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Etude linguistique du slogan révolutionnaire égyptien (La révolution d'Egypte du 25 janvier 2011)

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par Yasser Abdelaziz
Université Mentouri de Constantine - Master en science de langage 2011
  

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Annexe

Corpus : les articles de presse.

« Al Ahram Hebdo (en ligne) »

http://hebdo.ahram.org.eg/ et http://hebdo.ahram.org.eg/Scripts/Hebdo/archive.asp

Semaine du 7 au 13 décembre 2011, numéro 899

Nulle part ailleurs

Art De La Rue . Depuis le 25 janvier, les murs du Caire se couvrent de graffitis. Ils varient au gré des événements et des artistes : du simple tag aux fresques complexes, du religieux à l`anti-Conseil militaire. Pourtant, beaucoup de dessins sont effacés par un coup de peinture blanche. Visite guidée.

Des murs pour s`exprimer

 

«le caire s`est transformé en musée ouvert », lance Ganzir, un artiste. Comme tous les protestataires, ce dernier préfère ne pas dévoiler son vrai nom. Il dit que dès le déclenchement de la révolution le 25 janvier, la ville s`est transformée en salle d`exposition géante.

« Tous les murs sont couverts de graffitis politiques qui racontent ou résument les événements des mois passés. Je préfère appeler cela l`art de la rue plutôt que graffiti. Pour nous, cet art est une révolution parallèle qui évolue sur les murs », explique Ganzir. La révolution avec tous ses détails, ses étapes, ses hauts et ses bas est racontée sur les murs du Caire.

Dès les premiers jours de la révolution, les murs ont servi à transmettre des messages au président, lui demandant de quitter le pouvoir et dénonçant son régime répressif. Ils l`informent que personne ne quittera la place Tahrir avant que l`objectif ne soit réalisé. Des slogans mais aussi des dessins très explicites sont dessinés sur les murs et sur les banderoles que brandissent les révolutionnaires. Des banderoles qui recouvrent bientôt

les véhicules de l`armée et tapissent la place Tahrir.

Ces mêmes slogans ont été transposés ailleurs pour couvrir d`inscriptions tous les murs de la ville. Des murs dont on se sert comme d`une feuille de papier pour raconter chaque événement et dénoncer la violence et l`injustice. Le phénomène s`est propagé pour couvrir désormais les murs de tous les quartiers. Des transcriptions pleines d`espoir et d`autres plus amères, sortant des tripes, exprimant la douleur d`un peuple qui a vécu sous l`oppression. Des messages transformés en graffitis et qui veulent dire : « Nous sommes là et nous ne partirons pas ».

On peut apercevoir le portrait de Khaled Saïd, l`un des symboles de la révolution, et des slogans comme « Game Over Moubarak ! », « Dégage ! », « Je veux voir un autre président avant de mourir ! ». Les aspirations à la liberté ont été les premières à être griffonnées ...

Variations au gré des événements

Après le 11 février, date du départ de Moubarak, les slogans ont changé, suivant l`évolution des événements. Les portraits et les noms des martyrs sont peints sur les murs soulignés par des phrases qui rendent hommage à ces héros morts pour la patrie, tout en demandant à ce que les criminels

soient châtiés. Côte à côte, il y a d`autres portraits, mais cette fois de ceux que l`on

appelle les traîtres de la révolution, des comédiens, mais aussi des ministres, à l`exemple

de Habib Al-Adely ou de Adel Imam.

On demande justice mais aussi un avenir meilleur. Des messages pleins d`espoir comme ce dessin des pyramides et d`une jeune fille portant les couleurs du drapeau national et sur lequel on peut lire « Dignité, liberté et justice sociale ». Des mots qui ont déclenché la révolution ... Ou encore « A présent, le pays nous appartient, on ne doit plus jeter d`ordures dans la rue ». En parcourant les murs, on se fait une idée claire de la

situation.

Les slogans islamiques ont, eux aussi, trouvé leur place. Les graffitis sont devenus une arme utilisée entre les courants libéraux et religieux. Les premiers rêvent d`un pays démocratique, le second veut appliquer la charia. Des espaces accaparés par l`un ou par l`autre courant politique selon les quartiers.

Les dates des manifestations sont mentionnées pour qu`on ne les oublie pas. Chaque courant politique ou religieux cherche à occuper le plus d`espace et c`est le quartier qui donne la priorité à l`un ou à l`autre. Des qu`un conflit ethnique éclate, le graffiti de la croix et du croissant, unis d`une main, va remplacer les autres qui passent en arrière-plan. Des slogans qui rappellent que nous sommes un seul peuple et que l`intolérance religieuse est inacceptable émergent alors de toutes parts. Des portraits de martyrs comme celui de Mina Daniel figurent parmi les autres.

Comme la période est critique et que les événements se succèdent, le graffiti change de contenu. Le Conseil militaire, décrit par les citoyens comme étant le protecteur et le sauveur du pays, est considéré aujourd`hui comme un adversaire. « Le peuple exige le départ du mouchir (maréchal) », tel est le slogan du moment.

Un autre point de vue, même s`il se fait rare, est celui des pro-Moubarak, qui griffonnent les murs pour demander des excuses à l`ex-président ou proférer des insultes à l`égard des révolutionnaires. La réaction est immédiate : le lendemain du second discours télévisé de l`ex-président, juste avant la chute du régime, les murs illustraient le portrait du président sous les mentions « Moubarak est un symbole, il ne faut pas l`humilier » ou « Nous demandons pardon à notre président ».

Mais les révolutionnaires n`ont pas tardé à répliquer en rayant tous ces graffitis en faveur du président déchu : « Ce régime a duré trente ans, c`est assez, il faut le changer ». Un graffiti peut en cacher un autre ...

Les instruments se développent

Si ces graffitis changent à chaque fois de contenu, il en est de même pour les outils. Au début, les jeunes révolutionnaires et les artistes utilisaient seulement des bombes aérosols mais, avec l`expérience, ils sont devenus des professionnels en la matière. « Au début, on n`avait besoin que de

transmettre un message à l`aide d`une bombe aérosol que l`on peut glisser facilement

dans une poche. On peut s`enfuir à toutes jambes à tout moment au cas où la police

arriverait », explique Ossama Abdel-Moneim, artiste et membre de l`Union des

révolutionnaires.

Avec le temps, les jeunes sont devenus plus habiles sur le terrain. Le graffiti a pris d`autres formes avec des techniques et un sens artistique plus développés. Les jeunes des beaux-arts y participent en grand nombre, la peinture et les pinceaux ont remplacé les bombes aérosol. Les murs d`une école de Ghamra ont été dessinés par les élèves qui ont relaté tous les événements de la révolution. Les mêmes histoires sont portées sur les murs des tunnels à Héliopolis, à Zamalek, des niches pour l`alimentation d`électricité sont recouvertes de portraits et d`hommages à la mémoire des martyrs.

A Doqqi, les graffitis sont les plus expressifs. Outre le mur qui cerne la faculté de l`agriculture et qui illustre la scene complete de la révolution, il est impossible de passer par la rue Tahrir sans porter son regard sur un long mur entièrement peint. « Ya sawra doqqi » (révolution ... sonne). C`est le slogan de la campagne organisée par un groupe d`artistes ayant décidé de recouvrir les murs de Doqqi par des graffitis racontant leurs expériences personnelles.

Comme l`affirme l`artiste Ossama Abdel-Moneim, membre du groupe, ils ont l`intention de généraliser l`idée à tous les quartiers du Caire, y compris les plus populaires. « Le graffiti de la révolution aura certainement un effet positif sur les habitants de ces quartiers cernés par des murs sales, autour desquels les citoyens balancent leurs ordures. Ils ont participé à la révolution et donc il faut leur rappeler que

c`est une conduite incivique que de jeter les ordures n`importe où », indique-t-il.

D`après Abdel-Moneim, c`est exactement l`objectif de cet art : choquer les gens en décrivant la réalité. Et si jadis les pharaons avaient pour coutume de relater leur histoire sur les murs, aujourd`hui cela se fait toujours mais de façon plus moderne.

Avant la révolution, personne n`osait s`exprimer de cette façon sur les murs. On s`en servait pour afficher des annonces pour la location d`appartements ou la vente de voitures. Avec le déclenchement de la révolution, cet art qui était condamné par la loi s`est répandu dans les rues du Caire, voire dans tous les gouvernorats d`Egypte. On se sert du graffiti comme d`une arme pour dénoncer un régime oppressant, exprimer ses moments de malheur ou de bonheur, envoyer des messages ou fixer un rendez-vous.

Effacés !

Mais de plus en plus, les passants remarquent sans comprendre que beaucoup de graffitis disparaissent. « On est surpris de voir que des portraits de martyrs ont été couverts de peinture blanche, les messages qui demandaient à Moubarak de quitter le pouvoir ont été remplacés par d`autres graffitis qui

illustrent la nostalgie d`un régime tombé », dit Abdel-Moneim. Par endroits, des pans de

murs entiers qui ont nécessité des journées de travail à des étudiants en beaux-arts ont été

tout simplement effacés par une peinture blanche étalée à la va-vite.

Abdel-Moneim et tous ceux qui s`intéressent à ce phénomène se posent des questions. Est-ce que ce sont les membres du PND et les hommes de l`ancien régime évincés de la vie politique qui veulent faire disparaître les stigmates d`une révolution qui a bouleversé leur vie ? Est-ce que le Conseil militaire ne veut pas humilier l`ex-président, même s`il ne le dit pas ouvertement ? Est-ce que ce sont les islamistes qui interdisent les dessins et les portraits ? Beaucoup de questions sans réponse ... Mais le peuple qui s`est soulevé le 25 janvier a appris à lutter pour obtenir et faire ce qu`il veut. Les internautes commencent

cependant à jouer le rôle de gardiens des graffitis. Les initiatives se succèdent pour collecter toutes les photos et les rassembler sur plusieurs sites Internet. « La situation en Egypte n`est pas encore stable. Les manifestations et les revendications éclatent de nouveau. Alors les gens vont trouver d`autres supports pour s`exprimer et transmettre leurs messages », conclut Abdel-Moneim. Mais pour lui, la rue égyptienne ne sera plus jamais comme avant.

Hanaa Al-Mekkawi

Semaine du 29 février au 6 mars 2012, numéro 911

Dossier

Développement . Un éminent membre des Frères musulmans dit être d`accord avec le rapport du PNUD, mais dans ces propos, la dimension sociale du rôle de l`Etat n`est pas très présente.

Un rapport conforme aux idées des Frères

« La vision du développement dans le rapport, comme un moyen de satisfaire les aspirations socio-économiques des révolutions du Printemps arabe, correspond à la vision du Parti Liberté et Justice (PLJ) »,a dit Hassan Malek, homme d`affaires et membre éminent du PLJ, le bras politique des Frères musulmans, lors du lancement du rapport sur les défis du développement arabe 2011, du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Malek n`a cependant pas beaucoup insisté sur les

réformes de nature sociale ni les mécanismes de distribution de revenus dont se soucie le

rapport.

« Les révolutionnaires criaient : Dignité, liberté et justice sociale, non Pain, liberté et justice sociale », a dit Malek au début de sa prise de parole, suite à l`introduction faite par l`animateur de la session, Ayman Al-Sayed, directeur en chef du magazine Weghat nazar (point de vue). Celui-ci avait commencé par rappeler le premier slogan de la révolution « Pain, liberté et justice sociale » en montrant des vidéos de protestations ouvrières qui avaient précédé la révolution du 25 janvier. « Al-Bouaziz en Tunisie, par exemple, s`est immolé par le feu parce que sa dignité a été offensée », insiste Malek en donnant moins d`importance à l`influence du « pain » dans les révolutions arabes. Malek a aussi exclu les possibilités d`une « révolution de la faim » en commentaire aux prévisions de certains observateurs au cas où la justice sociale ne serait pas rapidement mise en place. Il a estimé que cela était trop pessimiste, disant que « l`éthique, les croyances culturelles et religieuses » permettraient d`éviter un tel résultat.

Une clé de la réforme

Pour Malek, l`indépendance de la magistrature est une clé de la réforme. Il a également souligné l`importance du rôle du secteur privé dans le processus de développement. Allant de pair avec la vision libérale de son parti, Malek n`a pas mentionné l`application d`impôts progressifs, d`un salaire minimum ou l`élargissement et l`approfondissement du réseau d`assurance sociale, des points-clés du point de vue des auteurs du rapport.

En revanche, il a insisté sur le rôle que l`éthique et les murs peuvent jouer sur le plan socio-économique. Il estime donc que la solidarité sociale entre les personnes, qui, dit-il, était un facteur-clé pour la survie des pauvres en Egypte, devrait contribuer à redresser la situation. Les propos de Hassan Malek ont provoqué beaucoup de questions dans l`assistance, notamment sur le rôle de l`Etat en faveur des classes les plus démunies. Des questions auxquelles Malek, pressé, n`a pas donné des réponses précises. « On peut être tous d`accord sur le contexte général, mais l`organisation des priorités peut faire une différence. L`éthique est une question très importante mais c`est la hausse du niveau de vie qui va mener à une meilleure éthique et pas le contraire », a commenté Galal Amine, professeur d`économie à l`Université du Caire, également présent à la conférence. Malek s`est satisfait d`approuver ces paroles en opinant du chef.

Il a par ailleurs fait une synthèse du programme économique de son parti détenant 45 % des sièges au Parlement. « L`Egypte souffre d`un déficit de la balance des paiements, d`un déficit budgétaire, et d`autres problèmes macroéconomiques -- ceux-ci doivent être résolus à court terme, soit dans deux ans », a-t-il dit. « Nous devons également compléter le processus politique pour être en mesure de forger une nouvelle Constitution. Après la réalisation de ces objectifs, nous devons nous concentrer sur l`amélioration de l`éducation et d`autres réformes qui devraient être réalisées au cours des cinq prochaines années », a ajouté Malek. Et de conclure : « Notre objectif primordial est la renaissance de l`Egypte à plusieurs niveaux, et cela pourrait prendre entre 20 et 30 ans » .

Dossier réalisé par Marwa Hussein

Semaine du 27 juillet au 2 août 2011, numéro 881

Egypte

Nouveau gouvernement . Les manifestants de la place Tahrir poursuivent leur mouvement, jugeant insuffisant le remaniement ministériel annoncé en fin de semaine dernière, après plusieurs jours de tractations.

Peut mieux faire, dit Tahrir

Pour la 2e fois en moins de six mois, le gouvernement du premier ministre Essam Charaf a subi, jeudi dernier, un nouveau remaniement. Touchant plus de la moitié des portefeuilles, cet important remaniement ministériel est considéré comme le résultat direct de la pression des manifestants, qui campent depuis le 7 juillet sur la place Tahrir, pour réclamer, entre autres, le départ des personnalités liées à l`ancien régime. Bien que le remaniement soit l`une des demandes des manifestants depuis le 7 juillet, une partie des manifestants reste toutefois insatisfaite de la composition du nouveau cabinet.

En faisant le tour de la place Tahrir vendredi dernier pour connaître les avis des manifestants, il semblerait que le fait que le nouveau cabinet soit dominé par des libéraux partisans de l`économie de marché ne semble pas inquiéter outre mesure les protestataires. Ces derniers sont complètement focalisés autour d`une même et seule obsession, voir disparaître tout ce qui risque d`évoquer, de près ou de loin, l`ère Moubarak, que l`on veut révolue. La place Tahrir ne désemplit pas après ce remaniement, considéré par beaucoup en-deçà de leurs attentes. « Aucun nom proposé par les différents mouvements et formations politiques n`a été pris en compte par le premier ministre. La plupart des nouveaux ministres sont inconnus pour nous », affirme Mahmoud Al-Noubi, jeune manifestant. Celui-ci a marqué sur son t-shirt « Je suis baltagui », pour se moquer de certaines voix dans les médias gouvernementaux qui affirment que ceux qui sont à Tahrir ne sont autres que des baltaguis (hommes de main). Même humour chez ses amis qui campent avec lui sous une tente où il est inscrit

« Le parti des baltaguis ». Al-Noubi explique qu`il espérait que Charaf choisirait des ministres « à l`esprit révolutionnaire. Le conseiller Hicham Al-Bastawissi, l`un des honnêtes hommes de justice et candidat à la présidentielle, s`est entretenu avec nous avant le remaniement et nous a affirmé qu`il était prêt à accepter le poste de ministre de la Justice, mais personne ne l`a appelé ».

Les manifestants critiquent le fait que des personnalités « proches du régime Moubarak » conservent leur poste, en particulier le ministre de la Justice, Abdel-Aziz Al-Guindi, à qui est reprochée sa lenteur à traduire en justice les responsables de la mort de manifestants pendant la révolution du 25 janvier, ainsi que le clan Moubarak et les caciques de l`ancien régime, et dans une moindre mesure, celui de l`Intérieur, Mansour Essawi, à l`égard duquel l`opinion populaire demeure partagée après la purge de l`appareil policier qu`il a récemment décrétée. « Pourquoi les deux ministères les plus importants en cette période n`ont pas subi de changements, malgré les fortes critiques qui les visent ? », se demande Aymane Abdel-Hay, du mouvement du 6 Avril, en expliquant que la lenteur judiciaire constatée était suffisante pour justifier un changement du ministre de la Justice. Quant à Essawi, Abdel-Hay pense qu`il n`a pas de personnalité assez forte et qu`il n`a pas réussi à réinstaurer la sécurité dans les rues égyptiennes. C`est pourquoi il aurait fallu également le limoger, selon lui.

Réformes au compte-goutte

D`autres manifestants disent leur ras-le-bol de ces réformes au compte-goutte. Ils estiment qu`aujourd`hui, le changement de personnes n`est plus l`essentiel. « Ce que nous voulons, c`est un changement des politiques et des stratégies. Nous voulons un gouvernement qui mette en place un calendrier précis pour les réformes à adopter. Sinon, même un remaniement ministériel hebdomadaire ne servirait à rien », explique Ahmad Mohamad, ingénieur d`une trentaine d`années, déplorant que le slogan de la révolution « Pain, liberté et justice sociale » n`ait pas encore été concrétisé. « Le remaniement n`est pas notre premiere demande. C`est le procès immédiat des membres du régime Moubarak et de tous les responsables du massacre des manifestants durant la révolution du 25 janvier qui est notre revendication essentielle », indique Ahmad Ali,

jeune comptable, qui a décidé de poursuivre son sit-in, seul moyen, selon lui, pour obtenir ce qu`il demande. « L`expérience nous montre que nos demandes ne sont satisfaites que sous la pression des manifestations », constate-t-il. Camper à Tahrir est aussi, pour certains, un moyen pour soutenir le gouvernement face au Conseil suprême des forces armées. « Nous sommes conscients que le premier ministre n`a pas carte blanche pour choisir son équipe comme il l`entend, et qu`il doit composer avec le Conseil militaire. Je pense que nous devrions patienter un peu avant d`émettre des jugements sur le nouveau cabinet », affirme Ali.

Dans son premier discours télévisé après le remaniement, M. Charaf a expliqué avoir chargé son gouvernement de préparer un plan d`action, avec comme « but premier la réalisation des objectifs de la révolution et la préservation de ses acquis », promettant de « répondre » aux exigences des manifestants. Il a précisé que sa priorité était de faire juger les responsables de l`ancien régime soupçonnés de corruption et d`exactions. Le gouvernement de transition est censé rester en place jusqu`à l`organisation d`élections législatives, prévues à l`automne. Qu`ils acceptent ou non le nouveau remaniement, une bonne partie des mouvements et forces politiques sont d`accord pour accorder une dernière occasion au gouvernement, afin qu`il prouve sa bonne volonté.

Sabah Sabet Nicolas Devreese

Semaine du 9 au 15 mars 2011, numéro 861

Opinion

L`économie au menu

Dr Hicham Mourad

« Pain, liberté, justice sociale », réclamait la foule en colère sur la place Tahrir, lors des manifestations qui ont abouti au renversement du président Hosni Moubarak. C`est dire que les questions économiques occupaient une place centrale dans les revendications de la population.

Or, les 18 jours du soulèvement populaire ont, sur le court

terme, fait fuir quelque 18 milliards de dollars de capitaux

étrangers. La perte totale de l`économie égyptienne est évaluée à

plus de 30 milliards de dollars, notamment dans le secteur du tourisme, qui représente 13 % du PIB et 10 % des emplois (plus de 2,5 millions d`Egyptiens). Conséquence : le taux de croissance du PIB en 2011, qui devait s`établir entre 5 et 6 %, ne devrait pas dépasser les 1-2 %.

La tâche est donc énorme pour l`actuel gouvernement intérimaire et celui qui le succédera après les élections législatives et présidentielle, prévues cette année. Car il ne s`agit pas seulement de remédier aux conséquences graves des récents événements, qui se poursuivent sous forme de grèves, sit-in etc., mais aussi et surtout de répondre aux aspirations d`ordre économique exprimées par le soulèvement populaire et par divers groupes socioprofessionnels : amélioration des conditions de vie, lutte contre le chômage, la corruption et l`inégalité sociale.

Le gouvernement a à son actif plusieurs réalisations accomplies sous l`ère Moubarak, mais qui méritaient rectifications et corrections. La croissance égyptienne, comprise entre 6 et 8 %, était soutenue ces dernières années, faisant quadrupler le PIB. Mais les fruits de cette croissance étaient très inégalement répartis entre les couches de la population, bénéficiant à une minorité d`hommes d`affaires et de caciques du régime,

laissant quelque 40 % de la population en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour, dont la moitié dans l`agriculture. Le taux de ceux qui souffraient d`une extrême pauvreté (moins d`un dollar par jour) est passé de 17 % en 2000 à 20 % en 2005.

Certes, la corruption était pour beaucoup dans cette injustice sociale. Mais des mesures à moyen et long termes doivent être entreprises pour la corriger. Il s`agit notamment de relever le salaire minimum, revoir les règles de taxation, renforcer les mesures contre l`évasion fiscale et reconsidérer le système des subventions afin de s`assurer que seuls les ayants-droit en bénéficieront.

Le chômage est sans doute un défi majeur que doit relever le gouvernement. Avec un taux de chômage de 15 % de la force de travail, dont plus de 90 % sont des jeunes de moins de 30 ans, la question exige des mesures radicales. L`économie égyptienne souffre dans ce domaine de faiblesses structurelles, notamment le déséquilibre créé ces dernières années au profit du secteur tertiaire et aux dépens de l`agriculture et de l`industrie, plus à même de générer davantage d`emplois. La part de ces dernières dans l`emploi est tombée respectivement de 40 % à 30 % et de 14 % à 11 % entre 1990 et 2003. En revanche, la part du secteur des services est passée de 22 % à 27 % durant la même période.

Pour y remédier, le gouvernement doit notamment s`intéresser aux projets intensifs en main-d`~uvre, comme ceux des infrastructures et de l`éducation, mais aussi à lier le système éducatif aux besoins du marché du travail.

Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857

Nulle part ailleurs

Place Tahrir . Des milliers de manifestants, de toutes les couches sociales, ont transformé les lieux en une oasis de liberté. Une radio locale, des vendeurs ambulants, et surtout de vraies discussions sur l`avenir du pays. Reportage.

La nouvelle « République de la liberté »

« Vous êtes les bienvenus dans l`endroit le

plus honnête et le plus sécurisé d`Egypte ».

C`est par ces mots que les jeunes de la place

Tahrir accueillent tous les participants ou

visiteurs. Après un contrôle minutieux

effectué par les jeunes devant les nombreux

accès à partir des différentes rues de Ramsès,

de Talaat Harb, de Bab Al-Louq ou de Qasr Al-Aïni, ils accueillent les gens le sourire aux lèvres. L`ambiance est euphorique, digne d`une Egypte qui a brisé son silence à jamais et a entamé une période de changement, comme l`affirment les jeunes du 25 Janvier. Des chants patriotiques fusent de la radio locale créée par le peuple de la « République indépendante de Tahrir », comme ils la surnomment. Des chansons qui rappellent des moments glorieux d`une Egypte qui a toujours été la soupape de sécurité pour le monde arabe et le Moyen-Orient. Des chants, des appels à des citoyens disparus, des discours de jeunes diffusant des nouvelles de la place et de l`extérieur, et des conseils pour démentir les rumeurs qui déforment l`image des manifestants ainsi que ce mouvement de révolution. Des jeunes s`occupent du nettoyage, ne laissant aucun papier par terre, d`autres vendent des drapeaux. Des médecins et des pharmaciens montent sur pied des hôpitaux pour traiter les blessés et les malades. Des vendeurs ambulants ont trouvé dans ce monde exceptionnel leur gagne-pain, perdu dans leurs quartiers. C`est une patrie idéale que les manifestants ont créée avec ses codes, ses propres mesures de sécurité, ses disciplines, ses médias et aussi ses moyens de vivre. C`est l`Egypte à laquelle ils rêvent. Tous les gens sont là, riches et pauvres, jeunes et âgés, musulmans et

chrétiens, des gauchistes et des Frères musulmans et beaucoup d`autres qui n`appartiennent pas à des partis politiques. Des milliers et parfois des millions réclament plus de liberté, d`égalité, de dignité et de démocratie même s`ils sont divisés encore sur les moyens d`application. Après deux semaines de la révolution du 25 Janvier, des banderoles portant des slogans très humoristiques sont hissées : « Va t`en, j`ai mal au bras », « Dégage, j`aimerais prendre une douche », « Dehors, ma fiancée me manque », des slogans qui demandent au président Moubarak de quitter le pouvoir. Chaque jour, la place, devenue épicentre des événements, témoigne des scènes exceptionnelles : un nouveau couple vient y célébrer son mariage, des familles ordinaires accompagnent leurs enfants pour qu`ils soient témoins de scenes importantes de l`histoire de l`Egypte. Une messe du dimanche rassemble des chrétiens protégés par des musulmans en présence de cheikhs, des prières de l`absent pour commémorer les martyrs de la révolution en présence de leurs familles. Des martyrs que les membres de la révolution à Tahrir considèrent négligés par le président de la République qui ne les a cités dans aucun de ses discours. « Nous n`avons pas confiance en un président qui a passé sous silence la mort de nos enfants », dit un homme âgé à Tahrir.

Réclamer mon droit à la vie

Et les histoires qui ont mené ces
manifestants à la place n`en finissent pas,
chacun tient à raconter la sienne. Mohamad
Abdel-Aziz, chauffeur, raconte : « Je
n`arrivais ni à travailler ni à vivre à cause des
pots-de-vin que je devais payer chaque jour
aux agents de police pour me laisser
travailler. Je suis venu ici pour réclamer mon droit à la vie ». Ahmad Chams, plombier,
poursuit : « J`ai essayé plusieurs fois d`avoir un crédit du Fonds social pour le
développement, mais ils me demandaient toujours beaucoup de garanties, tandis que le
régime laisse les grands s`enfuir avec des sommes énormes ». Amir, jeune comptable, 32
ans, se plaint : « Je n`arrive pas à me marier à cause du régime de Moubarak. Nous
voulons avoir notre part dans les revenus du Canal de Suez, du tourisme et du gaz naturel

». Ossama Abdel-Moneim, avocat, affirme : « J`ai essayé de me présenter comme candidat dans les élections législatives en 2005 devant le ministre du Logement Ibrahim Solimane. Je détenais des documents prouvant sa corruption. J`ai été menacé et les résultats ont été falsifiés. J`ai fait un appel à la Cour de cassation qui n`a pas donné son verdict jusqu`à nos jours ». « Je suis l`imam d`une mosquée au Caire dépendant du ministère des Waqfs, et en même temps, je suis obligé de vendre du foul pour arrondir les fins de mois et subvenir aux besoins de ma famille », dit Amr de sa part.

Des droits au travail, au mariage, à une bonne éducation, à un traitement médical ... à une vie plus humaine, comme le répète tout le monde.

Khaled, Mohab, Amr et Tareq, de jeunes étudiants dans des écoles et des universités américaines et britanniques au Caire, expliquent qu`ils sont là afin de participer à la révolution bien qu`ils soient issus des classes qui profitent de la présence du régime. « Nous sommes riches. Je n`ai jamais mis les pieds dans un commissariat ou une administration. Je suis venu pour revendiquer la justice sociale, la liberté et la démocratie à tous les Egyptiens », dit le jeune, qui n`a jamais participé à la vie politique, une activité soumise à la loi de l`argent, des intérêts, du pouvoir et des baltaguis (hommes de main) dont ils refusent de faire part. « La dignité est beaucoup plus importante que la nourriture », dit Réda Moussa, homme d`affaires qui, malgré sa vie aisée, exprime sa ranc~ur et sa colère à l`égard du régime de Moubarak comme il le dit. « Nous avons passé deux semaines sans enregistrer un seul cas d`harcèlement ou d`attaque contre une église, ce qui prouve que c`est le régime qui créait ces genres de problèmes », assure-t-il.

Avoir de vrais changements

Des manifestants qui sont déterminés à rester à Tahrir jusqu`à ce que leurs revendications soient réalisées. Certains pensent qu`il faut que le président s`en aille, d`autres pensent qu`il faut avoir de vrais changements, pas seulement des visages qui changent. « Il n`a pas annulé la loi d`urgence,

n`a pas dissout le Parlement », dit Walid, comptable le matin et vendeur de kochari le

112

soir. Il ajoute que le président pense que la population va se lasser avec le temps, mais ce
n`est pas le cas. « Nous sommes ici en permanence, et chaque jour, nous gagnons plus de

Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857

Société

Enfants . Ils sont sur tous les fronts. Qu`ils soient parmi les manifestants à la place Tahrir, membres des comités populaires pour défendre leurs quartiers, ou tout simplement braqués devant les écrans de télés, ces petits vivent les événements à leur manière. Tour d`horizon.

Ces bouts de choux font la révolution !

« Le peuple veut faire tomber le régime », scande Khaled, un jeune protestataire âgé de six ans, tout en tenant une pancarte à la main et placé sur les épaules de son père présent ici à la place Tahrir. Comme des centaines de milliers d`Egyptiens se rassemblant depuis une dizaine de jours au centre-ville, Khaled manifeste avec son père, Yasser, et réclame comme lui plus de justice, d`égalité sociale et de démocratie. Bien qu`il ne sache pas vraiment ce que signifie ces mots, Khaled ne cesse de scander des slogans réclamant le départ du président, tels que « Irhal, irhal (dégage, dégage) » et « Celui qui aime l`Egypte ne détruit pas l`Egypte », des

slogans qui sont répétés ces derniers jours par les enfants comme par les adultes. Dès le premier jour, nombreux sont les parents présents à la place Tahrir qui ont tenu à emmener leurs gosses sur scène et ce pour contribuer et surtout pour être témoins de cet événement historique et le raconter par suite à leurs enfants. Une vraie alliance des générations est visible dans la rue égyptienne. « Ce n`est pas un simple mouvement de protestation, mais une révolution populaire. Nous avons été passifs pendant des années. Il est temps de dire non. Nous en avons assez », lance Yasser, un fonctionnaire qui tient à expliquer les détails de ce mouvement populaire à ses enfants. « Si nos jeunes ont réussi à changer l`histoire du pays, ce sont nos enfants qui dessineront les traits de

l`avenir de cette nouvelle Egypte », ajoute Yasser. Hassan, un élève en sixième primaire, a campé pendant toute une semaine avec sa mère et son père à la place Tahrir. Ses parents appartenant à la classe défavorisée partagent les souffrances de milliers d`Egyptiens. Hassan comprend qu`il s`agit d`une colère populaire, mais il ne connaît pas les raisons. Ici, il manifeste et est sur la même longueur d`onde avec les jeunes. « Tant que ma maison est en danger et que mes parents n`arrivent pas à boucler les fins de mois, je ne quitterai pas les lieux », lance cet élève d`un ton ferme et déterminé.

En effet, le déclenchement de cette révolte populaire a coïncidé avec les vacances de mi-année dans les écoles. Emprisonnés chez eux à cause du couvre-feu, tous les enfants suivent ce qui se passe sur les écrans. Mêmes scènes, mêmes images et mêmes slogans. Les foyers égyptiens vivent aujourd`hui dans une ambiance électrique. Du matin au soir, la famille vit le même rythme, les enfants aussi. Dans les foyers, les enfants vivent difficilement cet état d`urgence. Dans de telles conditions, il est souvent difficile de les rassurer. Car les images diffusées et le bruit des tirs de balles qui retentit le soir dans leurs quartiers sont capables de les effrayer. Et le fait de leur parler de sécurité n`arrive pas à les persuader ni à les calmer. Un sentiment de terreur accentué par la présence de ces chars de l`armée à l`entrée de leur quartier et ces hélicoptères qui ne cessent de faire le tour au-dessus de leurs immeubles. « Nous étions habitués à voir ces scènes au panorama du 6 Octobre ou à la télé lorsqu`on nous parlait de la guerre de 1973. On pensait que ces scenes ne se déroulent qu`en Iraq ou en Palestine. Jamais je ne pensais que j`allais voir de telles scenes de guerre en Egypte », dit Dalia, 12 ans, demandant à sa mère si on était en train de vivre un véritable état de guerre.

« Est-ce que je serai emprisonné chez moi encore pour longtemps ? Ce couvre-feu va-t-il durer ? J`ai envie de reprendre ma liberté et mon rythme de vie normal. Cela fait presque deux semaines que je n`ai pas vu mes amis, ni assisté à mes entraînements de football. C`est une situation difficile. La journée est longue et je m`ennuie beaucoup. Tout est interdit. Ma mère ne me laisse pas regarder la télé parce qu`elle suit les nouvelles », se plaint Fadia, une fille de six ans.

Déjà politisés

Nasma, sa sur aînée, a un autre regard des choses. Elle suit de près les événements et a sa propre analyse politique. « Je suis triste pour les morts et j`étais encore plus triste quand j`ai entendu qu`ils ont utilisé des gaz lacrymogène et des balles pour les disperser », confie-t-elle. La panique de Nasma s`est accentuée lorsque son père avait décidé de joindre les rangs des manifestants. Elle apprend par cur les noms des jours décisifs qui ont marqué cette révolte populaire.

« Le vendredi de la colère », « le vendredi du départ », « le dimanche du silence ». Dans sa maison située dans le quartier de Maadi, Fadia ressent la panique et l`angoisse de sa mère même si cette dernière fait tout pour dissimuler ses sentiments. « Ma mère ne cesse d`invoquer Dieu et de réciter des versets du Coran pour que tout se passe calmement et que ces longs jours d`attente se terminent bientôt », confie Nasma.

Angoisse, dépression, troubles du sommeil, vomissement et rétention d`urine, tel est l`état de Dalia, 8 ans. Cette fille tient à passer les quelques heures de sommeil sur le même lit, entourée de sa mere et ses deux surs. Et avant d`aller au lit, elle demande à sa mère quelques conseils pratiques pour ne pas faire de cauchemars. « Faut-il que je récite les quelques versets de Coran que j`apprends par cur ? Puis-je penser un peu aux derniers films comiques que j`ai regardés à la télé ? », demande Dalia.

Une inquiétude que partage Karim (11 ans) qui vit un quotidien chamboulé depuis le début de cette crise. « Les premiers jours ont été les plus forts. J`avais un fort sentiment que ces prisonniers qui ont fui vont venir nous agresser et attaquer nos maisons », dit-il. Aujourd`hui, ce qui le préoccupe le plus c`est de s`assurer que sa maison est bien protégée. Chaque nuit, il ne va au lit qu`après avoir vérifié que les portes et fenêtres sont bien fermées.

Jour après jour, il s`adapte de plus en plus et s`intéresse plus aux nouvelles politiques. « J`ai suivi avec beaucoup d`intérêt le nouveau gouvernement. Mais, ce qui m`intéresse le plus c`est de savoir qui sera le prochain ministre de l`Education ? Pourquoi ne l`ont-ils pas nommé jusqu`à présent ? Les vacances vont bientôt se terminer. Allons-nous retourner aux écoles sans ministre de l`Education », s`interroge

Karim. Dina est mère de deux enfants : Mohamad et Nour, âgés de 9 et 11 ans. Elle est fière de constater que ses deux enfants sont très politisés en ce moment. Leurs yeux sont braqués sur les écrans et suivent les nouvelles diffusées dans les chaînes satellites. Ils connaissent les noms du vice-président récemment nommé, ainsi que le premier ministre et sont curieux d`apprendre leurs CV. « Ces derniers événements semblent les stimuler et les introduire dans le monde des grands. Ils étaient habitués à entendre leurs parents discuter de politique. Aujourd`hui, ils ont des dizaines de questions à poser », dit Dina, la mère. Ses enfants lui demandent : « Qui est ElBaradei, est-ce qu`il sera un jour notre futur président ? Est-ce que nous pourrions choisir notre président parmi de nombreux candidats ? ».

Chez Dina, quelques enfants de l`immeuble se rassemblent pour jouer, se divertir et oublier le traumatisme et les scènes de violence qui se déroulent à la télé. Une façon de passer ces heures de couvre-feu dont la durée change d`un jour à l`autre. « J`ai emmené mes enfants hier pour faire quelques courses. C`était leur premiere sortie depuis le déclenchement des manifestations et l`application du couvre-feu. Ils étaient choqués de voir comment est devenu notre quartier qui ressemble à un champ de guerre », raconte Heba, femme au foyer et mere de trois enfants. « Ce n`était plus notre quartier, magasins complètement pillés et voitures cassées. L`armée est déployée dans les rues et il n`y a plus de police », confie Chéhab, 14 ans. Même les jeux d`enfants s`inspirent de la situation. Doudou, 5 ans, dit à sa sur : « On va jouer à la guerre : moi, proMoubarak et toi contre ».

Dans le rôle de miliciens

Une fois le couvre-feu instauré, le rythme de la ville tombe d`un coup et là, c`est le cortège de barrières et de contrôles dirigés par les civils. Ces derniers dans les quartiers sont organisés en patrouille portant des brassards blancs et font siège toute la nuit dans les différents quartiers dans un climat bienveillant et permettent aux personnes de mieux se connaître. Tenant un bâton en bois en main, Akram, un enfant de 9 ans, passe la nuit debout devant son immeuble avec son père. Il fait partie de ces comités populaires créés pour protéger les foyers, les familles et les biens publics. Il est 4h du

matin, Akram fait tout pour rester éveillé et se rappelle des paroles de sa mere qui l`a mobilisé. « Tu dois descendre dans la rue pour nous défendre, moi et ta sur. Si tu laisses les cambrioleurs, ils pilleront notre maison et menaceront notre sécurité », lui at-elle dit. Des instructions qui ont renforcé chez le jeune Akram ce sentiment de responsabilité et de devoir envers sa patrie. « Si nous ne réussirons pas à défendre notre quartier et nos voisins, nous ne serons pas des hommes dignes de ce pays et nous ne mériterons pas de porter le titre Egyptiens », confie ce jeune garçon.

Vivre sa vie

Si le sentiment de patriotisme pèse chez le jeune Akram et dirige ses actes, son frère de cinq ans n`a qu`un seul rêve : reprendre son train de vie normal. « J`aspire à aller au club pour jouer et j`attends avec impatience que les restaurants de fast-food rouvrent leurs portes pour faire une commande ».

Les événements continuent et la scène politique change assez vite. Et les enfants ne sont qu`un élément de cette scene. Chose évidente : ils rêvent tous que ces jours de tension se terminent et qu`ils puissent de nouveau s`amuser et jouer « en sécurité ». Un terme dont la vraie valeur a été assimilée, ces derniers jours, par enfants et adultes à la fois.

Chahinaz Gheith

Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857

Egypte

Frères Musulmans . Ils exploitent les manifestations en cours pour occuper le devant de la scène politique, niant toutes aspirations à accéder au pouvoir. Des affirmations qui laissent dubitatif. Décryptage.

Sincérité ou calculs politiques ?

Après avoir observé avec prudence la première manifestation contre le régime Moubarak, les Frères musulmans ont pris part de manière plus active au mouvement de protestation. Ils sont maintenant aux premières loges des manifestations, se mêlent à des opposants laïcs, des gauchistes et de jeunes adeptes des réseaux sociaux sur Internet.

En fait, si les Frères musulmans ont été toujours présents sur la scène politique, ils ne l`ont jamais été avec une telle force. Ils sont désormais moins réservés qu`ils ne l`étaient au début de la contestation. « Moubarak dégage », ne cessent de scander depuis « le vendredi du départ » plus d`un million de manifestants.

Et pourquoi pas alors que pour la première fois, le régime leur tend la main ? Le nouveau vice-président Omar Soliman a ouvertement appelé cette semaine la confrérie des Frères musulmans à participer au dialogue entamé entre le régime et les forces d`opposition. Une concession sans précédent envers un mouvement islamiste que le régime a interdit en 1954. Depuis sa création en 1928, par Hassan Al-Banna, la relation de cette confrérie avec le régime a toujours vacillé entre intransigeance et tolérance (une tolérance qui n`est jamais allée jusqu`à sa reconnaissance officielle en tant que force politique). « Cette reconnaissance ne rajoute rien aux Frères musulmans qui ont toujours tiré leur légitimité de la rue et non pas d`un régime corrompu », estime AbdelMoneim Aboul-Fotouh, responsable à la confrérie. Selon lui, il faut remettre la

révolution des jeunes dans son contexte. « Il s`agit de manifestations patriotiques contre un régime autoritaire. Les Frères musulmans, en tant que force politique organisée et capable de mobiliser, prennent part à ce mouvement comme le font les autres forces d`opposition », s`exprime Aboul-Fotouh. Il rejette également toutes les accusations de vouloir s`emparer de la victoire des jeunes. « Nous étions présents dès le 25 janvier mais si maintenant notre présence est plus accentuée sur la scene, c`est pour soutenir ces jeunes et faire face à l`obstination du régime qui veut défigurer leur sainte révolution et contourner leurs revendications légitimes », poursuit Aboul-Fotouh qui pense que le régime n`a répondu jusqu`à présent qu`au minimum de leurs demandes. « Le limogeage du gouvernement ou le changement de figures à la tête du PND ne concernent pas les jeunes qui les considèrent comme des manuvres. Si le régime était sérieux pour une véritable réforme, pourquoi n`a-t-il pas évoqué des questions comme la dissolution du Parlement, la suppression de l`état d`urgence, la liberté de créer des partis et une nouvelle Constitution ? », s`insurge Aboul-Fotouh qui assure que les Frères soutiendront cette révolution jusqu`au bout.

Mais alors quels sont les fruits que pourrait récolter la confrérie dans un scénario d`après-Moubarak ? Cette question préoccupe les Egyptiens, elle est aussi redoutée par les Occidentaux et Israël.

Leurs grandes ambitions

Selon les observateurs, c`est la révolution des jeunes internautes secouant l`Egypte depuis plus de dix jours qui offrent maintenant aux Frères musulmans une chance d`atteindre l`une de leurs grandes ambitions : avoir ouvertement un rôle reconnu dans la politique du pays. Même si le but ultime et discret non révélé des Frères musulmans reste l`instauration d`un Etat islamique, pour l`heure, les dirigeants ménagent leur fragile alliance avec les activistes laïques.

« Nous sommes très clairs : nous sommes là, mais uniquement pour répondre aux besoins de la nation, pour protéger et soutenir la révolution des jeunes. Notre but commun est de renverser le régime corrompu et despotique de Moubarak », souligne

Mahdi Akef, ex-guide suprême de la Confrérie. Ne niant pas le fait que ce mouvement soit le mieux implanté et organisé, des analystes pensent que la confrérie pourrait jouer un rôle politique majeur dans l`Egypte d`après-Moubarak. Surtout qu`ils sont très présents dans de nombreuses institutions caritatives ou syndicales. Des services sociaux qui pallient l`inefficacité de ceux du gouvernement. Mais toujours discret, Mahdi Akef refuse d`évoquer pour le moment l`agenda politique du groupe. « Tous les efforts sont actuellement consacrés à ce but saint. Il n`est pas question de parler d`aspirations ou d`intérêts partisans », indique Akef.

Ils jurent tous ne souhaiter qu`une seule chose : un système politique juste garantissant des élections libres. Mohamed Al-Beltagui, membre du bureau politique de la confrérie, a assuré que les Frères musulmans n`ont pas l`intention de briguer la présidence lors des élections prévues en septembre prochain. Ils ne participeront pas à un gouvernement de coalition prochain. « Le régime veut donner un caractère islamique à cette révolution afin de la réprimer davantage », ajoute-t-il. Pour Ammar Ali Hassan, politologue, les Frères musulmans ont un ancrage dans la société. Il ne redoute pas qu`ils soient la force majeure de la scene politique pluraliste et démocratique de l`aprèsMoubarak vu leur potentiel politique et social. Toutefois, selon lui, les pressions étrangères ainsi que les tentatives du gouvernement de promouvoir l`idée d`une islamisation de l`Egypte les obligent à remettre leurs ambitions politiques. Ainsi, la confrérie se contente pour l`instant d`être à l`arrière-plan. « La confrérie sait que cette perspective inquiète à la fois les autres pays arabes et occidentaux, en particulier le voisin israélien. En choisissant de se ranger derriere l`Association nationale pour le changement, fondée par Mohamed ElBaradei, elle veut envoyer un message rassurant au monde entier », explique Hassan.

En fait, l`arrivée des islamistes au pouvoir n`est pas exclue, même si elle reste lointaine. Mais le plus important est de savoir si la structure idéologique et politique de la confrérie est capable d`assimiler la notion civile et laïque de l`Etat. « Tout le monde est d`accord pour un Etat de droit et démocratique. Nous ne voulons pas l`instauration d`un Etat islamique mais un Etat qui se base sur la charia. Il n`y a aucune contradiction dans ce que nous avançons. L`islam est pour la diversité, la démocratie, le respect et la

protection de la liberté de culte », réitère Abdel-Moneim Aboul-Fotouh. Il rappelle que le mouvement a formellement renoncé à la violence dans les années 1950 et s`efforce depuis lors d`obtenir une représentation politique par la voie des urnes.

Mais pour Ammar Ali Hassan, il est difficile de prédire quelle voie la confrérie pourrait emprunter si elle était à nouveau légalisée et autorisée à présenter des candidats sous sa propre bannière. Gharia ou pas ? Quel sera le statut des chrétiens? Quels seront les droits des femmes ? Quelles seront les relations avec Israël? Des questions fondamentales que les responsables des Frères préfèrent éluder selon Ammar.

« A titre d`exemple, les Frères musulmans s`opposent au traité de paix avec Israël et revendiquent le droit à la résistance armée contre l`Etat hébreu mais ils affirment qu`ils ne reviendront pas sur le traité. Ils veulent imposer la charia mais assurent qu`ils n`obligeront pas les femmes à porter le voile en public », conclut Hassan.

May Al-Maghrabi

Semaine du 28 septembre au 4 octobre 2011, numéro 890

Dossier

Expositions . Les murs de Townhouse sont pour quelque temps dédiés aux graffeurs, libres de s`approprier l`espace. L`idée n`est pas nouvelle mais aura en Egypte des conséquences importantes sur les autres formes d`art et leur public.

Le graffiti : désinhibiteur de l`art traditionnel

Ils sont présents partout et possèdent un message éminemment politique. Sous les ponts, sur des murs ou des bâtiments, les couleurs arrivent, les images apparaissent. En quelques mois, le graffiti a acquis une maturité de plusieurs années. Le responsable de cette envolée significative ? La révolution, seulement la révolution.

Les débuts furent cependant difficiles et un certain nombre de tags ou de graffs furent effacés par des citoyens aux « bonnes intentions » douteuses. Trouver un « Moubarak, dégage » écrit sur un mur qui entoure Tahrir relève désormais de l`impossible. Seules les inscriptions peu en vue subsistent. C`est dommage, l`Histoire mériterait d`en conserver quelques-uns. Mais la nature du tag ou du graffiti n`est-elle pas d`être éphémère ? D`autres apparaissent sur les façades fraîchement repeintes de blanc et le cycle continue.

La galerie Townhouse, toujours en quête de nouvelles formes d`expression, a cette fois réussi son pari : donner un cadre à la hauteur de la qualité des graffitis. Car résumer cette forme de création en un simple « art de rue » provenant de jeunes sans éducation artistique serait se situer bien loin du phénomène. Banksy, célèbre graffeur anglo-saxon connu notamment pour ses dessins sur le mur qui sépare Israël de la Palestine, a prouvé que le graffiti pouvait rivaliser sans honte avec les formes d`art plus traditionnelles.

En Egypte, un dénommé Keiser est désormais un artiste en vogue connu pour ses pandas qui rappellent l`attitude de l`ancien président. Présent à Townhouse, il réussit une fois de plus à fondre son dessin dans le contexte. C`est toute la force du graffiti : s`adapter à la disposition des lieux, en l`occurrence une usine désaffectée.

Keiser n`est qu`un exemple parmi d`autres et les graffs ont de belles chances de devenir une des formes d`art les plus populaires du pays. Faciles à comprendre, souvent ludiques, moqueurs ou cyniques, ils interpellent le regard par leur présence inattendue d`une rue à l`autre. Aux Etats-Unis, les graffs ont rapidement été intégrés à d`autres formes d`art et sont rentrés avec force dans les galeries. L`Egypte suivra-t-elle le même chemin ? En proposant au regard du plus grand nombre des expressions de qualité, le graff ne peut avoir qu`un impact positif sur l`intérêt du public pour des formes plus classiques comme la peinture ou la sculpture. Il est une porte d`entrée pour ceux qui n`osent pas franchir les pas qui les séparent du monde de l`art.

En brisant les frontières et en rentrant dans les galeries, le graff deviendra une forme d`inspiration privilégiée pour les peintres des dernières générations. Alors que les nouvelles formes d`expression comme les vidéo-montages ou les installations ne parviennent pas à se bâtir une personnalité affirmée en Egypte, le graff, plus récent encore, a déjà fait ses preuves. Un détour par Townhouse s`impose à ceux qui veulent savoir ce que sera l`art en Egypte lors des années à venir.

Alban de Ménonville

Semaine du 8 au 14 février 2012, numéro 908

Idées

Edition . Al-Nouri Ebeid, président de l`Union des éditeurs tunisiens, préside la délégation tunisienne au Salon international du livre du Caire. Il livre son point de vue sur cette 43e édition. Entretien.

« Après les révolutions arabes

vient le printemps du livre »

Al-Ahram Hebdo : Comment évaluezvous la 43e édition du Salon international du livre du Caire dont la clôture est prévue le 10 février et dont votre pays est l`invité d`honneur ?

Al-Nouri Ebeid : En dépit de tout le

désordre dans la rue égyptienne, j`apprécie

l`organisation de cette manifestation culturelle. Le Salon a maintenu la diversité des livres cette année malgré la difficulté de la situation en Egypte. Cela fait vingt ans que je participe au Salon du livre du Caire. En tant qu`observateur, je peux affirmer qu`il n`y a eu aucune interdiction de livre durant cette édition par rapport aux années passées. Des homologues et collègues de quelques pays arabes et étrangers n`ont pas pu venir cette année à cause de la confusion et du changement des dates d`ouverture. Nul doute qu`il y a eu beaucoup d`efforts déployés pour tenir un Salon pareil, notamment pour ce qui est des pavillons. L`inauguration était beaucoup plus simple que lors des éditions précédentes. Il n`y a pas eu cette présence intensive des forces de l`ordre. Je pense que l`inauguration cette année avait une bonne influence sur tous les participants. En fait, cette édition en janvier m`a permis de participer à l`anniversaire de la révolution du 25 janvier.

-- Vous-êtes vous rendus à Tahrir le 25 janvier, puisque le Salon a fermé ses portes ce jour-là ?

-- Le Salon international du livre du Caire cette année était une bonne occasion pour moi parce que j`ai participé à la manifestation qui est partie du quartier de Doqqi vers Tahrir. J`étais avec les gens dans cette manifestation qui visait à ne pas oublier les victimes et les martyrs de tous les incidents depuis le 25 janvier 2011. La manifestation a commencé à Doqqi avec des cercueils représentant les martyrs, traversant la rue Tahrir et l`Opéra pour finir à la place Tahrir. J`étais très content de voir la participation des gens et des jeunes. Même les personnes âgées qui n`ont pas pu descendre ont participé à partir de leurs balcons. Je remercie les circonstances qui m`ont permis de venir en Egypte pour le Salon du livre et l`anniversaire de la révolution égyptienne.

-- Pensez-vous que la participation de la Tunisie au Salon cette année ait reflété la diversité des maisons d`édition tunisiennes ?

-- La Tunisie cette année, en tant qu`invitée d`honneur, était soucieuse d`avoir une présence particulière, notamment après la révolution dans ce pays. Nous avons organisé des colloques sur les nouvelles publications, le cinéma et le théâtre. 35 maisons d`édition ont participé à cette 43e édition. Elles ont présenté au public égyptien des publications sur la révolution tunisienne. Nous parlons de 200 titres ou presque. Le slogan de notre pays était « Le livre porte les révolutions arabes ». Les intellectuels tunisiens ont essayé de jeter la lumière sur la révolution de leur pays dans leurs publications et le rôle de l`intellectuel tunisien depuis le XIXe siècle. Le slogan de cette révolution était « Le peuple veut » qui est inspiré d`un vers du grand poète tunisien Aboul-Qassem El Chebbi. 40 personnalités parmi les poètes, les spécialistes du cinéma et de la musique ont assisté à cette édition. Nous avons visé la coopération culturelle entre les deux pays.

-- Dans le contexte de la coopération culturelle, deux protocoles ont été signés entre l`Egypte et la Tunisie. Quels sont les points essentiels de ces protocoles ?

-- Nous avons réussi durant cette édition du Salon international du livre du Caire à signer deux protocoles. Le premier est professionnel entre les deux Unions des éditeurs tunisiens et égyptiens. Il s`agit de faciliter la circulation du livre entre les deux pays, d`intensifier l`action entre les éditeurs, d`encourager les bourses d`études et l`échange entre les étudiants des universités des deux pays dans les facultés de journalisme, notamment en édition et en impression, ainsi que les instituts des beaux-arts. Selon ce protocole, les éditeurs dans les deux pays prendront en charge la formation des étudiants. Le second protocole est signé avec le GEBO (l`Organisme général égyptien du livre). Il s`agit de surmonter toutes les difficultés concernant la diffusion du livre dans les deux pays et de soutenir la diffusion du livre dans les expositions locales et internationales.

-- Quel est, selon vous, l`avenir de l`édition numérique pour les maisons d`édition arabes ?

-- Pour ce qui est de l`édition numérique, il existe jusqu`aujourd`hui des difficultés techniques qu`il faudra surmonter, sinon les éditeurs et les écrivains arabes vont se retrouver à l`extérieur de ce système d`ici cinq ans. Il est temps, après le Printemps des révolutions arabes, qu`il y ait un printemps du livre.

Propos recueillis par Rasha Hanafy

Semaine du 1er au 7 février 2012, numéro 907

Dossier

Révolution .Le bâtiment de la Radiotélévision, Maspero, est la cible de manifestations depuis le 25 janvier. Les slogans demandent l`épuration des médias gouvernementaux, accusés de faire de la propagande pro-armée.

La censure continue

« Voici les menteurs ! Ils sont là ! ». Des

cris de colère qui ont fait vibrer les vitres du

bâtiment de la Radiotélévision. Devant cet

immense bâtiment, appelé Maspero, plus de

5 000 manifestants se sont rassemblés et

l`ont encerclé depuis le 25 janvier,

brandissant une même revendication : la

purification des médias égyptiens. Là aussi,

comme sur la place Tahrir, c`est le Conseil

militaire qui est critiqué. Si, depuis quelques

mois, les révolutionnaires et l`armée ne cessent de s`affronter, cette fois-ci, la bataille s`est déplacée sur le terrain de l`information dirigée par l`armée. Des appels et des slogans qui ont provoqué les sentiments d`un bon nombre de personnes qui travaillent au sein du bâtiment et qui ont décidé de rejoindre la manifestation pour revendiquer eux aussi des changements. « C`est l`armée qui contrôle tout notre travail. Tout comme le faisait le régime de Moubarak », criaient-ils.

Il y a de quoi se révolter. Il suffisait de suivre les chaînes publiques durant la journée du 25 janvier dernier, ou encore celle du vendredi de « la dignité » pour ressentir le grand écart qui existe toujours entre la couverture de ces chaînes publiques et la réalité. Les présentateurs, comme pendant l`ère Moubarak, évitent de critiquer le Conseil des forces armées. Bien au contraire, la télévision égyptienne est un instrument de propagande favorable aux militaires.

Une couverture partiale

En effet, sur les différentes chaînes publiques, les présentateurs insistaient dès le début de la journée sur la notion de « fête », alors que sur la place Tahrir, les manifestants criaient fort : « Ce n`est pas une célébration, c`est une révolution ». Des slogans auxquels les chaînes publiques ne semblaient pas vouloir prêter attention. En plus des animateurs, au fil de la journée, n`ont pas cessé de souhaiter une bonne fête à tous les Egyptiens. En outre, ils n`ont pas hésité en fin de journée à diffuser une soirée de célébration qui a lieu à l`Opéra pour fêter le 25 janvier.

La propagande pro-armée n`en finissait pas : des films documentaires sur la révolution du 25 janvier qui montrent le maréchal Tantawi entre les manifestants, des

chars sur lesquels sont inscrits « A bas Moubarak ! », et d`autres sur lesquels aient rassemblés des dizaines de manifestants en faisant le signe de la victoire.

Les informations qui passaient tout le temps en boucle affirmaient : « A l`occasion des festivités du 25 janvier, le maréchal Tantawi a décidé de lever l`état d`urgence ; le maréchal Tantawi a décidé de libérer plus de 3 000 détenus », ou encore : « Le maréchal Tantawi rappelle qu`il a l`intention de transmettre le pouvoir vers la fin du mois de juin ». Une panoplie d`informations qui ne visent qu`à rassurer non pas les manifestants, mais les Egyptiens restés chez eux.

Pour Ahmad Moustapha, réalisateur à la 2e chaîne publique, il ne faut pas toujours voir les choses d`un ~il négatif : « Quelques présentateurs à la télévision tentent non pas de soutenir le Conseil militaire, mais voudraient plutôt ne pas être provocateurs pour ne pas aggraver les choses ».

Que ce soit vrai ou pas, les résultats sont les mêmes. On peut bien le dire : pour ces chaînes de télévision publique, critiquer l`armée reste toujours la ligne à ne pas franchir. S`agit-il d`une instruction militaire ? Est-ce que l`armée impose ces limites ? Ou ce sont simplement ces présentateurs qui ont besoin d`évoluer ?

Ahmad Moustapha insiste sur le fait que les journalistes responsables des journaux télévisés ont besoin de longs mois de formation pour que les mentalités changent et qu`ils comprennent le vrai sens du service public. « Ces personnes ont été formées selon des principes dont ils ne pourront pas se départir en un jour et une nuit. Même s`ils ne reçoivent pas d`ordres directs de la part de l`armée, ils se sont habitués à s`imposer des lignes rouges à ne pas franchir », explique-t-il.

N`empêche que le Conseil militaire impose un monopole exclusif de l`information, car elle reste un enjeu-clé du pouvoir en Egypte. La preuve : le Conseil suprême des forces armées a récemment créé un comité des médias, composé de 11 généraux, sorte d`attachés de presse, chargés de fournir des informations aux médias pour éviter les couvertures, selon eux, « fallacieuses ».

C`est ce qui explique aussi le fait que les vidéos de violences perpétrées par l`armée, largement relayées sur le Web, restent absentes des écrans de la télévision gouvernementale, notamment la fameuse vidéo de la fille torturée par les soldats. Pendant la manifestation de vendredi dernier, l`activiste Alaa Abdel-Fattah, accusé d`attaques contre les militaires, est invité sur une chaîne publique. Une première. Lorsque la présentatrice évoque l`affaire de cette fille torturée, il l`interrompt : « Vous êtes en train de parler d`une affaire que vous avez carrément occultée. Comment voulez-vous en parler maintenant ? ». Le lendemain de cette émission, des vidéos des « militaires sont des menteurs », montrant les violations commises par l`armée, sont reprises en partie sur cette chaîne. Une percée inimaginable jusque-là. Cela dit, il est encore trop tôt pour parler d`une réelle et concrète évolution des chaînes publiques, même si quelques journalistes tentent eux-mêmes de prouver le contraire l.

Chaïmaa Abdel-Hamid

Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857

Evénement

Révolte Populaire . Les manifestations se poursuivent à la place Tahrir face à un gouvernement qui fait des concessions sans parvenir à convaincre. Etat des lieux.

La résistance a la vie dure

« Le peuple veut le départ du régime ». En plein centre de place Tahrir, le slogan scandé par les manifestants est désormais peint en grandes lettres blanches sur l`asphalte de cette « terre libérée ».

Les manifestants appelant au départ du chef de l`Etat ne lâchent pas du lest en entamant leur 3e semaine de protestation.

La semaine dernière a commencé par une scène digne du Moyen Age. Montés sur des chevaux et des dromadaires, des partisans du président Moubarak, armés de fouets, de bâtons, de pierres et de cocktails Molotov, ont attaqué les anti-Moubarak. Une semaine qui s`est achevée sur un chant religieux. Une messe et une prière musulmane sur la place de la Libération à la mémoire des martyrs tombés lors de cette révolution populaire.

Depuis deux jours, la pluie défie les campeurs sur la place autant que le régime qui a entamé un dit « dialogue » avec l'opposition pour pousser les jeunes à évacuer la place et permettre un retour à la normale dans la capitale.

Le nouveau vice-président Omar Soliman s`est ainsi entretenu avec une partie de l'opposition, dont pour la première fois les Frères musulmans. Aucune avancée palpable d`ailleurs. Le régime a une nouvelle fois redit que Moubarak ne démissionnerait pas, qu`il ne déléguera pas non plus ses fonctions à son vice-président comme le propose un « groupe de sages ».

C`est le débat aujourd`hui. Plusieurs politiciens et juristes proposent, comme compromis, que le président délègue ses pouvoirs à Soliman en fonction de l`article 139 de la Constitution. Moubarak, lui, serait un président honoraire mais ira au terme de son mandat. Soliman dirigera de facto le pays et pourrait ainsi entamer une révision de la Constitution pour permettre de nouvelles élections présidentielles, libres surtout, au début de l`automne. Une « transition immédiate » qui permet un respect de la Constitution et évite le scénario du chaos que fait propager le régime.

Des propos rassurants

Ce dernier multiplie les déclarations pacificatrices et les promesses de réformes, mais sans véritable action concrete. La machine de la manipulation de l`opinion est déjà

en marche. Les mêmes vieilles politiques, mais avec de nouveaux visages, tel est le jeu politique.

Une inflexion du discours officiel se dessine. La télévision publique a commencé à montrer pour la première fois des images de la place et la presse gouvernementale parle de plusieurs centaines de milliers alors qu`ils n`étaient que 5 000 la semaine dernière aux yeux des journalistes de l`Etat. Mais parallèlement, plusieurs journalistes égyptiens et étrangers ont été agressés par les « baltaguis », les hommes de main du régime, ou arrêtés par la police en civil ou par l`armée. Certains ont trouvé la mort. Des locaux de télévision satellitaire ont été mis à sac et des matériels confisqués des hôtels où sont logés les journalistes autour de la place Tahrir. Des journaux indépendants ont même reçu des « remarques » pour faire « baisser le ton » anti-Moubarak.

Symbole du changement de forme, Moubarak, en tant que chef du Parti National Démocrate, a limogé le comité exécutif du parti, dont son fils Gamal Moubarak et le secrétaire général du parti, le redouté Safouat Al-Chérif. Ils restent pourtant membres du parti et parmi leurs successeurs dans le bureau influent deux hommes très proches de Moubarak fils et fervents d`une succession dynastique. Le président reste toujours à la tête du parti, malgré des rumeurs de démission démenties par la suite.

Un premier ministre au calme éloquent

Le nouveau premier ministre lui aussi est resté au niveau des promesses. Il promet d`ouvrir une enquête sur le retrait bizarre des policiers le 28 janvier, et une enquête similaire sur la « conquête des chameaux » sur la place Tahrir. Mais il reste là. Aucune démarche n`est entreprise, aucune personne n`est interpellée dans le cadre de cette promesse. Même le ministre de l`Intérieur, pointé du doigt dans ce chaos sécuritaire, est soumis à une investigation du Parquet dans le cadre d`une autre affaire : sa présumée implication dans l`attentat de l`église des Deux saints à Alexandrie au début de l`année.

Des changements progressifs de façon à faire croire qu`il continue à céder pour apaiser les manifestants et absorber la colère de la rue, mais aussi pour pousser ces Egyptiens campant chez eux à se retourner contre les manifestants. « Le gouvernement a tout fait », croit-on.

Les propos des sages

Des penseurs et politiciens demandent ainsi aux forces armées d`être le garant de ces promesses, surtout de la non représentation de Moubarak aux prochaines présidentielles ni celle de son fils. Ils ont tendance à croire que si les manifestants rentrent chez eux, Moubarak finira par faire marche arrière en organisant des manifestations de soutien en sa faveur pour qu`il reste au pouvoir. Une hypothèse pessimiste mais qui n`est pas à écarter complètement, surtout que les Occidentaux, avec en tête Washington, commencent à lâcher leur pression sur le régime.

Moubarak a réussi à convaincre l`Occident que la seule alternative à son départ est la confrérie des Frères musulmans. Obama, les yeux fermés, le croit et omet que ceux qui

sont rassemblés sur la place ne sont pas en majorité des islamistes.

L`écrivain Mohamad Hassanein Heykal, ex-conseiller politique du président Nasser, estime que le régime ressemble à un blessé et aspire à la vengeance plus qu`il ne se soucie d'une grande dislocation du pays.

« Nous sommes confrontés à un régime qui ne veut pas partir et ses restes, à l`instar des mafias, manipulent en coupant uniquement leur queues ». Il suggère un départ de la scene du président Moubarak et le début d`une phase transitoire « pour un dialogue sérieux », laquelle serait dirigée par un gouvernement d`union et un conseil juridique jusqu`à l`élaboration d`une nouvelle Constitution. « Pour tous ceux qui veulent voir, entendre et comprendre, qu`ils sachent que les revendications du peuple ont été entendues, dont la première demande est la destitution du président Moubarak », ajoute Heykal.

Au palais Al-Orouba, et plus de deux semaines après la révolte, la voix de la rue est loin d`arriver en dépit de ces jeunes reçus par le vice-président. Celui-ci ne manque pas de les décrire comme des jeunes idéalistes manipulés par « une main étrangère ». Le chef de la diplomatie accuse, sans les nommer, des diplomates étrangers d'avoir tenté de faire entrer des armes et des appareils de télécommunications dans des valises diplomatiques. Dans le même temps, une nouvelle bribe est jetée aux Egyptiens. Le gouvernement annonce une prime salariale de 15 %.

Samar Al-Gamal

Semaine du 2 au 8 février 2011, numéro 856

Evénement

Manifestations . Vendredi 28 janvier, des milliers de manifestants ont envahi le centre-ville, venus de tous les coins du Caire pour exprimer leur contestation du régime. Une vraie bataille rangée entre policiers et citoyens qui ont accueilli avec soulagement l`armée. Mais ils restent décidés à réaliser leurs objectifs.

La colère gronde place Tahrir

L`appel de la prière de midi du vendredi était le signe du rassemblement de tous les manifestants qui ne se reconnaissent pas d`avance, d`ailleurs, dans les mosquées d`Egypte. Dans une mosquée située dans la ruelle intitulée « le prince Qadadar dans le quartier Bab Al-Louq, la situation était calme à tel point que les policiers qui se trouvaient sur place sont allés pour prier eux aussi en laissant leurs prononcé dans les micros « Al-Salmou alikom wa rahmet Allah », signe de la fin de la prière, des centaines de citoyens ont surgi, donnant l`impression d`être venus de nulle part, paraissent dans quatre les coins de la rue en criant « Ah » (signe de douleur). Il a suffi de deux cris de ce genre, et avant le troisième ils se sont tous arrêtés. Ce qui n`a pas empêché la foule des manifestants d`affluer et de lancer à plusieurs reprises le principal slogan de cette vague de protestation, voire de révolution « Al-Chaab youride isqat al-nezam (le peuple veut le renversement du régime) », criait même Doha, une jeune fille de 12 ans accompagnée par sa famille et qui serrait dans de ses bras le drapeau égyptien tandis que l`autre main, elle portait une bouteille de Coca. Des dizaines, voire des centaines de milliers de manifestants arrivaient chaque minute en passant par de nouvelles rues. Tous avaient le même but, arriver à la place Tahrir, lieu de rassemblement de tous les manifestants. Mais c`était impossible de dépasser les barrières humaines formées par la police antiémeutes dont le chef essayait d`encourager ces gendarmes en criant : « Allez les hommes pour réaliser la victoire », comme si c`était une guerre entre Egyptiens et Israéliens.

Le temps passe et le nombre de manifestants augmente. Ils sont tous encerclés et bloqués par la police qui faisait tout son possible pour les empêcher d`arriver à la place Tahrir mais sans pouvoir les décourager. Soudain, et vers 14h, un bon nombre de bombes lacrymogènes commencent à tomber sur les têtes des gens. Brûlures aux yeux, des larmes involontaires et difficultés de respiration. Certains lancent des cris. « Tenez du coca et versez-le sur les yeux », lance Amina, qui paraît une femme aisée selon sa tenue et explique à haut voix qu`il ne faut jamais mettre de l`eau sur les yeux. « Ce sont des précautions, c`est nos frères de Tunisie qui nous les ont envoyées, sur facebook, comme mesures de protection contre ces bombes ». Elle fait sortir aussi de son sac de l`oignon et du citron en les distribuant aux gens qui ont des problèmes de respiration pour les sentir. Des moyens simples mais qui ont aidé beaucoup les gens à continuer

leurs manifs. Un chaos pour quelques minutes, tout le monde s`occupe de soigner les manifestants atteints. Ils sont vraiment la main dans la main, les femmes du haut des balcons jettent des bouteilles d`eau et des boissons, la seule pharmacie ouverte distribue des masques, Am Moustapha, propriétaire d`un kiosque, encourage les jeunes et distribue des boissons gratuites en criant : « Allez les jeunes, les Egyptiens sont capables de réaliser le changement comme nous l`avons déjà réalisé pendant la Révolution de 1952 », des paroles qui ont enflammé ces révolutionnaires. Des milliers ont couru courageusement vers les barrières humaines policières, un assaut quasiment révolutionnaire qui oblige les policiers à reculer. Les manifestants avancent mais le scénario se répète, des bombes de plus en plus bruyantes et étouffantes qui ont cette fois blessé un policier et cinq gendarmes responsables de sécuriser une église.

L`Etat chahuté

Mais à cause de la haine et de l`antagonisme qui existent entre citoyens et policiers, personne n`a eu pitié d`eux et en plus, les manifestants ont essayé de les frapper. Mais certains, plus raisonnables, ont essayé de les faire échapper des mains des jeunes qui étaient au comble de la colère. Le seul endroit sûr pour cacher et sauver ces policiers était le siege de l`agence de presse nationale MENA. Mais même les journalistes et les fonctionnaires de cette agence officielle n`ont pas pu fuir des insultes, les manifestants les considérant comme des partisans du régime. Des querelles, des insultes et des moqueries envers cette fondation afin de faire sortir les policiers, mais ces derniers étaient en un état très grave. Car ils étaient de faction dès le début de la journée et ils ont aspiré une grande quantité de gaz lacrymogènes. « Je ne sais pas pourquoi toute cette violence ; les manifestants ne portent pas d`armes, pourquoi on tire contre eux ? », se demande Naguib, un gendarme qui vient de la Haute-Egypte en pleurant. Il se demande « Pourquoi les gens voulaient nous attaquer ? Je suis debout depuis 5h du matin pour protéger l`église, qu`est-ce que j`ai commis comme faute contre ces gens ? Mon travail est de les protéger, est-ce que c`est normal ? Les gens savent que je reçois des ordres que je dois exécuter ». Enfin, il crie à haute voix, enlève sa veste et jette son arme par terre et crie : je suis libéré et je vais participer avec ces manifestants, et il sort en criant : Tahia Masr, Tahia Masr (vive l`Egypte).

L`armée arrive

C`est ce cri qu`ont lancé les manifestants avec
d`autres slogans lorsqu`ils ont pu finalement
investir la place Tahrir. Et là, ce fut un brai forum
politique marqué de chants. Des intellectuels et des
membres des mouvements de la société civile
étaient là. On relevait aussi une présence très
marquée, dont de très jeunes filles. Voilées et non
voilées se côtoyaient. Les jeunes liaient
connaissance. Etudiants, jeunes fonctionnaires au
revenu limité et des universitaires occupant des
emplois subalternes, un licencié ès lettres françaises est vendeur dans un magasin. Les

cris vont avec l`idée qu`il faut résister jusqu`au bout. La police s`est retirée, laissant la place à un plus grand nombre de manifestations. C`était une sorte d`intermède absurde. Dans les ruelles, on voyait les policiers à la recherche de sandwiches et de thé. Un répit qui n`a pas trop duré et la brigade anti-émeutes a lancé sa campagne ; bombes lacrymogènes, balles caoutchoutées, sons assourdissants. Les cris s`élèvent ici et là. C`est un vrai champ de bataille. Les manifestants résistent et semblent déterminés à rester sur place.

A mesure que le temps passe, la violence augmente. Des gens affirment qu`il y a eu des tirs à balles réelles. Et puis on a vu la police reculer. Une annonce diffusée par la radio fait état d`une prise en charge de la situation par l`armée. Une premiere en quelque sorte. Les forces de sécurité tentent de se venger, ressentant de la ranc~ur pour cette prise en charge de l`armée. Une sorte d`affrontement a eu lieu entre les deux et l`armée est venue avec ses chars, acclamée par la foule, distribution des cartons de nourriture et des bouteilles d`eau. Et les échanges se poursuivirent jusqu`à la dernière minute et en présence de l`armée, la police a continué à tirer. L`armée a manifesté du sang-froid. Entre-temps, dans la mosquée rue Qadadar, les blessés qui y ont été évacués étaient soignés. Au micro, le cheikh lançait un appel pour que les médecins arrivent. Les choses se calment et les manifestants reprennent souffle, ils maintiennent leur position. Ils veulent un changement de régime et ils resteront jusqu`au bout sur la place.

Chérine Abdel-Azim Ahmed Loutfi

Semaine du 2 au 8 février 2011, numéro 856

Evénement

Manifestations . Les manifestations contre le régime ont été marquées par des scènes de pillage

Le désordre

Tout au long des manifestations, un état d`angoisse régnait sur tous les gouvernorats d`Egypte depuis le « Vendredi de la colère ». Ce vendredi qui a secoué non seulement les piliers du régime mais aussi la sécurité des Egyptiens. La crainte des pillages et des crimes était lisible sur tous les visages.

C`est vendredi, à minuit, suite à une journée sanglante qui a vu s`affronter police et manifestants, que les habitants du quartier de Helmiya, au sud du Caire, ont entendu des coups de feux, des cris et ils voyaient, sans vraiment comprendre, des jeunes courir dans tous les sens.

« Qu`est-ce qui se passe ? Le couvre-feu est-il en place ? », se demandent les habitants qui ne peuvent trouver le sommeil. Une demi-heure après, les tirs s`intensifient et le bruit monte. Mais ce n`est qu`avec la premiere lueur de l`aube que les choses commencent à s`éclaircir. Sur terrain, la scene est chaotique : 9 voitures incendiées, une odeur de fumée omniprésente et des foules d`habitants qui se précipitent pour découvrir les faits. Les gens parlent de ce qui s`est passé le soir. « J`étais ici lorsque le commissaire et ses policiers sont sortis, menaçant une centaine de manifestants rassemblés devant la station de police. Face à leur refus de se disperser, la police a ouvert aveuglement le feux sur eux, faisant quatre morts », raconte Tareq, un jeune ouvrier. Son ami intervient en affirmant que, sous l`étonnement de la foule, en quelques minutes, les gens ont répondu à la violence par la violence en jetant des pierres et des cocktails Molotov sur la station. « Ces policiers ont fuit face à la colère des gens et le feu s`est étendu à la rue à côté, brülant une dizaine de voitures », racontet-il.

Au bout de la rue, les pompiers sont présents devant la station de police d`Al-Darb Al-Ahmar, qui est partie en fumée. Des dizaines de jeunes hommes et femmes se tapent les mains pour déplorer ce qui s`est passé. « Ce n`est pas possible, qu`est-ce qui se passe ? C`est dans l`intérêt de qui ? », se demande une femme sur un ton de stupéfaction mêlé de colère. Les pompiers ont déjà terminé leur mission, et des gamins envahissent le bâtiment saboté pour finir de le piller. Des chaises, des ventilateurs, des tiroirs mais aussi des dossiers, des registres et des vestes de policiers sont dérobés. « Arrêtez, c`est notre Egypte, au nom de Dieu, il ne faut pas la voler ou lui nuire ! », crie un

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homme d`environ 40 ans. Mais en vain : ils prennent tout
ce qui leur tombe sous la main. Furieux, un homme
agrippe par le bras un de ces gamins qui se servent sur les décombres. Ce dernier lui

Semaine du 3 au 9 août 2011, numéro 882

Enquête

Blessés de la révolution . Plus de 6 mois après les violents affrontements qui ont fait chuter Moubarak, ils souffrent encore de l`indifférence des autorités égyptiennes pour se faire soigner. Et se contentent des belles promesses sans lendemain. Enquête.

L`autre révolte pour la dignité

Moustapha Ahmad Hassan est le dernier martyr de la révolution du 25 janvier. Il a passé plus de six mois dans le coma à l`hôpital Qasr Al-Aïni du Caire après avoir reçu une balle en pleine tête, lors du « vendredi de la colère », le 28 janvier dernier. Complètement paralysé, il était dans le coma depuis un mois. Pendant six mois, sa famille a frappé à la porte de tous les responsables, les suppliant d`envoyer leur fils à l`étranger. C`était, d`après les

médecins, la seule chance qui lui restait pour survivre à ses blessures. Mais face à une indifférence devenue générale, Moustapha vient de mourir. En silence. « Je viens d`enterrer Moustapha à Alexandrie. Mais je ne resterai pas les bras croisés et n`attendrai pas que nous subissions le même sort », confie Rabie, son ami proche et l`un des autres blessés de la révolution.

Quelques heures après les funérailles, Rabie a organisé un sit-in devant le siège du Conseil des ministres. Déçu par leur silence, il s`est adressé à la place Tahrir et ne compte pas en partir avant d`obtenir les droits des blessés. « Ces héros comme Moustapha ne méritent pas d`être traités ainsi. Moustapha n`a pas obtenu son droit le plus élémentaire, celui d`être soigné. Nous sommes là et continuerons à revendiquer les droits de tous les blessés avant de mourir comme lui », martèle-t-il.

Il y a quelques semaines, le 27 juin, il y a Mahmoud Khaled Qotb, protestataire de 24 ans, qui est décédé des suites de ses blessures causées le 28 janvier. Il est resté dans le coma 5 mois après avoir reçu une balle dans l`il tirée par la police, puis avoir été écrasé par une voiture du corps diplomatique près de la place Tahrir lors des manifestations du « vendredi de la colère ». Pendant cinq mois, la famille de Qotb avait adressé au Conseil des ministres des demandes pour le faire transférer de l`hôpital Qasr Al-Aïni à un autre hôpital privé et mieux équipé. En vain. « Nous avons mené une noble révolution dont tout le monde parle. Nous avons sacrifié nos fils pour le mieux de notre patrie. Pourtant, personne ne semble s`en rendre compte. A ce jour, nous n`avons pas eu droit aux soins médicaux gratuits », confie Gaballah, lui aussi blessé. Il est resté 18 jours sur la place Tahrir, a reçu une balle dans l`il. Et depuis, il est dans un état critique. A l`hôpital où il a été traité, les médecins l`ont obligé à céder sa place à d`autres blessés. Aujourd`hui, Gaballah commence à désespérer. D`un bureau à l`autre,

il ne croit plus en ces belles promesses non tenues du gouvernement. « C`est soi-disant le gouvernement de la révolution », ironise-t-il. Avant de poursuivre : « Ils ont déclaré cette semaine que l`hôpital de Agouza sera consacré au traitement des blessés de la révolution. Je m`y suis rendu ce matin. Personne n`est au courant de cette décision. Ils prétendent que la nomination d`un nouveau ministre de la Santé est la raison de ce retard ». Pour ajouter au sarcasme, Gaballah a décidé d`écrire une lettre à l`ex-président Moubarak et de la publier sur Facebook. « Monsieur le président déchu ... J`ai besoin de votre aide ... Je commence à douter de la chute de l`ancien régime. Si vous êtes toujours président de l`Egypte, je vous supplie de donner des ordres pour que les blessés de la révolution du 25 janvier puissent être traités aux frais de l`Etat. Les médecins sont au courant de notre situation, mais n`ont pas remué le petit doigt pour nous aider. Les hôpitaux ne veulent pas nous accueillir et nous demandent de présenter des documents qui prouvent que nous avons été blessés lors de la révolution ... ». Il a intitulé cette lettre : « Appel à une aide urgente pour sauver la vie des blessés de la révolution ».

Procédures compliquées

Car, en effet, les blessés de la révolution partagent tous ce sentiment de frustration. La lenteur des jugements et les procédures compliquées ont en fait accentué chez ces héros le sentiment d`être marginalisés. Pour sa part, le premier ministre, Essam Charaf, a désigné une personne de son cabinet pour présider le fonds des blessés, créé il y a plus d`un mois. Sa mission sera de faire un « recensement complet » des personnes tuées ou blessées durant la révolution, et de leur consacrer les indemnités ou le traitement nécessaires.

En effet, la décision de créer un tel fonds est venue suite à une vague de protestations de la part des familles des martyrs et des blessés qui se sont plaintes de la négligence des responsables à leur égard. Deux semaines plus tard, le Conseil suprême des forces armées a consacré une somme de 100 millions de L.E. à ce fonds. « Personne n`a expliqué aux blessés quels sont les règles de versement des indemnités ou les dossiers et documents nécessaires, ni même le lieu où ils peuvent retirer les formulaires à remplir », explique Khaled Aly, activiste au Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux. Ce n`est pas tout, puisqu`en réalité, prouver que ces blessures proviennent de la révolution et de la cruauté de la police est une mission quasi impossible. « On m`a demandé un tas de papiers pour pouvoir être traité et toucher les indemnités. Mais comment prouver que je suis un blessé de la révolution ? Aucun hôpital n`a accepté de nous donner un certificat médical. Peut-être fallait-il que je demande aux manifestants de me prendre en photo quand la police tirait contre nous ! », s`exclame-t-il amèrement. Aujourd`hui, ce citoyen commence à se dire qu`il a tout sacrifié pour rien. « Nous avons voulu chasser le dictateur. Nous étions des révolutionnaires pacifiques qui ne réclamaient qu`une vie humaine et digne. Nous avons scandé le slogan : Pain, liberté et dignité pour tout Egyptien. Méritons-nous d`être punis après tous ces sacrifices ? », s`indigne-t-il.

Mahmoud Al-Sayed a, lui, reçu des balles en caoutchouc aux bras et aux jambes. Il

devait subir plusieurs interventions chirurgicales. Mais rien n`a été fait. « C`est une honte et un vrai scandale que les blessés de la révolution soient traités de la sorte. Au même moment, l`ex-président est en train de recevoir les meilleurs soins dans une chambre climatisée de l`hôpital de Charm Al-Gheikh et toute une équipe est à sa disposition », avance-t-il en colère. Ges laissés-pour-compte ne peuvent s`empêcher de faire cette comparaison qui est pour eux synonyme d`une injustice flagrante. D`après le Dr Mohamad Charaf, professeur à l`Université américaine et président d`une ONG qui s`occupe de la revendication des droits des blessés, « un hôpital comme l`Institut Nasser demandait à chaque blessé une caution de 10 000 à 20 000 L.E. alors que la majorité des blessés sont des gens modestes ». D`après un recensement officiel effectué en avril dernier, le nombre des blessés est estimé à plus de 16 000, sans compter les officiers et agents de police. Mais les associations des droits de l`homme considèrent ce nombre bien plus élevé.

Remplir un formulaire

Face au siège du fonds récemment créé pour venir en aide aux blessés, Mohamad Abdel-Aal attend son tour. Il vient d`apprendre qu`il n`était obligé ni de se déplacer, ni de faire le trajet de sa ville de Damanhour jusqu`au Caire. Il suffit de remplir un formulaire publié sur le site Internet du fonds pour s`enregistrer et présenter ses doléances. Une nouvelle qui ne semble pas consoler ce simple villageois qui ne connaît rien au monde d`Internet. Abdel-Aal a souffert d`une hémorragie à l`il gauche et d`un décollement de la rétine. « Le cas de Abdel-Aal est très délicat et ne peut pas être traité en Egypte, faute d`équipement. Il risque d`être aveugle d`un ~il et doit partir le plus vite possible en Allemagne pour se faire opérer », explique l`ophtalmologue Samir AlBahaa qui suit son cas. Pourtant, ce fonds est la seule lueur d`espoir qui lui reste.

Medhat est un autre blessé, mais plus chanceux. Get originaire de la ville de Suez a reçu l`offre d`une Egyptienne qui réside en Arabie saoudite : elle propose de prendre en charge les frais de son traitement à l`hôpital Saint-Louis, à Paris (France). Il doit en effet subir une transplantation de la cornée. Gette femme a appris le cas de Medhat sur la page Facebook « Mossabi sawret yanayer » (le forum des blessés de la révolution de janvier), qui publie les nouvelles des blessés et leurs numéros de portable pour ceux qui voudraient entrer en contact avec eux.

Il y a aussi des associations étrangères qui se penchent sur le dossier des blessés de la révolution, comme la très active ADFE (Association Démocratique des Français à l`Etranger), en collaboration avec l`Association égyptienne Masreyoun madelioun, qui ont assuré à ce jour plus de 70 cas médicaux. « Une goutte d`eau par rapport aux besoins », disent-elles. D`après un bilan de l`ADFE en date du 24 juin, 15 jeunes patients blessés aux yeux étaient en mesure de partir bientôt en Suède, pris en charge par le gouvernement suédois. L`Association des médecins égyptiens d`Allemagne envisage aussi de financer un centre de physiothérapie pour les paralysés de la révolution. L`ADFE attendait de même les missions échelonnées de 40 chirurgiens volontaires allemands de toutes spécialités. Sans compter que le ministre français des Affaires étrangères a accepté, lors de sa visite sur la place Tahrir le 6 mars dernier,

d`embarquer dans son avion plusieurs blessés graves vers Paris.

Mais il n`en reste pas moins que « le traitement des blessés est la responsabilité du gouvernement égyptien et non des donateurs étrangers ou des ONG. On est obligé de mendier pour être traité ! », lâche Magdi, gravement brûlé au visage et aux bras par un cocktail molotov. Ce chauffeur venu de Suez a appris par la radio que des experts russes et allemands se rendront en Egypte pour consulter et traiter gratuitement les blessés de la révolution. Il s`est alors précipité à l`hôpital Qasr Al-Aïni pour rencontrer ces experts. Là, 24 autres blessés attendaient leur tour. « A 22h30, un jeune médecin égyptien nous a demandé de dormir de bonne heure pour l`opération du lendemain par les médecins de la délégation russe. Mais nous avons attendu jusqu`à 16h et en fin de journée, les responsables de l`hôpital nous ont dit que les Russes étaient partis et que c`était une simple visite d`échange d`expérience », se rappelle Magdi.

Mais tout récemment, le premier ministre, Essam Charaf, a tenu la première réunion avec le conseil représentant les blessés de la révolution, qui visait à recenser leurs problèmes et tenter de les régler. Peut-être enfin une première étape pour les blessés, avant qu`ils n`accèdent enfin à leurs droits .

Manar Attiya

Semaine du 2 au 8 mars 2011, numéro 860

Société

Recherches . Depuis le 25 janvier, institutions et individus prennent en charge la responsabilité de rassembler la documentation disponible sur la révolution. Les sources sont variées et nombreuses, mais certains points resteront dans l`ombre pour de nombreuses années.

Une révolution, différents récits

Les facettes de la révolution du 25

janvier sont innombrables. A commencer

par les slogans scandés sur la place Tahrir,

en passant par les réactions arabes et

internationales, jusqu`au rôle joué par les

médias ou les syndicats, la vie quotidienne

pendant les troubles, l`impact sur

l`économie, la réaction de l`Eglise ou d`Al-

Azhar, le rôle des différents ministères,

particulièrement celui de l`Intérieur, et de

l`armée, ou l`absence de participation des

partis politiques. Les sujets sur lesquels se penche actuellement le Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d`Al-Ahram sont pour le moins variés. Une équipe tente actuellement de collecter tout article, document ou information concernant la révolution de 25 janvier. Une trentaine de chercheurs travaillent sur le sujet, se répartissant des thèmes différents afin de constituer une documentation de cet événement historique. « 18 jours : c`est la durée du soulèvement populaire et des manifestations, jusqu`à l`annonce de la chute du régime le 11 février. Une période assez courte, mais qui comprend un enchaînement d`événements et de détails qui méritent d`être signalés. Ces événements ont bouleversé l`histoire du pays et marqueront son avenir. Il fallait commencer rapidement à enregistrer tous les détails et les faits », explique Hani Al-Aassar. Chercheur au centre d`Al-Ahram, il est responsable du dossier des partis politiques : leur rôle et leurs réactions avant, pendant et après la révolution. Le résultat de ces recherches sera publié dans quelques jours à travers un livre, déjà considéré comme l`une des premieres publications sur la révolution égyptienne. L`équipe du centre a décidé de se lancer au plus tôt dans cette initiative afin que les mémoires restent fraîches.

D`autres institutions ont aussi décidé de se lancer dans des initiatives similaires. Le projet « La mémoire de l`Egypte moderne », de la Bibliothèque d`Alexandrie, a aussi commencé à regrouper de la documentation sur la révolution. Mahmoud Ezzat, responsable de l`unité des recherches à la bibliothèque, a lancé un appel aux citoyens leur demandant de lui remettre tout document pouvant aider à la compréhension des faits qui se sont déroulés depuis le 25. « On travaille sur tous les gouvernorats et on enregistre tous les noms des martyrs dans les provinces en se basant sur les témoignages des amis des victimes, du voisinage et des journaux », explique Ezzat.

S`il est vrai que les grandes lignes ont déjà été déchiffrées, les détails locaux ou de seconde importance sont loin d`avoir tous été dévoilés. L`ensemble de ces données est pourtant capital pour une compréhension globale des événements.

Une révolution à l`ère numérique

Dès le mardi 25 janvier, jour de la fête de la police, quelques manifestants présents dans la rue prennent l`initiative de filmer avec leurs caméras ou téléphones chaque détail de l`événement. De nombreux artistes, acteurs ou metteurs en scene présents sur la place Tahrir ont aussi souhaité immortaliser l`événement. Certains réalisateurs filmaient d`ailleurs les scenes avec l`intention de pouvoir en faire, un jour, un documentaire. De plus, le 25 est l`une des rares révolutions qui a autant profité de la technologie et des chaînes satellites qui diffusaient les images au monde entier à la minute même.

Depuis le déclenchement des manifestations -- et jusqu`au jour où la Télévision a annoncé le départ de Moubarak --, une mise à jour était effectuée sur Internet ne laissant passer aucun détail (comme les tirs en l`air à l`arme réelle ou les cartes d`identité des policiers impliqués dans les scenes de violence).

Après le 11 février, plusieurs organismes ont décidé de collecter toutes les informations qui ont été publiées dans le but de les analyser et de commencer à constituer une documentation approfondie de la révolution.

Les slogans, les caricatures, les vidéos, les photos, les rapports médicaux des hôpitaux, les certificats de décès des martyrs, les témoignages et même les chansons et les programmes télévisés ... bref, tout ce qui a trait à l`événement est répertorié. D`après Abir Saadi, responsable d`une commission d`investigation au syndicat des Journalistes, un centre de presse a été créé par le syndicat sur la place Tahrir dès le premier jour, pour servir de point de départ à cette documentation.

« Nous avons collecté tous les articles de presse et les témoignages des journalistes qui ont participé aux manifestations. Nous avons signalé tous les actes et violences à leur égard -- y compris les kidnappings. Nous faisons également notre enquête à propos du décès d`un homme qui, de son balcon, voulait filmer la manifestation qui avait lieu devant le ministère de l`Intérieur », confie Saadi. Elle sait que cette mission prendra du temps et réclamera un nombre impressionnant d`enquêtes. « Il faut avoir de la patience car, avec le temps, certains secrets vont être dévoilés », ajoute-t-elle.

Des ONG, qui travaillent dans le domaine des droits de l`homme, et des groupes d`amis ont pris la décision de rassembler la documentation nécessaire sur l`événement en restant dix jours d`affilée sur la place Tahrir. Le mercredi noir, le vendredi de la haine, le vendredi du défi ou du départ, suivi par le vendredi de la liberté ..., autant de noms donnés aux jours décisifs des manifestations sur lesquelles la documentation repose.

Une pièce de théâtre, réalisée par le metteur en scène Magdi Al-Hawwari, raconte les

jours marquants de cette révolution. Le poète Abdel-Rahman Al-Abnoudi écrit un poème qui sera chanté par Mohamad Mounir, considéré par les manifestants comme le « chanteur de la révolution ».

Amr Kamal est étudiant à la faculté des lettres et bénévole dans un projet lancé par Dar Al-Kotob. « La documentation se fait avec l`aide de fonctionnaires et de bénévoles qui réunissent toute information utile pour permettre aux prochaines générations de tout savoir sur cet événement exceptionnel », estime-t-il. Celui-ci pense que son rôle ne doit pas s`arrêter au fait de participer aux manifestations mais doit aussi contribuer à recueillir chaque détail d`importance.

Un fait mais différents points de vue

Les sources sont peut-être les mêmes et les événements connus par tout le monde, mais chaque institution possède sa propre manière de voir les choses. « Cette variété va permettre d`avoir des points de vue différents et à chacun d`aborder certains themes de façon plus approfondie que d`autres groupes. Ainsi, nous aurons différents points de vue indépendants sur l`événement », affirme Al-Aassar.

« Un site Internet sera aussi créé sur la première révolution déclenchée par des jeunes qui n`appartiennent à aucun parti ni idéologie », annonce le groupe du 25 Janvier. Ils attendent encore recevoir des vidéos ou des articles pouvant les éclairer davantage sur le déroulement précis des événements. « Il est logique de concevoir un tel site sur Internet puisque la révolution est partie du Facebook », affirme Ahmad Gamal, l`un des responsables du site.

Ces jeunes, comme tant d`autres, tentent de collecter toutes les données possibles concernant la révolution. Mais l`élément qui les intéresse le plus ce sont les informations et documents rassemblés par les artistes. Gamal a en effet été choqué par la position de certains artistes qui ont retourné leur veste du jour au lendemain.

Aujourd`hui, il reste encore beaucoup de points d`interrogation et de mystères sur certains faits délicats comme le rôle de la police ou les actes de violence. L`ex-ministre de l`Intérieur a-t-il donné l`ordre à la police de tirer sur les manifestants ? L`exprésident est-il impliqué dans cette affaire ? Qui est responsable de l`ouverture des prisons, de la fuite des prisonniers, des actes de pillage et de violence et du retrait inexplicable de la police ? Des questions qui demeurent sans réponse et que chaque citoyen tente d`élucider.

Par ailleurs, certaines rumeurs circulent affirmant que des documents importants ont été brûlés ou détruits au siège du Parti national ou dans les tribunaux.

Hani Al-Aassar est un jeune chercheur. Il est clair, pour lui, que des organismes comme la police, l`armée ou les services secrets ne sont jamais les premiers à divulguer les informations qu`ils possèdent. Un jour viendra pourtant où ces documents apparaîtront. Ahmad Yehia Abdel-Hamid, sociologue, considère qu`il est encore trop tôt pour construire la documentation de la révolution. Jusqu`à présent, la documentation

de la guerre du 6 Octobre n`est pas terminée et on est encore en train de voir des gens recherchant des documents sur la Révolution de 1952. Tous les jours, de nouvelles choses sont découvertes.

« Ce qui se passe en ce moment c`est ce qu`on appelle une documentation primaire de la révolution, une première étape. Pour que la documentation soit crédible, il faut la remettre dans le contexte des conditions politiques, économiques et sociales du moment. Il faut étudier le pouvoir des forces de pression -- telles que l`armée -- qui ont fait bouger les choses. Des facteurs qui peuvent durer des années avant de s`éclaircir véritablement. Ce n`est que petit à petit que l`Histoire sera écrite », conclut Abdel-Hamid.

Hanaa Al-Mékkawi

Semaine du 8 au 14 juin 2011, numéro 874

Nulle part ailleurs

Société . De la place Tahrir à la place Moustapha Mahmoud en passant par Maspero. Depuis la révolution du 25 janvier, les Egyptiens choisissent leurs lieux de manifestation en fonction de leurs revendications. C`est une véritable carte des lieux de protestation qui prend forme. Tel endroit ...

Tel endroit ... Telle manifestion

« Notre regard sur certains endroits a changé tout comme bien de choses ont changé depuis le 25 janvier », dit Nadia, une jeune révolutionnaire présente à toutes les manifestations dont les slogans conviennent à ses convictions politiques ou religieuses. Depuis le 11 février, date de la chute du régime de Moubarak, cette dernière, comme beaucoup de milliers de citoyens égyptiens, se dirige selon l`actualité vers un endroit connu

pour manifester. Le lieu change d`une manifestation à une autre et chacun est libre de choisir l`endroit où il veut se rendre. En fait, une carte des lieux de manifestation a été élaborée durant les premiers mois de la révolution et que tout le monde respecte jusqu`à maintenant. Il suffit de prononcer le nom de l`endroit pour connaître le slogan de la manif et c`est aux contestataires de se diriger vers le lieu qui convient à leurs revendications.

La place Tahrir est devenue le haut lieu de la résistance, l`esplanade la plus fameuse et dont la réputation a dépassé les frontières durant la révolution. C`est là où les manifestants ont passé 18 jours à exprimer à haute voix leurs revendications jusqu`à les voir se réaliser devant leurs yeux avec la chute du régime de Moubarak. Depuis, la place Tahrir continue de connaître chaque vendredi une nouvelle manifestation. Vendredi de la colère, vendredi du départ, de la fête de la victoire, de la loyauté, chaque rassemblement porte une appellation différente mais le message est le même puisqu`il sort de Tahrir. C`est l`endroit qui reflète tout ce qui est en opposition avec l`ancien régime et ses hommes. Ce fut d`abord l`appel à Moubarak de quitter le pouvoir ; par la suite, c`était la fête de la victoire, et depuis, chaque semaine c`est selon l`actualité que se précise le but de la manifestation. Mais la place continue à porter les mêmes slogans : contre le gouvernement, le Conseil militaire ou la police, bref, contre tout ce qui représente le pouvoir. « Les manifestations à la place Tahrir font partie intégrante de ma vie », commente Fares, étudiant de 21 ans. Et d`ajouter : « Avant d`y prendre part, je dois connaître le but de la manifestation et ses organisateurs. Par exemple, la seule fois où j`étais absent, c`est quand j`ai senti que les Frères musulmans allaient voler la vedette aux révolutionnaires et j`avais raison car ils avaient détourné le slogan en faveur de la cause palestinienne ». Fares, tout comme beaucoup d`autres, est devenu un habitué de la place Tahrir. Il refuse de quitter le lieu tant que le but n`est pas atteint.

Au fil des vendredis, si la scene paraît la même, quelques détails different d`une manifestation à l`autre, de par les slogans, les tables rondes et parfois les débats. Les premiers jours, on voyait des volontaires arrivés avec des couvertures, des médicaments et de la nourriture aux contestataires. Connaissant la date de chaque manifestation, des marchands ambulants viennent écouler leurs marchandises. Ils arrivent avant la foule pour s`installer dans des coins stratégiques et vendre du pois chiche, des galettes de pain, des boissons et même des drapeaux et autres pacotilles portant les photos des martyrs. Les voleurs aussi se sont infiltrés parmi la foule. Là, on diffuse les chansons patriotiques les plus anciennes, celles de Abdel-Halim et de Mohamad Abdou, et on voit des artistes qui viennent exposer leurs arts. C`est réellement tout un Etat, comme on l`a surnommé « l`Etat de la place Tahrir ».

« Nous sommes sortis de nos maisons pour mourir ici », « Nos poitrines sont prêtes à recevoir les balles jusqu`à ce que justice soit faite », et d`autres slogans révolutionnaires parfois forts et parfois pleins de dérision comme celui de « Pardon monsieur le président, on a tardé à te dire dégage ».

Devant la mosquée Moustapha Mahmoud

située au quartier de Mohandessine à Guiza,

les manifestants ne portent pas les mêmes

slogans. Cet édifice, qui porte le nom d`un

grand savant qui l`a construit en 1979, a été

l`un des endroits stratégiques de

rassemblement le 25 janvier. Après le 11

février, cette mosquée a été le point de

rencontre de ceux qui ont voulu rendre

hommage à l`ex-président et tous ceux qui s`opposent aux revendications de la place Tahrir. Ces manifestants arrivent par petits nombres, réclamant la dignité pour Moubarak, n`acceptent pas son départ et rejettent toutes les accusations dont il est victime et font tout pour qu`il ne soit pas jugé. Ces manifs n`entraînent pas des foules. « Ce sont les hommes du Parti national (celui de l`exprésident) et quelques individus payés par les hommes d`affaires à qui profitait l`ancien régime », commente Ali qui vit à Mohandessine et fait ses prières à la mosquée de Moustapha Mahmoud, mais qui préfère aller à la place Tahrir pour manifester.

« Tu es avec ceux de Tahrir ou de Moustapha Mahmoud ? », une question qui revient souvent sur la bouche des gens et qui résume la tendance de chacun selon l`endroit où il va manifester.

Devant cette même mosquée, les Libyens résidant en Egypte et soutenant le régime de Kadhafi se rassemblent aussi. « Il paraît que ce lieu est devenu l`endroit de rencontre de ceux qui soutiennent des dictateurs et sont contre les révolutions menées par les peuples », confie Chadi, un manifestant de la place Tahrir.

Au lieu de répéter des slogans révolutionnaires pour qu`on accélère les procès de ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption ou demander à modifier des lois, il

suffit de dire « Al-Tahrir ».

Et lorsqu`on veut parler de compassion à l`égard de l`ancien régime, il suffit de prononcer « Moustapha Mahmoud ». Deux endroits qui représentent deux mondes tout à fait contradictoires. Une situation qui n`a pas empêché certains de changer de veste.

C`est le cas de Chérine, poussée par son amour pour Moubarak et qui était présente à toutes les manifestations qui ont eu lieu devant la mosquée Moustapha Mahmoud. « A mes yeux, il était comme un père et je n`ai jamais cru qu`il pouvait être responsable de tous ces problèmes que connaît l`Egypte », dit Chérine en se rappelant le jour de son départ. D`ailleurs, elle a même versé des larmes pour ce père déchu de ses fonctions de président. Mais cette même personne a changé d`avis en lisant la suite des enquêtes qui ont dévoilé l`importance de la corruption durant son régime, et même si elle ne parvient pas à le détester, elle a décidé dernièrement de participer aux manifestations de la place Tahrir pour réclamer un vrai changement.

Un autre endroit star, c`est Maspero, et c`est là où les coptes ont choisi de se rendre pour se faire entendre et protester. En fait, quelques semaines après la chute du régime, plusieurs incidents ont eu lieu entre musulmans et coptes. Ces derniers, qui ont senti une certaine lenteur face aux procédures d`enquête, ont décidé de protester.

Beaucoup participent aussi aux manifestations qui ont lieu à la place Tahrir étant donné que l`objectif est le même, seulement Tahrir c`est pour les revendications politiques et Maspero pour tout ce qui concerne la religion. « Je participe aux manifs devant Maspero pour réclamer plus de justice pour les coptes, mais le vendredi, je me dirige vers Tahrir car c`est là où on revendique nos droits politiques en tant que citoyens », explique Chahir.

« Al-Gueich wel chaab eid wahda » (l`armée et le peuple, une seule main) est le slogan porté par les manifestants rassemblés devant Al-Manassa, dans le quartier de Madinet Nasr. Tous les messages adressés au Conseil militaire sont véhiculés à partir de cet endroit où se retrouvent des citoyens que l`on rencontre aussi à la place Tahrir, Maspero et parfois à Moustapha Mahmoud selon le message à transmettre. Que les militaires accèdent au pouvoir ou pas, que l`on demande à reporter la date des élections parlementaires ou à faire pression sur les médias pour ne pas divulguer certaines informations, tous les regards suivent attentivement ce qui se passe dans ces quatre points stratégiques du Caire. Il ne faut pas oublier un autre endroit, loin du Caire et précisément à Charm Al-Cheikh. C`est là où l`ex-président est hospitalisé. Rares sont les jours où le terrain qui cerne l`établissement hospitalier connaît le calme. Des commerçants, des fonctionnaires ou des citoyens y arrivent des quatre coins de l`Egypte pour manifester, et dernièrement même, les bédouins se sont lancés dans ce genre de protestation même s`ils sont en petit nombre. « Dégage » est le slogan porté haut et fort par les habitants de Charm Al-Cheikh qui ne veulent plus que Moubarak séjourne dans cet hôpital. Ils demandent à ce qu`il aille en prison tout comme n`importe quel citoyen condamné pour des fautes graves. En fait, si tous ces endroits sont des points vers lesquels se dirigent les manifestants depuis le 25 janvier, il y en a d`autres dans tous les gouvernorats et qui sont

devenus des points de rassemblement : la mosquée d`Al-Qaïd Ibrahim à Alexandrie, Midane Al-Arbéine à Suez, les bâtiments du gouvernorat à Mansoura et Gharbiya, la rue Talatini à Ismaïliya et la place Port-Saïd à Kafr Al-Cheikh.

En fait, personne ne sait quelle est la raison du choix de ces endroits. Pour la place Tahrir, il est normal de voir des gens s`y rendre, cela ne semble pas nouveau. Cette place, fondée par le khédive Ismaïl sous le nom de Ismaïliya, a connu au fil des années les plus importants soulèvements populaires. L`événement le plus fameux, c`est la révolution de 1919, c`est à partir de ce moment-là que la place a porté son nom actuel et qui veut dire « libération ». Alors, ce n`est pas bizarre de voir des millions d`Egyptiens y venir pour déclencher leur révolution en 2011. Et probablement le choix d`Al-Manassa est dû à la relation qu`a l`armée avec cet endroit où se trouve le tombeau du soldat inconnu et où a eu lieu l`assassinat de Sadate. Quant à Maspero, c`est un choix intelligent comme affirme Chahir, car c`est un point très sensible de la capitale devant le bâtiment de la Radiotélévision et sur la corniche. Les manifestants là-bas savent qu`ils vont attirer l`attention des médias. Et ce n`est pas tout, chaque jour, selon l`actualité on voit de nouveaux endroits s`ajouter aux précédents. La mosquée d`Al-Hussein au quartier d`AlAzhar a connu pour la première fois une manifestation la semaine dernière organisée par les Frères musulmans qui voulaient exprimer leur refus quant à la manifestation organisée à Tahrir le même jour. Et chaque vendredi les gens se sont habitués à suivre le flot de manifestants, ce qu`ils vont dire de nouveau et à quel endroit.

Hanaa Al-Mekkawi

Semaine du 16 au 22 février 2011, numéro 858

Monde Arabe

Soulèvements . Les répliques de la révolte en Egypte sont attendues partout dans le monde arabe. Au Yémen comme en Algérie, les turbulences se font déjà sentir. Même Bahreïn, petit pays du Golfe, sent le chaud venir.

Quelle direction prendra le vent ?

Avec les révoltes tunisienne et égyptienne, le président yéménite, confronté à une contestation croissante, a annoncé le 2 février le gel des amendements
constitutionnels qui lui auraient permis de se présenter à nouveau à l`expiration de son mandat en 2013. Il a aussi annoncé le report des élections législatives prévues pour le 27 avril et dont la tenue, en l`absence de réforme politique, était contestée par

l`opposition. Mais celle-ci a quand même réuni des dizaines de milliers de personnes pour réclamer un changement de régime.

Il s`agissait du plus grand rassemblement jamais connu contre le régime du président Saleh, dont le pays est l`un des Etats arabes les plus pauvres. Plusieurs milliers de manifestants, dont des députés de l`opposition et des militants des droits de l`Homme, avaient déjà manifesté vendredi 11 février le soir à Sanaa pour célébrer le départ du président Moubarak et réclamer la chute du régime du président Saleh. Mais quelques milliers de partisans du Congrès populaire général (CGP) avaient fini par les déloger de la place, sans violence.

Le 12 février, des milliers d`autres ont manifesté pour le départ du président Ali Abdallah Saleh. La manifestation a été dispersée par des partisans du parti au pouvoir, le CGP, armés de bâtons et de gourdins mais aussi d`armes blanches.

« Après Moubarak, c`est le tour de Ali », ont scandé quelque 4 000 protestataires, pour la majorité des étudiants, en réclamant le départ du président au pouvoir depuis 32 ans. Aux cris de « Dégage Ali ! », ou encore « La révolution yéménite après celle de l`Egypte », les manifestants ont défilé de l`Université de Sanaa vers le centre de la capitale. Ils sont parvenus jusqu`à la place Tahrir (la libération), où les partisans du parti au pouvoir ont réussi à les disperser. Une nouvelle manifestation le 14 février, tout comme celles qui se sont tenues au cours des jours précédents, a été organisée à l`initiative d`étudiants et de composantes de la société civile. L`opposition parlementaire n`y était pas associée. « Le peuple veut la chute du régime », répétaient les manifestants, reprenant le principal slogan du soulèvement en Egypte. Raison pour laquelle le président yéménite, Ali Abdallah Saleh, a reporté une visite aux Etats-Unis prévue fin février.

Après une série de consultations, l`opposition parlementaire yéménite a annoncé qu`elle acceptait de reprendre le dialogue avec le pouvoir, suspendu fin 2010, après les promesses de réformes annoncées par le chef de l`Etat. De sa part, le Forum commun, une alliance de l`opposition parlementaire, s`est déclaré prêt à signer cette semaine un accord-cadre sur la reprise du dialogue national à tel point qu`il s`était arrêté le 31 octobre dans le cadre du comité du dialogue et à accepter les réformes annoncées récemment par le président Ali Abdallah Saleh. En gage de bonne foi, le Forum demande au président de limoger tous les membres de sa famille et ses proches parents des postes de responsabilité qu`ils occupent dans l`armée, la police, le gouvernement ou dans les conseils régionaux.

Formidable dispositif de sécurité

De leur côté, les Algériens semblent renouer avec leur tradition révolutionnaire. Une marche pour un changement du système politique, organisée par l`opposition, s`est cependant heurtée samedi à un formidable dispositif de sécurité. Hasard de l`Histoire, cette manifestation annoncée le 21 janvier lors de la création d`un large mouvement d`opposition, la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie (CNCD), s`est tenue au lendemain de la chute du président égyptien Hosni Moubarak. les manifestants ont bravé les forces de l`ordre pour défier le pouvoir dans le centre d`Alger et ils ne cachaient par leur fierté. « Nous avons brisé le mur de la peur », a assuré Fodil Boumala, l`un des fondateurs de la CNCD. « Ce n`est qu`un début ». Et si le mouvement d`Alger, le plus important du pays, n`a rassemblé que quelques centaines de manifestants, il n`en a pas moins été historique, a relevé la presse. « C`est parti pour le changement », titrait le quotidien libéral Liberté.

En Algérie, les contestataires insistent plus sur le changement du système que sur le départ du président Bouteflika, au pouvoir depuis 12 ans. Les lycéens réfutent un programme scolaire trop chargé, les universitaires un enseignement inadapté à l`évolution technologique, des milliers de familles crient leur mal-logement, les jeunes réclament du travail car, diplômés ou non, plus de 20 % d`entre eux sont chômeurs, tandis que les employés veulent des augmentations pour faire face à la flambée des prix.

L`Algérie est gouvernée depuis l`indépendance en 1962 par un régime largement soutenu par les militaires malgré de timides ouvertures à une démocratisation. Et les Algériens restent par-dessus tout traumatisés par plus de dix ans de violences islamiques qui ont fait plus de 150 000 morts.

Toutefois les monarchies du Golfe semblent plus rassurées par le vent de changement en cours, étant donné la spécificité de leurs sociétés, beaucoup plus conservatrices que l`Egypte et la Tunisie. Mais Bahreïn, un petit pays du Golfe à majorité chiite et dirigé par une dynastie sunnite, a été secoué dans les années 1990 par une vague de troubles initiés par l`opposition chiite et qui a conduit en 2001 au rétablissement du Parlement élu, dissous en 1975, et à l`instauration d`une monarchie constitutionnelle. Plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés à Nouidrat, un

village à l`est de Bahreïn, où un rassemblement était prévu le 14 février dans l`aprèsmidi à l`initiative d`internautes. La police bahreïnie les a dispersés en faisant usage de gaz lacrymogènes. « C`est votre chance d`ouvrir la voie à des réformes politiques et sociales, notamment dans la ligne des changements en cours au Moyen-Orient. Nous allons scander tous ensemble le 14 février : le peuple veut une réforme du régime », selon un texte mis en ligne sur le réseau social Facebook.

Inès Eissa

Semaine du 16 au 22 mars 2011, numéro 862

Arts

Musique . Utopia est le nouveau projet du groupe The Choir (la chorale). Inspiré de la place Tahrir, ce projet est né pour chanter les slogans de la révolution du 25 janvier.

La révolution en ch~ur

Ce n`est ni la République de Platon ni l`Eldorado de Candide. Utopia, ce terme philosophique qui dénote un réel idéal, inadmissible, voire inaccessible, acquiert un nouveau sens. « Avant la révolution, le groupe The Choir (la chorale) avait l`habitude de se réunir pour discuter de la situation du pays. On imaginait une Egypte où tout est idéal et harmonieux. On parlait alors d`utopie. Et la surprise fut que cette utopie dont on rêvait, on l`a vraiment

trouvée à la place Tahrir durant la révolution. Notre projet a donc bien démarré », explique Salam Yousri, fondateur du groupe, ainsi que la troupe théâtrale Al-Tamye (la boue).

L`idée du projet émane d`une volonté d`enregistrer les faits et d`une tentative de préserver l`atmosphère de la place Tahrir, telle qu`elle a été vécue par les membres du groupe. Ce, à travers les slogans que l`on répétait sur place. « Nous avons choisi des slogans qui expliquent pourquoi le peuple est sorti à Tahrir, et comment il répétait des slogans vénérant les martyrs d`une part et affirmant leur confiance en l`armée d`autre part. Cela, tout en respectant l`ordre chronologique de leur apparition, car cet ordre souligne sincèrement le cheminement des événements », explique-t-il. Ainsi, des slogans à l`instar de Taghyir, horriya et adala egtemaiya (changement, liberté et justice sociale) ou Sawra sawra hatta al-nasr, sawra fi kol chawarie Masr (révolution jusqu`à la victoire, révolution dans toutes les rues de l`Egypte) sont interprétés par la chorale avec une mélodie qui s`inspire du maître de la chanson égyptienne Sayed Darwich. Le recours à l`A cappella, en outre, enrichit la mélodie, très simple et surtout très égyptienne, et rajoute de l`énergie et de la vivacité à l`interprétation qui se transforme en révolution. Une vraie.

« Nous avons écarté tout slogan empreint d`hostilité à l`égard de personnalités bien précises : la révolution ne s`est pas déclenchée contre une personne donnée, mais plutôt contre un régime établi depuis près de 30 ans et dont souffrait le peuple », souligne Salam Yousri.

En effet, Utopia est l`un des projets du groupe The Choir, qui a vu le jour en mai 2010, en commençant par un projet intitulé The Cairo complaints choir (la chorale des plaintes). Une initiative internationale à l`origine et dont le point de départ était en

Finlande, à travers deux personnes cherchant à appliquer un proverbe finlandais qui veut dire : Au lieu de se plaindre, mieux vaut chanter. Ensuite, c`est The proverbs choir (la chorale des proverbes) qui prend la relève et qui s`est mise à dresser une chronique à travers les proverbes égyptiens à connotation politique ou sociale.

Vient ensuite le projet Utopia, qui est mis en marche à l`issue d`un atelier qui s`est déroulé durant une semaine de composition et d`improvisation collective, avec une vingtaine de personnes en février dernier (juste après la révolution). Deux chansons ont été créées : Utopia, qui décrit une Egypte désirée et attendue après la révolution, et Hayat al-midan (la vie sur la place) qui reflète, via les slogans, l`atmosphère de la révolution et les revendications du peuple. « C`est une invitation à ce que les gens se partagent les rêves, les sentiments, mais aussi les idées », selon Yousri, qui s`est produit récemment en groupe au Caire (au centre Rawabet).

Ce qui distingue Utopia des autres projets, c`est l`état d`âme que partagent les membres de la chorale. N`est-ce pas une opportunité permettant à toute une génération de s`exprimer ? Il s`agit notamment d`une génération qui a connu le sens de la révolution à travers les livres. Ce sens prend corps grâce à une initiative artistique. On exprime désormais la révolution comme on l`a connue et vécue.

Lamiaa Al-Sadaty

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery