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Crimes sexuels sur enfants en Indre-et-Loire à  la fin du XIXème siècle

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par Timothée Papin
Université François-Rabelais (Tours) - Master 2 Histoire contemporaine 2011
  

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Chapitre II : Stratégies autour de la défense

La défense de l'accusé empreinte des voies diverses, bien qu'on puisse aisément en résumer la teneur : soit il choisit le chemin des aveux voire de la rédemption, soit il dément avec plus ou moins de pugnacité. Puisque le système judiciaire français impose qu'il faille démontrer la culpabilité de l'inculpé, de nombreuses possibilités s'offrent a la défense pour éviter une condamnation ou la réduire.

Sans coeur et sans reproche

La première d'entre elles consiste a nier tout culpabilité, et ce a un tel point qu'il en révèle le cynisme révoltant de l'accusé. Malgré ou peut-être grâce à la grande gravité pénale que revêt le crime sexuel sur enfant, ils ne sont qu'une minorité a emprunter ce dangereux chemin. Environ les trois quarts d'entre eux sont accusés de crime incestueux, ce qui démontre une fois de plus combien ce type d'agresseur entend ne rendre de comptes à personne.

La première caractéristique de ce triste personnage est de ne jamais avouer sa faute, et de ne reconnaître aucun témoignage voire - fait rarissime - de dénigrer les examens médicaux pratiqués. L'un d'eux, peut-être le plus évidemment coupable de tous, a même confié a son notaire qu'il pensait être acquitté996. Chez certains effectivement, les dénégations sont tant invariables et persuasives - « Je vous le dirais si c'était vrai car je suis franc pour ces choses-là ~, dit l'un d'eux997 - qu'on en vient a se demander si euxmêmes ne sont pas convaincus de n'avoir rien commis de répréhensible. Leur attitude révoltante, qui plus est lorsqu'ils sont le père de la jeune victime, peut même prendre les traits d'une bravade envers le juge et sans doute au-delà, la Justice en tant qu'institution. « J'ai toujours eu soin de mon enfant, Dieu merci je n'ai pas cela a me reprocher », dit le père du petit Émile dont nous avons tant parlé998. Après avoir ajouté que ce dernier avait

996 ADI&L, 2U, 635, affaire Fournier. Il faut dire que les multiples attentats qu'il aurait commis précédemment sur sa fille n'ont jamais pu être prouvés.

997 ADI&L, 2U, 613, affaire Cathelin.

998 ADI&L, 2U, 635, affaire Fournier. Rappelons qu'au-delà des agressions sexuelles opérées sur son fils, on l'a également accusé d'une grande maltraitance envers lui. Il ne lui donnait presque rien a manger et se montrait très violent envers lui, ce qui est sans doute a l'origine de la mort du malheureux enfant et de sa soeur a qui il a fait subir les mêmes mauvais traitements.

déclaré devant témoins ne jamais avoir été aussi heureux qu'avec son père, il se fait quelques lignes plus loin encore plus abject : « Je m'en voudrais d'avoir fait une chose comme celle-là ». Le manque de respect envers la victime - mais est-ce là le plus grave ? - est encore plus flagrant lorsque le juge met l'accusé en présence du cadavre de son fils, qui imperturbable, renouvelle ses dénégations.

Bien sûr, parler de cynisme implique une interprétation personnelle, et d'autres actes et paroles de criminels mériteraient peut-être ce qualificatif. De toute manière, les points que nous allons soulever relèvent tous plus ou moins de cela, car nier des faits aussi souvent évidents n'est pas le signe d'une grande moralité. Afin d'y voir plus clair dans les « prétextes » et autres « excuses » donnés par les prévenus, nous les avons regroupés en plusieurs catégories : la première, la plus courante, concerne une lâcheté que les féministes seraient tentées de dire « toute masculine » : accuser sa victime, soit de l'avoir provoqué, soit d'avoir été consentante. La seconde, très répandue également, consiste à élargir le champ de l'accusation et de pointer du doigt un peu tout le monde, arguant d'un complot. Troisième solution, mettre en avant un état anormal au moment de l'agression. Enfin la dernière, peut-être anecdotique, mais un minimum intéressante car elle révèle combien les prévenus sont imaginatifs lorsqu'il s'agit de trouver un prétexte ou une excuse à leur faute.

Accuser l'enfant d'avoir été a l'origine de l'attentat constitue une manoeuvre audacieuse, mais qui peut porter ses fruits. A présent que nous sommes instruits des conséquences d'une mauvaise réputation de la victime, on comprend mieux pourquoi cette démarche est ordinaire. « La meilleure des défenses c'est l'attaque ~, comme l'annonce le dicton. Les affaires incestueuses, une nouvelle fois, empruntent beaucoup à cette maxime, car le rapprochement géographique ainsi que les liens qui unissent les deux protagonistes sont de nature à provoquer des rapprochements criminels. Plus largement, non seulement cette tactique détourne l'attention du juge sur les faits principaux de l'instruction, mais cela est a même d'engendrer un doute dans la tête des jurés, ce qui au fond, importe le plus.

Ces hommes n'hésitent pas a se faire passer eux-mêmes pour les victimes de jeunes filles
sans aucune morale. Tout d'abord ils mettent en cause l'attitude de l'enfant, qu'ils jugent

provocante : dans la majorité des cas ce sont des (( paroles libres » ou encore des conversations obscènes, voire des lectures osées. Ils prétendent que c'est la victime qui leur a demandé de leur faire ce dont ils ont aujourd'hui a répondre devant le tribunal. Elle se serait montrée plus qu'entreprenante - (( dégourdie » - et les aurait séduit par leur enthousiasme (( débordant », preuve en est cette affirmation pleine d'élégance d'un vigneron de soixante-et-onze ans : (( Cette fillette mouille comme une femme de vingt ans »999. (( [Elles] me cherchaient, me poussaient à cela », se défend un sexagénaire1000. Afin d'être plus convaincants, les prévenus cherchent a salir le passé de l'enfant, et surtout d'évoquer des relations sexuelles antérieures, avec d'autres personnes. Ils tentent également de faire rentrer ces agressions dans le cadre légal de la prostitution : (( Je connais très bien cette fille, car j'ai couché plusieurs fois avec elle pour quelques pièces d'argent, dit un ouvrier d'une fillette de neuf ans1001. Outre la déstabilisation de cette dernière, cela a pour objectif de prévenir un éventuel diagnostic de défloration lors de l'examen médical. Cependant de telles accusations sont risquées lorsque le juge d'instruction n'est pas de ceux qui voient dans les enfants des créatures manipulatrices. L'un d'eux qui fait face a un flot de paroles diffamatoires finit par mettre en garde leur auteur : (( Vous faites en vérité des réponses telles qu'on dirait que vous cherchez a aggraver votre situation »1002.

Certains prévenus vont encore plus loin et essaient de se faire passer pour plus candides encore que leurs victimes, se disant (( scandalisés » par leur conduite immorale, et prétendant même s'être efforcés de les ramener dans le droit chemin. Ce sont eux les premières victimes de l'attentat, puisque celui-ci s'est fait contre leur volonté et malgré leurs observations. Le juge d'instruction semble tout de même très dubitatif devant de telles révélations : (( Il est assez difficile d'admettre que de tous jeunes enfants aient conçu l'idée de se porter sur vous a des actes obscènes »1003. Les magistrats sont assez ouverts d'esprit pour accepter l'hypothèse qu'un enfant puisse provoquer l'attentat dont il reste victime, mais l'idée qu'il puisse en être carrément l'auteur leur paraît inconcevable. Attention donc a ne pas s'attirer les foudres de ceux-ci, car il ne faut pas

999 ADI&L, 2U, 708, affaire Monpouet. Précisons que ladite enfant n'a que dix ans. 1000 ADI&L, 2U, 713, affaire Champigny.

1001 ADI&L, 2U, 743, affaire Latron.

1002 ADI&L, 2U, 603, affaire Hurson.

1003 ADI&L, 2U, 635, affaire Ganier.

oublier que ce sont eux qui dirigent et orientent les débats, et peuvent de cette façon influer sur le procès à venir. En somme, une telle stratégie est risquée comme le démontre Ambroise-Rendu : l'historienne relate le procès d'un père qui accuse sa fille de six ans d'être perverse et de l'avoir provoqué1004. L'avocat général note que le jury a été indigné par tout ce cynisme, ce qui l'a peut-être poussé a refuser l'octroi de circonstances atténuantes.

Si les accusations de ce type sont nombreuses, que dire de celles qui mènent à la théorie du complot ? Certes, les communautés villageoises ou urbaines tissent entre leurs membres des liens au quotidien, ce qui entraîne naturellement rivalités et tensions. Mais de là a ce que des personnes s'entendent entre elles pour tendre un piège a un honnête homme, cela semble un peu exagéré. Cependant c'est une raison invoquée par trois accusés sur dix environ. Les hygiénistes qui prônent la méfiance voire la défiance vis-à-vis des témoignages d'enfant semblent avoir inspiré une bonne partie des prévenus. Il est vrai qu'une telle accusation est très facile a lancer, mais beaucoup plus difficile à démontrer. C'est ce pourquoi la plupart de ces manoeuvres ne reposent sur rien de précis, ce sont juste des suppositions, peut-être fondées.

Dans la majorité des cas, la cible de ces allégations n'est pas la victime elle-même, mais ses parents. L'inculpé peut même aller jusqu'à parler de complot ou de machination, accusant les voisins voire le village tout entier, y compris le maire. Dans le cas d'une affaire incestueuse, c'est la mère qui est prise a parti, on dénonce une manoeuvre de sa part pour se débarrasser d'un mari gênant. En dehors de ce cas particulier, les accusations sont de la même veine pour la plupart : on veut envoyer le prévenu en prison par pure vengeance, ou bien pour éviter de payer une quelconque dette. Les histoires d'argent sont un bon prétexte, car nombre d'accusés évoquent le chantage pour soutirer a un honnête homme une bonne somme. C'est tout naturellement qu'un rentier a adopté cette stratégie de défense : il commente les déclarations des victimes, disant que « ce n'est pas mal composé », ainsi que « c'est bien étudié », pour finalement se montrer plus sévère en exposant que « c'est trop mal inventé pour que cela soit vrai ~, et qu'on

1004 AMBROISE-RENDU, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2009, n°4, p. 177.

cherche a lui soutirer de l'argent1005. Arsène Collet, héritier d'une riche lignée, se dit également victime d'une immonde machination, et tente d'accréditer sa thèse en citant un villageois qui lui aurait dit : « Vous êtes bon ! Pourvu que vous n'ayez pas a vous en repentir ! »1006.

Cet accusé ne manque d'ailleurs pas d'imagination pour étayer sa théorie, il est vrai remarquable de détails, qui font presque se demander s'il ne souffre pas d'un délire de persécution. Collet en profite au passage pour écorner la réputation des membres de la famille qu'il dit avoir tant aidée, et ainsi recouvre la plupart des manoeuvres destinées a entamer la crédibilité des témoins à charge. C'est donc à travers une série de lettres envoyées depuis sa cellule au juge d'instruction, qu'il annonce tout d'abord que la jeune victime, Rachel, a été élevée chez son oncle, qui a abusé de ses prérogatives1007. Il accuse au passage celui-ci d'avoir tué une femme, car noircir le tableau n'est sans doute pas inutile, pense-t-il. Sauf que sa version prend des traits encore plus grotesques lorsqu'il avance que Rachel se prostitue à son frère, Raphaël, « et peut-être a d'autres ~. Tant qu'à salir une famille, autant ne pas faire d'exceptions, aussi il raconte que ce dernier apprend a ses petits frères a traiter leur grande soeur de putain. Il semble d'ailleurs en vouloir grandement a l'adolescent, qu'il accuse de vouloir se venger de lui et même de penser a l'assassiner, et ajoute également qu'il l'a volé. Dans une lettre rédigée quelques jours plus tard, il recentre sa stratégie sur la victime : il prétend que la mère de celle-ci lui a confié : « Ah ! vous la croyez meilleure que les autres, elle ne vaut pas mieux. Remarquez-le. C'est elle qui recherche le plus souvent son frère ». Il ajoute qu'il a surpris plus d'une fois la jeune fille en galante compagnie, embrassant un garçon. Enfin, il remet en cause le processus même de la dénonciation, évoquant une manipulation de la part du maire qui l'a recueillie. Celui-ci aurait proposé 200 francs a Rachel si elle avouait ce qu'il lui demandait, et l'aurait même torturée afin de parvenir a ses fins.

1005 ADI&L, 2U, 610, affaire Frileux. Le juge ne se montre pas convaincu : « Je vous engage à dire la vérité et de ne point persister dans cette voie de dénégation », menace-t-il.

1006 ADI&L, 2U, 634, affaire Collet.

1007 Le juge d'instruction ne laisse rien passer a l'accusé, pas même cette dénonciation d'un fait pourtant grave : « Quelle que fut votre position dans la famille *...+ vous n'aviez pas le droit de faire a un enfant des questions sur des faits de cette nature que le père lui-même laisse ordinairement à la mère le soin de poser ». Au passage, on remarque combien les pères de famille se désintéressent des affaires de moeurs touchant leurs filles.

Cet exemple porte peut-être la marque de l'exubérance de son principal artisan, cependant la complexité des relations entre les quatre protagonistes de l'affaire - les témoignages de Rachel, de sa mère et de son frère le prouvent - est à même de créer un doute dans la tête des jurés sinon dans celle du juge. La position sociale de l'accusé lui permet également d'exercer une sorte de pression sur la justice, et pour mieux faire encore, il s'apitoie sur son sort : (( Ce qui me fait peur, c'est la souillure de ce nom que toute une génération, la plus honorable du pays, m'avais transmis sans tache », déclare-til. Les magistrats restent généralement de marbre devant de telles accusations, et peuvent même aller jusqu'à dire a l'accusé qu'il ne fait que s'enfoncer un peu plus avec de telles allégations. Et ils manient l'ironie a merveille, comme le démontre ce juge tourangeau : (( Ce serait donc elle qui pour vous nuire se serait fait déflorer et répandre du sperme sur sa chemise par quelqu'individu pour avoir ensuite le plaisir de vous accuser »1008.

Après s'être concentré sur les divers témoins de l'instruction, l'inculpé évoque également sa personne, et les raisons qui pourraient soit prouver son innocence, soit minimiser sa responsabilité. Dans cette catégorie, le principal argument concerne l'état d'ébriété, avec plus de 13% des accusés qui l'évoquent. Cette proportion est plus importante que celle des victimes qui annoncent qu'effectivement l'agresseur était « en ribotte ». Durant l'instruction le juge pose fréquemment la question aux différents témoins et cherche même a savoir quelle était le degré d'ivresse, car un tel fait serait de nature à diminuer légèrement la portée du geste incriminé. (( Si je n'avais pas bu je suis certain que je n'aurais jamais commis un pareil fait », se défend un ouvrier1009.

Dans la même classe d'explications, celles ayant trait a une incapacité physique. Un instituteur tourangeau dit être victime depuis deux mois (( d'une affection qui, par moments [le] met hors de [lui]-même »1010. L'accusé se plaint plus précisément de pertes séminales nocturnes qui stimuleraient exagérément sa libido. Après examen médical, le légiste déclare qu'au contraire cela a pour effet d'éteindre cet appétit sexuel et même d'amener l'impuissance. Cette dernière raison est déjà plus courante, c'est celle employée par un journalier de soixante-deux printemps qui affirme ne plus pouvoir

1008 ADI&L, 2U, 647, affaire Ligeard. 1009 ADI&L, 2U, 641, affaire Durand. 1010 ADI&L, 2U, 655, affaire Massaloup.

toucher à une femme par la faute de rhumatismes goutteux1011. Il ajoute ne plus produire de sperme depuis trois ans. Enfin, un rentier de soixante-quatorze ans avoue les faits mais invoque l'affaiblissement de ses facultés mentales dû a son grand âge1012. Ces explications pourraient avoir de l'influence si la médecine légale n'était pas là pour démontrer le contraire.

Alors les accusés se tournent vers des justifications qui échappent a l'examen scientifique probatoire. Aussi les actes d'exhibitionnisme sont expliqués par le fait qu'il a été surpris au moment d'uriner, ou en train de se « débarbouiller ~ en tenue d'Adam. Puisque la médecine légale est devenue un outil assez efficace, certains prennent le parti de faire des déclarations en adéquation avec les symptômes constatés, mais en essayant de minimiser leur acte. Par exemple, puisqu'il a été prouvé qu'un doigt a été enfoncé dans le vagin d'une petite victime, on prétend qu'il ne l'a été que d'un centimètre. Et lorsqu'il y a eu défloration, on prétend qu'elle a été provoquée non avec la verge mais avec le doigt : (( A l'âge qu'avait ma fille les parties sexuelles sont faciles a blesser même avec le doigt », explique ce journalier1013.

Tous les accusés n'optent pas pour de si pragmatiques justifications, et c'est ainsi qu'ils inventent des histoires tout simplement incroyables. Pêle-mêle on trouve un homme qui se dit ensorcelé, et un autre qui raconte que lorsqu'il a abusé de sa petite-fille, il (( était en rêve )) et croyait que c'était sa femme1014. Viennent ensuite les circonstances et les coïncidences qui prêtent à sourire malgré la gravité des faits : on découvre que les boutons de pantalon ont l'étrange pouvoir de se défaire tous seuls et que par ce même hasard la verge sort du vêtement, ou encore que les jupons ont la propriété de se relever d'eux-mêmes. Et quand cette opération ne peut se faire, on met la main en dessous, mais pas dans le but de (( faire des sottises »1015. Ce vieillard déclare sans rire au juge : (( J'ai

1011 ADI&L, 2U, 721, affaire Boizard.

1012 ADI&L, 2U, 638, affaire Mathieu. Là encore le médecin légiste contredit la version de l'accusé. 1013 ADI&L, 2U, 731, affaire Bigot.

1014 ADI&L, 2U, 719, affaire Dufourg, 744, affaire Robin.

1015 ADI&L, 2U, 688, affaire Champigny.

bien pu badiner avec cette enfant, j'ai bien pu la coucher par terre et me coucher sur elle mais je faisais cela naïvement et sans aucune intention d'amour sur cette enfant »1016.

Face au risque de voir les interrogatoires se transformer en grand n'importe quoi, le juge d'instruction doit recentrer les témoignages de l'accusé afin de se rapprocher de la vérité. Car son but est naturellement de pousser cet homme dans ses derniers retranchements afin de lui faire avouer son crime. Seulement cette entreprise est bien plus ardue que lorsque l'interlocuteur est un enfant. Le magistrat a beau tourner en dérision les explications du prévenu et lui énoncer la version la plus plausible, beaucoup ne varient pas dans leurs déclarations, et nient jusqu'au bout. Cette stratégie est celle de 43% des accusés. Certains sont réfractaires à toutes les tentatives du juge de faire avancer les choses, comme ce vieil homme qui persiste et signe dans ses dénégations : « J'aurais le cou sous la guillotine que je n'avouerais pas », lance-t-il1017.

Ils sont 23% à faire des aveux partiels, le plus souvent afin de réduire la gravité du crime. Pour se faire, le prévenu diminue le nombre d'agressions, en change le type - une pénétration pénienne devient un simple attouchement - et le mode opératoire - on nie l'emploi de la violence physique -, mais peut également comme le note Ambroise-Rendu, « nier le plaisir éprouvé dans le crime »1018. On peut mettre ceci en relation avec l'insistance des magistrats sur la question de l'éjaculation. Dans une proportion un peu plus large - 28% - les aveux sont complets. Ils sont rarement spontanés, et ne sont que le fruit du travail du juge d'instruction, qui a force de pousser le prévenu dans ses derniers retranchements, finit par obtenir ce qu'il cherche - dans un cas, l'interrogatoire final montre tant d'opiniâtreté de part et d'autre que seize pages manuscrites sont nécessaires au greffier pour le retranscrire. Dans près de 4% des cas, l'inculpé change de ligne de conduite et dément les accusations après avoir pourtant avoué.

1016 Afin de ne pas empiéter sur le développement principal de ce chapitre, nous avons préféré mettre le trio de tête des explications les plus grotesques dans cette note. Sur la troisième marche du podium, un forgeron auquel le juge demande : « Pourquoi serriez-vous la jeune fille par le cou ? ~, et l'accusé répond : « C'était pour plaisanter ». Un vieillard déclare de son côté que s'il a mis son sexe dans la main d'une petite fille, c'était pour la lui réchauffer. Enfin, la palme du loufoque revient a un charretier qui raconte c'est la fillette qui s'est par hasard assise sur son doigt, lequel a donc pénétré de manière toute aussi fortuite dans le vagin de l'enfant. Bien sûr un tel classement est purement subjectif et d'autres explications rocambolesques auraient pu y figurer. (ADI&L, 2U, 700, affaire Troubat, 628, affaire Perrigault, 683, affaire Grimault.).

1017 ADI&L, 2U, 744, affaire Robin.

1018 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 102.

Plus de 18% des prévenus vont plus loin dans la démarche et ajoutent aux aveux une sorte de rédemption. Ceux-ci vont des simples regrets aux demandes de pardon, voire au suicide1019. Bien évidemment il nous est impossible de juger de la sincérité d'un tel comportement, cependant on peut penser qu'une majorité l'est. Assez souvent cette démarche s'accompagne d'une justification par l'état d'ivresse, ce qui indique que beaucoup d'hommes censés et dotés d'une morale sont passés a l'acte a cause de l'alcool, alors qu'ils n'y avaient sans doute jamais pensé auparavant. On remarque également une corrélation avec l'évocation du consentement de la victime, comme l'illustrent les propos suivants : « Je regrette beaucoup tout cela ; les grandes me cherchaient, me poussaient à cela »1020. Ils se mettent également en avant en essayant de donner l'image d'un homme presque « prévenant », ou qui a eu honte de son geste - « J'ai réfléchi que je faisais une bêtise », indique un jeune meunier1021. Ils déclarent ne pas avoir violé la petite fille car elle était trop jeune, sans doute aussi à cause de la croyance que c'est impossible : « Que voulez-vous qu'on fasse a des enfants si jeunes ? », semble regretter un rentier1022.

Bien qu'empruntes d'un cynisme certain, ces démarches peuvent être bien vues du jury, toujours prêt a minimiser la peine de l'accusé. Curieusement, 16% des hommes ayant avoué ont été acquittés. En revanche, cela semble avoir peut d'impact quant à l'attribution des circonstances atténuantes, les deux chiffres étant similaires. A propos des aveux, la seule remarque sociologique que l'on puisse faire est que seulement 4% de ceux qui sont entrés sur le chemin du repentir habitent en milieu urbain. Sans vouloir trop s'avancer, on peut évoquer les différences de mentalités, notamment à propos de la religion, qui insiste lourdement sur les notions de rédemption et de pardon. Toujours estil que quelle que soit la sincérité de l'accusé, les conséquences de son geste lui sont bénéfiques. Preuve en est l'affaire Hilaire : condamné par contumace à vingt ans de travaux forcés pour un attentat à la pudeur - dans les faits, une tentative de viol - sur une

1019 En pleine instruction, le procureur de Tours reçoit un télégramme d'un juge de paix qui l'informe d'un viol commis la veille, sur une jeune fille de treize ans. A peine trois heures plus tard il en arrive un autre, qui lui indique que la gendarmerie vient de retrouver le corps du suspect dans un ruisseau, l'homme s'étant selon toutes apparences suicidé. (ADI&L, 2U, 603, affaire Hurson.).

1020 ADI&L, 2U, 713, affaire Champigny.

1021 ADI&L, 2U, 673, affaire Petit.

1022 ADI&L, 2U, 618, affaire Besnard.

enfant de trois ans, il est retrouvé six ans plus tard et rejugé1023. Interrogé de nouveau, le jeune homme déclare : « Depuis cette époque [il avait dix-huit ans], je me suis marié ; je me rends compte de l'acte que j'ai commis et je le regrette bien ». En dépit de la gravité exprimée dans la première sentence, le prévenu est acquitté dans ce second procès.

Un accusé sur deux reconnait l'intégralité ou une partie des faits qui lui sont reprochés. Ce chiffre peut paraître assez important et presque inattendu, cependant ce serait oublier les détails du discours qui ont pour but de minimiser la responsabilité de leur auteur. Car si beaucoup entrent effectivement dans la voie des aveux, peu font preuve de repentance. Sans doute est-ce là le signe qu'ils ne comprennent pas la gravité des gestes qu'on leur reproche, ou d'un simple mépris du statut protégé de l'enfance. Cela se traduit dans les réputations qu'on leur prête, car beaucoup ne sont pas exempts de tout reproche avant même de commettre le crime qu'on leur impute.

De l'importance de l'attitude, antérieure comme postérieure au procès

Nous l'avons déjà dit au sujet des victimes, avoir une mauvaise réputation constitue indubitablement un handicap aux yeux du jury populaire. Cette vérité s'applique tout naturellement aux accusés également, bien que dans de moindres proportions. En effet ceux-ci étant en premier lieu jugés sur des faits, cela diminue par conséquent l'influence qu'exercent les renseignements glanés par les forces de l'ordre.

Il faut bien sûr avant toute chose prendre en considération les tensions qui résultent naturellement d'une vie en communauté. Car au vu des données collectées, les accusés n'apparaissent pas blancs comme neige, loin s'en faut. En effet plus de 72% de ceux-ci ont une mauvaise réputation - contre 13% qu'on pourrait qualifier de correcte, et seulement 14% de bonne -, qui peut être la conséquence de plusieurs éléments, parmi lesquels : le caractère léger et la dépravation, la probité qui laisse à désirer, le caractère violent, la propension a l'ivrognerie, et enfin la paresse. Ces cinq catégories principales ont bien entendu un impact différent selon le type d'accusation, car on porte plus attention aux moeurs dans une affaire d'attentat a la pudeur. Mais les autres catégories ne sont pas non plus sans incidence, surtout celle concernant l'honnêteté. Non seulement les voleurs sont

1023 ADI&L, 2U, 686, affaire Hilaire. C'est dans le cadre d'une accusation pour vol qu'on a retrouvé sa trace dans un département voisin.

très mal vus, mais en plus ils sont très durement réprimés : un homme a été condamné à quinze jours de prison pour avoir menacé de mort sa femme, et à trois mois lorsqu'il a volé des fruits1024.

Étrangement, les antécédents révélés lors de l'instruction semblent avoir moins de poids que les renseignements obtenus par les forces de l'ordre. On peut en tout cas le penser car les juges n'y font que peu de références, alors qu'ils sont souvent assez nombreux. Certes tous ne concernent pas les moeurs, mais ils aideraient pourtant a cerner la personnalité de l'accusé. La plupart de ceux relatifs a la moralité sexuelle ne concernent que des faits mineurs - propositions inconvenantes, exhibitions, tentatives d'attouchement - mais seraient tout de même susceptibles d'assombrir le tableau du prévenu.

Les données statistiques associées à ces diverses réputations pourraient être riches d'enseignements si elles n'étaient pas tant discutables. En effet pour illustrer ce propos, on peut dire que 22% des hommes à la bonne réputation sont acquittés, contre 17% de ceux qui en ont une mauvaise. De même, les circonstances atténuantes sont octroyées à près de 79% des accusés ayant de bons antécédents, contre plus de 70% en ayant de détestables. On pourrait voir dans ces deux exemples le signe d'une clémence des jurés envers ceux qui ont de bonnes réputations. On leur laisse une chance de se racheter, en quelque sorte. Mais d'autres chiffres invitent a la méfiance : la totalité des condamnations aux travaux forcés - qui représentent, rappelons-le, 7,3% du total - sont à mettre a l'actif de personnes a la réputation détestable. On peut donc se demander si cette dernière n'est pas le fait d'individus prêts a commettre un crime très grave, qui serait ensuite puni des travaux forcés. Ainsi, les mauvais antécédents expliqueraient l'agression et non pas le jugement rendu.

La remarque est également valable, mais dans une moindre mesure, en ce qui concerne les condamnations antérieures. Tout d'abord, sachons que 38% des accusés n'ont pas un casier judiciaire vierge. Pour clarifier les choses nous avons classé les peines prononcées en quatre catégories : affaires de moeurs, de vol, de violence ou faits mineurs. La première regroupe plus de 11% du total, contre 37% pour la deuxième, 18% pour la

1024 ADI&L, 2U, 716, affaire Rossignol.

troisième et enfin un tiers pour la dernière. Bien sûr ici nous ne nous occupons que de la première des quatre. Et quand nous parlons d'affaires de moeurs, il faut le prendre au sens large : un juge d'instruction fait part a un homme que sa dernière condamnation pour complicité d'adultère joue contre lui, alors qu'il est accusé d'attentat a la pudeur sur une fillette de huit ans1025.

Effectivement, les antécédents judiciaires sur les questions de moeurs semblent mal vus du jury, puisque 15% de ceux qui en ont sont acquittés, contre plus d'un sur cinq pour l'ensemble des prévenus. Et ils sont également punis bien plus sévèrement, car ils sont 23% à avoir été condamnés à une peine de réclusions modérée - entre un et six ans inclus -, alors que la proportion pour la totalité des accusés n'est que de 6% a peine. En revanche, ils sont sous-représentés dans la catégorie des peines correctionnelles : 46% écopent d'une peine de prison, chiffre qui est de 58% si l'on prend en compte l'ensemble des inculpés.

Le code pénal prévoit un durcissement des peines en cas de récidive, mais cette notion s'applique a l'ensemble des crimes et non aux seuls viol et attentat a la pudeur. Par exemple pour la justice, si un accusé pour crime sexuel a déjà été condamné par le passé pour un assassinat, il est considéré comme étant récidiviste, bien que les deux actes ne rentrent pas dans le même registre. Par exemple, les textes prévoient que si la seconde condamnation porte sur la réclusion, elle sera commuée en travaux forcés à temps1026. Un problème se pose toutefois à cause de la correctionnalisation : puisque les peines prononcées sont celles qu'on applique ordinairement a des délits, comment relever d'un cran celles-ci - et donc les modifier en peine de réclusion - puisque le code pénal ne prévoit que de les doubler. Un homme condamné à deux ans de prison ne peut donc pas être, selon l'article qui définit la récidive, être condamné a une peine de réclusion lors de sa seconde punition - sauf bien entendu si le jury décide que le second crime mérite, indépendamment de la loi sur la récidive, une peine plus lourde, donc de réclusion ou de travaux forcés. Ainsi notre corpus ne nous permet pas d'appréhender le problème et de trancher en faveur d'un côté ou de l'autre. Difficile de savoir si la fermeté d'une seconde

1025 ADI&L, 2U, 613, affaire Vincent. 1026 Article 56 du code pénal de 1832.

condamnation est due à la sanction antérieure, ou au fait que les jurés aient vu une grande gravité dans ce deuxième crime.

L'attitude de l'agresseur sexuel n'est pas seulement scrutée lors du procès : elle a également son importance lors des recours qui s'offrent a lui après avoir été condamné. Plus d'un sur cinq profite des multiples possibilités contenues dans la loi : dans trois cas sur cinq le prisonnier demande à ce que soit examinée une demande de liberté conditionnelle. Celle-ci peut être accordée en fonction du comportement lors de l'incarcération, ainsi que de la nature de l'attentat et de l'attitude lors du procès. Il faut également que le détenu ait purgé la moitié de sa peine au moins. Les trois quarts de ces requêtes sont acceptées, mais elles concernent principalement les peines de prison. Peu de clémence pour les faits qui ont été reconnus comme très graves, donc.

Moins courants sont les recours en grâce ou en cassation - 18% chacun sur le total des requêtes -, qui sont d'ailleurs satisfaits dans une moindre proportion que les précédents. Plus marginales, les demandes de liberté provisoire, les requêtes en révision du procès, en réduction de peine voire en réhabilitation. Un exemple tiré de notre corpus illustre l'importance que tiennent les circonstances du crime et de son procès dans l'assentiment du magistrat sur les diverses questions évoquées. Pierre Allain, condamné à huit ans de réclusion, dix ans d'interdiction de séjour ainsi qu'à la déchéance de la puissance paternelle pour avoir commis des actes répréhensibles sur ses trois filles, a fait moins de deux ans après son procès une demande de révision de celui-ci1027. Interrogé sur les suites à donner à cette requête, le procureur de Tours écrit : « J'ai soutenu personnellement l'accusation dans cette affaire. J'ai gardé le souvenir de l'impression véritablement poignante causée par les dépositions de ces trois enfants. *...+ J'estime dans ces conditions que la requête du condamné Allain n'est susceptible d'aucune suite ».

Le comportement de l'accusé est un élément important dans le jugement, mais il n'est pas primordial comme les renseignements sur la jeune victime. Les juges eux-mêmes semblent y accorder une prépondérance moindre, et ne cherchent pas toujours à les utiliser pour mettre la pression sur le prévenu lors de son interrogatoire. Pourtant rares sont ceux qui n'ont rien a se reprocher.

1027 ADI&L, 2U, 750, affaire Allain.

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Les stratégies qui s'offrent aux accusés sont peu diversifiées, cependant la manière employée lors des interrogatoires peut avoir son importance. Il ne faut pas oublier que le juge par avec un a priori défavorable sur le prévenu. Aussi celui-ci doit faire preuve de tact lors de ses déclarations. Il ne doit pas s'enfoncer dans des sortes de délires verbaux qui ne font qu'aggraver la défiance du magistrat. Car il sait qu'en cas d'examen médical positif, il ne lui reste plus que sa parole pour prouver son innocence. S'il ne lui est bien sûr pas interdit de se défendre, tout cynisme clairement affiché entraînera sûrement des conséquences défavorables, parfois même au-delà du procès.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon