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Thomas Sankara et la condition féminine: un discours révolutionnaire?

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par Poussi SAWADOGO
Université de Ouagadougou - Maà®trise sciences et techniques de l'information et de la communication 1999
  

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AVANT-PROPOS

Historien de formation et communicateur en formation, nous voulons, de façon modeste participer au travail de mémoire que chaque pays doit engager sur sa propre culture et son histoire, même la plus récente. Les réserves, les silences observés en ce qui concerne la période de la révolution sankariste, le manque d'archives et de documents journalistiques sur cette tranche historique ont rendu plus ardue notre recherche.

Notre ambition de départ a été d'analyser le discours sankariste sur les paysans et les femmes, groupes défavorisés des régimes antérieurs. Mais au cours du travail de recherche et de sa réalisation, nous nous sommes aperçu de l'énormité de la tâche que cela exigeait. C'est ce qui nous a conduit à recentrer notre problématique sur le discours féministe de Thomas Sankara.

Notre travail a relevé d'un champ pluridisciplinaire, histoire, littérature, politique et information ;ce qui peut constituer une référence méthodologique pour les professionnels de l'information en situation d'analyse de discours politique.

Nous sommes conscient des limites de notre travail. Ces limites sont inhérentes au temps, à la documentation, aux moyens matériels et intellectuels qui ont été les nôtres. Non-spécialiste de l'analyse de discours, nous ne prétendons pas en avoir maîtrisé tous les contours.

Nous espérons toutefois que notre humble contribution servira aux journalistes, aux universitaires et à tous ceux qui s'intéressent au discours politique. Seules l'objectivité, la sincérité et la rigueur nous auront servi d'armes dans notre démarche.

INTRODUCTION

Poser une problématique sur la condition féminine en Afrique trouve sa raison d'être dans la résurgence actuelle des débats sur la condition de la femme : lutte contre l'excision, combat pour l'émancipation politique, l'indépendance économique et l'augmentation du taux d'instruction des femmes, en somme pour une discrimination positive à l'égard des femmes, condition d'une égalité entre les sexes. Nous avons choisi d'analyser dans cette perspective les discours de Thomas Sankara, président du Burkina Faso de 1983 à 1987, personnage central de la révolution burkinabé. Peu d'études ont été consacrées à ses discours. En effet, seules des biographies1(*) ont été écrites mettant en relief son rôle politique dans l'histoire du Burkina Faso. D'autre part, aucune des analyses portant sur la révolution burkinabé ont abordé en profondeur le thème de la condition féminine.

Compte tenu de l'organisation hiérarchique du Conseil National de la Révolution (CNR), instance suprême de la Révolution Démocratique et Populaire (RDP) avec à sa tête un seul chef, le capitaine Sankara, il paraît légitime de prendre les discours prononcés par ce leader comme clé de voûte idéologique de ce régime révolutionnaire.

Le sankarisme se présente comme un mouvement de pensée marxiste - léniniste, prônant une révolution prolétaire, paysanne, jeune et féministe. La Révolution démocratique et populaire est le régime instauré par le Conseil National de la Révolution sous la direction de Thomas Sankara du 4 août 1983 au 15 octobre 1987.

La RDP s'affiche comme nationaliste et anti-impérialiste. Cette attitude politique s'exprime clairement dans la devise du mouvement : « la patrie ou la mort, nous vaincrons ! ». Les jeunes capitaines qui dirigent le Burkina Faso se donnent quatre principes : « la défense de la patrie (territoire), la défense des intérêts de classe, la défense du pouvoir populaire, la défense de l'internationalisme prolétarien2(*) ». Le but est de donner le pouvoir aux groupes sociaux défavorisés : paysannerie, prolétariat, femmes, jeunesse.

La RDP propose la construction d'un nouvel ordre social : « Le caractère démocratique de cette révolution nous impose une décentralisation et une déconcentration du pouvoir administratif afin de rapprocher l'administration du peuple, afin de faire de la chose publique une affaire qui intéresse tout un chacun »3(*), affirme Thomas Sankara. C'est ainsi qu'une structure politique décentralisée est mise en place : les Comités de Défense de la Révolution (CDR) représentent le pouvoir dans les villages. « Les armes du Peuple, le pouvoir du peuple, les richesses du Peuple ce sera le peuple qui les gérera et les CDR sont là pour cela »4(*).

Le C.N.R. cherche à instaurer une société révolutionnaire, ce qui est synonyme, pour ses membres, d'une société fondée sur la démocratie, la liberté et l'indépendance. Dans les discours révolutionnaires se forge peu à peu une vision manichéenne de la société burkinabé : d'un côté se trouvent les ennemis de la révolution, bourgeois, féodaux rétrogrades qui oppriment le peuple, de l'autre côté les forces connotées positivement composées de la classe ouvrière, de la petite bourgeoisie, de la paysannerie et du  « lumpen-prolétariat »5(*). La RDP se place résolument du côté du peuple et cherche à créer une identité révolutionnaire. Le révolutionnaire doit être un partisan du changement radical dans tous les domaines. Echo de l'image idéalisée du jacobin de 1793 en France, le révolutionnaire sankariste se veut un homme juste et intègre. Ce personnage s'inscrit dans une représentation de la société marxiste, austère et modeste dont la vertu même se trouve dans cette austérité. Il doit être proche des masses opprimées et exploitées et se met à leur service puisqu'il se présente comme leur défenseur. L'idéologie révolutionnaire invite même à développer une haine pour l'injustice, pour l'oppression, pour l'exploitation et à avoir la volonté de créer un ordre nouveau, une société libre et sans classe6(*). Thomas Sankara précise : « l'image du révolutionnaire que le C.N.R. entend imprimer dans la conscience de tous, c'est celui du militant qui fait corps avec les masses, qui a foi en elles et qui les respecte  »7(*). Sa seule préoccupation est de travailler, nuit et jour, au triomphe du matérialisme dialectique et du marxisme.

Le marxisme-léninisme se définit comme une idéologie qui combat toutes les formes d'injustices et d'exploitation : féodalité, impérialisme, capitalisme. Il se fonde sur le matérialisme historique et dialectique et s'attaque à l'exploitation de l'homme par l'homme. Il vise l'instauration d'une nouvelle société sans classe et sans Etat. Le règne du communisme est l'aboutissement de la lutte prolétarienne, étape qui ne devrait se réaliser qu'avec l'union de tous les prolétaires du monde entier. L'idéologie marxiste- léniniste a vu le jour au XIXe siècle avec les idées du philosophe allemand Karl Marx et de son ami Friedrich Engels. Deux ouvrages fondent le matérialisme historique : La Sainte famille (1845), L'Idéologie allemande (1845-1846) et le célèbre Manifeste du parti communiste (Londres 1848) qui expose les principes essentiels de la conception marxienne de l'histoire et de la lutte des classes. Leurs idées sont enrichies par Lénine au début du XXe siècle. Des révolutionnaires comme Mao Zedong en Chine populaire, Fidel Castro à Cuba, Thomas Sankara au Burkina Faso vont s'inspirer de ces idées donnant naissance au maoïsme, au castrisme et au sankarisme.

Thomas Sankara a guidé le destin du Burkina Faso de 1983 à 1987. Personnage clé en Afrique, il  « apparaît avant tout comme un révolutionnaire mû par une profonde imagination morale devant les innombrables injustices engendrées par l'impérialisme »8(*). Selon Ludo Martens, Sankara, particulièrement sensible à la misère des peuples africains, se présente comme un visionnaire, héritier de toutes les révolutions : américaine, française et soviétique. Il laisse l'image d'un dirigeant politique « qui, toujours avec sincérité, souvent avec candeur, parfois en prenant ses désirs pour des réalités, avait cru que la démocratie directe était possible »9(*). Ludo Martens, dans l'ouvrage qu'il consacre à la révolution burkinabé, met en lumière ce personnage politique admiré par les déshérités : « Par sa jeunesse, sa simplicité, sa fougue révolutionnaire, Sankara avait conquis le coeur du peuple burkinabé »10(*). Tous ses actes de gouvernement traduisent un volontarisme dynamique et combatif : « Militaire, il ressemblait, par la passion et la conviction qu'il mettait dans ses conversations, à l'étudiant gauchiste de mai 68. Même ses adversaires reconnaissaient son intelligence, la vivacité de son esprit, sa force de conviction »11(*). Sankara est le premier président, dans l'histoire de son pays, à avoir affiché une volonté farouche de protéger et de défendre les intérêts des femmes. Des mesures concrètes ont été prises par lui en leur faveur, contre l'excision, la prostitution, et pour le salaire vital.

Sankara se présente comme l'avocat- défenseur des femmes considérées comme les « prolétaires » de la RDP. Selon lui, les femmes constituent un groupe social fragile, marginalisé, exploité par l'administration, la féodalité et les hommes en général. Elles sont victimes d'une injustice sociale et économique. Elles ne bénéficient pas des acquis de la science et des progrès économiques. Elles souffrent aussi bien d'une misère matérielle qu'intellectuelle (plus de 90% d'analphabètes). Les analyses de Sankara dans ce domaine c'est-à-dire dans l'identification de la condition défavorisée de la femme burkinabé paraissent toujours d'actualité, puisque l'UNICEF en 1994 dans un rapport sur la situation des femmes et des enfants au Burkina Faso en dresse un bilan encore alarmant.  « Utilisée comme objet, moyen de nouer des alliances ou comme outil de cohésion du tissu social, la femme trouve sa finalité dans le mariage et la procréation. Eternelle étrangère aussi bien dans la famille d'origine, où elle ne restera pas, que dans la famille du mari qu'elle peut quitter en cas de désaccord, elle est écartée du partage des biens de production tels que la terre et de toute succession à la chefferie (pouvoir traditionnel) »12(*). La même institution reconnaît que cette situation constitue une limite à l'émancipation des femmes : « Considérée comme une éternelle mineure, tantôt dominée par le père, tantôt par le mari, la femme est toujours reléguée au second rang. Le statut social et économique de la femme demeure un handicap pour la promotion des femmes »13(*). Peut-on parler de Sankara comme d'un idéologue féministe ?. Si l'on définit le féminisme comme « la doctrine, attitude favorable à la défense des intérêts des femmes et de leurs droits »14(*) , Sankara paraît bien être un personnage clé dans les luttes féministes du Burkina Faso. Notre recherche se trouve dans une certaine mesure justifiée sur le plan du contenu par les nombreuses interventions de Sankara dans ce domaine, tant dans ses discours que dans le projet de société formulé et la mise en chantier de mesures en faveur des femmes.

Favoriser une analyse des discours de Sankara procède de l'appréciation que ce leader faisait lui-même du verbe vis à vis de l'action. « Tout ce qui sort de l'imagination de l'homme est réalisable par l'homme »15(*). Conceptualiser puis prononcer des mots, les faire vivre constituent une étape nécessaire de l'action révolutionnaire. Banégas, dans Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, met bien en lumière ce trait spécifique du Sankarisme : « Le discours détermine l'action, l'idée engendre le réel »16(*). Notre corpus comprend l'ensemble des discours de Sankara portant sur la condition féminine. Bien qu'il ait souvent improvisé ses discours, des efforts ont été faits pour les rassembler dans un seul recueil. Thomas Sankara, « Oser inventer l'avenir ». La parole de SANKARA (1983-1987) présenté par David Gakunzi, Pafthinder, en 1991, contient 29 discours et interviews de Sankara. Dans cet ensemble, cinq discours abordent le thème de la condition féminine :

Le Discours d'Orientation Politique, le 2 octobre 1983.

La Liberté ce conquiert, le 4 octobre 1984.

Même ennemi, même combat, le 17 mars 1985.

L'Abus de pouvoir doit étranger aux CDR, le 4 avril 1986.

La Libération de la femme : une exigence du futur, le 8 mars 1987.

L'ensemble fait 87 pages de textes écrits. Mais tous les discours n'abordent pas le problème de la femme de bout en bout. A l'exception du dernier consacré exclusivement aux femmes, les autres le font partiellement. Notre analyse consiste à mettre en relief la pensée féministe de Thomas Sankara dans toute sa dimension. Issue d'une vision révolutionnaire de la société, quelles en sont les spécificités ? La défense de certaines valeurs implique le plus souvent d'engager une polémique. Ce volet est-il représenté dans le discours de Sankara ? Analyser et commenter un discours politique consiste à aller au-delà de la simple reproduction, des messages initiaux d'autres termes. Notre étude tentera de déterminer les « processus de sélection et de transformation des significations ou des symboliques sociales qui se réalisent effectivement au cours de l'activité d'énonciation »17(*). Ceci nous permettra, en particulier, d'aborder les techniques de propagande utilisées par le président Sankara. A ce niveau, le patrimoine lexical de Sankara vient étayer la démonstration. Nous y décèlerons la vision de la femme qu'il construit, la morale qu'il propose, et sa mise en scène du politique.

Nous tiendrons compte toutefois d'une évolution perceptible dans l'expression des thèses féministes de Sankara. En effet, pendant les premiers moments de la révolution, le propos est très engagé soutenu par une détermination absolue à combattre tout ce qui s'oppose à l'élan révolutionnaire. Mais à partir de 1985, l'argumentation s'assouplit, après que Sankara a constaté des résistances rencontrées dans l'application des principes généraux et révolutionnaires.

Notre travail se présente comme une analyse en trois volets. Il nous a paru nécessaire d'établir les conditions générales de production des discours de Sankara sur les femmes. Comment apprécier une avancée politique, si ne sont pas mis en valeur les conditions réelles de la femme dans la société  burkinabé ?. A partir de ce constat dans un deuxième volet, nous avons cherché à travailler sur l'argumentation de Sankara, tenant compte de ce qui était aux sources de la pensée de ce leader. Cette analyse dans le cadre d'un travail de maîtrise, ne pourra être qu'effleurée, mais elle se justifie dans la mesure où la pensée de Sankara n'est pas unique, elle n'apparaît pas soudain dans l'histoire des idées, sans aucun rapport avec d'autres pensées féministes. Dans un troisième volet, nous avons voulu mettre l'accent sur la caractéristique propagandiste du discours sankariste et ses modalités polémiques.

PREMIERE PARTIE

* 1 G. TARRAB, R. BANEGAS ont proposé une analyse des discours de la révolution burkinabé d'une part, d'autre part B. JAFFRÉ , L. MARTENS, S. ANDRIAMIRADO ET V. SOMÉ ont produit des biographies ou ouvrages portant en partie sur la vie de Thomas Sankara.

* 2 ENGLEBERT (P), la Révolution burkinabé, Bruxelles, ULB , 1985, p 94.

* 3 GAKUNZI (D), Thomas SANKARA,  « Oser inventer l'avenir ». La parole de SANKARA (1983-1987), New-York et Paris Pachfinder et l'Harmattan, 1991, p. 58.

* 4 GAKUNZI (D), op. cit., p. 58.

* 5 Le « lumpen-prolétariat » regroupe, selon les marxistes, l'ensemble des désoeuvrés, de tous ceux qui n'ont pas de travail. Le lumpen-prolétariat apparaît comme une masse à conscientiser et à intégrer dans le processus révolutionnaire.

* 6 BAMOUNI (B P),  « Idéologie : le révolutionnaire », in Carrefour Africain n 854 ? du 24 octobre 1984, p. 11.

* 7 GAKUNZI (D), op. cit., p. 61.

* 8 MARTENS (L), Sankara, Compaoré et la révolution burkinabé, Anvers, Editions E P O, 1989, p. 249.

* 9 MARTENS (L), op. cit., p. 5.

* 10 MARTENS (L), op. cit., p. 5.

* 11 MARTENS (L), op. cit., p. 5.

* 12 UNICEF, Analyse de la situation des femmes et des enfants au Burkina Faso, Ouagadougou, UNICEF, 1994 pp. 41-42.

* 13 UNICEF, op. cit., p. 44.

* 14 Le Dictionnaire de Notre temps, Paris Hachette, 1990, p. 586.

* 15 GAKUNZI (D), op. cit., p. 153.

* 16 BANEGAS (R ), Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, 1998, p. 6.

* 17 ROBERT (A. D) et BOUILLAGUET (A), l'Analyse de contenu, Paris, PUF, 1997, p. 8.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore