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Amoralité et immoralité chez Aristote et Guyau. Une herméneutique du sujet anéthique

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par Hans EMANE
Université Omar Bongo - Maitrise 2009
  

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III.2. DE L'AMORALITE

III.2.1. AMORALITE ET NECESSITE NATURELLE

Historien des religions, poète, esthéticien, Guyau est reconnu comme l'un des plus fameux historiens de la philosophie morale. L'Esquisse publiée en 1884, est sans conteste son ouvrage le plus personnel et le plus fameux. C'est dans cet écrit philosophique qu'on trouve pour la première fois la notion d'amoralité élevée à la dimension de problème philosophique à part entière.

Concept crée ainsi que ses dérivés par Guyau lui-même, l'amoralité caractérise avant tout, la nécessité des lois naturelles. Ce qui s'exprime dans les relations entre les étants, au sein du réel dans lequel ils sont englués, c'est la causalité naturelle, la loi de cause à effet. A la différence du kantisme270(*) qui voit une complémentarité voire une similitude parfaite entre les lois de la nature et les lois morales - ce qui pose le problème de la liberté et du déterminisme- , Guyau affirme que le trait essentiel des lois naturelles, est leur amoralité. En clair, il n'existe pas de lois naturelles morales. Bien au contraire, « les lois de la nature, comme telles, sont immorales, ou si l'on veut amorales, précisément parce qu'elles sont nécessaires271(*) ».

III.2.2. L'AMORALITE COMME NEUTRALITE DU MONDE NATUREL

La nature est donc vierge de toute considération éthique puisqu'elle « n'a point sa fin en nous, pas plus que nous n'avons dans le monde notre fin fixée d'avance272(*) ». L'amoralité, en priorité, caractérise ce qui est étranger à la morale, qui ne l'attaque, ni ne la défend ; c'est-à-dire tout ce qui se place en dehors d'elle, qui la transcende. L'infirmier, par exemple, se doit d'être parfaitement amoral et impartial dans le rapport qui rendra au médecin. Pour Guyau, l'amoralité au sens fort devait servir à qualifier ce qui n'a aucun rapport avec l'idée de moralité, qui en est détaché.

Amoral signifie en ce sens, ce qui est étranger à morale, qui n'a pas de rapport avec elle, qui n'appartient pas à son domaine, qui ne la prend pas en considération, qui ne tient pas compte d'elle. Descartes a posé que la science est par nature, parfaitement amorale.

Toutefois, il faut souligner que Guyau reprend à son compte les intuitions du matérialisme antique. Le matérialisme, dans son geste inaugurale, chasse la morale hors de l'être ou de l'absolu. L'amoralité est la « négation absolue de tout ce que nous entendons par moralité proprement dite, et réduction de toutes choses, y compris la volonté, aux lois nécessaires de la nature, qui sont les lois nécessaires de l'intelligence. Il n'y a d'absolu que la nécessité naturelle qui fait exister ce qui existe. L'absolu, c'est ce qui est273(*) ». Si le mal n'est rien, ce n'est pas parce que seul le bien est et fait être, mais au contraire parce que le bien n'est pas plus que le mal, et que l'être est par de là le bien et le mal. C'est pourquoi l'on peut en toute rigueur parler à propos de l'univers, d'amoralité : la nature n'a pas de morale, et il n'existe rien d'autre que la nature qui est l'absolu. « L'univers n'est point une oeuvre extrême, en mal comme en bien274(*) ». Autrement dit, l'immanentisme radical équivaut à un amoralisme radical ; si bien que tout ce qui est naturel est amoral, et tout ce qui est amoral est naturel. Rapportés au tout, les idées de bien et de mal n'ont aucune pertinence car le tout ne peut ni bien ni mal. Dans sa douloureuse, dans sa bienheureuse cécité, la nature en effet, ignore les catégories du bien et du mal. Elle est éprise simplement d'une neutralité morale et d'une causalité.

Si `amoral' signifie `ce qui est étranger à la morale, qui n'a pas de rapport avec elle ou qui n'appartient pas à son domaine', est amoral, tout ce qui manifeste de l'indifférence et naturellement une ignorance à l'égard de la morale. Amoral s'applique dès lors à tout ce qui ignore la morale, tout ce qui ne prend pas en considération les prescriptions de la morale. Le préfixe a `sans' qui a servi à former le concept, marque la privation. L'amoralité est un « no man's land », une péninsule où la voix humaine, la voix de la conscience s'est tue ; où elle est aphone, où du moins où elle a du mal à se faire entendre.

En outre, l'amoral n'est ni moral n'est ni immoral : il est en dehors de ce schéma dichotomique. L'amoral est indifférent aux idées de bien et de mal. L'amoral est transcendance de ce qui est bien ou mal. Il est, selon une métaphore connue, par de là le bien et le mal275(*). Guyau pensait que le sage devait vivre sans morale, mais selon la sagesse, si bien qu'il nous exhortait à atteindre cette amoralité supérieure. Il considérait le sage comme « un être supérieur » du fait même de son amoralité. « Les vrais sages, écrivait le jeune Guyau, n'ont pas besoin pour eux-mêmes de lois restrictives ; la sagesse seule restreint leurs désirs, conséquemment leurs actions, et les empêche de venir se heurter à autrui. Le sage se gardera donc de l'injustice comme il se gardera par exemple de l'intempérance276(*) ».

Le terme `amoral' peut avoir dans le langage courant comme chez Guyau, une connotation négative, neutre ou positive. Si Guyau admet un amoralisme (théorique) qui est celui du philosophe, de manière générale il n'admet pas l'humain hors de la morale. Il n'y a d'humanité que morale. Et puisque l'humain est vie, « le sentiment moral se confond avec la vie la plus intensive et la plus extensive possible, arrivée à la conscience de sa fécondité pratique. La principale forme de cette fécondité est l'action pour autrui et la sociabilité avec les autres276(*) ». Or, comment et pourquoi, alors que la vie est une création naturelle chez Guyau, échappe t-elle à l'amoralité ?

S'il nous permis de dire quelques mots sur la définition que Guyau fait de la vie276(*), nous aimerions montrer qu'il ne l'assimile jamais explicitement à l'existence. Il va s'atteler tout au long de son oeuvre, à démontrer qu'il y a dans la vie, quelque chose de sui generis, d'irréductible qui échappe par essence à l'existant et à l'existence même277(*).

D'abord, Guyau conçoit la vie comme une création naturelle. Elle n'est ni une oeuvre artificielle, ni une oeuvre surnaturelle et il est important de comprendre que malgré tout le mystère de la vie reste entier puisque « la vie, de toutes parts, est enveloppée d'inconnu278(*) ». Comment s'y prend la nature pour créer la vie ? « Pour créer la vie, en effet, la nature ne procède pas artificiellement en rassemblant toutes les parties d'un corps et en les soudant. C'est sur une seule cellule ou sur plusieurs que s' entent toutes les autres279(*) ». En créant la vie, la nature lui fait don du mouvement. L'apparition de la vie correspond selon Guyau, à  « l'apparition d'une puissance inhérente à l'être » qui est l'automobilité. Si bien que « se mouvoir soi-même, c'est vivre280(*) ». La vie est « déploiement de force et progrès281(*) ». Puissance, intensité, extension et mouvement, sont des traits essentiels de la vie. Or, si la vie est surabondance de force, elle a comme un besoin intérieure de se « dépenser » : la vie ne peut se maintenir qu'a condition de se répandre. La force n'étant qu'en dernière analyse, qu'un « abstrait de la vie ». La concrétion de la vie est une idée qui tient une place importante dans la pensée de Guyau. « Vivre, c'est dépenser aussi bien qu'acquérir. Mais vivre, ce n'est pas calculer, c'est agir. Agir, c'est vivre ; agir davantage c'est augmenter le foyer de la vie intérieure282(*) ». L'action est la vie dans son maximum de développement.

Mais Guyau n'en reste pas là puisqu'il est amené à dire que « la vie se déploie et s'exerce parce que c'est la vie. La vie, en son essence, est une revanche sur les obstacles qui l'entravent283(*) ». Serait-ce là, un aveu d'amoralité ? Il semble bien que ce soit le cas, car la vie qui n'a pas prise conscience d'elle-même, est destructrice et autodestructrice. Si bien que « nous sommes donc obligés d'en appeler à la vie pour régler la vie. Mais alors c'est une vie plus complète et plus large qui peut régler une vie moins complète et moins large284(*) ». L'évolutionnisme de C. Darwin et H. Spencer n'est pas loin. En effet, Guyau confirme leurs positions et affirme que « la vie est une consécration perpétuelle de l'inégalité285(*) » puis infirme l'évolutionnisme moral ou social puisqu'il dit ouvertement que « la vie ne connait pas les classe sociales et les divisions absolues des logiciens et des mathématiciens : la vie ne peut être complètement égoïste, quand même elle le voudrait286(*). A contrario, la vie qui a pris conscience d'elle-même, Guyau l'appelle le moi. C'est ici le passage de la vie au moi. « Or, la vie en prenant conscience de soi, de son intensité, de son extension, ne tend pas à se détruire, elle ne fait qu'accroître sa force287(*) ».

Guyau s'est proposé par la suite, de restreindre l'activité humaine à une seule, « mais impérissable, celle de la vie288(*) ». L'activité du moi, prioritairement, « c'est se sentir vivre intérieurement289(*) ». S« 'il y a dans le moi, quelque chose de sui generis, d'irréductible290(*) », cette réalité ne peut être que la vie prenant conscience d'elle-même. La dépense n'est pas physiologiquement un mal, c'est l'un des termes de la vie.

Par la suite, le moi égoïste est amené peu à peu à« franchir le large intervalle qui sépare le moi d'un autre moi291(*) ». Guyau s'atèle ici à analyser le processus par lequel le plaisir et le risque peuvent « tenter de faire franchir à la volonté, le passage du moi au non-moi292(*) » qui semblait avant « deux valeurs commune mesure293(*) ». Comment cela est-il rendu possible ?

La position de Guyau, dans laquelle on peut voir un altruisme, voire un humanisme, fait toute sa place à une fraternité universelle. La surabondance de vie que contient le moi, qui n'est pas volonté de puissance, demande à se donner et pousse les individus à s'associer. Le meilleur moyen de se dépasser soi-même, est de se répandre en autrui294(*). « La vie, comme le feu, ne se conserve qu'en se communiquant295(*) ». Son point de vue moral est donc altruiste, au sens où il met l'intersubjectivité, mieux la transubjectivité, au coeur-même du moi. « A cette époque idéale, explique Guyau, l'être ne pourra plus, pour ainsi dire, jouir solitairement : son concert sera comme un concert de où le plaisir des autres entrera à titre d'élément nécessaire ; et dès maintenant, dans la généralité des cas, n'en n'est-il pas déjà ainsi ? Qu'on compare, dans la vie commune, la part laissée à l'égoïsme pur et celle que prend l'altruisme, on verra combien est relativement petite la première ; mêmes les plaisirs les plus égoïstes, comme le plaisir de boire ou manger, n'acquièrent tout leur charme que quand nous les partageons avec autrui. Nul doctrine, en effet, ne peut fermer le coeur humain. L'égoïsme pur, au lieu d'être une réelle affirmation de soi, est une mutilation de soi. Nous ne pouvons nous mutiler nous mutiler nous-mêmes, et l'égoïsme pur serait donc un non-sens, une impossibilité296(*) ». Il ne peut donc exister de « plaisirs purement personnels et égoïstes ».

La vie échappe à l'amoralité parce qu'en prenant conscience de son intensité et de son dynamisme, elle est poussée à s'élargir. L'élargissement « déchire l'enveloppe étroite du moi ». L'élargissement du moi est la condition de sa survie puisque « le moi qui s'est assez élargi aurait droit de ne pas périr297(*) ». Si la vie échappe par essence à l'amoralité c'est parce que c'est à la vie elle-même que nous demandons le principe de la moralité.

Mais le passage du moi au non-moi qui est aussi le moment de « la fusion réelle de tous les moi apparents l'un dans l'autre298(*)» , entre le je et le tu, est le moment où « le moi se distingue de moins en moins des autres moi, ou plutôt il a de plus en plus besoin d'eux pour exister 299(*)». Dès lors, « le moi vivra autant que possible en harmonie et en sympathie avec les autres moi » puisqu'en définitive, la fécondité (pratique) de la vie équivaut à sa sociabilité. La sociabilité de la vie rend obsolète l'amoralité de la vie300(*) puisque «l'autre devient comme une condition de nous-même301(*) ». La conscience, se projetant ainsi dans les autres, et dans le tout, se relie aux autres et au tout par une idée qui est en même temps une force. Il faut donc « sympathiser ».

En conséquence, aucune société humaine ne peut être amorale selon Guyau puisque les individus sont toujours déjà moraux. De là même manière, il n'envisage pas la possibilité d'un Etat ou d'un pouvoir politique amoral. Il ne peut donc exister d'amoralisme d'Etat302(*).

* 270 Kant a voulu démontrer dans la dernière partie de la Critique de la faculté de juger (Paris, Vrin, traduction et introduction d'A. Philonenko), qu'il existe une cause morale du monde naturel qui n'est autre que le Divin. On peut ici confondre le Divin avec la loi morale. Pour Kant, en effet, nous avons besoin d'une intelligence morale, afin d'avoir pour la fin en vue de laquelle l'homme existe (le bonheur), un être qui conformément à cette fin, soit la cause du monde naturel et de lui-même. Il est donc tout au moins possible, et le fondement s'en trouve dans la pensée morale, de se représenter un besoin moral de l'existence de l'Etre, par lequel notre moralité gagne en force, et en étendue ; c'est-à-dire le besoin d'admettre une être moral extra-mondain, législateur, sans se soucier de preuve théorique. Ainsi, il y a donc selon Kant, un pur principe moral de la raison pratique pour admettre cette cause incausée, cause du monde naturel et d'elle-même. Il n'y a dans la nature aucune «tendance parfaitement vaine ». Kant veut nous conduire à admettre, une « destination morale interne » de l'existence du monde naturel, ainsi que « la destination morale finale de certains êtres de ce monde naturel ». Ces deux principes a priori de la raison pure pratique, le conduisent à concevoir ave assurance que « le concept d'êtres du monde soumis à des lois morales est un principe a priori d'après lequel l'homme doit se juger nécessairement ». Cela induit en un certain sens, un but ultime de l'existence de toute chose « dont le principe ne peut satisfaire la raison en tant qu'éthique »(§86, p.401). « Ce rapport moral » du pur principe moral au monde naturel peuplé d'êtres (humains) « doit être une condition de la création ». La nature ou la création a donc un but moral, et est donc régit par des lois morales. Ce qu'Hegel appellera « l'harmonie de la moralité et de la nature» dans La Phénoménologie. La fin ultime de la création toute entière est le bonheur des hommes par l'entremise de « l'organisation de la nature dans l'intérêt de». Etant entendu que, l'homme doit être considéré en priorité « comme le but ultime de la création ». Kant aime à rappeler que sans l'humain, « la création tout entière serait un simple désert inutile et sans but ultime. Il est un jugement que l'entendement le plus commun lui-même ne peut s'empêcher de poser : c'est que de toutes les diverses créatures, si grand que l'art de leur organisation ou si varié que puisse être le rapport qui les lie finalement les unes aux autres, et même l'ensemble de leurs systèmes si nombreux, que nous nommons incorrectement des mondes, existeraient en vain s'il n'y avait des hommes (des êtres raisonnables en général) » (§86, p.394). Il n'importe pas seulement de bien comprendre, selon Kant, que notre but ultime n'est pas seulement « une raison morale » justifiant l'existence de la nature, mais justifie notre être au monde « comme un être moral comme fondement originaire de la création ». Plus simplement, Kant juge vraie l'idée (cartésienne) selon laquelle notre faculté rationnelle est constitué de telle sorte que nous admettons a priori, l'existence « d'un auteur souverain du monde qui soi en même temps un législateur moral. La réalité de l'Idée de Dieu, comme auteur moral du monde, la réalité d'un auteur suprême, législateur moral, est ainsi suffisamment prouvée simplement pour l'usage pratique de notre raison » (§86 et §88). Kant, de la même manière, juge vraie l'idée cartésienne de la soumission de la nature à l'humain, puisque qu'elle n'a de sens (moral), d'existence et d'importance que pour lui et en vertu de lui.

* 271 Jean-Marie GUYAU, Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, Paris, Allia, 2008, p. 159.

* 272Ibid., p. 19

* 273 Jean-Marie GUYAU, La Morale d'Epicure, Paris, Encre Marine, 2002, p.317.

* 274 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p.19

* 275 A. Camus écrira à la suite de Guyau : « Un être amoral n'est pas simplement celui qui enfreint les règles morales, mais celui qui n'attache aucune importance à cette infraction, celui qui conteste et ou ignore la valeur de l'impératif  » (Requiem pour une nonne, Paris, Gallimard, 1956, p. 882). C'est bien pour cette raison qu'on a jugé les actes amoraux, inattaquables, innocents, car vierges de toute prétention ou intention morales, voir de vierges de tout contenu moral.

258 La Morale d'Epicure, op.cit, pp. 215-216.

259 L'Irréligion de l'avenir. Etude de sociologie, Paris, F. Alcan, p.3.

* 276 Nous nous limiterons, dans le cadre de cette étude, au rapport entre la vie et sentiment moral. La vie selon Guyau se manifeste dans l'art, la morale et la religion. Formulé autrement, la vie est esthétique, éthique et mystique. « Le sentiment esthétique se confond avec la vie arrivée à la conscience d'elle-même, de son intensité et de son harmonie intérieure : le beau, avons-nous dit, peut se définir comme une perception ou une action qui stimule la vie sous ses trois formes à la fois (sensibilité, intelligence, volonté). Enfin le sentiment religieux se produit lorsque cette conscience de la sociabilité de la vie, en s'élargissant, s'étend à l'universalité des êtres, non seulement des êtres réels et vivants, mais aussi des êtres possibles et idéaux ». (L'Irréligion de l'avenir. Etude sociologique, Paris, F. Alcan, p.3)

* 277 Selon S. Kierkegaard, l'existence résiste à l'abordage de la raison dialectique ou discursive. En conséquence, il n'y a pas de concept d'existence possible (puisqu'elle s'éprouve) et bien entendu, mettre l'existence à l'épreuve de la philosophie, n'est pas une entreprise vaine. Pourtant, nous sommes tous coutumiers du fait puisque nous existons. Exister n'est rien d'autre pour S. Kierkegaard, que `marcher sur le chemin de la vie'. Exister pour S. Kierkegaard, c'est aussi et surtout faire un choix ; exister, c'est donc choisir d'exister. Cependant, il nous semble que S. Kierkegaard et ses continuateurs contemporains de Guyau, ainsi que les traités d'éthique, de métaphysique, de philosophie générale (et même de biologie!), relaient une confusion qui a sans doute laissé Guyau pantois. Pourquoi identifier, assimiler l'existence à la vie ? S. Kierkegaard pensait-il, en révélant ce qu'il y a d'irréductible dans l'existence, percer par là même occasion, le `mystère de la vie' ? Pourtant, il savait que quiconque que vivre, ce n'est pas tout à fait exister, et exister, ce n'est pas tout à fait vivre. D'aucun diront qu'on ne peut vivre sans exister, et c'était, nous semble t-il, l'avis de Guyau. Dans aucun de ses ouvrages, le philosophe français ne fait l'amalgame entre la vie et l'existence. Il fonde en raison un primat ontologique de la vie. « Ce qui est premier, c'est la vie » (Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p. 77) écrit-il sans ambages. L'existence est seconde, et vient donc après. Ce statut a de l'existence chez Guyau, peut s'avérer trompeur. Car, affirmer le primat de la vie sur l'existence, et donc leur dissemblance, ce n'est nullement affirmer qu'elles n'entretiennent aucun rapport. Parce que la vie est fécondité, elle est l'existence authentique. C'est parce que la vie est générosité, élargissement du moi, qu'elle est l'existence accomplie et non mutilation de soi. Guyau conclut alors que la vie est la sève de l'existence. La vie est la substantiel moelle de l'existence véritable qui est engendrée par celle-ci. « La vie n'est pas seulement nutrition, elle est production et fécondité. Vie, c'est la fécondité, et réciproquement la fécondité, c'est la vie à pleins bords, c'est la véritable existence. Il ya une certaine générosité inséparable de l'existence, et sans laquelle on meurt, on se dessèche intérieurement » (Ibid., p.87). En définitive, la lecture et par conséquent l'interprétation que nous faisons de l'oeuvre de Guyau, nous interdisent d'assimiler l'existence à la vie. En revanche, Guyau pose bel et bien, une identité entre l'unité de l'être et l'unité de la vie. « Il s'agit, d'être et de vivre, de se sentir être et de sentir vivre, d'agir comme on est et comme on vit » (Ibid., 214). Là encore, l'unité de l'être n'est pas l'existence, mais bien ce qui fait qu'elle est. Autant dire que l'univocité de l'existence n'équivaut pas à l'équivocité ou plutôt la plurivocité de la vie (art, morale et religion) chez Guyau.

* 278 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., 153.

* 279 La Morale d'Epicure, op.cit, p. 33.

* 280 Ibid., p. 131.

* 281 Ibid., p. 279.

* 282 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p.77 et p. 213.

* 283 Ibid., p. 87 et p. 177.

* 284 Ibid., p. 212.

* 285 La Morale d'Epicure, op.cit., p.209.

* 286 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p.213

* 287 Ibid., p.86

* 288 La Morale d'Epicure, op.cit., p

* 289 Ibid., p. 102.

* 290 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p.123.

* 291 La Morale d'Epicure, op.cit., p. 198.

* 292 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p.91.

* 293 Ibid.

* 294 Jean -Marie GUYAU, Contre l'idée de sanction, Paris, L'Herne, « Carnets », p.2008, p. 9.

* 295 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p. 212.

* 296 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p. 91 et p. 216.

* 297 La morale d'Epicure, op.cit., p.186.

* 298 Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p.21.

* 299 Ibid., pp.122-123.

* 300 Si la sociabilité de la vie est avérée chez Guyau, il est important de rappeler que si la vie inclut les plaisirs altruistes, elle induit aussi le risque et la lutte. Risquer pour vivre, les motifs même de vivre. « Le péril affronté pour soi ou pour autrui, intrépidité ou dévouement, n'est pas une pure négation du moi et de la vie personnelle : c'est cette vie portée jusqu'au sublime » (Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, op.cit., p. 129). Le sublime permet à la vie d'effectuer une sorte de « saut qualitatif » puisqu'il la sort de la monotonie et de l'ordinaire. La quête du sublime participe à ce processus d'élargissement du moi. « En somme, l'homme a besoin de se sentir grand, d'avoir par instants conscience de la sublimité de sa volonté. Cette conscience, il l'acquiert dans la lutte : contre soi et contre les passions, ou contre les obstacles matériels ou intellectuels. Or, cette lutte, pour satisfaire la raison doit avoir son but. L'homme est un être trop rationnel. Le sublime, en morale comme en esthétique, semble tout d'abord en contradiction avec l'ordre qui constitue proprement la beauté ; mais ce n'est là qu'une contradiction superficielle : le sublime a les même racine que le beau, et l'intensité des sentiments qu'il suppose n'empêche pas une certaine rationalité intérieure » (Ibid., pp.126-129). Dès lors, tous les moyens sont bons pour accéder au sublime, même les plus extrêmes ; si bien que « le sacrifice même de la vie peut être encore une extension de la vie, devenue assez intense pour préférer un élan de sublime exaltation, à des années de terre à terre » (Ibid.).

* 301 Ibid., p.212.

* 302« Il y a si loin de la façon dont on vit à celle dont on devrait vivre, fait observer N. Machiavel, que celui qui confond ce qui se fait avec ce qui devrait se faire, apprend à se détruire plutôt à se préserver. Aussi est-il nécessaire à un prince, s'il veut se maintenir, d'apprendre à pouvoir n'être pas bon » (Le Prince, traduction de J. Anglade, Paris, Le Livre de Poche, XIX, p. 96). L'histoire montre que ce n'est pas la bonté, la probité et la morale qui commandent toujours en politique ; mais tout au contraire la cruauté, la ruse, la violence et le mensonge. C'est la thèse que développe le philosophe italien Nicolas Machiavel, qui s'adresse directement au souverain. Le principal conseil qui lui donne est de ne pas respecter la morale, ou plus exactement savoir s'en écarter en cas de besoin. « Il faut que le souverain sache opter pour un mal, si cela est nécessaire. C'est pourquoi, comme je l'ai dit plus haut, s'il veut maintenir son Etat, un prince doit souvent recourir à la méchanceté » (Ibid., XVII, XIX, p. 94 et p. 96). La politique s'affranchit alors de toute référence aux idéaux de justice et de bien, pour ne plus s'évaluer qu'en terme d'efficacité. Si bien que le prince « n'hésite pas non plus à accepter le vice nécessaire à la conservation de son Etat, si honteux qu'il puisse paraître ; car, tout bien considéré, telle qualité qui semble une vertu est susceptible de provoquer de provoquer la ruine ; telle autre au contraire qui semble un vice, pourra apporter à son gouvernement le bonheur et la sécurité » (Ibid., XV, p. 81).

Jusque là, de Platon à Thomas d'Aquin, morale et politique étaient absolument indissociables, inséparables, et le politique était conçu comme une morale collective ; sa fonction première était de déterminer comment rendre les individus vertueux et comment pacifier les égoïsmes. Avec Machiavel, le lien entre morale et politique est définitivement rompu : celui-ci est désormais affaire de puissance. Ce dernier n'est plus le moyen de mettre en oeuvre un idéal moral, mais une fin en soi. Le Prince, marque la fin des illusions, quand apparait dans toute sa nudité la nature réelle du pouvoir et de l'histoire.

Pour Hegel, au contraire, l'Etat est la réalité en acte de l'idée morale objective. L'Etat est l'esprit moral comme volonté substantielle révélée à soi-même, qui se connaît et se pense. L'Etat est la volonté substantielle révélée qui accomplit ce qu'elle sait et parce qu'elle sait. Le but avoué de l'Etat pour Hegel est ainsi l'intérêt universel. Toutefois, l'intérêt général est le but de l'Etat d'une manière telle que, l'individu y est en même temps une personne indépendante, conformément à la destination de la société civile. L'Etat est un but universellement posé et connu, dans lequel les individus n'existent pas seulement de manière naturelle, atomique, soumis à leurs impulsions, mais sont des individus libres et ont, en tant que tels, cet universel pour contenu de leur savoir. C'est là, pour Hegel, le mode d'être le plus libre de la vie éthique. L'éthique ne peut exister sous la forme de l'universalité de l'Etat, mais aussi et de manière essentielle, sous la forme de la particularité sociale ; le politique est donc une des formes que prend la morale objective. Ou plus exactement, il n'y a pas chez Hegel, de politique qui ne soit fortement emprunte de morale. « On a, pendant un temps, fait observer le philosophe allemand, beaucoup parlé de l'opposition de la morale et de la politique, et de l'exigence que la première commande à la seconde. Il y a lieu seulement de remarquer en général que le bien d'un Etat, a une bien autre légitimité que le bien des individus et que la substance morale, l'Etat a immédiatement son existence, c'est-à-dire son droit dans quelque chose de concret et d'abstrait. Seule, cette existence concrète et non pas une des nombreuses idées générales tenues pour des commandements moraux subjectifs peut être prise par l'Etat comme principe de sa conduite. La croyance en la soi-disant injustice propre à la politique, dans cette soi-disant opposition, repose sur les fausses conceptions de la moralité subjective, de la nature de l'Etat et de la situation par rapport au point de vue moral subjectif» (Principes de la philosophie du droit, op.cit., §337, p.363).

Un écrivain français contemporain s'est réapproprié les thèses machiavéliennes, en démontrant les dérives amoralistes du pouvoir politique. Il tentait de comprendre les rapports ambigus - incestueux ou conflictuels - qu'entretiennent la morale et le politique. Dans un ouvrage très atypique aux allures pourtant de pamphlet, il démontre que le récent passé politique français est amoraliste au départ, et moraliste à l'arrivée.

La France occupée après la défaite de quarante, le concept qui qualifie le mieux le pouvoir politique de Vichy, c'est « l'impunité ». Le pouvoir exécutif l'époque, générait et profitait de l'impunité ; il pataugeait dans les intrigues et les scandales. Mais « en politique, le scandale est un enfantillage. Voltaire le définit comme une grave indécence. Que ce régime ait été indécent, c'est indiscutable » (S. Denis, L'Amoraliste, Paris, Fayard, 1992, p.78). Le pouvoir de Vichy tirait un certain bénéfice de l'impunité alors que les contre-pouvoirs était incapable et impuissant à « dérouter le vieil [Etat] amoraliste » (Ibid., p.104). Si le gouvernement Vichy est jugée amoral, c'est parce que « le pouvoir n'avait jamais été aussi absolu et son ordre ne s'était jamais aussi bien nourrit du désordre» (Ibid., p.184). L'impunité et le désordre ne sont pas les seuls piliers de ce que nous appellerons ici, l'amoralisme d'Etat. Quand on mentionne l'impunité et le désordre, c'est bien entendu que la corruption n'est pas loin. En effet, « la corruption du régime a ceci de particulier qu'elle bénéficie des service de l'Etat. La corruption [est] d'autant plus forte que le pouvoir est entier» (Ibid., p.69). L'autre grief, tout aussi important, est le fait que sous les beaux habits de l'Etat de droit, le gouvernement de Vichy « put alors se féliciter bruyamment du triomphe de la séparation de pouvoirs : aux uns le pouvoir, aux autres la faculté d'y obéir » (Ibid., p. 133).

D'un autre côté, l'histoire française, pense t-il, laisse apparaître au grand jour que le pouvoir politique est le bras séculier de la morale, et que l'Etat instaure une dictature morale. Avec l'arrivée du socialiste F. Mitterrand à l'Elysée au début des années quatre-vingts, l'imaginaire collectif pensait que « le jour avait succéder à la nuit ; que la morale triomphait du vice » (Ibid., p. 68). Selon lui, on assistait, presque conquit, « au triomphe du nouvel ordre moral » (Ibid., p. 86). Avec l'arrivée des socialistes aux affaires, « le régime prit un air moralisateur et bon bougre » (Ibid., 101), car la majorité des intellectuels français (de gauche) défendait inlassablement « un avantage moral du socialisme ». Ainsi, les socialistes faisaient alors valoir « les prétentions morales de leur gouvernement » et l'Etat mettait la vertu et les jugements moraux en en acte. C''était l'époque ou la charité était élevée à la dimension de la solidarité. « Ce que l'on a pu s'ennuyer sous ces années morales, s'exclame l'auteur, comme un grief à ce moralisme d'Etat, cet Etat ouvertement moral qu'Hegel appelait de ses voeux.

303 Un philosophe contemporain français peu connu a formulé une critique intéressante contre l'amoralisme ou l'indifférentisme moral de Guyau. Il pensait que la dichotomie entre la morale de l'obligation et l'amoralisme, que Guyau institue, est un faux problème, ou plus exactement un faux dilemme. Pour quelles raisons ? Voilà sa réponse : « On oppose souvent un dilemme à ceux qui parlent d'une éthique sans obligation : ou bien il y aura des obligations morales qui diront exactement ce qu'il faut faire, ou bien on se trouvera dans une totale amoralité. Un tel dilemme est faux. Il est en effet possible d'avoir une appréciation morale sur des actions même lorsqu'on a abandonné une distinction entre ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire, et même si l'on a rejeté les catégories du bien et du mal. Ainsi, tout est permis, mais tout n'est pas nécessairement bon pour moi. Dans cette perspective nous voudrions dépasser l'opposition entre une morale de l'obligation et l'indifférentisme moral ou amoralisme, et montrer qu'entre ces deux pôles il existe une autre possibilité : celle où, sans devoir se conformer à des obligations, les gens se sentent malgré tout tirés hors de l'indifférence morale parce qu'il sont l'objet d'un appel venant d'un lieu déterminé. Dans ce sens, on peut parler comme chez Bergson, d'une morale de l'appel » (G. Fourez, Choix éthiques et conditionnements sociaux. Introduction à une philosophie morale, Paris, Le Centurion, 1979, pp.84-85.). Ce philosophe a le mérite de théoriser la réconciliation entre la préservation amoraliste de la liberté individuelle, et l'imprescriptible moralité humaine dont la (voix de la)conscience est le symbole. Mais, l'individu, précise t-il, ne saurait se sentir indifférent ou insensible à l'appel de la morale, parce qu'il y a une pluralité d'appels et de sens. « Dans la société, une multitude d'appels éthiques ouvre la porte à une pluralité de sens et écarte la perspective d'une indifférence moral » (Ibid., p.85.).

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams