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Le marché des restes humains. Etude sur le fétichisme politique à  Libreville

( Télécharger le fichier original )
par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo Libreville - Maà®trise en sociologie de la connaissance 2008
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE OMAR BONGO

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

Le marché des restes humains

Étude sur le fétichisme politique à

Libreville

Sociologie de la Connaissance

Présenté et soutenu par : Sous la direction du :

Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY Pr Joseph TONDA

HDR

Maître de Conférences
CAMES

Libreville, Octobre 2008

Sommaire

Dédicace

Remerciements

Sigles et abréviations Liste des illustrations Liste des tableaux Sommaire

Introduction générale 1

Les préalables épistémologiques 4

Section 1 : Objet et Champ de l'étude 4

Section 2 : Construction du modèle d'analyse 13

Section 3 : Démarche méthodologique 31

Première partie : Les reliques au Gabon et le culte des ancêtres.........39
Introduction de la première partie ... .... .... 40

Chapitre I : Période coloniale et approche anthropologique des reliques 42

Section 1 : La question des pratiques reliquaires (période coloniale)

44

Section 2 : Colonisation et criminalisation 49

Chapitre II : Les reliques comme symbole d'autorité et de pouvoir 52

Section 1 : L'utilisation des reliques des défunts rois et chefs de clan

52
Section 2 : Le principal élément des reliques : le crâne, objet du
pouvoir 55

Chapitre III : Le sacré en crise 57

Section 1 : La reformulation du sacré 57

Section 2 : La problématique des rites maçonniques dans la reformulation du sacré 59

Conclusion de la première partie 61

Deuxième partie : Le fétichisme politique et les profanations des

tombes à Libreville 63

Introduction de la deuxième partie... 64

Chapitre IV : Les profanations des tombes et les élections politiques à Libreville 67

Section 1 : Les profanations des tombes et les élections politiques à Libreville 67

Section 2 : Le fétichisme politique à Libreville 75

Chapitre V : Le cimetière de Mindoubé : théâtre des profanations des

tombes... 77

Section 1 : Historique, localisation géographique et description du
cimetière de Mindoubé 77

Section 2 : La sécurité des morts du cimetière de Mindoubé 87

Chapitre VI : La violence en postcolonie gabonaise 92

Section 1 : Les profanations des tombes, forme de violence de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique 92 Section 2 : L'A.L.C.R. une tentative de réponse à la violence du pouvoir ( au sens de BALANDIER) 96

Conclusion de la deuxième partie 100

Conclusion générale 102

Références Bibliographiques 104

Table des matières 111

Annexes

« Les religions sont des systèmes symboliques nous
renseignant sur la façon dont les hommes conçoivent et

conduisent leur vie ».

Jean-Paul WILLAIME

« Celui qui, en général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut en faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes éthiques et de la responsabilité de ce qu'il peut luimême devenir sous leur pression. Je le répète, il se compromet avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute

violence ».

Max WEBER

Dédicace

A ma fille, Merveilles Asthine Janny ILEMBE-RENAMY, pour la joie qu'elle m'apporte un peu plus chaque jour !

Remerciements

Mes remerciements vont d'abord à toute l'équipe pédagogique du Département de Sociologie, particulièrement à notre directeur, le Professeur Joseph TONDA, pour sa disponibilité et d'avoir bien voulu diriger ce travail. Profonde gratitude !

A monsieur Jean-Ferdinand MBAH, à madame Claudine Augée ANGOUE et enfin à monsieur Mesmin Noël SOUMAHO.

A ma Floriane Melinda KAYIBA pour son soutien matériel et sa présence.

A mes condisciples de classe et amis : Janny DIVAGOU IBRAHIM KUMBA, Suzanna MOUSSONGOU IBRAHIM KUMBA, Gladice DIMANGA MAYOMBO, Isabelle MENGUE, Stéllia BOUANGA, Joe Francis DEMBA, Lidwine NINKANDA N'DOH, Brice Anicet DIMBOMBI, Lievain Rodrigue POATHY, Yvon Mauxer MONDJO, Rodrigue DIWATI et les autres, pour leurs critiques et leurs encouragements.

Nous pensons aussi à monsieur Maurice Lipopo FILANKEMBO pour ses orientations et à la famille de monsieur Aloïse MAYOMBO.

Enfin, je voudrais remercier ma mère madame Juliette Jocelyne RENAMY, pour qui, j'ai une pensée toute particulière, mon père monsieur Sylvain Claude IKOGOU, mes frères : Fred LENDONYO, Marielle, Carelle, Frédérique et Ericka IKOGOU, Ernestine RENAMYISSEMBE, Eliane NKALA, Guy-Roland RENAMY, Simone, Innocent et Emmanuel KOWET, Frédéric IKOGHOU-YENO, Jean-luc MBOUMBOU, Stéphane ROGOMBE, Steeve RETENO, Wilfried RIMBOZO, Christian ABESSOLO EKOUMA, Yannick, Landry et Hervé ALEKA ILOUGOU.

A mes oncles, David IKOGHOU-MENSAH, Isaac IKOGOU, Samuel IKOGOU, Jacques IKOGOU, Claude OPENDA, Victor AKENDENGUE, Jules DJEKI, Marc Louis ROPIVIA et à tous les membres de ma famille, qui ne cessent de ménager leurs efforts dans leurs encouragements.

Sigles et abréviations

A.L.C.R : Association de Lutte contre les Crimes Rituels. C'est une jeune
organisation régie par la loi 10/62 relative aux associations et reconnue
par le Ministère de l'Intérieur sous le numéro 194/MISI/SG/CE/ du 16 juin

2006 et dont la mission est d'assurer la défense des droits humains, particulièrement ceux des enfants au Gabon.

D.G.R : Direction Générale des Recherches. C'est un service détaché de la Gendarmerie nationale qui a pour but de retrouver des personnes disparues, des objets, des voitures, etc. où qui peut s'occuper des plaintes que les individus, lors de certains litiges, peuvent déposer.

D.G.S.T : Direction Générale des Services Techniques de la Mairie de Libreville. Elle est chargée de l'élaboration, la conception, l'exécution et le suivi des travaux techniques communaux ; l'entretien et la gestion, dans sa partie physique, du patrimoine bâti et roulant de la Mairie de Libreville.

H.D.V. : Hôtel de Ville de Libreville.

S.O.V.O.G : Société de Valorisation des Ordures du Gabon.

Liste des illustrations

La photo n°1 : « la veste rouge »

70

La photo n°2 : « La tombe sans carreaux »

71

La photo n°3 : « Tombes dans les hautes herbes »

71

La photo n°4 : « La tombe Goumabika »

72

La photo n°5 : « Autre manière de profaner »

73

La photo n°6 : « La tombe vide »

74

Carte n°1 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé

77

Carte n°2 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé

78

La photo n°7 : « Le portail principal du cimetière »

79

La photo n°8 : « Une tombe immergée dans les huiles de vidange » .

...80

La photo n°9 : « Le travail des huiles de vidange »

81

La photo n°10 : « La face cachée d'une tombe »

82

La photo n°11 : « La formation d'un ruisseau »

82

La photo n°12 : « Le dépôt de ferrail »

83

La photo n°13 : «L'insalubrité »

84

La photo n°14 :«L'un des poteaux électriques existant »

85

La photo n°11 : « La formation d'un ruisseau »

87

La photo n°14 : «L'un des poteaux électriques existant »

88

Liste des tableaux

· Tableau n°1 : Construction du concept de « fétichisme politique » 31

· Tableau n°2 : Recension des cimetières de Libreville (liste non exhaustive) 32

· Tableau n°3 : Répartition des cimetières sous juridiction de l'HDV 33

· Tableau n°4 : Histogramme des tombes profanées à Libreville de 2004 à 2008 pour Mindoubé 34

· Tableau n°5 : Schématisation du culte des ancêtres en tant que phénomène social total 43

Introduction générale

Les élections politiques organisées au Gabon représentent une étape importante dans la gestion de l'appareil d'État. C'est également une période où le pays semble entrer dans une sorte de « coma » ; affectant par la suite le fonctionnement de l'administration et du service public. C'est le temps des différentes stratégies électorales mises en place par les entrepreneurs politiques. C'est alors le temps des déplacements massifs des électeurs, du clientélisme électoral ; ou encore, pour d'autres, c'est le recours aux pratiques fétichistes ou pratiques sorcellaires telles les attaques mystiques, les kidnappings d'enfants, avec non seulement les mutilations de leurs corps tout comme ceux des jeunes femmes et des émasculations des hommes. Plus important, est l'objet de ce mémoire : ce sont les profanations des tombes censées assurer les succès électoraux des hommes politiques qui y ont recours.

En effet, les profanations des tombes, particulièrement au cimetière de Mindoubé sont monnaie courante à Libreville depuis au moins 4 ans. C'est un phénomène qui tend à prendre de l'ampleur sans que les pouvoirs publics puissent réagir. Pour le sociologue, les profanations des tombes constituent le point de départ d'une investigation qui va le conduire vers l'explication ou d'un tel phénomène qui lie fétichisme et pouvoir au Gabon.

« Ainsi le problème sociologique n'est pas tant de savoir pourquoi les choses "ne vont pas bien" selon le point de vue des autorités [...] mais bien comment le système entier fonctionne d'abord, quelles sont ses fondations et comment il est maintenu ensemble ».1 Dans le même ordre d'idée, « l'explication sociologique consiste exclusivement à établir des rapports de causalité, qu'il s'agisse de rattacher un phénomène à sa causalité, ou, au contraire, une cause à ses effets utiles. »2

1 P.L. BERGER, Invitation to sociology, Pelican Books, Harmondsworth, 1977, pp.49-50 cité par Claude JAVEAU in Leçons de Sociologie, 2ème tirage, Paris, Armand Colin, 2001, p.82.

2 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 11ème édition, Paris, Puf/Quadrige, 2002, p.124.

Davantage, « quand on entreprend d'expliquer un phénomène social, il faut rechercher séparément la cause efficiente qui le produit et la fonction qu'il remplit ».3

En résumé, « le travail de la sociologie consiste à aller au-delà de l'apparence, des mouvements, des catégories de la pratique, du bon sens, pour retrouver non pas des principes ou des valeurs et pas davantage des réalités matérielles, [...] mais l'action de la société sur elle-même et les relations sociales définies par les différents types d'action ».4 Il faut rappeler que les actes de fétichisme et de sorcellerie persistent au Gabon depuis près d'une décennie sans que l'État ne réagisse réellement. A en croire le Code de procédure pénal5 en vigueur au Gabon, « quiconque aura profané ou mutilé un cadavre, même non inhumé sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à 120.000 fcfa. D'autant plus que dégrader tout tombeau et/ou ses ornements (croix, couronnes, dalle, etc.) constitue un délit qui peut rendre un individu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures (qui) sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à 120.000 fcfa ».

En conséquence, la présente étude va tenter d'analyser le lien qui existe entre les profanations des tombes, ce que nous appelons « le fétichisme politique » et le pouvoir au Gabon ; de même que ses implications dans la réalité sociale gabonaise.

3 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, ibid., p.95.

4 Alain TOURAINE, Pour la sociologie, Paris, Editions du Seuil, (coll. «Points »), 1974, p.238.

5 Le Code pénal, dans sa Loi n°21/03 du 31 mai 1963.

Section 1 : Objet et champ de l'étude

1- Le fétichisme politique comme objet d'étude

« Construire l'objet sociologique, c'est deviner sous les apparences les vrais problèmes et poser les bonnes questions ».6

Cette étude portant sur le rapport entre fétichisme et pouvoir politique est adossée à l'idée qu'il existe un marché des restes humains à Libreville. L'existence de ce marché explique la profanation des tombes, notamment à l'approche des élections politiques. L'émergence de ce marché peut être saisie à partir de ce que dit Florence BERNAULT, selon qui « la sorcellerie moderne en Afrique équatoriale, au Gabon singulièrement, a lentement émergé au coeur des batailles juridiques et morales amorcées pendant la période postcoloniale. Ce que l'on entend aujourd'hui par "sorcellerie" ou "fétichisme", mots fortement teintés par la connotation réductrice et négative de leur origine coloniale, n'est, pour le cas du Gabon qui nous intéresse ici, qu'une partie d'un ensemble religieux et sacré qui modelait la plupart des représentations mentales et des stratégies sociales et matérielles cultivées par chacune des sociétés locales ».7

Aussi, nous essayons de saisir le « fétichisme politique » à Libreville comme expression de l'usage et du commerce « des pièces détachées »8 au sens de Joseph TONDA. Il convient de préciser que le fétichisme politique est mis en relief, durant les périodes électorales, par la profanation des tombes à Libreville, précisément au cimetière de Mindoubé, en tant que moment de la collecte des « pièces détachées » pour les mettre en vente sur le marché des restes humains.

6 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 11ème éd. 2001, p.384.

7 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon in Mama Africa : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, edited by Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, p.1.

8 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude d'Afrique Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.5.

Ces profanations des tombes s'accompagnent de crimes rituels ou découvertes macabres de corps privés de certaines parties9 à Libreville et ce, à la veille des élections. Il va s'en dire que c'est à chaque fête de Toussaint que les parents des défunts constatent ce phénomène et le cimetière de Mindoubé en est victime. De plus, il n'y a pas que la profanation des tombes que nous étudions, il y a aussi la profanation des cadavres que l'on retrouve mutilés à Libreville sous la rubrique « crimes rituels ». En outre, la profanation des tombes et celle des cadavres est révélatrice a priori d'un marché des restes humains ou « pièces détachées » dans la capitale gabonaise. En somme, la croyance en la sorcellerie atteste bien que le fétichisme n'est pas illusoire, mais bien réel ; ce qui explique en dernier ressort que les hommes du pouvoir ont recours à cette pratique.

Il faut d'abord rappeler que le concept de « fétichisme politique » apparaît sous la plume de Pierre BOURDIEU10.Il s'agit de « la délégation par laquelle une personne donne pouvoir, comme on dit, à une autre personne, le transfert de pouvoir par lequel un mandant autorise un mandataire à signer à sa place, lui donne une procuration, c'est-à-dire, la plena potencia agendi ; le plein pouvoir d'agir pour lui, est un acte complexe qui mérite d'être réfléchi. Le plénipotentiaire, ministre, mandataire, délégué, porte-parole, député, parlementaire, est une personne qui a un mandat, une commission ou une procuration pour représenter - mot extraordinairement polysémique -, c'est-à-dire pour faire voir et faire valoir les intérêts d'une personne ou d'un groupe ».11

Par ailleurs, Pierre BOURDIEU approfondit sa réflexion en mettant l'accent sur le fait « qu'il y a une sorte d'antinomie inhérente au politique qui tient au fait que les individus - et d'autant plus qu'ils sont plus démunis - ne peuvent se constituer (ou être constitués) en tant que groupe c'est-à-dire en tant que force capable de se faire entendre et de parler et d'être écoutée, qu'en se dépossédant au profit d'un porte-parole.

9 Le quotidien national L'union du 29 février 2008 et du 10 mars 2008 en annexe, qui ont fait état de 12 crimes rituels enregistrés pour le mois de février 2008 à Libreville. Tous ces corps ont donc été mutilés de leurs parties génitales, des oreilles, langues, yeux etc.

10 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.

11 Ibid., p.185.

Il faut toujours risquer l'aliénation pour échapper à l'aliénation politique ».12 Partant du concept de BOURDIEU selon lequel le député ou mandataire est un fétiche pour le peuple, de la même manière le crâne, qui est réel n'a de sens que pour celui qui l'utilise, donc il est fétiche pour ce dernier. Pour le profanateur, ce crâne ne lui dit rien.

Pour Pierre BOURDIEU, « les fétiches politiques sont des gens, des choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent leur propre créature. L'idolâtrie politique réside précisément dans le fait que la valeur qui est dans le personnage politique, ce produit de la tête de l'homme, apparaît comme une mystérieuse propriété objective de la personne, un charme, un charisme ; le ministerium apparaît comme mysterium ».13 A ce propos, la notion de charisme attire notre attention car il s'agit de voir l'entrepreneur politique ou fétiche politique doté du charisme, « cette sorte de pouvoir qui semble être à lui-même son propre principe »14 ; notion que nous retrouvons explicitée chez WEBER. « Le charisme, c'est le charme ou la grâce qui s'attache à certains personnages sur lesquels se sont posés le regard et le choix de Dieu. De tels personnages sont investis d'un pouvoir, d'une forme évidemment très différente de celle du pouvoir dont est revêtu le bureaucrate rationnel-légal ou le monarque traditionnel désigné par primogéniture. Le pouvoir charismatique se désigne par son caractère « extraordinaire, surhumain, surnaturel ». Celui qui en est pourvu est un « envoyé de Dieu », un héros- un « guerrier furieux » - ou un chef (Führer). Ce qui caractérise le chef charismatique, c'est moins le contenu de sa tâche que la manière dont il l'exécute- son style ».15 Ainsi, le pouvoir charismatique est donc un pouvoir personnel et extraordinaire.

Le rapport qu'on peut établir avec BOURDIEU et le fétichisme politique, réside dans le fait que le mandataire (le député par exemple) est un fétiche et que la collecte de ses « pièces détachées » va permettre à ce dernier d'assurer sa régénération et son succès aux élections politiques.

12 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, ibid., p.186.

13 Ibid., p.187.

14 Ibid., p.187.

15 Raymond BOUDON et François BOURRICAUD, Dictionnaire critique de Sociologie, Paris, Quadrige/Puf, 2006, p.77.

Le crâne dont il est question dans le fétichisme politique, c'est celui d'une personne morte, quelque soit sa position sociale, ce qui importe c'est de rapporter un crâne déterré.

Le fétichisme politique dont nous rendons compte se décline ainsi sous deux dimensions : dans la première, il s'agit d'abord de ces restes humains ou « pièces détachées » collectées par les profanateurs des tombes ou de cadavres, qui serviront dans les pratiques fétichistes. Dans la seconde dimension, ces « pièces détachées » collectées vont permettre à l'entrepreneur politique, grâce à la nécromancie et autres pratiques sorcellaires ; d'acquérir, voire de conserver ou de consolider le pouvoir (économique, politique et social). Pour WEBER, « il s'agit là d'une action intentionnelle, qui obéit implicitement à une rationalité de type instrumental ou utilitaire : dans la situation qui est la sienne au moment d'agir, l'acteur engage ses moyens pour atteindre la fin dont il pense qu'elle lui apportera la plus grande satisfaction ».16

Dans le même ordre d'idée Joseph TONDA définit le fétichisme politique, « entendu dans le contexte africain comme usage ou commerce des/ou avec les "pièces détachées" réalisé par les hommes politiques ; il y a apparemment une distance avec le concept bourdieusien. En fait, les usages politico-criminels des pièces détachées servent ici à réaliser la transfiguration du rapport politique qui est au principe de la production des mandataires comme fétiches ».17

Puisse que nous parlions du recours à la pratique de la sorcellerie, EVANS-PRITCHARD nous apporte un éclaircissement à ce sujet. Pour lui, la sorcellerie revêt deux dimensions ou explications : pratique et mystique et que nous estimons complémentaires. Sur ce point, « un des apports d'EVANS-PRITCHARD est d'avoir montré la nature de la magie, qui peut se pratiquer sans aucun intermédiaire instrumental et rien que par une volonté et un pouvoir maléfique, et détenu par certains individus. Cette magie maléfique prend le nom anglais de "witchcraft", s'opposant ainsi à

16 Raymond BOUDON et Renaud FILLIEULE, Les méthodes en sociologie, 12ème édition, Paris, Puf, (coll. « Que sais-je ? »), n°1334, 2004, p.54.

17 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude d'Afrique Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.5.

la sorcellerie instrumentale (rites, potions, objets ensorcelés) ou "sorcery"».18

En résumé, chez EVANS-PRITCHARD, la sorcellerie a deux dimensions : la witchcraft", qui est spirituelle et correspond au Gabon aux vocables de L'évus, le dikundu, l'inyèmba et qui serait a priori héréditairement transmissible et la "sorcery" ; entendu ici comme les techniques magiques ou actes fétichistes que l'on peut voir : rites, potions, profanations des tombes, objets ensorcelés, calebasses déposées sur les carrefours à Libreville. Nous partageons ce point de vue.

Joseph TONDA19 aborde aussi ce point de vue de la croyance en la sorcellerie, surtout en tant que technique magique, servant les parents à bloquer les jeunes. Dans un contexte de déstructuration sociale au Congo et au Gabon ; et où les rapports sociaux entre vieux et jeunes sont basés sur le soupçon, et où « le droit d'aînesse n'est plus respecté ».20 Ce recours systématique à la sorcellerie dans n'importe quelle circonstance conduit ceux qui la pratiquent à toute sorte de pratiques. En ce qui concerne le Congo, les jeunes débrouillards, qui tiennent des petits fonds de commerce se plaignent des agissements des vieux qui, selon eux, les « vieux sont insatisfaits. Ils veulent avoir de l'argent pour obtenir de petites filles de 2 à 25 ans. Et pour avoir cet argent, les vieux utilisent des animaux invisibles qui vont subtiliser le produit des ventes des jeunes propriétaires des kiosques, ils sont connus, les propriétaires de ces animaux invisibles ».21

Enfin, même dans les cas de décès de jeunes, « ce sont des groupes de vieux, et même les vieilles femmes qui sont accusés ».22

Somme toute, nous rejoignons aussi ce point de vue de l'auteur car les cas de sorcellerie tels qu'ils sont évoqués au Congo, sont fréquents au

18 Jacques LOMBARD, Introduction à l'ethnologie, 2ème édition, Paris, Armand Colin, (coll. « Cursus Sociologie »), 1998, p.131.

19 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon). Préface d'André MARY, Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2002, 243 p.

20 Ibid., p.143.

21 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), ibid., p.143.

22 Ibid., p.143.

Gabon et se présentent de la même manière. Au Gabon, toute mort n'est pas "naturelle" plutôt d'ordre mystique, attribuée à quelqu'un.

2- La sociologie de la religion et la sociologie du pouvoir comme cadres de référence

Tout objet d'étude doit pouvoir s'inscrire dans un champ précis pour dégager les relations de causalité entre les différentes composantes de l'objet.

Mesmin Noël SOUMAHO définit le champ d'étude ou cadre de référence comme le « cadre théorique général dans lequel s'intègre la problématique de l'étude ».23 De plus, « toute science cherche à définir son domaine, à mettre en évidence des faits en vue d'établir des lois ».24 Le choix de la sociologie de la religion et du pouvoir comme cadres de référence de notre étude, nous permet d'expliquer le fait religieux et non pas de tout expliquer en termes religieux d'abord. Ensuite, il s'agit pour nous de voir que le fait religieux et les pratiques religieuses sont non seulement contemporaines à la naissance de la sociologie, mais que le fait religieux entretient un rapport étroit avec le politique, le pouvoir. Nous pouvons préciser que la religion, tout comme le pouvoir, sont des produits de la société.

Pour ce qui est de la sociologie des religions, la sociologie classique a essentiellement ouvert trois modes d'approches en ce domaine. Nous faisons référence ici à trois grandes figures de la sociologie que sont DURKHEIM, MARX et WEBER. A ce propos, nous voulons ici inscrire le culte des ancêtres comme fait religieux, impliquant des croyances, le sacré, le profane et des rites qui le composent.

23 Mesmin Noël SOUMAHO, Eléments de méthodologie pour une lecture critique, Préface de J.COPANS et Postface de J.G BIDIMA, (coll. « Recherche Gabonaises ») , l'Harmattan, et Libreville, CERGEP Editions, T.1, 2002, p.123.

24 Gaston MIALARET, Introduction aux sciences de l'éducation, Paris-Genève, Unesco-Delachaux et Niestlé, 1985, p.25, cité par Max Alexandre NGOUA in La sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat capitaliste, rapport de Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Septembre 2003, p.5.

En fait, si nous avons convoqué le culte des ancêtres (Byéri, Bwété, Agombé nèrô, Ndjobi, Malumbi, etc.), c'est parce que nous voulons montrer qu'il est l'élément qui permet d'expliquer le phénomène des profanations des tombes et dont les « pièces détachées », particulièrement le crâne humain font l'objet d'un culte. A travers le culte des ancêtres, il s'agit là tout simplement de la préservation des crânes des ancêtres, comme outil, comme support permettant d'apporter prospérité à son détenteur. Toutefois, cette préservation du culte des ancêtres a subi l'influence du capitalisme, pour s'inscrire dans la marchandisation des restes humains. Et les profanations des tombes viennent attester cette altération du culte des ancêtres.

Finalement, en nous référant au culte des ancêtres, c'est aussi, montrer la fonction de la société lignagère en rapport avec le pouvoir. En ce sens, celui qui détenait le crâne de l'ancêtre, détenait le pouvoir et on se trouvait ici dans un système symbolique lignager (exclusivement familial).

Pour DURKHEIM, « les phénomènes religieux se rangent tout naturellement en deux catégories fondamentales : les croyances et les rites. Les premières sont des états de l'opinion, elles consistent en représentations ; les secondes sont des modes d'action déterminés ».25 De plus, « les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent [...] Enfin, les rites sont des règles de conduites qui prescrivent comment l'homme doit se comporter avec les choses sacrées ».26

L'ensemble des croyances et des rites correspondants constitue une religion. Durkheim entrevoit toute religion par sa capacité à distinguer le sacré et le profane. Il nous propose donc la définition suivante : « une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent ».27

25 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. « Le livre de Poche »), classiques de Philosophie, 1991, p.92.

26 Ibid., pp.98-99.

27 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse op.cit., p.110.

Pour WEBER, « la religion définit les orientations normatives de l'action, elle fixe un cadre nécessaire à des conduites ».28

Enfin pour MARX, la religion est le produit de la société. Ce dernier considère que « la religion est à la fois l'expression de l'aliénation des individus et un discours de légitimation de l'ordre établi »29 et surtout de protestation. Mieux, elle est un mode de mystification assurant l'aliénation des acteurs dominés aux profits de ceux qui les exploitent. Ainsi, « la détresse religieuse est pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour l'autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit des conditions sociales dont l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple ».30

En convoquant la sociologie du pouvoir, nous voulons appréhender ce qu'on entend par la sociologie du pouvoir. Ensuite, il y a un lien étroit entre religion et pouvoir. Pour Marta HARNECKER, le pouvoir politique se définit comme « la capacité d'utiliser l'appareil d'Etat pour réaliser les objectifs politiques de la classe dominante ».31 Mieux, la sociologie politique « est la science du pouvoir (de l'autorité, du commandement, du gouvernement) dans quelque société humaine que ce soit et pas seulement dans les sociétés étatiques ».32 Dans cette définition du pouvoir, il convient de présenter deux de ses caractéristiques : «d'abord sa fonction de régulation sociale. Le pouvoir est indispensable et se renforce grâce aux inégalités qu'il a pour but de combattre et qui le justifient, d'où son ambiguïté. Dans une société sans conflits, le pouvoir serait inutile. Georges BALANDIER ajoute une seconde caractéristique importante : la sacralité, toujours présente, bien que plus ou moins manifeste suivant les sociétés ».33

28 Max WEBER, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1967, cité par M.A. NGOUA, op.cit p.5.

29 Alain BEITONE et al, Sciences sociales, 3ème éd., Paris, (coll. « aide-mémoire »), Dalloz, 2002, p.269.

30 Ibid., p.269.

31 Marta HARNECKER, Les concepts élémentaires du matérialisme historique, Bruxelles, Editions Contradictions, 1974, p.105.

32 Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Sociologie politique, 5ème édition, Paris, (coll. « Domat Politique »), éd. Montchrestien, 1998, p.30.

33 Madeleine GRAWITZ, op.cit. p.288.

L'étude du pouvoir implique l'observation des mécanismes politiques (élections, référendums, etc.) par lesquels il se conquiert et s'exerce, la sphère d'action ou d'intervention des gouvernants, telle qu'elle peut être déterminée par les institutions existantes et par les positions ou réactions du corps social, c'est-à-dire les formes, l'étendue et les limites du pouvoir, ainsi que les techniques de gouvernement ou moyens d'exercer le pouvoir. Or, il est indéniable que le pouvoir est intimement lié à la religion. Mieux, le pouvoir est lié à la sorcellerie, au fétichisme. En effet, « la perception de la puissance politique des hommes (ou des femmes politiques) participe du même schème de la criminalisation liée à leur appartenance aux confréries et sectes supposées exiger des sacrifices humains en échange du pouvoir et/ou de la consommation des marchandises ».34

Enfin, Georges BALANDIER nous invite à considérer que

l'imbrication du sacré et du politique est, dans ce cas, déjà incontestable. « Dans les sociétés modernes laïcisées, elle demeure apparente ; le pouvoir n'y est jamais entièrement vidé de son contenu religieux qui reste présent, réduit et discret ».35 En ce sens, « le pouvoir est sacralisé parce que toute société affirme sa volonté d'éternité et redoute le retour au chaos comme réalisation de sa propre mort ».36

34 Joseph TONDA, op.cit, p.3.

35 Georges BALANDIER, anthropologie politique, Paris, Puf /Quadrige, 1999, p.118.

36 Ibid., p.119.

Section 2 : Construction du modèle d'analyse

« Tout travail de recherche s'inscrit dans un continuum et peut être situé dans ou par rapport à des courants de pensées qui le précèdent et l'influencent ».37 Mieux, « la problématique est l'approche théorique ou perspective théorique qu'on décide d'adopter pour traiter le problème posé par la question de départ. Elle est une manière d'interroger les phénomènes étudiés ».38

Ainsi commencerons-nous dans un premier temps par « exploiter les lectures et les entretiens et faire le point sur les différents aspects du problème qui y sont mis en évidence »,39 pour arriver dans un deuxième temps à « choisir et construire sa propre problématique ».40 Pour notre étude, nous entamerons l'exploration des acquis scientifiques qui portent sur le rapport entre les phénomènes religieux et politiques, particulièrement sur le fétichisme (politique) et ses différentes perceptions culturelles, intellectuelles et sociales.

1- Le rapport entre fétichisme et politique dans la littérature occidentale

Florence BERNAULT définit la « sorcellerie »41 ou la magie voire le fétichisme comme « des actions contemporaines cachées, manipulées volontairement ou involontairement par des hommes en contact avec la réalité surnaturelle, pour certains effets. Ces effets peuvent être bénéfiques socialement ou au contraire destructeurs, lorsque le spécialiste (ou le commanditaire des actes sorciers) tue ou blesse mystiquement ses

37 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, 2ème éd, Paris, Dunod, 1995, p.43.

38 Ibid., p.85.

39 Ibid., p.85.

40 Ibid., p.86.

41 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon, in MAMA AFRICA : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, p.1.

proches pour son seul bénéfice ».42 A noter que l'usage populaire emploie aussi le terme français de « vampire ».

Evans PRITCHARD43 affirme que la sorcellerie est par essence mauvaise dans la mesure où elle est délibérément destinée à faire du mal. Loin ici de nous limiter à cette approche, notre préoccupation est de cerner le phénomène social que représente la sorcellerie de façon objective. En effet, pour le cerner de façon objective, on peut s'inscrire dans une perspective pluridisciplinaire, en faisant appel à l'histoire. Il s'agit de voir comment la législation française, sous la coloniale, aura interdit immédiatement après la conquête, « la pratique des autopsies et l'exposition des défunts. Elle décréta simultanément l'obligation des enterrements dans les cimetières publics, la condamnation des reliques sous la rubrique profanation de cadavres »44, et conduisit avec l'aide des missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et des reliquaires considérés comme « fétiches » et fatras sorcier indésirable.

D'après Florence BERNAULT, « L'omniprésence de la mort, la destruction et de la violence symbolique signale un changement idéologique considérable au sein des relations entre sorcellerie et pouvoir. Donc pour en cerner l'ampleur, il faut, comme évoqué plus haut, rester une nouvelle fois sur le passé (donc l'histoire en tant que discipline qui étudie les faits passés.) Avant la conquête coloniale, le pouvoir de vie et de mort sur les gens était détenu par les chefs et spécialistes (Nganga) et était régulé collectivement, et dans l'idéal, protégeait la communauté. A l'inverse, il pouvait contribuer à la destruction de celle-ci lorsqu'il servait l'unique profit individuel et anti-social des détenteurs de forces extraordinaires. Les années 90 apportent un renouveau des études ayant pris également sa source parmi les anthropologues et sociologues, qui mettent en évidence la vitalité de la sorcellerie au sein des instances les plus modernes (politique et économique) des sociétés africaines : le champ urbain aussi bien que rural, discours des élites et de l'État, nouveaux conflits parentaux, sociopolitiques. Cette vision conflictualiste,

42 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon, Ibid., p.1.

43 Evans PRITCHARD cité par Jacques LOMBARD in Introduction à l'ethnologie, 2ème édition, Paris, Armand Colin, (coll. « Cursus, série Sociologie »), 1998, p.131.

44 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon, ibid., p.3.

nous permet de savoir comment la sorcellerie peut être utilisée au sein de d'un même groupe à la fois comme violence symbolique, sociale, et comme outil d'accumulation économique et de domination politique ».45

En outre, « la sorcellerie est affaire de pouvoir, mais un pouvoir déstructuré, en constant changement, accaparé ou rêvé, ici et là, par toute une gamme des acteurs sociaux ».46 Enfin, dans cette perspective, il serait intéressant de considérer « la sorcellerie comme ressource, énergie ou capital dont disposerait ou non les individus en fonction des situations et des positions occupées dans l'organisation des rapports de forces ».47

On peut encore ajouter un autre argument, encore plus pertinent ; car « l'un des aspects centraux de la sorcellerie équatoriale réside dans sa relation avec le pouvoir ».48 En résumé, nous retiendrons d'abord que pour Florence BERNAULT cette emprise de la sorcellerie dans le pouvoir fait que le chef soit craint voire vénéré ; incarnant ainsi le pouvoir spirituel et politique. En ce sens, « l'omniprésence de la mort, de la destruction et de la violence signale un changement idéologique considérable au sein des relations entre sorcellerie et pouvoir ».49

Peter GESCHIERE50 met clairement en évidence le rapport entre sorcellerie et politique en Afrique postcoloniale, particulièrement au Cameroun. En effet, « la pérennité de l'importance de la sorcellerie pour le politique en Afrique était liée aux paroxysmes autoritaires de nombreux régimes ».51 De plus, « cette forte présence de l'occulte dans la politique n'est guère surprenante : les discours sur la sorcellerie ont toujours fourni un des idiomes préférés de l'interprétation du pouvoir et surtout de l'explication des inégalités de pouvoir en Afrique ».52 On pourrait résumer une de ses hypothèses comme suit : que la sorcellerie a, semble t-il pour mission de servir à la fois aux « petits », comme une arme égalisatrice contre les « grands » et aux anciens eux-mêmes qui cherchent à

45 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au Gabon et au Congo-Brazzaville, 2005, p.5.

46 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Dynamiques de l'invisible en Afrique, Ibid., p.3.

47 Ibid., p.4.

48 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au Gabon et au Congo-Brazzaville, p.4.

49 Ibid., p.6.

50 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique : le piège du rapport élite-village, 16 pages.

51 Ibid, p.82.

52 Ibid., p.82.

consolider leur ascendant et à réaliser leurs ambitions. Prenant appui sur l'exemple du rapport élite-village, il montre que les élites ont déserté leurs villages d'origines car elles sont au croisement de la parenté et des nouveaux rapports de pouvoir et richesse. Les villageois voient en leurs élites, de nouveaux sorciers qui, pour avoir accumulé richesse, pouvoir et prestige sont donc en rapport avec les pratiques sorcellaires et l'occultisme. Ce qui créée de la jalousie de la part des villageois pour les élites, et qui débouche sur le recours à la sorcellerie.

D'où un rapport ambigu entre élites et villageois. Aussi arrive t-il à cette conclusion que « politique et sorcellerie sont difficiles à séparer ». Et dans un climat autoritaire et opaque, les confrontations politiques se confondent en effet aisément avec les histoires de batailles nocturnes que les sorciers se livrent entre eux.

Par ailleurs, plus que « des actions contemporaines cachées, manipulées volontairement par des hommes en contact avec la réalité surnaturelle, pour certains, effets. Ces effets, peuvent être bénéfiques socialement ou au contraire destructeurs, lorsque le spécialiste (ou le commanditaire des actes sorciers) tue ou blesse mystiquement ses proches pour son seul bénéfice »53 ; la sorcellerie est plutôt perçue comme « une image symbole, véritable obsession, et qui pourrait bien être générale pour l'Afrique, est celle des rencontres nocturnes des sorciers qui, chacun à leur tour, offrent un parent à manger à leurs acolytes ».54

53 Florence BERNAULT, op.cit., p.1.

54 Peter GESCHIERE, op.cit., p.84.

2-Les universitaires gabonais et africains face à la sorcellerie ou le rapport politique et fétichisme

Joseph TONDA55 propose le concept de Souverain moderne qui, d'après Florence BERNAULT, est une figure mi-Hobbesienne, mi-marxiste d'un Léviathan remis au goût du jour. Il décrit « l'ensemble des rapports qui, pour Joseph TONDA, gouvernent la production du monde de l'après colonial, et impose à ceux pris dans ses rêts, une culture du tourment, de la persécution, et de la violence retournée sur soi. Le Souverain moderne met en évidence les rapports de force qui gouvernent hiérarchies sociales et imaginaires en Afrique centrale ».56

Il existerait donc des relations entre symbolique et fétichisme. Ces relations sont livrées, parfois dispersées, dans plusieurs parties du livre. « Pour Joseph TONDA, le concept de violence symbolique emprunté à BOURDIEU, est impuissant à rendre compte de la violence publique et privée en Afrique centrale. Selon lui, la violence symbolique à l'oeuvre dans la plupart des sociétés occidentales stables, sauf cas limites, est en effet, une violence structurante, permettant aux autres formes de violence, violence physique et matérielle, d'être contenues. En Afrique centrale, en revanche, ce qu'il appelle la violence de l'imaginaire procède à une extraordinaire fusion confusion de tous les modes de violence. ».57

Parce que cette violence confond matériel et imaginaire, à l'instar des charmes païens capturant le matériel-immatériel des esprits, Joseph TONDA, choisit de l'appeler « fétiche ». Selon le Souverain moderne donc, les dynamiques d'assujettissement des colonisés se résument et s'incarnent dans des « fétiches » ou des « fétichismes », qui voilent les gens à eux-mêmes, obscurcissent les inégalités dont ils souffrent, et les rendent impuissants autrement que par la production de violence sur euxmêmes, par l'effet d'un véritable recyclage des brutalités coloniales.58

55 Joseph TONDA, le Souverain moderne, le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, p.251.

56 Florence BERNAULT, Compte rendu de lecture, « Autour d'un livre : le Souverain moderne, le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p., de Joseph TONDA », p.1.

57 Ibid., p.6.

58 Joseph TONDA, le Souverain moderne, le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), ibid., p.56.

L'envers de cette hypothèse est que l'imaginaire fétichiste du Souverain moderne, n'a ni limites raciales, ni spécificité culturelles, ni prédicat religieux, ni incarnation intellectuelle donnée. Il est une structure de causalité historiquement formée, inaugurée en Afrique centrale, par la venue de l'ordre capitaliste et colonial, et par la résonance de celui-ci avec les imaginaires locaux. Ainsi l'imagination théologique des missionnaires, l'imagination profane des indigènes et l'imagination scientifique de MARX s'entendent pour faire du fétichisme [...] ce qui unit au-delà de leur différence, le christianisme, le capitalisme et la sorcellerie.59

De plus, Joseph TONDA précise que « la criminalisation populaire des mandataires ou de manière générale, de tout homme politique, soupçonnés ou accusés d'attenter pour les des raisons et par des moyens fétichistes, mais aussi par la violence physique, à l'intégrité physiques des mandants, est un phénomène ordinaire au Gabon. Cette criminalité se caractérise par des « meurtres rituels » ou, comme il se dit aussi et suivant une logique de redoublement symbolique, des « sacrifices rituels ». L'objectif étant de prélever des organes humains appelés significativement « pièces détachées » : langues, mains, oreilles, crânes, coeurs, organes génitaux ».60

Nous ne pouvons poursuivre l'argumentaire avec l'auteur sans évoquer, et cela est crucial pour notre travail, qu'«aussi bien pendant les périodes électorales qu'entre deux élections, des témoignages de familles, des observations que l'on peut faire ainsi que des articles de presse permettent de se rendre compte de la réalité de ces « crimes » ou « sacrifices rituels ». Des noms des commanditaires et des exécutants sont cités et l'on évoque toujours soit par des allusions, soit ouvertement des hommes politiques, dont certains sont directement proches des hauts lieux du pouvoir ».61 Le constat de l'accroissement exponentiel de cette criminalité politico-fétichiste par des temps électoraux est donc particulièrement banal. Par ailleurs, et ce qui enrichit sa démonstration sur

59 Ibid., p.90.

60 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon, op.cit., p.3.

61 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon, ibid., p.3.

laquelle d'ailleurs nous nous appuyons pour notre analyse, c'est que « de jour comme de nuit, les cimetières sont visités. Les ossements humains foisonnent. Et il semble que dans cette affaire là, les parties génitales sont recherchées et que les « clitos » sont devenus des barres d'or ».62

Pour conforter les recherches de Joseph TONDA, les profanations des tombes au cimetière de Mindoubé de Libreville sont illustratives de ce fétichisme politique en tant que pratique courante à l'approche des élections politiques au Gabon.

Toujours pour rester dans cette mise en évidence de ce rapport, ce lien étroit entre le fétichisme et politique, nous avons retenu également la contribution de Fidèle Pierre NZE-NGUEMA63, qui nous présente que le succès du feu président Léon MBA résidait dans ses relations avec les pratiques culturelles et ésotériques du Gabon. Car pour Fidèle Pierre NZENGUEMA, le chef de l'État gabonais n'était pas que le chef de l'État, il devait aussi être le chef dans les cérémonies initiatiques. L'initiation de Léon MBA par exemple au culte Bwiti en est la parfaite illustration, car cela lui a permis d'assurer l'image d'un futur chef dont on ne saurait craindre la partialité. Trois facteurs sont mis en exergue par l'auteur, dans le rapport étroit et consubstantiel de la sorcellerie et le pouvoir, dont retenons le troisième. En effet, « le troisième facteur se résume dans l'imagerie populaire qui le percevait comme dépositaire d'une puissance spirituelle : l'évus ou évur (Fang), ignemba (Myènè), dikundu (Punu). Puissance sans laquelle il n'aurait pas pu assumer les fonctions de président de la République. L'évus participerait de l'assise sociale : la relation de sorcellerie renvoie au tissu existentiel au quotidien, dans les rapports intra-communautaires. L'on se trouve en présence d'une dialectique, dont les termes sont la force spirituelle et la lutte pour le pouvoir ».64 On comprend ainsi que « seuls peuvent se montrer forts, sans trop s'exposer, qu'il s'agisse de revendication de pouvoir, d'étalage de richesse, ou de multiplication d'alliance, ceux qui sont en situation sociale

62 Ibid., p.4.

63 Fidèle Pierre NZE-NGUEMA, L'Etat au Gabon. De 1929 à 1990. Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, (coll. « Etudes africaines »), l'Harmattan, 1998, 239 p.

64 Fidèle Pierre NZE-NGUEMA L'Etat au Gabon. De 1929 à 1990. Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, (coll. « Etudes africaines »), l'Harmattan, 1998, p.73.

de le faire »65 ; on soupçonnerait les hommes politiques par exemple. Loin de conclure ce débat sur le rapport de consubstantialité entre le fétichisme ou sorcellerie et pouvoir politique, l'identification du pouvoir à travers un individu gagne davantage en consistance qu'elle s'intègre dans un cadre de cohérence plus vaste, c'est-à-dire les sectes. « Sectes dont nous savons maintenant qu'elles ont joué et continuent de jouer un rôle cardinal dans la codification et la structuration de l'univers symbolique du pouvoir politique en Afrique dont le Bwiti, entre autres.

Ainsi les sociétés politiques africaines associent largement la domination physique matérielle des forces de contrainte (l'armée, la police, la justice...) à une dimension immatérielle : le sacré ».66 Si on devait conclure sur les facultés dévolues par la société à cette force mystique (l'évus, ignemba, dikundu, etc.) dans la consolidation de l'assise sociale du pouvoir, il importe ainsi de faire ressortir que celle-ci serait cause d'un certain fatalisme des populations face au phénomène politique en Afrique. C'est-à-dire que le phénomène ne reposerait que sur la violence physique et symbolique ; qu'enfin des comptes, il s'agit d'un pouvoir politique mortifère. A cet égard, « n'est-il pas indifférent de penser que des rivaux potentiels ou avérés de Léon MBA, se fussent peut-être mis en réserve de la présidence, conscients qu'il bénéficiait- à tort ou à raison-, d'une puissance spirituelle supérieure à la leur, ou dont ils auraient été dépourvus ».67

Autre contribution, dans cette dialectique entre fétichisme et /ou sorcellerie et le pouvoir politique en Afrique, c'est celle de Comi TOULABOR. En effet, pour lui, l'accent est mis sur des exemples contemporains en Afrique de sacrifices humains liés au politique. « Les sacrifices humains sont une pratique courante à travers l'histoire de l'humanité ».68 Car « des faisceaux d'indices concordants existent qui

65 Fidèle Pierre NZE-NGUEMA, Ibid., p.73 citant Marc AUGE, «Les croyances de la sorcellerie in la Construction du monde », Maspero 1974, p.52.

66 Ibid., p.74.

67 Jean François BAYART (sous la direction) Religion et politique en Afrique noire, Paris, Karthala, 1993 : 289, cité par Fidèle Pierre NZE NGUEMA, ibid., p.74.

68 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.207, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000,295p.

permettent de dire que des sacrifices humains sont pratiqués par des dirigeants africains ».69 Ce qui est utile pour la suite de notre argumentaire, c'est de voir la définition que l'auteur donne du sacrifice humain et surtout à quelles fins. « Le sacrifice humain dont il est question ici consiste pour une personne à tuer intentionnellement selon un rituel approprié une autre personne, et à offrir son sang et/ou tout ou partie de son corps à une divinité ou « fétiche » dans le but de protéger et de conserver cet avantage aussi longtemps que possible. Le sacrifice humain compris ainsi n'est pas exclusif du sens métaphorique auquel il s'articule quand la violence politique peut être instrumentalisée pour occulter des meurtres rituels ».70

L'auteur nous fait remarquer aussi que « le sacrifice humain fait intervenir un personnage nodal qui est « le féticheur », le sacrificateur ou le « marabout » qui jouit d'une entière liberté dans la prescription et l'ordonnancement du sacrifice ... Une autre modalité est d'offrir au « fétiche » des parties de la victime supposée être le réceptacle de son énergie vitale : organe génitaux, foie, coeur, langue, crâne, ossements divers, etc. »71 Mieux, « il arrive aussi que l'on prélève des morceaux choisis sur des cadavres ou qu'on les achète sur le marché de trafic du corps humain qu'alimente la criminalité dans certains pays africains »72, en particulier au Gabon ; où comme nous l'avons dit plus haut, la recrudescence des crimes rituels et profanations de tombes et accusations d'acte de fétichisme se multiplient à la veille des élections. Ces pratiques occultes qui forment « le soubassement » (c'est le cas de le dire) du régime de BONGO. Le président gabonais, grand maître fondateur de l'obédience maçonnique baptisée Grand Rite équatorial, a réussi à syncrétiser les rites maçonniques et les bwiti ».73

Car « les membres bwiti aspirant à plus de statut social au sens large (richesse matérielle, notoriété sociale, hauts grades du savoir bwiti, etc.) sont obligés de conclure des pactes fondés sur le sacrifice humain. Il

69 Ibid., p.207.

70 Ibid., pp.208-209.

71 Ibid p.209.

72 Ibid., p.209.

73 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », ibid., p.214.

existe, sur les ondes de Radio- Trottoir, les informations où apparaissent souvent dans les affaires scabreuses les noms du chef de l'Etat et des hauts dignitaires du régime ».74 La condition sine qua non du pouvoir est que si il y a sacrifice humain, ou tout autre acte de fétichisme posé par le candidat, il y a récompense immédiate. « Dans les années trente en effet, Léon MBA était membre du bwiti (et de la franc-maçonnerie). Pour accéder au haut grade dans la hiérarchie bwiti et aussi à un statut professionnel supérieur, il devait sacrifier un être cher, comme dans d'autres cultes initiatiques similaires. Il choisit donc son épouse. Son forfait accompli, il eut sa première consécration en devenant maîtrise bwiti ».75

Enfin, Comi TOULABOR met bien en évidence le rapport étroit entre fétichisme et politique « aux moments des remaniements ministériels, de nominations de quelque importance, et maintient de compétitions électorales, sont-ils très probablement des veillées d'armes où les meurtres rituels et le trafic du corps humain et leurs hypostases (volailles et bétail), atteignent des courbes ascendantes... Le sacrifice est une procédure de souscription à une assurance ou un acquittement du rappel ».76 « Le sacrifice est un véritable protocole d'échanges de dons et de contre-dons ».77

Comi TOULABOR avance comme explication parmi tant d'autres le fait que « le sacrifiant peut communier au corps et/ou au sang de la victime comme lors du sacrifice eucharistique catholique : ici on est en présence d'une relation ontologique. De même qu'ici des frères réunis goûtent de la chair et boivent du sang du Christ pour se sanctifier et pour s'identifier à lui, de même là le sacrifiant incorpore l'énergie vitale de sa victime par voie orale, nasale ou sanguine, en mangeant, en buvant, en inhalant des préparations ou des poudres nasales à base des éléments du corps humain ou alors en introduisant dans son corps les mêmes éléments par scarification ou incision ».78 Ainsi arrive t-il aux conclusions selon lesquelles « le sacrifice humain fait partie des milles et une stratégies de

74 Ibid., p.214.

75 Ibid., p.215.

76 Ibid., p.219.

77 Ibid., p.219.

78 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique »,

ibid., p.220.

quête du pouvoir et de sa préservation entre les mains des dirigeants africains ».79 Et qu'« avec les compétitions électorales qui précarisent la position de plus d'un dirigeant, on assistera de plus en plus à la multiplication des sacrifices humains vis-à-vis desquels les droits de l'Homme et de l'État de droit risquent d'être désarmés ».80

Parce que ces pratiques occultes « font du corps de l'autre, et surtout de sa vie, une vulgaire ressource politique qu'on peut actionner à sa guise ».81Dans la même perspective, nous convoquons Luc de HEUSCH82 pour qui le facteur magico-religieux demeure un élément majeur de légitimation et de conquête du contrôle politique d'un territoire. De plus, « le pouvoir trempe cette fois sans équivoque dans la sorcellerie maléfique. En effet, pour acquérir ses qualifications magiques (wene), le candidat chef doit livrer un certain nombre « de personnes de la nuit, qui, privées de leurs âme, meurent dans les jours qui suivent ».83 Pour lui, « l'économie marchande pervertit littéralement le système traditionnel et trouve dans la sorcellerie son alliée naturelle puisque la première implique la capture systématique d'êtres humains, réduits en esclavage, et la seconde le sacrifice humain. Le roi Garcia II, qui régna au milieu du XVII ème , était pleinement conscient de cette déchéance : « au lieu de l'or et de l'argent et d'autres biens qui servent de monnaie ailleurs, ici la monnaie est faite de personnes, qui ne sont ni or ni tissu, mais qui sont des créatures ».84

Enfin, « si l'association du pouvoir et de la sorcellerie au Mayombe doit être rapprochée de l'enrichissement d'un certain nombre de chefs à la faveur de la traite, on ne peut cependant considérer ce phénomène comme purement contingent. Il est inscrit en effet structuralement au coeur même de la sacralité ambivalente du pouvoir ; il s'agit d'une

79 Ibid., p.220.

80 Ibid., p.220.

81 Ibid., pp.220-221.

82 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard, 2000, 420 p.

83 Ibid., p.114.

84 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, ibid., p.122.

potentialité plus ou moins développée des sociétés bantoues d'Afrique centrale »85

En Afrique centrale, la « commercialisation des hommes » mais surtout de leur corps devient un phénomène des plus récurent. Dans son analyse sur le commerce illicite des hommes paru dans « Enjeux »86, Jean Bosco OYONO dresse un tableau générique de la prolifération des entreprises criminelles en Afrique centrale à l'ère globale. Pour lui, l'Afrique centrale est plus touchée que d'autres parties de l'Afrique et dénonce donc le commerce illicite des hommes ; particulièrement la traite des femmes comme trafics humains. Parce que victimes des mirages et eldorados européens, « les femmes sont particulièrement vulnérables. Elles peuvent être l'objet d'une exploitation sexuelle. Souvent endettées vis-à-vis des passeurs, elles sont forcées de se livrer à des activités criminelles pour rembourser leurs dettes ».87

Jean Bosco OYONO croise deux variables : « la prolifération des entreprises criminelles en Afrique centrale » et « l'ère globale », accusant la seconde d'être responsable des déviances et activités criminelles en Afrique centrale. Déviances et activités criminelles qui influencent aussi le quotidien des hommes. On pourrait, à la suite de Jean Bosco OYONO, se pose la question de savoir si la criminalité sous ses formes et ses corollaires sont la condition sine qua non des pays africains, en particulier ceux de l'Afrique centrale pour entrer dans l'ère de la mondialisation et la globalisation des économies et des échanges, et pour être qualifiés de pays modernes. Pour renchérir ses analyses, l'auteur fait état aussi du trafic d'organes. En effet, « les enlèvements et les disparitions, fréquents de nos jours, sont liés au trafic d'organes, voire d'ossements. Il est bien connu que le « marché noir » des organes humains est un commerce lucratif. Cette activité intéresse aussi le crime organisé. C'est un domaine

85 Ibid., p.123.

86Enjeux, Bulletin d'Analyse Géopolitiques pour l'Afrique Centrale, Yaoundé, 3èmeannée, publication trimestrielle, n°9 octobre-Décembre 2001, 31 p.

87 Jean Bosco OYONO, La prolifération des entreprises criminelles en Afrique centrale à l'ère globale, in ENJEUX n°9 octobre-Décembre 2001, p.10.

où l'on peut s'attendre à voir le milieu médical subir les attaques renforcées de la corruption ».88

Max Alexandre NGOUA pense que la pratique de la sorcellerie du Kong n'est pas un processus en marge de la vie sociale comme le pense le sens commun, parce que celui-ci de manière subtile et efficiente est usité par le pouvoir politique actuel du Gabon. La sorcellerie du Kong est liée à l'impact de la globalisation et que sa nature ambivalente provient de l'articulation entre valeurs anciennes, traditionnelles et locales, et les nouveaux flux de commerce interrégional et international. « L'aspect intriguant dans cette représentation (la sorcellerie du Kong) est qu'elle relativise la distinction entre hommes et marchandises. L'idée qu'on « vend » le parent et que celui-ci sera exploité dans une plantation de cacao, etc. est l'illustration parfaite de l'imprégnation dans nos moeurs du système capitaliste ».89

« L'argent est lié aux génies scientifiques que sont les voitures, les avions, les appareils électroménagers, les moyens de télécommunication (...) toutes ces choses suscitent envies et jalousie, frustrations (...) désirs de mort de l'autre possédant ».90 Enfin, « l'argent est l'une des principales causes de tous les malheurs qui sévissent dans le pays, c'est l'argent qui entraîne les gens à se jalouser et à se détruire, à s'abandonner au fétichisme et à la sorcellerie ; l'argent est en quelque sorte le premier fétiche ».91

Max A. NGOUA termine en disant que le kong est la nouvelle sorcellerie de la richesse ayant pour principe de base l'enrichissement rapide et le profit à tout prix. Le kong est donc une affaire de pouvoir, de domination (il s'agit du pouvoir politique).

88 Jean Bosco OYONO, La prolifération des entreprises criminelles en Afrique centrale à l'ère globale, ibid., p.10.

89 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat capitaliste, p.11, Rapport de Licence en Sociologie, FLSH/UOB, Septembre 2003.

90 Joseph TONDA, Politique Africaine ; «Capital sorcier et travail de Dieu », n°79, octobre 2000.

91 Jean-Pierre DOZON, cité par Joseph TONDA ; op.cit.p.46.

3- Perspective de notre problématique du rapport entre fétichisme et politique

Une première remarque s'impose sur la problématique du rapport entre fétichisme/sorcellerie et politique : posée par tous nos prédécesseurs. Au fond, tous ces auteurs auront mis l'accent particulier sur la dimension économico-politique. Il faut souligner que tous les travaux que nous avons recensés, dans le cadre du lien entre la sorcellerie et le politique, sont marqués du sceau très remarquable du matérialisme historique de Karl MARX. « Toutes ces études viennent fustiger les rapports aussi bien de domination, des luttes de groupes et de génération, que les rapports d'exploitation d'un groupe par un autre groupe ».92

Néanmoins, rares sont les études sur le fétichisme politique comme conséquence des compétitions électorales que se livrent les hommes politiques dans la conquête et la consolidation du pouvoir politique au Gabon, particulièrement à Libreville. Il faut rappeler que Pierre BOURDIEU, s'agissant de la question du fétichisme politique, lançait déjà le concept dans ses travaux, en présentant la délégation du pouvoir entre le mandant (le peuple) et le mandataire (l'homme politique) où ces mandataires ou fétiches politiques que sont des gens, des choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent leur propre créature.

Pour sa part, Joseph TONDA a pu se rendre compte que « de jour comme de nuit, les cimetières sont visités. Les ossements humains foisonnent. Et il semble que dans cette affaire-là, les parties génitales sont recherchées et que les « clitos » sont devenus des barres d'or ».93 De plus, les profanations des tombes deviennent le lot quotidien des Librevillois qui assistent à ces phénomènes sans pouvoir réagir en périodes électorales. L'exemple le plus significatif est celui de « la criminalisation populaire des

92 Davy Willis KOUMBI OVENGA, Mort et pouvoir. Violence politique et société initiatique Ndjembè en postcolonie gabonaise, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2006, p.39.

93 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon op.cit., p.4, citant le Missamu, n°239 du 26 novembre 2001, p.3, le n°226 du 21 avril 2001, et la Griffe n°412 du 3 janvier 2001 et enfin, la Griffe n°409 du 6 décembre 2000.

mandataires ou de manière générale ; de tout homme politique, soupçonnés ou accusés d'attenter pour des raisons et par des moyens fétichistes, mais aussi par la violence physique, à l'intégrité physique des mandats, est un phénomène ordinaire au Gabon ».94 En plus, « cette criminalité se caractérise par des « meurtres rituels », ou, comme il se dit aussi et suivant une logique de redoublement symbolique, « des sacrifices rituels ». L'objectif étant de prélever des organes humains appelés significativement « pièces détachées » : langues, mains, oreilles, crânes, coeurs, organes génitaux ».95

Venons-en à présent à la question de « ces pièces détachées » qui font l'objet de collecte et de convoitise de la part de ces hommes politiques ou « mandataires » à l'approche des élections politiques. Rappelons que les auteurs que nous avons convoqués ont évoqué tous, comme nous l'avons dit, l'aspect économico-politique du rapport entre fétichisme et politique. En fin de compte, il s'agit d'un problème qui relèverait d'une dimension purement culturelle de « ces pièces détachées » que nous voulons mettre ici en lumière ; dans un souci de montrer l'omniprésence du culturel pour expliquer, sans doute, le recours des hommes politiques aux « pièces détachées ». Ceci dérive en dernière analyse du culte des ancêtres, toujours présent chez nombre de gabonais.

Nous concluons, dans cette étude, que notre problématique s'appesantit sur le passage d'une économie symbolique lignagère à une économie de marché. On vend les éléments du corps humain sur le marché et au politique.

Eu égard tout ce qui précède, nous ne pouvons que nous inscrire que dans la sociologie dynamique de Georges BALANDIER. Comme l'écrit Davy Willis KOUMBI-OVENGA, le choix de BALANDIER est pertinent par le fait qu'il est le sociologue et l'anthropologue qui a le plus marqué la sociologie africaniste des années 1950 en Afrique coloniale. Il est le premier à initier la réflexion sur le politique et le religieux en Afrique centrale et particulièrement au Gabon et au Congo. Echappant à

94 Ibid., p.3.

95 Ibid, p.3.

l'opposition individu-société, certains auteurs renouant avec la tradition sociologique bien établie s'intéressant aux changements sociaux, au devenir des sociétés. Les mutations sociales semblent être le terrain privilégié de la sociologie car elles relèvent à la fois de la théorie et de la pratique.

BALANDIER a donc observé la décolonisation des Etats africains et leur évolution. Pour notre cas, il s'agit de voir l'aspect culturel du culte des ancêtres, à travers la conservation des reliques humaines, qui interviennent aujourd'hui en tant que « pièces détachées » dans la sphère du pouvoir politique. Pour finir, ce que BALANDIER tente de faire saisir à travers ces sociétés en évolution rapide, particulièrement le Gabon, c'est la part d'invisible, mais surtout d'imprévisible qu'elles cachent sous leurs apparences plus ou moins agitées.

4- Enonciation de notre hypothèse de recherche

« L'hypothèse est une proposition de réponse à une question posée. Elle tend à formuler une relation entre les faits significatifs ».96 Partant ainsi de cette définition, nous avons émis une hypothèse qui va guider notre recherche. D'autant plus que la question de départ à cette étude se décline comme suit : Pourquoi les tombes sont-elles profanées à Mindoubé ?

A cela, notre proposition de réponse est la suivante : la profanation des tombes en périodes électorales est l'expression du fétichisme politique en vigueur au Gabon.

5- Définition et construction du concept central

« Le concept en tant qu'outil, fournit non seulement un point de départ, mais également un moyen de désigner par abstraction, d'imaginer ce qui n'est pas directement perceptible ».97 Plus important encore, pour le sociologue ou le chercheur, c'est qu'il doit « définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question ».98

La définition du concept, bien qu'étant qu'une simple « convention terminologique », opère un tri des faits que cherche à rendre intelligible le sociologue. Après être prêtés à cette exigence méthodologique, nous avons retenu le concept fondamental suivant de notre travail: le fétichisme politique.

96 Madeleine GRAWITZ, op.cit. , p.398.

97 Ibid., p.385.

98 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll. « Quadrige »), 2002, p.34.

5.1. Définition du concept du « fétichisme politique », comme concept fondamental de notre étude

Alors que Pierre BOURDIEU, dans un entretien99 avec Didier ÉRIBON, parle de fétichisme politique pour traduire, dans le champ politique la relation du mandant au mandataire. Nous posons le concept de fétichisme politique pour rendre compte de deux dimensions étroitement liées :

>Dans la première dimension, il s'agit d'abord de ces objets

humains, ou restes humains, mieux ces « pièces détachées »

humaines collectées pour servir dans les pratiques fétichistes.

> Dans la seconde dimension, ces objets humains, ou restes

humains, ces « pièces détachées » collectées vont permettre à

l'entrepreneur politique, grâce à la nécromancie et autres pratiques

fétichistes, d'acquérir, voire de conserver ou de consolider le pouvoir

(économique, politique et social).

Le "fétichisme politique" que nous décrivons dans le contexte gabonais, se manifeste finalement sous deux dimensions : d'abord celle qui consiste à (re)collecter les éléments du corps humains ou « pièces détachées » via les profanations des tombes ; puis, leur usage politique à savoir ; gagner les élections, les perdre, les nominations, éliminer un adversaire politique ou pour durer au pouvoir.

99 Entretien de Didier ERIBON avec Pierre Bourdieu. A l'occasion de la publication de « Ce que parler veut dire », in Libération, 19 Octobre 1982, p.28. Dans Hyperbourdieu : « Dévoiler les ressources du pouvoir. Le fétichisme politique ».

5.2. Tableau n°1: Construction du concept de « fétichisme politique »

Concept

Dimensions

Indicateurs

Fétichisme
politique

Economique

· Production et vente des restes

humains ou « pièces
détachées ».

 

· Gagner les élections.

· Perdre les élections.

· les nominations.

· Eliminer un adversaire
politique.

· Durer au pouvoir.

· Problème de justice.

 

Section 3 : Démarche méthodologique

Une première remarque s'impose sur la notion de « terrain ». En effet, « faire du terrain, c'est avoir envie de se colleter avec les faits, de discuter avec les enquêtés, de mieux comprendre les individus et les processus sociaux ».100 Il va de soit qu'il n'y a pas de recherche sans terrain, surtout en sciences humaines.

1- Cadre empirique de la recherche

L'univers d'enquête est le lieu par excellence où le chercheur va puiser les informations dont il a besoin pour rendre compte du phénomène qu'il étudie. A Libreville, il existe plusieurs cimetières, nous avons fait la recension dans le tableau qui suit, il s'agit aussi bien des cimetières publics que privés :

100 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La Découverte, 2003, p.16.

Tableau n°2: Recension des cimetières de Libreville (liste non exhaustive)

Arrondissement

Terrain d'étude

Communauté
enterrée

Cimetières
clôturés

Cimetières
éclairés

Cimetières
Gardés

Cimetières
Réservés
aux :

1er

Ambowè

Mpongwè

Non

Non

Non

Toutes

1er

Méssôlô

Sékiany

Oui

Non

Non

Toutes

1er

Cap
Astéries

Benga

Non

Non

Non

Toutes

2ème

Sainte
Marie

Toutes

Non

Non

Non

Toutes

4ème

Plaine Niger

Mpongwè

Oui

Oui

Oui

Catholiqu
es

4ème

Baraka
Mission

Galoa

Partiellement

Non

De jour

Protestan
ts

5ème

Lalala

Toutes

Oui

Non

Oui

Toutes

5ème

Mindoubé

Toutes

Partiellement

Non

De jour

Toutes

Compte tenu du fait que le chercheur doit délimiter son univers d'enquête, nous trouvons d'abord utile de préciser que parmi tous les cimetières que nous recensions à Libreville, il y en a qui sont sous la juridiction de la Mairie de Libreville, d'autres101 non, d'où le caractère privé qu'ils prennent.

Le cimetière de Mindoubé a enregistré une quarantaine de tombes profanées (46 pour être exacte) en octobre 2006102.32 tombes supplémentaires en 2007103 et tombes en juillet 2008104. Ces quelques informations par l'Union Plus, quotidien d'informations gabonais et notre enquête de terrain sur ledit site, attestent bien que la pratique de la marchandisation des restes humains existe à Libreville. Mindoubé est le théâtre de ces profanations. Plus encore, c'est que d'octobre 2006 à juillet 2008, il s'est écoulé deux ans et qu'il y a eu des élections politiques

101 Ces cimetières sont sous la juridiction des Associations privées communautaires, celles des Quatre Saisons pour le cimetière du quartier Plaine Niger et la Mission Baraka, pour le cimetière qui porte sa dénomination.

102 Cf. l'Union Plus du mardi 10 octobre 2006, rubrique « société et culture », p.6 en annexe.

103 Chiffre obtenu à la suite de notre enquête de terrain sur le site, durant laquelle nous avons du compter et marquer ces trente-deux tombes profanées en plus avec des bois. Nous avons bénéficié de l'aide du gardien monsieur Jean-Noël présent sur les lieux.

104 Cf. l'Union Plus du mercredi 16 juillet 2008, rubrique « société et culture », p.6 en annexe.

(législatives et les locales). Surtout que durant ces deux ans, cela fait 87 tombes au total qui ont été profanées.

Tableau n°3 : Répartition des cimetières sous juridiction de l'HDV

Arrondissement

Terrain d'étude

Communauté
enterrée

Normes de sécurisation des cimetières

Clôture

Éclairage

Gardiennage

1er

Ambowè

Toutes

Non

Non

Non

2ème

Sainte Marie

Toutes

Non

Non

Non

5ème

Lalala

Toutes

Oui

Non

Oui

5ème

Mindoubé

Toutes

Partielleme
nt

Non

De jour

Il faut signaler que le cimetière de Mindoubé a suscité un intérêt sociologique de notre part car il ne bénéficie pas des normes de sécurité105 que nous avons évoquée dans le tableau n°3 plus haut. De plus, il est représentatif de l'ensemble des différentes ethnies de la population gabonaise qui est enterrée. Par ailleurs, Mindoubé, en tant que terrain d'enquête privilégié, nous permet de voir que « le sociologue n'observe pas la réalité sociale, mais des pratiques [...] Entre lui et son objet d'étude s'interpose un ensemble d'interprétations et d'interventions ».106 C'est Mindoubé qui est victime des profanations des tombes à la veille des élections ; phénomène récurrent et qui se pose avec acuité. Comme l'indique ici le tableau n°4, où il s'agit d'un histogramme qui met donc en évidence le phénomène.

105 Cf. photos n° 8, 9, 10,11, et 14 dans la deuxième partie du Mémoire.

106 Alain TOURAINE, Pour la Sociologie, Paris, éd. du Seuil, (coll. « Points »), 1974, p.25.

Tableau n°4 : Histogramme des tombes profanées à Libreville de 2004 à 2008 pour Mindoubé

Effectifs

50 45 40 35 30 25 20 15

10

5

0

 

2004 2006 2007 2008

Années
(xi)

Effectifs
(ni)

2004

20

2006

46

2007

32

2008

9

total

107

> Il y a lieu ici de préciser que le phénomène que nous décrivons s'observe en périodes électorales. Entre 2006 et 2007, c'est-à-dire en l'espace d'une année, il y a eu au total près de 70 tombes qui ont été profanées dans le même cimetière, c'est-à-dire à Mindoubé ; pratiquement à la même période.

> Enfin l'année 2008 a vu l'organisation des élections législatives partielles et les locales sur le territoire national. Mais c'est aux lendemains de ces consultations électorales que les profanations se sont enregistrées à Mindoubé en Juillet de la même année. Comme le confirme « l'Union Plus » du 22 juillet 2008 en annexe.

Notre enquête sur le terrain s'est résumée à l'observation participante, « durant laquelle le chercheur participe aux activités qu'il observe. »107 Cette technique d'enquête nous a donc permis de participer à la vie quotidienne des populations de la décharge publique de Mindoubé (en l'occurrence les femmes surtout) faisant face à notre terrain d'étude: le cimetière. Nous avons dû travailler deux jours de suite avec ces femmes dans la décharge pour mieux nous intégrer. Nous nous sommes appropriés une benne à ordure du camion de la SO.V.O.G; ce qui nous a permis de pouvoir échanger cette benne à ordure contre les informations concernant les profanations des tombes au cimetière. Notons aussi que cette méthode qualitative qu'est l'observation « est essentielle à toute recherche sociologique ».108

107 Alain BEITONE et al. Sciences sociales, Paris, (coll. « aide-mémoire »), 3ème éd., 2002, p.27.

108 Ibid., p.26.

2- Caractéristique de notre échantillon

Eu égard à la difficulté d'obtenir des informations, notre analyse repose essentiellement sur un échantillon de trente personnes qui ont bien voulu se prêter à nos entretiens. L'échantillon était constitué en majorité des familles des victimes des profanations des tombes à Mindoubé que nous avons pu rencontrer sur le site le 1er novembre 2007 dernier. Cependant, il convient de noter que nous avons tenu à recueillir le sentiment du conseiller du Directeur Général des Services Techniques de l'HDV de Libreville, en tant que technicien de l'aménagement urbain et surtout, celui que nous considérons comme un élément clé, le sentiment du gardien du cimetière qui n'a cessé d'être coopérant durant notre séjour sur le site.

Cet échantillon se compose ainsi qu'il suit :

? Le chef du quartier

? Le Conseiller du D.G de la D.G.S.T

? Le gardien du cimetière

? Les 25 familles victimes des profanations des tombes

? Deux femmes riveraines, travaillant et vivant de la décharge

? Entretien avec un ancien profanateur

3- Technique de collecte et de traitement des données

3.1. L'entretien comme technique de collecte des données

La technique utilisée pour collecter l'information repose sur un guide d'entretien ; technique que nous avons trouvé pertinente car les femmes et les autres habitants du site étaient très réticents et prudents quant à notre présence sur le terrain. Mais après avoir eu à travailler deux jours avec elles dans la décharge et le fait qu'on leur ait échangé les ordures pour des informations, elles ont finalement accepté de répondre à nos questions. L'entretien apparaît ici comme « une technique qui consiste à

organiser une conversation entre enquêté et enquêteur. Dans cet esprit, celui-ci doit préparer un guide d'entretien, dans lequel figurent les thèmes qui doivent être impérativement abordés ».109

En un mot, il existe plusieurs modalités d'organisation des entretiens ; dont nous avons retenu l'entretien semi-directif comme variante utilisée.

L'entretien semi-directif « suppose que le chercheur annonce à son interlocuteur le thème de l'entretien. Il fait en sorte que celui-ci se déroule le plus « naturellement » possible (non standardisation de la forme et de l'ordre des questions), tout en abordant l'ensemble des sujets fixés au départ ».110

3.2. L'analyse de contenu comme technique d'analyse des données

« L'analyse de contenu porte sur des messages aussi variés que des oeuvres littéraires, des articles de journaux, des documents officiels, des programmes audio-visuels, des déclarations politiques, des rapports de réunion ou des comptes rendus d'entretiens semi-directifs. Le choix des termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur et leur mode d'agencement, la construction du « discours » et son développement constituent des sources d'informations à partir desquelles le chercheur tente de construire une connaissance ».111

En un mot, « l'analyse de contenu est l'outil d'analyse, par excellence, des données qualitatives recueillies au moment de l'entretien ».112 L'analyse de contenu comme technique de traitement et d'analyse des données permet de confronter l'idée selon laquelle les faits scientifiques sont à la fois « conquis, construits et constatés ». Au coeur du dispositif : le recueil des données et leur analyse.

109 Alain BEITONE et al. Sciences sociales, Paris, (coll. « aide-mémoire »), 3ème éd., 2002, p.27.

110 Ibid., p.28.

111 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, op.cit., pp.229-230.

112 Davy Willis KOUMBI OVENGA, op.cit. p.54.

3.3. Limites de l'étude

Une des limites majeures dans notre travail se trouve être la documentation sur la question que nous soulevons dans cette étude. En effet, Jean Ferdinand MBAH affirme que « le problème de la documentation au Gabon constitue un réel handicap autant qu'une difficulté pour la recherche. »113 A cela, il faut ajouter le fait que nous nous sommes osés sur un objet comme celui aussi sensible, nous faisons face à la réticence de nos enquêtés et autres personnes qui peuvent nous apporter un plus dans la recherche, estimant que nous sommes des espions envoyés par les autorités de la place ; sans oublier le personnel des pompes funèbres de la place qui refuse catégoriquement de nous recevoir. A noter aussi le refus des autorités du Tribunal de Première instance de Libreville de nous délivrer un permis pour pouvoir accéder à la Prison Centrale de Libreville pour rencontrer les présumés profanateurs des tombes emprisonnés ; et ce, sans nous donner les raisons valables à cette interdiction. Enfin, durant nos investigations, au mois de Février 2008, nous avons été victime de menaces verbales de mort au téléphone par deux individus : un homme d'abord, puis la semaine suivante, c'était une femme.

Toutes ces difficultés nous permettent de mesurer la portée d'une recherche en sciences sociales au Gabon, mais aussi, permet au chercheur en formation que nous sommes de mieux nous familiariser avec le terrain. Aussi, la réalisation de ce mémoire est l'aboutissement d'un travail qui ne peut toutefois revendiquer la perfection. Ne pas avoir accès à la documentation sur les reliques, comme nous l'avons dit plus haut, a constitué un obstacle non négligeable. Dans l'état actuel des connaissances, on n'a pas pu résoudre cette question. Cependant, nous voulons tout de même espérer que l'année prochaine si nous nous rendons en France, nous tenterons d'en compenser les manquements éventuels qui se feront ressentir.

113 Jean-Ferdinand MBAH, La recherche en sciences sociales au Gabon. Préface de Louis-Vincent Thomas, Paris, l'Harmattan, (coll. « Logiques sociales »), 1987, p.123.


Introduction de la première partie

Comprendre comment les sociétés traditionnelles conçoivent et surtout, comment elles se comportent avec le sacré, c'est interroger en filigrane les logiques qui gouvernent leurs imaginaires. C'est donc questionner les différents cultes des ancêtres que sont par exemple le Ndjobi chez les Massango, l'Agombé Nèrô chez les Myènè, le Bwiti chez les Mitsogho ou encore le Byéri ou Byer chez les Fang.

Pour notre étude, nous avons retenu le cas du Byéri, pour tenter de comprendre cette étroite relation que les sociétés traditionnelles gabonaises en général, la société traditionnelle Fang en particulier, entretient avec le sacré. Pour Durkheim, « les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent ».114 Et le Byéri ou « Byer Fang est le crâne de l'Ancêtre que l'homme conserve, dans un but religieux, les restes humains de ses Ancêtres ».115

S'inscrivant dans la définition de DURKHEIM, le Byéri est sacré parce que protégé et isolé par des interdits116 et il sert les individus de la communauté en apportant paix, prospérité dans les entreprises, abondance, sérénité, équilibre, fécondité pour les femmes, la sécurité et maintient la cohésion sociale des individus ; par des cultes qui lui sont rendus.

Les Fang « mettaient le meilleur d'eux-mêmes à vénérer leurs Ancêtres, dans le culte. Le byer est le fondement des valeurs morales auxquelles les individus doivent se conformer dans les usages, les rites, les croyances. Tous les sacrifices et les formules invocatoires se réfèrent à lui ».117 En un mot, le byéri est le socle de la société Fang car « la société Fang était inconcevable sans le byer ».118 Il est « simplement une pratique rituelle -tout comme " la flamme du souvenir"- consistant en un "culte"

114 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. « Le Livre de Poche »), classiques de la philosophie, 1991, p.92.

115 Paulin NGUEMA OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris, Karthala/A.C.C.T, 1983, p.39.

116 André RAPONDA WALKER a montré dans ses travaux que la boîte qui contient les crânes humains n'est jamais vu par les gens, même celui qui la garde n'a pas le droit de voir le contenu de la boîte.

117Paulin NGUEMA OBAM, Aspects de la religion Fang, op.cit., p.54.

118 Ibid., p.42.

privé, familial, rendu aux mânes des ancêtres, afin d'obtenir, à la fois leur bienveillance et leur protection et d'honorer leur mémoire ».119

La persistance de ce culte des ancêtres montre bien que c'est un culte prédominant et auquel les gabonais demeurent attachés : le Bwiti chez les Mitsogho, le Byer chez les Fang par exemple, malgré l'irruption du mode de production capitaliste, et en filigrane, l'imposition du christianisme au Gabon durant la période coloniale. Car, en rendant un culte à leurs ancêtres, les Gabonais ont à l'esprit qu'ils sont la continuité de l'ancêtre et en tant qu'ils sont porteurs et supports de la même essence que lui, responsable de la lignée, du clan, de l'ethnie.

Ainsi, le travail de l'anthropologue qui s'intéresse aux faits sacrés, doit accomplir une oeuvre significative de compréhension, d'analyse des traditions ancestrales. Il s'agit en quelque sorte de saisir la relation que l'homme entretient avec le sacré, mais surtout, de repérer les modes de fonctionnement du sacré dans l'organisation sociale de l'homme.

Nous tenterons de voir de manière chronologique au premier chapitre, la période coloniale et l'approche anthropologique des reliques au Gabon, au second chapitre les reliques comme symbole d'autorité et de pouvoir et enfin, au troisième chapitre, la crise du sacré au Gabon.

119André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Libreville, éd. Raponda-Walker, (coll. « Hommes et société »), 2005, p.147.

Chapitre I : Période coloniale et approche anthropologique des reliques

Avant d'entrer dans le vif du sujet, un effort de clarification des concepts s'impose à nous. En effet, parler de la question des pratiques reliquaires (en période précoloniale) au Gabon, c'est convoquer explicitement la notion de culture. Aussi, pour rester fidèles à DURKHEIM, « la première démarche du sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question ».120On peut partir de la définition d'Edward TYLOR et celle de Ruth BENEDICT, TYLOR nous propose une définition qui va devenir classique de la culture comme « ce tout complexe qui inclut la connaissance, la croyance, l'art, les choses morales, la loi, la coutume et toutes les autres aptitudes et habitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société ».121

Pour sa part, Ruth BENEDICT et l'école culturaliste américaine pensent plutôt qu'«une culture n'est pas déterminée par des éléments objectifs mais par les attitudes devant la vie, par le comportement affectif des membres qui la supportent ».122 Ce que nous pouvons retenir c'est que la culture est un « tout » c'est-à-dire envisagée probablement comme un « fait social total » chez MAUSS. Justement, dans cette perspective, le culte des ancêtres, à travers les reliques au Gabon doit être envisagé comme phénomène social total. En ce sens, « il est religieux, mythologique, parce que les chefs incarnent les ancêtres et les dieux ; il est économique et il faut mesurer la valeur, l'importance, les raisons et les efforts de ces transactions énormes. Il est aussi un phénomène de morphologie sociale ; la réunion des tribus, des clans et des familles, un phénomène esthétique, par les fêtes qui s'y déroulent (...) »123

120 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, op.cit., p.34.

121 Gilles FERREOLES et al, Dictionnaire de Sociologie, Paris, 3ème éd., Armand Colin, 2004, p.40.

122 Ibid., p.41.

123 Jacques LOMBARD, Introduction à l'ethnologie, Paris, 2ème éd., (coll. « Cursus série Sociologie »), Armand Colin, 1998, p.114.

De facto, le culte des ancêtres apparaît alors comme un phénomène collectif mettant en branle la société globale et pas uniquement certains groupes, mais la totalité de ses institutions. Il touche donc toutes les sphères de la société, de la réalité sociale et ne peut se comprendre qu'en les mettant en relation. Le schéma qui suit, se propose de résumer le culte des ancêtres comme phénomène social total :

Tableau n°5 : Schématisation du culte des ancêtres en tant que phénomène social total

- Obligation de cultes
- Interdits

Dimension culturelle

Dimension religieuse

- Distinction sacré/profane

Culte des
ancêtres :
Byéri, Melane,

Ndjobi, Agombénèrô, Malumbi,
Bwiti.

-Production de la
richesse
-Economie lignagère

Dimension
économique

Dimension
politique

- Pouvoir
-Le droit

- Protections familiales
-La solidaritémécanique : le lignage

Dimension sociale

Ce schéma récapitule le culte des ancêtres, ayant son influence dans toutes les sphères, dimensions de la société gabonaise. Ce qui nous laisse à penser que les différentes dimensions sont dépendantes.

Il faut rappeler que le culte des ancêtres nous permet de voir comment se structurent le pouvoir et l'ensemble des représentations sociales qui gravitent autour de ce culte. De plus, il nous permet de lire une influence rétroactive sur le phénomène que nous étudions.

Section 1 : La question des pratiques reliquaires (périodes précoloniale)

1. Une diversité des cultes des ancêtres au Gabon.

« Autant de langues gabonaises autant de cultures » donc il est probable qu'il existe une diversité des cultes des ancêtres au Gabon. Chez les Fang, on parle du « Byéri » ou du « Melan »124 ; d'« Agombé nèrô » chez les Myènè, du « Malumbi » chez les Eshira ou encore du « Ndjobi » chez les Adouma, les Massango et les Obamba ou encore du Bwiti chez les Mitsogho. Il va de soi que ce qui est au fondement de ces différents cultes des ancêtres demeure les reliques ou ossements humains ; en particulier ceux d'un chef de village, considéré parfois comme charismatique. Par ossements humains, il y a lieu de préciser qu'il peut s'agir de crâne, doigts, fémur (gauche parfois), avant-bras gauche, dents, coeur, foie, cheveux, etc., susceptibles d'avoir appartenu à un chef de village (illustre) ou un individu d'une famille qui s'est démarqué de son vivant par des actes de bravoure etc.

Rappelons que le Byéri, le Melan, l'Agombé nèrô, le Malumbi, le Ndjobi ou le Bwiti etc., ont un trait commun fondamental : celui du « culte rendu aux morts, la garde de leurs ossements, la soumission à des interdits et à un rite de passage ».125 Ne pouvant travailler sur tous ces différents cultes des ancêtres à la fois, nous nous focaliserons sur le culte du Byéri, qui nous permettra de faire une généralisation.

124 Davy Willis KOUMBI OVENGA, op.cit. pp.60-61.

125 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda-Walker, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, p.146.

2. Le culte du Byéri : un culte familial

Il s'agit d'un rite qui « consiste à conserver comme des reliques les os des défunts dans de sortes d'urnes ornées de sculptures à l'image du mort, puis dans des statuettes au dos desquelles était ménagée une cavité ».126 « Le Byéri n'est pas, comme on l'a souvent prétendu, une société initiatique, mais plutôt et simplement une pratique familiale, un culte rendu aux mânes des ancêtres afin d'attirer leur protection et d'honorer leur mémoire ».127 Le chef de famille, qui en est le prêtre, transmet sa fonction à l'un de ses fils. Les femmes et les enfants ne peuvent en aucun cas ouvrir les « boîtes à Byéri » qui contiennent les reliques, ni même en regarder le contenu. Le jeune homme chargé de veiller sur elles est investi de sa nouvelle charge au moment où il jette pour la première fois son regard sur la boîte ouverte ; c'est alors qu'il apprendra les rites de ce culte essentiellement familial, puisque chaque gardien ne peut voir dans les boîtes cylindriques en écorce, surmontées de statuettes, que les crânes de ses propres ancêtres.

Dans le même ordre d'idée, « le culte du Byéri est, répétons-le, un culte familial, donc privé, qui se pratique à l'intérieur de la case familiale, dans une chambre retirée. Quand un chef de famille fang choisit un de ses garçons pour lui donner connaissance du Byéri, il s'agit d'un jeune homme de 25 à 30 ans, environ, marié, avec des enfants, afin que la perpétuation du culte puisse être assurée, et qu'il juge digne de garder les reliques de famille et d'en transmettre le culte aux descendants ».128 De plus, et c'est un point de départ important, « chaque jeune homme n'a le droit de voir que les crânes de ses propres ancêtres. Il n'est jamais permis de lui montrer ceux des autres familles...car c'est de cette façon que le Byéri garde son culte familial et individuel ».129

D'autre part, « la croyance fondamentale sous-jacente au culte des ancêtres est que les morts ne sont pas morts, mais continuent à être liés

126 Le Million. Encyclopédie de tous les pays du monde, volume XI, Afrique Occidentale, Centrale Equatoriale et Australe, Paris, Grande Batelière, p.236.

127 Ibid., p.237.

128 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, op.cit., p.147.

129 Ibid., p.149.

au destin des humains visibles ».130 Sans oublier le fait que la statuaire, un
des arts plastiques qui a fait le succès du Gabon, se rapporte aux
reliquaires. Les reliques des ancêtres ; sous la forme d'ossements et en
particulier sous la forme des crânes, « sont la réplique exacte du culte des
saints dans la religion catholique. Ces cultes sont d'autant plus parlants, si
l'on peut dire, qu'ils établissent réellement, par l'intermédiaire de
phénomènes médiatisés par les transes, le contact avec les défunts. Cette
communication avec les défunts est souvent établie dans un cadre
thérapeutique, soit pour faire la guérison, soit pour réparer les jeteurs de
mauvais sorts et conjurer ainsi, dans son sens littéral, le mauvais sort ».131
Mieux, « avant l'enterrement du défunt, on lui ôtait la tête très
souvent et quelques autres parties du corps (les gros os). Le crâne et les
autres os constituaient alors le patrimoine jalousement gardés par les
héritiers du disparu. »132 Il convient cependant de rappeler que « le byer
fang est le crâne de l'Ancêtre. Que l'homme conserve, dans un but
religieux, les restes de ses Ancêtres ; n'est pas particulier aux Fang ».133
D'autant plus que « chez les Fang, le crâne de l'Ancêtre est conservé dans
sa nudité osseuse. Il n'est donc pas travaillé artistiquement. Il est enduit
de poudre rouge de padouk, ba, et conservé dans une boîte cylindrique,
nsek byer, surmontée d'une statuette-reliquaire ».134 Plus important
encore, c'est le fait que « les critères précis présidaient au choix, au
prélèvement du byer. Il fallait d'abord que l'Ancêtre, de son vivant, en
fasse la recommandation à ses descendants. La personne qui, de son
vivant, ne s'était point signalée parmi les siens par des aptitudes, des
dons, des capacités au-dessus de la moyenne, ne pouvait servir de byer.
Ces qualités se manifestaient à la guerre, à la chasse, auprès des femmes,
dans l'art oratoire, dans la prospérité matérielle, c'est-à-dire à la quantité
de femmes et d'enfants. Tout individu qui n'avait point été favorisé par la

130 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd. revue et augmentée, Libreville, Editions du LUTO, 2002, p.48.

131 Ibid., p.49.

132 Jonas OSSOMBEY, Société Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie, sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à 1910, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie, Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, p.70.

133 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris, Karthala/A.C.C.T,1983, pp.39-40.

134 Ibid., p.39.

fortune et dont l'existence s'était déroulée dans la grisaille quotidienne, était exclu du byer. Il ne suffisait donc pas d'être l'Ancêtre pour avoir l'honneur d'être utilisé comme byer ».135

On note aussi que « le byer était confié à la garde d'un seul individu, mbagle byer. De cette façon certaines personnes étaient écartées ».136 N'oublions pas que le culte des Ancêtres a pour fonction principale de garantir en général la prospérité d'une communauté, d'une famille. Pour se faire, « quand on désire obtenir les faveurs du byer, on tue un animal domestique. On va trouver le gardien du buer, en précisant les mobiles de la démarche. On agit ainsi chaque fois qu'on est malheureux dans ses entreprises ».137 Ainsi, cet exemple atteste que le byer est une pièce maîtresse dans la structure de la société fang, mais surtout, que « le byer était, pour le Fang, le garant du monde vivant. Il favorisait toutes ses entreprises. Il rendait les femmes fécondes, donnait la richesse, assurait le succès des expéditions guerrières, de la chasse protégeait les guerriers, veillait sur les individus. En un mot, la société fang était inconcevable sans le byer. Il n'y avait pas de réalité religieuse supérieure à lui ».138

En fin de compte, en considération des différentes fonctions du byer que nous venons de citer, « les byer devinrent des idoles, les rites et les croyances, des superstitions ».139 C'est pourquoi, « pour les Fang, l'Ancêtre est l'axe de la société, le garant du monde vivant et de la vie future. A lui se rattachent directement ou indirectement les manières de faire, les croyances, les rites, l'organisation sociale [...] Tel se présente, vivant, parmi les siens, celui dont le crâne servira de byer. Vivant, il est le pivot de l'organisation politique. Mort, il devient le fondement de la société, de la culture. C'est désormais lui qui donne force et puissance ».140

135 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai d'interprétation de la formule de bénédiction, ibid., p.40.

136 Ibid., p.40.

137 Ibid., pp.41-42.

138 Ibid., p.42.

139 Ibid., p.43.

140 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang ; ibid., p.51.

En un mot, « la société axée sur le byer obtient sécurité, abondance, succès dans les entreprises ».141

141 Ibid., p.52.

Section 2 : Colonisation et criminalisation

1. Bref aperçu historique de la colonisation

Il faut souligner que la colonisation et les peuples colonisés ont, par leur rencontre, vu naître de nombreux et profonds changements ; en ce sens que la colonisation s'est faite avec heurts et ou a été confrontée à la résistance des peuples autochtones (on peut par exemple citer la résistance du guerrier WONGO dans le sud-est du Gabon ou celle du roi NKOMBE YA DEMBA dit « roi Soleil » des Galois dans le Moyen Ogooué et qui sont devenus des symboles de luttes pour ces populations). La colonisation a donc modifié profondément le quotidien des autochtones, affectant ainsi toutes les dimensions des sociétés gabonaises. Parmi les agents de la colonisation, c'est-à-dire ceux qui ont permis que l'impérialisme s'implante au Gabon particulièrement, il y a eu les missionnaires, les militaires et bien sûr les marchands.

Du coté des missionnaires, nous citerons par exemple Monseigneur BESSIEUX, qui débarqua au Gabon dans les années 1843 et qui mourut en 1877 ; fondateur du collège qui porte son nom à Libreville. Outre BESSIEUX, nous pensons aussi au Père Henri TRILLES, venu au Gabon en 1893 ; où il a effectué de nombreux travaux ethnographiques.142 En ce qui concerne les militaires, les plus célèbres qui ont exploré le Gabon sont Pierre SARVORGNAN DE BRAZZA, Emile GENTIL143, BOUET WILLAUMEZ144 ou encore en 1883 avec De LASTOURS145. Cette toponymie témoigne effectivement de la présence de l'administration coloniale au Gabon, sous toutes ses formes. Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer le fait que des traités ont été signés entre les colonisateurs tels SARVORGNAN DE BRAZZA par exemple et les autochtones que sont les rois Denis RAPONTCHOMBO, QUABEN, KRINGER ou MAKOKO, pour la concession de lopins de terres en contre-partie de la pacotille (eau-de-vie, sel, tabac,

142 On peut citer comme exemples de ses travaux ethnographiques, « Dans le Nord du Gabon », Bull. Afrique Française, 1902, ou encore « Le totémisme chez les Fang », pour ne citer que ces deux exemples.

143 Dont le nom a été attribué à la capitale économique du Gabon : Port-Gentil.

144 Dont le nom a été attribué au plus grand marché de Libreville : Mont-Bouët.

145 Fondateur de Lastourville, une des villes du Sud-est du Gabon dans l'OGOOUE-LOLO précisément.

etc.). Ces lopins de terres vont donc servir à asseoir la domination européenne et tous ces corollaires. Enfin, les marchands se démarqueront aussi par l'implantation des comptoirs commerciaux pour les trocs de tout genre tel le comptoir du Fort d'Aumâle.146

2. La criminalisation des pratiques rituelles par la

colonisation, en particulier par l'Église

Il s'agissait de s'approprier non seulement les terres à exploiter à travers la « mission civilisatrice », mais aussi, il était question que les missionnaires s'attèlent à convertir le maximum d'enfants des autochtones dans le christianisme. Ce qui a conduit beaucoup de jeunes autochtones à abandonner leurs cultures et traditions au profit de celle du colonisateur. C'est dans cette optique que la criminalisation des pratiques rituelles fut prohibée car assimilées au diable.

Florence BERNAULT parle même de « traumatismes coloniaux ». D'autant plus qu'« au début du vingtième siècle, l'administration européenne s'employa systématiquement à redéfinir les lignes de séparation entre le monde physique et le monde invisible, le sacré et le criminel, la « civilisation » et la « sauvagerie » ».147 Ce qui nécessairement conduisit à la naissance du terme sorcellerie en français qui « renvoyait systématiquement à toute croyance religieuse qui tentait de résister au christianisme, et qui servit de référent intellectuel à la criminalisation des pratiques anciennes qui composaient l'essence de l'ordre moral et social des sociétés équatoriales ».148 En ce sens, « dans son empressement à démanteler ce qu'elle assimilait à (dés) ordre rétrograde et criminel, la colonisation française attaqua cultes anciens et lieux sacrés qui touchaient de manière centrale à la reproduction sociale, et en particulier, les techniques de la mort ».149

L'exemple pris ici de la mort et de tout le rituel (exposition du corps, condamnation du coupable, réconciliation jusqu'à l'enterrement du défunt)

146 Reste encore visible et dont les locaux servent toujours de port, sis au Bord de Mer de Libreville. Une petite précision apportée est celle liée au fait que les explorateurs ou militaires étaient par la même des marchands.

147 Florence BERNAULT, op.cit., p.9.

148 Ibid., p.9.

149 Florence BERNAULT, ibid., p.9.

nous sert à évaluer l'ampleur des bouleversements imposés par le colonisateur. Plus important encore, « la législation française en effet interdit immédiatement après la conquête la pratique des autopsies et l'exposition des défunts. Elle décréta simultanément l'obligation de l'enterrement dans les cimetières publics, la condamnation des reliques « profanation des cadavres », et conduisit avec l'aide des missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et des reliquaires considérés comme « fétiches » et fatras sorcier indésirables ».150

Ce constat nous permet de dire que la question relative aux reliques n'est pas un fait nouveau, elle a été instituée par les ancêtres, et les reliques sont conservés dans des autels dits reliquaires familiaux et dans le but d'assurer la communication entre les morts et les vivants. Rappelons que dans un tel contexte de criminalisation des reliques, la reproduction sociale basée sur le deuil et la collecte des reliques devint extrêmement menacée. « Certaines pratiques ne purent survivre qu'en devenant illégales et clandestines. La fabrication rituelle des reliques des morts familiaux, par exemple, pouvait s'avérer paradoxalement plus risquée, sous l'oeil de la force coloniale, que l'utilisation d'organes et ossements prélevés sur des cadavres « discrets », mais extérieurs au lignage ».151 Cela revient à dire que le culte des ancêtres persiste dans le temps parce qu'il est une affaire de familles, et partant, d'individus. En fin de compte, c'est là le point de départ, face aux assauts de la législation coloniale, que va naître la « crise du sacré » dans les sociétés traditionnelles gabonaises ; c'est-à-dire, qu'on va assister aux criminalisations des pratiques culturelles.

150 Ibid., p.10.

151 Ibid., p.10.

Chapitre II : Les reliques comme symbole d'autorité et de pouvoir

Ce chapitre tente de montrer le traitement réservé aux reliques et surtout mettre en lumière le rôle qu'ils jouent dans la société gabonaise traditionnelle.

Section 1 : L'utilisation des reliques des défunts rois et chefs de clan

Les reliques des défunts rois ou celles des chefs de familles ou de clan demeurent fondamentales, indispensables dans le culte des ancêtres. Car ces reliques sont considérées par le clan, la famille comme des symboles d'autorité et de pouvoir. Le chef défunt ou le roi est un homme doté du charisme152 et qui détient ce pouvoir extraordinaire que lui reconnaît la communauté. De plus, « le chef de clan est aussi chef de village dans la mesure où sa résidence est la même que celle des membres de son clan ».153 Il est donc à la tête du clan et a pour mission « d'entretenir le culte des ancêtres au nom du clan [...] Le culte manique est donc la principale obligation et, à notre sens, l'une des raisons d'être du chef ».154

Et pour bien exercer son autorité, le chef actuel hérite de son prédécesseur lors de son intronisation des biens de fonction, destinés au culte des ancêtres qu'il a la charge d'organiser : « ce sont les crânes des ancêtres, alumbi, conservés dans un reliquaire cylindrique en écorce, facilement maniable ».155

152 Raymond BOUDON et François BOURRICAUD, op.cit., p.77.

153 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat côtier du Gabon et ses origines. Préface de Jean PING, Paris, Karthala, 1981, p.213.

154 Ibid., pp.213-214.

155 Ibid., p.214.

Comme nous l'avons signalé précédemment, ce ne sont pas les ossements de n'importe quel individu, plutôt ceux « prélevés d'une part, sur des femmes fondatrices de clan et de sous-clan, d'autre part sur les chefs précédents ».156 Par ailleurs, on peut ajouter d'autres éléments ou objets qui sont considérés comme reliques et servent le chef ou le roi dans l'exercice de ses fonctions. On peut citer par exemple le cas de « la clochette à manche de fer, nkendo, que du CHAILLU appelle le sceptre royal chez quelques unes des tribus de l'Afrique centrale, est un instrument dont le rôle est inséparable de celui de la boîte à reliques. Le chef s'en sert pour communiquer avec ses ancêtres, le matin au petit jour en particulier, lors des grandes occasions comme un mariage ou un voyage et il est alors le signal de l'arrivée du chef ».157

L'entretien du culte des ancêtres permet ainsi à celui qui officie la cérémonie, en l'occurrence le chef ou le roi, d'asseoir son autorité et son pouvoir. En ce sens qu'il exerce la domination symbolique au sens bourdieusien, dans le double mouvement de la reconnaissance (dans l'adhésion du dominé à l'ordre dominant qui lui parait légitime, « normal », « naturel ») et de la méconnaissance (dans l'ignorance qu'il s'agit d'une domination arbitraire, « non nécessaire », « non naturelle »). Les fonctions du chef de clan sont de protéger ceux qu'il gouverne, en dehors de l'entretien du culte des ancêtres. « Cette protection s'exerce d'abord d'une manière matérielle : si le chef possède des richesses, et reçoit un pourcentage sur le commerce qui se fait sur son territoire, il se doit de les redistribuer aux membres de son clan ».158 Puis, par le culte des ancêtres qu'il a la charge de présider, il protège moralement les siens ; car il peut devenir juge pour toutes les affaires criminelles qui ont lieu à l'intérieur du clan ; et pouvant se faire assister de l'oganga, ministre du culte des esprits et guérisseur.

L'importance du jugement du chef dans les accusations de sorcellerie est liée à la croyance en ses dons surnaturels de double vue, que lui confère les reliques des ancêtres qu'il détient. Pour ce qui est du

156 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat côtier du Gabon et ses origines, ibid., p.214.

157 Ibid., p.214.

158 Ibid., p.215.

conseil du chef, il y a lieu ici de dire que « le conseil du chef est une institution qui est destinée à tenir compte de la morphologie du clan, et de ménager en quelque sorte des gens sur lesquels s'exercent des forces surnaturelles, des détenteurs de reliques et de futures mères-fondatrices ».159

En fin de compte, « la fonction de chef de clan implique aussi une éducation, une connaissance du culte des ancêtres en particulier »160, car les successeurs étaient désignés à l'avance et donc connus de tous, d'où une socialisation stricte dans le milieu de la chefferie et des reliques et une connaissance parfaite du rôle du culte des ancêtres pour l'assise spirituelle du pouvoir et de l'autorité. « Quand meurt le chef de famille, son fils aîné maintes cérémonies [...] détache soigneusement le crâne du mort, et le place ensuite dans la boîte d'écorce où, barbouillé de rouge, il va rejoindre les aïeux et attendre son successeur ».161

Grosso modo, il apparaît bien clair que « dans cette société lignagère, le culte des ancêtres constitue le support du pouvoir »162 et que « le chef de clan ou de lignage est le pont de jonction entre le clan (ou le lignage) actuel, constitué par les vivants, et le clan (ou lignage) idéalisé, porteur des valeurs ultimes, symbolisé par la totalité des ancêtres aux vivants, celle des vivants aux ancêtres ».163 Les reliques utilisées permettent d'acquérir l'autorité et de l'asseoir pour veiller sur le clan et demander richesse et protection des ancêtres pour ses membres.

159 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat côtier du Gabon et ses origines, ibid., p.216.

160 Ibid., p.217.

161 Annie MERLET, Le pays de trois estuaires (1471-1900). Quatre siècles de relations extérieures dans les trois estuaires du Muni, de la Mondah et du Gabon, Libreville, CCF St Exupéry/Sépia, (coll. « Découvertes du Gabon »), 1990, p.283.

162 Georges BALANDIER, op.cit., p.137.

163 Ibid., p.118.

Section 2 : Le principal élément des reliques : le crâne, objet du pouvoir

Dans la section précédente, nous nous sommes attelés à une présentation de l'utilisation des reliques des défunts rois ou chefs des clans ; mais sans pour autant faire ressortir une des pièces maîtresses du culte des ancêtres : le crâne. N'oublions pas qu'il ne s'agit pas de n'importe quel crâne humain, mais de celui d'un grand chef, d'un roi ou pourquoi pas celui de futures mères-fondatrices de clan.

En effet, le principal élément des reliques dans le culte des ancêtres soit le crâne ; en tant qu'objet du pouvoir. On notera en rappel que le Byéri, exemple retenu pour notre étude, est la forme la plus caractéristique du culte des ancêtres ; particulièrement développé dans les tribus Fang. « Le prêtre en était l'ancêtre vivant, le père, ésa, avec une hiérarchie de fait correspondant aux différents niveaux de la structure sociale et clanique, hiérarchie à caractère plus religieux que politique, l'autorité qui en découlait étant constitué par les crânes des ancêtres masculins, gardés par le père, l'aîné, dans le panier à crânes, évora biéri (éwolé biéti), sorte d'arche que le groupe familial transportait avec lui au cours des migrations. L'évora biéri était une boîte cylindrique en écorce de ficus, ornée de perles et d'emblèmes claniques (mindem), dont le couvercle portait la statue du premier ancêtre ».164

Le crâne est un objet de pouvoir, une pièce maîtresse du culte des ancêtres en ce sens que « quand un nouveau village était créé par un cadet, le crâne du fondateur était le premier à prendre place dans l'arche, le village d'où il était parti conservant ceux des précédents ancêtres de la lignée. On conçoit dès lors que le gardien des crânes de la lignée ait eu une certaine autorité, déléguée par les ancêtres de rang supérieur ».165

Plus important encore c'est le fait que « les crânes étaient, en effet le siège ou le réceptacle de la capacité d'action de l'individu (rappelons :

164 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe pahouin (Fang-Boulou-Béti), Paris, l'Harmattan, 2005, p.110.

165 Ibid., p.110.

bo=faire, boo= cerveau), et leur utilisation magique n'était pas restreinte aux seuls crânes d'ancêtres : on conservait également les crânes d'ennemis tués à la guerre ou sacrifiés dans les cérémonies anthropophagiques qui la précédaient ou la suivaient, ou bien des crânes volés à des voisins, de même qu'on utilisait pour les rites de chasses des crânes d'animaux de l'espèce qu'on désirait chasser. Il semble, toutefois, qu'une distinction ait été faite entre les crânes familiaux et crânes étrangers, les premiers seuls ayant place dans l'éwolé biéti et prenant part aux rites familiaux. On augmentait la force des crânes en les aspergeant du sang des sacrifices ».166

En résumé, le crâne ; élément principal des reliques et objet du pouvoir, permet à celui qui a la charge de garder les reliques, d'acquérir l'autorité et de l'asseoir pour veiller sur le clan et demander richesse et protection des ancêtres pour ses membres ; le crâne du fondateur devait aussi permettre à son détenteur d'avoir un prestige. On convient donc que « le prestige des vivants s'exerçait par l'autorité des morts ».167 Cet exemple est l'illustration ou encore à renforcer notre hypothèse selon laquelle le pouvoir au Gabon est donc un pouvoir mortifère, qui se nourrit de la mort.

166 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe pahouin (Fang-Boulou-Béti), ibid., p.111.

167 Ibid., p.111.

Chapitre III : Le sacré en crise Section

1 : La reformulation du sacré

DURKHEIM nous propose une définition du sacré sur laquelle nous allons nous appuyer. Le sacré ou « les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent.»168 Nous parlons d'une reformulation du sacré, ou d'une crise du sacré due essentiellement à l'ouverture économique de l'Afrique centrale, particulièrement au Gabon. Tout devient objet de marchandisation, le sacré ne peut y échapper. Et « de manière générale, l'économie mondialisée, associée à la circulation grandissante des biens et des gens, semble nourrir l'anxiété croissante de populations prises sans recours dans les rets de la dépendance économique, de la matérialisation des rapports sociaux, et en dernière analyse de la réification des corps ».169 La présence coloniale est omniprésente et bouleverse, à tous les niveaux, les différents modes de vie des populations autochtones.

Cette crise du sacré se traduit, par exemple dans le cas de la mort, par le fait que « la législation française en effet interdit immédiatement après la conquête la pratique des autopsies et l'exposition des défunts. Elle décréta l'obligation simultanément de l'enterrement dans les cimetières publics, la condamnation des reliques sous la rubrique « profanation des tombes », et conduisit avec l'aide des missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et des reliquaires considérés comme « fétiches » et fatras sorcier indésirables ».170 Or chez les autochtones, il y a tout un cérémoniel qui est mis en place dès l'annonce du décès d'une personne. A cet effet, « une large panoplie de règles étaient déployées par la famille et l'entourage du défunt afin de restaurer l'ordre social et familial rompu par le deuil. Au Gabon, cette panoplie comprenait une autopsie rituelle du cadavre, éventuellement suivie d'une réunion de dénonciation /accusation du responsable et/ou d'une ordalie

168 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, op.cit., p.92.

169 Florence BERNAULT, op.cit., p.8.

170 Ibid., p.10.

[...] Puis venait l'enterrement du défunt, suivi, dans le cas d'individus remarquables et importants, de sa transformation rituelle en ancêtre par la collection de ses reliques (crânes et ossements), conservées dans des autels reliquaires familiaux assurant la communication entre morts et vivants ».171 Pour la colonisation, ce cérémoniel allait à l'encontre du christianisme, considéré comme du paganisme. La colonisation a donc bouleversé, comme on l'a dit plus haut, toute l'organisation sociale des autochtones sous la répression.

En un mot, dans cette longue crise du sacré, il est important de mettre l'accent sur le fait que « ce qui a changé, c'est la conscience d'une immense fragilisation de la reproduction lignagère et familiale au sein des rituels funéraires et du deuil qui assuraient autrefois le passage de la, mort à l'état d'ancêtre, et la résolution de la rupture sociale provoquée par le décès ».172 La dimension du sacré a donc connu des mutations culturelles et idéologiques qui continuent à redéfinir, à remodeler les autochtones selon les traits culturels européens.

171 Florence BERNAULT, ibid., p.9.

172 Ibid., p.10.

Section 2 : La problématique des rites maçonniques dans la reformulation du sacré

Evoquer une fois de plus la reformulation du sacré, c'est présenter le Gabon sous le sceau d'une pluralité de rites initiatiques et ésotériques qui se confondraient à la limite. C'est l'occasion de voir ici que l'importation de rites nouveaux au Gabon, liée certainement à la globalisation et la mondialisation des échanges, conduit ipso facto à la reformulation du sacré. Il s'agit de voir comment le culte des ancêtres peut survivre ou soit s'adapter et se remodeler à ces nouveaux rites. Or n'oublions pas que la rencontre entre ce qui est ancien (le culte des ancêtres) et ce qui est nouveau (rose-croix, franc-maçonnerie, Fraternité Blanche Universelles, Ekankar, etc.) va bouleverser l'univers symbolique des gabonais et leurs croyances, leurs modes de pensée. En effet, dans ce registre de l'importation des rites nouveaux, susceptibles d'influencer le quotidien des gabonais, il y a lieu ici de dire que « le pays dirigé depuis trente quatre ans par Omar BONGO est également présenté comme haut lieu de concentration du fétichisme et des sectes internationales. Ainsi de la Franc-maçonnerie, de la Rose-Croix, de la Prima Curia, de la Fraternité Blanche Universelle, des « sectes pentecôtistes », etc. »173 On sait qu'au Gabon, la richesse est inégalement répartie pourtant le pays a « un revenu per capita de 7500 dollars »174 et que le prix du baril de pétrole ne cesse de croître et dépasse le cap des 120 dollars US ; ce qui fait du Gabon un émirat.

Par ailleurs, cette forte potentialité économique ne profite guère à tous, d'où « la réussite sociale, qui signifie l'accès à la consommation des marchandises se lit-elle toujours comme l'expression de l'appartenance à ces « sectes » et fraternités. Une représentation qui n'est pas complètement imaginaire, dans la mesure où existent des transactions financières occultes entre les sectes internationales et les cercles des pouvoirs d'Etats africains ».175 Il y a comme une redéfinition sinon une

173 Joseph TONDA, Le fétichisme politique, fétichisme de la marchandise, op.cit., p.2.

174 Ibid., p.2.

175 Joseph TONDA, Le fétichisme politique, fétichisme de la marchandise, ibid., p.2.

reformulation du sacré qui se traduit par la naissance et la floraison « des cultes syncrétiques récents »176 mais aussi « à un florilège de réseaux religieux et semi-religieux internationaux (maçonnerie, rosicruciens) »177, dont la prédominance est indéniable. Il est probable que les adeptes de ces nouveaux cultes que sont la maçonnerie, Rose-croix, Fraternité Blanche Universelle, Ekankar, etc., seraient à la fois détenteurs sinon les gardiens du culte des ancêtres ; et qui transformeraient les rituels lignagers (culte des ancêtres qu'ils se doivent de perpétrer) à leurs seuls profits.

Dans un autre cas, si à la veille des élections politiques dans notre pays, nous assistons à des profanations des tombes, des crimes rituels, etc., quelques questions subviennent ; telles pourquoi l'Etat, en tant que garant des institutions et de l'intégrité physique des citoyens ne réagit-il pas ? Mieux, le gouvernement ne tient-il pas dans la solidarité des rites d'obédience maçonnique ? Autrement dit, pourquoi les acteurs politiques ne s'empressent t-ils pas de résoudre cette question ?

Enfin, comment le pouvoir judiciaire se comporte t-il lorsqu'un acteur politique est supposé impliquer dans les crimes rituels ? Ces quelques interrogations constituent des perspectives de recherches que nous pouvons intégrer pour nous aider à comprendre l'influence des rites maçonniques, dans la reformulation du sacré d'une part et pour l'ensemble de la société gabonaise d'autre part.

176 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au Gabon, op.cit., p.3.

177 Ibid., p.3.

Conclusion de la première partie

A la lumière de ce qui précède, notre objectif ici n'est pas de faire un exposé exhaustif sur le culte des ancêtres dans ses tenants et ses aboutissants, seulement regarder des aspects importants et nécessaires à sa compréhension et à son étude. Par ailleurs, cet exposé nous permet de voir que le culte des ancêtres demeure un culte prédominant dans les sociétés traditionnelles gabonaises ; et dont les reliques jouent un rôle de premier choix. L'exemple des crânes humains en est la parfaite illustration puisqu'ils « étaient, en effet, le siège ou le réceptacle de la capacité d'action de l'individu ».178

En nous focalisant sur les reliques et le culte des ancêtres, nous avons voulu, par là, choisir de revisiter l'époque coloniale, sinon l'époque précoloniale, pour comprendre d'une part les fondements du pouvoir de certains individus, en l'occurrence les chefs de familles, de clans, de lignages etc., en relation étroite avec le sacré, le religieux. Mais surtout, de voir que cette période précoloniale et coloniale nous révèle la « domination du religieux, du sacré sur la société toute entière [...] L'arrivée des occidentaux au XVème siècle va changer la société gabonaise ».179 Il s'agit ici de voir l'influence de la période coloniale sur la société lignagère gabonaise ; qui subit surtout la domination du pouvoir religieux, donc du christianisme ; par la criminalisation des reliques et l'ordonnancement de la destruction des autels reliquaires en collaboration avec l'administration coloniale de l'époque.

D'où la désorganisation de la logique de la reproduction familiale et collective ; mieux encore, « la loi coloniale provoqua donc une extrême fragilisation de la reproduction sociale basée sur le deuil et la collecte des reliques ».180 En somme, « les transformations progressives des relations entre sphère spirituelle et reproduction lignagère, inaugurées localement

178 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe dit pahouin (Fang-Boulou-Béti), op.cit., p.111.

179 Davy Willis KOUMBI-OVENGA, op.cit., p.82.

180 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon, in Mama Africa : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, edited by Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, p.8.

par la compétition coloniale autour de la mort, du corps et du sacré »181 ont conduit à une reformulation du sacré, donc à une crise de celui-ci induite par l'arrivée de l'administration coloniale et tous ses corollaires ; crise du sacré qui se poursuit encore de nos jour au Gabon.

En résumé de cette première partie, le chapitre premier nous a permis de revisiter le rapport entre la période coloniale et la question relative aux reliques. Le second chapitre quant à lui, s'est efforcé de nous présenter le rôle joué par les reliques dans les sociétés traditionnelles gabonaises et enfin, le dernier chapitre se focalise sur cette longue crise du sacré. Ce dernier chapitre nous permet d'entrevoir quelques éléments capables de nous renseigner, autant que faire ce peu, pour comprendre la situation actuelle du sacré au Gabon dans toute sa complexité, à l'arrivée de la colonisation.

181Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon, ibid., p.8.


Introduction de la deuxième partie

« L'imaginaire (...) éclaire le phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est constitutif... »182 De plus, « Le sociologue a la particularité, qui n'a rien d'un privilège, d'être celui qui a pour tâche de dire les choses du monde social, et de les dire autant que possible, comme elles sont : rien que de normal, de trivial même, en cela ».183 Par ailleurs, « le sociologue n'observe pas la réalité sociale, mais des pratiques [...] Entre lui et son objet d'étude s'interpose un ensemble d'interprétations et d'interventions ».184

Si nous avons choisi ce sujet, ce n'est pas pour faire l'apologie de la sorcellerie, précisément du fétichisme, mais plutôt pour tenter d'expliquer son mécanisme de fonctionnement et ses interprétations au Gabon durant certaines périodes. Car le fétichisme est périodique, c'est-à-dire qu'il se manifeste qu'en périodes électorales, lors des nominations, ou au sortir de celles-ci et a des manifestations diverses. Au Gabon en général, à Libreville en particulier, le constat que nous impose l'observation de la réalité montre que les parents découvrent le plus souvent que les tombes de leurs défunts sont toujours profanées. Cette pratique prend de l'ampleur à Libreville et fait la « une » des journaux185 chaque année et ce, en périodes d'avant et / ou après les élections politiques.186

En effet, il ne se passe plus une fête de Toussaint sans que les parents, quand ceux-ci se rendent dans les différents cimetières de Libreville187, pour l'assainissement des tombes, constatent ce phénomène. Par ailleurs, il n'est plus rare d'entendre, en ville comme en banlieue, que la profanation des tombes à Libreville est l'apanage des hommes politiques actuels (les députés, les sénateurs, les ministres, les maires etc.) moyennant de fortes sommes d'argent, parce qu'ils seraient à la

182 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, p.14.

183 Claude JAVEAU, Leçons de sociologie, Paris, coll. Armand Colin, 1997, p.5 citant Pierre BOURDIEU.

184 Alain TOURAINE, Pour la Sociologie, Paris, coll. Points, éd. du Seuil, 1974, p.25.

185 Cf. l'Union du 10 Octobre2006, page 6 ; rubrique Société et Culture ; du 13 et 14 Novembre 2004, rubrique Société et Culture ; du 26 Avril 2007, rubrique Société et Culture ; p.7 et de Gabonews du 05 Novembre 2006.

186 Les Législatives, les Locales, les Présidentielles et les Sénatoriales.

187 Lalala, Mindoubé et Plaine Niger, pour ne citer que ceux là.

recherche du pouvoir économique, politique et social. A ce propos, « aussi bien pendant les périodes électorales qu'entre deux élections, des témoignages de familles, des observations que l'on peut faire ainsi que des articles de presse permettent de se rendre compte de la réalité de ces « crimes » ou « sacrifices rituels ». Des noms des commanditaires et des exécutants sont cités et l'on évoque toujours soit par allusions, soit ouvertement des hommes politiques, dont certains sont directement proches des hauts lieux du pouvoir ».188

Autre fait que nous pouvons signaler, c'est que tous les cimetières de Libreville sont des sites qui présentent cette caractéristique de ne pas être sécurisés. En témoigne, l'absence de clôtures, d'éclairage, de gardiennage et les hautes herbes, l'insalubrité et leurs localisations géographiques (hors de la ville c'est-à-dire en banlieue.) peuvent être retenus comme facteurs rendant compte de ce phénomène.

Ce qui a donc pour conséquence le fait que « de jour comme de nuit, les cimetières sont visités. Les ossements humains foisonnent »189 d'une part ; d'autre part, il est indéniable que « l'impact des forces occultes sur la politique nationale est devenu plus manifeste au cours des décennies ».190

A cela, une des interrogations que nous pouvons poser est celle de savoir si au Gabon, le fétichisme politique n'est pas le langage du politique lors des consultations électorales ? En étudiant les profanations des tombes dans les cimetières de Libreville, il s'agit aussi de visiter la politique d'urbanisation et de l'habitat à Libreville ; d'autant plus que nous assistons depuis plus de vingt ans à une occupation anarchique de l'espace urbain par la population librevilloise. D'où, on observe une population qui a des difficultés à se loger convenablement. Elle se voit ainsi contrainte de construire ses habitations soit aux abords ou à l'intérieur des cimetières.

Tel est donc le cas par exemple du cimetière d'Ambowè. Les populations, faute de terrains viabilisés s'y sont installées ; ce que nous

188 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise, op.cit., p.3, citant le Missamu n°226 du 2 avril 2001, la Griffe n°412 du 3 janvier 2001 ou encore, lire aussi le n°409 du 6 décembre 2000.

189 Ibid., p.4.

190 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 1995, p.23.

avons appelé des « profanations indirectes » en ce sens qu'elles ne rendent pas compte du fétichisme politique. A Ambowè, « la vie a repris le dessus sur la mort ».

Cette situation d'occupation anarchique de l'espace urbain avait déjà été évoquée par Fortes Anne Marie DOS SANTOS191 qui, en 1988, posait ce problème d'aménagement urbain des cimetières à Libreville qui ne suivait pas l'évolution rapide de la population. « On comprend alors les problèmes titanesques du Ministère du Plan et de l'Urbanisme pour mettre en application leur projet de développement harmonieux de Libreville »192 ; car Libreville n'a pas de plan d'urbanisme.

Tout au long de cette deuxième partie, nous tenterons de voir successivement au chapitre IV ; les élections politiques à Libreville et les profanations des tombes, au chapitre V, le cimetière de Mindoubé ; théâtre des profanations des tombes et enfin, le chapitre VI portera essentiellement sur la violence en postcolonie gabonaise.

191 Fortes Anne Marie DOS SANTOS, Les cimetières à Libreville face à la croissance spatiale urbaine, Libreville, UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en Géographie urbaine, 1988, 82 p.

192 Ibid., p.31.

Chapitre IV : Les élections politiques à Libreville et les profanations des tombes

Section 1 : Les élections politiques à Libreville et les profanations des tombes

1. Les élections politiques à Libreville

Pour bien comprendre le fétichisme politique observé à Libreville, il est important pour nous de rompre avec les préjugés du sens commun, et surtout, de considérer notre fait social comme « une chose » écrit DURKHEIM. En effet, « face au réel, ce qu'on croît savoir offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est simplement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé ».193

La question des élections politiques constitue l'occasion où les mandataires (députés, maires, sénateurs, ministres, etc.) mettent en place toutes sortes de stratégies et tactiques pour gagner les élections. Parmi elles, on peut citer le clientélisme électoral, mais surtout les profanations des tombes, constatées à Mindoubé par exemple. En fait, les élections permettent la délégation du pouvoir, c'est-à-dire qu'« une personne donne pouvoir, comme on dit, à une autre personne, le transfert de pouvoir par lequel un mandant autorise un mandataire à signer à sa place, lui donne une procuration [...] c'est-à-dire pour faire voir et faire valoir les intérêts d'une personne ou d'un groupe ».194

Ici, s'opère l'efficacité symbolique du politique en ce sens que «le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte légitimée, à des outils symboliques et à l'imaginaire ».195

193 Gaston BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris, Librairie philosophique J.VRIN, 2004, p.16.

194 Pierre BOURDIEU, Choses dites, op.cit., p.185.

195 Georges BALANDIER, Le Détour. Pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.

Ainsi, « aucun groupement, aucune organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est à travers des symboles qui manifestent son existence ».196 L'activité de symbolisation est particulièrement intense lorsqu'il s'agit de susciter ou de renforcer les liens sociaux et de légitimer le pouvoir qui s'exerce au sein des groupes. Il apparaît clair que « la classe ou les classes qui ont conquis ce pouvoir mettent l'appareil d'Etat au service de leurs intérêts »197 et la classe dont il s'agit ici est celle des mandataires, la classe dirigeante.

Il faut tout de même rappeler qu'on assiste à une montée de la violence liée à ces élections, parce qu'il y a des crispations autour du pouvoir à garder ou à conquérir, comme l'écrit Jean Pierre CHRETIEN198. A ce titre, « la réussite sociale suppose l'accès à la « bourgeoisie directoriale » ou à ses couloirs. Les postes politiques et administratifs constituent donc les bases des différents échelons d'une nomenclatura de privilégiés qui, par définition, doit en tenir éloignés d'autres candidats. Cette conception « consommation » de la chose publique débouche sur la violence, soit pour entretenir les situations acquises, soit pour les renverser au profit d'autres groupes frustrés. La rivalité politique prend donc la forme d'une confrontation de factions, sans autre projet que de se sentir mieux à même que les autres de « gérer » le gâteau national, c'està-dire le complexe bureaucratique hérité de la colonisation ».199

De ce fait, cela se traduit sur le terrain à Libreville par les profanations des tombes au cimetière de Mindoubé. Les élections politiques sont chargées du sens de la légitimation d'un pouvoir mortifère et les profanations des tombes sont illustratives d'un tel pouvoir. Et si nous sommes en face de ce pouvoir mortifère, organisé et bâti sur la mort, c'est qu'il y a a priori recours à de telles pratiques comme moyen, comme moment de lecture du fétichisme politique.

Après avoir traité de la question des élections politiques, passons à présent aux profanations des tombes.

196 Philip BRAUD, Sociologie politique, 8ème édition, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence/Montchrestien, 2006, p.103.

197 Marta HARNECKER, Les concepts élémentaires du matérialisme historique, op.cit., p.105.

198 Jean-Pierre CHRETIEN, Les racines de la violence contemporaine en Afrique, pp.12-27 in Politique africaine, « Violence et pouvoir » ; n°42, Paris, 1991, 163 p.

199 Ibid., p.19.

2.Les profanations des tombes

La profanation se définit comme cet acte qui consiste à violer le caractère sacré d'un lieu, d'un objet ; c'est même le dégrader, l'avilir. Ces actes ont été constaté à Mindoubé sont périodiques ; c'est-à-dire qu'ils s'observent à la veille des consultations électorales. D'où, il est évident qu'il y a une relation étroite entre le pouvoir et les profanations des tombes, donc le fétichisme au Gabon. Et comme nous l'avons déjà évoqué précédemment, c'est cette part de l'imaginaire qui nous permet de comprendre le sens profond que ces profanations des tombes produisent pour le politique. Ce qui nous permet de dire avec BALANDIER que « L'imaginaire (...) éclaire le phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est constitutif... »200 ; constituant finalement « une violence du fétichisme mais aussi une violence de l'imaginaire ».201 Pour étayer nos propos nous proposons ici une série de photos qui témoignent des profanations des tombes.

200 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, op.cit., p.14.

201 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.7.

La photo n°1 intitulée « La veste rouge »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Elle illustre bien le type de stratégies adoptées par les mandataires à l'orée des élections politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a été vidée de son contenu. Il ne reste plus que la veste rouge et le crâne fracassé. De plus, il ne reste plus qu'une partie de la mâchoire. Il y a lieu de préciser qu'a Mindoubé, s'est tissé un vaste réseau de vente des restes humains, mais aussi, les vestes et autres habits des morts, les gerbes de fleurs sont re-introduits dans le marché économique202.

202 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent à Akébé dans un prêt à porté. En février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à Mindoubé en novembre 2007.

On peut aussi montrer la photo n°2 : « La tombe sans carreaux »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Une première remarque s'impose, celle de dire que toutes les tombes profanées n'ont pas été carrelées ; facteur qui peut aussi en partie expliquer les cassures. Les photos n°2 et 3 font partie de la majorité des tombes profanées et qui ressemblent à celles-ci.

Photo n°3 : «Tombes dans les hautes herbes»

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Photo n°4 « la tombe Goumabika »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Cette image témoigne des diverses méthodes des profanateurs pour opérer. Sur le site, on s'est rendu compte que toutes les tombes profanées n'avaient pas de carreaux, ce qui, aux dire du gardien du cimetière présent sur le site durant tout notre séjour, a permis aux profanateurs d'opérer. A titre d'information, cette tombe est vide de son contenu, le corps du défunt a été dérobé. Il a été enterré depuis Juillet 1993, donc 14 ans qu'il est mort. D'après l'unique profanateur que nous avons pu rencontré lors de nos investigations, il ressort que le crâne de ce défunt est « fin prêt pour le travail »203 et il peut coûter cher. Malheureusement nous n'avons pas pu nous entretenir avec sa famille lors de notre passage en novembre 2007.

203 Propos recueillis lors de notre entretien avec monsieur M.D, ancien profanateur à la solde d'un haut dignitaire de la province du Moyen-Ogooué. Il a fait la prison parce qu'on l'a vu en possession de quelques pièces détachées. Il a été relaxé à la demande de ce haut dignitaire avant les élections législatives de décembre 2001.

Photo n°5 : « Autre manière de profaner »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

La tombe que l'on voit présentement est vide de son contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes. Nous attendons les vacances pour « taper le diable au village et tant pis pour ceux qui ont fait ça et j'espère qu'ils iront brûler en enfer, car de tels individus sans moralité ne doivent pas aller au Ciel ».204

Il importe de dire que tous nos enquêtés tiennent le même discours, en ce qui concerne les profanations des tombes et les commanditaires à savoir que ce sont les hommes politiques. A cet effet, nous avons retenu les discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA, pour mieux rendre compte du phénomène que nous étudions.

204 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations à Mindoubé le 10 octobre 2006.

Photo n°6 : « La tombe vide »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel des « pièces détachées » en périodes électorales. La tombe que nous voyons ci-dessus est vide de son contenu ; le corps de la dame qui a été enterrée a été dérobé par les profanateurs. Le fils de la défunte a entrepris des démarches auprès de la Mairie et de la police judiciaire et a porté plainte contre x mais sans succès. Ayant constaté que la tombe a été visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007, il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables à la traditionnelle c'est-à-dire, « j'attends les vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par soi-même car la justice c'est pour ceux qui gouvernent ».205

205 Extrait de l'entretien que nous avons eu avec monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, qui, pour la circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des tombes.

Le fétichisme se développe sur la base de la faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables. C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir, aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut une puissance pour rendre justice à la place du "blanc". On « frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les expressions « frapper le diable », ou « fermer le mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que l'Etat ne peut pas réagir. Le mwiri (société initiatique masculine et secrète des peuples du Sud du Gabon surtout) est convoqué parce qu'étant considéré comme une façon de réduire les tensions et de demander aux génies d'intervenir ; quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne fonctionnement pas.

Section 2 : Le fétichisme politique à Libreville

Le fétichisme politique que nous décrivons ici met certes en avant la relation entre mandant et mandataire mais se décline d'une autre manière dû à la contextualisation. Pierre BOURDIEU206 parle du fétichisme politique pour montrer la délégation du pouvoir du mandant, c'est-à-dire le peuple, au mandataire : l'entrepreneur politique.

En effet, « la criminalisation populaire des mandataires ou de manière générale, de tout homme politique, soupçonnés ou accusés d'attenter pour des raisons et par des moyens fétichistes , mais aussi par la violence physique, à l'intégrité physique des mandants, est un phénomène ordinaire au Gabon. Cette criminalité se caractérise par des « meurtres rituels », ou, comme il se dit aussi et suivant une logique de redoublement symbolique, des « sacrifices rituels ». L'objectif étant de prélever des organes humains appelés significativement « pièces détachées » : langues, mains, oreilles, crânes, coeurs, organes génitaux [...] Aussi bien pendant les périodes électorales qu'entre deux élections, des témoignages de familles, des observations que l'on peut faire ainsi que des articles de presse permettent de se rendre compte de la réalité de

206 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Les Editions de Minuit, (coll. « Le Sens Commun »), 1987, 228p.

ces « crimes » ou « sacrifices rituels ». Des noms des commanditaires et des exécutants sont cités et l'on évoque toujours soit par des allusions, soit ouvertement des hommes politiques, dont certains sont directement proches des hauts lieux du pouvoir ».207

Dans la même perspective les entretiens208, que nous avons pu avoir avec trente familles victimes des profanations des tombes à Mindoubé, confirment que « ce sont les hommes politiques qui passent la plupart de leur temps à féticher et à casser les tombes de nos disparus, au lieu de s'occuper de faire leurs campagnes. S'ils le font c'est parce qu'ils savent qu'on ne va plus les voter, ce sont des criminels, des assassins, des menteurs, des gens sans aucun respect des morts. On espère qu'ils ne vont jamais mourir et quand ils vont mourir, ils vont être enterrés dans les nuages et non pas à Mindoubé, car ce qu'ils font c'est cruel ; déranger des morts et s'attaquer à ceux qui ne peuvent plus se défendre ».209

En résumé, le fétichisme politique dont nous rendons compte à Libreville est « entendu dans le contexte africain comme usage ou commerce des /ou avec les « pièces détachées » réalisé par les hommes politiques ; il y a apparemment une distance avec le concept bourdieusien. En fait, les usages politico-criminels des « pièces détachées » servent ici à réaliser la transfiguration du rapport politique qui est au principe de la production des mandataires comme fétiches ».210

207 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise, op.cit., p.3.

208 Extraits d'entretiens avec les familles victimes le 1er novembre 2007 à Mindoubé des profanations des tombes.

209 Extrait de l'entretien avec ces familles à Mindoubé en novembre 2007.

210 Joseph TONDA, Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon, op.cit., p.5.

Chapitre V : Le cimetière de Mindoubé : théâtre des profanations des tombes

Section 1 : Historique, localisation géographique et description du cimetière de Mindoubé

1. Localisation et description du site
Carte n°1 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé

On commencera d'abord par rappeler que le cimetière est situé dans le quartier Mindoubé, où il fait face à la décharge centrale d'ordures de Libreville. Pour plus de précisions, la première carte a ce souci de nous présenter autant que possible le cimetière de Mindoubé. Mieux, nous avons un aperçu de l'urbanisation de la ville de Libreville. Cette carte a été

tirée sur satellite et réalisée par monsieur Parfait NDONG-ONDO du LAGRAC de l'U.O.B en mars 2008, d'après ING/libreville. Nous avons tenté une autre représentation de notre carte ainsi qu'il suit :

Carte n°2 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé

Après la localisation géographique du site, une description211 de celui-ci s'impose. Par exemple, l'accès au site se fait par voie terrestre non goudronnée, praticable véritablement qu'en saison sèche ; les hautes herbes aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du site sont visibles depuis la route, ce qui fait qu'on ne puisse plus retrouver les tombes de nos disparus. A cela, s'ajoute une forte concentration de débits de boisson à

211 Description que nous avons effectuée en année de Licence le 26 mars 2007 dans le cadre du mois de terrain. Une seconde visite en février 2008 a été faite pour voir les éventuels changements après la fête de Toussaint de 2007 mais rien n'a été fait. Le site est resté dans les mêmes conditions telles que décrites lors de notre premier passage.

proximité du cimetière. On note aussi que les constructions anarchiques d'habitations et la présence de tas d'immondices et des dépôts de ferrail.

A ce propos, nous proposons quelques photos pour présenter la description du cimetière de Mindoubé tel qu'il a été photographié lors de notre passage.

Photo n°7 : «Le portail principal du cimetière »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

La photo n°7 nous présente, comme son titre l'indique, une vue de l'entrée principale du cimetière. Au premier plan de la photo, nous apercevons le portail amorti par le poids de l'âge, il est rouillé, et se ferme à l'aide d'une vieille chaîne et d'un cadenas. Ensuite, on voit bien sur cette photo que la route qui nous conduit au cimetière de Mindoubé est, comme nous l'avons dit plus haut, une route secondaire, praticable qu'en saison sèche. S'ajoute aussi les hautes herbes que nous évoquions déjà. Au second plan, nous voyons que le site est envahi des hautes herbes mais aussi d'arbres fruitiers tels les manguiers ou d'arbres à noix : des palmiers. C'est à peine si on peut apercevoir au loin quelques stèles visibles par leurs couleurs blanches. Enfin, la clôture qui existe mesure près de 1 m 70 et ne peut pas dissuader les profanateurs.

Photo n°8 : «Une tombe immergée dans les huiles de vidange »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Mindoubé n'est pas seulement victime que des profanations des tombes. On peut aussi parler d'un autre type de profanation orchestrée par les garagistes des alentours avec les huiles moteurs qui se déversent sur le cimetière. Formant au passage un petit ruisseau et noyant du même coup d'abord les quelques tombes encore visibles mais méconnaissables pour les parents ; ensuite, et à la longue, va faire tomber la barrière qui tient encore le coup. Au second plan, on peut aussi apercevoir les hautes herbes qui ont occupé l'espace et empêchant aussi la reconnaissance des tombes à cet endroit. Les autorités de l'Hôtel de Ville sont pourtant au courant de la situation actuelle du site mais restent silencieuses.

La photo qui va suivre reste dans le même d'idée de la conséquence des huiles de moteur sur le site de Mindoubé.

Photo n°9 : « Le travail des huiles de vidange »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Nous nous trouvons sur la partie du site qui fait directement face à la décharge de Mindoubé. C'est certainement la partie qui subit le plus l'insalubrité dans le coin. On peut constater que la barrière est détruite certainement sous l'action des eaux usées mélangées aux huiles de vidanges qui stagnent et, par la suite, ont fait que la barrière ne résiste pas. On peut aussi se poser la question de savoir quel sort est réservé à cette sépulture d'ici deux ans, subira t-elle le même sort que cette barrière ? Et toujours la présence des hautes herbes, rendant inaccessible cette partie du cimetière aux parents des défunts pour d'éventuels moments de désherbage.

Photo n°10 : «La face cachée d'une tombe »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Tout comme la photo n°8 «une tombe immergée dans les huiles de vidange », il s'agit d'une bonne dizaine de tombes qui sont dans l'immersion des huiles de vidange. Cette situation nous permet de voir à quel point le site demeure dans l'insalubrité ; en témoigne les pneus de voitures et la barrière qui est pratiquement prête à s'écrouler.

Photo n°11 : « La formation d'un ruisseau »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Comme la photo n°10, celle-ci mais en avant les dangers que ces eaux et ces huiles de vidange stagnantes, en arrière plan, représentent pour le site de Mindoubé. A la longue, si cette situation perdure, on va assister progressivement à la formation d'un lac qui va couper la route. Le premier plan, c'est toujours la situation des ordures qui se déversent sur le cimetière.

Photo n°12 : « Le dépôt de ferrail »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

A Mindoubé, nous avons découvert qu'il y a avait l'existence d'un tout autre marché : celui du fer, comme nous pouvons le voir ici sur le premier plan. Les ouvriers que nous avons rencontrés sur les lieux nous ont fait comprendre que c'est un nouveau type de marché, qui rapporte des millions de francs quand on sait avec qui réexploiter le fer. En effet, « les chinois, les japonais sont les premiers consommateurs de ce type de produit »212, Mindoubé est l'endroit rêvé pour exploiter le fer, loin et à l'abri d'autres concurrents et surtout des agents de l'environnement. Enfin, au second plan, on peut voir le poteau d'électrification qui est là mais ne fonctionne pas.

212 Extrait des propos d'un ouvrier sur le site en plein travail.

Photo n°13 : « L'insalubrité »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

La question de l'insalubrité est aussi mise en cause quant l'entretien du site. Encore quelques mois et ces ordures vont occuper une place importante dans le cimetière. On peut constater que parmi les ordures, il y a des bidons, des parapluies, et tout genre de détritus. Les déchets que nous voyons présentement proviennent directement de la décharge de Mindoubé, et parce que celle-ci fait face au cimetière ; les ordures se déversent également sur ce dernier.

Photo n°14 : « L'un des poteaux électriques existant »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Au premier plan, on voit l'état de la route mais surtout, les ordures recyclées par les femmes que nous avons rencontré sur le terrain. En effet, elles vont récupérer les ordures dans la décharge, pour venir les trier, les laver et les laisser sécher sur la barrière du cimetière. Par la suite, grâce aux sacs de farine, elles les emballent pour aller les vendre soit à la Gare routière de Libreville ou au marché de la Peyrie. Il faut dire que c'est tout un nouveau marché de la mort qui est re-introduit dans le circuit du marché économique. Ce poteau électrique témoigne de la volonté de mettre de la lumière dans le coin sauf que depuis vingt ans, le cimetière est dans l'obscurité. Ces femmes recyclent les ordures pour les vendre à la Gare routière ; elles vendent des bouteilles plastiques, des cannettes, et autres détritus susceptibles de rapporter un peu d'argent.

Après avoir traité de la question de la localisation géographique du cimetière et de sa description, venons-en à présent à la question de l'historique du cimetière proprement dit.

2. Historique du cimetière de Mindoubé

Lors d'une séance de travail avec monsieur Toussaint ELLANGMANE213, conseiller du D.G.S.T la Mairie de Libreville, il ressort que le cimetière de Mindoubé a été créé en 1950 et a été fermé vers 1980 pour cause de difficulté d'accès dû essentiellement à la route impraticable. « Cela n'a pas nécessité la mise en place de textes juridiques car on avait estimé qu'il fallait de véritables travaux d'aménagements pour que les enterrements se passent dans les conditions les meilleures ».214

Puis, à l'époque du maire DAMAS, 1996 voit la réouverture du site. « Je précise ici que Mindoubé n'est pas totalement saturé, il reste encore de l'espace. On pense à le réhabiliter sérieusement. Cela va nécessiter des moyens humains et financiers importants car il s'agit du désherbage, l'électrification, l'adduction de l'eau,la réhabilitation de la maison du gardien dans le site car elle a brûlé lors d'un incendie dû à la forte chaleur qui y prévaut. Il faudra aussi refaire toute la clôture qui est aujourd'hui quasi-existante. Tout cela nécessite, comme je l'ai dis tantôt, des moyens financiers et humains importants. J'ai soumis à cet effet le dossier à ma hiérarchie depuis 9 mois, on m'a affirmé que c'est en étude. Alors je continue à conjuguer le verbe attendre ».215

Au sortir de cette séance de travail, on peut retenir en fin de compte qu'il y a comme une volonté manifeste qui se dégage de ne pas réhabiliter le site de Mindoubé. Cela prouverait à suffisance que la D.G.S.T tire profit des profanations des tombes, vu qu'elle a été la première à être informée de ce phénomène par le gardien du cimetière. D'où, le pouvoir se nourrit bien de la mort.

213 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.

214 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.

215 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.

Section 2 : La sécurité des morts au cimetière de Mindoubé

1. Absence de normes de sécurisation du site

Par normes de sécurisation, nous entendons ici l'électrification, la clôture, une voie d'accès praticable en toute saison de l'année, l'entretien du site ne serait ce même que le désherbage. Cependant, Mindoubé est privé de ces normes de sécurité, preuve aussi du non respect pour nos morts. Le respect des morts s'effrite davantage. Mindoubé n'est donc pas le seul site qui présente cette absence de normes de sécurisation ; Plaine Niger, Baraka, Lalala, pour ne citer que ceux-là présentent les mêmes difficultés. Face à une telle situation, comment ne pas comprendre que nos cimetières sont visités à des heures tardives de la nuit et ce, en périodes électorales ?

On en veut pour preuve la photo n° 11 : « La formation d'un ruisseau »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Cette photo montre bien que la barrière, ce qui reste de la clôture est entrain d'aller en ruine. Ou même la photo n°14 : « L'un des poteaux électriques existant.»

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Là aussi, le manque d'entretien de la clôture fait que l'herbe pousse et l'étouffe. Mais cette photo illustre surtout le fait qu'il y a un poteau électrique mais qu'il ne fonctionne pas. De facto, le site demeure dans le noir total.

2. Mindoubé, un site particulier

Mindoubé est un site particulier parce qu'il s'agit ici d'un endroit où s'exerce deux activités parallèles : l'une étant la récupération des « pièces détachées » pour le cimetière et l'autre, s'appesantissant sur le recyclage des ordures pour ce qui est de la décharge publique à ordures. On comprend donc qu'il existe deux structures communales. Or ce site est du domaine municipal, donc de la Mairie de Libreville, mieux se l'Etat et de son autorité. En outre, il ya lieu de dire que la décharge publique et le cimetière sont des éléments morts, c'est-à-dire que ce sont des lieux où l'on vient jeter ce qui ne sert plus (le cas de la décharge publique) et pour l'autre, où l'on vient déposer, enterrer les morts, ceux qui ne vivent plus (le cas du cimetière).

Aussi, deux directions se déclinent : la première est liée au pouvoir en relation avec l'occultisme et la seconde, au recyclage des ordures qui vont être ainsi réintroduits dans le marché économique. En ce qui concerne la décharge publique de Mindoubé, les populations habitant le site vivent d'elle ; ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui recyclent les ordures. Cette situation se présente en Bolivie, au Pérou ou au Brésil, où l'on parle de « bidonvilles » ou « favelas ». Pour le cimetière, il s'agit de la problématique de la récupération d'ordre magique et économique des restes humains. Cependant l'État est incapable de rendre justice sur cette exploitation des corps ; ce qui fait que l'État, in fine, organise les pratiques magiques. C'est aussi l'exercice du pouvoir par des moyens symboliques ; puisque la commune est liée à l'État et donc, il doit régir.

Ce que nous pouvons retenir ici c'est le fait que le pouvoir, qui gère la cité, est impliqué dans le fétichisme politique. Face à ces profanations des tombes au cimetière de Mindoubé, des familles se plaignent mais l'État demeure incapable de réagir. En filigrane, les profanations des tombes pose le problème de l'État et du droit dans cette récupération des restes humains. Ce qui nous conduit à voir la définition de l'État chez WEBER.

Pour lui, l'État se définit comme « une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ».216 L'État est le support du pouvoir politique dans les sociétés modernes. Mieux, « dans le sens plus restreint, l'État est parfois assimilé aux éléments qui constituent l'administration centrale, se distinguant ainsi des collectivités locales ou des organismes relevant de la sécurité sociale ».217

On peut renchérir cette approche de l'État conçu par WEBER en disant « que tout État est fondé sur la force,[...] S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et il subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme "l'anarchie" ».218 En somme, « l'État consiste en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est considérée comme légitime). L'État ne peut donc exister qu'à condition que les hommes dominés se soumettent à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs ».219

Mieux encore, chez WEBER, l'État « est une institution qui possède, dans une collectivité donnée, le monopole de la violence légitime. Entrer dans la politique, c'est participer à des conflits dont l'enjeu est la puissance- puissance d'influer sur l'État et par là même sur la collectivité ».220 Nous partageons ce point de vue de WEBER sur l'État et le monopole de la violence légitime dans une communauté d'hommes.

Pour monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, « l'État ne peut pas régler ce problème puisque ce sont toujours les mêmes hauts types qui sont toujours élus et qui profanent nos tombes pour gagner les élections. Comme on ne peut pas saisir la justice puisque c'est un "cercle vicieux" qui gère le pays, j'attends les vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par soi-même car la justice c'est pour ceux qui

216 Alain BEITONE et al., Sciences sociales, 3ème éd., Paris, Sirey, (coll. « aide-mémoire »), 2002, p.58.

217 Ibid., p.58.

218 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. « Bibliothèques 10- 18 »), 1963, p.29.

219 Ibid., p.29.

220 Ibid., p.32.

gouvernent, et ceux qui gouvernent, ce sont encore eux qui font ces choses d'une autre époque ».221

Dans cette même perspective, monsieur MBADINGA affirmé que « il ya au Gabon des prédateurs qui chassent les gens dans la ville et ceux qui viennent profaner les tombes à des heures tardives de la nuit. Comment expliquer que quand nous sommes vivants on n'est pas en sécurité, à plus forte raison morts ? Tu vois, porter plainte dans ce pays ne sert plus à rien, surtout pour ce genre d'affaire, ces plaintes que nous adressons sont oubliées expressément par l'État, il s'en fou puisque ces gens là n'enterrent pas leurs parents ici ; ils font leurs caveaux familiaux et viennent prendre ce qui reste de nos parents. C'est révoltant ce que l'État fait, il ne réagit pas et ne puni pas les vrais coupables ».222

En fin de compte, comme nous l'avons déjà fait remarquer plus haut, c'est ce même État qui gère la cité et qui est impliqué dans le fétichisme politique ; en exerçant son pouvoir par des moyens symboliques. D'autant plus que des plaintes ont été formulées par les familles des victimes des profanations des tombes ; il demeure malgré tout incapable de réagir. C'est en définitive le problème du droit et de l'État qui se pose en filigrane.

221 Propos de monsieur Guy-Joseph MBOUMBA lors de notre passage le 1er mars 2007 à Mindoubé, qui, pour la circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des tombes. Cf. la photo n° 6 de la page 74.

222 Propos de monsieur MBADINGA, au cimetière de Mindoubé le 1er novembre 2007.

Chapitre VI: La violence en postcolonie gabonaise

Section 1 : Les profanations des tombes, forme de violence de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique

Les profanations des tombes à Libreville en périodes électorales constituent ce que nous appelons la marchandisation des restes humains ou marchandisation du corps humain ; réalisée par les hommes politiques. Il s'agit donc là d'une forme de violence toute particulière ; une violence à la fois de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique.

« Elle est violence de l'imaginaire parce qu'il s'agit d'une violence administrée par, ou organisée autour de l'imaginaire constitué par des entités invisibles au moyen de symboles ou de fétiches. De manière générale, les administrateurs de la violence de l'imaginaire ou violence du fétichisme sont les fonctionnaires, les entrepreneurs et les ouvriers de l'économie des miracles que sont les thérapeutes, religieux, "magiciens", féticheurs ou des individus ordinaires, lorsqu'ils réalisent des "meurtres rituels", à leur profit ou au profit de leurs clients. Cette activité de production des miracles est mise en récit par la presse dans les pays africains, et particulièrement au Gabon, où l'on parle de "pièces détachées" humaines extorquées par des gens, sous commande de féticheurs, de nganga, au service des puissants, les hommes politiques notamment, soucieux de conquérir ou de se maintenir au pouvoir au moyen pratiques magiques ou fétichistes. L'imaginaire, ici, c'est l'invisible représenté par ces significations imaginaires sociales et les symboles qui le donnent à voir ».223

De même, « la violence de l'imaginaire est ainsi précisément la violence qui se manifeste par la transgression des interdits constitutifs de l'ordre patriarcal formant l'ordre symbolique, c'est-à-dire l'ordre culturel coutumier des traditions ».224 Mieux encore, « la violence de l'imaginaire

223 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, p.32.

224 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, ibid., p.38.

se confond avec la violence symbolique ».225 En un mot, « la violence de l'imaginaire, violence du fétichisme, s'exerce au moyen des images, des gestes corporels, des mots, c'est-à-dire des fétiches, supports d'idéologies. Cette violence a pour contexte privilégié celui des camps, espaces de déshérence, espaces déshérités, instables, mouvants, incertains ; autrement dit, espaces de dérégulation des ordres symboliques coutumiers »226 ; violence qui s'observe actuellement en postcolonie gabonaise.

Plus important encore, c'est de comprendre que cette violence imaginaire a un impact sur la conscience collective en ce sens qu'elle choque, traumatise les familles des victimes des profanations. Ces mêmes profanations des tombes ont pour but de laisser et de faire passer le message selon lequel le corps du pouvoir au Gabon est un pouvoir mortifère, qui se nourrit de la mort pour (re)produire la vie.

Et contrairement aux profanations des tombes en France, à AblainSaint-Nazaire en particulier, il s'agit plutôt d'un message destiné à heurter la conscience des morts ; à faire passer un message d'antisémitisme dont les cimetières juifs continuent de faire l'objet. C'est ici, une violence symbolique exercée contre des morts, qui participe à la désacralisation des cimetières.

Toujours pour rester dans le cadre de cette violence de l'imaginaire, occasionnée par les profanations des tombes en postcolonie gabonaise, on peut ajouter que « l'imaginaire informe le gouvernement du réel ».227 Et que la marchandisation des corps morts à Libreville durant les périodes électorales est une technique ou une tactique pour les hommes politiques de conserver ou d'acquérir le pouvoir politique, ou lors des nominations et remaniements ministériels à la suite des Conseils des Ministres, ce pouvoir de décision et de faire partie de "ceux qui gèrent le pays".

225 Ibid., p.39.

226 Ibid., p.39.

227 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, p.26.

A la suite de cette violence en post-colonie au Gabon durant les élections politiques, nous partageons le point de vue de WEBER pour qui, « celui qui, en général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut en faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes éthiques et de la responsabilité de ce qu'il peut lui-même devenir sous leur pression. Je le répète, il se compromet avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute violence ».228

Dans cette perspective, il importe de savoir que « l'énergie individuelle est entièrement mise au service de la communauté. Cette "bonne"gestion ne suffit pas, il faut apporter l'énergie nouvelle, recharger l'univers et avec lui, la société. Les sacrifices humains constituent la technologie employée à cette fin. Ils font de la vie avec la mort, ils captent rituellement des forces vitales qui seraient destinées à la dissipation sans leur accomplissement ».229

En ce qui concerne ces mandataires, une fois investis du pouvoir politique qu'ils ont longtemps convoité, ils ne se rendent pas compte que « le pouvoir sépare, isole, enferme ; c'est bien connu. Surtout, il change celui qui y accède »230 ; pour enfin de compte, devenir des fétiches politiques, comme l'écrit Pierre BOURDIEU231. En effet, « les fétiches politiques sont des gens, des choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent leur propre créature. L'idolâtrie politique réside précisément dans le fait que la valeur qui est dans le personnage politique, ce produit de la tête de l'homme, apparaît comme une mystérieuse propriété objective de la personne, un charme, un charisme

».232

Ce qui fait que « tout le système de pouvoir, dans un foisonnement symbolique et rituel, est au service d'un ordre dévorant qui lie solidairement l'univers et le monde des hommes. Le sacrifice est la solution retenue pour l'entretien incessant de cet ordre cannibale »233 ;

228 Max WEBER, Le savant et le politique, op.cit., p.216.

229 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, ibid., p.29.

230 Ibid., pp.30-31.

231 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Minuit, 1987, 228 p.

232 Pierre BOURDIEU, op.cit., p.187.

233 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, ibid., p.29.

d'où la fréquence des profanations des tombes et des cadavres, mais aussi des crimes rituels, des meurtres à Libreville durant les élections politiques. En dernière analyse, « cette logique fait du corps captif, abattu, mutilé, démembré, le support d'un message »234 ; celui de la domestication et de la légitimation de la violence à la fois de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique.

Après tout, « qu'on le veuille ou non, la réalité de la violence en Afrique est massive. Des pratiques multiformes ont cours. Certaines sont suffisamment formalisées et routinières pour qu'on puisse les identifier et les décrire. Des institutions existent et elles les administrent ; des organisations les amplifient, et une série de normes participent à leur reproduction, sur la grande et la petite échelle ».235

Pour résumer, « à l'ombre de la postcolonie ont ainsi grandi des monstres (...) Il s'agit simplement d'administrer une violence lapidaire et improductive dans le but de prélever, d'extorquer et de terroriser ».236

Section 2 : L'A.L.C.R ; une tentative de réponse à la violence du pouvoir (au sens de BALANDIER)

Les recherches de BALANDIER237, montrent que la violence du pouvoir intervient dans toutes les sociétés et qu'elle recourt à des moyens divers et qu'elle ne s'exprimerait pas sans un appui sur le symbolique et l'imaginaire. Elle est ainsi manipulation de symboles et de forces à des fins offensives et pour finir, la violence du pouvoir est identifiée à partir de ses effets.

L'« A.L.C.R dénonce le mutisme de l'État face à la recrudescence des crimes rituels. »238 En effet, cette association ne comprend pas que face à la recrudescence de ces meurtres et ces mutilations de cadavres, l'État,

234 Ibid., p.103.

235 Achille MBEMBE, « Désordres, résistances et productivité », p.2, in Politique Africaine, n°42, Juin 1991, 163 p.

236 Ibid., p.3.

237 On peut citer pour la circonstance deux de ses ouvrages : Anthropologie politique, Paris, PUF/ Quadrige, 1999, 240 pages et le Pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, 172 pages.

238 Cf. L'Union du lundi 10 mars 2008, en page 6, rubrique « Société et culture ».

en tant que garant des institutions de la république et surtout garant de la sécurité des biens et l'intégrité physique de ses citoyens, ne réagit pas.

L'A.L.C.R « est une jeune organisation régie par la loi 10/62 relative aux associations et reconnue par le Ministère de l'Intérieur sous le numéro

194/MISI/SG/CE/ du 16 juin 2006. »239 C'est une association qui a pour objectif majeur la défense des vies humaines et donc, de se présenter comme une tentative de réponse à cette violence. Aussi, elle s'est fixée pour buts de « faire des droits des enfants une réalité pour une véritable paix ; de faire appliquer les recommandations du colloque de l'UNESCO240 sur les crimes rituels et les conflits en Afrique centrale tenu à Libreville en 2005 ; de défendre les vies humaines ; de soutenir les communautés, les familles victimes de crimes rituels et d'assassinats des enfants et autres. »241

Après avoir présenté brièvement les objectifs de l'ALCR, son président pense qu'il est temps « de lutter contre ces actes abominables, dans un pays d'à peine un million d'habitants... et de contribuer au coté de l'Etat gabonais à mieux prendre conscience de la gravité de ce phénomène, de sa responsabilité de protection des paisibles citoyens. »242 Car « les membres de l'ALCR ne comprennent pas le mutisme de l'Etat, au lendemain de la rencontre bipartite du 18 mars 2005, entre le gouvernement et les Agences des Nations Unies, relatives aux crimes atroces suivis de mutations à la plage de Libreville, des jeunes écoliers Eric EDOU-EBANG et de Ibrahim ABOUBAKAR. »243

De plus, dans ses propos, le président de l'ALCR voudrait que la justice fasse son travail librement, sans interférence politique et condamne « avec la dernière énergie, les enlèvements, les séquestrations, les mutilations, les assassinats et les profanations des tombes monnaie courantes dans notre beau pays ».244 En outre, « l'ALCR veut gagner la

239 Extrait du discours du Président le l'A.L.C.R, discours prononcé à l'occasion de la Journée Gabonaise de lutte contre les crimes rituels, le vendredi 2 février 2007 au CCF St. Exupéry de Libreville.

240 Colloque sous-régional sur les "causes et moyens de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique centrale", sous l'égide de l'UNESCO, colloque tenu à Libreville du 19 au 20juillet 2005, 84p.

241 Extrait du discours du Président de l'ALCR, lors de la Journée Gabonaise de lutte contre les crimes rituels, le 2 février 2007, p.2.

242 Extraits du discours de monsieur EBANG ONDO, président de l'ALCR, le 2 février 2007, p.2.

243 L'Union du 10 mars 2008, op.cit., p.6.

244 Extraits du discours de monsieur EBANG ONDO, président de l'ALCR, le 2 février 2007, p.2.

bataille contre les crimes rituels et ne reculera jamais face aux actes barbares, de terrorisme perpétrés entretenus par les hommes de la secte machiavélique de l'ombre, ces groupes criminels impunis qui sèment la mort et la désolation au sein de nos familles ; hypothéquant ainsi, l'avenir d'une jeunesse sacrifiée ».245 En un mot, « nous exigeons la cessation immédiate des crimes rituels ».246

Par ailleurs, le président a souligné son inquiétude quant à la non prise en compte des recommandations du colloque sous-régional de l'UNESCO sur les crimes rituels et les conflits en Afrique Centrale tenu en juillet 2005, par l'Etat gabonais. Allant dans le même sens et soutenant l'action entreprise par cette association gabonaise, l'Ambassadeur des Etats-Unis R. Barrie WALKLEY a, dans son allocution lors se la même journée Gabonaise contre les crimes rituels au Centre Culturel Français St. Exupéry le 2 février 2007, affirmé que « les crimes rituels figurent parmi les innombrables violations des Droits de l'Homme. Ces meurtres à l'encontre des couches les plus vulnérables de la société sont commis dans un contexte d'impunité généralisée, laissant les familles dans le désespoir et la population dans la consternation ».247

Car « la protection de la démocratie et des Droits de l'homme est une affirmation à laquelle les Etats-Unis tiennent beaucoup. En janvier 2005 le Président BUSH disait : " la liberté, naturellement, doit être choisie et défendue par les citoyens et maintenue par l'exercice de la loi et la protection des minorités"... »248

Venons-en à présent à la question de la non prise en compte des recommandations de la déclaration de Libreville en Juillet 2005 par le gouvernement gabonais.

245 Extraits du discours de monsieur EBANG ONDO, ibid., p.2.

246 Ibid., p.2. Nous profitons ici que le président de l'ALCR est lui-même une victime des crimes rituels au Gabon. En effet, après maintes recherches de son fils et de son camarade de classe, ceux-ci seront retrouvés morts et mutilés à la plage de Libreville le 3 mars 2005. D'où l'implication de monsieur Jean Elvis EBANG ONDO à travers l'association.

247 Propos de l'Ambassadeur des Etats-Unis R.BARRIE WALKLEY lors de la « Journée Gabonaise contre les crimes rituels » au CCF de Libreville le 2 février 2007, p.1.

248 Propos de l'Ambassadeur des Etats-Unis Son Excellence R.BARRIE WALKLEY lors de la « Journée Gabonaise contre les crimes rituels » au CCF de Libreville le 2 février 2007, p.1.

A ce propos, la « Déclaration de Libreville»249 a fait 21 propositions, dont nous avons retenu pour notre travail 5 : « le caractère sacré, inviolable et inaliénable de la vie et de la personne humaine, ainsi que notre profond engagement à combattre toutes les formes d'atteinte à l'intégrité et à la dignité humaines ».250 Elle recommande ainsi de « conscientiser et persuader les adeptes de ces pratiques de substituer aux sacrifices humains d'autres sacrifices plus symboliques »251,

d' « adopter des lois qualifiant explicitement et sanctionnant les crimes rituels afin de mettre fin à l'impunité »252 ; de « censurer la protection et la diffusion par les média, de programmes qui valorisent le viol, la violence, les pratiques mystiques et religieuses néfastes aux valeurs de paix et de respect de la personne humaine »253 ; ou encore d'« instituer, dans les Etats d'Afrique centrale, une journée à la mémoire des victimes des violences rituelles et des guerres fratricides »254 et enfin , de « mettre en place des groupes d'alertes communautaires, et une police spécialisée disposant de moyens appropriés pour démasquer les auteurs et les commanditaires des crimes rituels »255 en outre.

C'est l'occasion ici pour nous de revisiter « le code pénal de 1963 »256 qui a pourtant prévu des mesures mais qui ne sont pas, a priori, appliquées.

En partant par exemple du chapitre 13 : « Des violations de

sépultures et profanations de cadavres », qui stipule en son article 291 que « Quiconque se sera rendu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à 120.000 francs, sans préjudices des peines réprimant les crimes ou délits qui se seraient joints à celui-ci, sera puni des mêmes

249 Sur la lutte contre les crimes rituels en Afrique centrale et sur la nécessité de l'éducation aux valeurs de respect absolu de la vie et de la dignité humaine, in Colloque sous-régional sur les « Causes et moyens de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale », Libreville, 19-20 juillet 2005, p.17.

250 Ibid., p.19.

251 Ibid., p.19.

252 Ibid., p.20.

253 Ibid., p.20.

254 Colloque sous-régional sur les « Causes et moyens de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale », ibid., p.20.

255 Colloque sous-régional sur les « Causes et moyens de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale », ibid., p.21.

256 Extrait du code pénal ; « Loi n°2163 du 31 mars 1963 ».

peines quiconque aura profané ou mutilé un cadavre, même non inhumé ».257

Ou encore le chapitre 19 : « De la sorcellerie, du charlatanisme et

des actes d'anthropophagie », en son article 210 qui notifie par ailleurs que « sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 50.000 à 200.000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque aura participé à une transaction portant sur des restes humains ou ossements humains, ou se sera livré à des pratiques de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l'ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété ».258

Ainsi, les deux exemples de ce code pénal datant de 1963 et les illustrations de ces deux chapitres par des articles confirment la caducité de celui-ci car chaque jour, il y a profanations des tombes et des cadavres, des crimes rituels ou autre acte de sorcellerie à Libreville, sans que l'Etat ne puisse réagir. A cela, « à quand l'application du nouveau code pénal révisé le 17 janvier 2008 lors d'un conseil des ministres ? Va-t-on omettre volontairement le terme "crimes rituels" et la durée des procédures avant le jugement des assassins et leurs commanditaires ? Que dira t-on de l'impunité et la justice populaire ? , s'est interrogé Jean Elvis EBANG ONDO, président du ALCR ».259

En définitive, l'ALCR, en tant que tentative de réponse à cette violence du pouvoir au Gabon en général, à Libreville particulièrement, est « prête à affronter d'autres combats et d'autres situations qui mettraient à mal les droits de l'homme dans notre pays faiblement peuplé ».260

257 Extrait du code pénal ; « Loi n°2163 du 31 mars 1963 », p.93.

258 Extrait du code pénal, ibid., pp.69-70.

259 L'Union du Lundi 10 mars 2008, ibid., p.6.

260 Cf. une coupure du journal Le Peuple ; rubrique « Développement », par Nelson KALI, p.7.

Conclusion de la deuxième partie

Cette deuxième partie de notre mémoire nous a permis de mettre en évidence le fétichisme politique et les profanations des tombes à Libreville, durant les élections politiques ou aux lendemains de celles-ci. Premièrement on remarque que les croyances des gabonais demeurent encore animistes, et qu'il s'agit d'une population en mutation, en transition vers la modernité.

D'autre part, les profanations des tombes ou celles des cadavres montrent qu'il s'agit d'une violence organisée dans la postcolonie gabonaise. Comme l'écrit BOURDIEU il s'agit d'une violence symbolique en tant que « imposition de formes de comportement, de formes de vie ; de choix intellectuels, de choix vestimentaires, de choix linguistiques, par les dominants aux dominés ».261

Car « le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte légitimée, à des outils symboliques et à l'imaginaire ».262 D'où, « aucun groupement, aucune organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est à travers des symboles qui manifestent son existence ».263

En effet, à Libreville, les profanations des tombes sont un des moyens utilisés par les hommes du pouvoir pour se faire voir et se faire légitimer. Ce qui fait qu'à la veille des élections politiques, le marché des restes humains est manifeste, sans que l'Etat ne réagisse dans cette exploitation des « pièces détachées ». Or si l'Etat ne réagit pas devant cette violence, c'est parce qu'il est « l'institution qui possède, dans une collectivité donnée, le monopôle de la violence légitime. Entrer dans la politique, c'est participer à des conflits dont l'enjeu est la puissance - puissance d'influencer sur l'Etat et par là même sur la collectivité ».264

261Cf. Pierre BOURDIEU et la définition qu'il nous donne de la violence symbolique in « Lexique sociologique et ethnologique et présentation de quelques auteurs », de Ian ESCHSTRUTH, étudiant en sociologie, lexique publié sur le net le 22/07/2006, 74 pages sur ian.eschstruth@laposte.net

262 Georges BALANDIER, le Détour. Pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.

263 Philip BRAUD, Sociologie politique, op.cit., p.103.

264 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. « Editions 10/18 »), 1963, p.32.

Enfin, ce mémoire nous permet de nous interroger longuement sur les pratiques sociales des gabonais, liées au sacré et au pouvoir. Mieux, il s'agit de nous questionner sur le rôle joué par la justice, ou les réseaux sociaux qui existent au Gabon et qui interviennent lorsqu'un profanateur ou un commanditaire est appréhendé. Autant, l'on peut se poser la question de savoir pourquoi à cette longue crise du sacré observée au Gabon, l'Etat semble désintéressé ?

En définitive, à quand l'application d'un nouveau code pénal au Gabon pour que les présumés auteurs de profanations des tombes et des crimes rituels puissent être jugés ?

Conclusion générale

A la lumière de tout ce qui précède, la présente étude pourrait contribuer, pour sa modeste part, à faire comprendre quelles sont les logiques qui gouvernent les gabonais et comment celles-ci se constituent ; particulièrement pour toute personne aspirant au pouvoir (économique, politique ou social) à profaner des tombes ; et donc à recourir systématiquement au fétichisme politique comme c'est le cas de la présente étude.

En effet, les « rumeurs de meurtres diaboliques, politiciens accusés d'utiliser associations secrètes et "médicaments" pour assurer leur succès, psychoses urbaines d'enlèvements d'enfants ou de jeunes femmes victimes de démembrements rituels »265, deviennent le lot quotidien des Librevillois et ce, durant les élections politiques ou aux lendemains de celles-ci. Ce qui atteste que donc que « la sorcellerie n'a pas disparu en Afrique et s'affirme aujourd'hui comme une catégorie incontournable de la vie publique et privée ».266

Notre problématique s'est formulée sur le passage d'une économie symbolique lignagère à une économie de marché. Ce qui se traduit par le fait que l'on assiste à une vente des éléments du corps humain sur le marché et au politique. Mieux, en portant notre regard sur la réalité sociale gabonaise, notre hypothèse, selon laquelle on constate très souvent des profanations des tombes à la veille des consultations politiques, atteste que le pouvoir au Gabon est un pouvoir mortifère, qui se nourrit de la mort, se confirme. Dans la même perspective, Florence BERNAULT évoque les rumeurs de trafic d'organes, de kidnapping d'enfants, de vente de clitoris, d'émasculation des hommes, n'ont pas pour unique ni même principale raison la marchandisation du corps, imposée par une globalisation capitaliste récente, extérieure à l'Afrique, mais plutôt les transformations progressives et locales de la sphère du sacré.

265 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique et pouvoirs sorciers », in Politique africaine n°79, octobre 2000, p.1.

266 Ibid., p.1.

Enfin, comme l'écrit Georges BALANDIER, l'imbrication du sacré et du politique est incontestable car « dans les sociétés laïcisées, elle demeure apparente ; le pouvoir n'y est jamais entièrement vidé de son contenu religieux qui reste présent, réduit et discret ».267 Ce qui nous permet d'affirmer par la suite qu'au Gabon, « le pouvoir est sacralisé parce que toute société affirme sa volonté d'éternité et redoute le retour au chaos comme réalisation de sa propre mort ».268

Sur ce fait, les pratiques fétichistes continueront de persister au Gabon, parce qu'étant et avant tout, un pays fortement animiste et attaché aux traditions ancestrales. Ce qui explique le recours au fétichisme ou à la sorcellerie par les gabonais, quelle que soit la circonstance.

267 Georges BALANDIER, Anthropologie politique, Paris, Puf/Quadrige, 1999, p.118.

268 Ibid., p.119.

Références bibliographiques

La présente bibliographie n'est pas exhaustive mais elle se veut indicative des principales sources qui nous ont permis de pouvoir produire ce Mémoire de Maîtrise. Pour ce fait, nous avons fait appel à des ouvrages généraux, des ouvrages spécialisés, des ouvrages de méthodologie, des articles et coupures de presses, des Rapports de Licence, des Mémoires de Maîtrise, Thèse de Doctorat et des documents officiels.

I. Ouvrages généraux

1. BEITONE A. et al, Sciences Sociales, Paris, (coll. « aide-mémoire »), 3ème éd., Dalloz, 2002, 409 p.

2. BOUDON R. et BOURRICAUD F., Dictionnaire critique de sociologie, Paris, Quadrige/Puf, 2006, 714 p.

3. BRAUD Ph., Sociologie politique, 8ème édition, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence/Montchrestien, 2006, 738 p.

4. FERREOL G. et al, Dictionnaire de sociologie, 3ème éd., Paris, Armand Colin, 2004, 242 p.

5. HARNECKER M., Les concepts élémentaires du matérialisme historique, Bruxelles, éd. Contradictions, 1974, 258 p.

6. JAVEAU CL., Leçon de Sociologie, Paris, Armand Colin, 2ème tirage, (coll. « U » Sociologie), 1997, 226 p.

7. Le MILLION, l'Encyclopédie de tous les pays du monde, Volume XI, Afrique Occidentale, Centrale, Equatoriale et Australe, Paris, Grande

Batetière, 552 p.

8. LOMBARD J., Introduction à l'ethnologie, 2ème éd., Paris, (coll. Cursus, série « Sociologie »), Armand Colin, 1998, 191 p.

9. SCHWARTZENBERG R-G., Sociologie politique, 5ème édition, Paris, (coll. « Domat Politique »), éd. Montchrestien, 1998, p.623.

10. TOURAINE A., Pour la Sociologie, Paris, (coll. « Points »), éd. du Seuil, 1974, 241 p.

II. Ouvrages de méthodologie

11. BACHELARD G., La formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris, Librairie philosophique J.VRIN, 2004, 306p.

12. BEAUD S. et WEBER F., Guide de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La Découverte, 2003, 356 p.

13. BOUDON R. et FILLIEULE R., Les méthodes en sociologie, 12ème

édition, Paris, Puf, (coll. « Que sais-je ? »), n°1334, 2004, 125 p.

14. DURKHEIM E., Les règles de la méthode sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll. « Quadrige »), 2002, 149 p.

15. GRAWITZ M., Méthodes des sciences sociales, Paris, 11ème éd., Dalloz, 2001, 989 p.

16. MBAH J-F., La recherche en sciences sociales au Gabon. Préface de L.V Thomas, Paris, l'Harmattan, (coll. « Logiques sociales »), 1987, 190 p.

17. QUIVY R. et VAN CAMPENHOUDT L., Manuel de recherche en sciences sociales, 2ème éd., Paris, Dunod 1995, 287 p.

18. SOUMAHO M.N, Eléments de méthodologie pour une lecture critique, préface de J.COPANS et poste face de J.G.BIDIMA, tome 1, CERGEP Edition, Libreville, UOB, et l'Harmattan, 2002, 143 p.

III. Ouvrages spécialisés

19. ALEXANDRE P. et BINET J., Le groupe pahouin (Fang-Boulou-Béti), Paris, L'Harmattan, 2005, 152 p.

20. BALANDIER G., Anthropologie politique, Paris, Puf /Quadrige, 1999, 240 p.

21. BALANDIER G., Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, 172 p.

22. BALANDIER G., Le détour. Pouvoir et modernité. Paris, Fayard, 1985,

23. BOURDIEU P., Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.

24. DURKHEIM E., les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. « Le livre de Poche », classiques de la philosophie, 1991, 758 p.

25. GAULME F., Le pays de Cama .Un ancien Etat côtier du Gabon et ses origines. Préface de Jean PING, Paris, Karthala, 1981, 269 p.

26. GESCHIERE P., Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, 1995, 287 p.

27. HEUSCH L. (de), Le roi du Kongo et des monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard, 2000, 420 p.

28. MAYER R., Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd., revue et augmentée, Libreville, Editions du LUTO, 2002, 269 p.

29. MERLET A., Le pays des trois estuaires (1471-1900). Quatre siècles de relations extérieures dans les estuaires du Muni, de la Mondah et du Gabon, Libreville, CCF St Exupéry/Sépia, (coll. « Découvertes du Gabon »), 1990, 349 p.

30. NGUEMA-OBAM P., Aspects de la religion Fang. Essai d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris, Karthala/ A.C.C.T, 1983, 99 p.

31. NZE-NGUEMA F-P., L'Etat au Gabon. De 1929 à 1990. Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, (collection « Etudes africaines »), l'Harmattan, 1998,239 p.

32. RAPONDA WALKER A. et SILLANS R., Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda-Walker, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, 383 p.

33. TONDA J., La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon).Préface d'André MARY, Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2002, 243 p.

35. TONDA J., Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon) Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, 297 p.

36. WEBER M., Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. « Bibliothèques 10-18 »), 1963, 222 p.

IV. Articles, périodiques et revues

37. BERNAULT F., Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo-Brazzaville in BEKALE M.N, Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

38. BERNAULT F., Economie de la mort et reproduction sociale au Gabon, in MAMA AFRICA : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

39. BERNAULT F. et TONDA J., « Dynamiques de l'invisible en Afrique », 13 p. in Politique Africaine, n°79, 2000.

40. BERNAULT F, Compte rendu de lecture, « Autour d'un livre : le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p., de Joseph TONDA », 8 p.

41. « Ce que parler veut dire », in Libération, 19 octobre 1982, p.28. Dans l'Hyperbourdieu : « Dévoiler les ressources du pouvoir : le fétichisme politique ». Entretien de Didier ERIBON avec Pierre BOURDIEU.

42. CHRETIEN J-P., « Les racines de la violence contemporaine en

Afrique », pp15-57, in Politique africaine, n°42 : « violence et pouvoir », Paris, 1991, 163 p.

43. ENJEUX, Bulletin d'Analyse Géopolitiques pour l'Afrique Centrale, Yaoundé, 3èmeannée, publication trimestrielle, n°9 octobre-Décembre 2001, 31 p.

44. GESCHIERE P., Sorcellerie et politique : le piège du rapport élite-village, 16 p.

45. OYONO J.B., La prolifération des entreprises criminelles en Afrique centrale à l'ère globale, in ENJEUX n°9 octobre-Décembre 2001, 10 p.

46. POLITIQUE AFRICAINE, N°79, octobre 2000, 140 p.

47. POLITIQUE AFRICAINE, N°42 : « Violence et pouvoir », juin 1991, 163 p.

48. TONDA J., Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude d'Afrique Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, 13 p.

49. TOULABOR C., « Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.207, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et

G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.

50. « L'Union Plus » du 21 octobre 2004, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union Plus » du 13 et 14 novembre 2004, Multipress, Libreville/Gabon.

L'Union Plus » du 10 janvier 2006, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union Plus » du 10 octobre 2006, Multipress, Libreville/Gabon.

L'Union Plus » du 16 et 17 mai 2007, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union Plus » du 26 avril 2007, Multipress, Libreville/Gabon.

L'Union Plus » du 29 février 2008, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union Plus » du 10 mars 2008, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union Plus » du 3 juillet 2008, Multipress, Libreville/Gabon.

L'Union Plus » du 16 juillet 2008, Multipress, Libreville/Gabon.

V. Thèse(s) de Doctorat, Mémoire(s) de Maîtrise et Rapport(s) de Licence

51. DOS SANTOS F.A.M., Les cimetières à Libreville face à la croissance

spatiale urbaine, Mémoire de Maîtrise en Géographie Urbaine, Libreville, UOB/FLSH, 1988, 82 p.

52. KOUMBI OVENGA D-W., Mort et pouvoir. Violence politique et société initiatique Ndjembè en post-colonie gabonaise, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2006, 134 p.

53. NGOUA M.A., La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'Etat capitaliste, Libreville, UOB/FLSH, Rapport de Licence en Sociologie, sept.2005, 25 p.

54. OSSOMBEY J., Société Kélè du Gabon précolonial : milieu de vie, sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à 1910, Libreville,

UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie, sept.2005, 100 p.

55. STRANDSBJERG C., Le sens du pouvoir : des forces occultes à la grâce divine, Paris, E.H.E.S.S. Thèse de Doctorat, jan.2008, 337 p.

VI. Documents officiels

56. Extrait du code pénal de 1963 de la République Gabonaise : « Loi n° 2163 du 31 mai 1963.»

57. Colloque Sous-régional sur « Les causes et moyens de prévention des
crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale »
(Libreville, 19-20 Juillet
2005), suivi du Rapport de l'Atelier sous-régional de formation sur « les

mécanismes traditionnels de prévention des conflits en Afrique Centrale » (Libreville, 21 Juillet 2005), UNESCO, Juillet 2005, 84 p.

VII. Discours officiels

58. Allocution de Son Excellence R. Barrie WALKEY, Ambassadeur des Etats-Unis au Gabon, lors de "la Journée Gabonaise contre les crimes rituels" au Centre Culturel Français St. Exupéry (C.C.F) de Libreville, le vendredi 2 février 2007 ; 2 pages.

59. Discours du Président de l'Association Gabonaise de Lutte contre les

Crimes Rituels (A.L.C.R) ; lors de " La Journée Gabonaise de lutte contre les crimes rituels", le vendredi 2 février 2007 au CCF de Libreville, 4 pages.

VIII. Moteurs de recherche

60. www.google.fr/ www.yahooencyclopedie.fr

61. ian.eschstruth@laposte.net

Table des matières

Dédicace

Remerciements

Sigles et abréviations Liste des illustrations Liste des tableaux Sommaire

Introduction générale

1

Les préalables

épistémologiques 3

Section 1 : Objet et Champ de l'étude

4

1-Le fétichisme politique comme objet d'étude 4

2-La sociologie de la religion et la sociologie du pouvoir comme cadres de référence ...9

Section 2 : Construction du modèle d'analyse

13

1-Le rapport entre fétichisme et politique dans la littérature sociologique occidentale
13

2-Les universitaires gabonais et africains face à la sorcellerie ou le rapport
politique et

fétichisme
17

3- Perspective de notre problématique du rapport entre fétichisme et politique 26

4- Enonciation de notre hypothèse de recherche 29

5- Définition et construction du concept

fondamental 29

5-1. Définition du concept de « fétichisme politique » comme concept fondamental de notre

étude 30
5-.2. Tableau n°1 : Construction du concept de « fétichisme

politique » 31

Section 3 : Démarche méthodologique 31

1-Cadre empirique de la recherche 31

Tableau n°2 : Recension des cimetières de Libreville 32

Tableau n°3 : Répartition des cimetières sous juridiction de l'HDV 33

Tableau n°4 : Histogramme des tombes profanées à Libreville de 2004 à

2008 pour Mindoubé 34

2- Caractéristique de notre échantillon 36

3-Technique de collecte et de traitement des données 36

3.1. L'entretien comme technique de collecte des données 36

3.2. L'analyse de contenu comme technique d'analyse des données 37

3.3. Limites de l'étude 38

Première partie : Les reliques au Gabon et le culte des ancêtres.......39 Introduction de la première partie 40 Chapitre I : Période coloniale et approche anthropologique des reliques 42

Tableau n°5 : Schématisation du culte des ancêtres en tant que phénomène social total 43

Section 1 : La question des pratiques reliquaires (période coloniale) 44

1-Une diversité des cultes des ancêtres au Gabon 44

2-Le culte du Byéri : un culte familial 45

Section 2 : Colonisation et criminalisation 49

1-Bref aperçu historique de la colonisation 49

2-La criminalisation des pratiques rituelles par la colonisation, en
particulier par l'Église 50

Chapitre II : Les reliques comme symbole d'autorité et de pouvoir....52

Section 1 : L'utilisation des reliques des défunts rois et chefs de clan 52

Section 2 :Le principal élément des reliques : le crâne, objet du pouvoir 55

Chapitre III : Le sacré en crise ................................................................................57

Section 1 : La reformulation du sacré 57

Section 2 : La problématique des rites maçonniques dans la reformulation du sacré 59

Conclusion de la première partie 61

Deuxième partie : Le fétichisme politique et les profanations des tombes à Libreville 63

Introduction de la deuxième partie... ... ... ...64

Chapitre IV : Les profanations des tombes et les élections politiques à Libreville 67

Section 1 : Les profanations des tombes et les élections politiques à

Libreville 67

1-Les élections politiques à Libreville 67

2-Les profanations des tombes 69

La photo n°1 : « la veste rouge » 70

La photo n°2 : « La tombe sans carreaux » 71

La photo n°3 : « Tombes dans les hautes herbes » 71

La photo n°4 : « La tombe Goumabika » 72

La photo n°5 : « Autre manière de profaner » 73

La photo n°6 : « La tombe vide » 74

Section 2 : Le fétichisme politique à Libreville 75

Chapitre V : Le cimetière de Mindoubé : théâtre des profanations des

tombes... 77

Section 1 : Historique, localisation géographique et description du cimetière de Mindoubé 77

1-Localisation et description du site 77

Carte n°1 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé 77

Carte n°2 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé 78

La photo n°7 : « Le portail principal du cimetière » 79

La photo n°8 : « Une tombe immergée dans les huiles de vidange » 80

La photo n°9 : « Le travail des huiles de vidange » 81

La photo n°10 : « La face cachée d'une tombe » 82

La photo n°11 : « La formation d'un ruisseau » 82

La photo n°12 : « Le dépôt de ferrail » 83

La photo n°13 : «L'insalubrité » 84

La photo n°14 :«L'un des poteaux électriques existant » 85

2- Historique du cimetière de Mindoubé 86

Section 2 : La sécurité des morts au cimetière de Mindoubé. 87

1- Absence de normes de sécurisation du site 87

La photo n°11 : « La formation d'un ruisseau » 87

La photo n°14 :«L'un des poteaux électriques existant » 88

2- Mindoubé, un site particulier 89

Chapitre VI : La violence en postcolonie gabonaise . 92

Section 1 : Les profanations des tombes, forme de violence de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique 92
Section 2 : L'A.L.C.R. une tentative de réponse à la violence du pouvoir

( au sens de BALANDIER) 96

Conclusion de la deuxième partie 100

Conclusion générale 102

Références Bibliographiques 104

Table des matières 112
Annexes






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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci