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Les enfants en situation de rue du Sénégal. L'identité et la socialisation dans le processus de sortie de la rue

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par Corentin SIROU
Université Lumière Lyon 2 (ISPEF) - Master 1 sciences de l'éducation 2011
  

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Annexe 6 : Entretien 5 : Tarik

- Moi j'ai commencé la rue à l'âge de cinq ans. Je viens de Dagana, [C-AM(i)][C-AP(f)] c'est mon père qui m'a mis dans la rue, c'est mon père qui m'a mis dans le daara. C'est à dire c'est pas la rue, c'est les daaras, et c'est nous même qui vont aller dans la rue pour mendier, trucs comme ça. J'étais à l'âge de cinq jusque... aujourd'hui j'ai vingt ans. J'ai eu de la chance d'être adopté117 quand j'étais encore plus jeune, à l'âge de quinze ans.

- A quinze ans tu es sorti de la rue alors ?

- La rue, je suis parti... je savais que j'étais déjà adopté mais je suis resté toujours dans le daara parce que je continuais mes études. Parce que quand j'étais ici, le but c'était les études.

Bon la rue quand même, c'est pas facile, parce que tu es dans le daara, c'est pas facile. Chaque jour il faut aller trouver à manger, il faut trouver de quoi donner le marabout et tout ça.

- Quand tu dis « étude », c'est étude coranique.

- Coranique, oui. On était dans la rue, on mendiait. Et puis on était nombreux quand même. On était beaucoup, certains ont réussi, certains sont rentrés chez eux, et certains sont encore là, à St-Louis.

- A quel âge as-tu quitté le daara ?

- Maximum je peux dire... A l'âge de seize ans j'ai quitté carrément. Après je faisais plus la rue. Là j'ai commencé à travailler.

- C'est ton père tout seul qui a pris la décision de te mettre au daara ?

- Oui c'est lui qui a pris la décision.

- Quand tu étais talibé donc, tu avais des amis ?

- Oui, [S-IG] j'avais des amis dans la rue, mais on était des frères, pas des amis parce que on fait tout ensemble, depuis tout petit on a grandi ensemble. On mendiait, on a travaillé un peu, on s'est battu dans la rue, tout ça. Malgré... Quoi qu'il arrive aujourd'hui, bon. Certains regrettent d'avoir été dans la rue, mais moi j'ai pas regretté d'avoir été dans la rue, parce que la rue ça m'a beaucoup appris dans ma vie. Il y en a d'autres qui n'ont pas eu la chance que j'ai eu moi.

- Ça t'as appris quoi par exemple ?

- Ça m'a appris la vie, beaucoup de choses.

- A te débrouiller ?

- Oui, à me débrouiller, parce que si tu es dans la rue, et que tu es pas débrouillé... Tous les enfants qui sont dans la rue, tu peux les appeler des débrouillards. Les jeunes de dix ans qui trouvent tout, tout ce que la famille devrait faire, il va le faire. C'est toi qui doit trouver la bouffe, c'est toi qui doit trouver de l'argent pour toi, c'est « chacun pour soi et Dieu pour tous », on peut dire ça. Parce que le marabout faut qu'on lui ramène de l'argent, pour nous

trouver à bouffer, et on se débrouillait. [S-IC] Bon, moi j'ai eu beaucoup de contacts quand j'étais jeune, on a eu beaucoup de gens qui nous aidaient autour. Comment on

peut dire.... ? Ce qui était le plus difficile c'était... Beaucoup de familles, des SaintLouisiens nous ont beaucoup aidé, ils nous donnaient à bouffer, de quoi laver, nous donnaient des habits pour s'habiller, tout ça. Donc voilà. Donc je connaissais beaucoup

117Ici, il ne faut pas comprendre le mot « adopté » comme on pourrait l'entendre en France, c'est à dire comme un statut officiel issu d'une procédure administrative. Dans ce cas, l'expression « prendre sous son aile » rend mieux compte de la réalité que recouvre ce mot. C'est en effet une personne qui progressivement lui a apporté son aide, l'a éduqué, lui a un peu appris à lire/écrire/compter, l'a nourrit, logé, puis lui a trouvé un travail.

de familles à St-Louis qui nous ont beaucoup aidés. Parce qu'après on s'est retrouvé,... pas la Liane, j'ai oublié comment s'appelle... [S-IC] chez les canadiens, c'est là-bas que tout à commencer, c'est là-bas qu'on a commencé à avoir la vraie vie quoi ! A l'âge de treize ans, c'est là-bas qu'on a commencé à apprendre un peu la vie : à lire, à écrire, parce qu'il y avait une femme qui s'appelait C.. Moi avant j'étais avec D., et c'est lui qui m'a appris à lire, après il est parti en France, et C. est arrivée, et moi [S-IC] j'ai laissé le centre pour travailler avec G.. Ça a changé carrément pour quoi. Il m'a appris à lire, parce que avant d'aller travailler, je faisait que coranique et l'école, avec un monsieur qui s'appelait M. F.. C'est lui qui était tout le temps là-bas qui m'apprend à lire et à écrire. Après j'ai grandi, j'ai commencé à traîner et il m'a trouvé une situation, du boulot dans un supermarché, j'ai quitté mes études. J'avais un salaire.

- C'était vers quel âge ça donc ?

- Ça a commencé à partir de l'âge de 16 ans jusque maintenant. G. m'a appris pas mal de choses hein : à travailler, la vie, les bonnes manières, l'amour de la vie. Aujourd'hui tout ce que je peux dire, tout ce qui est en moi aujourd'hui c'est lui qui a mis tout ça dans ma tête. Il m'a bien aidé dans ma vie.

- Quand tu étais talibé, il y a des moments où tu voulais rentrer chez toi ?

- Oui, beaucoup de moments, parce que, en fait, quand tu es encore jeune, tu vois, c'est dur, parce que dans le daara, il faut avoir le courage pour rester là-bas. T'as des jeunes - nous on étaient les plus jeunes - il y a les plus âgés qui étaient derrière nous, c'est eux qui nous soutenaient pour pas retourner. Mais j'ai pris la fuite mais je suis resté à St-Louis, parce que je savais pas où était le chemin, je savais pas beaucoup de choses et on m'a attrapé et mis dans le daara. Et puis je suis resté dans le daara, parce que dans le daara on y passe là-bas, parce que on apprend le Coran, on apprend. Il faut apprendre bien les choses.

- Et quelles autres choses t'ont empêché de retourner à Dagana ?

- Bon. Aussi, je savais que si je retournais chez moi, mon père me ramènerait encore ici. Ça m'a empêché de fuguer, et parce que Dagana, je ne connaissais pas beaucoup de choses làbas. J'ai quitté à l'âge de cinq ans, et moi j'ai grandi ici. Tous les enfants étaient là, tous mes potes que j'ai connu au daara étaient là. Ça m'a empêché. Et je savais que si j'y allais et que je revenais, ça allait être plus dur, je voulais pas ça.

- Je dis quelque chose de juste si je dis : « tu es resté à Saint-Louis parce que tu avais tes

« frères », comme tu dis, et c'était avec eux que tu te sentais le mieux peut-être » ?

- Bon, ça peut jouer, parce qu'avec eux j'ai évolué, on s'entendait bien, je me sentais bien. - Il y auraient d'autres chose qui t'ont inciter à rester à St-Louis ?

- Je vois pas d'autres choses qui m'ont fait rester à St-Louis

- Tu pensais à d'autres solutions pour retourner à Dagana ? Ou quitter le daara ? Peut-être une association ?

- Oui, mais dans les associations on avait peur de passer là-bas, parce que qu'on nous disait de
ne pas y aller, et si le marabout était au courant qu'on était passé dans une association...
Parce que les marabouts ils voyaient les associations contre les daaras. On voulait pas y
aller. Mais y'avait une dame, quand elle est venue, elle a parlé avec les marabouts. Elle a

dit : Ça sera plus comme avant, ils vont rester là avec nous, mais juste ils vont venir apprendre.

- Quelles étaient les activités ? des petits boulots ? Des jeux ?

- On allait au marché Ndar Tout pour aller bosser dans les poissons, laver les poissons pour gagner un peu de sous, et après on allait jouer au foot. On était dans le marché pour gagner un peu de sous de temps en temps. Tous les jours presque, chaque matin, quand on descend le midi, on partait dans le marché pour gagner de l'argent, et le soir, on partait jouer au foot.

- Et la mendicité ?

- Oui, aussi. On partait au marché le matin, à 11h, et on restait là-bas, jusque 1h, 2h, et après on partait mendier pour trouver quelques chose à manger. Après, si on bouffe, on ramène de la bouffe au daara, au marabout, et à 17h, nous on partait jouer au foot, mais d'autres partaient pour travailler ou mendier. Et le travail recommence à 19h.

- Où était ton daara ?

- Au nord

- Et pendant tes activités, tu n'étais jamais seul ?

- Y'avait tout le temps... bon des fois ça arrive d'être seul. Quand je commencais à fréquenter les toubabs, j'ai commencé à partir tout seul moi-même. Quand j'étais jeune, j'avais des potes français, j'ai commencé à partir tout seul avec eux pour aller chez eux. J'ai préféré partir tout seul. Mais, en même temps, je restais toujours avec mes amis. Quand je partais seul, c'était pour un moment, je restais là-bas et je retournais avec eux.

- Donc à quinze ans, on t'a adopté, et on t'a donné des petits boulots, et progressivement, c'est comme ça que tu as quitté le daara.

- Oui, c'est ça qui nous a vraiment poussé à partir. Un moment, le marabout était en voyage, on a commencé à grandir, les plus grands étaient déjà partis pour trouver autre chose, et nous on restait là-bas. On partait étudier, on revenait, mais à l'âge de 15 ans, j'ai commencé à bosser, à connaître G., et [C-SA] carrément j'ai quitté. Parce que j'étais malade. Avant au daara, j'ai commencé à être malade et là, avec ma maladie, j'ai quitté carrément.

- Tu ne regrettes donc pas d'être passé dans la rue. D'avoir fait le daara...

- Non

- Il y a un âge limite pour le daara ? Où le marabout vous dit de partir ?

- Ça dépend, ça dépend... Oui, il y a un âge limite, si tu as bien appris le Coran, si tu es âgé. Parce que il y a des daaras où il n'y a pas d'âge limite. Bon si tu es âgé, le marabout va essayer de contacter tes parents, pour que tu puisses rentrer, rencontrer ta famille. Au bout d'un moment, lui ne te retient plus. Tu demandes la permission et il te laisse partir. Je peux pas dire pour les autres marabouts, mais mon marabout, si tu es âgé, il va te laisser partir. Y'a des talibés qui ont vingt ans, qui ne rentrent pas, juste les études coraniques et bosser. Ils restaient toujours, parce que tu peux toujours apprendre le Coran.

- Donc à un certain âge, si tu veux, tu peux partir tout seul ?

- Oui, si tu veux tu peux partir.

- Mais si tu pars à 7 ans par exemple, là on va venir te chercher...

- Oui, là c'est pas possible. Vers 20, 21 ans. Nous on a eu de la chance de sortir tôt du daara, parce que nous on a bien appris. Ce que d'autres mettent plus de temps nous on a bien appris. On était très jeune, on a bien appris. A l'âge de 15 ans, on comprenait tout le livre. Quand tu dis une ligne, nous on savait ce que tu dis, où c'était... on savait bien. Et le marabout, il faisait confiance, il savait qu'on apprenait bien. « Jusqu' à présent c'est pas assez... ». Bon nous on a décidé de partir jeune, mais y'en a qui sont restés. [I-SP] Après, moi j'ai eu d'autres idées, d'autres visions, c'est là que j'ai eu envie de partir quoi.

- Tu veux rajouter quelque chose sur ce qu'on vient de dire ? Compléter ?

- Bon, juste, moi, je regrette rien d'être passé dans le daara. Peut-être juste une chose qui m'a frappé, c'est pas retourner dans la famille. C'est ça qui m'a gêné. Le fait de grandir sans famille. Mais sinon, je ne regrette rien. Je n'en veux pas à mon père, ni à ma mère. Je leur dit même merci. Ça m'a aidé dans ma vie et ça m'a fait comprendre beaucoup de choses. Certains se retrouvent dans le banditisme, ces choses. Moi j'ai eu de la chance. Le daara m'a apporté. Si j'étais pas dans le daara, je serais pas ici. Ça il faut le comprendre. Je serais à Dagana, je ne sais pas ce que je serais devenu. Aujourd'hui, après le daara, je travaille, je gagne ma vie... Tant mieux !

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo