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La corruption dans la gestion des deniers publics à Cotonou: Analyse socio-anthropologique de la persistance du phénomène

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par Vinagbo Barnard AGBANGLA
Université d'Abomey-Calavi - Maîtrise en sociologie-anthropologie 2008
  

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CHAPITRE II : Du cercle vicieux de la corruption

1. Les conditions d'existence et de travail

La corruption, sous ses multiples facettes induit deux types de coûts pour l'Etat. Les coûts indirects sont liés aux faux frais en douane et aux extorsions des usagers qui concourent à la faible compétitivité des entreprises et du port autonome de Cotonou. Ce type de coût n'est pas mesurable. En revanche les coûts directs qui constituent des manques à gagner pour l'Etat du fait des détournements, des surfacturations et abus de biens sociaux sont mesurables. A l'heure actuelle il n'existe aucune étude exhaustive faisant état du coût exact de ce type de corruption. Toutefois certains indicateurs permettent d'affirmer sans grand risque de se tromper que la corruption amenuise considérablement les recettes de l'Etat1 et affaiblit ainsi sa marge de manoeuvre et sa capacité à veiller au respect de l'éthique bureaucratique. Deux caractéristiques fondamentales de l 'administration publique béninoise entravant l'efficacité de la lutte contre la corruption peuvent être imputées aux coûts directs de la corruption : l'insuffisance du personnel et les traitements de salaires.

L'insuffisance de personnel se fait ressentir tant au niveau des organes de contrôle qu'au niveau des autres unités administratives. Ainsi les trois organes à compétences nationales chargés de veiller à, la régularité et au respect des procédures sont débordés de travail, de sorte qu'ils n'arrivent pas assumer pleinement leur mission même si leurs membres déclarent qu'ils donnent le meilleur d'eux même. L'aveu de l'Inspecteur Général est fort illustratif : « nous ne faisons pas de chasse aux sorcières. Le chef de l 'Etat a

1 En 2006, le ministre des finances et de l'économie estimait à 201 milliards de francs cfa, les pertes subies par l'Etat du fait de ma surfacturation dans les marchés publics et des ordres de paiement indûment signés. En 2006, une mission d'investigation des marchandises sous douane conduite par l'inspection générale des finances dans les départements du Borgou, de la Donga, du Mono et du Couffo à rapporté à l'Etat la somme de 197796780fcfa sur des marchandises pour lesquelles les droits initialement calculés et payés étaient de 34927407 fcfa.

déjà donné les instructions mais nous sommes obligés d 'aller pro gressivement car nous sommes débordés » (KOUSSE, 2007). L'inspection générale des finances ne comporte que 21 agents quand bien même il s'agirait d'un organe capital dans le contrôle de la gestion financière des sociétés et entreprises d'Etat. Le contrôle administratif n'est donc pas systématique, ce qui n'est pas de nature à dissuader les agents publics s'adonnant aux pratiques de corruption1. La même situation prévaut du côté de la justice où les juges spécialisés en finances publiques et corruption constituent une denrée rare. De ce fait les juges compétents en la matière sont débordés de travail et il n'est objectivement pas possible d'exiger un meilleur rendement de leur part.

La même situation prévaut à la douane du port autonome de Cotonou où le nombre d'agent est passé de 130 en 1985 à 35 en 1995 pour stagner jusqu'en 2000. A l'heure actuelle, le nombre d'agents en service à la douane du port est de 62 agents. Paradoxalement, le nombre d'usager fréquentant le port s'est considérablement accru, de sorte qu'il a atteint les limites de ses capacités d'accueil. Il y a donc une surenchère de l'offre par rapport à la demande pour le << grand bonheur >> de ceux qui sont investis de cette partie de la puissance publique. Il leur revient de traiter normalement les dossiers ou de le faire avec célérité suivant que le client se montre disposé ou non à leur payer le travail << supplémentaire >> qu'implique la célérité. Tout retard en transit étant perçu comme un manque de compétence du transitaire, il se crée une sorte d'accord tacite entre transitaire, passeurs en douanes et douaniers pour que le travail supplémentaire du douanier lui soit payé au détriment du contribuable. En outre, les douaniers se font aider par des agents supplétifs appelés « klébés >>. Si officiellement et légalement, ces derniers ne sont pas en droit d'exercer dans le secteur de la douane, ils sont devenus presque incontournables dans la

1 Il est vrai qu'on assiste en ce moment à ne recrudescence du contrôle administratif mais la plupart de ces contrôles ont été dépêchés à la suite des dénonciations du FONAC. Il faudra faire une observation dans le temps pour conclure ou non à la systématisation du contrôle administratif.

pratique, du fait de l'incapacité des douaniers à abattre le gigantesque travail qui leur incombe. La présence des << klébés >> est consacrée par le versement systématique de 10% des amendes qui auraient été perçues grâce à leur travail d'indicateurs. En quête de célérité, les transitaires et autres usagers du port trouvent en la personne des douaniers, de véritables alliés stratégiques.

Le manque de personnel se fait également ressentir avec acuité au niveau des unités administratives des services des impôts. L'enquêté T., contrôleur général des impôts, en témoigne : << Le man que de personnel est le véritable problème du service des recettes. C 'est un problème auxquels sont confrontés tous les démembrements des services des impôts » . Les services de recette des centres des impôts des petites entreprises comptent environ trois agents que sont le receveur, le fondé de pouvoir et l'agent des collectivités locales. Il en est de même au niveau des assiettes. Dans ces conditions, respecter et faire respecter la règle revient, pour les agents publics, à faire << un pari impossible >>. Un mécanisme d'autorégulation se dégage de la relation entre les services des impôts et les contribuables. Après le travail des enquêteurs pour le recensement foncier urbain par exemple, il revient à un seul inspecteur d'étudier la pile de données collectées et d'émettre les avis d'imposition. Il ne dispose que de très peu de temps pour le faire, ce qui ne lui permet pas d'effectuer le contrôle de vérification sur le terrain, la priorité pour lui, étant d'émettre les avis d'imposition,sous peine de se voir blâmé. La fraude fiscale s'en trouve facilitée en ce sens que les corps de contrôle vivant eux même le problème de l'insuffisance du personnel se montrent plus compréhensif à l'endroit des agents d'applications objectivement incapables de s'acquitter convenablement de leur devoir. Dans ces conditions, l'Etat s'accommode fort bien d'un quota fixé par le ministère des finances et que les services des impôts ont la charge de recouvrer.

Cette caractéristique de l'administration publique sert, dans bien de cas de paravent à la cupidité de certains agents publics. Toutefois, il convient de souligner que les traitements de salaires ne sont pas de nature à favoriser le respect de l'éthique bureaucratique.

En règle générale, les salaires des agents d'application sont d'un bas niveau. Les « mauvais » traitements de salaire servent de référence aux discours de légitimation des pratiques de corruption. La série d'affirmations suivante en atteste : (( Mon père n 'est qu 'un petit fonctionnaire d'Etat, comment aurait-il pu nous inscrire mes frères et moi, dans un collège privé et nous assurer une bonne éducation s 'il n 'avait pas des à côtés ?(...) les à côtés sont différents du vol mais ils aident beaucoup de familles », confesse D., fils d 'un agent des impôts, élève en classe de seconde ; (( La lutte contre la corruption dans l 'administration publique doit commencer par l 'augmentation du salaire des fonctionnaires. Si rien n 'est fait dans ce sens, la lutte contre la petite corruption sera une injustice », déclare l 'enquêté G., receveur des impôts. Les préoccupations d'un important réseau d'ONG béninoises engagées dans la réalisation des OMD s'inscrivent dans la même logique. A la question de savoir quel type de lutte contre la corruption il faut pour le pays, il répond : (( Rendre à César ce qui est à César (...) bien payer nos policiers, douaniers et inspecteurs des finances publiques et puis, tous ceux qui travaillent à la mobilisation des ressources matérielles et humaines »1.Les indicateurs de traitement de même que les salaires bruts correspondants aux indices de traitement et à la nouvelle valeur indiciaire permettent d'apprécier le niveau des salaires.

1 Huguette AKPLOGAN DOSSA, coordonnatrice de SOCIAL WATCH Bénin, Quelle sorte de lutte contre la corruption dans mon pays ! !!, SOCIAL WATCH BENIN Info, n°5, Oct-nov 2007.

VII: Indices de traitement

Echelons

Catégorie A

Catégorie B

Catégorie C

Catégorie D

Catégorie E

 

Agent de conception Diplômé de l'université ou équivalentes

Agent d'application,

diplômé ou attestation de fin d'étude

de 1ère, 2ème ou 3ème année

de l'université ou qualifications équivalentes

Agent d'encadrement diplômé

de fin d'études de 1ère,2ème et

3ème année du collège polytechnique 2 ou qualifications équivalentes

Agent d'exécution diplômé de fin d'études de 1ère,

2ème et 3ème année du collège polytechnique1

ou qualifications équivalentes

Emploi à initiation Préalable

 

Echelles

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

1

2

3

1

2

3

1

2

3

1

2

3

1

1

425

375

340

300

280

250

220

200

180

160

140

120

100

2

490

425

380

335

310

270

240

215

200

170

150

130

105

3

555

475

420

370

340

290

260

230

215

180

160

140

110

4

620

525

460

405

370

310

280

245

230

190

170

150

120

Promotion5

730

625

520

490

420

360

320

280

250

210

190

170

1140

6

815

675

560

525

450

380

340

295

265

220

200

180

150

7

880

725

600

560

480

400

360

310

280

230

210

190

160

8

1020

850

675

645

530

460

400

345

310

255

230

210

180

9

1090

900

725

680

560

480

420

365

325

265

240

220

190

10

1165

950

775

715

590

500

440

380

340

275

250

230

200

Promotion11

1250

1000

850

750

640

520

460

400

360

300

265

245

210

Promotion12

1300

1100

925

825

725

590

510

460

400

340

300

275

235

Source : Ministère de la fonction publique et de la réforme administrative, Echelonnement indiciaire des corps des personnels administratifs et établissements publics de l 'Etat.

Tableau VIII : Tableau brut correspondant aux indices de traitement1

Echelons

Catégorie A

Catégorie B

Catégorie C

Catégorie D

Catégorie E

 

Echelles

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

1

2

3

1

2

3

1

2

3

1

2

3

1

1

90206

79594

72165

63675

59430

53063

46695

42450

38205

33960

29715

25470

21225

2

104003

90206

80655

71104

65798

57388

50940

45634

42450

36083

31838

27593

22286

3

117799

100819

89145

78533

72165

61553

55185

48818

45634

38225

33960

29715

23348

4

131595

111431

97635

85961

78533

65798

59435

52001

48818

40328

36083

31838

25470

Promotion5

154943

132656

110370

104003

89145

76410

67920

59430

53063

44573

40328

36083

29715

6

172984

143269

118860

111431

95513

80655

72165

62614

56246

46695

42450

38205

31838

7

186780

153881

127350

118860

101880

84900

76410

65798

59430

48818

44573

40328

33960

8

216495

150443

143269

136901

112493

97635

84900

73220

65798

54124

48818

44573

38205

9

231353

191025

153881

144330

118860

101880

89145

77471

68981

56246

50940

46695

40328

10

247274

201638

164494

151759

125228

106125

93390

80655

72165

58369

53063

48818

42450

Promotion11

265313

212250

180413

159888

135840

110370

97635

84900

76410

63675

56246

52001

44573

Promotion12

275925

233475

196334

175106

153881

125228

108248

97635

84900

72165

63675

58365

49879

Source : Ministère de la fonction publique et de la réforme administrative, Echelonnement indiciaire des corps des personnels administratifs et établissements publics de l 'Etat.

1 Les promesses de relèvement du point indiciaire n'ont pas encore connu un début d'application.

Le faible niveau des salaires touche tous les agents publics mais il se fait surtout ressentir au niveau des agents d'application, d'exécution et d'emploi à initiation préalable. D'un secteur à l'autre, ce faible niveau des salaires implique des conséquences diverses.

Un receveur des impôts, recruté sur la base du BEPC, intègre la fonction publique en tant qu' agent de la catégorie C3. Après 18 mois de formation et de service, il passe dans la catégorie C1. Son salaire brut est alors de 46695 FCFA. Après 12 ans de services, il passe au cinquième grade de cette même catégorie et son salaire brut est de 69720 FCFA. Ce salaire brut subira divers types de prélèvement qui seront compensés par les primes et les indemnités. Son revenu net n'excède pas 80000 FCFA s'il n'occupe aucun poste de responsabilité. Sur cette base, l'agent public est amené à faire des dépenses incompressibles qui se présentent dans le tableau IX ci-après.

Tableau IX : Dépenses incompressibles

Type de dépense

Loyer

Déplacement

Restauration

Coût minimal en F CFA

15000

15000

30000

Total des dépenses minimales

60000

Source : Données de terrain, novembre 2007.

Des dépenses importantes liées à l'accès à l'électricité et à l'eau de même que les frais de communication s'ajoutent aux dépenses incompressibles, de sorte que le revenu salarial est vite épuisé. La plupart des agents publics sont des hommes dont les femmes, dans leur majorité, ne travaillent pas. Ces derniers vivent donc en permanence une situation de précarité et sont perpétuellement en quête d'occasion pour « arrondir » leur salaire. Les problèmes liés à la prise en charge sanitaire par l'Etat viennent compliquer la situation car tout problème de santé entraîne des dépenses

considérables. Dans ces conditions, tout agent public se doit de faire face à deux impératifs : assurer les dépenses incompressibles et les dépenses de grande utilité tout en réalisant des économies en prévision des jours difficiles. De nombreuses pratiques de petites de corruption peuvent s'analyser comme relevant d'une stratégie de survie des agents publics comme en témoigne l'enquêté M., receveur des impôts : « Si je ne fais pas des concessions aux gens, non seulement j 'aurai des problèmes avec mon entourage mais en plus je ne pourrai pas vivre comme il faut avec ma femme et mes enfants. C 'est vrai que nous devons travailler pour faire vivre l 'Etat mais nous avons besoin aussi d'être en vie ».

S'il est vrai que la corruption peut s'appréhender comme la revanche d'agents objectivement privés d'avenir, il n'en demeure pas moins que la cupidité y occupe également une grande part. Une fois les besoins élémentaires satisfaits, les hommes sont portés vers la satisfaction de besoins plus grands, se donnent de nouvelles ambitions et se comportent comme de véritables entrepreneurs au sein de l'Etat. C'est le cas de la corruption à la douane du port autonome de Cotonou où la mise en place de mécanismes d'octroi de primes sur la base des faux frais n'a pas pour autant suffi à calmer les appétits de certains agents.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery