WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Thomas Sankara et la condition féminine: un discours révolutionnaire?

( Télécharger le fichier original )
par Poussi SAWADOGO
Université de Ouagadougou - Maà®trise sciences et techniques de l'information et de la communication 1999
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE II :

LE DISCOURS FÉMINISTE.

Lorsque Sankara promet à ceux qui s'opposent à l'émancipation féminine « d'être écrasés », son discours même prend des allures de combat. Comme le définit si bien Monica Charlot, dans La Persuasion politique, l'affrontement des thèses politiques est destiné à dévaloriser l'adversaire et à conforter l'image ou la thèse défendue : « Attaquer et mettre l'adversaire en contradiction avec lui-même et avec les siens ; mettre la propagande de l'adversaire en contradiction avec les faits, ridiculiser l'adversaire ; faire prédominer un climat de supériorité. »137(*) Puisqu'il s'agit de défendre la cause des femmes en lui attirant la sympathie du peuple burkinabé, Sankara va construire une image spécifique de la femme à l'intérieur de ses discours, une représentation précise sur la base d'un vocabulaire engagé.

2.1. L'IMAGE DE LA FEMME DANS LE DISCOURS SANKARISTE.

La femme est omniprésente dans le discours du 8 mars 1987 intitulé « la libération de la femme, une exigence du futur ».138(*) Sankara ponctue son texte du mot femme : il emploie 309 fois le mot femme(s). Cela représente 10,76% du total des substantifs utilisés (2870). Le mot homme(s) revient seulement 111 fois (3,86%). Pour éviter une extrême redondance dans l'emploi du mot femme(s) et pouvoir du même coup s'y référer, Sankara fait usage de mots de la même famille, évoquant une personne de ce sexe. Ainsi des mots comme « féminin », « féminisme », « féministe », « épouse », de « compagne » reviennent 73 fois dans ce discours du 8 mars 1987. A cela s'ajoutent les pronoms qui se substituent au nom « femme (s) » tels que « elle (s) » (51 fois ) et « vous » (45 fois).

L'ampleur de ces emplois et leur régularité traduit bien l'importance du thème dans le discours. Mais ce mot femme n'est pas employé isolément : il se construit dans les phrases à l'aide de qualifications. Il entre dans des réseaux lexicaux d'opposition et d'association. Il est utile dans notre recherche, de fonder l'analyse de l'image de la femme créée par Sankara sur des repérages sémantiques.

En effet, le mot femme s'accompagne de qualificatifs nombreux, il entre dans un couple antinomique homme-femme, il s'est supporté par un ensemble de métaphores de diverses origines. Ainsi, il est possible, à partir de cette enquête au niveau des emplois du mot dans le discours sankariste, de relever des images différentes de la femme dont Sankara tire argument : l'image de la femme victime et celle de la femme coupable. Toutefois ces deux constructions ne seraient que partielles, incapables de rendre compte de ce que Sankara appelle « la complexité » de la femme, si le tribun ne se chargeait de faire un portrait positif de la femme à l'image d'une révolution culturelle qu'il défend.

2.1.1. La femme victime

La femme subit un système injuste que cherche à démontrer Sankara. Pour permettre à son auditoire de visualiser cet état de soumission, le leader use de métaphores nombreuses. La plus caractéristique reste celle de l'animal destiné aux plus durs travaux. Dans son discours du 8 mars 1987, il emploie cette métaphore aux fins de mieux convaincre : « Le poids des traditions séculaires de notre société voue la femme au rang de bête de somme »139(*) La femme est assimilée à une « bête de somme » c'est-à-dire à un animal employé à porter des fardeaux. Cette figure de la ressemblance que constitue la métaphore établit une relation de similitude et confère une portée illimitée du message.140(*)

Par un système de réseaux d'associations et de qualifications, Thomas Sankara arrive à montrer la lourdeur du joug qui pèse sur la femme. Dans le discours du 8 mars 1987, les femmes sont associées ou même assimilées à « l'ouvrier », aux « prolétaires », à une « bête de somme », à des « biens vulgaires », à un « objet de tractation »141(*) «  à un instrument diabolicum. »

Cette manière d'identifier la femme conduit à son « ostracisme »142(*) dans la société. Elle devient par conséquent un être second « subjugué », « discriminé », « frustré » et « congédié » assumant des « fonctions subalternes ». Sankara précise que cet être « taillable aux champs et corvéable au ménage »143(*) est aussi victime de la malnutrition, de la mortalité et de l'analphabétisme. Des accumulations hyperboliques contribuent à représenter cette situation. Ainsi, Sankara, affirme-t-il à propos de la femme : « Pilier du bien être familial, elle est accoucheuse, laveuse, balayeuse, cuisinière, ménagère, matrone, cultivatrice, guérisseuse, maraîchère, pileuse, vendeuse, ouvrière. »144(*)La succession de ces termes crée un effet d'entassement, à la mesure de l'ampleur des tâches dévolues à la femme dans la structure sociale; et ce, en contradiction avec le mépris dans lequel elle est reléguée. Le même procédé se retrouve autour de la métaphore de la roue, utilisée avec talent par Sankara. « Roue de fortune, roue de friction, roue motrice, roue de secours, grande roue. »145(*) Cette répétition anaphorique contribue à forger l'image d'une femme essentielle à la société, mais victime des préjugés. La femme est dominée, exploitée, opprimée et rendue esclave de la société entière. Pour l'exprimer, les termes « domination », « exploitation », « oppression » et « esclave » et leurs dérivés sont employés de façon régulière (69 fois dans le seul discours du 8 mars 1987 )

Dans cette construction de l'image de la femme victime, Sankara privilégie le rapport antithétique du couple homme-femme. « Ainsi, à travers les âges et à travers les types de sociétés, la femme a connu un triste sort : celui de l'inégalité toujours confirmée par rapport à l'homme. »146(*)

Dans la vision Sankariste, l'époque historique, depuis l'apparition de la propriété privée à nos jours, est marquée par l'asservissement de la femme. Pour ce qui concerne la société féodale, le tribun révolutionnaire, par une hyperbole traduit l'exploitation de la femme : « dans la société se basant sur la prétendue faiblesse physique ou psychologique des femmes, les hommes les ont confirmés dans une dépendance absolue de l'homme. »147(*) L'adjectif « absolue » dénote d'une absence totale de liberté féminine. Pour Sankara, les femmes constituent au Burkina Faso et ailleurs une majorité silencieuse, exclue du pouvoir et du savoir. Devant l'Assemblée générale des Nations Unis en 1984, il proclame : « je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d'un système d'exploitation imposé par les mâles. »148(*) Il faut noter que le couple antinomique homme-femme se transforme en mâle-femme, ce qui implique dans le discours une volonté d'user de terme péjoratif pour qualifier l'adversaire naturel de la femme. Sankara manque d'objectivité et insuffle à sa représentation un caractère polémique. Il poursuit en indiquant que « la condition de la femme est par conséquent le noeud de toute la question humaine, ici, là-bas, ailleurs. Elle a donc un caractère universel. »149(*) L'emploi du présent omnitemporel confère à l'universalité de la condition féminine une notion d'éternité. C'est dire la tâche ardue à laquelle s'est attelée Sankara.

* 137 CHARLOT(M), La Persuasion politique, Paris, A. Colin, 1990, p 24

* 138 GAKUNZI(D), op. cit., pp. 221-245

* 139 GAKUNZI(D), op. cit., p. 63.

* 140 BACRY (P), Les figures de styles, Paris, Belin, 1992, p. 38.

* 141 Le changement du caractère de la « dot » coutumière, évaluée en monnaie et tend à devenir un simple prix. Certains mariages prennent l'allure d'une vente (Dictionnaire des civilisations africaines, Paris, Fernand Hazan éditeur, 1968, p. 151.)

* 142 GAKUNZI(D), op. cit., p. 237.

* 143 GAKUNZI (D), op. cit., p. 231.

* 144GAKUNZI (D), op. cit., p. 231.

* 145 GAKUNZI (D), op. cit., p. 231.

* 146 GAKUNZI(D), op. cit., p. 225.

* 147 GAKUNZI (D), op. cit., p. 225.

* 148 GAKUNZI (D), op. cit., p 103.

* 149 GAKUNZI (D), op. cit., p. 223.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway