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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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Chapitre II : Les représentations du Sida dans l'espace populaire à
Libreville

Pour collecter les données de cette enquête il nous a fallu tendre l'oreille vers les ragots, le « kongossa ». Nous n'imaginions aucunement être troublé par des métaphores. Nous avons été heurté par l'ignorance des protagonistes qui produisent ces métaphores. Mieux encore, nous avons été perturbé par la violence de l'imaginaire qui gravitent autour de ces discours. La particularité des espaces hétérotopiques dans lesquels nous avons collecté nos donnés c'est qu'ils sont des lieux de passage quelques fois « obligatoire ». En effet, nous allons tous au marché, dans les bars, les files d'attentes, ou nous prenons les transports en commun. Les métaphores que nous allons décrire ont été rencontrées dans ces lieux populaires. Dans ces lieux nous n'avons pas rencontré des personnes qui prenaient pour recours, pour expliquer le Sida, la sorcellerie. Du moins à ce moment précis ils n'ont pas posé le problème sous le terme de sorcellerie. C'est plutôt sous des formes ironiques et très souvent euphémisées que les personnes décrivent la maladie du Sida. Certaines de ces formes ironiques et tragiques ont été utilisées dans des bandes dessinées197.

Quand les locuteurs autorisés métaphorisent, c'est dans le désire de ne pas citer la maladie. Comme si en la prononçant cela suffit pour être contaminé. On pourrait penser qu'il s'agit aussi de faire preuve de discrétion car en utilisant ces métaphores elles restent du domaine des « initiés ». Elles exclues, de fait, toutes les personnes non autorisées, les profanes. Les personnes qui ne comprennent pas le déchiffrage des métaphores représentent les personnes non autorisées. Mais rare sont les individus qui ignore la signification de Sidonie, syndrome inventé pour décourager les amoureux, maladie du siècle, la grande maladie ou les quatre lettres. S'il en existe encore, à travers cette section, ils y trouveront leur initiation.

SECTION 1 : Le Mbolou, Sidonie et le syndrome inventé pour décourager les amoureux :
les heures difficiles de la prévention à Libreville

La maladie du Sida, comme bien d'autres, est pensée et représentée par analogie à quelque chose. Le Sida c'est être porteur de Sidonie ou d'être atteint par le syndrome inventé pour décourager les amoureux. La production des métaphores de la maladie par les espaces hétérotopiques doit, pour être comprise, être située dans un contexte historique. L'histoire d'une pandémie est un instituant méthodologique pour révéler et comprendre les rapports de la maladie à la société. Il ne faut donc pas, balayer d'un revers toutes les frénésies théoriques de l'aube de la maladie du Sida en Afrique centrale, et au Gabon, dans la fin des années 1980. Bien plus qu'on ne le pense, ces dispersions à savoir Sidonie ou le syndrome inventé pour décourager les amoureux, les quatre lettres, la grande maladie ou maladie du siècle, le

197 Fargas, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville, PNLS, 1991 ou Yannick DOMBI, terreur à Lambaréné, Libreville, PNLS, 2010.

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mbolou, se révèlent plus précises, et probablement on peut y trouver de l'actuelité, pour comprendre les métaphores du Sida au Gabon. Notre intuition est donc de chercher à comprendre la production populaire des métaphores du Sida. Nous regardons dans la direction du kongossa pour interroger la raison de ces métaphores sur la maladie.

1) Le Mbolou

Le Mbolou contrairement à tout ce que nous avons vu est une maladie des tubercules. Nous avons pris l'habitude d'avoir des entretiens qui tournent autour de la sorcellerie. Mais cette fois il s'agit de la description de la maladie des tubercules de manioc. Nous sommes arrivés à la découverte de cette maladie dans un débat avec un étudiant Kota dénommé M Serge198.

Enoncé n°8 :

« Mbolou est une expression kota qui représente la maladie des tubercules de manioc. En fait dans le tubercule donne l'impression de bonne qualité à première vue. Seulement, lorsqu'on le touche il s'écrase et s'aplatie. De plus il y a comme une forme de liquide noir qui en sort. De la pourriture en liquide noire qui sort de ce tubercule. Et nos parents au village l'identifient au Sida car comme le malade du Sida, le corps de la personne donne l'impression d'être en bonne santé alors qu'à l'intérieur il n'y a que de la pourriture, le virus Sida. »

A la différence des précédentes représentations de la médecine ésotérique indigène présentées plus haut, le Mbolou ne fait appel à aucune représentation qui s'appuie sur le mysticisme ou la sorcellerie. Si nous fions au donné de terrain, le Mbolou est une simple description de la maladie des tubercules de manioc. Il n'y a pas utilisation de métaphores mystiques, dérivant de techniques et méthodes sorcellaires. Nous nous retrouvons dans une comparaison étiologique. Nous comparons le Sida à une maladie de tubercule. C'est deux maladies qui sont comparées.

Le corps du tubercule malade est comparé au corps du malade du Sida. Il s'agit de faire la liaison entre la pourriture de la maladie du tubercule et la pourriture du virus du Sida. Le corps est le lieu de la comparaison, l'espace de la guerre oü siège la pathologie du « tubercule » et du Sida. Nous ne sommes pas dans un rapport d'esprit contre le corps que décrit Joseph TONDA199. C'est-à-dire « une guerre qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, coalise contre les corps les dispositifs épistémologiques scientifiques et les forces non scientifiques, figures de l'imaginaire200». C'est donc des métaphores de « corps à corps » dont nous parlons dans la description du Mbolou. Le Mbolou est une maladie qui est ostensible. Elle ne convoque aucun référent de l'esprit non scientifique. Nous sommes dans le cas

198 M Serge, masculin, niveau d'étude supérieur, chrétien, étudiant, Kota

199 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles », n°2-Vol A, 2008, P68.

200 Joseph TONDA, Ibid, p 68.

spécifique que nous décrit Susan SONTAG lorsqu'elle parle de la maladie comme métaphore201. Elle pense que « dans un premier temps, les terreurs les plus profondément enfouies (corruption, pourriture, pollution, anomie, débilité) sont identifiées à la maladie. Celle-ci devient alors métaphore. Puis au nom de cette maladie (...), l'horreur est à son tour greffée sur des éléments étrangers. La maladie devient adjectif. On l'emploiera comme épithète pour parler de quelque chose de répugnant ou de laid202». C'est dans ce cas nous prenons le Mbolou comme une description identique à ceux que vient de nous présenter SONTAG. La maladie des tubercules de manioc est prise comme métaphore de la maladie du Sida.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus