trois groupes : les activités de production, les activités de transformation et l'achat / revente d'articles divers.

    Les activités de production englobent, dans le domaine agricole, la culture communautaire de champs et l'horticulture d'hivernage ; et dans le domaine artisanal, la poterie et la vannerie (kèssè, tièrèen). Par groupes21 de quartier ou à l'intérieur d'une même grande famille, les femmes cultivent les champs des chefs de familles qui leur donnent soit de l'argent soit du mil pour la préparation de certaines fêtes qu'elles organisent au courant de l'année. Généralement, cet argent qui est communautaire ne sert pas au paiement de la mouture individuelle des grains.

    Les produits de l'horticulture d'hivernage22 sont la tomate, le piment, le gombo, l'oseille, le haricot, les aubergines et quelques pieds de maïs qu'on trouve dans les jardins des femmes. Ces jardins sont prioritairement destinés au piment, car ce dernier rapporte bien aux femmes en saison de pluies comme en saison sèche. En effet, si en saison sèche (période après la récolte), le prix du bol de piment est de 50 francs, en hivernage il varie entre 75 et 100 francs. Les femmes misent sur cette période pour vendre leurs sacs de piment.

    21 Concernant la culture, les femmes vendent leur force de travail par groupe. On n'a jamais vu une femme se faire embaucher seule dans un champ. Par contre, les hommes se font embaucher autant en groupe qu'individuellement. De plus le travail féminin est socialement dévalorisé lorsqu'il s'agit de la culture.

    22 Nous parlons d'horticulture d'hivernage, car les femmes du département ne font pas de jardinage en saison sèche, non pas qu'elles ne le veuillent pas mais à cause de la divagation des animaux. En effet, les hommes font garder les animaux en hivernage à cause des champs et les libèrent après les récoltes. Le contexte climatique et le système d'élevage rendent difficile la garde des bêtes en saison sèche. De plus les Sanan ne sont pas un peuple d'éleveurs comme les Peuls, mais bien un peuple d'agriculteurs.

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    L'artisanat féminin, en ce qui concerne la production et la vente de poterie (jarres, canaris, cruches, vases...), est une activité spécifique à une catégorie sociale : les femmes des forgerons qui constituent une caste23 dans la société san.

    L'élevage constitue également une source importante de revenus pour les femmes. Mais il n'est pas diversifié. Parmi tous les types d'élevage, les femmes pratiquent uniquement l'élevage des porcs.

    A ces différentes activités de production, les femmes joignent la transformation des produits pour rendre leurs revenus plus substantiels.

    Les activités de transformation entreprises par les femmes sont aussi nombreuses que les activités de production. Il s'agit principalement de la transformation de produits d'agriculture, de cueillette et de collecte à savoir la collecte de noix de karité (koé wé), la cueillette de fruits, feuilles et fleurs de plantes sauvages : les feuilles de baobab [Adansonia digitata], du terba, les gousses de néré [Parkia biglobosa] (kusi), les fleurs de kapokier [Bombax costatum] (bèrè), du sèmèlè [Balantes aegyptiaca] (sèmèlè-buu) et les fruits d'autres plantes tels que le zamanè [Acacia macrostachya] et le kwui. Les produits d'agriculture transformés sont essentiellement le mil, le sorgho, le sésame, le haricot et l'arachide qui servent à la préparation de la bière (yo), de galettes (momo), de beignets (krokro, kotoron, gnãsãn), de pâtes (ziwu, ziduu) et de couscous (basi). Transformés sous des modes divers (bouilli, séché, pilé ou moulu), ces produits qui entrent dans l'alimentation locale procurent quelques centimes aux femmes, suivant les saisons. De toutes ces activités la préparation de la bière de mil est la plus pratiquée par toutes les femmes et les filles. Il faut signaler ici que la préparation du yo constitue l'activité commerciale principale et permanente des femmes au pays san. Bien prisée, cette bière de mil est consommée à n'importe quelle occasion, d'où sa rentabilité financière pour les femmes. Nous pouvons ajouter que la vente du yo est le meilleur moyen pour les femmes d'avoir indirectement l'argent des hommes puisqu'ils en sont les plus grands consommateurs.

    Diverses autres activités que nous regroupons sous l'appellation de « petit commerce » existent, permettant aux femmes de se procurer des revenus. Il s'agit essentiellement de l'achat /

    23 La caste se définit ici comme un sous-groupe de la société, strictement circonscrit et possédant des fonctions propres sur le plan juridique, rituel, économique, etc. Les castes pratiquent l'endogamie en y adjoignant l'hypergamie.

    100

    revente de produits en l'état, ou avec plus ou moins de transformation. Nous citons ici la vente de fruits (mangues), de viande, de liqueurs (surtout le pastis) et d'articles ménagers.

    Cette revue des sources de revenus des femmes nous permet de comprendre leur situation économique. Ces différentes activités ont connu un développement impressionnant dans le courant de l'arrivée des moulins. Comparativement aux sources de revenus des hommes, elles restent insuffisantes. Car la société san est une société à domination masculine où l'homme a le contrôle des moyens de production. Les hommes se sont réservé l'élevage du gros et petit bétail et de la volaille, laissant aux femmes la tâche de les alimenter en eau.

    Notre analyse après constat des différentes activités, même génératrices de revenus, est que le moulin est venu faire travailler les femmes sanan, et surtout faire de la plupart d'entre elles de petites commerçantes. En effet, le commerce est une activité que, de façon générale, les Sanan ont jusqu'alors délaissée, la considérant comme propre aux Mossi. Cette initiative d'entreprendre des AGR se trouve fortement ancrée maintenant dans le coeur des membres des GVF. Signalons que ce développement des AGR initie bien les femmes du département à l'activité commerciale même s'il ne s'agit que du petit commerce. L'apport positif du moulin à ce niveau est qu'il a permis à la femme de ne plus attendre que l'homme lui tende la main financièrement. En cela, il a donné une certaine indépendance financière à la femme dans le département de Toma. Signalons enfin que le moulin a permis aux femmes l'apprentissage d'un type d'épargne forcée. Car bon gré, mal gré, il faut mettre d'abord de côté l'argent de la mouture avant de faire certaines dépenses. En réalité, certaines exigences imposées par le moulin sont plutôt des avantages que des contraintes. On note par exemple que le moulin impose et développe l'esprit associatif dans les GVF. Cet esprit associatif s'impose comme nécessité d'autopromotion. Buijsrogge (1989 : 51-52) exprime cette réalité en ces termes : « Les femmes ont compris...Elles s'organisent pour réaliser leurs propres projets de développement : une maternité, un moulin pour moudre le grain, un puits. Mais pour y arriver les femmes entreprennent un champ collectif. Ce qui prend sur leur temps ». Dans le fond, cet auteur pose le problème de l'accès des femmes aux technologies appropriées, dont le moulin.

    b). Accès au moulin et appropriation par les femmes.

    Les modes d'introduction du moulin dans le département tels que vus au Chapitre 3 nous ont révélé les différents acteurs ou porteurs sociaux : commerçants, Etat et ONG. Par ailleurs, la

    101

    faible rémunération des AGR face au coût des moulins pose le problème de l'accès des femmes au moulin et de son appropriation par celles-ci.

    + Un accès quasi limité

    La situation financière des femmes par rapport au prix de revient des moulins rend difficile leur accès au moulin et favorise le monopole de cette technologie par les hommes. Lorsqu'on pose la question de savoir pourquoi la totalité des propriétaires de moulins sont des hommes, les femmes répondent : « Est-ce que nous avons de l'argent ? Nous n'avons pas d'argent comme les hommes ». Et lorsqu'on s'intéresse aux raisons de leur manque d'argent et à celles de la richesse des hommes, on obtient les réponses suivantes : « Les hommes ont des animaux, ils travaillent », « Nous n'avons que nos jardins de piment » ou encore « Qu'avons-nous à part la préparation de la bière de mil ? Rien. » Parallèlement, certains hommes répondent aux mêmes questions en ces termes : « La femme ne peut pas se débrouiller de la même manière que l'homme ». « Nous faisons l'élevage. C'est cela qui fait la richesse de l'homme au village, sinon nous ne sommes pas salariés ». D'autres disent encore : « Certaines femmes ont de l'argent mais pas toutes ».

    Ces différentes réponses reflètent certainement une réalité sociale : celle de l'inégale situation économique et financière des deux sexes. Au regard des sources de revenus dont nous avons parlés plus haut, le sexe féminin semble être la catégorie la plus défavorisée et la plus vulnérable. Nous hésitons ici à parler de situation de pauvreté car cette notion est beaucoup plus complexe et pourrait englober la situation des deux sexes en zone rurale. En effet, dans Société civile et réduction de la pauvreté, Abega (1999 : 107) écrit : « En termes purement socio-économiques on peut parler de la pauvreté comme l'impossibilité de satisfaire ses besoins fondamentaux (nourriture, vêtement, logement, soins médicaux, éducation), approche opposée à la relation entre les revenus d'un individu par rapport à un autre ». Ou d'une catégorie par rapport à une autre.

    Il reste cependant vrai ici que les femmes rurales ont, à cause de certaines conditions sociales (domination masculine), un accès difficile à l'argent. Un discours tel que « La femme ne peut pas se débrouiller de la même manière que l'homme » révèle clairement les représentations sociales sur les femmes et traduit la domination masculine existante. Autrement, les femmes s'en sortent aussi bien que les hommes si les conditions leur sont offertes. La

    102

    situation actuelle des femmes les exclut d'office du groupe de ceux qui peuvent prétendre acheter un moulin. En effet, les principales sources de revenus des femmes dans les villages san sont le petit commerce et le jardin de piment. Cultivé autour des concessions sur de petites parcelles que les hommes accordent aux femmes, le piment rapporte rarement 50 000 francs à une femme. La vente de la bière de mil comme d'ailleurs tout ce qui est petit commerce sert aux dépenses quotidiennes des femmes.

    L'accès restreint au moulin provient surtout de son coût sur le marché. Le moulin accompagné du moteur coûte très cher selon les marques. Nous présentons dans le tableau ci-dessous les prix des marques Diamant et Lister (qui sont fiables) installés par l'ADRTOM.

    Tableau 11: Tarifs des moulins installés par l'ADRTOM.

    Année d'installation

    Villages

    Montant du crédit
    (F.CFA)

    Prix net du moulin
    (F. CFA)

    1990

    Koin

    1 528 652

    1 290 740

    1993

    Kolan

    1 769 645

    1 643 000

    1994

    Gossina

    1 095 838

    800 000

    Source: ADRTOM (Toma).

    Les moulins de l'année 1994 étaient des dons du gouvernement burkinabè dans le cadre de l'opération Mille moulins. Ceci explique la baisse du prix de revient à 800 000 francs. Les tarifs actuels (juin 2000) des moulins à la CICA (Commerce International pour le Continent Africain) se présentent comme suit selon leurs puissances :

    - Moulin Diamant : De 600 000 à 800 000 F CFA.

    - Fabrication locale : De 300 000 à 400 000 F CFA.

    - Moteur Diesel monocylindrique :

    · 8 CV : 450 000 F CFA.

    · 10 CV : 500 000 F CFA.

    · 16 CV : 800 000 F CFA.

    L'unique femme du département (Mme Awa PARE) à acheter un ensemble neuf moulin-moteur en 1999, avoue l'avoir acheté au prix d'un million deux cents mille (1 200 000) francs à la CICA à Ouagadougou. Complétant ses économies faites en Côte d'Ivoire avec un emprunt, elle a pu créer cette micro entreprise.

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    En somme, toutes ces données montrent une fois de plus combien il est difficile pour une femme non sortie du milieu rural, ou n'exerçant pas un métier bien rémunérateur, de s'octroyer un moulin. La question de l'accès des femmes au moulin se présente alors dans une première conclusion comme un problème financier, en termes de manque de moyens. Mais nous verrons au chapitre 5 que la cause profonde se trouve dans les rapports de force des deux sexes où les femmes sont exclues des circuits économiques. Les femmes ayant compris cela, tentent d'accéder au moulin en groupe.

    + Un accès par groupes

    Face à la cherté des moulins et la nécessité obligeant, les femmes sont obligées de passer par d'autres relais pour obtenir des moulins. Ces relais sont les différentes associations de ressortissants des villages se trouvant en ville et les organismes d'aide au développement tels que l'ADRTOM, l'UGPN qui s'adressent à leur tour à des bailleurs de fonds ou à l'Etat. Tous les villages possèdent des groupements de femmes dont certains existent depuis bien longtemps mais la plupart depuis 1990, constitués avec l'appui des animateurs de l'ADRTOM.

    L'accès par groupes aide les femmes à se procurer et à installer le moulin mais les tarifs ne sont pas pour autant diminués et le remboursement, bien qu'étalé généralement sur une période de trois à cinq ans, connaît des difficultés. Cette situation ne dit-elle pas non plus la difficulté d'appropriation du moulin par les femmes ?

    + Difficile appropriation.

    Les statistiques du chapitre 3 nous ont révélé que les moulins des groupements de femmes connaissent plus de problèmes que ceux des commerçants. Cela montre que la gestion communautaire des moulins motorisés pose de nombreux et divers problèmes techniques et sociaux rendant difficile leur appropriation.

    Du point de vue des aspects techniques, on peut relever, primo, que le débit théorique de fonctionnement (120 à 350 kg/h) n'est jamais atteint à cause de la discontinuité dans la mouture occasionnée par le remplissage de la trémie, les palabres pendant lesquelles le moulin tourne à vide. Secundo, l'insuffisance ou le manque de formation des meuniers fait que la manipulation

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    et le réglage empirique de l'appareil créent des problèmes. Les meuniers, choisis au gré des commerçants et selon des critères établis par les membres des GVF, ont pour la plupart fait un apprentissage sur le tas, les uns auprès des autres. Pour certains, cette formation a duré un ou deux jours mais n'a jamais atteint une semaine. Quatre sur cinq des 10 meuniers contactés sont dans cette situation et affirment ne rien connaître en mécanique bien qu'ils tentent de réparer le moteur en cas de panne. Appel est fait à un mécanicien en cas de panne grave. En outre, les meuniers sont changés régulièrement dans les groupements. Certains se sont à peine familiarisés avec l'outil de travail qu'ils doivent partir soit à cause des exigences des femmes soit parce qu'ils doivent aller en ville.

    Tertio, la mauvaise installation de certains moulins (moteur non ajusté au moulin), entraîne des pannes régulières (la courroie quitte la poulie) et des pertes de temps. Le moulin GVF de Nièmè est l'exemple type en l'occurrence. Les moulins sont installés de façon empirique sans véritable calcul d'ajustement.

    Enfin, les oublis de pièces d'argent ou d'autres pièces métalliques dans le mil à moudre occasionnent également des pannes. Certaines femmes, ou bien les enfants qu'elles envoient moudre, déposent leur argent ou la clé de leur porte sur le grain. Une fois au moulin, elles oublient de les retirer. Ces pièces créent le blocage du moulin, dès qu'elles passent entre les meules. Ces cas, selon les femmes, sont fréquents. Tout ceci nous fait dire que bien que la technologie soit appropriée au milieu et à la mouture des céréales, sa maîtrise pose encore de nombreux problèmes techniques.

    Du point de vue des problèmes sociaux, nos recherches ont révélé que leurs causes sont de plusieurs ordres. D'abord elles sont structurelles. Sauf à Toma et à Sien (qui a changé de système après une première expérience non concluante), le local du moulin communautaire se trouve être, dans la plupart des villages, le domicile de la présidente du groupement. Avec le temps et les difficultés de gestion, les femmes finissent par considérer le moulin comme l'affaire de la présidente et se désengagent. Une telle situation crée un blocage et pose un problème de fond, celui de la participation des femmes à leurs propres projets de développement. Selon les animatrices de l'ADRTOM, il arrive que dans certains villages « les femmes ne sortent pas pour les réunions mensuelles, même les membres du comité de gestion ». Signalons ici que si quelques membres des comités de gestion ont reçu une formation en gestion de moulin, les membres des groupements restent sans formation se contentant des réunions

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    mensuelles qui ne connaissent que des résolutions de problèmes du moulin. Le manque de dynamisme des membres de certains comités nous fut signalé aussi par les femmes.

    Ensuite ces causes sont liées à la mauvaise gestion qui résulte elle-même du manque de maîtrise des outils de gestion (système de comptabilité par exemple) ou de stratégies d'exploitation profitant à quelques personnes. Ainsi, « le montant sur le cahier ne correspond pas à l'avoir en caisse », disent les animatrices. « Parfois, il y a plus de dépenses que de recettes. Et pourtant elles affirment n'avoir pas emprunté de l'argent; il y a eu donc des recettes qui n'ont pas été inscrites ». A cela s'ajoute le fait, selon les animatrices, que les femmes changent difficilement de comportements et n'écoutent pas leurs conseils ou font semblant d'écouter. La vérité d'une telle affirmation reste à démontrer, dans la mesure où elle tente de montrer que les femmes, finalement, ne savent pas ce qu'elles veulent ou ne mettent pas de la volonté dans ce qui fait leur intérêt. Nous pensons que le manque d'écoute des femmes est surtout lié à la pédagogie utilisée par les animatrices pour se faire comprendre. Car la bonne gestion des moulins relève plus d'une question de méthode que de volonté.

    Enfin, la situation des moulins comme biens communs est aussi cause de la difficulté d'appropriation par les femmes. La gestion collective des moulins pèse sur les femmes. Tout cela nous introduit dans les aspects sociaux de l'impact du moulin.

    4. LES ASPECTS SOCIAUX DE L'IMPACT DU MOULIN.

    Les aspects sociaux de l'impact du moulin sur la vie des femmes prennent en compte les tensions et conflits, la différenciation sociale, les nouvelles socialités et les rôles et places des femmes.

    a). Les tensions et conflits sociaux autour du moulin.

    Les conflits autour du moulin se passent entre les femmes elles-mêmes, entre maris et femmes, entre meuniers et femmes, et entre enfants et adultes. Les conflits signalés par nos enquêtés sont des conflits ouverts : bagarres, élévations de voix, mécontentements manifestés par des comportements, etc.

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    Les raisons de la tension entre époux sont souvent axées autour de la paie de la mouture. Les femmes réclament que leurs maris participent au paiement de la mouture, mais ceux-ci font la sourde oreille. Lorsque la femme n'a pas d'argent et qu'elle se trouve dans la nécessité de moudre, elle vend une partie de la ration familiale soit au meunier soit à d'autres femmes en quête de mil pour préparer le yo. Cette pratique est très courante dans le milieu au point que dans certains moulins, un sac est déposé, destiné à ce genre de trafic. La ration alimentaire ne suffisant plus, la famille se trouve vite à court de nourriture. Et le mari se plaint, car il devra gérer son grenier jusqu'à la période de soudure (août - septembre) avant les récoltes. D'autre part, le fait que parfois le mil séjourne au moulin, soit pour raison de panne, soit à cause de la très grande quantité de grains à moudre, est aussi source de tensions.

    Entre les femmes, les tensions autour du moulin concernent surtout la formation du rang dont nous avons parlé plus haut, mais aussi les modes de gestion de l'argent généré pour ce qui concerne les membres des GVF. « La bagarre ne finit pas au moulin, déclare une femme. Quand je pars, j'attache bien ma ceinture. Les gens bousculent et renversent le mil des autres, on déchire les vêtements et des calebasses se brisent ». Signalons que les vols de mil créent des occasions d'injures publiques. Enfin, l'argent du moulin communautaire est toujours source de soupçons de détournements, de critiques, de diffamation, etc.

    Les tensions pouvant exister entre les meuniers et les femmes se situent au niveau de la tendance des dernières à mesurer exagérément les grains, du recouvrement des dettes, des heures d'ouverture et de fermeture du moulin. « Les gens se bagarrent, cela fait que le meunier ferme le moulin », nous dit une femme.

    Par ailleurs, tandis que des enfants se plaignent d'être trop souvent envoyés au moulin pour la mouture du mil, leurs mamans se plaignent qu'ils s'amusent au moulin plutôt que de revenir tôt, et les grondent ou les frappent le jour où ils viennent à verser la farine sur le chemin du retour.

    Il nous faut signaler enfin comme conflit de générations le fait que les enfants soient brimés au moulin par des adultes voulant avoir droit de préséance sur eux lorsqu'il s'agit de se mettre en rang. « On bouscule les enfants qui ne peuvent pas se défendre » nous informe une autre femme. A ce sujet on pourrait dire que le moulin a introduit l'inégalité là où il était

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    question de solidarité de type « mécanique » comme dirait Durkheim. Même dans les GVF, le moulin n'a-t-il pas développé un certain individualisme plutôt que l'esprit associatif ?

    Une analyse des données sus-citées laisse apparaître que les différents conflits naissent des stratégies des acteurs en interaction. En effet, selon la théorie de l'analyse stratégique développée par Crozier et Friedberg (1972 : 469), les acteurs essaient de défendre des objectifs et intérêts individuels. Chaque acteur joue les cartes du pouvoir qu'il détient selon une dimension rétrospective et prospective. Ainsi, « l'orientation stratégique des acteurs (...) procède d'une évaluation de leurs possibilités d'action, c'est-à-dire d'un bilan anticipatoire, où la situation présente est analysée en termes d'atouts et de ressources mobilisables à l'avenir ». Ces atouts et ressources mobilisables sont ici le statut social, l'ancienneté, l'autorité que femmes, meuniers et maris exploitent.

    Puisque l'analyse stratégique a pour intérêt de permettre d'observer les conflits et le fonctionnement du pouvoir à l'intérieur d'un groupe social, il nous faut, avec Lewis Coser (1982 : 24) faire une distinction entre le conflit et les attitudes antagonistes ou hostiles. « Le conflit social, dit-il, implique toujours une action sociale réciproque tandis qu'attitudes et sentiments sont des prédispositions à l'entrée en action ». Selon les femmes qui ont été interrogées, les conflits qui ont lieu au moulin se terminent au moulin sans rebondissement ultérieur. Mais une analyse fine nous permet de dire que si les conflits ouverts s'arrêtent au moulin, il n'est pas évident qu'ils ne se transforment pas en conflits latents. Enfin remarquons que les conflits ne sont pas toujours mauvais, qu'ils peuvent contribuer à maintenir la cohésion sociale ou la protéger contre la désintégration totale de la société. Les conflits autour du moulin sont normaux si l'on admet qu' « il y a des occasions de conflit dans toutes les formes de structure sociale car les individus et les sous-groupes sont toujours susceptibles de se plaindre de manquer de ressources, de prestige ou de pouvoir » (Coser 1982 : 84).

    En conclusion, dans une société dynamique les conflits sociaux sont légitimes pour rythmer le cours de la vie sociale et permettre le progrès. Le moulin, loin d'être cause de conflits, nous semble plutôt être un lieu d'expression de la dynamique sociale. Et il n'est pas que cela, la différenciation sociale trouve aussi en lui sa manifestation.

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    b). La différenciation sociale.

    Quels que soient les porteurs sociaux par qui la technologie du moulin a été introduite (commerçants, Etat, ONG), nous avons pu constater sur le terrain que le moulin crée une différenciation sociale entre les femmes et les hommes et entre les femmes elles-mêmes. Le point de départ de la différenciation se trouve déjà même dans le fait d'introduire cette technologie dans un milieu. Car tout le monde n'achète pas un moulin et le mari de toute femme n'en possède pas. Différence est faite sur cette base entre ceux qui ont les moyens financiers et par conséquent un certain pouvoir et ceux qui n'ont pas ces moyens ni ce pouvoir. Dans le département de Toma ce sont les hommes, à l'exception d'une femme, qui sont des propriétaires de moulins.

    Entre femmes la différenciation se remarque au niveau des quantités de grains qu'elles apportent à moudre. A la question de savoir de quoi parlent les femmes au moulin, nous avons reçu les réponses suivantes : « Nous comparons la quantité de nos céréales », « Nous félicitons celles dont la ration familiale est abondante », « Nous parlons des problèmes de femmes, de nos soucis et nous critiquons nos maris qui ne paient pas l'argent de mouture ». La différenciation sociale entre les femmes s'étend sur leur avoir (vêtements, argent,...) et leurs comportements. Il est clair que tout le monde ne peut pas se payer le luxe d'aller au moulin chaque jour. C'est pourquoi lorsque nous posons la question : combien de fois allez-vous au moulin par semaine ? Certaines femmes disent que le manque d'argent les oblige à alterner les jours, tantôt elles utilisent la meule, tantôt le moulin. Le commerce d'une partie de la ration familiale au moulin est aussi un indicateur de différenciation sociale. La vente de la ration familiale au moulin est une pratique courante chez les femmes qui n'ont pas l'argent de la mouture. Cette différenciation entre les femmes avait été relevée par Herzog (cité par Treillon, 1992 : 18) qui l'exprimait en ces termes : « Etant donné la faible disponibilité monétaire des femmes rurales, d'une part, et les nombreuses obligations familiales qui leur incombent, d'autre part, la plupart d'entre elles éprouvent des difficultés à trouver les moyens financiers pour le paiement de l'usinage. Du coup, dans la plupart des cas, la mouture mécanique n'est accessible qu'à un nombre très restreint de femmes ».

    Disons donc qu'au village toutes les femmes n'ont pas un accès facile à cette nouvelle technologie dont les objectifs sont pourtant connus de tous : alléger le travail, augmenter la production des femmes, améliorer la qualité alimentaire, sauvegarder les forces physiques et la

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    santé des femmes, etc. La différenciation déborde le niveau individuel et s'étend à des groupes et ensembles tels que la famille, le couple conjugal, les femmes de tel village, etc. Néanmoins la différenciation créée par le moulin ne doit pas nous empêcher d'observer l'apparition de nouvelles socialités.

    C) Les nouvelles socialités.

    Dans un contexte où selon Riss (1989 :113), « l'accaparement de la femme par les travaux domestiques et familiaux reste le premier frein à l'amélioration de sa condition de vie », il est important de relever les nouvelles socialités apportées par le moulin. Ce dernier n'apporte pas que des conflits. Il a développé au niveau des groupements villageois féminins un esprit associatif. Les femmes d'un même village s'entendent pour travailler ensemble, réfléchir sur leurs problèmes et se venir mutuellement en aide. Par la même occasion, elles participent, à travers diverses activités et fêtes, en tant que groupe de femmes à la vie du village. De ce fait le moulin communautaire est facteur de cohésion sociale. De plus les services gratuits de mouture que les femmes se rendent au moulin sont des signes de socialité qui se traduit en terme de convivialité entre les femmes. Ces nouvelles socialités en dehors du cadre familial aident les femmes à intégrer des savoir-vivre communautaires : manières de penser, de sentir et d'agir en société. Enfin, les retrouvailles de moulin sont à considérer comme des moments de loisirs pour les femmes rurales. Ainsi, les nouvelles socialités apportées par le moulin participent à l'épanouissement des femmes en milieu rural. Les rôles et les places des femmes dans la société seront affectés dans ce contexte.

    D) Les rôles et places des femmes.

    Nous parlons des rôles et des places des femmes contrairement à l'usage courant et à l'idéologie « développementiste » qui usent de l'expression « le rôle et la place de la femme rurale ». Pour nous, il n'y a pas un modèle unique de femme rurale, ni un rôle, ni une place unique de celle qu'on nomme femme rurale. Cette vision nous paraît caricaturale et fixiste. C'est pourquoi nous avons choisi l'expression « les rôles et places des femmes ». Ceci étant, vu la diversité des rôles des femmes dans la société, nous traiterons ici des rôles par rapport à la transformation alimentaire et des rôles économiques. Par places nous entendons les lieux géographiques et les différents statuts des femmes dans les différentes communautés villageoises.

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    + Les rôles.

    Par rapport aux rôles, culturellement féminins, de transformation des aliments, on observe que la mouture et même le pilage (dans les villages comme Sien et Toma où il y a une décortiqueuse) deviennent des activités masculines à cause du moulin. Ceci pour trois raisons principales. D'abord à cause de l'instrument de mouture qui est un assemblage d'objets mécaniques. Signalons que les femmes, surtout en zone rurale, ont généralement été écartées de la manipulation de tout ce qui est engin mécanique. Il en résulte que dans tout le département de Toma, les manipulateurs des moulins que sont les meuniers sont tous des hommes. Et pourtant, culturellement chez les Sanan tout le monde sait, lorsqu'il s'agit de la meule, que moudre des grains est un tabou pour les hommes et entre dans l'ordre des interdits sociaux.

    Ensuite une autre raison de ce transfert d'activité des femmes aux hommes est la technique même de mouture qui bien que pouvant être apprise par les femmes reste encore l'apanage des hommes. Ceci est tellement frappant dans le département que même les moulins des groupements villageois féminins (GVF) fonctionnent sous la houlette de garçons recrutés par les femmes elles-mêmes. Lorsqu'on interroge les femmes sur les raisons de cela, elles répondent tout simplement « wo a boéla ? » (« Est que nous pouvons ? » ou bien « wa boéla wa » (« nous ne pouvons pas »). Ces réponses, selon nous, relèvent peut-être d'un manque de confiance des femmes en leurs capacités. D'où l'abandon de la mouture entre les mains des hommes qui la plupart du temps ignorent quelle qualité de farine les femmes veulent. Lorsqu'on se rend au moulin on observe que pendant que le meunier s'attèle à la mouture, les femmes ont régulièrement leurs doigts dans la farine contrôlant la qualité de farine sortant de la chambre de mouture du moulin. Et pourtant dans la société san ce sont les femmes les mieux habilitées pour la technique de mouture. Désormais dans le département de Toma les femmes ont pour rôle de mesurer les quantités de grains qu'elles apportent et de tester la qualité de la mouture.

    Enfin, la dernière raison du transfert de l'activité de mouture aux hommes est d'ordre financier. Au cours de nos entretiens plusieurs femmes nous ont déclaré ceci : « Bè ma woro n'a tã, woa ne ma kurii mãsin dwa gana ?» (« Si j'avais de l'argent, qu'est-ce qui m'empêcherait d'installer un moulin ? »).

    Le moulin a non seulement fait passer l'activité de mouture aux mains des hommes, mais il a également fait passer cette mouture aux groupes de femmes, dans le cas des GVF et

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    des associations féminines, qui en déterminent les moments et organisent la surveillance des mesures des quantités de grains par couple rotatif de femmes.

    En conclusion, nous constatons que le moulin a introduit dans le département de Toma une répartition des rôles de mouture des céréales à plusieurs intervenants ou acteurs des deux sexes. Il s'opère avec le moulin une division à la fois sociale et sexuelle d'un rôle qui pour des raisons non toujours avouées était jusque là attribué uniquement aux femmes. Nous approfondirons cette problématique dans le prochain chapitre lorsque nous parlerons de la « masculinisation » à travers l'approche par le genre. Enfin, le moulin n'est pas non plus sans effet sur les places des femmes dans les communautés villageoises du département de Toma.

    + Les places

    Par places nous entendons aussi bien l'espace géographique que l'espace social (statut ou rang) au sein desquels des mobilités sont possibles.

    Ainsi, si la meule en silex manuelle avait pour caractéristique principale de garder les femmes au foyer, le moulin les en retire faisant désormais d'une activité domestique, privée, une activité publique dont le contrôle et la responsabilité sont transférés à quelqu'un d'autre (le meunier, le groupement féminin et le propriétaire du moulin). Ce contrôle extérieur et nouveau a pour implication la dépendance de la femme non seulement vis-à-vis d'autrui mais encore de l'homme. D'un autre côté, la mouture des grains hors du cadre familial constitue un changement de place qui rend l'alimentation des familles dépendante d'un système communautaire contraignant. De plus, ce que prépare telle ou telle famille est connu d'avance par autrui dans le village. C'est pourquoi, de même qu'il est intéressant d'étudier le rapport temps-moulin, il est bon de tenir compte du rapport moulin-espace. Car, le site même du moulin est soit la propriété privée de quelqu'un, soit la propriété du village. Et les rapports des femmes avec les différents propriétaires ainsi que l'usage qu'elles peuvent faire de ces espaces sont importants dans l'analyse des changements qu'introduit la nouvelle technologie de mouture. La distance même parcourue par la femme avant d'arriver au moulin l'expose au regard d'autrui, susceptible de donner à la femme une certaine image. Les femmes le savent et se préparent en conséquence. On va au moulin comme on part au marché après une toilette soignée et un type d'habillement choisi à cause du regard et des « langues ».

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    La problématique de fond ici est celle de l'espace féminin et du travail domestique hors domicile. En nous appuyant sur Riss (1989 : 37), nous convenons que « la femme appartient à un univers géographique qu'elle utilise, qu'elle exploite, qu'elle transforme. Cet espace régit sa vie et, par l'introduction d'éléments nouveaux dans son univers quotidien, la vie traditionnelle de la femme se transforme. La diffusion des techniques nouvelles et d'équipements collectifs, l'éducation et la formation des femmes dans le domaine social et sanitaire, l'importance croissante de l'argent dans l'économie domestique sont autant de points susceptibles de changer le comportement de la femme dans son milieu traditionnel ». Le moulin vient consacrer l'évolution d'une activité traditionnelle et apporte un agrandissement de l'espace géographique de la femme. Ainsi nous pouvons affirmer que la vie domestique de la femme connaît une certaine amélioration grâce au moulin dont la présence fait apparaître de nouveaux rôles et statuts sociaux.

    Le moulin crée aussi des mobilités sociales (surtout au sein des groupements) attribuant à l'une ou l'autre femme, une place dans une organisation. Ainsi, on note que le pouvoir de la responsable du comité de gestion d'un moulin de groupement ne se limite pas qu'au groupement mais s'étendra selon les circonstances au-delà, à tout le village s'il le faut. Etre responsable, secrétaire ou trésorière sont des postes conférant des statuts sociaux que les bénéficiaires n'avaient pas avant l'arrivée du moulin. L'accession à ces postes est conditionnée par des critères bien définis tel que savoir lire et écrire par exemple pour le poste de secrétaire. Le rôle de responsable de groupement donnera également lieu à des rencontres avec des responsables d'autres villages ou des responsables d'ONG. On pourrait continuer la liste des exemples.

    Enfin, disons que parler de rôles et de places c'est, en définitive, parler de nouvelles stratifications sociales introduites par le moulin dans les communautés villageoises. De même que le moulin a réorganisé les rapports sociaux tant à l'intérieur du cercle familial qu'à l'extérieur, de même il donne une nouvelle configuration à la structure sociale en transférant certains rôles d'un sexe à l'autre et en faisant apparaître de nouveaux statuts. L'impact du moulin sur les rôles et les places des femmes traduit bien le fait d'une société en mutation dans son ensemble.

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    Conclusion partielle

    Dans ce chapitre il a essentiellement été question de l'impact des moulins sur la vie des femmes dans le département de Toma. Partie centrale de notre travail, cette section nous a permis de faire ressortir que le moulin libère pour les femmes un temps supplémentaire de travail et leur permet de s'occuper d'autres activités ménagères ou commerciales en vue de leur indépendance économique vis à vis des hommes. Toutefois, la différenciation et les conflits sociaux ont vite fait d'accompagner le moulin qui met à l'épreuve la capacité de chaque femme de passer de la mouture individuelle avec sa meule de pierre à la mouture collective. D'impact multidimensionnel, le moulin fait apparaître de nouvelles socialités en réorganisant les rapports sociaux ; tandis qu'il restructure la société à travers de nouveaux rôles.

    Par ailleurs, la question de l'accès des femmes à l'argent vient conditionner également leur accès au moulin qui n'est possible qu'en s'associant. Cette gestion communautaire ne va pas non plus sans impact sur l'appropriation par les femmes. Finalement, le moulin aura été un vrai facteur de changement social, comme il arrive pour toute innovation technologique. C'est ce changement que nous analyserons au prochain chapitre.

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    CHAPITRE 5 : TECHNOLOGIES APPROPRIÉES POUR
    FEMMES ET CHANGEMENT SOCIAL

    Suite à tout ce qui précède dans les chapitres antérieurs, ce chapitre voudrait s'appuyer sur quelques théories socio-anthropologiques pour approfondir la problématique du moulin et des technologies appropriées pour femmes. Quelle approche sociologique peut-on faire finalement du moulin à grains dans l'objectif de la promotion des femmes rurales ? Les technologies appropriées pour femmes leur profitent-elles ? Dans le contexte actuel des sociétés en mutation que faut-il faire pour améliorer la condition des femmes rurales ? Voilà autant de questions auxquelles ce chapitre tente d'apporter des esquisses de réponses. Trois approches théoriques, à savoir les théories fonctionnaliste, dynamique et celle du gender, nous permettront d'analyser la réalité du moulin dans le contexte actuel du département de Toma. Les conclusions de cette analyse nous permettront de répondre à la deuxième question et de donner des perspectives sur les technologies appropriées pour femmes.

    1. LES FONCTIONS SOCIALES DU MOULIN.

    Partant des données présentées au chapitre IV, l'analyse de l'impact du moulin sur les femmes peut se faire à partir de sa fonction sociale. Pour ce faire, la théorie fonctionnaliste de Malinowski nous servira comme grille d'analyse. En effet le fonctionnalisme permet de saisir une réalité sociale par rapport à sa fonction ou à son utilité. L'idée de fonction a une importance dans la mesure où elle permet de constater comment une institution fonctionne au sein du système social où elle joue un rôle et par-là se rend indispensable. « Dans tous les types de civilisation, chaque coutume, chaque objet, chaque idée, chaque croyance remplit une fonction vitale, a une tâche à accomplir, représente une partie indispensable d'une totalité organique » (Malinowski, 1926, « Anthropoly » in Encyclopedie Britanica, p.132, Cité par Descola, 1988 : 99). L'intérêt de cette théorie est de permettre de tenir compte des interdépendances entre éléments à l'intérieur d'un système.

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    a). Le moulin comme outil

    Nous appréhendons le moulin dans ses fonctions, d'abord comme un outil. Un outil selon le dictionnaire Robert (1988), est un « objet fabriqué qui sert à agir sur la matière, à faire un travail ». Nous disions au premier chapitre de ce travail que la problématique de la technologie culturelle nous situait au coeur du rapport de l'homme à la matière et de l'homme au travail. Dans cette ligne de compréhension, l'outil a pour but de permettre l'action. Il joue un rôle intermédiaire entre l'homme et la chose sur quoi porte l'action. En ce sens l'outil « n'est ni cause ni effet et dans la chaîne : force-outil-matière, il n'est que le témoin de l'extériorisation d'un geste efficace » (Leroi-Gourhan, 1971 : 318). Ceci sous-entend bien que c'est l'homme qui anime l'outil. Le moulin actionné par le meunier sert à la production de la farine des céréales. Son rôle comme outil de travail est de permettre cette obtention de la farine.

    Comme intermédiaire, l'outil a un rôle de prolongement de la main de l'homme qui cherche à satisfaire ses besoins. La théorie des besoins, développée par Malinowski (1944), nous permet de comprendre les raisons de la fabrication, de l'usage et de l'adoption de tel ou tel outil. Les membres de l'homme ne lui suffisent pas à la satisfaction de tous ses besoins dans un milieu naturel parfois contraignant. L'outil joue ainsi un rôle de suppléance aux carences humaines. D'où la nécessité de la technologie et des techniques. En réalité, la question du rôle du moulin renvoie, d'une façon plus générale, à celle du rôle de la technologie dans la société. Ainsi, dans la culture san l'acquisition de la meule en silex est un premier degré de technologie permettant de ne plus se nourrir de grains à l'état non transformé, tandis que l'acquisition du moulin vient rendre optimale la satisfaction de ce besoin. La recherche de satisfaction du besoin crée une interdépendance entre l'homme et l'outil. C'est pourquoi Abe'ele (1999 : 92), écrit : « Au-delà des propriétés physiques les outils entretiennent des rapports spécifiques avec leurs usagers ».

    Ces rapports varient avec la nature de l'outil. Ainsi, le rapport des usagers du moulin sera différent de celui qu'ils entretenaient avec la meule en pierre en raison de leur différence de nature. En effet, comparativement à la meule de pierre que nous appelons « technologie froide », le moulin est une machine et peut être appelé « technologie chaude » parce que génératrice d'énergie, d'une énergie supérieure même à celle de l'homme. Faut-il en déduire que les « technologies chaudes » satisfont mieux les besoins humains que les « technologies froides » ? En tout cas le moulin à grains économise l'énergie des femmes qui jadis s'épuisaient

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    sur la meule de pierre. Les technologies chaudes ont une fonction d'économie d'énergie humaine plus grande que les technologies froides. C'est en cela que se trouve vérifiée notre deuxième hypothèse qui consiste à affirmer que « le moulin introduit une certaine qualité et une rapidité dans la chaîne de transformation alimentaire : il libère du temps et amène les femmes à une autre gestion de leur temps ».

    En conclusion à ce rôle d'outil du moulin nous nous résumons en ces termes : le moulin comme machine (ayant aussi ses contraintes) est un outil de libération de la femme d'une corvée qui la rendait esclave dans l'exercice d'une fonction sociale (celle de la mouture des grains). Mais le moulin n'est pas qu'un outil ; sociologiquement, il est bien plus.

    b). Le moulin, moyen de la rencontre

    Le second rôle social important que joue le moulin dans les villages est sa fonction de rassemblement, de communication. Le moulin est comme le puits. Au moulin les femmes du village se rencontrent, communiquent entre elles en se donnant les nouvelles des unes et des autres, commentent les derniers événements du village et de leur vie : vie familiale, expériences personnelles, etc. En somme le moulin est un lieu d'interactions.

    Au coeur de ces rencontres se produit également un certain apprentissage social que nous désignons par le terme de socialisation, s'il est vrai que le processus de socialisation est toujours continu dans la société et que ses lieux de réalisation sont multiples (famille, quartier, équipe de football, tontine,...). Guy Rocher (1968 :132) nous donne une définition complète de la socialisation comme « le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socio-culturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux significatifs et par là s'adapte à l'environnement social où elle doit vivre ». L'apprentissage social ici a pour but « d'augmenter la solidarité entre les membres du groupe » (Boudon R., 1990 : 181). Auparavant, il suppose une intériorisation de normes et de valeurs culturelles, grâce à laquelle l'individu a obligation et droit d'attente envers les autres. L'exemple de la pratique du rang au moulin rend bien compte de cette théorie de la socialisation. Il en est de même des différents services de suivi de la mouture que les femmes se rendent en l'absence de leurs camarades. Même s'ils engendrent la réciprocité, ces services prônent la serviabilité, la charité et la solidarité comme étant des valeurs.

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    Dans les groupements villageois féminins (GVF), les moulins exercent une fonction de regroupement permettant ainsi aux femmes de vivre une certaine solidarité. La fonction de rencontre du moulin y est encore plus explicite. Certains groupements féminins comme ceux de Sawa et de Zouma se sont donnés des noms tels que : « kukon'a pan » « la calebasse commune »24 et « Ta konli a koonè » « Il est bon d'être ensemble ». La constitution du groupement ou de l'association est même un critère important sur lequel s'appuient les ONG pour l'octroi des moulins aux femmes. La promotion de l'idéal communautaire se situe au coeur même de la vie des villages dont le mode d'organisation se calque sur ce que Durkheim (1893) a appelé sociétés traditionnelles où la conscience collective est très forte ; ce qui vaut à ces sociétés le nom de sociétés à solidarité mécanique. Les groupements villageois « redynamisent » et tentent de pérenniser cette conscience collective dans un contexte de mutations socioculturelles où l'individualisme tend à prendre le dessus. L'observation d'une telle réalité fait dire à Buijsrogge (1989 : 105) au sujet de la dynamique paysanne au Sahel : « La dynamique des populations rurales et paysannes veut préserver et privilégier son caractère villageois, donc communautaire...Pour le moment, le paysan des savanes ne se voit pas en dehors des dynamiques villageoises ». Le même constat fait par Georges Kossi Kenkou (1994 : 751) dans la région nord du Togo et sud du Burkina Faso au sujet des coopératives de pêche l'amène aux conclusions suivantes : « Elles (les communautés rurales africaines) favorisent la conscience de l'intérêt communautaire au détriment de l'égoïsme lié à l'évolution des intérêts individuels et particularistes. Dans cette optique, elles entretiennent un ensemble de réseaux d'obligations sociales, chargées d'amener l'individu ou les groupes d'individus à matérialiser les formes de solidarité requises par les coutumes locales ». La gestion communautaire de moulins se présente bien comme un domaine de réseaux d'obligations en vue de la bonne marche du projet.

    A la fonction de rencontre s'ajoute celle de réaliser une interdépendance entre les villages qui finit par s'étendre à la ville.

    24 L'expression « kukon'a pan » est une abréviation du proverbe san « kukon'a pan ma'a tii, ma'a nyan yu wa » qui se traduit par « La calebasse commune peut se salir mais ne doit pas se briser ». Ce proverbe traduit le souci de l'entretien et de la protection du bien commun entendu comme objet matériel (ex. le moulin) ou valeur (la solidarité, l'unité...). La calebasse symbolise la fragilité du bien commun qui nécessite protection.

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    c) Interdépendance entre villages.

    C'est la mobilité géographique occasionnée par le moulin en vue d'accéder à la mouture mécanique qui crée les relations entre individus de villages différents. Il n'est pas rare de constater au moulin que, de façon informelle ou organisée, une considération est faite à l'égard de ceux qui viennent de loin. C'est ainsi qu'à Sien où un moulin fut implanté avant des villages alentours tels que Nyon (4 km) et Nième (2 km) la priorité était accordée aux femmes venant de ces villages avant les ressortissantes de Sien. Cette pratique de solidarité attirait davantage les femmes de ces villages et créait surtout un climat d'entente entre les villages. Bien sûr, avoir un moulin est aussi signe d'indépendance vis à vis des autres villages. Mais nous ne devons pas perdre de vue cette fonction d'intégration inter-villages du moulin. La gestion des moulins par les femmes a créé des rapprochements entre différents groupements féminins à travers des échanges d'expériences de gestion.

    Par ailleurs, au regard de Toma faisant office de ville par sa fonction administrative et sa taille par rapport aux autres villages du département, nous pouvons dire que le moulin établit un rapport entre ville et campagne. En effet, les réparateurs de moulin, le gas-oil, les pièces des moulins se trouvent dans cette ville. D'autre part c'est dans cette même ville que les femmes parties pour moudre leurs grains profitent en même temps pour s'approvisionner de produits pour leurs foyers.

    Tous ces exemples nous montrent combien est important le rôle social du moulin dans les communautés villageoises. Le moulin réalise le lien social. Les aspects économiques de cette fonction complètent l'analyse socio-anthropologique que nous faisons du rôle du moulin.

    D) La fonction économique du moulin.

    La présentation des données sur les activités génératrices de revenus et les échanges commerciaux au moulin, nous a permis d'apprécier combien ceux-ci lui donnent une fonction économique importante. Un aspect central de notre problématique de l'impact du moulin sur la vie des femmes s'en dégage : celui de l'accès des femmes à l'argent. Le moulin, tout en exigeant de l'argent des femmes, leur donne également accès à l'argent en leur faisant entreprendre des initiatives commerciales (Cf. Chapitre 4).

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    La question de l'accès des femmes à l'argent est une question fondamentale dans la plupart des pays en développement, en particulier dans les zones rurales. Bien souvent nous avons tendance à confondre les termes accès et accumulation lorsqu'il s'agit de ce sujet. Abega (cité par Abe'ele, 1999 : 117) établit la distinction suivante entres ces expressions : « L'accumulation a trait aux sommes ou plutôt à l'importance des sommes, l'accès simple ouvre la voie à l'échange monétaire et permet de se procurer les produits manufacturés indispensables : sel, savon, pétrole, frais médicaux, frais de transport ». Nous pouvons penser que le moulin rend les femmes pauvres si nous nous engageons sur la piste de l'analyse prenant en compte l'accumulation. Les femmes elles-mêmes font cette analyse lorsqu'elles affirment ne plus pouvoir économiser leur argent. Mais de quoi les femmes ont-elles besoin au village ; d'accumuler ou bien de trouver régulièrement le nécessaire pour résoudre leurs problèmes financiers ? Au village, ainsi que notre observation de terrain nous a permis de le constater, les femmes souhaitent avoir de l'argent qui leur permette de faire face à leurs problèmes quotidiens tel que l'argent de la mouture des grains. Le bon déroulement des AGR est une solution à la question de l'accès des femmes rurales à l'argent. Ces AGR, bien que de faible rémunération, apportent un changement à la condition des femmes. Toutefois, il reste vrai que les mutations technologiques du monde rural sont plus accélérées que l'évolution de la condition féminine qui est conditionnée par le système social, les représentations, etc.

    Toujours dans ce volet économique, une autre fonction du moulin est de créer de l'emploi. Des mécaniciens de moulins aux gardiens des locaux, en passant par les meuniers, le moulin crée de nouveaux rôles sociaux et réalise l'intégration sociale de plusieurs personnes. Rappelons que la question de l'emploi était, dans les années 70, au coeur de l'idéologie des technologies appropriées et constituait un motif de leur promotion. Bien qu'il s'agisse d'emplois à petite échelle, leur importance en milieu rural n'est pas moindre. Mais le moulin comme technologie appropriée pour femmes ne crée que des emplois masculins et non pas d'emplois féminins.

    Somme toute, les fonctions sociales du moulin le mettent au coeur de la réalité sociale quotidienne du monde rural comme un facteur de changement.

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    2. LE MOULIN, FACTEUR DE CHANGEMENT SOCIAL.

    Notre revue de littérature au chapitre I nous a déjà préparé à cette section de notre travail, en traitant de la problématique de l'innovation technologique dans la société et en présentant la technologie comme moteur principal du changement. La présente analyse qui s'appuie sur les théories du diffusionnisme et du dynamisme se recentre sur le moulin afin de l'appréhender comme facteur de changement : un changement qui s'apprécie du point de vue de la technique et de la structure sociale.

    L'introduction des moulins a d'abord apporté des changements techniques. Le passage de la meule de pierre au moteur en témoigne. Ce passage entraîne un certain nombre de manières de faire obligatoires : l'exigence de la mouture de grains secs oblige les femmes à sécher les grains après le décorticage. Le rendement en qualité de granulométrie est également différent (grains bien moulus au sortir du moulin).

    Ensuite un changement de modes d'organisation s'est aussi imposé avec l'adoption des moulins. Le moulin oblige à la mouture publique et commune par rapport à la meule. Les femmes doivent mieux organiser leur temps. De plus, par cette action commune, chaque femme devra réussir le passage de la responsabilité privée de sa meule à celle, commune, du moulin. Ainsi que l'a montré Nicolas Bricas (Cité par Treillon 1992 : 15) « l'introduction des moulins artisanaux correspond à l'apparition d'une économie marchande dans le système traditionnel domestique. Avec le broyage mécanique, une opération est désormais faite à l'extérieur de carré familial. Il y a d'une part transfert d'argent en échange du service et d'autre part, transfert de responsabilité dans le contrôle de la mouture ». Et Treillon de compléter : « D'un procédé entièrement maîtrisé par les femmes, on est passé à une opération maîtrisée par les hommes ». Le moulin, comme nouveauté ou encore modernité, introduit de nouvelles situations et de nouveaux rapports de travail. Un système se trouve ainsi touché. En effet, l'approche dynamique du changement fait appel à la modernité qui est selon Balandier (1985 : 14) « le bougé, la déconstruction et la reconstruction, l'effacement et l'apport neuf, le désordre de la création et l'ordre des choses encore en place. Elle bouleverse en même temps que la relation aux objets, aux instruments, aux hommes, les systèmes de valeurs et de repérage, les codes et les dispositifs inconscients qui règlent la quotidienneté ». L'organisation des groupements en vue de la gestion des moulins, l'apparition de nouveaux rôles et statuts sociaux, l'organisation même de la mouture sont là des exemples qui montrent que non seulement le système de

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    transformation des aliments a changé grâce au moulin mais encore d'autres éléments du système social san sont affectés. La plupart des innovations technologiques produisent cet effet. Un projet de mécanisation pour la fabrication du beurre de karité au Mali (les presses à karité), a donné l'occasion à Anne Biquard (1992 : 177) d'observer que les femmes, depuis cette innovation, « doivent acquérir de nouvelles compétences en mécanique, écriture et calcul, faire face aux nouvelles fonctions de travail (service non échangeable donc à rémunérer ), aux rapports différents avec l'outil de travail (son entretien coûte de l'argent de façon régulière) ». L'analyse systémique nous aide à comprendre cet entrecroisement de situations ; cette théorie selon laquelle le système social est une totalité dont les éléments sont en interaction. Ainsi le moulin n'a pas un impact sur les femmes seules mais également sur les hommes mis à contribution dans la paie de la mouture, impact touchant les familles et finalement tout le village et le département engagé dans un processus de développement.

    C'est au regard de ces différents aspects que nous pouvons dire avec Crozier et Friedberg (1972 : 383) que le changement est d'abord la transformation d'un système d'action. En d'autres termes, « pour qu'il y ait changement, il faut que tout un système d'action se transforme, c'est-à-dire que les hommes doivent mettre en pratique de nouveaux rapports humains, de nouvelles formes de contrôle social ». Cette théorie trouve bien son champ d'application avec le cas des moulins et nous avions déjà vérifié que le moulin réorganisait les rapports humains. En ce qui concerne les nouvelles formes du contrôle social leurs manifestations transparaissent dans la formation des rangs (afin d'obliger les déviants), le contrôle de la mouture et la gestion du produit du moulin à savoir l'argent. Les femmes contrôlent le meunier pour voir s'il écrase bien, le propriétaire du moulin contrôle le meunier par rapport à la collecte des sommes de mouture ; le meunier, les femmes, et ainsi de suite. Dans les groupements le système même de gestion est essentiellement contrôle. Les cahiers de comptes ne sont pas des outils de gestion mais des moyens (pour la plupart de ces femmes rurales analphabètes) pour dissuader les femmes de détourner l'argent de la mouture. A tour de rôle et en couple, les femmes surveillent la mouture et assurent les mesures ; à deux toujours elles doivent se rendre chez la trésorière-caissière pour l'enregistrement et tiennent informée la présidente ou son adjointe, etc. Dans un tel système, il est difficile d'amener les femmes du village à épouser les logiques comptables et de gestion. Un souci des femmes consiste par exemple à chercher à comprendre pourquoi le groupe précédent n'a pas fait autant de rentrée d'argent en caisse. Ce qui occasionne, bien entendu, des soupçons, des critiques et des

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    médisances. Nous en concluons alors que le moulin produit un système de contrôle social général, verticalement et horizontalement.

    Par ailleurs, les rapports sociaux conflictuels sont également au coeur de l'anthropologie dynamique. Nous avons déjà fait une analyse du conflit social dans la quatrième sous-section du Chapitre 4. Sans y revenir signalons que les conflits ont des fonctions dans la société ; il est alors vain de rechercher une société sans conflits. Ce serait tomber dans l'ancienne approche des sociétés traditionnelles considérées par certains anthropologues comme statiques par rapport aux sociétés modernes dont le conflit était facteur d'évolution.

    Il est un autre fait social qui accompagne les moulins et qui mérite analyse : c'est le phénomène d'une « masculinisation » de la mouture.

    3. LE MOULIN, UN ENJEU DES RAPPORTS SOCIAUX DE SEXES.

    Les rapports sociaux de sexes identifiés comme tels par les sociologues et anthropologues font partie intégrante de l'organisation sociale. En effet, les différentes sociétés du monde ont, dans leur mode d'organisation, réparti les rôles sociaux sur la base de critères (sexe, classes, âge,...) constituant une construction catégorielle qui réalise l'équilibre et la cohésion sociale. La meule en pierre, le moulin et l'activité de mouture n'échappent pas à ce modèle d'organisation. Aussi le constat de terrain nous a-t-il permis de nous rendre à l'évidence que le moulin est au coeur des relations de genre. Dans cette sous-section, nous exposerons la théorie du genre puis nous l'appliquerons à la réalité observée afin d'en dégager une grille de lecture.

    a). La théorie de base : l'analyse déterminée par le genre (gender analysis).

    Le concept de genre est utilisé en référence à l'expression anglo-saxonne gender qui renvoie au sexe social, c'est-à-dire à la construction sociale de catégories « femmes » et « hommes » (féminin, masculin) à partir de la différence des sexes biologiques. Cette catégorisation des sexes a une implication directe ou indirecte sur l'ensemble de la vie sociale : les rapports sociaux de travail (division sexuelle du travail), les habitudes alimentaires (interdits féminins), rituels, etc. Selon Boudon (1993 : 108), le terme de genre « a l'avantage, sur le mot sexe, de souligner la nécessité de séparer les différences sociales des différences biologiques ».

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    Les constructions ou théories sociologiques des catégories de sexe que nous appelons approche par le genre ou analyse déterminée par le genre (gender analysis) ont connu, depuis 1960, une évolution énorme avec la montée du mouvement féministe. « Pour les sociologues d'orientation féministe, la division sexuelle des tâches, loin d'être la conséquence naturelle de différences biologiques, a été construite et maintenue par la société » (Boudon 1993 :108). Selon cette théorie, le genre est une dimension fondamentale de toute organisation sociale.

    L'analyse déterminée par le genre est une démarche méthodologique de distinction des comportements masculins et féminins dans l'étude d'une réalité sociale. En effet le concept de genre focalise notre attention sur la répartition différentielle des rôles sociaux et des responsabilités entre les hommes et les femmes. Il s'agit avant tout d'une méthode comparative. Pour Florence Pinton (1992 : 202) « le genre apparaît donc comme un outil analytique efficace si l'on cherche à rendre compte de la différence des comportements au sein d'un groupe social et d'un groupe social à un autre ». Son avantage est d'éviter toute référence à un modèle normatif unique. Pour le cas que nous étudions, quelle analyse faire du passage de la mouture des grains des mains des femmes aux hommes ?

    b). « Masculinisation » d'une activité féminine ?

    Conformément à l'idéologie sous-tendant les technologies appropriées, le moulin est un outil conçu pour les femmes en vue d'alléger leur travail et de sauvegarder leurs forces physiques et donc leur santé. Seulement, sur le terrain la réalité est telle que ce sont les hommes qui sont propriétaires des moulins et qui vendent le service aux femmes.

    Les moulins dans le département de Toma, comme dans la plupart des régions du Burkina, ont fait de la mouture des céréales une activité masculine. Les hommes se sont accaparé les moulins et opèrent la mouture. Le cas le plus intéressant est celui du moulin du groupement villageois féminin de To récupéré en 1996 par le groupement des hommes sous le prétexte que les femmes n'arrivent pas à s'entendre pour son exploitation.

    Les causes de l'appropriation des moulins par les hommes peuvent être de plusieurs ordres. Parlant de l'accès des femmes au moulin au chapitre précédent, nous avons évoqué la raison financière et économique comme première explication au phénomène. Les femmes n'ont

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    pas d'argent et doivent, pour posséder un moulin, se mettre en groupe afin de bénéficier de l'appui d'une ONG. A présent, il nous faut aller plus loin pour comprendre le phénomène même du passage de la mouture des femmes aux hommes. Car même lorsque les femmes possèdent un moulin, c'est un homme qui exerce la fonction de meunier. Au-delà des questions mécaniques évoquées dans le cadre des représentations sociales, il nous faut interpréter ce fait social en rapport avec les relations de genre dans la société. La mouture des céréales est-elle ad aeternum le fait d'un seul et même sexe ou peut-elle, selon les circonstances, passer aux mains de l'autre sexe ou encore être pratiquée par les deux à la fois ?

    Dans la ligne de l'approche par le genre, moudre du grain n'a rien de masculin ni de féminin. L'attribution de cette activité à une catégorie relève purement d'une organisation sociale mise en place. Sur la base de cette organisation, la mouture des grains, comme l'ensemble des travaux ménagers, est culturellement attribuée à la femme dans presque toutes les sociétés à céréales. En ce qui concerne la société san, la lecture des deux mythes que nous avons présentés au chapitre 3, peut nous aider à comprendre l'organisation de celle-ci. On constate que tandis que l'un présente la mouture des grains comme une affaire entre hommes (le chasseur et son père), l'autre la présente comme une activité essentiellement féminine. Dans tous les cas nous pouvons supposer que les deux mythes font de l'activité de mouture une affaire de femme dans la mesure où le contexte du premier mythe est un contexte familial qui suppose la présence d'une mère puisqu'il y a un père et un fils. Ainsi, si dans la culture san les femmes écrasent les grains c'est en raison de leur fonction de mère nourricière comme cela est présenté dans le second mythe. Chez les Sanan, la meule comme la cuisine sont le domaine privé de la femme. Elles sont généralement situées au même endroit (Cf. Photo en annexe N°4). L'homme n'y a pas de place.

    Aujourd'hui avec les moulins, l'homme est aux commandes de la mouture sans que cela ne choque personne dans la même société san. Ce transfert de la mouture aux mains des hommes peut être expliqué par la théorie de la domination masculine qui a, comme d'habitude, écrasé les femmes surtout en milieu rural. Cette piste d'analyse s'appuie également sur les raisons économiques et attribue aux hommes le fait de ne rechercher que des opportunités laissant à la femme les tâches les plus pénibles. Déjà en 1948 Margaret Mead (éd. 1966 : 9) s'interrogeait en ces termes : « Comment en ce vingtième siècle où tant d'idées anciennes appellent une révision, l'homme et la femme peuvent-ils concevoir leur virilité et leur féminité ? L'homme est-il surdomestiqué, spolié d'un esprit d'aventure conforme à sa nature, enchaîné à

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    des machines ne représentant après tout qu'un perfectionnement des instruments - fuseaux et métiers à tisser, mortiers et pilons, bâtons à fouiller - caractérisant jadis le travail de la femme ? ». Le progrès dans la technologie des moulins à grains, (depuis les moulins à vent dont les meules étaient deux grosses pierres horizontales jusqu'au moulins motorisés dont certains conservent encore des meules de pierre), semble confirmer cette thèse de Mead. Le problème de fond est un rapport de sexes où la domination se manifeste à travers la recherche d'intérêts économiques.

    Dans ce rapport de sexes, l'un, le sexe féminin, est toujours perdant à cause du patriarcat25. Ces relations de genre marquées par la domination posent le problème de l'invisibilité économique de la femme à tous les niveaux. Même lorsqu'elles initient des activités génératrices de revenus, les femmes n'ont pas une bonne position sur le plan économique par rapport aux hommes parce que n'ayant pas la maîtrise des sources de revenus. Cette dernière s'explique aussi par l'accès limité des femmes aux moyens de production. Aujourd'hui encore en pays san, pour qu'une femme use d'une pioche ou d'une houe elle doit s'assurer que le mari ne l'utilise pas au même moment. Les instruments de production agricole sont exclusivement la propriété de l'homme qui en assure le contrôle.

    Par ailleurs, du moment que la mouture mécanique fait entrer un travail domestique dans une sphère marchande, il est récupéré par les hommes qui vendent le service aux femmes. Le moulin renforce donc la dépendance des femmes vis-à-vis des hommes. Même dans le cas des moulins GVF, les femmes sont obligées de recourir aux hommes qui exercent dans la société les métiers de mécaniciens ou d'aiguiseurs de meules. C'est pourquoi nous disons que l'étude des relations de genre montre une évolution vers un modèle de domination masculine sinon de marginalisation des femmes. Cette réalité interroge profondément sur l'apport des technologies appropriées conçues pour les femmes.

    En conclusion, il apparaît clairement que l'introduction de certaines technologies n'est pas sans entraîner ses propres problèmes. Le cas des moulins à grains dans le département de Toma est un exemple parmi tant d'autres en Afrique de l'Ouest où l'on constate une récupération par les hommes. La commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (1996 : 120) fait le même constat : « L'introduction de certaines techniques de production visant

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    à alléger les corvées des femmes a souvent conduit à un transfert d'emplois, de la gestion économique et du revenu potentiel des femmes vers les hommes ». Nous expliquons ce phénomène par la domination masculine très forte dans les sociétés concernées. Cette situation nous conduit à nous interroger sur la contribution des technologies appropriées à la promotion de la femme.

    4. TECHNOLOGIES APPROPRIÉES ET PROMOTION DE LA FEMME.

    L'étude des dynamiques de changement du milieu rural révèle que les conditions sociales et économiques de l'homme et de la femme évoluent à des rythmes différents. Bien plus, de nombreuses études sur les innovations technologiques dans le domaine agricole montrent que l'homme bénéficie de ces innovations plus que la femme. La plupart de ces études soulignent la marginalisation économique de la femme (A titre d'exemple Cf. les études de cas dans Bisilliat J., 1992, Relations de genre et développement. Femmes et sociétés, Paris, ORSTOM, 328 pages). Les exemples de la charrue, de la charrette puis du moulin actuellement nous semblent les plus pertinents dans le département de Toma. Cette appropriation des TA par les hommes signifie donc que le changement de technique peut participer du changement des rapports de domination et de soumission. Pourtant, il est évident aujourd'hui comme le note Riss (1989 : 37) que « la promotion de la femme passe par la révolution technologique qui lui laissera du temps libre, utilement employé pour parfaire sa culture, s'initier aux nouvelles méthodes d'exploitation du milieu et participer davantage à la vie publique du village ou de la ville ». Car aucune activité traditionnelle n'est immuable. L'évolution du mode de vie en relation avec la modernisation induit nécessairement des changements dans toutes les couches de la société depuis les villes jusqu'aux villages.

    L'exigence d'amélioration de la situation de la femme introduit le concept de promotion féminine. Le terme de promotion comprend ici un ensemble d'actes et d'attitudes visant à donner à la femme un statut et des conditions d'existence plus honorables que ceux qui sont actuellement les siens dans les différentes sociétés où elle fait face à la domination masculine et à l'invisibilité économique. Parmi les actes à poser à l'endroit des femmes rurales, le programme d'action de la conférence mondiale de la décennie des Nations Unies pour la femme (14 - 30 juillet 1980) [Cf. Division de l'Information économique et sociale 1980 : 18],

    25 Sociologiquement le patriarcat est une forme de famille fondée sur la parenté par les mâles (famille agnatique) et sur la puissance paternelle.

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    recommandait aux gouvernements de « mettre au point des techniques appropriées pour alléger la tâche des femmes », de « rechercher les moyens d'améliorer les conditions des femmes des campagnes et d'accroître leur rôle dans la collectivité ». Sont à noter dans la même ligne, l'exécution des programmes d'alphabétisation et de formation ainsi que l'amélioration des possibilités d'emploi. Ainsi, au-delà de la promotion des droits de la femme, - que l'on brandit souvent - la problématique de la promotion couvre la condition féminine dans toutes ces formes. S'agissant du sujet que nous traitons, l'action en faveur de la femme consiste à doter celle-ci de moyens technologiques dans le cadre de son travail domestique. Pour nous, établir un lien entre les technologies appropriées et la promotion de la femme c'est poser le problème de l'intégration des activités de la femme au processus global de développement.

    Les activités de développement doivent, aujourd'hui, apporter avec elles de nouvelles technologies capables de soulager la femme afin de diminuer le temps et l'énergie consacrés à son travail de femme. Autrement, ces activités nouvelles deviennent des contraintes supplémentaires sans bénéfice réel pour elle. Le moulin produit déjà suffisamment de contraintes pour les femmes rurales. C'est pourquoi, toute promotion de technologie appropriée devra tenir également compte de la question des sources de revenus.

    Il est cependant observé que les technologies existantes appropriées pour femmes participent déjà, à un certain degré, à l'amélioration de leurs conditions de vie et à leur émancipation. Buijsrogge (1989 :73) le fait remarquer quand il écrit au sujet des femmes sahéliennes : « Les femmes sont favorisées. Elles ne portent plus sur la tête. Il y a le moulin qui remplace la meule à bras ; avec les marmites en fonte, la cuisine est plus rapide ». Mais pour Buijsrogge le problème fondamental de la promotion des femmes demeure celui des relations de sexes : « Malgré tout, écrit-il, les problèmes restent toujours entre l'homme et la femme ». A la suite de cet auteur, nous affirmons que la promotion des femmes rurales passe surtout aujourd'hui par l'acquisition de nouveaux modes de connaissance que leur imposent les nouvelles technologies : savoir lire, écrire et s'initier à un nouveau système de gestion par la tenue de comptes. L'acquisition de ces nouvelles connaissances et nouveaux savoir-faire conduit les femmes à d'autres manières de penser, et les libère des carcans traditionnels de la domination masculine.

    Mais la promotion des femmes ne se fera jamais sans leur propre participation. Une certaine prise de conscience, individuelle ou communautaire, par les femmes de leur propre

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    situation les conduit nécessairement à vouloir l'améliorer. Ainsi en est-il, dans le cas du moulin, de l'insistance des femmes pour que leurs maris participent à la paye de la mouture des grains. En outre, le cadre associatif est un lieu possible de cette prise de conscience de la condition féminine ainsi que le soulignent Agulhon M. et Bodiguel M., (1981 :95) : « A la campagne, l'association est un moyen d'émancipation individuelle et collective » . Les associations sont un véritable cadre d'expression des femmes.

    Enfin la question de la promotion des femmes rurales reste liée également à celle du choix technologique. Ce choix doit être fait en fonction des contextes socioculturels et des nécessités. Les femmes de Sien disposent par exemple d'une décortiqueuse pour maïs alors qu'il leur faut une décortiqueuse pour petits grains (mil, sorgho). La conséquence est claire : cette machine ne fait que se rouiller et prendre de la poussière depuis son installation (au moins 4 ans) sans que personne ne propose de la revendre et de la remplacer par une autre plus adaptée au besoin des femmes. En somme, le choix du type de technologie peut la rendre appropriée ou pas.

    Conclusion partielle

    Pour terminer avec ce chapitre, retenons que les technologies appropriées pour femmes, comme outil de travail, opèrent de véritables changements sociaux dont les avantages ne sont pas pour les femmes seulement. Le contexte actuel de la domination masculine conduit à une appropriation des TA au détriment des femmes. En effet, le moulin a engendré une nouvelle division sexuelle du travail non plus en fonction du biologique ou de valeurs culturelles, mais sur la base d'intérêts économiques et financiers. C'est au coeur d'une telle réalité que la question de la promotion des femmes rurales se pose avant tout comme un problème de rapports sociaux avant d'être celui d'une dotation des femmes de moyens technologiques appropriés. Sortir du joug de la domination masculine et participer à leur propre autopromotion sont des nécessités qui s'imposent aujourd'hui aux femmes rurales.

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    CONCLUSION ET PERSPECTIVES

    1. CONCLUSION

    Lorsqu'on a déjà regardé le film Les dieux sont tombés sur la tête de Jamie Uys (1981), on comprend mieux comment un objet introduit dans un groupe social apporte les transformations les plus inattendues. Ces transformations affectent autant la structure de la société que les relations interpersonnelles et les comportements individuels. Dans un tel contexte, la taille de l'objet ingéré importe peu. Ce sont plutôt les fonctions que lui attribuent ses différents utilisateurs qui feront de lui un facteur de changement et lui donneront une importance dans la société. L'introduction et la présence des moulins dans le département de Toma s'appréhende dans la logique de la dynamique des sociétés qui sont de tout temps en mutation.

    La réflexion sur les technologies appropriées à partir du cas des moulins à grains prend sa source dans le constat de la condition de travail et de vie difficile des femmes rurales. Des efforts sont, certes, faits à plusieurs niveaux (ONG, Etat,...) pour améliorer cette condition de vie, mais il nous a semblé opportun de réfléchir sur les conséquences des technologies appropriées mises à la disposition des femmes pour leur promotion. D'où la question de départ qui a motivé cette recherche : Quel est l'impact du moulin à grains sur la vie sociale et économique des femmes dans le département de Toma ?

    Nous sommes partis des hypothèses suivantes :

    1. Le moulin allège le travail domestique des femmes.

    2. Le moulin permet aux femmes de réaliser un gain de temps tout en introduisant d'autres modalités de le gérer.

    3. Le moulin réorganise les rapports humains au village.

    4. Le moulin faisant intervenir l'argent, restructure l'économie villageoise et partant, induit des changements dans les perceptions, faits et pratiques gestionnaires.

    5. L'introduction et la présence du moulin apportent des changements dans les rôles et les places des femmes au sein des sociétés rurales et font apparaître de nouveaux rôles.

    Les résultats de la recherche révèlent plusieurs situations. Par rapport au travail domestique des femmes, il ressort que le moulin y introduit des mutations. D'abord le moulin transporte sur la place publique une activité jusque là exercée dans un contexte privé. Ensuite, il transforme l'économie domestique en une économie marchande. Quant au temps de travail, le

    130

    moulin fait gagner du temps aux femmes à cause de sa rapidité. Toutefois, il n'allége pas leur travail domestique, bien qu'il diminue la pénibilité du broyage des céréales. Au contraire, le moulin augmente la charge des femmes dans la mesure où le temps libéré est consacré aux multiples tâches ménagères et occasionne plus de travaux champêtres qu'auparavant. En outre, le moulin contraint les femmes à entreprendre des activités génératrices de revenus plus ou moins rémunérateurs.

    Sur le plan économique et financier, si le moulin par l'intermédiaire des activités génératrices de revenus, apporte une certaine autonomie financière aux femmes, il reste cependant vrai qu'il n'améliore pas leurs sources de revenus dans un contexte culturel où elles ne possèdent ni ne contrôlent les moyens de production. Toutefois, il a accru leur rôle productif. Ce qui confirme, une fois de plus, l'importance du rôle économique des femmes rurales. Mais ces dernières restent perpétuellement confrontées à des problèmes financiers, même pour pouvoir écraser les grains. Ainsi, le moulin, comme la plupart des nouvelles technologies de transformation agricole, produit dans les zones rurales des déséquilibres importants. Somme toute, ce dernier augmente les charges financières des femmes. De surcroît, il exige un investissement lourd et une gestion rigoureuse difficile à maîtriser par les groupements villageois féminins.

    Du point de vue des rapports sociaux, le moulin est une source de conflits et d'inégalités, mais il est aussi un facteur d'intégration sociale. Il renforce la solidarité et l'esprit communautaire au sein des groupements féminins. Réorganisant les rapports interpersonnels, le moulin apparaît comme un enjeu des rapports sociaux de sexe à l'avantage de la domination masculine. C'est là qu'il importe de s'interroger si le moulin est bien une technologie appropriée pour les femmes. Cette interrogation vaut autant pour d'autres technologies introduites en milieu rural, mais accaparées par les hommes. Dans un contexte où la lutte pour promotion des femmes prend de l'ampleur, le moulin, et généralement les technologies de fer, consacrent la soumission des femmes et la domination des hommes. Le moulin pose avec acuité la question de la libération des femmes dans une société construite par et pour les hommes.

    Comparativement à la meule de pierre, le moulin marque une évolution non seulement de la technologie mais encore de l'ensemble du département de Toma. Ce passage d'une technologie non mécanisée à une autre mécanisée constitue un véritable progrès dans la modernité que nous définissons ici comme un mouvement perpétuel de transformation

    131

    consistant à apporter du nouveau. Quels que soient les inconvénients du moulin, il n'y a plus de retour en arrière. Le département de Toma, comme tant de régions des pays du Sud, est engagé dans un processus de changement social à la fois technologique et culturel. C'est pourquoi nous considérons que cette recherche sur les technologies appropriées doit être ambitieuse pour aller au-delà du moulin à grains et embrasser toute la problématique du développement rural. Cette vision prospective nous conduit à faire quelques propositions.

    2. PERSPECTIVES

    L'historique des moulins (Chapitre 3) montre que ceux-ci n'ont pas été construits au départ dans l'objectif d'alléger le travail domestique des femmes, et leur diffusion obéit jusqu'à aujourd'hui une logique commerciale. Même dans les groupements féminins, on voudrait encore que le moulin réalise des objectifs financiers. Mais, la récupération des moulins par les ONG au profit des femmes impose aujourd'hui des choix stratégiques. En effet, si l'on veut que les moulins allègent le travail domestique des femmes, ils doivent être construits pour les femmes et en fonction des contextes sociaux locaux. C'est pourquoi, la simple reproduction du moulin par imitation est insuffisante. Il faut modifier sa conception en l'adaptant. Ceci dit, nous proposons quelques pistes de réflexion.

    + Par rapport à la mécanique.

    Nous avions déjà relevé que le système de démarrage à la manivelle est difficile et dangereux pour la santé. Il faudrait maintenant concevoir un modèle de moteur pouvant démarrer à clé ou par contact. De tels modèles existent déjà au Tchad et sont largement diffusés en milieu rural sahélien. Il s'agit notamment de la marque indonésienne ANDOURIA.

    Nous avions également constaté que le système de transmission (la courroie) comportait des risques. Il est possible de couvrir la courroie afin d'empêcher que les gens s'y accrochent ou qu'elle les cingle en cas de rupture. En outre, dans la mesure où le mouvement se transmet de plusieurs manières (courroie, chaîne et engrenage), nous proposons un système de transmission à engrenage avec embrayage permettant d'établir ou de supprimer le contact moteur-moulin. Ceci à pour avantage d'éviter que le moulin tourne à vide. La transmission à engrenage et le

    132

    démarrage à clé iraient ensemble. Les ingénieurs devront revoir à ce moment la question de la vitesse de rotation et de la puissance.

    Puisqu'il arrive que des objets (pièces de monnaie, clés ...), enfouis par mégarde dans les céréales, soient broyés et occasionnent le blocage du moulin, on peut envisager de mettre un tamis sur la trémie.

    Jusqu'ici, les petits modèles de moulins sont inexistants à Toma, faute d'électricité pour les alimenter. Mais, il n'empêche qu'on puisse amorcer une réflexion sur la possibilité de les mettre au service des ruraux, car ils sont intéressants pour l'exploitation familiale. En outre, l'électrification des zones rurales est aujourd'hui une urgence de développement.

    Enfin par rapport à la mécanique, le choix des moulins de qualité importe dans l'aide au développement de la zone rurale.

    + Par rapport à la gestion dans les GVF :

    Les ONG promoteurs de moulins imposent et insistent sur la gestion communautaire non pas pour aider les femmes, mais pour s'assurer du remboursement de leurs prêts avec intérêts (l'ADRTOM appliquait un taux de 7%). Mais nous signalons que la gestion communautaire n'est pas un passage obligé pour permettre aux femmes d'alléger leurs tâches. C'est même conditionner les femmes. Nous pensons qu'il faudrait faire un choix de priorité entre les aider à alléger leurs tâches et les amener à maîtriser les outils de gestion. Vouloir à tout prix une gestion communautaire se soldant en échecs, peut rendre une technologie inappropriée ; pourtant celle-ci peut s'avérer appropriée au contexte. C'est pourquoi, considérant la condition des femmes rurales, nous proposons que les ONG aident des individus parmi les femmes à acquérir les moulins, comme elles le font déjà pour les charrues et les charrettes des hommes.

    Dans le cas où ces deux objectifs seraient visés : gestion communautaire et service social de mouture, il faudrait revoir l'organisation des GVF et le système de gestion en exploitant les valeurs socioculturelles quant à la vie communautaire, au bien commun et aux moyens locaux de contrôle social. Ceci a pour avantage de les assouplir et de débarrasser les femmes, majoritairement analphabètes, de la kyrielle de papiers de gestion.

    133

    + Par rapport aux sources de revenus

    Les ONG devront aider les populations qu'elles encadrent à trouver et à créer des sources de revenus. C'est pourquoi tout projet d'innovation technologique doit insister sur les moyens de fonctionnement, d'entretien et de prise en charge. Sans cela, l'aide au développement risque de ne pas atteindre son objectif premier qui est d'améliorer les conditions de vie des populations. Elle créerait plutôt des problèmes.

    + Par rapport aux fabricants de moulins

    On observe que les fabricants locaux de moulins se débrouillent individuellement dans l'informel sans grands moyens d'innover. Nous pensons qu'il est possible, dans le cadre des programmes de soutien aux PME, de les regrouper et de leur donner les moyens nécessaires (formation, finance et matériel) à la fabrication des modèles adaptés aux besoins locaux. Il est également opportun d'organiser des journées technologiques, à l'instar des semaines nationales de la culture, afin de promouvoir l'innovation technologique. De telles solutions permettent de stimuler l'initiative locale et de répondre aussi bien aux besoins de la zone rurale et que de la ville. Ce faisant, on consolide le tandem technologie appropriée - développement.

    + En vue du changement social

    De nos jours, la nécessité d'oeuvrer pour le développement rural devrait conduire les chercheurs et les agents de développement à une lutte contre les inégalités sociales, et à une recherche plus approfondie en vue de l'intégration des activités des femmes au processus global de développement.

    134

    A N N E X E S

    135

    LISTE DES ANNEXES

    ANNEXE 1 : Région d'intervention de l'ADRTOM.

    ANNEXE 2 : 1. Population du Nayala par département 2.Répartition de la population par village.

    3. Population de la Commune de Toma par secteur.

    ANNEXE 3 : Broyeur à marteaux.

    ANNEXE 4 : 1. Cuisine de femme en pays san.

    2. Alignement de meules dans un vestibule.

    ANNEXE 5 : SIDI, le tourneur.

    ANNEXE 6 : QUESTIONNAIRES.

    1. Questions adressées aux femmes.

    2. Questionnaire / chefs de ménages.

    3. Questionnaire-meuniers.

    4. Questionnaire / propriétaires de moulins.

    136

    Annexe 1 : Région d'intervention de l'ADRTOM

    Annexe 2 :Répartition de la population 1.Population du Nayala par département

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    E ET DE LA-SECURTTE

    PROVINCE DU NAYALA

    RECENSEMENT ADMINISTRATIF DE LA POPULATION (mars 1998

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    ! ! ! ! ! !

    ! ---! ! ! ! !

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    138

    2.Répartition de la population par village.

    3. Population de la Commune de Toma par secteur.

    RÉSULTATS DU RECENSEMENT ADMINISTRATIF DE LA POPULATION DU NAYALA TENU DU 1ER AU 30 MARS 1998

    COMMUNE DE TOMA

    fie[ ; REPARTTION DE Lk POPULATION PAR I TOTAL I TAUX DE

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    137

     

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    88

     

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    115

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    582

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    1

    087

    !06 SECTEUR VII

    55

    !

    203

    !

    338

    I

     

    596

    I07 SECTEUR VII

    171

    1

    672

    1

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    I

    1

    772

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    Fait Toma, 10_-06 Avril 1998

    / ~J1NCf

    LE HAUT C,OMMTSSATR '

    Administra `éur

    139

    ro

    140

    Annexe 3:Broyeur à marteaux

    Annexe 4 : Meules de pierre et cuisine.

    1.Cuisine de femme en pays san

    Photo Jn. P. Ki. Sien, le 3/9/1999.

    On remarque au fond à gauche la meule de pierre ; au fond à droite, les marmites pour la préparation ; à droite, le foyer.

    2. Alignement de meules dans un vestibule.

    Photo Jn. P. Ki. Sien, le 3/9/1999.

    141

    142

    Annexe 5 : SIDI, le tourneur.

    Photo Jn. P. Ki. Bobo-Dioulasso, le 24/8/1999.

    NB. : Sidi est fabricant de moulins depuis 1983. Ici, il tient en mains l'axe d'un moulin qu'il vient de fabriquer.

    143

    Annexe 6: Questionnaires.

    1. QUESTIONS ADRESSEES AUX FEMMES

    1.a) Nom et Prénoms b) âge .

    c) Profession ..d) Statut : Mariée ? Célibataire ?

    e) Nombre d'enfants f) Nombre de personnes à charge

    2. Quels sont, selon vous, les étapes de la préparation alimentaire au pays san (ex: le tô) ?

    3. Combien de temps peuvent prendre le pilage du mil et le décorticage?

    4. Combien êtes-vous d'habitude à piler ?

    5. Quelle quantité pilez-vous d'habitude ?

    6. Quel numéro de marmite utilisez-vous ?

    7. Quels moyens existent au pays san permettant à la femme de broyer les grains ?

    8. Quel est le moyen le plus rapide ?

    9. Quels sont les avantages du pilage ?

    10. Quels sont les inconvénients du pilage ?

    11. Quels sont les avantages de la meule ?

    12. Quels sont les inconvénients de la meule ?

    13. Quels sont les avantages du moulin ?

    14. Quels sont les inconvénients du moulin ?

    15. Quel moyen utilisez-vous habituellement pour moudre vos grains ?

    - Uniquement la meule ? - Uniquement le moulin ?

    - La meule et le moulin ?

    16. Depuis combien d'années utilisez-vous ce moyen ?

    17. Pourquoi utilisez-vous ce moyen ?

    18. Combien de francs dépensez-vous à chaque mouture au moulin ?

    19. Qui paye habituellement la mouture ?

    20. Que faites-vous pour avoir l'argent de la mouture des grains ?

    21. Combien de fois apportez-vous des grains au moulin par semaine ?

    22. Qu'avez-vous remarqué ou entendu qui se passe souvent au moulin ?

    23. Depuis qu'un moulin existe dans le village, quels changements avez-vous remarqués ?

    24. Etes-vous satisfait du fonctionnement de votre moulin ou des moulins dans le village ?

    25. Pourquoi ?

    26. Depuis combien d'années existe-t-il un moulin dans le village ?

    27. Depuis quand avez-vous cessé d'utiliser la meule ?

    144

    2. QUESTIONNAIRE / CHEFS DE MENAGES

    1. Nom Prénoms .Age

    Profession Statut : Marié ? Célibataire ?

    Nombre d'enfants Nombre de femmes

    Nombre de personnes à charge

    2. Quels sont selon vous les avantages du moulin à grains ?

    3. Quels sont ses inconvénients ?

    4. Aidez-vous votre femme à payer la mouture du grain au moulin ?

    5. Combien donnez-vous par semaine ?

    6. Pensez-vous que les femmes ont suffisamment d'argent pour payer elles-mêmes la mouture des grains ?

    7. Quels changements avez-vous remarqués chez les femmes du village ?

    8. Pensez-vous que le moulin soit uniquement l'affaire des femmes ?

    9. Quels problèmes le moulin crée-t-il au niveau de votre famille ?

    10. Quels changements avez-vous remarqué chez votre femme depuis l'arrivée du moulin dans le village ?

    145

    3. QUESTIONNAIRE / MEUNIERS

    1. Nom . Prénoms Age

    2. Niveau d'études

    3. Depuis quand es-tu meunier ?

    4. As-tu reçu une formation de meunier ?

    5. Où et quand ?

    6. Quelle a été la durée de cette formation ?

    7. Sur quoi a porté cette formation ?

    8. Quelles sont tes difficultés dans ce travail de meunier ?

    9. Combien te paie-t-on par mois ?

    10.Que fais-tu d'abord quand tu viens chaque jour au moulin ?

    11. Quand le moulin tombe en panne, que fais-tu ?

    12. Que font les femmes quand elles viennent au moulin ?

    13. Selon toi, que devraient-elles faire pour la bonne marche du moulin ?

    14. Qu'y a t-il de dangereux au moulin pour toi et pour les gens pendant la mouture ?

    15. A quelle heure ouvres-tu et fermes-tu le moulin ?

    146

    4. QUESTIONNAIRE / PROPRIETAIRES DE MOULINS

    1. Nom Prénoms Profession

    Sexe Age

    2. Depuis quand possédez-vous un moulin ?

    3. Quelles les marques du moulin et du moteur ?

    4. Connaissez-vous d'autres marques ?

    5. A combien avez-vous acheté l'ensemble moulin-moteur ?

    6. Quels sont selon vous les avantages du moulin ?

    7. Quels sont ses inconvénients ?

    8. Avez-vous déjà pensé à peser un jour les quantités que votre moulin écrase ?

    9. Que font les gens quand ils viennent au moulin chez vous ?

    10. Quels problèmes techniques votre moulin a-t-il régulièrement ?

    11. Quels sont les critères de choix de votre meunier ?

    12. A t-il reçu une formation ?

    13. Quelle a été la durée de cette formation ?

    14. Si vous deviez acheter un autre moulin, choisiriez-vous la même marque ?

    15. Pourquoi ?

    16. A qui profite votre moulin ?

    17. Quelles sont vos heures d'ouverture et de fermeture du moulin ?

    18. Avez-vous un mécanicien précis ?

    147

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    TABLE DES TABLEAUX

    Tableau 1: Répartition des précipitations dans le département de Toma sur 4 ans. 42

    Tableau 2: Répartition de la population des villages de notre enquête. 44

    Tableau 3: Calendrier des travaux champêtres. 49

    Tableau 4: Activités de l'emploi de temps des femmes sanan. 50

    Tableau 5: Nombre de moulins du Nayala par département. 51

    Tableau 6: Répartition des moulins du département de Toma par village. 65

    Tableau 7: Caractéristiques des moulins par typologie. 72

    Tableau 8: Moyenne des prix par mesure dans les villages (en f. CFA). 77

    Tableau 9 : Comparaison des gains et pertes des deux systèmes de mouture. 91

    Tableau 10: Dépenses mensuelles et annuelles de mouture par femme à Toma et dans les

    villages environnants. 97

    Tableau 11: Tarifs des moulins installés par l'ADRTOM. 102

    TABLE DES PHOTOGRAPHIES

    Photo 1 : Greniers en pays san. 43

    Photo 2: Pilon et mortier 60

    Photo 3: Meules « mère » et « fille » Photo 4: Mouture du mil. 61

    Photo 5. Femme san poinçonnant la meulette avec un totoarè 62

    Photo 6 : Moulin Diamant et moteur Lister. 70

    Photo 7. Abri d'un moulin à Nième avec citernes d'eau de refroidissement. 75

    Photo 8 : Mesure des grains. 79

    Photo 9: Marques laissées par le pilon sur la main. 88

    Photo 10. Rang au moulin à Koin 93

    TABLE DES CARTES

    Carte 1 : Localisation de la province du Nayala au Burkina Faso. 39

    Carte 2 : Localisation du département de Toma. 40

    Carte 3 : Carte du pays san 46

    TABLE DES ANNEXES

    Annexe 1 : Région d'intervention de l'ADRTOM. Erreur ! Signet non défini.

    Annexe 2 :Répartition de la population 137

    Annexe 3:Broyeur à marteaux 140

    Annexe 4 : Meules de pierre et cuisine. 141

    Annexe 5 : SIDI, le tourneur. 142

    Annexe 6: Questionnaires. 143

    157

    TABLE DES MATIERES

    SOMMAIRE 1

    DÉDICACE 4

    REMERCIEMENTS 5

    SIGLES ET ABRÉVIATIONS 6

    INTRODUCTION GÉNÉRALE 7

    1. CONSTAT 7

    2. CHAMP ET OBJECTIF 8

    3. PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHESES 8

    4. METHODOLOGIE ET APPROCHE DU SUJET 10

    CHAPITRE 1 : APPROCHE THÉORIQUE DE LA

    TECHNOLOGIE ET DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES 12

    1. APPROCHE NOTIONNELLE DE LA TECHNOLOGIE. 12

    a). Aux sources du mot « technologie ». 12

    b). Évolution du concept. 13

    + La technologie comme un ensemble d'objets matériels 13

    + La technologie, ensemble d'objets immatériels. 14

    c).Technologies anciennes et technologies nouvelles. 16

    2. LE RAPPORT TECHNOLOGIE ET SOCIÉTÉ 18

    a). Société et culture matérielle. 18

    b) Technologie, pouvoir et société 20

    c). Société et innovation technologique : la technologie comme facteur de changement 23

    3. PROBLÉMATIQUE DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES 28

    a). Contexte de naissance et philosophie des TA. 28

    b). Quelques nuances terminologiques 29

    + Technologies intermédiaires. 30

    + Technologies douces 31

    + Technologies alternatives 31

    c).TA et développement 32

    4. LES ASPECTS TECHNIQUES DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES 33

    a) Typologie 33

    b) Problèmes techniques 34

    158

    5. LES ASPECTS SOCIO-ÉCONOMIQUES DES TA 34

    a). La question des transferts 34

    b). Les effets sur la production, les échanges et la consommation 36

    CHAPITRE 2 : PRÉSENTATION DU SITE D'ÉTUDE : LE

    DÉPARTEMENT DE TOMA. 38

    1. LE MILIEU NATUREL. 41

    a). Relief 41

    b). Climat 41

    c). Végétation, sols, hydrographie. 43

    2. LES ASPECTS SOCIO-DÉMOGRAPHIQUES ET ÉCONOMIQUES 44

    a). Population 44

    b). Organisation socio-politique. 47

    c). Organisation économique. 48

    d). Système de parenté chez les Sanan 51

    3. RÉALISATIONS EN MATIERE DE DÉVELOPPEMENT 52

    CHAPITRE 3 : TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES DE

    MOUTURE DES CEREALES 55

    1. LES TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES ANCIENNES DE MOUTURE 55

    a). Les origines de la technique de mouture des grains chez les Sanan 55

    + Premier récit. 56

    + Deuxième récit 56

    b). Instruments et techniques de mouture. 58

    + Le mortier et le pilon (cf. photo n°2) 59

    + La meule en pierre. (cf. photos N°3 et 4) 60

    + Le balai et Le tamis 61

    + Le totoarè, instrument d'habillage de la meule. 62

    + Des techniques du corps 63
    2. LES MOULINS, TECHNOLOGIE NOUVELLE DE MOUTURE DES

    GRAINS. 64

    a). Présentation et répartition des moulins dans le département de Toma 64

    b). Typologie des moulins motorisés dans le département. 66

    + Le moteur Lister et ses dérivées. 67

    159

    + Les moulins à meules. 68

    + Les moulins à marteaux (cf Broyeur, annexe 3) 70

    + Moulins individuels et moulins d'associations. 72

    3. LE SYSTEME DE MOUTURE DES GRAINS DANS LES VILLAGES. 74

    a). Les locaux des moulins 74

    b). Les heures de travail 75

    c). Ordre et rang au moulin. 76

    d). Rapport quantité - prix 76

    e). Organisation des mesures et stratégies. (Cf. Photo n°8) 78

    4. LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUTOUR DU MOULIN 79

    CHAPITRE 4 : IMPACT DU MOULIN SUR LA VIE DES

    FEMMES DANS LE DEPARTEMENT DE TOMA. 84

    1. IMPACT D'ORDRE PHYSICO-BIOLOGIQUE. 84

    2. LE TEMPS DE TRAVAIL FÉMININ 88

    a). Gain de temps par rapport à la meule. 89

    b). La gestion du temps libéré 93

    3. LES ASPECTS ECONOMIQUES DE L'IMPACT DU MOULIN. 95

    a). Les contraintes du moulin 95

    + Rapport rapidité - coût. 95

    + Les activités génératrices de revenus. 98

    b). Accès au moulin et appropriation par les femmes 100

    + Un accès quasi limité 101

    + Un accès par groupes 103

    + Difficile appropriation. 103

    4. LES ASPECTS SOCIAUX DE L'IMPACT DU MOULIN. 105

    a). Les tensions et conflits sociaux autour du moulin 105

    b). La différenciation sociale. 108

    c). Les nouvelles socialités 109

    d). Les rôles et places des femmes. 109

    + Les rôles. 110

    + Les places 111

    160

    CHAPITRE 5 : TECHNOLOGIES APPROPRIÉES POUR

    FEMMES ET CHANGEMENT SOCIAL 114

    1. LES FONCTIONS SOCIALES DU MOULIN. 114

    a). Le moulin comme outil 115

    b). Le moulin, moyen de la rencontre 116

    c). Interdépendance entre villages. 118

    d). La fonction économique du moulin 118

    2. LE MOULIN, FACTEUR DE CHANGEMENT SOCIAL 120

    3. LE MOULIN, UN ENJEU DES RAPPORTS SOCIAUX DE SEXE. 122

    a). La théorie de base : l'analyse déterminée par le genre (gender analysis). 122

    b). « Masculinisation » d'une activité féminine ? 123

    4. TECHNOLOGIES APPROPRIÉES ET PROMOTION DE LA FEMME. 126

    CONCLUSION ET PERSPECTIVES 129

    A N N E X E S 134

    LISTE DES ANNEXES 135

    BIBLIOGRAPHIE 147

    TABLE DES TABLEAUX 156

    TABLE DES PHOTOGRAPHIES 156

    TABLE DES CARTES 156

    TABLE DES ANNEXES 156

    TABLE DES MATIERES 157






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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery