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Savoirs et savoir- faire locaux face aux politiques agraires: diagnostic d'un système agraire dans un village Khamou ou du Nord Laos

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par Pierre- Yves Heurtier
Université Aix-Marseille 1 - Master 2 anthropologie sociale et culturelle 2006
  

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4. Les caractéristiques techniques :

4.1. Les ressources :

4.1.1. La forêt :

Les produits forestiers139 de la chasse, de la pêche ou de la collecte ont encore une grande importance pour les apports financiers, la diversité alimentaire et à la nécessaire quantité de nourriture des villageois.

Préparation de l'écorce de mûrier à papier indispensable pour des ressources financières familiales très réduites.

Les villageois reviennent toujours des champs avec une denrée alimentaire collectée sur le parcours du retour à la maison. Le riz est la base de leur alimentation, mais ils ont besoin de diversifier leurs régimes alimentaires avec des poissons, différentes légumineuses sauvages, des rongeurs... La chasse, la collecte, la pêche ne sont pas des amusements. Les enfants et les groupes d'adultes peuvent avoir l'air de se faire plaisir à collecter et à se rendre en forêt, mais revenir bredouille signifie ne pas mangé beaucoup au retour. Ils ne mangent d'ailleurs pas souvent de gibier car ils ne sont pas de très bons chasseurs. Les jours où ils parviennent à tuer un cochon ou un cervidé sauvage, le chasseur vend des morceaux plus ou moins importants aux voisins. Il peut aussi décider d'offrir un repas pour la communauté. Dans ce cas, les voisins qui avaient acheté la viande la ramèneront pour la cuisiner et participer au frais du repas. Ces repas de chasse sont rares. Les villageois sont de plus grands pêcheurs que chasseurs. Ils n'hésitent pas à rester des heures la têtes baissée dans l'eau avec une arbalète de fortune pour tenter de toucher un poisson rapide et si petit que l'on se demande pourquoi tant de fatigue pour quelques arrêtes.

Monsieur Paeng dit passer moins de temps en forêt que n'en passaient ses parents et pense que la nouvelle génération ne connaît pas la forêt aussi bien que leurs parents.

Il n'est pas un forestier. Les jours où il passe le plus de temps en forêt sont ceux de la coupe. Ceux où il ne va jamais en forêt sont ceux de l'attente de la récolte. Il ne passe pas son temps en forêt comme le font d'autres chefs de famille qui aiment chasser et pêcher.

139 NTFP : Non Timber Products forest ou SPAF : Sous Produits agroforestiers : Pousses de bambous, l'écorce de mûrier à papier (possa en lao), cardamome, champignons, légumes-feuilles...

Il va toujours en forêt pour y travailler au champ, y collecter rapidement et pêcher sans perdre de temps à l'électricité mais jamais pour y chasser ou collecter, travail voué aux femmes et aux enfants.

L'endroit où il va le plus souvent est celui où il doit couper des arbres ou des lianes pour faire des clôtures.

Monsieur Paeng dit ne jamais aller à la source de la rivière Houai Kha Nga, seul lieu du territoire où il n'a aucun intérêt d'y aller.

Il peut aller seul en forêt s'en s'y sentir apeuré. Il ne connaît aucune ancienne histoire locale racontée à toutes les générations d'enfants qui se déroule en forêt. Ses craintes viennent des serpents et des chasseurs qui peuvent le prendre pour un gibier.

Il ne connaît aucun lieu porteur de chance mais avoue que certains lieux pourraient être habités par des esprits depuis 30 ans. Par contre d'autres villageois en sont persuadés et en ont peurs.

Le jeune marié pense que les villageois khamou de Bouamphanh sont frugaux à la différence des Akkha qui se complaisent à vivre dans la forêt. C'est pourquoi, en comparaison à ces voisins, le territoire de Bouamphanh possède moins de forêts protégées que de parcelles (jachères comprises). Selon le jeune marié, les villages qui aiment faire de grands repas communautaires, s'inviter à manger entre voisins, sont plus proches des modes de vies laos et khamou que akkha, nous pourrions préciser plus proches des agriculteurs que des forestiers.

Malgré cette différence qu'il émet entre Khamou et Akkha, il ne pense pas que les techniques agraires soient différentes entre eux. Les Khamou auraient des propensions plus grandes à une utilisation extensive des terres, alors que les Akkha seraient plutôt portés sur les produits de la forêt.

Cette utilisation extensive des sols a obligé le village de Bouamphanh à replanter des arbres pour avoir de belles forêts dans les années à venir et ainsi pouvoir commercialiser les bois des plantations, avoir plus de gibier et d'autres produits forestiers. Une <<belle forêt » est d'abord considérée par son apparente densité, sa haute canopée continue, son âge, sa couleur foncée, la présence de certaines espèces de bois et de bambous140, puis par les potentiels de son exploitation villageoise. Les villageois, vivant des produits de la forêt (nous pouvons considérer aussi bien les cendres végétales utiles aux essarts, le bois de constructions, de feux, le gibier, les pousses de bambou et les légumes-feuilles...) sont conscients qu'il faut avoir de <<belles forêts » pour avoir des récoltes suffisantes, une alimentation convenable.

Malgré tout, ils ne font pas quotidiennement référence au conflit forêt-champ. Ce sujet revient à certaines occasions, lorsque les officiers du ministère Agriculture et Forêt viennent au village, lorsque l'eau des points d'eau s'amenuise suite au défrichage de lieux normalement réservés à l'eau ou lorsque la terre des parcelles s'érode dans la rivière et empêche les villageois de pêcher à vue. Malgré leur conscience qu'il faut avoir une <<belle forêt » pour vivre, ils regrettent de ne pas avoir plus de terres à cultiver et pensent corollairement avoir assez de territoires forestiers. Pour eux, soit leurs rizières sont trop petites à cause de l'étroitesse des vallons, soit leurs essarts ne sont pas assez étendus à cause de la faible altitude des reliefs.

Si les villageois pensent ne pas avoir suffisamment de terres cultivables et assez de terres
forestières, les officiers pensent le contraire. Cependant, les villageois font part de leur avis

140 Ce qui peut paraître paradoxale mais qui prouve la présence d'eau dans le sol et qui peut aussi montrer une certaine différence d'interprétation de ce qu'est une belle forêt pour les villageois.

sans critiquer directement l'avis des officiers.

Plus fréquentes sont les critiques directement dirigées vers <<ceux qui n'en font qu'à leur tête >>, les kroun kidu et déboisent en zones protégée des bassins versants, rendant ainsi le débit de l'eau pratiquement inutilisable pour tous les besoins familiaux.

Si les Khamou de Bouamphanh connaissent des périodes alimentaires difficiles, regrettant de posséder de bas reliefs et des vallons étroits, ils préfèrent cependant vivre dans leur village plutôt qu'en milieu forestier montagnard comme leurs voisins akha. Ils reconnaissent que la vie y est plus difficile, le travail plus pénible.

Ils souhaiteraient rester vivre à Bouamphanh et garder <<la tradition des parents >> tout en ayant les opportunités techniques des Lao. Un certain nombre de souhaits ont donc été énuméré : l'accès à l'électricité publique, à une cuisinière, à des canaux d'irrigation cimentés, à des motoculteurs, des outils de qualité comme les pioches, les pelles, des bêches en quantités, des taules pour les toitures, plus sures que les herbes à paillotes en saison des pluies, à une route enrobée plus rapide, moins dangereuse et moins poussiéreuse et à un potentiel commercial plus important (un marché plus grand, l'accès à plus de marchés, la venue de plus de clients extérieurs), favorisant l'économie de rente préférée à l'autosuffisance qui semble peu à peu délaissée car trop juste pour la sécurité financière des familles.

Selon la famille du jeune marié, les villageois passeraient moins de temps à collecter en forêt, à chasser et à pêcher que ne le faisait les anciens. Certaines personnes peuvent passer au maximum une dizaine d'heures dans la forêt à l'occasion des travaux de coupe et lors des sorties de chasses. Ils passeraient au minimum 30 minutes en forêt par jour pour aller collecter les produits alimentaires forestiers de bases que sont les pousses de bambous, les légumesfeuilles et petits animaux piégés dans les différents emplacements installés par les villageois. Le temps en forêt n'est pas le seul outil d'analyse pour savoir si leur rapport avec la forêt est prolongé ou occasionnel. Dans le cas où il serait prolongé on peut facilement concevoir qu'ils souhaitent garder leur environnement végétale source d'alimentation, de plaisir collectifs à être entre amis pour les collectes, et de repères spatiaux.

Selon le jeune marié, la forêt peut être un lieu apaisant, intime ou les couples vont travailler mais aussi s'y sentir bien lors des moments de repos. Le jeune marié dit d'ailleurs que malgré le fait qu'un mari marche devant sa femme dans les lieux publics du territoire, ils aiment se retrouver ensemble en forêt.

La forêt est aussi un lieu qui fait peur. Certains couloirs de végétation non coupés (ruisseaux de vallon où s'amoncelle la végétation non entretenue), où personne n'est passé depuis longtemps peuvent abriter de mauvais esprits, des animaux sauvages qui rendent les villageois attentifs aux moindres bruits suspects. Les esprits seraient localisés dans les versants, les parties d'anciennes forêts, plus denses que les forets clairs, des lieux où il n'y a pas traces de passages humains, ainsi que dans la forêt- cimetière proche du village. Aucun esprit ne logerait sur les sommets.

Les différentes activités, légendes qui sont en rapport avec la forêt sont des marqueurs culturels et économiques importants pour distinguer les rapports humains à la forêt. Nous pouvons nous apercevoir que les Khamou passent moins de temps en forêts que les Akhas et qu'ils recherchent à étendre les cultures, en acceptant les méthodes lao d'exploitation sédentaire intensive des terres prônée par les autorités laos. La conservation de la forêt n'est pas leur soucis premier. Ils seraient plus tentés de l'exploiter sans limite comme le font déjà certains

thaïs ou lao qui n'hésitent pas à défricher de vastes zones protégées dans les parcs nationaux de Sayaburi et de Phongsali. Lorsque la dépendance économique à la forêt diminue, sa conservation n'est plus primordiale et il faut alors concevoir un intérêt écologique qui n'est pas encore l'apanage des villageois de la région.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon