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La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

( Télécharger le fichier original )
par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

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BURKINA FASO

MINISTERE DES ENSEIGNEMENTS SECONDAIRE, SUPERIEUR ET DE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

 

UNIVERSITE DE OUAGADOUGOU

Unité de Formation et de Recherche
en Sciences Juridiques et Politiques
(UFR/SJP)
Ecole Doctorale en Sciences
Juridiques et Politiques

 

Année Universitaire 2008-2009

Thème :

La problématique de la gestion post conflit au Niger :

analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs.

Présenté et soutenu publiquement par :
SAIDOU Abdoul Karim

Pour l'obtention du

Diplôme d'Etudes Approfondies (DEA) en
Droit Public et Science Politique
Option : SCIENCE POLITIQUE

Sous la direction de :

Pr Basile L. GUISSOU
Directeur de Recherche en
Sociologie Politique
DG/CNRS/T Ouagadougou

Août 2009

i

La problématique de la gestion post con~lit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

Avertissement

«L'Unité de Formation et de Recherche en Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de Ouagadougou n'entend donner aucune approbation, ni improbation aux opinions émises dans les mémoires qui doivent être considérées comme propres à leurs auteurs »

ii

La problématique de la gestion post con~lit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

Remerciements

Je voudrais au terme de ce travail exprimer mes remerciements tout d'abord à ALLAH le Tout Puissant pour m'avoir permis de mener à bien cette recherche. Je me dois d'exprimer toute ma gratitude et mes remerciements à toutes les personnes physiques et morales qui m'ont aidé à réaliser ce travail. Mes remerciements vont d'abord au Pr Basile Guissou, mon directeur de recherche et professeur de Sociologie Politique, pour m'avoir accordé toute son attention et son expertise scientifique tout au long de ce travail. Je remercie également le Pr Augustin Loada, Responsable du DEA, qui m'a également fait bénéficier de toute son expérience de recherche en science politique.

Je tiens aussi à exprimer toute ma gratitude au Pr Mamoudou Gazibo de l'Université de Montréal, au Pr Tidjani Mahaman Alou et Dr Niandou Souley Abdoulaye de l'Université Abdou Moumouni de Niamey pour leurs appuis très précieux. Je ne manquerai pas de remercier le Ministre Mohamed Anacko, Haut Commissaire à la Restauration de la Paix, et tout le personnel du HCRP sans la coopération desquels ce travail n'aurait pas été possible. Je n'oublierai pas Mme Agnès Diaroumeye Bembello et Mme Fatima Mounkaila de MAPADEV qui n'ont ménagé aucun effort pour m'accompagner aussi bien dans mes recherches que dans la pratique de la gestion et de la prévention des conflits.

Ma reconnaissance va aussi à certains acteurs de la société civile nigérienne qui m'ont permis d'intégrer des cadres de réflexion sur le conflit au nord Niger. Il s'agit du Pr Khalil Ikhiri et Dr Badié Hima de l'ANDDH, de Mr Laoual Sayabou du RODADDH, du Dr Souley Adji et Mr Moussa Tchangari de Alternatives Espaces Citoyens. Je n'oublie pas mes parents et proches dont le soutien a été très déterminant. Je pense à ma mère, à mes frères et soeurs, à monsieur Illa kané, au médécin-colonel Illo Almoustapha et à Mr Ali Sakola Djika. Enfin, mes remerciements vont à mes collègues de DEA et à tout le corps professoral du 3è cycle de l'UFR/SJP.

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La problématique de la gestion post con~lit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

Sigles et Abréviations

ANDDH : Association Nigérienne de Défense des Droits de l'Homme

APLN : Armée Populaire de Libération du Nord

ARLN : Armée Révolutionnaire pour la Libération du Nord

CAD : Comité d'Autodéfense

CMS : Conseil Militaire Suprême

CRA : Coordination de la Résistance Armée

CRN : Conseil de Réconciliation Nationale

CRP : Commission de Restauration de la Paix

CSN : Conseil du Salut National

CSP : Comité Spécial de Paix

CTN : Comité Technique de Négociation

CVT : Comité de Vigilance de Tassara

DAES/C : Direction des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles

DAPJ : Direction des Affaires Politiques et Juridiques

DBGN : Document de Base du Gouvernement du Niger devant servir aux Négociations avec la

Rébellion

FAN : Forces Armées Nigériennes

FAR : Forces Armées Révolutionnaires

FARS : Forces Armées Révolutionnaires du Sahara

FDR : Front Démocratique pour le Renouveau

FDS : Forces de Défense et de Sécurité

FFL : Front des Forces de Libération

FLAA : Front de Libération de l'Aïr et de l'Azawak

FLT : Front de Libération de Tamoust

FNIS : Forces Nationales d'Intervention et de Sécurité

FPLN : Front Populaire de Libération du Nord

FPLS : Front Patriotique de Libération du Sahara

GIE : Groupement d'Intérêt Economique

HCR : Haut Conseil de la République

HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés

HCRA/D : Haut Commissariat à la Réforme Administrative et à la Décentralisation

HCRP : Haut Commissariat à la Restauration de la Paix

HIMO : Haute Intensité de Main-d'oeuvre

JORN : Journal Officiel de la République du Niger

MAPADEV : Maillon Africain pour la Paix et le Développement

MNJ : Mouvement des Nigériens pour la Justice

MRLN : Mouvement Révolutionnaire de Libération du Nord

MUR : Mouvement Uni Révolutionnaire

OCRS : Organisation Commune des Régions Sahariennes

ORA : Organisation de la Résistance Armée

PCPAA : Projet Consolidation de la Paix dans l'Aïr et l'Azawak

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La problématique de la gestion post con~lit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

PCPRB : Projet Consolidation de la Paix dans la Région de Bilma

PCPRD : Projet Consolidation de la Paix dans la Région de Diffa

PCR : Programme Cadre de la Résistance

PNUD : Programme des Nations Unies pour la Développement

PVNU : Programme des Volontaires des Nations Unies

RODADDH : Réseau Nigérien des ONG de Développement et Associations de Défense des

Droits de l'Homme et de la Démocratie

SNECS : Syndicat National des Enseignants et Chercheurs du Supérieur

UDN : Union Démocratique Nigérienne

UFRA : Union des Forces de la Résistance Armée

USS : Unités Sahariennes de Sécurité

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La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

Sommaire

AVERTISSEMENT I

REMERCIEMENTS II

SIGLES ET ABREVIATIONS III

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE 12

LA CRISE DE CONSTRUCTION NATIONALE : SITE D'EMERGENCE DES

POLITIQUES PUBLIQUES 12

CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DU PROBLEME TOUAREG 14

SECTION 1 : L'ORIGINE COLONIALE DU PROBLEME TOUAREG 14

Paragraphe 1 : La configuration politique précoloniale 14

Paragraphe 2 : La politisation de l'ethnicité 19

SECTION 2 : L'ETAT POST COLONIAL ET LE DEFI DU PROBLEME TOUAREG 23

Paragraphe 1 : Les limites des politiques de construction nationale 23

Paragraphe 2 : Le règlement du conflit touareg 29

CHAPITRE II : EMERGENCE DES POLITIQUES DE GESTION POST CONFLIT

ET CONTINUITE HISTORIQUE 36

SECTION 1 : LA DIMENSION INSTITUTIONNELLE DES REPONSES ETATIQUES AU PHENOMENE

REBELLIONNAIRE 36

Paragraphe 1 : La structuration institutionnelle de la gestion du conflit 36

Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des Accords de Paix 41

SECTION 2 : LE MODELAGE INSTITUTIONNEL DANS L'ELABORATION DE LA POLITIQUE DE

REINSERTION 47

Paragraphe 1 : La configuration institutionnelle de la gestion post conflit 47

Paragraphe 2 : L'empreinte institutionnelle dans le output de la politique de réinsertion 54

DEUXIEME PARTIE : 62

L'IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA REINSERTION : ENTRE

STRUCTURATION ET REPRODUCTION 62

CHAPITRE I : INSTITUTIONS ET LOGIQUES COMPORTEMENTALES DES EX-

COMBATTANTS 64

SECTION 1 : LA STRUCTURATION DES STRATEGIES DES EX-COMBATTANTS 64

Paragraphe 1 : Les institutions comme opportunité 64

Paragraphe 2 : Les institutions comme contrainte 69

SECTION 2 : LES RELATIONS DE POUVOIR ASYMETRIQUES ENTRE ACTEURS 75

Paragraphe 1 : Les relations entre acteurs étatiques 76

Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les ex-combattants 81

CHAPITRE II : POLITIQUE DE REINSERTION ET PHENOMENES DE PATH

DEPENDENCE 88

vi

La problématique de la gestion post con~lit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

SECTION 1 : LA CRISTALLISATION DE LA LOGIQUE REPRODUCTRICE 88

Paragraphe 1 : Le HCRP comme contrainte institutionnelle 88

Paragraphe 2 : Les mécanismes de résistance de l'institution 95

SECTION 2 : LE DOUBLE IMPACT DE LA DYNAMIQUE D'INSTITUTIONNALISATION 101

Paragraphe 1 : Le développement d'une onction tribunitienne 101

Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture politique aristocratique 107

CONCLUSION 113

BIBLIOGRAPHIE 119

ANNEXES 127

ANNEXE 1 1

ANNEXE 2 9

ANNEXE 3 11

1

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

INTRODUCTION GENERALE

La question de l'intégration des minorités touarègues dans certains Etats africains post coloniaux (Niger, Mali, Libye, Burkina Faso, Algérie) constitue depuis les indépendances un des enjeux essentiels de la construction étatique et nationale en Afrique sahélo-saharienne. En effet, le processus arbitraire « d'importation de l'Etat-nation »4 occidental en Afrique, ignorant toute réalité sociologique et historique des sociétés africaines, a créé au lendemain des indépendances politiques des conflits souvent violents entre l'Etat et la nation2.

Ecartelées entre six (6) Etats postcoloniaux, l'intégration des communautés touarègues est non seulement une question nationale mais aussi un enjeu de la géopolitique dans tout l'espace sahélo-saharien. Au Niger et au Mali, où ces contradictions se sont traduites par des rebellions armées, la question touarègue est devenue un problème politique récurrent, alimenté par une insécurité devenue chronique dans les deux pays et le discours irrédentiste touareg qui menacent l'unité nationale et l'intégrité territoriale des Etats concernés.

En Afrique, l'analyse scientifique des conflits peut être appréhendée selon les thématiques développées par la science politique africaniste. Selon Mamoudou Gazibo, des indépendances africaines dans les années 1960 à l'entrée de l'Afrique dans la «troisième vague de démocratisation» (S. Huntington), trois thématiques ont été privilégiées par la science politique, à savoir l'Etat, le développement politique et récemment les transitions démo cratiques3.

C'est donc à la lumière des perspectives d'analyse produites sur ces objets que les conflits africains ont été expliqués. L'approche développementaliste, par exemple, part du postulat que chaque système politique affronte dans son processus de développement cinq (5) types de crises : crise de légitimité, crise d'identité, crise de participation, crise de pénétration et crise de distribution4. La capacité du système politique à dépasser ces crises dépend de la différentiation structurelle de ses institutions et de la sécularisation de la culture politique des populations. Ces théories qui considèrent les conflits politiques comme l'antichambre de la modernité ont été critiquées pour leurs connotations idéologiques, téléologiques et universalistes5.

D'autres théories de moyenne portée ont été développées pour dépasser ces paradigmes. Selon Emmanuel Gasana et al6, deux approches se sont longtemps affrontées dans l'explication des conflits en Afrique : l'école essentialiste qui considère les conflits comme résultant des clivages identitaires, et l'école instrumentaliste qui, au contraire, s'appuie sur la construction sociale des conflits par des acteurs intéressés.

1 Bertrand Badie, l'Etat importé : l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992.

2 Ali Mazuri et A. Mazuri, «Interaction between the state and the nation in Africa's experience: two decades of independence» in Enoch Oyodele (ed), Africa : National Unity, Stability and Development, Ibadan, Yakubu Gowon Centre, 1997, p.33

3 Mamoudou Gazibo, « L'Afrique en politique comparée » in Revue Camerounaise de Science Politique, vol 8, numéro spécial 2001, p. 5.

4 Lucian Pye, Crises and sequences ofpolitical development, Princeton, Princeton University Press, 1991.

5 On peut citer les critiques de Claude Ake (Social science as imperialism: the theory ofpolitical development, Ibadan, Ibadan University Press, 1979) et de Bertrand Badie (Le développement politique, Paris, Economica, 1994).

6 Emmanuel Gasana et al, « Rwanda » in Adebayo Adedeji (ed), Comprehending and mastering african conflicts, Zaria, Ahmadu Bello University Press, 1999, p. 141.

2

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

Le problème touareg au Niger et au Mali a fait l'objet d'analyses aussi bien en Afrique qu'en Occident avant et après les rébellions armées. Mais comme le soutient Modibo Keita, « la question touarègue soulève des passions dès qu'elle est abordée, aussi bien du côté des touaregs que des non-Touaregs »1 Il est, en effet, difficile de dissocier le discours savant de la littérature militante, tant de par l'origine sociale des auteurs (Touaregs ou non-Touaregs) que de par les positions idéologiques que certains « travaux » prétendument scientifiques trahissent. C'est donc en relativisant le principe de la neutralité axiologique cher à Max Weber qu'il faudra aborder le « savoir savant » sur le problème touareg en Afrique.

L'analyse critique de cette littérature scientifique nous a permis de repérer plusieurs approches du problème. Dans le cadre du présent travail, nous mentionnerons quatre (4) thèses qui nous paraissent les plus intéressantes d'un point de vue s cientifique2. Selon la première perspective, la rébellion touarègue est la conséquence d'une politique délibérée de marginalisation politique et économique des touaregs inaugurée par la France pendant la période coloniale et renforcée par l'Etat post colonial3.

La deuxième thèse, au contraire, considère la rébellion comme une manipulation des élites touarègues soutenues par la France pour défendre le pacte colonial menacé au début des années 1990 par l'irruption sur la scène politique des forces politiques considérées comme anti-françaises. Le problème touareg est donc, dans cette grille analytique, le résultat d'une instrumentalisation des identités culturelles au profit d'intérêts personnels et de l'impérialisme français4. Cette position épousée par les autorités nigériennes est mieux exprimée par Ganda Ag Wuruwama5.

Une troisième perspective met l'accent sur les politiques publiques de l'Etat post colonial sur la zone pastorale qui auraient provoqué une crise du nomadisme ; la rébellion serait l'expression brutale de cette fracture entre la rationalité d'un Etat moderne à tendance jacobine et la logique d'une communauté nomade qui ignore les frontières étatiques.6

Enfin, la quatrième approche postule que la rébellion résulte d'une absence totale de vision stratégique de l'Etat et d'une crise de gouvernance généralisée. La marginalisation économique du nord Niger n'est que le reflet de la nature néo coloniale de l'Etat post colonial qui joue encore le rôle à lui assigné par le système colonial.7 En d'autres termes, le conflit au Nord

1 Modibo Keita, « La résolution du conflit touareg au Niger et au Mali », Note de recherche n°10, GRIPCI, Juillet 2002, p. 5.

2 Il est important de préciser que ces thèses ne sont pas forcément antagonistes. Certaines sont d'ailleurs complémentaires.

3 Cette thèse est exposée par Mano Dayak dans Touareg, la tragédie, Paris, J.C. Lattès, 1992 (en collaboration avec Michael Stuhrenberg et Jérome Strazzulla.). C'est aussi le cas de Hélène Claudot-Hawad, «Bandits, rebelles et partisans : vision plurielle des évènements touaregs, 1990-1992 » in Politique Africaine n°46, 1992, pp. 143-149.

4 André Salifou, La question touarègue au Niger, Paris, Karthala, 1993.

5 Ganda Ag Wuruwama, « La rébellion « touarègue » : genèse et solutions » in SNECS, Eléments de réponse au programme cadre de la « Résistance Armée», juin 1994, p. 51.

6 André Bourgeot, Touarègues : nomadisme, identité, résistance, Paris, Karthala, 1995 et « Le désert quadrillé : des touaregs au Niger » in Politique africaine n°38, juin 1990. C'est aussi la position de Mohamed Tiessa-Farma Maiga (Le Mali : de la sécheresse à la rébellion nomade, chronique et analyse d'un double phénomène du contre développement en Afrique sahélienne, Paris, L'Harmattan, 1997).

7 Pr Djibo Hamani, « Les enjeux stratégiques autour du Sahara à travers l'histoire », Communication à l'Atelier sur le thème « Conflit au nord Niger : analyse des enjeux stratégiques et impacts sur le cadre démocratique» organisé par l'Association Nigérienne de Défense de Droits de l'Homme (ANDDH) et Alternative Espaces Citoyens, Niamey, 11 août 2007. Voir aussi Djibo Hamani (interview) in As-Salam, n°93, août 2007, p. 6.

3

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

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reflète l'incapacité des élites politiques au Niger à rompre avec les déséquilibres structurels introduits entre les régions par le système colonial français.

Ces travaux sont d'une richesse indubitable. Les grilles d'analyses sur lesquelles ils s'appuient sont d'une fécondité heuristique incontestable. En effet, ils mettent en relief les variables essentielles telles que les politiques de l'Etat, la question nationale, les interventions extérieures, le rôle des facteurs écologiques etc. Ils témoignent ainsi de la multiplicité des causes dans l'origine du conflit qui relèvent des facteurs à la fois subjectifs et objectifs. Ceci n'occulte pas des limites d'ordre épistémologique. De l'ensemble des grilles d'analyse se dégage un invariant épistémologique : le holisme.

Cette perspective scientifique, chère à Emile Durkheim, insiste sur les déterminants sociaux qui gouvernent les agents (un terme significativement préféré à celui d'acteur) et explique les faits sociaux moins par les rationalités des acteurs que par des variables objectives liés aux conditionnements sociologiques. Ces travaux, pour la plupart réalisés par des historiens et anthropologues, se sont focalisés sur les objets macro sociaux comme les facteurs écologiques, économiques et culturels sans donner une place suffisante à des variables d'ordre stratégique ou institutionnelle. C'est pourquoi, dans le cadre de cette étude, nous leur accordons "une valeur heuristique plutôt qu'explicativei1 dans l'analyse de notre objet.

En d'autres termes, elles nous serviront de point de départ pour aborder notre problématique qui relève du champ disciplinaire de la science politique. Outre ces considérations épistémologiques, il importe de constater que beaucoup de ces études se rapportent aux causes de la première rébellion armée dans les années 1990, ou traitent de la problématique de l'intégration des minorités touarègues dans l'Etat. Mais depuis le retour de la paix au Niger à la faveur des différents Accords de Paix signés entre le Gouvernement du Niger et la Rébellion touarègue, le problème du Nord Niger semble avoir perdu son intérêt scientifique pour les chercheurs en sciences sociales.

En effet, comme objet d'étude, la question touarègue n'a pas nourri de nouveaux travaux, notamment en ce qui concerne la gestion post conflit. Comme le souligne avec regret Katrina S. Rogers2, les travaux scientifiques en sciences sociales s'intéressent plus au conflit qu'à la coopération. Celle-ci est perçue comme un non événement et « pour chaque page écrite sur la coopération, ily a 40 autres écrites sur la guerre »3. C'est ainsi que les politiques publiques de gestion post conflit élaborées et mises en oeuvre par l'Etat depuis 1995 en vue d'appliquer les clauses des Accords de Paix et de consolider la paix au Nord n'ont pas suscité le même engouement de la communauté scientifique que pour l'analyse du conflit.

Ces politiques étaient formulées sur la base des Accords de Paix, c'est-à-dire comme les outputs résultant du traitement par le système politique des inputs articulés par les rebelles touaregs, pour employer le langage systémique. D'une part, on distingue les politiques destinées à honorer des engagements souscrits par le Gouvernement, à savoir la décentralisation, la gestion de la sécurité dans le Nord, la réinsertion des ex-combattants etc. D'autre part, il existe des politiques symboliques destinées à consolider une culture de la paix, renforcer le sens de l'unité nationale et de la démocratie. La cérémonie Flamme de la Paix, la célébration du 24 avril, date de la signature

1 Raymond Boudon, cité par Phillipe Braud, Sociologie politique, Paris, L.G.D.J., 2006, p.691.

2 K. S. Rogers, «Sowing the seeds of cooperation in environmentally induced conflicts» in M. Suliman (ed), Ecology, politics and violent conflicts, London, Zed Books, 1999, p.259

3 ibid.

4

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des Accords de Paix définitifs en 1995 comme fête nationale, les politiques de socialisation à l'école en sont quelques exemples.

Toutes ces politiques ont eu des impacts, des outcomes non seulement sur le processus de paix lui-même mais aussi sur le système politique dans son ensemble. De ce fait, il apparaît évident qu'elles ont inauguré de vastes chantiers de recherches pour des disciplines comme la science politique et la sociologie. Elles offrent ainsi l'occasion de réhabiliter, sinon d'introduire la question touarègue comme objet d'étude dans la science politique en tant qu'enjeu de la politique nigérienne.

Jusqu'ici monopolisé par l'histoire et l'anthropologie, le problème touareg reste largement inexploré dans certains de ses aspects les plus essentiels liés à la gestion post-conflit. C'est pour contribuer à enrichir la littérature savante que nous nous proposons d'analyser la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs. Notre démarche se démarque ainsi des travaux antérieurs en ce qu'elle aborde non pas la problématique du conflit, mais l'étude d'une politique publique issue de celui-ci.

Beaucoup de mutations qualitatives ont été induites par les politiques de gestion post conflit. La politique de réinsertion des ex-combattants qui nous intéresse dans ce travail semble montrer ses limites depuis quelques années. La naissance du MNJ depuis février 20071, même si elle n'est pas au centre de notre problématique, n'en constitue pas moins une justification éloquente. Rien qu'en nous limitant à la qualité des acteurs de la nouvelle rébellion, il apparaît que désormais, aucune analyse du problème touareg ne saurait faire l'économie de l'étude des politiques de gestion post conflit en général et de la politique de réinsertion des ex-combattants en particulier.

En outre, bien avant la résurgence de la rébellion dans le Nord, de nombreux indices de crise alarmants autorisaient tout chercheur à s'interroger sur les effets réels de la réinsertion sur le processus de paix. Les phénomènes de désertions, de révocations des combattants touaregs intégrés au sein des corps militaires et para militaires, l'insécurité sporadique dans le Nord, l'inflation des revendications des ex-combattants, les conflits internes, souvent violents, au sein des ex-Fronts pour ne citer que ceux-là, étaient autant de contradictions issues de la gestion post-conflit dont l'analyse s'avère incontournable pour appréhender la résurgence du conflit dans le Nord.

Notre étude s'articule autour de la question de recherche suivante : Quel est l'impact des institutions sur la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs ? Le traitement de cette question appelle à une rupture épistémologique avec les cadres conceptuels et théoriques jusqu'ici en vogue. Nous l'aborderons dans le cadre de l'analyse des politiques publiques.

L'analyse des politiques publiques est « l'un des secteurs les plus dynamiques de la science politique »2 comme le soutient Philippe Braud. Pour Pierre Muller, l'analyse des politiques publiques est « la science de l'Etat en action »3. La littérature savante regorge d'une multitude de définitions du concept de politique publique.4 Le concept est défini par Jean Claude Thoenig

1 Le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) est le nom de la nouvelle rébellion touarègue qui a débuté ses attaques en février 2007. Elle est animée sur le terrain par d'anciens rebelles touaregs intégrés dans les corps militaires et para militaires à la suite des Accords de Paix.

2 Phillipe Braud, op cit, 597.

3 Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, LGDJ, 2000, p. 543

4 J. C. Thoenig en recensait déjà une quarantaine de définitions dans sa présentation du Tome IV du Traité de Science Politique dirigé par J. Léca et M. Grawitz, p. XII.

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comme désignant « les interventions d'une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique ou du territoire »1.

Ces politiques se caractérisent par leur triple forme : « elles véhiculent des contenus, se traduisent par des prestations et génèrent des effets »2. Il n'est pas aisé de dissocier l'analyse des politiques publiques de l'analyse classique de la science politique. En effet, étant « des ensembles structurés, réputés cohérents d'intentions, de décisions et de réalisations imputables à une autorité publique, locale, nationale ou supranationale », les politiques publiques apparaissent comme les résultats du jeu politique ; car la politique (politics) implique nécessairement la production des politiques publiques (public policies) qui s'expriment dans l'action ou l'inaction de l'Etat.

Pour le politiste américain Harold Lasswell, l'essence de la politique réside dans « qui obtient quoi, quand et comment? »4. Dans une perspective similaire, David Easton en définissant la politique comme « l'allocation autoritaire des valeurs » place les politiques publiques au centre de l'action politique. Ceci témoigne de la forte filiation entre la politics et la public policy5. Mais celle-ci n'occulte pas cependant des divergences d'approches, et même d'objet d'étude entre les deux perspectives.

La démarche de la science politique peut être illustrée par les paradigmes pluralistes et élitistes. Comme le constate Marc Smyrl, «pour les pluralistes, l'Etat est avant tout une arène où s'affrontent des intérêts divers. Les politiques publiques dans ce schéma ne sont que les enjeux de cette compétition. Une fois trouvée la réponse à la question fondamentale « qui gouverne », la question subsidiaire «pourquoifaire » trouve d'elle-même sa réponse »6. Cette appréhension des politiques publiques est aussi perceptible dans la théorie élitiste qui considère les politiques publiques comme « une traduction fidèle des relations de pouvoir qui les produisent »7. Paul Pierson conclut ainsi que les politologues appréhendent les politiques publiques comme une variable dépendante résultant des rapports de forces, mais jamais comme une variable indépendante, c'est-à-dire un des déterminants de ces rapports de forces8.

L'analyse des politiques publiques a constitué une avancée significative dans l'analyse politique. Pour Pierre Muller, « ce qui caractérise le mieux le renversement opéré par l'analyse des politiques publiques est le fait qu'elle entend saisir l'Etat à partir de son action, c'est-à-dire à partir de ses outputs »9. Ce champ d'étude a ainsi permis de « sociologiser notre regard sur l'Etat » (P. Muller), en même temps qu'elle a révélé que « lesfonctions de gouvernement sont irréductibles aux processus de représentation politique et que l'on ne peut pas «déduire» le contenu et les formes des actions gouvernementales (en tant qu'activités spécifiques) des caractéristiques de la «politique électorale» »10.

1 J. C. Thoenig, «Politique publique» in Laurie Boussaguet et al (dir), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Science po, 328.

2 Ibid.

3 Phillipe Braud, op cit, p. 597.

4 Cité par Adesina Sambo, « What is public policy ? » in R. Anifowose and F. Enemuo (eds), Elements of Politics, Lagos, Malthouse Press Limited, 1999, p. 299.

5 Ibid.

6 Marc Smyrl, « Politics et policy dans les approches américaines des politiques publiques : effets institutionnels et dynamiques de changements » in Revue Française de Science Politique, vol 52, n°1, février 2002, p 39.

7 Ibid ;

8 Paul Pierson, « When effects become causes », World Politics, 45 (4), 1993, p. 595 cité par Marc Smyrl, ibid.

9 Pierre Muller, « L'analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie de l'action» in Revue Française de Science Politique, vol 50, n°2, p. 190.

10 Ibid.

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Par ailleurs, comme toute discipline, l'analyse des politiques publiques est traversée par plusieurs théories explicatives. Celles-ci peuvent se résumer en deux grandes tendances, à savoir les approches étatiques et les approches pluralistes1. Entre ces deux extrêmes se positionnent des théories médianes, plus récentes et plus éclectiques. C'est le cas du néo-institutionnalisme. L'institutionnalisme historique qui en est une variante constitue notre cadre théorique d'analyse dans la présente étude.

Le néo-institutionnalisme s'est développé comme perspective théorique en science politique au début des années 80 en réaction aux courants behavioristes et structuro-fonctionnalistes en vogue depuis les années 502. Ceux-ci avaient eux-mêmes été construits comme dépassement de l'ancien institutionnalisme, très critiqué pour son approche idéaliste et formaliste des phénomènes politiques. Le néo-institutionnalisme partage avec l'ancien institutionnalisme l'utilisation des institutions comme variables explicatives autonomes, mais s'en démarque non seulement par une définition plus large de l'institution, mais aussi par son champ d'investigation allant au-delà des seules institutions formelles.

Alors que l'ancien institutionnalisme se focalise sur la démocratie et ses institutions, le néo-institutionnalisme s'intéresse à des objets et thématiques comme l'étude traditionnelle de l'Etat, la démocratisation, les luttes pour le contrôle du pouvoir, le rôle des grandes entreprises, les politiques publiques etc. En outre, contrairement à la définition formelle de l'institution propre à l'ancienne tradition institutionnelle, le néo-institutionnalisme offre une définition qui couvre les institutions formelles, les normes sociales, les symboles et les idées3. Si cette approche s'est développée dans des domaines divers, c'est surtout en politique comparée et en politiques publiques qu'elle s'est imposée.

Le néo-institutionnalisme s'inscrit dans un débat scientifique autour des facteurs explicatifs des différences de trajectoires des Etats occidentaux en matière de politiques publiques. Dans les années 70 et 80, trois thèses dominaient ce débat. La première s'articule autour des « valeurs nationales» et établit un lien entre les vues socio-économiques d'une population et les prestations sociales de l'État. La seconde postule que la taille de l'Etat Providence est fonction du niveau de développement économique d'un État. La dernière, enfin, défend l'idée que les politiques sociales sont tributaires de la capacité de mobilisation des acteurs4. L'apport du néo-institutionnalisme a été d'introduire la variable institutionnelle dans l'analyse.

Toutefois, en science politique, le néo-institutionnalisme n'est pas une approche homogène, il renvoie à trois écoles ou variantes : l'institutionnalisme historique, l'institutionnalisme des choix rationnels et l'institutionnalisme sociologique. Selon Peter A. Hall et Rosemary C.R Taylor5, il existe deux questions fondamentales pour toute analyse qui se veut institutionnelle :

- Comment se construit la relation entre institution et comportement ?

1 Pierre Muller et Yves Surel, L'analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998, pp 33-52.

2 Mamoudou Gazibo, « Le néo-institutionnalisme dans l'analyse comparée des processus de démocratisation », Politique et Sociétés, vol 21, n°3, 2002, p.139.

3 Ibid, 140.

4 Daniel Béland, «Néo-institutionnalisme et institutions sociales : une perspective sociologique» in Politique et Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 24-25.

5 Peter A. Hall, Rosemary C.R. Taylor, « La science politique et les trois institutionnalismes », Revue Française de Science Politique, vol 47, n°3-4, 1997.

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La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

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- Comment expliquer les processus par lesquelles les institutions naissent ou se maintiennent ?

L'institutionnalisme historique est une réaction aux analyses politiques en termes de groupes en politique1 et au structuro-fonctionnalisme2. Contrairement à la première perspective, l'institutionnalisme historique recherchait les explications des situations politiques dans la distribution inégale des pouvoirs et des ressources, dans l'organisation institutionnelle de l'Etat et des structures économiques. En cela, et tout en élargissant la notion d'institution, cette grille d'analyse fait justice à une ancienne tradition en science politique qui met au centre de ses analyses les institutions officielles.

Face à la deuxième perspective, l'institutionnalisme historique considère l'organisation institutionnelle ou l'économie politique comme facteur fondamental de structuration des comportements collectifs, contrairement à la tendance fonctionnaliste à privilégier des paramètres propres aux individus comme régissant le fonctionnement du système politique3. Aussi, l'institutionnalisme historique se distingue des théories pluralistes ou néo-marxistes en accordant une attention centrale à l'Etat. Celui-ci n'est plus conçu comme « un agent neutre arbitrant les intérêts concurrents, mais un complexe d'institutions capable de structurer la nature et les résultats des conflits entre groupes »4.

Les travaux de Theda Skocpol sur les révolutions sociales ont été pionniers dans la redécouverte des institutions et l'introduction de l'approche stato-centrée dans l'analyse politique5. L'explication de la gestion post conflit sous cet angle exige, par ailleurs, une opérationnalisation de la théorie. C'est de cette démarche que procèdent nos hypothèses de recherche qui sont inspirées de l'institutionnalisme historique. Notre recherche a consisté, en effet, à tester les trois hypothèses suivantes :

Hypothèse 1 : Les institutions existantes, lors de l'émergence de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs, exercent une influence structurante sur la configuration de la politique elle-même et des institutions qui en ont résulté.

Hypothèse 2 : Les institutions de gestion post conflit influencent les comportements des acteurs à travers une structuration de leurs choix et stratégies et la configuration asymétrique des pouvoirs qu'elles imposent.

Hypothèse 3 : Les institutions de gestion post conflit et la politique de réinsertion engagent la dynamique de leur reproduction en raison des intérêts matériels et symboliques qu'elles conf$rent aux acteurs.

Ces hypothèses constituent en même temps nos axes principaux de recherche. Elles tentent de répondre à trois questionnements essentiels propres à toute problématique d'analyse institutionnelle. Il s'agit de l'origine des institutions, du lien entre institutions et comportements des individus et enfin du maintien des institutions.

1 Arthur Bentley fut un des précurseurs de la group theory of politics et de la behavioural revolution avec son Process of Government (New York, Alfred A. Knopf inc, 1908). Pour lui, l'essence de la politique est à rechercher dans la dynamique des groupes comme il l'exprimait en ces termes : « When the groups are adequately stated, everything is stated. When i say everything, i mean everything. The complete description will mean the complete science, in the study of socialphenomena, as in any other field». L'analyse en termes de groupes fut approfondie par David Truman dans the Governmental process (Illinois, Evanston, 1951). Voir Alan Isaak, Scope and methods ofpolitical science, Homewood, The Dorsey Press, 1969, p. 208.

2 G. Almond et G. Powell, Comparative politics: a developmental approach, Little, Brown & co, 1966.

3 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p 470.

4 Ibid, p 471.

5 Mamoudou Gazibo, Jane Jenson, La politique comparée, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2004, p.201

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La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

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La première hypothèse permet de saisir le poids des institutions existantes, c'est-à-dire de la continuité historique sur la nature des institutions nouvelles et de la politique de réinsertion. Il s'agit précisément de répondre à la question suivante : dans quelle mesure la politique de réinsertion des combattants touaregs et les institutions de gestion du conflit portent-elles l'empreinte des institutions existantes1 ? Les institutions, soulignent les néo-institutionnalistes, émergent dans un monde saturé d'institutions, lesquelles exercent une influence sur la nature et la forme des nouvelles institutions. La valeur heuristique de cette proposition permet d'appréhender les éléments de continuité et de rupture tels qu'ils s'expriment dans les institutions issues du conflit touareg.

La deuxième hypothèse se rapporte à « une question cruciale pour toute analyse institutionnelle »2, à savoir comment les institutions affectent-elles les comportements des individus ? Le lien entre institution et comportement des acteurs est analysé selon une double démarche. Dans une perspective calculatrice, il s'agit d'abord de montrer comment l'institution structure les choix et les actions des acteurs impliqués dans la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs. Les institutions, « tout en modelant la façon dont les acteurs perçoivent ou comprennent leurs propres intérêts »3, fournissent également à ceux-ci des informations sur les comportements possibles des autres acteurs.

Ensuite, la structuration des comportements des acteurs est analysée en termes de relations asymétriques de pouvoirs que toute institution impose aux acteurs. La configuration institutionnelle, en ce qu'elle distribue inégalement les ressources et les pouvoirs entre acteurs, constitue une variable indépendante dans l'explication des situations politiques. Cet aspect important de l'hypothèse offre la possibilité d'examiner l'impact des inégalités issues du cadre institutionnel de la gestion post conflit et également celui des normes de répartition des ressources entre les ressortissants de la politique.

La troisième hypothèse repose sur la théorie de path dependence. Dans son essence, cette notion part du postulat que « les institutions durent parce qu'une fois créées, elles génèrent les conditions de leur permanence en engageant la dynamique de leur reproduction »4. L'analyse des processus de maintien et de reproduction des institutions issues de la politique de réinsertion permet de mesurer l'impact du policy legacy et du rôle des effets d'auto renforcement.

La notion de path dependence met en exergue la dynamique d'institutionnalisation des politiques publiques et leur tendance à élever le coût politique de toute velléité de rupture avec les choix politiques et institutionnels antérieurs. En clair, cette hypothèse permet de décrire le processus par lequel les institutions de gestion post conflit se transforment en « contrainte institutionnelle» et les effets induits par celle-ci sur le système politique.

Par ailleurs, comme préalable à toute recherche, il est indiqué de clarifier certains concepts de base utilisé tout au long du travail afin d'en préciser la signification, et par delà, faciliter la compréhension du document. Les concepts de réinsertion, d'institutions et de gestion post conflit sont ainsi à comprendre dans les sens ci-après.

1 Ce type d'explication remonte à Alexis de Tocqueville dans son l'Ancien Régime et la Révolution où il montre que la rupture prétendument provoquée par la Révolution n'en était pas une véritablement. On retrouvait dans les nouvelles institutions de nombreux éléments qui témoignent de l'héritage de la Monarchie.

2 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p. 472.

3 Sven Steinmo, « Néo-institutionnalismes » in Laurie Boussaguet et al, op cit, p. 293.

4 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 209.

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La réinsertion désigne le processus par lequel les ex-combattants touaregs démobilisés après les Accords de Paix ont été réintégrés à la vie civile normale. De par sa nature, la réinsertion est une politique rédistributive1, c'est-à-dire une politique qui accorde des avantages à une frange de la population jugée lésée. Cette politique a revêtu trois modalités.

Il s'agit d'abord de l'intégration qui a consisté à recruter les ex-combattants dans différents corps de l'Etat (FDS, Fonction Publique, Université etc.) selon leurs compétences. Ensuite, la réintégration par laquelle les ex-combattants ont été replacés dans leurs corps d'origine, notamment les étudiants ou élèves et les agents de l'Etat ayant quitté respectivement leurs institutions de formation et leurs postes. La troisième modalité est la réinsertion socio-économique qui a concerné la majorité des ex-combattants dont le niveau d'instruction ne permettait pas de bénéficier d'une intégration. Elle s'est appuyée sur des projets communautaires dans lesquels les ex-combattants ont bénéficié des subventions et des appuis techniques afin de mener des activités génératrices de revenus (coopératives, élevage etc.).

La notion d'institution est fondamentale dans toute analyse néo-institutionnaliste. André Lecours distingue deux définitions2. Une définition matérialiste des institutions qui renvoie aux organes formels de l'État (parlements, tribunaux etc.), aux constitutions et autres arrangements juridiques (systèmes de partis, division territoriale etc.). C'est cette définition qu'adoptent les institutionnalistes historiques. Une définition normative qui analyse les institutions en termes de normes pouvant prendre la forme de paramètres culturels et cognitifs, de règles et procédures.

La notion d'institution désigne dans ce travail trois catégories de phénomènes. Elle désigne d'abord, dans le sillage de la posture matérialiste, les institutions formelles telles que le Gouvernement, la Présidence de la République, le HCRP ainsi que les normes formelles qui régissent leur fonctionnement. Dans une deuxième acceptation, les institutions se rapportent aux politiques publiques de gestion post conflit elles-mêmes, notamment la politique de réinsertion des ex-combattants qui forme avec le cadre institutionnel de sa mise en oeuvre (le HCRP), un ensemble d'institutions. La discrimination positive sur laquelle s'est basée la gestion post conflit est donc à considérer comme une institution. Enfin, les institutions désignent, dans une perspective normative, les normes informelles, les mécanismes et procédures officieuses de décisions inhérentes au cadre institutionnel de la politique.

La notion de gestion post conflit est proche du concept de peace building3 qui se rapporte aux actions visant à reconstruire une société sortant d'un conflit armé. Cette démarche va au delà des approches classiques car elle intègre les causes structurelles des conflits, notamment politico institutionnelles, socioculturelles, économiques et environnementales4. La gestion post conflit au Niger a donné lieu à trois types de réponses de la part de l'Etat : une réponse politique avec la décentralisation accompagnée d'un investissement symbolique et idéologique, une réponse

1 Theodore Lowi distingue quatre types de politiques publiques selon leur nature : les politiques distributives, rédistributives, régulatrices et constitutives. Voir Johnson O. Olaniyi, Foundations of public policy analysis, Ibadan, Sunad Publishers Limited, 2001, p.21.

2 André Lecours, « L'approche néo-institutionnaliste en science politique: unité ou diversité ? » in Politique et Sociétés, vol 21, n°3, 2002, p. 11.

3 Dans son An agenda forpeace, (Report of the Secretary General, 17 juin 1992), Boutros Boutros Ghali a défini quatre types d'interventions de l'ONU en matière de règlement de conflits : le peace enforcement, le peace keeping, le peace making et le peace building.

4 Necla Tshirgi, Peace building as the link between security and development:: is the window of opportunity closing?, New York, International Peace Academy Studies in Security and Development, 2003.

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économique avec des politiques volontaristes de réduction des disparités régionales et une réponse sociale consacrée par la réinsertion des ex-combattants démobilisés.

En termes de méthodologie, notre recherche a été réalisée à partir de trois techniques, à savoir l'analyse documentaire, les entretiens et, dans une certaine mesure, l'observation participante. Outre les publications scientifiques (ouvrages, articles etc.), nous avons travaillé avec la documentation administrative. L'essentiel de celle-ci a été analysé au Haut Commissariat à la Restauration de la Paix (HCRP), institution qui produit et centralise toutes les données sur le processus de paix. Une partie de la documentation a été obtenue aux Archives Nationales du Niger et au Service de la Documentation du Cabinet du Premier Ministre.

Les entretiens ont été réalisés sur la base d'un guide d'entretien selon la qualité de l'enquêté et les axes de recherches. Ils ont concernés trois catégories d'acteurs : les ex-combattants, les acteurs étatiques (surtout les cadres du HCRP) et les personnes ressources (chercheurs, leaders d'opinion, acteurs de la société civile etc.) qui ont joué un rôle quelconque dans le processus de paix avec l'ex-Rébellion. Notre recherche a été facilitée principalement par trois facteurs.

Le premier est lié à notre qualité d'agent du HCRP où nous travaillons en tant d'Appelé du Service Civique National depuis le 21 février 2006. A ce titre, nous avons bénéficié d'un accès direct aux archives de l'institution et à toute la documentation sur la gestion post conflit. Nous avons également participé aux activités du HCRP dans plusieurs cadres (réunions de travail, Ateliers etc.) et ainsi noué des liens empreints de confiance avec beaucoup d'acteurs impliqués dans le processus de paix. C'est en ceci que nous parlons d'observation participante. Il faut dire qu'en dehors de sa vocation scientifique, notre recherche est aussi le témoignage d'une expérience de travail dans une administration publique nigérienne.

Aussi, nous avons déjà soutenu un mémoire de maîtrise en science politique sur le conflit touareg en 20051. Nous avons, tout en capitalisant cette expérience, cherché à aborder la question touarègue avec une nouvelle problématique. Enfin, au cours de nos recherches, et compte tenu de l'actualité de notre thème, nous avons été sollicité à deux reprises par des acteurs de la société civile pour présenter des communications sur la gestion post conflit au Niger2. Les échanges issus de ces débats nous ont été d'un concours très précieux.

Toutefois, il faut reconnaître que ce travail souffre de certaines limites. La première résultait de l'inexistence d'un service de documentation au HCRP. En deux ans de prospection documentaire, les données que nous avons pu reconstituer n'ont pas été à la hauteur de nos ambitions. Il faut également noter la difficulté à rencontrer certaines personnalités ayant joué un rôle important dans le processus de paix en raison de leurs fonctions. C'est le cas des anciens Haut Commissaires à la Restauration de la Paix, comme le Général Seyni Garba et le Colonel Hamidou Maigari, occupant respectivement les fonctions de Chef d'État-major Adjoint des FAN et de Commandant de la Garde Présidentielle.

1 Saidou AbdoulKarim, Poverty, economic marginaliDation and political conflicts in contemporary Africa: A case study of the Tuareg rebellion in Niger Republic (1990-1995), Bachelor of Science (Bs c) in Political Science, Ahmadu Bello University, Zaria, Nigeria, 2005.

2 Nous avons présenté à cet effet deux communications : «Conflit armé dans le Nord : analyse des causes internes et ingérences extérieures » à la Journée de Réflexion de l'ANDDH et Alternative Espaces Citoyens le 11 août 2007 et «Conflit au Nord Niger: esquisse d'explication à partir de la gestion post conflit » le 5 mai 2008 à l'Atelier du RODADDHD sur la Stratégie Nationale de Prévention des Conflits et les Mécanismes de Prévention des Conflits au Niger.

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Un autre facteur limitant était lié au contexte de suspicion et de psychose né depuis 2007 de l'avènement de la rébellion du MNJ que le Gouvernement nigérien associait à un groupe de bandits armés. Les mesures de répression contre toute velléité de connexion avec le MNJ1 et la passion qui alimentait cette question ont été autant de facteurs handicapants.

Le chercheur que nous sommes a été souvent vu comme un espion au service du Gouvernement de la part de certains ex-combattants. Certains qu'entre eux qui ont accepté l'entretien ont refusé d'aborder certaines questions délicates pour leur propre sécurité, tandis que d'autres ont carrément refusé la discussion. Et dans certains cas, notre expérience sur cette question nous a souvent indiqué que les réponses fournies étaient biaisées par l'actualité et la subjectivité.

Aussi, pour notre propre sécurité, nous avons circonscrit le champ spatial de recherche à Niamey, le Nord étant sous un régime militaire appelé « état de mise en garde ». Bref, l'enquête aurait pu être elle-même biaisée si elle n'avait pas débuté bien avant l'avènement du MNJ. Beaucoup de nos entretiens ont en effet été réalisés entre 2005 et 2006.

Une précision importante est à faire en ce qui concerne le lien entre les données collectées et le thème du mémoire : l'ensemble des conclusions issues de cette recherche est extrapolable aux ex-combattants toubous, arabes et peulhs qui ont été réinsérés à la vie civile avec les ex-rebelles touaregs. Bien que chaque catégorie d'acteurs se soit distinguée dans le processus en termes de comportement politique et que l'impact dans les communautés soit variable, il est clairement ressorti que la politique de réinsertion a induit dans ces groupes des logiques politiques largement similaires. C'est pourquoi, bien que l'étude se focalise sur le cas des ex-combattants touaregs, certaines analyses sont illustrées par l'expérience des ex-combattants toubous, peulhs ou arabes.

De manière générale, cette étude a permis d'aborder la problématique de la gestion post conflit au Niger sous deux grands axes. Il s'est agit d'abord, après un détour par l'histoire, d'analyser l'impact des institutions sur le processus d'émergence de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs. Cette démarche montre que, nonobstant des éléments de rupture, la politique de réinsertion des ex-combattants et les institutions de sa mise en oeuvre ont été largement modelées par les institutions antérieures (Première Partie).

Les institutions issues de ce processus de gestion post conflit se sont, à leur tour, transformées en variables indépendantes à travers un mécanisme de rétroaction. L'analyse montre qu'elles ont contribué à la structuration des comportements des acteurs en canalisant leurs choix et stratégies, mais aussi engagé une dynamique d'autonomisation et de path dependence. Si ce policy lock in a engendré des dynamiques de stabilisation du système politique, il n'en demeure pas moins qu'il a en même temps impulsé un processus de déstabilisation de l'État de droit au Niger (Deuxième Partie).

1 Un de nos collègues, Mohamed Aghali, agent des FNIS, chauffeur et garde du corps du Haut Commissaire, est d'ailleurs détenu à la Gendarmerie depuis le 28 mai 2008 suite à des écoutes téléphoniques. Il est soupçonné comme Moussa Kaka, le correspondant de RFI au Niger, de complicité avec le MNJ.

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PREMIERE PARTIE

LA CRISE DE CONSTRUCTION NATIONALE : SITE
D'EMERGENCE DES POLITIQUES PUBLIQUES

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Pour aborder la problématique de la gestion post-conflit, on ne saurait faire l'économie d'un détour par l'histoire dont les données demeurent indispensables à l'analyse politique. Les développements historiques du Niger pré colonial, colonial et postcolonial permettent de cerner les contours du problème touareg devenu désormais récurrent. Cette excursion historique s'appuie sur l'origine du problème touareg en montrant son processus de construction et de gestion, aussi bien dans la période coloniale que dans la période post coloniale. Comme beaucoup de conflits ailleurs en Afrique et dans le monde, le conflit touareg a résulté d'une crise de construction nationale. La réinsertion des ex-combattants et les autres politiques de gestion post conflit sont issues de ce conflit armé. C'est à partir de ces développements que l'émergence de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs est appréhendée. Cette première partie se base sur la construction du problème touareg au Niger (Chap. 1) et permet d'apprécier la continuité historique dans l'émergence des politiques publiques de gestion post conflit (Chap. 2).

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CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DU PROBLEME TOUAREG

Pour saisir le processus de construction du conflit touareg, deux moments historiques sont à considérer. D'une part, le problème touareg résulte d'un processus de domination coloniale qui a consacré une rupture fondamentale avec les dynamiques d'intégration propulsées dans l'espace nigérien précolonial (section 1). D'autre part, à travers l'analyse des politiques d'intégration nationale de l'État post colonial, le rôle des variables politiques et géostratégiques est mis en exergue (section 2).

Section 1 : L'origine coloniale du problème touareg

Le problème touareg est issu du phénomène colonial. Les données historiques sur les entités politiques pré coloniales de l'espace nigérien et la nature de leurs rapports plaident pour cette approche (paragraphe 1). La politisation de l'ethnicité est ainsi apparue comme une politique pensée et délibérée du pouvoir colonial (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La configuration politique précoloniale

L'étude de l'espace politique précolonial révèle l'existence d'une diversité de formes d'organisation so ciopolitique (A) et une primauté des rapports de coopération sur la propension au conflit entre les différentes communautés existantes (B).

A. Une diversité de configurations et trajectoires politiques

Les sociétés politiques installées entre le fleuve Niger et le lac Tchad étaient organisées politiquement selon le rythme de leurs dynamiques internes. Il existait des sociétés à Etat fortement centralisées et des sociétés dites acéphales, sans Etat central, mais disposant tout de même de systèmes politiques complexes adaptés à leur culture1. Cependant, de manière générale, les sociétés du Soudan central exhibaient des formes d'organisation plus avancées que celles existant dans la zone savano-forestière. L'espace nigérien a été marqué par l'emprise des grands empires ayant prospéré dans l'espace soudano-sahélien depuis le XIIe siècle.

C'est ainsi que l'Empire du Kanem Bornou fondé au XIIe siècle avait étendu son influence sur les espaces géographiques du Niger actuel. A sa disparition en 1900, ce grand empire s'était retrouvé morcelé entre quatre Etats postcoloniaux à savoir le Niger, le Nigeria, le Tchad et le Cameroun qui se partagent le Lac Tchad. Le Kanem Bornou était organisé en principautés et royaumes sur un modèle théocratique d'inspiration islamique. Dans sa partie occidentale, l'espace nigérien connu l'influence de l'Empire du Mali surtout pendant son apogée entre le XIIe et le XIVe siècles.

D'ailleurs, les Etats haoussas entretenaient d'excellentes relations avec le Mali dans les domaines culturels et politiques. Des empereurs maliens comme Kankan Moussa ont exercé une influence forte sur l'espace nigérien, tout comme d'ailleurs les empereurs Sonraï tel que Askia Mohamed et Soni Ali Ber. Du VIIe au XIXe siècle, les populations haoussas du Niger et du

1 Sanoussi Tambari Jackou, Affaires Constitutionnelles et Organisation des Pouvoirs au Niger, vol 1, Niamey, Démocratie 2000, 2000, pp. 1-21.

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Nigeria avaient développé des Etats indépendants (Kano, Rano, Gobir ...). L'Empire haoussa du Kebbi par exemple avait bâti sa base territoriale jusque dans la zone sahélo-saharienne du Niger actuel (Filingué, Kourfey, Ader ...).

A la fin du XVIIIe siècle, le Sultanat d'Agadez dans le nord du Niger actuel, créé par des confédérations touarègues au XVè siècle, avait atteint un niveau d'organisation politique et de prestige très avancé. D'inspiration islamique, le Sultanat couvrait les régions de l'Azawak, de l'Ader et du Damergou. Pour Maikorema Zakari, « l'une des raisons qui présidèrent à sa fondation était précisément le souci de mieux organiser les forces du pays en vue de faire face aux agressions externes en provenance justement du Bornou puis du Songhay qui voulaient chacun l'inclure dans sa Ione d'influence à cause précisément de la position de carrefour commercial de l'Aïr »1.

Un autre Sultanat d'obédience islamique fut l'Etat de Damagaram dans le Zinder actuel créé par des populations originaires du Bornou. Il apparaît que malgré leur diversité de trajectoire, certains des Etats pré-coloniaux ayant occupé l'espace nigérien étaient fortement inspirés de l'Islam, sans être des Etats purement théocratiques. C'est au XIXè siècle qu'un empire véritablement islamique va naître dans la zone sahélienne : le Sultanat de Sokoto dans l'actuel Nigeria. Sous la direction du marabout peulh Ousmane Dan Fodio, le Sultanat de Sokoto va conquérir nombre d'Etats haoussas du nord Nigeria et étendre son influence jusque dans les régions du Niger central actuel. L'idéologie islamique de Ousmane Dan Fodio allait mobiliser beaucoup de groupes ethniques islamisés comme les Touaregs de l'Azawak et les Haoussas.

Ainsi, bien avant la pénétration coloniale, les sociétés occupant l'espace nigérien avaient produit à partir de leurs dynamiques endogènes des Etats plus ou moins centralisés, connaissant parfois des différentiations structurelles poussées. Le plus significatif en terme de construction politique est l'existence d'une logique idéologique qui transcendait les particularismes ethniques. L'idéologie islamique avait servi de base à l'éclosion d'une conscience politique prenant le dessus sur les allégeances primordiales.

Toutefois, les communautés ethnolinguistiques se distinguaient de par leur organisation so ciopolitique. L'organisation so ciopolitique du monde touareg se caractérise par l'existence d'une stratification sociale faite de « castes cloisonnées ». Quatre catégories socioprofessionnelles se retrouvent généralement dans les sociétés touarègues : les Imajeren, les Imrad, les Inaden et les Iklan2.

Les Imajeren représentent le groupe aristocratique guerrier dont l'occupation essentielle est la guerre. Cette catégorie se singularise aussi par son aversion pour le travail physique qui est censé relever des couches inférieures. A côté de ces nobles, il existe d'autres tribus libres appelées Ineslemen qui s'occupent des affaires religieuses, de justice et d'instruction politique.

Ces confréries religieuses n'existent pas dans toutes les sociétés touarègues. Les Imrad sont des groupes non aristocratiques soumis aux Imajeren, et à qui ils paient des tributs. En tant que tribus pastorales, les Imrad s'occupent de l'élevage des troupeaux appartenant aux Imajeren, et bénéficient en retour de la protection de ces derniers. Les Inadens ou artisans constituent un autre groupe socioprofessionnel inférieur. De par leur vocation pour le travail manuel, ils sont méprisés par les nobles même si leurs connaissances techniques suscitent l'admiration. Ils sont également craints dans le milieu touareg à cause des pouvoirs surnaturels que la société leur prête.

1 Maikorema Zakari, « Un travestissement de l'histoire pour les besoins de la cause » in SNECS, op cit, p. 10

2 André Salifou, La question touarègue au Niger, op cit, pp. 11-21

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Selon Jan Krzystof Makulski, «les Inadens produisent tout ce dont les touaregs ont besoin et notamment armes, ustensiles de bois d'usage quotidien, parties en bois de tentes, selles, harnais, ustensiles de terres glaise, bijouterie et ornements »1. Ils exercent également les métiers de coiffeurs, médecins et pharmaciens ainsi que le rôle d'espion, de diplomate et de griot.

Les Iklans sont des Noirs réduits à l'esclave domestique capturés dans les populations sédentaires du Sud. Ils sont la frange la plus importante numériquement dans la société touarègue et sont subdivisés en deux (2) catégories : les Iklans N'Taoussit, esclaves de case utilisés dans les travaux domestiques et les Iklans N'Egguet, esclaves de dune utilisés dans les travaux pastoraux. Les Iklans sont affectés aux taches les plus hostiles et appartiennent totalement à leurs maîtres.

Les Touaregs étaient estimés en 1988 à 557 054 habitants sur une population de 7 220 340 habitants, soit 7,6% de la population totale, contre 53% pour les Haoussas et 21% pour les Djermas2. Ces statistiques ont été contestées par la rébellion touarègue qui estime que « les Touaregs constituent en nombre le 2è peuple du Niger, s'il n'est pas le premier »3. Leur peuplement s'étend « de la région de Téra à l'ouest à celle de Diffa à l'extrême est du pays, et du Sahara au nord, aux régions jouxtant le Nigeria au sud »5.

Un élément important dans les sociétés touarègues est la place réservée aux femmes. Celles-ci se spécialisent dans la production intellectuelle, dans les Arts et les Lettres. En terme de spécificité identitaire, les Touaregs fondent leur identité sur une communauté linguistique. Le Touareg, c'est avant tout celui qui parle le Tamasheq. En outre, les Touaregs sont les seuls peuples dans la zone subsaharienne à disposer d'une écriture, le Tifinar.

Ce peuple « guerrier », « dominateur», «jaloux de son indépendance», « insaisissable» a pourtant entretenu des rapports suffisamment stables et pacifiques avec les autres communautés du Sud de l'espace précolonial devenu le Niger.

B. La primauté de la coopération sur le conflit

Avant la pénétration coloniale, les rapports entre les différentes communautés ethnolinguistiques occupant l'espace nigérien étaient dominés par la complémentarité économique et des brassages culturels. Le Nord, domaine pastoral par excellence, habité par des peuples nomades dont les Touaregs, était en parfaite harmonie avec le Sud sédentaire et agricole. Avant la colonisation, il n'existait pas de délimitation des zones pastorales et sédentaires. A travers le prestigieux commerce transsaharien, les Touaregs du Nord fournissaient aux sédentaires du Sud des produits dont le sel, les dattes et le natron qu'ils échangeaient contre les céréales.

1 Jan Krzystof Makulski, « Evolution du modèle de la personnalité des Touaregs Kel-Ahaggar », Africana Bulletin, n°15, Warszawa, 1971.

2 Les autres groupes ethniques sont les Peulhs (10%), les Kanouris (4,4%), les Arabes, Toubous et Gourmantchés (1,6%) selon les données du recensement général de 1988.

3 CRA, Programme Cadre de la Résistance, p.8.

4 André Salifou, op cit, p. 107.

5 Les données historiques dans cette partie sont en partie puisées de deux conférences publiques du Pr Djibo Hamani, à savoir celle du 2 août 2007 à l'Atelier du Partenariat Stratégique pour la Paix en Afrique (PASPA) sur le thème « le rôle de l'histoire dans la recherche de la paix» et celle 11 août 2007 à la Journée de Réflexion de l'ANDDH et Alternative Espace Citoyen sur le thème «les enjeux stratégique du Sahara à travers l'histoire ».

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Le commerce transsaharien fut un modèle d'intégration économique très avancé qui n'avait rien à envier aux modèles existant ailleurs à cette période. Le Pr Djibo Hamani, spécialiste de l'Aïr, compare Agadez, le plus grand carrefour commercial du nord Niger, à Lagos et Cotonou actuels réunis. On dénombrait plus de 100 000 têtes de chameaux dans le Sahara en 1913. Les principaux partenaires économiques des commerçants sahariens étaient des pays comme la Libye, le Ghana, le Nigeria où les produits du Sahara étaient de très loin, plus compétitifs que ceux d'Europe.

La complémentarité économique entre le Nord et le Sud imposait, par pragmatisme, une coexistence pacifique entre les Touaregs et les populations sédentaires (Haoussa, Djerma, etc.). L'histoire de la plupart des groupes ethniques existant dans le Niger actuel a un lien avec la région de l'Aïr. Les populations haoussa, djerma, toubou, par exemple, y ont vécu avant et après les Touaregs. Les traces linguistiques et topographiques sont d'ailleurs actuellement présentes pour confirmer cette réalité. Depuis des siècles, l'Aïr a servi de carrefour entre les Etats Sonrhaï, Haoussa et les pays de la méditerranée et du Moyen-Orient1.

Les conflits intérieurs au monde touareg étaient plus fréquents que ceux qui les opposaient aux populations non Touaregs. Ceci était identique pour les autres groupes ethniques. L'essentiel des conflits qui ont déchiré l'espace nigérien n'étaient pas de nature ethnique, mais étaient liés à l'occupation des zones de pâturages ou de culture et du contrôle des routes commerciales. Le Pr Djibo Hamani soutient en effet que « ce fut la pression démographique et la compétition pour le contrôle des pâturages et des hommes qui changèrent les conditions de coexistence pacifiques dans le pays »2.

Les actions de razzias des Touaregs se limitaient à des zones et régions marginales sur lesquelles les pouvoirs des sédentaires étaient lâches. Selon Maikorema Zakari, « les rapports entre les différents peuples de l'espace nigérien n'ontpas été que conflictuels. Au cours d'une cohabitation multiséculaire, ces peuples eurent l'occasion de se connaître, de se brasser, de procéder à des échanges commerciaux d'autant plus indispensables qu'il s'agissait de Iones aux économies complémentaires : le pastoralisme domine au Nord et le travail de la terre au Sud »3.

Aussi, tous les Etats non Touaregs de l'espace nigérien ont compté parmi leurs sujets des populations Touaregs (Katsina, Gobir, Damagaram, etc.) et tous les Etats touaregs (Aïr, Azawagh au XIXe siècle, etc.) ont eu des sujets appartenant à d'autres ethnies4. D'ailleurs, la plupart des Touaregs Kel Aïr, Kel Geres du Damergu, de l'imannan, de Taghazar sont issus d'un métissage avec les Djermas, les Sonraïs, les Haoussas et les Dagras5.

Les Touaregs passaient plus de temps dans le Sud sédentaire que dans le Nord pastoral. Le métissage socioculturel qui en a résulté explique pourquoi il est difficile aujourd'hui de trouver un nigérien qui n'ait pas de lien consanguin avec les Touaregs de par la généalogie de sa famille. Pour le Pr Kimba Idrissa, «c'est la situation géographique du nord, Ione de transit, carrefour entre la méditerranée au nord et le golfe de Guinée, point de passage des principales routes commerciales transsahariennes se

1 Interview du Pr Djibo Hamani, Sahel Dimanche, n°1245 du 20 juillet 2007, p. 11

2 Djibo Hamani, «Une gigantesque falsification de l'histoire » in SNECS, op cit, p. 30.

3 Op cit, p. 13.

4 République du Niger, Document de Base du Gouvernement du Niger devant servir aux négociations avec la rébellion, avril 1994, p. 9.

5 Ibid.

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prolongeant jusqu'en pleine zone forestière, qui fait de l'espace nigérien un «melting-pot» ou se rencontrèrent et parfoisfusionnèrent ethnies, cultures, économies du soudan et de l'Afrique du nord »1.

L'ethnicité à cette époque n'était pas une source de conflictualité car les groupes ethniques, en plus des brassages culturels, étaient solidement unis par des liens économiques ou politiques. En effet, «Quand les caravanes ne venaient plus du Nord pour alimenter le commerce urbain ou apporter du sel, et que les grains ne remontaient plus au Sud pour nourrir les populations, le retour à la paix s'imposait »2. L'expérience pré coloniale a ainsi montré que l'ethnicité n'était pas une source majeure de conflit, elle était plutôt « étouffée» et « contenue ». En Afrique, les « conflits prétendument ethniques étaient en réalité des conflits sociaux» comme le soutient le Pr Ki-Zerbo3.

Le Niger pré colonial a même montré des cas d'assimilation culturelle avec, par exemple, la région de Damagaram où des populations Kanouris furent pacifiquement assimilées par les Haoussas. Beaucoup de mécanismes ont été mobilisés pour pacifier et harmoniser les relations intercommunautaires. C'est le cas de la parenté à plaisanterie qui relie toutes les communautés linguistiques du Niger : Peulh/Djerma, Peulh/Arawa, Djerma/Gobirawa, Touareg/Djerma etc. Cette institution est le témoignage éloquent de l'ancienneté des relations interethniques qui contribuent à renforcer la solidarité et l'interpénétration des cultures4.

Le cas de l'espace nigérien pré colonial infirme une fois de plus la thèse propagée par l'idéologie coloniale qui procède de ce que le Pr Basile Guissou appelle « une vision européocentriste des institutions politiques africaines précoloniales »5. L'idéologie coloniale a, en effet, toujours dépeint une Afrique déchirée par les conflits ethniques. Pour le Pr Ki-Zerbo, « ily a toujours eu une expérience historique largement répandue et transcendant les ethnies qui, au fil du temps, a sculpté la conscience culturelle des uns et des autres. La conscience culturelle des peuples n'est pas une médaille frappée une fois pour toute avec arêtes bien circonscrites, mais plutôt un champ de forces »6. Aucune ethnie n'a pu construire sa personnalité culturelle encore moins sa personnalité biologique en vase clos.

S'agissant précisément des Touaregs, Hélène Claudot écrit que « l'idée d'une vaste communauté économique africaine entre parfaitement dans la vision du monde touarègue. Cette compréhension des nécessités politiques et économiques nécessairement supra-étatique est profondément ancrée en pays nomade, notamment chez les anciens noyaux dirigeants écartés du pouvoir par les autorités coloniales au profit d'éléments plus dociles, et dont les perspectives se dessinent toujours à l'échelle des relations inter confédérales et intercommunautaires plutôt que tribales et locales »7.

En définitive, cette description des relations entre Touaregs et non Touaregs dans le Niger pré colonial ne permet pas de comprendre l'éruption des rebellions touarègues. Celles-ci ont leurs véritables sources dans le phénomène colonial.

1 Kimba Idrissa, « La dynamique de la gouvernance : administration, politique et ethnicité » in Kimba Idrissa (dir), Le Niger: Etat et Démocratie, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 53.

2 Djibo Hamani, Sahel Dimanche, op cit.

3Joseph Ki-Zerbo, A quand l'Afrique, Paris, Editions de l'Aube, 2003, p. 61

4 Kimba Idrissa, op cit, p. 57.

5 Basile Guissou, «La chefferie traditionnelle est politique », http://www.petiteacademie.gov.bf/ cahier/article6.htm (Consulté le 3 septembre 2008), p. 10.

6 Joseph Ki-Zerbo, Repères pour l'Afrique, Dakar, Panafrika, 2007, p. 65

7 Hélène Claudot-Hawad « Bandits, rebelles et partisans... », op cit, p. 148

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Paragraphe 2 : La politisation de l'ethnicité

La pénétration coloniale a brutalement bouleversé l'ordre politique pré colonial bâti sur des rapports de coopération. Le problème touareg va naître de l'invention par le système colonial d'un clivage Est-Ouest (A) et de la politique touarègue ambivalente du pouvoir colonial (B).

A. L'invention coloniale du clivage Est-Ouest

La pénétration coloniale française au 19e siècle a considérablement rompu les liens de coopération et de solidarité entre les différentes communautés de l'espace précolonial. La conquête française fut déclenchée en 1890 à partir de Bamako, dans le Mali actuel. Les Etats précoloniaux seront progressivement conquis à partir d'avril 1890 avec la rencontre de trois missions françaises à Kousseri au bord du Lac Tchad1. Les territoires conquis furent d'abord rattachés à la colonie du Haut Sénégal. On parlait alors de 3e Territoire Militaire.

En 1911, ce Territoire fut élevé au rang de Territoire du Niger avec Zinder comme capitale. En 1922, le Territoire devient une Colonie. Cette colonie fut agrandie en 1932 suite à la suppression de la colonie de Haute-Volta. Les cercles de Fada N'Gourma et de Dori furent ainsi incorporés dans la colonie du Niger avant d'être restitués en 1947 avec le rétablissement de la Haute-Volta. Le clivage est-ouest est né de la politique coloniale de « diviser pour mieux régner » qui a consisté à attiser les rivalités ethniques entre les différentes communautés. L'ethnicité, vue sous l'angle constructiviste, n'existe pas en soi. Elle est le produit d'une construction sociale par des acteurs.

Dès 1895, la conscience ethnique était délibérément construite dans toutes les sphères publiques : chantiers de travaux forcés, centres de recrutement militaire, etc. Les groupes ethniques étaient ainsi classés selon leur « aptitudes physiques» ou « capacités guerrières ». Par exemple, les populations nomades étaient citées comme « médiocres » pour le métier des armes. Un autre procédé subtil de cristallisation des identités ethniques était l'obligation d'inscrire l'origine ethnique sur tout document officiel. Le système colonial allait ainsi au gré de ses intérêts créer un clivage fait de deux groupes. Les populations vivant l'Est du pays (Haoussa, Touaregs, Toubous, etc.) et celles vivant l'Ouest (Djerma en majorité). Les populations de l'Ouest étaient jugées plus réceptives à la culture française tandis que celles de l'Est étaient vues comme suspectes, voire dangereuses.

Les Haoussas, par exemple, n'inspiraient pas du tout confiance aux Français. Ces derniers redoutaient les liens que ceux-ci entretenaient avec leurs frères du Nigeria voisin. C'est ce qui justifia, semble-t-il, le transfert de la capitale de Zinder (pays haoussa) à Niamey par un décret datant du 28 décembre1926. C'est également ce qui présida à l'intégration (par le même décret) des subdivisions peulh et sonrhaï de Téra et Say dans la colonie du Niger.

La dichotomie ainsi créée se manifestait à tous les niveaux. Ainsi, les régions de l'Est subissaient une forte centralisation de l'administration coloniale. Agadez, Bilma et N'Guigmi étaient en effet des cercles militaires jusqu'à la fin de la 2nde guerre mondiale. Selon Kimba Idrissa, « ce clivage dans l'organisation territoriale et le caractère mixte de l'administration (militaire/civil= donne l'impression d'une colonisation inachevée qui présente au moment de l'indépendance trois niveaux d'occupation de

1 Sanoussi Tambari Jackou, op cit, p. 7.

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l'espace : l'Ouest, première région conquise et passée au régime civil dès 1913, le Centre demeuré tiède et réservé et enfin le Nord et l'extrême Est maintenus sous régime militaire et toujours hostile »1.

La colonisation intensifia cette dichotomie entre la « colonie du Sud » sous administration civile et une « colonie du Nord » sous administration militaire. La conséquence de cette politique ethnique fut une nette domination des ressortissants de l'Ouest, notamment les Djermas dans le champ politique dès les années 40. En effet, au sein des groupes haoussas, peulhs, touaregs ou toubous, il y avait très peu «d'évolués» jusqu'à l'indépendance. Le premier parti nigérien, le Parti Progressiste Nigérien (PPN/RDA) fut dominé dès sa naissance par les élites originaires de l'Ouest.

En 1948, l'Union des Nigériens Indépendants et Sympathisants (UNIS) apparut comme un parti haoussa localisé dans l'est du pays. Pour Kimba Idrissa, « Ce fut la première référence formelle à la région (Niger est) comme catégorie politique et à l'identité ethnique (les Haoussas) comme élément de mobilisation politique »2. La naissance de l'Union Démocratique Nigérienne (UDN) Sawaba en 1954 par Djibo Bakary, originaire de l'Ouest mais bénéficiant du soutien des chefferies de l'Est, va provoquer un « rééquilibrage ethnique » des forces politiques. La dissolution de ce parti de gauche par le Président Diori Hamani en 1959 permit au PPN/RDA de monopoliser la vie partisane à l'indépendance. Pendant 15 ans (de 1959 à 1974), le RDA gouverna en parti unique de fait avec une domination totale de élites issues de l'Ouest.

En réalité, le clivage Est-Ouest était plus une affaire entre Djermas et Haoussas. Les minorités ethniques comme les Touaregs, les Toubous, les Arabes étaient en marge de ce conflit. Sur le plan économique, le clivage Est-Ouest se manifestait par la rupture brutale de la complémentarité économique entre le Sud et le Nord. En effet, les Français vont provoquer un effondrement économique des régions du Nord en détournant les circuits économiques vers leurs colonies du sud riveraines du golfe de Guinée.

Les Touaregs étaient fortement dépendants du commerce transsaharien, leurs chameaux assuraient par centaines de milliers le transport des marchandises vers les pays haoussa, Yorouba, au Ghana, au Cameroun actuel, etc. Les Touaregs firent face à la concurrence des camions dans le transport des marchandises dans le Sahara. Les Français vont accentuer la destruction de l'économie du Nord en coupant les Touaregs de leur hinterland méridional le plus important, à savoir le Nigeria.

C'est également dans cette perspective qu'il fut institué une délimitation entre les zones sédentaires et nomades. Comme le constate André Bourgeot, «ces pasteurs-nomades furent alors enserrés dans un étau. Au sud, la remontée des cultures de rente empiétait sur la Ione pastorale, les contraignant à se replier sur les terrains de parcours les plus arides, générant une rupture de la complémentarité entre Ione pastorale et Ione agricole qui deviennent conflictuelles ; au nord, la réorientation, des échanges vers l'intérieur des frontières nationales désorganisa leurs réseaux d'échange et amenuisa considérablement leurs mouvements d'amplitude nécessaires à la reproduction du système pastoral. Il s'ensuivit un cloisonnement politico-territorial interétatique assorti de quadrillages administratifs à l'intérieur de chaque Etat »3.

Ce fut l'une des sources de la crise du nomadisme. Toutes les rebellions touarègues du Niger indépendant allaient se développer dans les zones à vocation pastorale. Le pastoralisme nomade fut déstabilisé « conséquemment aux réorganisations sociales insufflées à l'époque coloniale et au déclin

1 Kimba Idrissa, op cit, p. 23.

2 Ibid, p 63.

3 André Bourgeot, « Le désert quadrillé : des Touaregs au Niger », op cit, p. 68.

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irréversible du trafic caravanier transsaharien »1. Ces politiques trouvent leur fondement dans la vision coloniale du monde touareg.

B. L'ambivalence de la politique touarègue du pouvoir colonial

Deux attitudes ont marqué la politique du pouvoir colonial envers les Touaregs. La première a consisté en une violente répression de la résistance touarègue et une politique de déstructuration du système social et économique de cette communauté. Par la seconde attitude, le pouvoir colonial s'est montré conciliant envers la communauté touarègue. Dès les premiers instants de la conquête coloniale, les Français affichaient une attitude hostile à l'égard de certaines communautés ethniques jugées indésirables. Ce fut le cas des Touaregs.

En 1895, le Commandant Toutée résuma la stratégie ethnique du système colonial français en ces termes : « Je résume mon impression en disant que la vallée depuis Say est une petite Egypte. La seule erreur que je puisse commettre, c'est de dire «petite ». Peut -- être est-ce une grande Egypte... Si nous voulons nous établir sur les bords du fleuve, il faudra tenir compte de l'organisation sociale de la région qui est assez compliquée. Trois races se juxtaposent ou se superposent dans un état d'équilibre instable qui dure pourtant depuis une trentaine d'années. Cette situation est exactement celle où Bonaparte trouve l'Egypte à la fin du siècle dernier. Des Fellah constituant la masse laborieuse, des Turcs sans autorité réelle, administrant le pays par habitude, des Mamlouks jouissant d'une liberté et d'une autorité acceptée à regret par les deux autres fractions de la population. Sur le Niger, les Fellah sont remplacés par les Touaregs... on trouvera des éléments très suffisants pour l'administration indigène chez les Sonrays qui fournissent dé jà dans la plupart des villages le second chef. ,Quand aux Touaregs qui sont à hauteur de Sinder leurprincipal centre de puissance, on ne peut que les combattre et les expulser2. A leurfanatisme musulman, ils joignent en effet contre nous une animosité tout àfait laïque. Seuls Blancs établis dans le pays, exploitant le prestige de leur race pour obtenir par la terreur tout ce qu'ils désirent des habitants du pays, ils comprennent depuis longtemps que ce système d'exploitation disparaîtra le lendemain de notre installation dans le pays. Ce sont des méconciliables »3.

Ces propos sont assez révélateurs de la méfiance des Français contre les Touaregs et les populations nomades en général. En effet, de par leur mode de vie caractérisé par les razzias, le nomadisme, l'élevage itinérant et leur forte hiérarchisation sociale, les Touaregs étaient les mal aimés de l'Etat de type occidental que les Français voulaient installer. Le processus d'importation d'un Etat de facture wébérienne exigeait une conception rationnelle de la vie sociale qui tranche avec le modèle nomade d'organisation so ciopolitique.4

Sous un regard sociologique, l'Etat libéral se conçoit avec Max Weber comme « une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique »S. Indépendamment de la centralisation du pouvoir politique, l'Etat moderne libéral est la seule catégorie politique qui se réclame de l'universel. En d'autres termes, il se définit par rapport à la raison et se démarque de tout particularisme6.

1 André Bourgeot, « Le lion et la gazelle : Etats et Touaregs » in Politique africaine, n°34, juin 1989, p. 19.

2 Passage souligné par nous.

3 Archives Nationales de France, Paris, Microfilm, IG185, 200 Mi 664, Mission Toutée. Note pour le Gouverneur Général de l'AOF, Paris, le 18 septembre 1895, cité par Kimba Idrissa, op cit, p. 58.

4 Hélène Claudot-Hawad, « Nomades et Etat : L'impensé juridique » in Droit et Société, n°15, 1990, pp. 229-242.

5 Guy Hermet et al, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2001, p. 108.

6 Bertrand Badie, l'Etat importé : l'occidentalisation de l'ordre politique, op cit, pp. 65-121.

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Dans cette perspective, la notion de territorialité que seul l'Etat moderne sacralise se trouve contredite par le système politique touareg qui repose sur un système lâche de type confédéral. En effet, jusqu'à 1900, ces confédérations touarègues indépendantes les unes des autres constituaient le mode de gestion du pouvoir dans le monde touareg. Pour André Salifou, «tout prédisposait mal les Français vis-à-vis des Touaregs, dont la société féodale était fondée sur un système d'exploitation «esclavagiste »1. C'est ainsi que les Français qui s'accommodaient mal d'un tel système engagèrent un processus de libération d'esclaves détenus par les Touaregs qu'ils regroupèrent dans des «villages de liberté ».

Cette politique procédait d'une « vision coloniale du monde touareg» qui selon Hélène Claudot-Hawad, « repose sur plusieurs postulats appliqués à « l'autre » : l'absence d'une organisation politique véritable ; le poids des valeurs féodales qui entravent le développement social et entraînant la « revanche » des anciens opprimés ; enfin, l'inefficacité de l'économie nomade et son inaptitude à faire face aux périodes de sécheresses, d'où la nécessité d'activités prédatrices »2. Il était évident que pour les Français, il n'était pas envisageable de laisser intact le pouvoir et le prestige des Touaregs sous peine de compromettre leur propre hégémonie. Avec l'extermination dès 1881, de la mission Flatters par les Touaregs, la confrontation était devenue inévitable. Pour affaiblir la caste guerrière touarègue, les Français vont intensifier les libérations d'esclaves et renforcer la politique de sédentarisation forcée.

Pendant des années, les révoltes touarègues menées par des combattants célèbres comme Fihroun Ag-El-Insar et Kaocen se soldèrent par des massacres des populations touarègues. Pour réduire la résistance touarègue, les militaires Français durent commettre un véritable génocide contre cette communauté suite aux révoltes des années 1916-1917. Après cette purge, un changement de politique intervint. En effet, à la méthode forte va se substituer une politique plus conciliante. Celle-ci consistera en la réduction drastique des effectifs militaires dans la zone pastorale et à l'arrêt de la politique anti-esclavagiste. Carte blanche fut ainsi donnée aux Ima jerens de poursuivre leur domination féodale sur les castes inférieures.

Dans son analyse des réactions des élites touarègues au phénomène colonial, le sociologue Souley Adji écrit : « la "situation coloniale" selon le mot de Balandier est tellement particulière que nombre de couches aristocratiques nouèrent elles-mêmes des relations avec l'administration, coopérèrent, collaborèrent pour préserver certains de leurs privilèges traditionnels, notamment celui de continuer à exploiter les captifs, les Iklans. C'est en cela qu'on peut dire que l'attitude des autorités coloniales à leur égard a étéparadoxale et conciliante »3.

En outre, contrairement aux régions sédentaires du Sud du pays, le système colonial épargna les Touaregs de deux institutions de domination, à savoir l'école et le service militaire4. Selon Carolyn Norris, le « refus des chefs de tribus, notamment d'envoyer leurs enfants dans les écoles coloniales pour défendre leur liberté a eu pour effet qu'ily a eu très peu de cadres touaregs formés lorsque les jeunes nations maliennes et nigériennes ont cherché à mettre en place leurs propres structures administratives »5. De même, les Touaregs ne seront pas soumis aux travaux forcés qui ont été institués dans les autres régions du Sud jusqu'en 19466.

1 André Salifou, op cit, p. 23.

2 Op cit, p. 143.

3 Souley Adji, «Approche sociologique des mutations au sein de la société touarègue » in SNECS, op cit, p. 67.

4 Pendant la période coloniale, il s'agissait plutôt de faveurs, après l'indépendance, celles-ci se transformeront en handicaps car les Touaregs compteront en leur sein très peu « d'évolués » dans l'administration et l'armée.

5 Carolyn Norris, «Mali Niger : une stabilité fragile », Londres, UNHCR, mai 2001, p. 8 in http://www-unhcr-org/home/rso coi/3b c5adc66. pdf, adressée consultée le 5 juin 2007.

6 République du Niger, Document de Base du Gouvernement du Niger..., op cit, p 11.

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La politique touarègue du pouvoir colonial français atteint une étape décisive avec la création le 29 décembre 1956 de l'Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) dont le projet de création a été introduit par Félix Houphouët-Boigny en avril 1946, alors ministre d'Etat dans le Gouvernement Français. Cette organisation, ou du moins cet Etat qui ne dit pas son nom, rassemble l'ensemble des régions sahariennes de l'Algérie, de la Mauritanie, du Soudan, du Niger et du Tchad. Une importante partie du territoire du Niger, à savoir la partie nord de Tahoua et Agadez et la totalité de la subdivision de Bilma était incorporé dans l'OCRS.

A travers l'OCRS, le pouvoir français envisageait de réunir toutes les régions sahariennes en vue de faire main basse sur les immenses richesses minières qu'elles abritent. Les Touaregs pour leur part voyaient l'occasion de constituer un Etat Touareg qui les «libérerait» du joug des autres ethnies majoritaires. En dépit des protestations des nationalistes africains qui rejetaient toute partition des territoires dont ils allaient hériter, l'OCRS put fonctionner jusqu'à la veille des indépendances.

Le déclenchement le 1er novembre 1954 de la Guerre de libération par le Front de Libération National (FLN) algérien joua un rôle déterminant dans l'échec de l'OCRS. Le rêve d'un Etat Touareg indépendant se trouva ainsi brisé avec l'avènement des indépendances en 1960. Avec le soutien des milieux rétrogrades français, les Touaregs contestèrent les nouvelles républiques au Niger et au Mali en début des années 60.

De manière globale, la conséquence du phénomène colonial a été de rompre les liens de coopération entre les entités politiques pré coloniales car « avec l'extension de la domination française, l'espace d'intervention des nomades se rétrécit progressivement; les liens politiques et les échanges économiques avec les sédentaires sont autoritairement interrompus ou entravés »1. Le problème touareg dans ces deux pays fut ainsi un des grands défis de l'Etat post colonial.

Section 2 : L'Etat post colonial et le défi du problème touareg

La gestion du problème touareg par l'Etat post colonial est examinée à travers une démarche double. Il est d'abord ressorti que l'exercice autoritaire du pouvoir et les ramifications géopolitiques du problème touareg expliquent dans une large mesure l'échec des politiques de construction nationale menées par les élites post coloniales (Paragraphe 1). En deuxième lieu, l'analyse du difficile processus de règlement du conflit montre que les Accords qui en ont résulté revêtent une double signification politique (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les limites des politiques de construction nationale

L'analyse des causes du conflit dans la période post coloniale permet de repérer comme facteurs explicatifs l'autoritarisme de l'Etat post colonial (A) et les ramifications géopolitiques du conflit (B).

A. La gestion autoritaire des clivages politiques

Le processus d'accession à l'indépendance n'a pas favorisé, de par sa nature néocoloniale, l'émergence d'une politique de rupture avec le système d'administration colonial. Il était, en effet,

1 Hélène Claudot-Hawad, op cit, p. 144

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difficile d'identifier des éléments de rupture avec le système colonial aussi bien sur le plan politique que dans les politiques économiques. Les contraintes structurelles nées de l'administration coloniale ont fortement pesé sur la nature des politiques d'intégration politique initiées par les différents régimes qui se sont succédé au Niger.

La gestion des problèmes ethniques, notamment l'épineux problème touareg, a permis de révéler la fragilité des nations issues de la décolonisation. Les rebellions armées touarègues au Niger peuvent s'expliquer au plan des variables internes par leur gestion autoritaire. Sur le plan politique, le soulèvement touareg traduit l'échec de l'importation forcée de l'institution étatique occidentale de tradition libérale1.

En effet, l'Etat nigérien à l'indépendance ne répondait à aucune acceptation théorique de la nation, ni dans la conception fascisante allemande, ni dans la conception subjective française. Le Niger n'était pas construit par un processus historique endogène, mais se présente comme une création artificielle de la puissance coloniale2. L'Etat post colonial avait ainsi à bâtir sa légitimité politique en s'appuyant sur un discours universaliste et un processus d'institutionnalisation.

Cet universalisme de l'Etat tranche fortement avec le particularisme encore vivace des Touaregs, très jaloux de leur liberté politique. Ici se confrontent deux conceptions de la nation. Une conception universaliste ou individualiste défendue par l'Etat et une conception multiculturelle revendiquée par les Touaregs3. Sous la Première République déjà (1960-974), le Président Diori Hamani dût affronter des tensions dans le monde touareg où les indépendances étaient perçues comme un cauchemar car certains Touaregs considéraient que « la construction d'une nation est un choix délibéré des peuples qui doivent lui donner la forme et le fond souhaités. La mosaïque des peuples qui constituent le Niger actuel n'a ni choisi ses frontières, ni la démarche à adopter pour parvenir à l'homogénéité nécessaire à la réalisation d'une nation, digne et capable d'élever sa voix dans le monde »4.

Les rebelles touaregs se considéraient en marge d'un système qui serait basé sur un partage de pouvoirs entre les deux groupes ethniques dominants, à savoir les Djermas qui contrôlent la sphère politique et les Haoussas qui dominent l'économie. Cette lecture de l'Etat nigérien post colonial est partagée par Emmanuel Grégoire qui écrit : « Au Niger, ily a, en effet, un partage en quelque sorte tacite des pouvoirs politiques et économiques et un équilibre subtil entre ces deux pôles aux mains respectives des deux principaux groupes ethniques que sont les Djermas et les haoussas »5. Pour faire face à cette crise de légitimité, l'Etat post colonial adopta une attitude autoritaire, de fermeté absolue.

L'autoritarisme de l'Etat post colonial en Afrique vise, pour résorber la crise de légitimité, à « dépolitiser la société », à « remplacer la politique par l'administration » selon l'expression du Pr Claude Ake6. La particularité de l'autoritarisme dans la gestion d'un conflit est qu'il traite des effets de celui-ci et non de ses racines profondes car, loin d'être considéré comme un phénomène normal dans le fonctionnement d'une société, le conflit est plutôt vu comme un mal à extirper par la

1 Pour l'analyse des liens entre Etat post colonial et conflits en Afrique, voir Samuel G. Egwu, « Beyond « revival of old hatreds » : the state and conflicts in Africa » in Shedrack Gaya Best (ed), Introduction to peace and conflict studies in west Africa, Ibadan, Spectrum Books Limited, 2006, pp. 406-437.

2 Mahaman Tidjani Alou, « La dynamique de l'Etat post colonial au Niger» in Kimba Idrissa (dir), Niger: Etat et Démocratie, op cit, pp. 85-123.

3 Phillipe Braud, Sociologie politique, op cit, p. 84.

4 CRA, Programme Cadre de la Résistance, février 1994, p. 4.

5 Emmanuel Grégoire, «Le fait économique Haoussa » in Politique Africaine, n°38, Juin 1990, p. 61.

6 Claude Ake, Social science as imperialism: the theory ofpolitical development, Ibadan, Ibadan University Press, 1979, p. 107. Du même auteur, Democracy and development in Africa, Ibadan, Spectrum Book Limited, p. 6.

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violen ce1. Cependant, l'analyse de la politique touarègue de l'Etat post colonial, même si elle s'insère largement dans le contexte autoritaire, permet de distinguer deux styles de gestion.

Sous la Première République, le Pouvoir exhibait un certain dosage de «réflexivité» et de pragmatisme tandis que le régime militaire de Seyni Kountché (1974-987) prônait une attitude plus brutale. Dès décembre 1960, le Président Diori Hamani créa un Ministère des Affaires Sahariennes et Nomades qui fut dirigé par un Touareg en la personne de Mouddour Zakara. La création de ce ministère, qui était d'ailleurs censé siéger à Agadez dans le Nord, dénote une volonté de prendre en compte le particularisme touareg dans l'organisation institutionnelle des pouvoirs. Cette attitude contredit l'idée d'une volonté de marginalisation défendue par certains auteurs2. Les élites touarègues ont bénéficié de l'existence de ce ministère à travers un système de clientélisme par lequel ils bénéficiaient « des facilités matérielles et administratives, des dons, des licences d'importation, des crédits auprès des organismes tels la CNCA (Caisse Nationale de Crédit Agricole)... »3.

Cette politique conciliante du régime de Diori à l'égard des Touaregs n'occulte pas l'existence d'une répression politique impitoyable contre l'opposition animée par Djibo Bakary du parti Sawaba. Beaucoup d'affrontements sanglants, d'actes de terrorisme et d'exécutions sommaires furent enregistrés dans ce duel à mort. La fermeté du régime de Diori se manifestait également dès 1960 par l'arrestation du Sultan de l'Aïr lorsque celui-ci manifesta dans une lettre adressée au Général De Gaulle son désir de voir Agadez érigée en Etat indépendant.

Le Sultan fut poussé dans cette action par certains milieux français désireux de perpétuer le projet OCRS. Dans le même sens, le pouvoir ne montra aucune volonté de rupture avec la politique coloniale vis-à-vis du Nord. Toute la partie nord du Niger était sévèrement quadrillée par des sections de méharistes pour maintenir la sécurité et tenir en respect les populations nomades, notamment les Touaregs et les Toubous4. Le système d'administration mixte instauré par le pouvoir français fut perpétué ainsi qu'une vision coloniale des populations touarègues. De même, le régime dut également fermer les yeux sur les pratiques esclavagistes qui sévissaient dans les milieux touaregs tout comme les Français ont dût s'en accommoder.

L'avènement du Général Seyni Kountché au pouvoir à la faveur du coup d'Etat du 15 avril 1974 marque un tournant décisif dans l'évolution politique du Niger en général et de la question touarègue en particulier. Avec Seyni Kountché, « c'est l'ensemble du pays qui est mis au pas et des Nigériens de toutes les ethnies, sans exception, subissent le courroux du nouveau maître du pays »S. Le régime de Kountché fut marqué par le pouvoir personnel, les luttes intestines au sein de l'armée et une forte politisation des problèmes ethniques. L'exécution du numéro deux du régime, le Commandant Sani Souna Siddo en 1975, et la tentative de Coup d'Etat du 15 mars 1976 furent lourds de conséquences politiques.

Selon C. Raynaut et S. Abba, la répression de la tentative de coup d'État de mars 1976 était liée à sa dimension ethnique : « Ce qui la caractérisait, c'était sa connotation ethnique, c'est-à-dire la

1 Umar Mohamed Kaoje, «Democracy, the state and conflict management in Africa » in Nigerian Journal of Political Science, vol 9, n°1-2, Department of Political Science, Ahmadu Bello University (ABU), Zaria, Nigéria, p. 163.

2 Selon André Bourgeot, « on constate selon les Etats (Algérie, Libye, Niger, Mali, Burkina Faso) des politiques qui visaient soit à marginaliser les Kel Tamacheq (Mali, Niger), soit à oeuvrer à leur assimilation économique, politique et culturelle (Algérie)» in « Le désert quadrillé : des touaregs au Niger »,op cit, p. 68.

3 Oumara Mal Manga (capitaine), «Réflexions sur la situation politique et les perspectives dans l'Azawak », Tahoua, 17 septembre 1990 (document manuscrit), p. 5, cité par André Salifou, La question touarègue au Niger, op cit, p. 41.

4 Mahaman Tidjani Alou, op cit, p. 101.

5 André Salifou, op cit, p. 42.

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volonté déclarée de certains de ses membres de s'attaquer à la suprématie Zarma-Sonrhai: C'est en partie ce qui explique le caractère très dur de la répression qui suivit»1. Parmi les sept personnes exécutées figuraient des Touaregs dont Ahmed Mouddour et le capitaine Sidi Mohamed. Il s'en suivit une chasse aux sorcières qui conduit beaucoup de Touaregs en exil en Libye. Le président Kountché supprima également dès son arrivée au pouvoir le Ministère des Affaires Sahariennes et Nomades et renforça l'administration militaire dans le Nord.

A tous ces facteurs politiques se greffaient des variables économiques hostiles. Les violentes sécheresses qui se sont abattues sur le Sahel eurent des impacts socio-économiques immenses dans les zones nomades. Ces catastrophes écologiques venaient ainsi accentuer la crise d'une zone pastorale souffrant de son enclavement, du manque d'infrastructures hydrauliques, de l'insuffisance et de la mauvaise répartition des points d'eau, de la rareté des marchés etc .2

La crise du nomadisme qui s'en est suivie entraîna un exode massif des populations touarègues vers les centres urbains et les pays étrangers (Algérie, Libye, Nigeria, etc.), de même qu'un début de sédentarisation des nomades commença à s'observer. L'analyse de ces facteurs internes montre l'interpénétration des variables identitaires, écologiques et stratégiques dans l'émergence du conflit dans le nord Niger. Tous les problèmes ayant affecté le Niger seront ensuite récupérés par des élites touarègues pour en faire un moyen de mobilisation politique. Ici apparaît la distinction entre une condition et un problème. Une condition devient un problème public lorsqu'elle est problématisée par des acteurs3.

Le problème public est toujours un construit social issu d'une politisation faite par des entrepreneurs politiques. Pour Phillipe Braud, « antagonistes et conflits d'intérêts ne sont constitutifs d'enjeux politiques qu'à condition d'être portés sur la scène politique, pris en charge par les acteurs qui s'y affrontent. Aucun problème n'est en soi politique, n'importe lequel peut le devenir sous certaines conditions de pertinence culturelle et institutionnelle ».4 Ni les problèmes économiques, encore moins la dictature politique n'ont concerné que les Touaregs. L'avènement de la rébellion au sein de cette communauté, au-delà les facteurs internes, s'explique aussi par ses ramifications géopolitiques.

B. La dimension géopolitique du conflit touareg

Pour cerner cette dimension stratégique du problème touareg, il s'avère important de remonter à la conquête coloniale. Pour la France, le Niger était destiné, dès sa création, à jouer un rôle stratégique. La conquête du Niger à l'époque était d'ailleurs perçue comme un « hasard inutile et arbitraire» ou un « accident de l'histoire». Toutefois, il existait des mythes sur les potentialités économiques qui encourageaient une conquête politique de cet espa ce5. La conquête du Niger fut

1 C. Raynaut et S. Abba, «Trente ans d'indépendance : repères et tendances » in Politique africaine, n°38, juin 1990, p. 14.

2 République du Niger, Rapport de la Commission Ad Hoc Chargée de Réfléchir sur le Règlement Négocié de la Rébellion Armée au Niger, p. 9.

3 Elisabeth Sheppard, « Problème public » in Laurie Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques publiques, op cit, pp. 349355.

4 Op cit, p 330.

5 Kimba Idrissa, op cit, pp. 18-20.

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d'abord une désillusion pour la France car les espoirs de gains économiques furent vite déçus. D'où ce dilemme : faut-il disloquer le territoire pour rattacher ses parties à d'autres colonies1 ?

Le Niger fut finalement maintenu pour des impératifs stratégiques. Déjà pendant la période pré coloniale, le Sahara fut un enjeu géopolitique pour toutes les puissances de la région. Le Sahara a fait en effet rêver depuis des siècles « les conquérants militaires et marchands car il donnait accès aux produits africains » selon le Pr Djibo Hamani2. Son intérêt stratégique fut rehaussé avec l'apparition des Arabes après la naissance de l'islam. Toutes les puissances islamiques ont cherché à contrôler les routes du Sahara. Le Sultanat de l'Aïr fut créé par des Touaregs dans le but de maintenir une hégémonie sur le commerce transsaharien.

Bien d'autres conquérants comme Idriss Alaoma du Bornou, Askia Mohamed de Gao, le Sultan marocain Al Mansour, se sont disputés le contrôle des routes sahariennes. La découverte du pétrole en 1953 dans le Sahara accrut les convoitises. Pour la France, l'importance stratégique du Niger à travers le Sahara est illustrée par les propos du sénateur Borg en 1958 : «D'ailleurs, il fallait être fou pour croire que nous Français, nous allions laisser partir le Niger. En perdant la Guinée nous perdons des richesses. Cela peut se remplacer. Mais si nous perdons le Niger, nous perdons l'Algérie. Nous ouvrons la voie à Nasser. Nous permettons la création d'un grand Etat musulman de Lagos auxfrontières algériennes »3.

Ce qui fait la spécificité du Niger, c'est qu'il contrôle trois issues clé en Afrique : le désert qui donne accès aux Maghreb et à la Méditerranée et protège les hinterlands algériens et tunisiens contre les menaces anglaises, la porte du Tchad qui débouche sur l'Afrique centrale et enfin, la porte du fleuve qui donne accès à l'Atlantique. Ces éléments de stratégie faisaient du Niger, non pas une colonie classique, mais un complément de l'empire français.

En outre, trois facteurs donnent au Niger sa singularité par rapport aux autres Etats africains. D'abord le pays est enclavé et quatre de ses frontières débouchent directement sur le désert. Ensuite, il se place entre deux univers culturels : l'Afrique blanche et l'Afrique noire. D'où le risque que certains groupes socioculturels soient tentés de se détacher du centre car ayant leur centre de gravité à l'extérieur. Ainsi, les Arabes et les Touaregs pourraient préférer l'Algérie ou la Libye au Niger. Enfin, le Niger est singulier de par le caractère disproportionné de son territoire par rapport aux ressources économiques disponibles.

Mais c'est aussi les ressources minières telles que l'uranium exploité par le France depuis quarante ans qui donne au nord Niger son importance stratégique. La création en 1957 de l'OCRS visait pour la France de créer un nouveau territoire qui échapperait aux mouvements nationalistes. Comme l'ont noté C. Raynaut et S. Abba, « à un moment où se profilait l'indépendance inéluctable de l'Algérie, certains milieux français caressaient le rêve d'un ensemble saharien prélevé sur différents pays limitrophes et dont l'existence pourrait sauvegarder les intérêts français dans le domaine pétrolier comme dans celui des expérimentations nucléaires »4.

Les Touaregs voyaient dans le plan OCRS une opportunité pour échapper à la domination des autres ethnies majoritaires qui prenaient le relais dans la direction de cette « entreprise franco-française piloté de Paris »5 qu'est le Niger. Même si cette « Afrique Saharienne » n'eut

1 Ces développements sont analysés dans la thèse du Pr Kimba Idrissa, La formation de la colonie du Niger: du mythe à la politique du mal nécessaire, thèse de Doctorat ès-Lettres, Université de Paris 7, 6 volumes, 1987.

2 Djibo Hamani, «Les enjeux stratégiques du Sahara à travers l'histoire », op cit.

3 Kimba Idrissa, op cit, p. 19.

4 C. Raynaut et S. Abba, op cit, p. 22.

5 CRA, op cit, p. 4.

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pas lieu, l'OCRS apparaît « comme un handicap de naissance pour les futurs Etats-nations de la région, car il introduit le germe de la revendication séparatiste et des difficultés de la construction nationale »1.

Mais le problème touareg au Niger n'a pas de solution territoriale, contrairement au contexte malien, comme le souligne le Pr André Salifou en ces termes : « Je persiste à croire et à clamer haut etfort que la question touarègue ne se pose pas de la même façon qu'au Mali. Autrement dit, à mes yeux, le Pacte National malien ne peut en aucune façon servir de référence pour un règlement du problème au Niger, où aucune portion du territoire national ne peut être considérée comme un «pays touareg 2». En outre, des centaines de milliers de touaregs cohabitent, certains depuis des siècles, avec des sédentaires, et entre les deux groupes, les mariages se sont multipliés, entraînant des métissages à la fois biologiques et culturels que nul ne peut ignorer aujourd'hui ».3

En outre, la ville d'Agadez, considérée par les rebelles touaregs comme « capitale des Touaregs », est en réalité une cité haoussa4. De même, cette région n'est pas celle qui compte le plus de Touaregs, contrairement au discours des mêmes rebelles touaregs5. Ce détour par l'histoire permet de comprendre le lien, ou du moins la communauté d'intérêts entre la France et les Touaregs sur les enjeux du Sahara.

Une autre dimension stratégique du problème touareg est liée à l'implication de la Libye. Le colonel Kadhafi appelait dès son accession au pouvoir à soutenir les «fils libres de la nation arabe souffrant de la répression et des camps d'extermination au Mali et au Niger »6. Les Touaregs ont toujours eu une allégeance politique vis-à-vis de la Libye à laquelle ils s'identifiaient mieux culturellement. Les rapports entre le Niger et la Libye ont toujours été mis à mal par des différends frontaliers autour des puits de Toummo et le Mangeni, zones très riches en ressources minières dont le pétrole7.

Les relations politiques tendues entre le Président Kountché, acquis à la France, et le Colonel Kaddafi vont précipiter la constitution d'une opposition politique armée contre le régime de Seyni Kountché en Libye. Beaucoup de dissidents touaregs enrôlés dans la Légion Islamique de Kadhafi s'exerceront au métier des armes8 dans les conflits libanais, sahraoui et tchadien en même temps qu'ils subissaient un endoctrinement idéologique « axée principalement sur l'appartenance des hommes en formation à la nation arabe, sur l'importance de la langue et de la civilisation arabes, différentes de celle des populations vivant au sud du Sahara »9.

C'est cette expérience libyenne qui donnera à la première rébellion des années 90 ses premiers combattants aussi bien au Niger qu'au Mali. En effet, suite au décès le 10 novembre 1987 du Général Seyni Kountché, on assista à une normalisation des relations avec la Libye. Celle-ci s'expliquait non seulement par la personnalité modérée du Général Ali Saïbou, le

1 Propos d'une do ctorante citée par Djibo Hamani in «Les enjeux stratégiques du Sahara à travers l'histoire », op cit.

2 Souligné par nous.

3 André Salifou, op cit, p. 104.

4 Sur le peuplement de l'Aïr, voir Djibo Hamani, «Une gigantesque falsification de l'histoire », op cit, pp. 24-43.

5 Selon le recensement général de la population de 1988, la population touarègue est repartie sur le territoire national comme suit :Tahoua (202 833), Tillabéri (155 315 ), Agadez (114 020), Maradi (37 515), Zinder (36 688), Dosso (9 170), Diffa (1513). Voir Ibid, p. 107.

6 Le point, 22 février 1980, cité par C. Raynaut, op cit, p. 22.

7 Voir interview de Sanoussi Tambari Jackou dans La Roue de l'histoire, n°362 du 25 juillet 2007, pp. 6-7.

8 Les officiers touaregs maliens et nigériens étaient formés à Tajora dans un régiment d'élite où se recrutent les hommes chargés de la sécurité rapprochée du colonel Kaddafi. Les hommes de rang, à leur tour, étaient formés dans deux camps, le camp du 2 mars pour la formation de base et le camp de Benghazi pour la formation de type commando.

9 André Salifou, op cit, p. 112.

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nouveau président, mais aussi par l'amenuisement des ressources libyennes et la fin du conflit de la bande d'Aouzou. Le Général Ali Saibou invita les Touaregs à rentrer au pays participer à la construction nationale ; ces derniers vont, en répondant à cet appel, négocier et obtenir avec les Libyens, le rachat de leurs matériels de guerre (véhicules, armes, munitions etc.)...

L'échec de la réinsertion des rapatriés touaregs en 1990 fut la goûte d'eau qui fit déborder le vase avec les massacres commis par l'armée nigérienne sur les populations civiles touarègues à Tchintabaraden au mois de mai dont le bilan reste encore inconnu1. Le traitement de cette affaire par la Conférence Nationale Souveraine contribua à aggraver les tensions et précipiter la formation d'une rébellion structurée dans le Nord.

Paragraphe 2 : Le règlement du conflit touareg

L'éclatement du conflit armé dans le nord Niger à partir de 1991 donna lieu à un processus de règlement qui fut très laborieux du fait de la pluralité des mouvements rebelles (A). L'analyse des différents Accords de Paix montre que le processus de paix est porteur d'une double signification politique (B).

A. Le laborieux processus de paix

La rébellion survint dans un contexte de contestation du régime autoritaire en place en proie à une crise de légitimité. Ces mutations politiques ont provoqué un affaiblissement de l'Etat. Certains événements tragiques comme les massacres des Touaregs à Tchintabaraden par l'armée, l'incapacité de la Conférence Nationale Souveraine2 à trouver des solutions au problème touareg ont précipité le déclenchement du conflit. Celui-ci fut surtout favorisé par l'existence d'entrepreneurs politiques touaregs qui ont instrumentalisé les problèmes du Nord avec le soutien actif de la Libye et de la France.

La publication en 1992 de Touaregs, la tragédie (Paris, Lattès) par Mano Dayak participe de cette propagande idéologique qui vise à fournir une lecture particulariste de la situation des Touaregs au Niger. Le soutien de la France à la rébellion s'expliquait en partie par la volonté d'affaiblir un Etat qui, depuis la Conférence Nationale, semblait acquis à des forces politiques anti-françaises. Le contexte géopolitique de l'époque fut en plus marqué par de nombreux théâtres de conflits qui favorisaient la circulation des armes.

A ces facteurs objectifs se greffaient des éléments de subjectivité. Celle-ci permet de «saisir ce qui fait sens» chez les combattants touaregs dans la perspective de la sociologie compréhensive. Les rapatriés touaregs rentrés au Niger à la faveur du décès du Président Kountché furent très vite désillusionnés par l'échec total de leur réinsertion sociale. Ces ishomars8, comme ils s'appelaient eux-mêmes, développaient une «frustration relative» (Ted Gurr) qui les

1 Officiellement, il y aurait eu 19 exécutions sommaires, 50 morts par torture. Les Touaregs parlent eux de centaines de morts. A l'origine de cette crise, les Touaregs rapatriés se plaignant des conditions de leur accueil, ont attaqué la Sous-Préfecture de Tchintabaraden le 7 mai 1990 faisant 3 morts parmi les Forces de Défense et de Sécurité, 3 morts dans la population civile et 4 blessés. Après quoi, l'armée a engagé une expédition punitive.

2 Les Touaregs avaient espéré, entre autres, que certains officiers des FAN qu'ils soupçonnaient d'être coupables dans l'affaire de Tchintabaraden, soient arrêtés et sanctionnés. Il s'agit, exemple, du colonel Mamadou Tandja, alors ministre de l'Intérieur et du Commandant Amadou Sofiani qui commandait la Zone de Défense N°1.

3 Il s'agit d'une déformation du mot « chômeur » pour désigner les touaregs désoeuvrés rentrés de Libye et d'Algérie.

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conduira à l'action armée. C'est ainsi que la thèse du complot de génocide contre les Touaregs fut développée. Pour la Rébellion, le retour des Touaregs réfugiés en Libye et en Algérie était interprété comme suit : « l'astuce des dirigeants de l'époque était simple, elle revêtait seulement un aspect trompeurpour attirer l'oiseau vers l'appât. Lorsque nous étions sur notre terre d'exil, le Niger ne peut avoir aucun contrôle sur notre révolution. Il fallait trouver un moyen de nous ramenerpour mieux nous contrôler, nous maîtriser et en fin nous détruire »1.

Pour résister à ce « complot» naîtront plusieurs Fronts armés touaregs dont le premier noyau fut le Front de Libération de l'Aïr et de l'Azawak (FLAA) de Rhissa Ag Boula créé le 19 octobre 1991. Ce Front connut un éclatement en 1993 avec la naissance en juin de l'Alliance Révolutionnaire pour la Libération du Nord (ARLN) d'Attaher Abdoulmoumin et en juillet du Front de Libération du Tamoust (FLT) de Mano Dayak. Ces trois Fronts armés se sont joints en octobre 1993 pour créer une large coalition, la Coordination de la Résistance Armée (CRA). Celle-ci va s'agrandir avec l'adhésion du Front Patriotique pour la Libération du Sahara (FPLS) de Mohamed Anacko issu d'une scission du FLAA et créé en janvier 1994.

Présidée par Mano Dayak, la CRA produit en février 1994 le Programme Cadre de la Résistance (PCR), document qui expose les revendications politiques de la Rébellion. Le Gouvernement de Transition issu de la Conférence Nationale opta pour un règlement pacifique du conflit à travers plusieurs appels à l'apaisement2. Grâce à la facilitation française, un accord de Trêve intervint le 1er juin 1993 avec le FLAA. Cet Accord fut reconduit le 11 septembre 1993 avec le seul FLT suite à l'éclatement du FLAA.

Le Gouvernement put rencontrer, grâce au concours d'un Comité de médiation constitué de la France, de l'Algérie et du Burkina Faso, l'ensemble des Fronts armés les 15, 16 et 17 février 1994 à Ouagadougou. Un premier Accord intervient le 9 octobre 1994 à Ouagadougou sur la base des documents produits par les deux parties, à savoir le PCR par la CRA et le Document de base du Gouvernement du Niger devant servir aux Négociations avec la Rébellion (DBGN). Dans cet Accord, la CRA renonçait au « fédéralisme » en faveur de la décentralisation telle qu'elle est consacrée dans la constitution du 26 décembre 19923. L'Accord définitif fut signé à Ouagadougou le 15 avril 1995, mais cette fois-ci avec l'Organisation de la Résistance Armée (ORA) présidée par Rhissa Ag Boula4.

D'autres dissensions internes conduiront à la création d'une autre coalition, l'Union des Forces de la Résistance (UFRA) présidée par Mohamed Anacko. Suite à un désaccord entre la Rébellion et le Gouvernement sur les questions de grades dans l'armée lors de la session du Comité de pilotage du 3 au 5 septembre 1997, l'UFRA reprit les hostilités. Ses combattants quittèrent les sites de cantonnement de Guirmat le 5 septembre. Cette coalition dissidente était

1 CRA, op cit, p. 21

2 C'est le 7 janvier 1992 que le gouvernement nigérien reconnut officiellement l'existence de la rébellion armée.

3 Pour d'amples précisions sur le processus de paix jusqu'en mars 1995, voir HCRP, Note sur la question de la Rébellion Armée, (mars 1995). Ce document fait le bilan de la mise en oeuvre de l'Accord de Ouagadougou du 9 octobre 1994 et analyse l'état de préparation des autres points à négocier, notamment la question de la réinsertion des combattants, la création d'une commission d'enquête sur les exactions commises à Tchintabaraden, les questions économiques et politiques etc.

4 L'ORA est constituée des mêmes Fronts que la CRA, le changement consiste au remplacement de Mano Dayak par Rhissa Ag Boula à la direction de la Coalition.

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constituée de trois Fronts, le Mouvement Uni Révolutionnaire (MUR), les Forces Armées Révolutionnaires (FAR) et bien sûr le FPLS1.

Une autre faction de l'ORA va se désolidariser des Accords de Paix en ressuscitant la CRA, il s'agit du FLT qui s'emploiera à créer d'autres Fronts dans l'Aïr. La nouvelle CRA se reliera aux Accords de Paix en mars 1996 à la faveur de l'avènement du Conseil du Salut National (CSN) le 27 janvier ayant renversé la 3e République de Mahamane Ousmane. Quand à l'UFRA, elle s'était entre temps alliée aux Forces Armées Révolutionnaires du Sahara (FARS), rébellion toubou opérant dans le Kawar (nord est) animée par Barka Wardougou et Chahaï Barkaï. La coalition UFRA/FARS fut ramenée dans le processus de paix avec le Protocole d'Accord Additionnel d'Alger, le 28 novembre 1997. Le dernier Accord avec la Rébellion Armée sera celui du 21 août 1998 avec le Front Démocratique pour le Renouveau (FDR), rébellion toubou du Manga (Est) dirigée par Issa Lamine.

Cette multiplicité d'acteurs a ralenti à maintes reprises le processus de paix. Car, comme le souligne Soumana Souley, cadre du HCRP, «l'éclatement de la structure originelle de la Résistance Armée (FLAA) en plusieurs autres Fronts au gré des divergences internes a rendu malcommode la gestion du processus en mettant le Gouvernement face à une multitude d'interlocuteurs »2. De par le contexte politique de leur conclusion, il faut préciser que l'avènement de la 3e République en avril 1993 a consacré l'ouverture d'une «fenêtre d'opportunité »3 (J. Kingdon) pour les acteurs des deux parties.

L'Accord du 9 octobre 1994 est issu d'un «couplage serré» entre le courant des problèmes et le courant de la politique. En effet, en dépit de l'ouverture au dialogue du régime de la Transition, le couplage avec le courant des problèmes était trop « lâche » pour permettre un Accord. Le courant de la politique était aussi traversé par des conflits au sommet de l'Etat entre le HCR et le Gouvernement, et aussi entre le pouvoir civil de manière générale et l'armée très hostile au dialogue avec la Rébellion.

L'installation d'un régime démocratique favorable au dialogue facilitera les négociations. Cette «fenêtre d'opportunité» s'agrandit avec l'avènement du Président Ibrahim Baré Maïnassara au pouvoir. Sa personnalité modérée, son fair-play ainsi que son pouvoir d'injonction sur l'armée furent déterminants. C'était lui qui ramena les coalitions UFRA/FARS et CRA ainsi que le FDR dans le processus de paix. C'était également sous son régime que les intégrations au sein des Forces de Défense et de Sécurité ainsi que dans les autres corps de l'Etat avaient démarré4.

Par ailleurs, il faut mentionner que les rebellions touarègues et toubous ont engendré la prolifération des Mouvements d'Autodéfense dans les communautés peulhs et arabes. C'est ainsi que naîtront dans le Manga, la Milice Peulh de Diffa et la Milice Arabe de N'Guigmi. Dans

1 L'UFRA fut créée à l'issue du Congrès de la Résistance tenu à N'Tatat les 6, 7 et 8 du mois de novembre 1996. Elle était initialement constituée de six (6) Fronts : APLN, ARLN, FFL, FPLN, MUR et FPLS. Le gouvernement nigérien lui accorde sa reconnaissance le 14 décembre 1996. Voir HCRP, Acte de reconnaissance, 14 décembre 1996.

2 Soumana Souley, «Gestion des conflits : le cas de la rébellion armée au Niger », Communication à la Conférence sur le thème «les tensions et conflits en Afrique de l'ouest : de 1900 à nos jours» organisée par MAPADEV, 29-30 novembre 2003, Niamey, Niger. P 17.

3 Vincent Lemieux, L'étude des politiques publiques : les acteurs et leurs pouvoirs, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2002, pp. 29-41.

4 Il faut préciser que l'ORA avait salué le Coup d'Etat du 27 janvier 1996. L'arrivée des militaires avait permis de débloquer le processus de paix bloqué par l'ORA qui refusait de transmettre les listes de ses combattants et de son matériel de guerre malgré les «pressions» du médiateur français. L'ORA transmis la liste de ses combattants le 29 mars 1996, soit deux mois après l'avènement du CSN. Voir HCRP, Lettre N°0308/HCRP/CT du 8 novembre 1996, p. 3.

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l'Azawak, deux Milices Arabes opéraient dans la zone de Tassara, le Comité d'Autodéfense (CAD) et le Comité de Vigilance de Tassara (CVT). Au total, le Niger a connu dans sa partie nord et est, onze (11) Fronts touaregs dont six (6) dans l'Aïr et cinq (5) dans l'Azawak1, deux rébellions toubous, à savoir les FARS dans le Kawar et le FDR dans la Manga. Au titre des Mouvements d'Autodéfense, trois (3) milices Arabes dont deux dans l'Azawak et une dans le Manga, et une milice peulh dans le Manga.

Ceci donne au total dix sept (17) structures armées, Fronts et Mouvements confondus, quatre régions directement affectées, l'Aïr, l'Azawak, le Kawar et le Manga et quatre groupes ethniques concernés, à savoir les Touaregs, les Arabes et les Peulhs et les Toubous. C'est à la lumière de ces processus et de ces réalités qu'il faut analyser les Accords de Paix.

B. La double signification des Accords de Paix

De 1991 à la Cérémonie Flamme de la Paix en septembre 20003, quatre (4) Accords de Paix ont été conclus. L'Accord de Paix du 9 octobre 1994 signé à Ouagadougou, l'Accord de Paix définitif du 24 avril 1995 également signé à Ouagadougou, le Protocole Additionnel du 28 novembre 1997 signé à Alger et l'Accord de N'Djamena du 21 août 1998. Ces Accords revêtent deux significations. Par leur contenu, ils incarnent un consensus politique entre la revendication identitaire de rebelles et l'approche universaliste de l'État soucieux de préserver le cadre étatique hérité de la colonisation.

L'analyse stratégique permet d'élucider la seconde signification : les Accords de Paix reflètent les conflits de leadership au sein des Fronts rebelles. A analyser leur contenu, ces Accords peuvent être classés en trois catégories : les Accords partiels, les Accords définitifs, et les Protocoles d'Accords Additionnels. Mais derrière cette diversité formelle se révèle la volonté politique commune de dépasser les clivages et d'asseoir les bases d'un nouvel ordre politique plus pragmatique.

L'Accord du 9 octobre 1994 est un Accord partiel. Il s'articule essentiellement autour la décentralisation ; et laisse en marge d'autres questions essentielles comme la sécurité ou le développement socio-économique. Cet accord rappelle le « caractère unitaire indivisible, démocratique et social de la République du Niger» et consacre la décentralisation en lieu et place du « fédéralisme » revendiqué par la Rébellion. Il prévoit subsidiairement une trêve de trois mois, des mesures urgentes dans le domaine socio-économique et culturel en faveur de la zone touchée par le conflit. Il crée aussi un Comité de suivi5 de l'Accord de Paix et une Cellule de liaison constituée de

1 Dans l'Aïr, il s'agit du FLAA de Rhissa Ag Boula, du FPLS de Mohamed Anacko, du FAR/ORA de Ousmane Ismaghril, du FLT de Mano Dayak (actuellement Mohamed Akotey), du MUR de Ahmed Waddé Houmouna et du FAR/UFRA de Silimane Hyard. Dans l'Azawak , il s'agit du FFL de Mohamed Ikta, de l'APLN de Hamad Ahmed Halilou, du FPLN de Alhadi Alhadji, de l'ARLN de Attaher Adboulmoumin (actuellement Bilal Islamane) et du MRLN de Goumour Ibrahim.

2 Les trois Accords de Paix principaux sont en annexe.

3 Cette cérémonie consacrait le désarmement total des Fronts et Mouvements ainsi que leur dissolution officielle conformément à l'article 13 de l'Accord de Paix du 24 avril 1995.

4 La composition du comité de liaison était comme suit : SE Mai Maigana, HCRP, Mohamed Aoutchiki pour la CRA, SE Ambassadeur Dimbo Bamba pour le Burkina Faso, SE Ambassadeur Laala Mohamed pour l'Algérie et SE Ambassadeur Alain Deschamps pour la France.

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militaires Burkinabé et Français1 en vue de faciliter le contact entre les parties sur le terrain. Il fut également prévu la libération des personnes détenues de par et d'autre.

Les autres points à négocier portaient sur l'intégration des ex-combattants dans les FDS et dans les autres corps de l'Etat, la question du développement du Nord et la création d'une commission d'enquête internationale. L'Accord du 24 avril 1995 est un Accord définitif. Tout en reprenant les dispositions du premier Accord sur la décentralisation dans son titre II, il traite dans ses titres IV et suivant, de l'organisation des FDS et des questions économiques, sociales et culturelles.

Quand à l'exigence de l'ORA pour la création d'une commission d'enquête internationale sur les massacres de mai 1990 à Tchintabaraden, les deux parties avaient convenu d'une amnistie générale. L'Accord du 24 avril était très significatif dans la mesure où le Gouvernement a accepté l'intégration des ex-rebelles dans l'armée et dans les autres corps paramilitaires. En plus, il accepte la mise sur pied d'Unités à Statut Militaire Particulier constituées des ressortissants des zones Nord et Est du pays. Jusqu'en mars 1995, les FAN rejetaient en bloc l'intégration en leur sein des éléments de la Rébellion.

Dans le domaine économique, la Rébellion a, pour sa part, concédé des politiques économiques plus souples en faveur des zones touchées par le conflit qui sont très loin de ses revendications initiales2. L'Accord du 21 août 98 avec le FDR est le deuxième Accord définitif. Il est singulier car il est conclu avec la rébellion toubou du Manga, non signataire des Accords du 24 avril3. Cet Accord s'inspire largement de celui du 24 avril, mais n'est pas un Protocole Additionnel.

Il reprend les points objet du premier Accord sans le citer formellement. Par contre, le Protocole d'Accord Additionnel d'Alger complète l'Accord du 24 avril. Ce Protocole ne faisait que ramener dans le processus de paix des signataires de l'Accord définitif du 24 avril. Son contenu n'apporte aucune clause nouvelle par rapport au premier Accord. Sa seule particularité est d'avoir intégré formellement les FARS dans le processus.

Par ailleurs, ces quatre Accords ont été complétés par de nombreux actes déterminant leurs modalités d'application, à savoir les Relevés de Conclusions et les Procès-verbaux des réunions du Comité de Pilotage5 intervenus entre 1996 et 1998. Ce processus de « négociation continue », selon l'expression de Soumana Souley, s'explique par la forme ouverte des Accords de Paix.

Ce dernier constate : « les Accords de paix au Niger ont été caractérisés par leur forme ouverte. En effet, les Accords n'étaient pas finis au moment de leur signature. Les Accords traitent des questions qui

1 La cellule de liaison composée d'une quarantaine d'hommes (officiers et hommes de rang) était mise en place en décembre 1994 à Agadez. Elle a contribué à instaurer la sécurité dans la zone de l'Aïr, mais elle eut des difficultés dans la région de l'Azawak à Tahoua où les autorités militaires s'étaient opposées à sa présence dans la zone. Voir HCRP, Note sur la question... op cit, pp. 5-6.

2 Ces revendications étaient devenues caduques après la signature de l'Accord du 9 octobre 1994 dans lequel la Rébellion renonçait au « fédéralisme », car les revendications politiques contenues dans le Programme Cadre de la Résistance (février 1994) étaient justement formulées dans le cadre d'une autre forme d'Etat exigée par la Rébellion qu'on appelle « fédéralisme ».

3 En fait, selon le témoignage que Moustapha issoufou, ex-rebelle du FDR, nous a livré (Entretien le 2 octobre 2008 à Niamey), le FDR n'était pas signataire de l'Accord du 24 avril en tant que structure, mais beaucoup de rebelles toubous, dont lui-même, avaient combattu avec les Touaregs depuis le premier noyau du FLAA en 1992. Ils ont adhéré aux Accords du 24 avril à Niamey avant de reprendre le maquis à l'Est pour faire prévaloir les intérêts de leur région.

4 Voir infra, chapitre 2, section 1, paragraphe 2, point B.

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demandaient à être précisées et détaillées par la suite. Souvent, les questions n'étaient qu'annoncées sommairement. Il en a résulté au cours de l'application de longs débats d'interprétations souvent houleux entre les deux parties... »1.

Selon Mohamed Anacko, Haut Commissaire à la Restauration de la Paix, « les Accords de Paix n'ont fait de déterminer les principes généraux, les vraies négociations n'ont commencé que bien après, au sein du Comité Spécial de Paix »2. Ces Relevés de Conclusions et Procès-verbaux sont pour les Accords de Paix ce que les règlements (décrets, arrêtés etc.) représentent pour une loi. Il est donc impossible d'interpréter les Accords de Paix sans connaître les clauses de ces « règlements ».

D'ailleurs, dans ce travail, l'expression « Accords de Paix » signifie non seulement les quatre Accords signés formellement entre les parties, mais aussi leurs modalités d'application3. Aussi, outre le caractère vague et imprécis de certaines clauses, le point E de l'Accord du 24 avril stipulait clairement que les clauses contenues dans l'Accord n'étaient pas exhaustives et limitatives. En d'autres termes, il était toujours possible à la Rébellion d'introduire de nouvelles revendications que ces Accords auraient occultées.

Il est important de savoir également que les quatre piliers du processus de paix retenus par le HCRP, à savoir la décentralisation, la réinsertion, la sécurité et le développement des régions concernées par la rébellion, se rapportent exclusivement aux conditions de désarmement définies par l'article 13 de l'Accord du 24 avril. C'est suite à l'évaluation des prestations du Gouvernement dans ces quatre domaines que les Fronts et Mouvements ont été officiellement dissous et « désarmés » lors de la Flamme de la Paix de septembre 20004. Outre les engagements souscrits à l'article 13, le Gouvernement a pris de nombreux autres engagements plus ou moins fermes à partir desquels le processus de paix peut être évalué ; et pour lesquels aucune action d'envergure n'a été menée à ce jour.5

Par ailleurs, en dehors de leur contenu, l'analyse montre que ces Accords traduisent des conflits entre acteurs au sein de la Rébellion. Trois figures se sont disputées le leadership du mouvement depuis 1991 : Mano Dayak, président de la CRA, Rhissa AG Boula, président de l'ORA et Mohamed Anacko président de l'UFRA. La création en 1996 de l'UFRA visait à disputer à Rhissa AG Boula le leadership de la Rébellion.

La signature du Protocole Additionnel d'Alger en 1997 « libérait » Mohamed Anacko de la tutelle du président de l'ORA, Rhissa Ag Boula. La renaissance de la CRA après l'Accord du 24 avril, pourtant dissoute et remplacée par l'ORA en mars 1995, procédait de la même logique stratégique. Ressuscitée par Mano Dayak6, la nouvelle CRA posa comme condition de son adhésion à l'Accord du 24 avril (dont ses membres étaient signataires) sa reconnaissance officielle

1 Soumana Souley, op cit, p 16.

2 Entretien à Niamey, 16 avril 2008.

3 D'ailleurs, il est important de signaler que les premiers Relevés de Conclusions étaient signés en présence des médiateurs, dont le Commandant Djibril Bassolé pour le Burkina Faso et l'Ambassadeur AbdelKader Aïtourabi pour l'Algérie.

4 Voir HCRP, Evaluation des dispositions de l'article 13 de l'Accord du 24 avril 1995, décembre 1999.

5 Dans le Titre V de l'Accord du 24 avril (point C), on peut citer certains engagements pris par le gouvernement, comme «promouvoir les langues et écritures nationales notamment le tamachèque et le ti finar », «envisager la création d'institutions d'enseignement supérieur dans les régions du Nord », « a f fecter, dans la mesure du possible, dans les régions, le personnel enseignant ressortissant de ces régions... », « la création, dans la mesure du possible du possible, de stations de radio et de télévision régionales émettant en langues nationales et reprenant les principaux programmes nationaux» etc.

6 Le combat pour la reconnaissance de la nouvelle CRA fut poursuivi par Mohamed Akotey après la mort de Mano Dayak dans un crash d'avion le 15 décembre 1995.

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en tant que coalition distincte de l'ORA de Rhissa Ag Boula. Elle obtint la dite reconnaissance le 17 mars 1996 à la faveur de l'avènement du Général Baré Maînassara Ibrahim au pouvoir le 27 janvier 1996.1

Si la CRA de Mano Dayak visait à saper l'hégémonie de l'ORA de Rhissa Ag Boula, la CRA de Mohamed Akotey était une réaction contre la suprématie de l'UFRA de Mohamed Anacko. En effet, la CRA ressuscitée par Mano Dayak fut « redissoute » en décembre 1996, en même temps que tous les autres Fronts (à l'exception de l'ORA) dans le cadre de la création de l'UFRA comme coalition unique. Battu par Mohamed Anacko à l'élection pour la conquête de la présidence de l'UFRA, Mohamed Akotey « ressuscita » la CRA...

L'Accord du 21 août avec le FDR peut être également perçu comme une stratégie politique des combattants toubous. Ces derniers qui combattaient aux cotés des Touaregs se sont repliés dans leur région de l'est afin de se différencier des Fronts touaregs et ainsi maximiser leurs intérêts. Ce qui se dégage de ces différents accords, c'est qu'ils sont quasiment identiques dans leur contenu. Ce qui importe pour les acteurs, c'est moins le contenu que la forme. Signer un accord directement avec le Gouvernement confère aux leaders du Front d'importantes ressources politiques. Sur la base de ces différents Accords de Paix, un ensemble de politiques publiques ont émergé au Niger.

1 En mars 1996, l'ORA et la CRA vont créer un Comité Technique de Négociation (CTN) constitué de douze (12) membres « en vue de rechercher les voies et moyens de leur unité d'une part et d'apprécier ensemble l'application de l'Accord de Paix du 24 avril 1995 d'autre part». Cf Résistance Armée (CRA-ORA), Acte Fondamental N°001IRA du 26 mai 1996 portant Création d'un Comité Technique de Négociation (CTN) au sein de la Résistance.

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CHAPITRE II : EMERGENCE DES POLITIQUES DE GESTION POST CONFLIT ET CONTINUITE HISTORIQUE

Les politiques publiques issues du processus de règlement des rebellions armées au Niger ont permis de mettre en oeuvre les différentes clauses des engagements pris par les parties. L'étude du processus d'émergence de ces politiques publiques offre la possibilité d'aborder le premier axe de notre recherche. Ce chapitre permet de tester l'hypothèse que les institutions naissent dans un monde saturé d'institutions. Ces institutions existantes influent de manière significative sur la configuration de nouvelles institutions. Cette hypothèse est examinée à travers le rôle joué par les institutions dans la structuration des réponses étatiques face au conflit et l'empreinte des institutions existantes dans les Accords de Paix (Section 1). Ensuite, le poids des institutions se perçoit par le modelage de la politique de réinsertion par le cadre institutionnel de gestion post-conflit (Section 2).

Section 1 : La dimension institutionnelle des réponses étatiques au phénomène rébellionnaire

Les institutions existantes ont eu un impact sur le mécanisme de gestion de la Rébellion pendant la période de Transition et sous la 3e République à travers la structuration institutionnelle de la gestion du conflit (Paragraphe 1). L'impact des institutions est également repérable dans les grands principes des Accords de paix et leurs modalités d'application (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La structuration institutionnelle de la gestion du conflit

La gestion de la rébellion touarègue a été considérablement influencée par l'organisation des pouvoirs publics. Cette influence se mesure par l'orientation de la politique gouvernementale (A) et la naissance des institutions de gestion du conflit (B).

A. L'orientation de la politique gouvernementale

Le régime de la Transition issu de la Conférence Nationale Souveraine fut le premier gouvernement à faire face à la Rébellion Armée1. L'organisation des pouvoirs publics pendant cette période était régie par l'Acte Fondamental n°21 de la Conférence Nationale portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de Transition qui tenait lieu de constitution2. Les organes de ce régime, qui n'est ni parlementaire ni présidentiel ou semi-présidentiel, sont constitués d'un exécutif bicéphale, d'un pouvoir législatif, d'un pouvoir judiciaire ainsi que des organes de contrôle. L'exécutif était détenu par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, élu par la Conférence Nationale. Le Chef de l'Etat, le Général Ali Saibou, fut maintenu dans des fonctions protocolaires.

1La Transition a débuté juste après la fin de la Conférence Nationale Souveraine le 3 novembre 1991 pour s'achever le 15 avril 1993 avec les élections générales qui inaugurent la 3è République.

2 Laouel Kader Mahamadou, « L'évolution politique et institutionnelle récente du Niger » in Kimba Idrissa, (dir), Le Niger: Etat et Démocratie, op cit, pp. 321-352. Voir aussi sur l'organisation des pouvoirs pendant la Transition, Sanoussi Tambari Jackou, Affaires constitutionnelles et organisation des pouvoirs au Niger, op cit, pp. 193-208.

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Le pouvoir législatif était exercé par un Haut Conseil de la République (HCR) constitué par des membres élus par la Conférence Nationale et présidé par le Pr André Salifou. Le pouvoir judiciaire était exercé par une Cour Suprême et une Haute Cour de Justice. De par l'organisation formelle des pouvoirs, la gestion du dossier de la Rébellion revenait au Chef de Gouvernement en tant que détenteur du pourvoir exécutif. Cela d'autant plus qu'il cumulait ses fonctions de Chef du Gouvernement avec celles de Ministre de la Défense Nationale.

Dès les premiers instants de la Transition, les trois organes politiques avaient pourtant décidé, compte tenu de la délicatesse de cette question, d'en faire une gestion commune. L'option du Gouvernement face à la Rébellion était la recherche d'une solution pacifique à travers l'ouverture d'un dialogue direct. Dans la réalité, l'orientation de la politique gouvernementale fut marquée par la prépondérance du Premier Ministre, l'opacité dans la gestion du dossier de la rébellion et les conflits institutionnels entre le Gouvernement et le HCR.

En s'appuyant sur ses attributions constitutionnelles, Cheffou Amadou imprima sa marque dans la gestion du processus de négociation avec les rebelles touaregs. C'est ainsi qu'il confia à certains de ses proches, à savoir Mohamed Moussa et Albert Wright, respectivement les portefeuilles du Ministère de l'Intérieur et celui créé le 26 mars 1993 du Ministère de la Réconciliation Nationale. A la tête de ce dernier ministère, Albert Wright fut un des concepteurs essentiels de la politique gouvernementale sur la Rébellion Armée. De par ses attributions, le Ministre de la Réconciliation Nationale responsable devant le premier ministre, disposait de la plénitude des compétences sur la Rébellion.

La marginalisation des autres organes, à savoir le Chef de l'Etat et le Président du HCR se manifestait dans le refus du Premier ministre de rendre compte à ces derniers des initiatives qu'il prenait. C'est ainsi qu'en mai 1992, le Premier ministre envoya à Paris une délégation de trois personnalités pour prendre contact avec Mano Dayak, un des cerveaux de la Rébellion1 à l'insu du Chef de l'Etat et du Président du HCR.

Le Premier ministre avait déjà envoyé secrètement une mission pour rencontrer la Rébellion le 9 février 1992. Les autres organes de la Transition ne seront informés que plus tard de cette mission conduite par Soumana Souley, alors Conseiller du Ministre de l'Intérieur. Le Premier ministre était conforté dans sa politique unilatérale par des activistes touaregs résidant à Niamey qui, dans une lettre à lui adressée, rappelaient « à l'Exécutif qu'il demeure le seul responsable du règlement de la rébellion touarègue »2.

Mais cette politique solitaire du Premier Ministre inspirée en partie par la configuration institutionnelle formelle n'occulte pas le rôle structurant des institutions informelles. Une des institutions existantes était l'armée et la façon dont elle perçoit son rôle non seulement dans le champ politique, mais aussi et surtout sur les questions militaires. Depuis 1974, année du premier coup d'Etat, l'armée nigérienne est devenue une armée politique, c'est-à-dire une armée qui perçoit sa participation dans le jeu politique comme légitime3.

Les militaires nigériens ont toujours considéré la rébellion touarègue comme relevant de leurs seules compétences. Les mutineries de l'armée entre le 26 février et le 3 mars 1992 procèdent de cette logique. Les militaires précédèrent à plusieurs arrestations de responsables

1 André Salifou, La question touarègue au Niger, op cit, p. 152.

2 Ibid, p. 137.

3 Kees Koonings and Dirk Kruijt, « Military and the mission of nation building» in Kees Koonings and Dirk Kruijt (eds) Political Armies: the military and nation building in the age of democracy, London, Zed Book, 2002, p. 9-34.

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politiques dont le Président du HCR et le Ministre de l'Intérieur et libérèrent le capitaine Maliki Boureima1, incarcéré à Kollo pour des massacres commis contre des Touaregs en mai 1990 à Tchintabaraden. La rupture du principe de soumission de l'armée au pouvoir politique traduit un conflit entre deux institutions. L'institution formelle qui fait de l'armée la main du pouvoir politique et une institution informelle ancrée dans la culture militaire qui légitime son insoumission au pouvoir civil.

La réaction de l'armée va également se heurter à une autre institution liée au rôle de la France. Paris avait confié le dossier de la Rébellion à la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE). A Niamey, il s'est développé un processus informel et secret de gestion de la Rébellion entre le Premier ministre et le colonel Vié, Facilitateur Français au Niger. Pour André Salifou, « Le Premier ministre ne conçoit absolument rien par lui-même. C'est le facilitateur qui imagine et met au point tous les scénarios »2.

Cette gestion opaque suscita la réaction sévère du chef d'Etat-major des FAN, le Lieutenant-colonel Issa Maazou qui s'exprimait lors d'une rencontre de la Cellule de Réflexion le 23 février 92 en ces termes : « Ce sont les FAN qui se battent contre la rébellion. Nous sommes là, toujours disponibles, mais le Premier ministre préfère passer des heures interminables avec le colonel Vié, sans même prendre notre avis. Une telle façon de faire doit cesser... »3. L'avènement de la 3e République en avril 93 marque un tournant politique important. La Constitution du 26 décembre 1992 consacre un régime semi-présidentiel qui fait du Président Mahamane Ousmane la clé de voûte des institutions, mais ce dernier doit composer avec un Chef de Gouvernement et un Parlement dotés de pouvoirs propres4.

Ces mutations institutionnelles eurent un impact sur l'orientation de la politique gouvernementale. Désormais, le Président de la République devient le principal maître d'oeuvre de la politique de défense nationale. Mais ses pouvoirs sont limités par une configuration politique et institutionnelle assez complexe. Le pouvoir reposait sur une coalition de partis, l'Alliance des Forces du Changement (AFC) dont les trois principaux leaders se sont partagé les trois postes clés : Mahamane Ousmane à la Présidence, Mahamadou Issoufou à la Primature et Moumouni Djermakoye à l'Assemblée Nationale.

Le Président Mahamane Ousmane maintient la politique du dialogue avec la Rébellion. Le Parlement influença largement l'orientation de sa politique Ainsi, suite de la rencontre avec la CRA en février 1994 à Ouagadougou (Burkina Faso), le Gouvernement introduit le document de la CRA, (le Programme Cadre de la Résistance) devant le Parlement. Les débats extrêmement passionnés au Parlement ont largement orienté la politique du Chef de l'Etat. Les députés avaient

1Considéré comme un héros, le capitaine Maliki Boureima était le seul officier qui avait reconnu pendant la Conférence Nationale avoir ordonné des exécutions sommaires des Touaregs en mai 1990. Lors de son audition publique à cette occasion, ses aveux avaient provoqué un tonnerre d'acclamation de la salle, non pas pour le féliciter d'avoir commis des crimes, mais pour apprécier son courage car beaucoup d'officiers supérieurs avaient nié leur implication dans ces massacres. Les acclamations furent interprétées autrement par les Touaregs : « le capitaine Maliki, héros de son étatfut acclamé par la salle lorsque avec le plus grand mépris, il exposait comment il a mené sa sale besogne, et surtout quand il a décrit la manière macabre dont il a achevé le vieux Abdoulmonine qui agonisait suite aux tortures qu'il a subies », in CRA, Programme Cadre de la Résistance, op cit, p. 24.

2 André Salifou, op cit, p. 178.

3 Ibid, 173.

4 Laouel Kader Mahamadou, « La fonction présidentielle sous la 3è République » in Sahel Dimanche du 18 septembre 1992, p. 4.

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unanimement rejeté le projet de partition du pays proposé par la Rébellion qui revendiquait les 2/3 du territoire national.

Toute négociation avec la Rébellion doit être encadrée par des principes intangibles, à savoir le caractère unitaire de l'Etat, l'intégrité territoriale et le respect d'une manière générale de la Constitution du 26 décembre 1992. C'était d'ailleurs à la demande du Parlement que le Gouvernement élabora le Document de base du Gouvernement du Niger devant servir aux négociations avec la Rébellion en avril 1994. Cependant, aussi bien dans la gestion du conflit par la Transition que sous la 3e République, les institutions n'expliquent pas à elles seules les situations politiques. Les néo-institutionnalistes reconnaissent, d'ailleurs, le rôle important d'autres variables dans l'explication des situations politiques1.

De celles-ci, on peut citer sous la Transition, les relations personnelles difficiles entre Cheffou Amadou et André Salifou, la personnalité modérée et réservée du Président Ali Saibou, etc. Sous la 3e République, des variables comme l'affaiblissement de l'Etat, la situation désastreuse des finances publiques, la médiation des pays amis entre autres ont eu leur effet sur l'orientation de la politique du régime. Le rôle des institutions peut être également analysé par la prolifération d'institutions.

B. La prolifération d'institutions

L'impact structurant des institutions existantes est repérable dans la nature des institutions de gestion du conflit qui ont proliféré aussi bien pendant la Transition que sous la 3e République. Pendant la Transition, la prépondérance du Premier ministre de par la configuration constitutionnelle s'exprimait éloquemment dans la nature de certaines institutions et mécanismes mis en place. Une Cellule de Réflexion fut instituée pour assurer une concertation permanente entre les différents organes de la Transition. Son rôle purement consultatif ne menaçait nullement les attributions du Premier ministre2.

En outre, le Gouvernement institua par arrêté n°29/PM du 23 août 1993 un Conseil National de Sécurité présidé par le Ministre de l'Intérieur qui coordonnait les actions des différents organes compétents en matière de « sécurité intérieure et défense du territoire »3. Contrairement à la Cellule, aucun représentant du HCR et de la Présidence de la République ne figurait dans sa composition.

Cette logique de concentration de pouvoirs en faveur du Gouvernement se traduit surtout par la création par décret n°93-53/PM/ME/CRN du 26 mars 1993, du Ministère Chargé de la Réconciliation Nationale à la tête duquel fut placé Albert Wright, homme de confiance du Premier ministre. Ce ministère était investi de toutes attributions en matière de gestion « de la rébellion, des

1 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 210.

2 Cette institution survécut à la Transition. En 1994, la composition de cette Cellule de réflexion était la suivante : ministre de la Défense, ministre de l'Intérieur, ministre des Affaires Etrangères, ministre de la Justice, ministre de la Réforme Administrative et de la Décentralisation, Secrétaire d'Etat au Plan, Haut Commissaire à la Restauration de la Paix, un Conseiller du Président de la République, un Chargé de Mission à la Présidence, le Chef d'Etat Major Particulier du Chef de l'Etat et le Chef d'Etat Major Adjoint des Forces Armées Nationales (FAN). Voir HCRP, Note sue la question... op cit. p. 41.

3 Journal officiel de la République du Niger, n°18 du 15 septembre 1993.

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conflits ethniques, politiques et religieux, des problèmes de minorités et à la conception et mise en oeuvre d'une politique de développement harmonieux des régions »1.

Par son existence, ce ministère d'Etat institutionnalisait la politique solitaire initiée par le Premier ministre en ce qu'il écartait de facto toute participation des autres organes dans la gestion de la Rébellion. En même temps, le Ministère Chargé de la Réconciliation Nationale peut être perçu comme la traduction de la politique de dialogue du Gouvernement contre les solutions militaires que prônaient les FAN. Une autre signification de cette institution est qu'elle reflète une institutionnalisation des problèmes ethniques. En effet, ce ministère marque une rupture avec le discours universaliste de l'Etat qui faisait abstraction des clivages ethniques que la Rébellion exprimait.

La Rébellion a de ce point de vue permis un changement qualitatif dans le système politique nigérien en introduisant sur l'agenda institutionnel les problèmes des minorités ethniques. Cette attitude « réflexive »2 avait d'ailleurs conduit le Gouvernement à créer par décret n°92-319/PM du 2 octobre 1992 une Commission ad hoc Chargée de Réfléchir sur le Règlement Négocié de la Rébellion Armée. Il s'agissait pour le Gouvernement de rechercher une « solution au problème de la rébellion à travers la réflexion, la concertation et la responsabilisation de la communauté nationale »3.

Contrairement au Conseil National de Sécurité, la Commission comptait en son sein des représentants des organes de la Transition. Elle regroupa plus de cent trente trois (133) participants issus de tous les secteurs de la société nigérienne (société civile, administration, Forces de Défense et de Sécurité, université etc.). Dans son rapport, cette Commission procédait à une analyse du problème touareg et proposait des voies de sortie à court, moyen et long terme4.

Ainsi, il est loisible de constater que l'émergence de toutes ces institutions ad hoc ou permanentes traduisait l'effet structurant de la configuration institutionnelle de cette période, même si elles ont revêtu d'autres significations politiques. Cette hypothèse se vérifie également avec l'avènement de la République. Le changement des institutions engendra une certaine rupture avec le cadre institutionnel existant.

Mais le cadre institutionnel de la Transition exerça une emprise sur les nouvelles institutions car certains mécanismes comme la Cellule de Réflexion furent maintenues. La rupture s'opéra avec la création par décret n°93-160/PRN du 12 novembre 1993 de la Commission de Restauration de la Paix (CRP) auprès du Chef de l'Etat5. Celle-ci reprenait presque in extenso les attributions du Ministère Chargé de la Réconciliation Nationale. La CRP, présidée par une personnalité nommée par le Chef de l'Etat, est composée de membres issus de la société civile.

Par sa création, le Chef de l'Etat reprenait la gestion du dossier de la Rébellion en vertu de ses attributions constitutionnelles. N'étant pas Chef de Gouvernement au regard de la nouvelle architecture institutionnelle, la suppression du Ministère Chargé de la Réconciliation Nationale par le Chef de l'État visait pour ce dernier à s'approprier la gestion directe de ce dossier. La CRP fut

1 Voir aussi décret n°93-57/PM/ME/CRN du 26 mars 1993 portant organisation du Ministère Chargé de la Réconciliation Nationale dans le Journal officiel de la République du Niger, n°8 du 15 avril 1993, p. 233.

2 Pour dépasser la crise de légitimité de l'Etat moderne, certains auteurs comme Jurgen Habermas proposent une attitude dite réflexive ou herméneutique par laquelle le « système » se réconcilie avec le « monde vécu ». Cette attitude consiste pour l'Etat à se remettre en cause en adoptant des réponses moins systémiques face aux problèmes sociaux. Voir Jurgen Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987.

3 Journal Officiel de la République du Niger, Numéro Spécial 5 du 13 novembre 1992, p. 3.

4 République du Niger, Rapport de la Commission Ad hoc..op cit.

5 Journal Officiel de la République du Niger, n°12 du 15 novembre 1993.

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Aofit 2009

transformée en Haut Commissariat à la Restauration de la Paix (HCRP) par décret n°94-007/ PRN du 14 janvier 1994.

Le HCRP est une institution permanente rattachée à la Présidence de la République1 et chargée, au terme de l'article 2 du décret cité plus haut, « de rechercher et lever tous les obstacles à la consolidation de l'unité Nationale et au raffermissement de la paix sociale ». A ce titre, il assure la conception et la mise en oeuvre de toutes les mesures et actions relatives à :

- la consolidation de l'unité nationale

- au raffermissement de la paix sociale

- au règlement négocié de la rébellion armée

- au suivi permanent de toutes les actions entreprises.

Le HCRP est à la fois un mécanisme de gestion, mais aussi de mise en oeuvre des

engagements pris entre les parties dans la phase post-conflit. Cette rupture institutionnelle cache mal certains éléments de continuité qui relèvent d'une logique politique et pragmatique. En effet, le PM Cheffou Amadou et le nouveau Président de la République Mahamane Ousmane étaient du même parti politique, la Convention Démocratique et Sociale (CDS Rahama).

Cela explique le maintien de certains responsables impliqués dans la gestion de la Rébellion sous la Transition ainsi que de la même approche pour le dialogue. Mr Mal Maigana, nommé Haut Commissaire à la Restauration de la Paix et Mr Soumana Souley, Conseiller Technique au HCRP, ont été maintenus en partie pour leurs relations avec le régime de la Transition. Leur maintien dans le processus obéissait également à un réalisme inspiré par leur connaissance fine et pratique de ce dossier délicat. Le Président de la République mis en place également par décret n°94-185/PRN du 28 novembre 1994, une Commission Nationale de Collecte et de Contrôle des Armes Illicites afin de contenir la circulation des armes illicites provoquées par le conflit au Nord2.

L'ensemble de ce dispositif institutionnel était censé assurer un règlement négocié de la Rébellion Armée en même qu'il jetait les bases d'une paix durable. La survivance sous la 3e République de certaines institutions nées sous la Transition, au delà les explications politiques, démontre le poids de l'héritage institutionnel de la Transition sur les nouvelles institutions. En même temps, elle montre la pertinence de la théorie incrémentaliste de la décision qui traduit «l'idée que les politiques publiques évoluent le plus souvent de façon graduelle etpar un mécanisme de petits pas »3.

Avec la conclusion des Accords définitifs le 24 avril 1995, certains principes ont été édictés pour asseoir une paix durable. Leur analyse confirme également l'hypothèse de la continuité historique des institutions.

Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des Accords de Paix

L'hypothèse testée plus haut peut être confrontée à la réalité dans l'analyse de la gestion post-conflit. Celle-ci permet d'identifier le poids des institutions dans la définition des principes de base des Accords de Paix (A) et dans leurs modalités d'application (B).

1 Journal Officiel de la République du Niger, n°3 du 1er février 1994.

2 Journal Officiel de la République du Niger, n°24 du 15 décembre 1994, p. 985.

3 Alexandra Jonsson, « Incrémentalisme » in Laurie Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques publiques, op cit, p. 261.

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A. Les principes de base des Accords de Paix

Les Accords de Paix, en ce qu'ils prenaient en compte les revendications de la Rébellion sur la forme de l'Etat, étaient censés consacrer une rupture avec les institutions politiques existantes. L'étude du contenu des Accords de Paix montre à la fois l'effet structurant des institutions existantes, mais aussi des éléments de rupture. Dès la signature de l'Accord du 9 octobre 1994, le Gouvernement obtint de la Rébellion l'acceptation de la décentralisation en lieu et place du « fédéralisme ».

Cet Accord sur la forme de l'Etat fut repris dans les Accords du 24 avril au titre II où les parties réaffirment leur « l'attachement à la constitution du 26 décembre 1992 » et leur l'adhésion aux « déclarations des droits de l'homme de 1948, et la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 ». Il s'agissait d'un pas majeur quand on sait que dans le Programme Cadre de la Résistance (PCR), la Rébellion proposait une forme d'Etat assez atypique. Celle-ci n'était ni une fédération, ni une confédération, encore moins un Etat unitaire décentralisé. Ce qui caractérisait cette forme d'Etat, c'était avant tout une conception fascisante de la nation1.

Dans leur analyse juridique de ce «fédéralisme inédit», Mamadou Dagra et Amadou Tankoano écrivaient : « Le fédéralisme de la rébellion tend à la "purification" ethnique comme en Bosnie. En effet, tant du point de vue du territoire, de la population que du pouvoir politique, il vise à la mise en place d'un Etat à base ethnique dans lequel n'auraient des droits que les "ressortissants" des régions revendiquées. Ainsi, seuls les "autochtones" seraient électeurs et éligibles ; eux seuls seraient bénéficiaires de recrutements aussi bien dans les sociétés minières, l'administration que dans les Forces de Défense et de Sécurité »2.

Ces Accords démontraient l'impact des normes établies d'autant plus que la procédure d'adoption des textes sur la décentralisation suivait les formes classiques d'adoption des lois. Toutefois, les Accords de Paix introduisaient une procédure exceptionnelle consistant en la participation des ex-rebelles dans une commission spéciale de reforme administrative. La politique de réinsertion des ex-combattants, telle qu'elle était esquissée dans les Accords de Paix, reflétait également l'impact des institutions.

Dans le titre V (point D.3) de l'Accord du 24 avril, le Gouvernement s'engageait à « intégrer des éléments démobilisés de l'ORA à tous les niveaux de l'administration publique selon les critères de compétence et les nécessités de l'Etat », « Il en sera de même pour les fonctions politiques». Dans le même sens, le Gouvernement assortit l'intégration des ex-combattants dans les FAN, la Gendarmerie Nationale, les Forces paramilitaires à une «formation appropriée» après avoir souscrit à un « engagement conformément aux dispositions réglementaires ».

Au sein des FAN par exemple, 19 ex-combattants intégrés, déclarés inaptes pour le corps, furent remplacés en 19974. Ces dispositions des Accords de Paix traduisent le souci permanent de l'Etat de préserver les institutions existantes et les normes régissant son fonctionnement. Le Gouvernement n'entendait pas sacrifier les principes de l'Etat de droit sur l'autel du pragmatisme et de la real politik commandés par les circonstances. Mais cette subtilité de la partie

1 Les «régions touarègues» seront dotées de leur propre constitution à laquelle doit se conformer la constitution du Niger. Dans ces régions revendiquées par la Rébellion, « seules les populations touarègues, Kawariennes et Peuls Bororos autochtones seront électrices et éligibles. Les résidents des autres Régions du pays pour des raisons commerciales, administratives et autres ne seront ni électeurs ni éligibles » in CRA, Programme Cadre de la Résistance, p. 9.

2 Mamadou Dagra et Amadou Tankoano, « Le Programme Cadre de Résistance et le Droit» in SNECS, op cit, p. 59.

3 Souligné par nous.

4 HCRP, Estimation du coût du processus de paix, juillet 1998, p. 4.

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gouvernementale répond aussi à une influence diffuse de l'opinion publique nigérienne qui n'a jamais fait mystère de son opposition à toute forme de privilèges aux ex-combattants.

Les revendications politiques de la Rébellion ont suscité au Niger des réactions très vives quand à leur bien-fondé. L'argument d'une marginalisation des Touaregs dans la gestion des affaires publiques et la répartition des investissements de l'Etat a été farouchement combattu. L'idée selon laquelle depuis l'indépendance, les critères d'octroi des ressources étatiques étaient basés sur « le degré de parenté avec les dignitaires du régime et le degré d'éloignement de la souche touareg »1 a été contredite par le Gouvernement et certains auteurs à travers des statistiques fiables2.

Le constat dressé par le Pr André Salifou est significatif à cet effet : « La république du Niger a été proclamée le 18 décembre 1958, et dès le 31 décembre, sur les 12 membres du gouvernement du Niger, on compte dé'à deux touaregs, MM. Zodi Ikhia au ministère de l'Education, de la Jeunesse et des Sports et Mouddour Zakara comme ministre de la Fonction Publique. Et depuis cette date, il y a eu en moyenne deux ministres touaregs dans les 38 gouvernements qui se sont succédés au Niger, ce qui est considérable car cette moyenne est de quatre pour les haoussas qui constituent 50% de la population du Niger tandis que les Touaregs n'en représentent que 8 à 9 %. Mieux, les Touaregs ont représenté 22% de l'équipe gouvernementale. C'est le cas dans le gouvernementformé le 14 novembre 1983 où ils sont 5 sur les 22 ministres »3.

Le Gouvernement courait le risque d'entamer sa propre légitimité en adhérant totalement au principe de discrimination positive revendiqué par la Rébellion. Cependant, en dépit de cette influence des institutions et des facteurs politiques, certains éléments de rupture sont repérables dans les Accords de Paix. C'est ainsi que, contrairement aux normes en vigueur, le Gouvernement s'engageait à réintégrer des éléments de la Rébellion ayant quitté leurs fonctions dans l'administration publique, les sociétés d'Etat et les élèves et étudiants ayant quitté leurs établissements (art 16 Accord du 24 avril).

Les intégrations au sein de tous les corps de l'Etat faisaient aussi dérogation aux lois et règlements en vigueur dans la mesure où les ex-combattants étaient dispensés de passer les concours d'entrée, là où cela était exigé. S'agissant précisément des Forces de Défense et de Sécurité, le Gouvernement s'était engagé à revoir « à la hausse le contingent des recrues ressortissants de la done touchée par le conflit »4 et de « mettre un accent sur le recrutement du personnel local »5 pour ce qui est des agents des Forces paramilitaires.

Aussi, le Gouvernement s'était engagé à «favoriser le développement de l'économie régionale par la mise en oeuvre pour l'ensemble du secteur industriel et minier des mesures incitatives à la création d'emplois en

1 CRA, Programme Cadre de la Résistance, op cit, p. 9.

2 On peut retenir par exemple qu'en 1990, le taux de couverture sanitaire pour le Département d'Agadez (la plus grande région du nord) était de 58,10% avec une population estimée à 228 000 habitants contre : 31,75% pour le département de Diffa (200 000 habitants), 25,56% pour le département de Dosso (1 100 000 habitants), 26,22% pour le département de Maradi (1 500 000 habitants), 23, 10% pour le département de Tahoua (1 400 000 habitants), 28,98% pour le département de Tillabéri (1 422 000 habitants), 26,44% pour le département de Zinder (1 511 000 habitants), 31,31% pour la Communauté Urbaine de Niamey dont la population est le double de celle du département d'Agadez. Voir André Salifou, op cit, p. 99.

3 Ibid, p. 85.

4 Accord du 24 avril 1995, article 17 (Titre IV, point B)

5 L'insistance sur le personnel local rappelle la northernisation policy du Gouvernement Régional du Nord Nigeria dans les années 50 et 60 sous la direction de Sir Ahmadu Bello. Cette politique a consisté à remplacer progressivement, mais systématiquement les agents chrétiens d'origine sudiste par des agents nordistes, musulmans en majorité et d'ethnie haoussa-fulani. Voir Albert Olawale, «Federalism, inter ethnic conflicts and the northernisation policy of the 50s and 60s » in Kunle Omuwo et al (eds), op cit, pp. 51-63.

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faveur des populations locales qui bénéficieront d'une priorité dans le recrutement »1. Ces dispositions tranchent manifestement avec les principes universels jusqu'ici en vigueur en ce qu'elles introduisent la discrimination positive en faveur des ex-rebelles. Une telle rupture était inévitable vu le contexte de la signature de ces Accords de Paix qui sont issus d'un rapport de force.

Le passage de la politique de réinsertion à l'agenda institutionnel est mieux appréhendé par le modèle de la mobilisation externe de mise à l'agenda. Selon ce modèle explicatif, la mise à l'agenda s'effectue « lorsque des groupes organisés parviennent à transformer leurproblème en question d'intérêt public, en constituant une coalition autour de leur cause, et à l'imposer à l'agenda public pour contraindre les autorités publiques à l'inscrire à l'agenda gouvernemental appelant une décision »2.

L'analyse néo-institutionnelle met l'accent sur la notion de critical juncture (point tournant) pour expliquer la naissance des institutions. Selon André Lecours, «les institutions sont le produit de processus historiques concrets, particulièrement ceux marqués par des dynamiques conflictuelles »3. En d'autres termes, l'émergence des institutions doit se comprendre en termes de relation de pouvoir à des moments historiques précis.

De ce point de vue, le Gouvernement ne pouvait éviter de faire certaines concessions à la Rébellion compte tenu des conditions quasi-révolutionnaires de la conclusion des Accords de Paix. Les éléments de continuité et de rupture avec les institutions se vérifient surtout dans les modalités pratiques de l'exécution des Accords de Paix.

B. Les modalités d'application des Accords de Paix

Les Accords du 24 avril prévoyaient la mise en place d'un Comité Spécial de Paix (CSP) constitué des deux parties et des trois médiateurs chargé de démarrer la mise en oeuvre des engagements pris. Le CSP siégea à cinq reprises à Niamey en 19954. Mais, grâce à la « confiance retrouvée » entre la partie gouvernementale et la Rébellion, il fut décidé sur proposition de la France, que les deux parties continuent seules la mise en oeuvre des Accords. C'est ainsi que s'agissait de la réinsertion des ex-combattants, des rencontres entre les deux parties aboutirent aux Relevés de Conclusions suivants5 :

- Le Relevé de Conclusions entre le Gouvernement et l'ex-Résistance autour de la détermination des effectifs du 7 au 4 juillet 1996 ;

- L'Acte Additif à la détermination des effectifs entre le Gouvernement et l'ORA en date du 4 septembre 1996 ;

- Le Protocole d'Accord sur le cantonnement, les intégrations et le désarmement des 25 novembre au 14 décembre 1996 ;

1 Accord du 24 avril 1995, article 22 (Titre V, point B). Souligné par nous.

2 Phillipe Garraud, «Agenda/Emergence » in Laurie Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques publiques, op cit, p. 54.

3 André Lecours, op cit, p. 12. Voir aussi M. Gazibo et J. Jenson, op cit, p. 204.

4 Les cinq sessions se sont tenues aux dates ci-après :

- 1ère session du 23 mai au 2 juin 1995

- 2è session du 13 juillet au 11 août 1995

- 3è session du 10 au 18 novembre 1995

- 4è session du 5 au 18 novembre 1995

- 5é session du 13 au 26 décembre 1995. Voir HCRP, Mise en oeuvre des Accords de Paix, août 1996, p. 3.

5 HCRP, Bilan du processus de paix, août 2004, p. 5.

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- Le Forum de réconciliation intercommunautaire de Tahoua (CVT -- CAD) du 15 février 1997 ;

- Les Procès-verbaux des Comités de Pilotage du 3 septembre 1997 et 22 avril 1998 ;

- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et les FARS suite à l'armement additionnel du 2 juin 1999 ;

- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et le FDR du 19 août 1999 ;

- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et la Milice Peulh du 7 février 2000 ;

- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et la Milice Arabe de N'Guigmi du 30 mai 2000.

Les critères de déterminations des quotas par Front ou Mouvement reposaient essentiellement sur l'armement détenu, c'est-à-dire la « capacité de nuisance» selon l'expression du Colonel Laouel Chékou Koré, ancien Haut Commissaire à la Restauration de la Paix. Ainsi, plus la structure dispose d'armes, plus elle aura des quotas. La qualité des armes importait beaucoup puisqu'on tenait compte du nombre de personnes nécessaire pour les manier. A titre d'exemple, un Kalachnikov donne droit à une (1) place, une lance-roquette anti-char ou une 12-7 donne trois (3) à quatre (4 places), un appareil radio de transmission peut donner une (1) à deux (2) places etc. Cette formule propre à l'institution militaire reflétait l'effet de celle-ci sur ce processus décisif.

De l'avis de Soumana Souley, «par ce procédé incitatif, le Gouvernement entendait dissuader les rebelles de garder des armes de guerre.1 Pourtant, le désarmement de certains chefs de guerre comme Chahaï Barkaï des FARS ne fut pas chose aisée2. Aussi, cette formule, pourtant universelle en matière de gestion post-conflit, ne fut pas appliquée à la lettre. Il était apparu que les Fronts les moins dotés en armement en seraient lésés. En vérité, beaucoup de ces Fronts étaient fictifs, ils étaient créés à la hâte par certains opportunistes pour bénéficier des intégrations.

Déjà en 1996, lors de la réunion de travail entre le HCRP, la Rébellion et la Médiation sur les modalités de cantonnement, le HCRP avait proposé trois critères d'admission sur les sites de cantonnement : être nigérien, appartenir à un Front et détenir une arme. Ce dernier critère fut rejeté par la Rébellion qui estima que « tout élément remplissant les deux premiers critères dans la limite de 5900 combattants devrait être admis »3. Cette position fut acceptée par le HCRP et la Médiation.

La Réunion du Comité de Pilotage du 3 septembre 1997 a décidé d'attribuer les quotas au prorata de 20 % de l'effectif théorique et 80% pour l'armement4. En 1999, le FDR, s'estimant lésé par les critères définis plus haut, introduisait un critère d'ordre démographique et spatial. Dans un document adressé au HCRP, il exprimait sa position en ces termes : «Pour le FDR, le

1 Entretien à Niamey, 15 avril 2006.

2 Le « Commandant» Chahaï avait signé un accord avec le gouvernement le 6 juin 2000 qui l'autorise à garder des armes même après le désarmement de tous les Fronts afin d'assurer sa sécurité. Ces armes devraient être restituées après l'installation des USS dans le Kawar. Il garda ainsi une mitrailleuse 14,5 mm, une FAL N°56353, une AK47 N°R22462, une SG N°64827 et quatre PA. Avec l'installation des USS dans le Manga en fin 2000, le HCRP lui somma par lettre N°44/HCRP/CT du 22 février 2001 de rendre les armes détenues conformément à l'accord conclu. Une mission du HCRP fut dépêchée pour le rencontrer à cet effet, mais en même temps, les FAN en décidaient autrement. Une mission lancée en même temps que celle du HCRP le 21 septembre 2001 attaqua le convoi du « commandant» qui trouva la mort dans les combats. Voir HCRP, Bref aperçu sur le désarmement des FARS, (document non daté) et HCRP, Armement détenu par les FARS, juin 2000.

3 HCRP, Procès-verbal de Réunion, 25 septembre 1996, p. 4. Voir aussi, HCRP, Protocole d'Accord sur le cantonnement, les intégrations et le désarmement, 25 novembre au 17 décembre 1996, p. 2.

4 Procès-verbal de Réunion du Comité de Pilotage du 3 septembre 1997, p. 3.

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Karvar-Manga est un espace géographique aussi vaste que l'Aïr-ADarvak et la population qui y vit est aussi nombreuse que celle de l'Aïr-ADarvak. Il serait dès lors aberrant, voire cynique de vouloir affecter au FDR, le 1/15 des quotas réservés à l'autre ex-Rébellion. Une telle démarche ne peut relever que du simplisme et de l'arithmétique pur »1. C'était donc sur la base d'une formule hybride combinant les critères à la fois politiques et techniques que les quotas furent déterminés, tel que illustré dans le tableau n°1 ci-dessous.

Tableau n°1 : Poids des Fronts et Mouvements en pourcentage et par ordre dé croissant2

Structures

Statut

Pourcentage

Zone d'intervention

FARS

Front toubou

14,19%

Kawar

FPLS

Front touareg

12,33%

Aïr

FLT

Front touareg

10,54

Aïr

FLAA

Front touareg

9,31%

Aïr

MUR

Front touareg

8,40%

Aïr

CVT

Mouvement arabe

7,76%

Azawak

APLN

Front touareg

6,04%

Azawak

FAR/UFRA

Front touareg

5,86%

Aïr

CAD

Mouvement arabe

5,58%

Azawak

MRLN

Front touareg

5,45%

Azawak

FFL

Front touareg

4,12%

Azawak

ARLN

Front touareg

3,35%

Azawak

FAR/ORA

Front touareg

2,11%

Aïr

FPLN

Front touareg

2,8%

Azawak

 

Source : HCRP, Poids en pourcentage des ex-Fronts et Mouvements, juillet 2006.

Les modalités d'application montraient, par ailleurs, le rôle des institutions existantes dans l'attribution des grades. La hiérarchie militaire refusa l'attribution des grades aux ex-rebelles démobilisés. Dès mars 1995, les FAN s'étaient prononcées contre toute intégration des éléments démobilisés de la Rébellion en leur sein ; « cela du fait même du caractère républicain d'une armée, condition fondamentale de la viabilité de l'Etat »3. Selon les officiers, l'égalité d'accès pour tous les citoyens aux emplois militaires est « incompatible avec la prise en compte de facteur ethnique »4.

En effet, les mesures de discrimination positive en faveur des ex-combattants contredisent les normes régissant l'institution militaire. Cette contradiction fut à l'origine de la reprise des hostilités par l'UFRA en septembre 1997. Finalement, les FAN ont accepté le principe de l'intégration des éléments démobilisés, mais à condition d'être encadrée par des normes

1 FDR, Propositions du FDR sur l'intégration, la réintégration, l'insertion socio-économique et la détermination des grades, 23 février 1999, p. 1.

2 Seuls les Fronts et Mouvements du Manga (Est) ne figurent pas dans ce tableau, à savoir le FDR, rébellion toubou et les deux Milices de la zone (Milice Arabe de N'Nguigmi et la Milice Peulh de Diffa). Ces structures ont été intégrées avec les Accords de N'Ndjamena de 1998 sur des bases forfaitaires.

3 HCRP, Note sur la question de..., op cit, p. 18.

4 ibid.

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pré cises1. C'est ainsi qu'il fut décidé que la formation des éléments démobilisés ne pouvait se faire dans des camps isolés, contrairement aux voeux de la Rébellion qui envisageait la formation de ses éléments dans des écoles françaises. Les écoles existantes de formation furent alors utilisées.

Ainsi, la logique institutionnelle propre à cette structure étatique fut un facteur structurant dans l'application pratique des clauses liées à la réinsertion. L'option du HCRP fut dès les Accords du 9 octobre 1994 de solliciter l'avis de toutes les structures de l'Etat sur d'éventuelles intégrations des éléments de la Rébellion. Chaque structure se prononçait en fonction de sa logique intrinsèque en termes de critères d'entrée et de capacité d'absorption.

La Garde Républicaine offrait dès mars 1995 des possibilités d'intégration pour les ex-combattants. Ce corps disposait d'une catégorie E en voie d'extinction qui pouvait accueillir les ex-combattants non titulaires du Certificat de Fin d'Etudes du Premier Degré (CFEPD). En outre, il fut également décidé que pour l'ensemble des corps de l'Etat, les intégrations se feront selon les nécessités de services exprimées par les institutions compétentes. Et surtout que l'affectation des agents dans le Nord se fera en fonction de la connaissance du terrain et non du seul fait d'être ressortissant de la Région.

Au cours du processus, les conditions pratiques de sélection selon les corps furent graduellement définies et précisées, notamment au sein des commissions spécialisées qui seront créées à cet effet. Il apparaît évident que malgré des éléments de rupture, les institutions antérieures et leurs normes de fonctionnement ont fortement encadré le processus de définition de la politique de réinsertion. Malgré la présence des représentants de la Rébellion dans toutes les sphères de décisions, l'Etat a largement sauvegardé ses principes de fonctionnement.

Au sein des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), la seule innovation qualitative fut la création des Unités Sahariennes de Sécurité (USS) composées de ressortissants des zones touchées par le conflit. Mais ce corps était lui-même incorporé au sein des Forces Nationales d'Intervention et de Sécurité (FNIS) avec la Garde Républicaine qui existait déjà, et avec un Commandement Central basé à Niamey. En clair, l'universalisme et la logique jacobine de l'Etat ne semblent pas avoir souffert outre mesure de l'application des Accords à cette étape précise. Cette réalité s'observe également dans le cadre institutionnel de la gestion post-conflit.

Section 2 : Le modelage institutionnel dans l'élaboration de la politique de réinsertion

Dans le cadre de la mise en oeuvre des Accords de Paix, un ensemble de mécanismes a été institué. Le cadre institutionnel de la gestion post conflit fait de mécanismes permanent et ad hoc reflète la logique institutionnelle existante (Paragraphe 1). Le output de la politique de réinsertion a été largement influencé par ce dispositif institutionnel (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La configuration institutionnelle de la gestion post conflit

1 Ces conditions seront précisées à l'issue de la session du Comité de Pilotage du 3 septembre 1997. Voir Cabinet du Premier Ministre, Procès-verbal de Réunion, 3 septembre 1997, HCRP, Critères d'intégration des éléments démobilisés de la Résistance Armée-CAD-CVT et FDR dans certains corps de l'Etat, 1997.

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La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

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L'analyse des institutions d'application des Accords de Paix se base sur l'institution permanente du Haut Commissariat à la Restauration de la Paix (HCRP) (A) et des différents mécanismes interministériels (B).

A. L'existence d'un cadre permanent : Le HCRP

Le HCRP apparaît dans les deux phases du processus de paix, celle de la négociation et celle de la gestion post-conflit. Sa création par le Président Mahamane Ousmane porte l'empreinte du changement institutionnel intervenu avec l'avènement de la 3e République. De par sa dénomination, cette institution revêt une signification universaliste et, en cela, témoigne de la continuité historique des institutions. En effet, refusant de suivre l'exemple malien où le Pacte National de 1992 a institué un Commissariat au Nord", le Gouvernement n'entendait pas faire du HCRP une institution au profit d'un groupe ethnique ou d'une région particulière. De même qu'il n'entendait pas rééditer l'expérience du Ministère des Affaires Sahariennes et Nomades de la Première République.

Le règlement de la Rébellion (le mot touareg n'apparaît nulle part dans les textes) n'est qu'un aspect des attributions du HCRP. Le HCRP était censé être un organe neutre dans la mesure où le Haut Commissaire assurait la présidence du Comité Spécial de Paix (CSP). C'est du moins la perception qu'en avaient les ex-rebelles touaregs qui avaient au début manifesté leur appréhension quand à son impartialité. Mr Soumana Souley en témoigne : « De toutes les actions menées par le Haut Commissaire pour affirmer sa position médiane, il a été systématiquement contesté par la partie ex-Résistance, qui a toujours dénoncé sa position de fonctionnaire. L'ex-Résistance a toujours montré sa défiance vis-à-vis de cet organe faisantpartie intégrante de la hiérarchie de l'appareil d'Etat »2.

L'institution est rattachée à la Présidence de la République et le Haut Commissaire bénéficie du rang de ministre. Le HCRP est organisé administrativement suivant le schéma des ministères. Le Haut Commissaire dispose d'un Cabinet constitué d'un Chef de Cabinet, d'un Secrétaire Particulier et d'un ou deux Conseillers Techniques. Le Secrétariat Général coiffe les Départements des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C) et des Affaires Juridiques et Politiques (DAPJ), le Service Financier et le Service d'Ordre. Une Cellule d'Appui au HCRP fut créée par arrêté n°3/PRN/HCRP du 20 janvier 1998 avec l'appui du Programme des Nations-Unies pour la Développement (PNUD) avec pour mission d'aider à la mise en oeuvre de la politique de développement de la zone pastorale.

Si la création du HCRP fut une réponse institutionnelle aux conflits armés et une reprise en main de la gestion de la Rébellion par le pouvoir civil, il n'en demeure pas moins que l'évolution de ce cadre a démontré l'influence évidente de l'institution militaire. En effet, le HCRP fut une institution hybride, tantôt administrée par un militaire, tantôt par un civil. Quelle est la logique derrière les nominations des Hauts Commissaires ? L'analyse des données révèle, comme le comme le montre le tableau n°2 à la page suivante, l'existence de corrélation entre la

1 Pacte National du 12 avril 1992, Chapitre IV, Titre III (Point 43) sur la « création d'un Commissariat au Nord pour une durée de cinq ans renouvelables chargé d'animer la mise en oeuvre» du Pacte, notamment sur la Statut Particulier des régions nord du Mali, publié par le journal Construire l'Afrique, Numéro Spécial « Kidal : les germes d'une sécession ou d'une fédération du Sahara mauritanien au Niger ? », n°169, du 1er au 15 juillet 2006, pp. 15-19.

2 Soumana Souley, « Le processus de paix au Niger », (document non daté).

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qualité de la personnalité nommée (militaire/civil) et le type de régime (civil/militaire) ou la qualité du Chef de l'Etat (militaire de formation ou non).

Il est ainsi apparu que tous les quatre (4) militaires nommés à la tête du HCRP l'ont été soit, sous un régime d'exception (donc avec un Chef d'État militaire), soit sous un régime civil, mais avec un Chef d'État militaire de carrière. Il s'agit pour le premier cas du Lieutenant-Colonel Laouel Chékou Koré et du Colonel Seyni Garba, respectivement nommés par le Général Ibrahim Baré Mainassara1 et le Commandant Daouda Malam Wanké. Pour le second cas, il s'agit des Lieutenants-colonels Sofiani Amadou et Hamidou Maigari, respectivement nommés par les présidents Ibrahim Baré Mainassara et Mamadou Tandja.

Tableau n°2 : Liste des Haut Commissaires à la Restauration de la Paix

Noms et prénoms

Période

Profession

Période de nomination

Maï Maigana

Du 14 janvier 1994 au 7 novembre 1995

Fonctionnaire à la
retraite

3è République

Joseph Diatta2

Du 7 novembre 1995 au 8 mai 1996

Diplomate

3è République

Laouel Chékou Koré

Du 8 mai 1996 au 19 juin

1997

Offi cier des FAN

Conseil du Salut National

 

Sofiani Amadou

Du 19 juin 1997 au 19
juin 1998

Officier des FAN

4è République

 

Moustapha Tahi

Du 19 juin 1998 au 13
avril 1999

Diplomate

4è République

Seyni Garba

Du 13 avril 1999 au 30
janvier 2004

Officier des FAN

Conseil de Réconciliation
Nationale

 

Hamidou Maigari

Du 30 janvier 2004 au 13 septembre 2005

Officier des FAN

5è République

 

Mohamed Anacko Depuis le 13 septembre

2005.

Ancien Chef de
Front

5è République

 

Sources : Tableau établi par nous à partir des décrets de nominations publiés dans le Journal Officiel de la République (Archives Nationales du Niger).

Des trois Haut commissaires civils1, seul Moustapha Tahi a été nommé par un président militaire de carrière, le Président Baré Mainassara. La signification de ces données est de montrer

1 Le Général Baré avait renversé le 27 janvier 1996 le régime de la 3è République suite à l'instabilité institutionnelle provoquée par la Cohabitation et mis en place un Conseil du Salut National (CSN) composé d'officiers des FAN. Après une transition de six (6) mois, il se fit élire Président de la République dans la cadre de la 4è République avant d'être assassiné le 9 avril 1999 par une junte militaire, le Conseil de Réconciliation Nationale (CRN), dirigée par le Commandant Daouda Malam Wanké. Cette junte organisa, après une transition de neuf (9) mois, des élections générales à l'issue desquelles Mamadou Tandja, ancien Colonel des FAN, fut élu Président de la 5è République.

2 Joseph Diatta fut en fait nommé par décret n°95-176 (bis)/PM du 7 novembre 1995 pour assurer l'intérim du Haut Commissaire cumulativement avec ses fonctions de Secrétaire Général du HCRP.

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la perception militaire de la gestion post conflit par les Chefs d'État issus de l'armée. Mais nos enquêtes nous ont montré l'existence d'autres variables explicatives. Celles-ci tiennent à des impératifs pragmatiques et à des facteurs conjoncturels. La variable pragmatique se vérifie dans la mesure où presque tous les Haut Commissaires, militaires et civils, ont eu une expérience prouvée dans la gestion du problème de la Rébellion. Les nominations n'obéissent donc à aucune complaisance.

D'ailleurs, certains militaires n'avaient aucune relation personnelle avec le Président qui les a nommés. C'est le cas de Laouel Chekou Koré nommé par le président Baré. Cet officier de la Gendarmerie Nationale s'était illustré, entre autres, par son expertise dans l'enquête internationale consécutive au crash d'avion dans lequel Mano Dayak avait trouvé la mort en décembre 1995. C'est aussi le cas de Moustapha Tahi, ancien Maire d'Agadez et président du Comité Régional de Paix d'Agadez qui a joué un rôle notable dans la conclusion de l'Accord Additionnel d'Alger entre le Gouvernement et la coalition UFRA/FARS en 1997. Il fut également membre de la Commission Ad hoc Chargée de Réfléchir sur le Règlement Négocié de la Rébellion sous la Transition en octobre 1992.

En deuxième lieu, la variable conjoncturelle explique certaines nominations. C'est le cas de celle du Colonel Seyni Garba (aujourd'hui Général) qui faisait suite au Coup d'Etat du Commandant Daouda Mallam Wanké le 9 avril 1999. En poste à l'Etat-major des FAN en qualité de Chef d'Etat-major en Second sous le régime renversé, celui-ci devait être « dégagé » pour deux raisons. D'abord, parce qu'il n'était pas acteur dans le Coup d'Etat qui fut l'oeuvre de la Garde Présidentielle ; ensuite, l'Officier que la junte nomma à la tête de l'Etat-major (le Commandant Soumana Zanguina) était de grade inférieur2.

Outre ces facteurs extérieurs au processus de paix, la nomination de Seyni Garba, officier expérimenté et respecté, était inspirée par les problèmes de grades des ex-rebelles intégrés au sein des FAN. La nomination de Mohamed Anacko, en remplacement du Lieutenant-colonel Hamidou Maïgari était également due à des facteurs extérieurs au processus de paix, du moins pour ce qui est du départ de ce dernier du HCRP. Le lieutenant-colonel Hamidou Maigari devait partir en formation à l'extérieur. Avant son départ, il fut nommé par le Chef de l'Etat pour prendre la tête de la Garde Présidentielle. L'arrivée de Mohamed Anacko au HCRP, ancien Chef de Front a été la plus controversée3. Du côté des ex-rebelles, cet acte fut interprété selon le camp où se situent les différents acteurs.

Pour la faction UFRA dont il est le Président, il s'agit là d'un geste positif et d'une marque de confiance pour les Touaregs. Mais pour les autres factions, (notamment la CRA et l'ORA), cette nomination a été perçue comme une faveur accordée à une faction de la Rébellion au détriment des autres. Aux yeux de certains citoyens nigériens, cet acte était dangereux car, les ex-rebelles ne sont pas encore vus comme dignes de confiance au point d'occuper des postes aussi stratégiques pour la sécurité du pays.

1 Mohamed Anacko est un cas atypique, il n'est ni un civil ordinaire, ni un militaire officiel. Il est un ancien chef de guerre, notamment chef de la rébellion du FPLS et de la coalition UFRA. A sa nomination au HCRP, il était Conseiller à la Présidence de la République avec rang de ministre.

2 Voir Journal Officiel de la République du Niger, Numéro Spécial n°6 du 13 avril 1999, p. 142.

3 Surtout que Hamidou Maigari avait proposé au Chef de l'Etat pour le remplacer au HCRP, Mr Sani Gonda, Secrétaire Général de l'Institution, en poste dans cette institution depuis 1994 où il a occupé aussi le poste de Directeur des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C).

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Cette suspicion s'est d'ailleurs renforcée depuis l'avènement du MNJ avec la défection de certains ex-chefs rebelles dont Rhissa Ag Boula du FLAA.1 En fait, la nomination de Mohamed Anacko était une réponse implicite aux revendications des ex-combattants qui ont fustigé lors du Forum d'Agadez en 2005 la « marginalisation des ressortissants de la région d'Agade »2 dans le Gouvernement. Un ex-responsable du FPLS nous a confié que Mohamed Anacko a été proposé à ce poste par la section MNSD Nassara d'Agadez, parti dans lequel il milite, afin combler le vide créé par le limogeage de Rhissa Ag Boula du Gouvernement en 2004.

Il faut dire que depuis la cérémonie Flamme de la Paix en septembre 2000 à Agadez qui a marqué la dissolution de tous les Fronts et Mouvement et leur désarmement, les conditions d'une paix durable semblaient être remplies. Ce qui pouvait donc justifier une administration civile au HCRP et même un Haut Commissaire issu de la Rébellion. En réalité, dans les débuts du processus de paix, les questions militaires étaient centrales et nécessitaient une administration militaire. Il s'agissait des questions liées au désarmement, au cantonnement des combattants, au respect du cessez-le-feu, etc. bref, toutes choses qui relèvent des compétences militaires.

Cette alternance entre militaires et civils à la tête du HCRP a été favorisée par l'impact de l'institution militaire sur le processus. Il est ressorti de nos enquêtes que les militaires affichent plus d'autorité et de rigueur dans l'administration. Ils sont moins enclins à transiger sur des principes, contrairement aux civils qui font montre de plus de souplesse. Et leur qualité d'officier des FAN impose le respect (sinon la peur) ; et cela a facilité les rapports avec non seulement le Chef de l'État, mais aussi l'ensemble des administrations.

En somme, le HCRP en tant qu'institution permanente de gestion post-conflit, fut considérablement influencée par la logique institutionnelle militaire. Celle-ci confirme une fois de plus que l'environnement institutionnel formel et informel constitue une variable explicative suffisamment pertinente pour déterminer les situations politiques. Ce « monde saturé d'institutions » a également influencé largement les mécanismes interministériels de gestion post-conflit.

B. Les mécanismes ad hoc ou interministériels

Aux côtés du HCRP ont été institués certains mécanismes interministériels dans la définition des politiques issues des Accords de Paix. Si le HCRP, nonobstant l'influence de l'institution militaire sur son fonctionnement apparaît comme une institution originale, les mécanismes interministériels incarnent avec plus de netteté l'emprise des institutions sur le pro cessus3. C'est ainsi qu'il fut créé auprès du Haut Commissaire à la Restauration de la Paix par arrêté n°34/PM du 20 mars 1997, une Commission Chargée des Intégrations et de la Réinsertion Socio-économique des Ex-combattants de la Résistance Armée.

1 L'arrestation de Mohamed Aghali, Agent des FNIS, Chauffeur et Garde du Corps de Mohamed Anacko, le 28 mai 2008 par la Gendarmerie Nationale n'est pour pas pour dissiper ces suspicions. L'intéressé est poursuivi pour contacts présumés avec le MNJ...

2 Voir HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la région d'Agade , mars 2005 (document non paginé).

3 Nous ne retenons ici que les institutions liées à la politique de réinsertion des ex-combattants, d'autres institutions ont été crées, notamment en ce qui concerne la politique de décentralisation. Il s'agit de la Commission Spéciale sur le Redécoupage Administratif de la République du Niger installée le 3 janvier 1995 et un Haut Commissariat à la Réforme Administrative et à la Décentralisation (HCRA/D) créé le 15 août 1995 conformément à l'article 6 de l'Accord du 24 avril 1995.

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Cette Commission fut subdivisée en deux sous-commissions, la Sous-commission Intégration présidée par le Secrétaire Général du Ministère du Travail et la Sous-commission Réinsertion Socio-économique présidée par le Secrétaire Général du Ministère du Plan. Ensuite, il fut créé par décret n°9-54/PRN du 9 avril 1997 une Commission Chargée du Cantonnement des Ex-combattants de la Résistance Armée et du Comité de Vigilance de Tassara (CVT) présidée par le Ministre de la Défense Nationale.1 Les travaux de ces deux commissions étaient supervisés par un Comité interministériel de Pilotage présidé par le Premier Ministre créé par arrêté n°035/PM du 20 mars 1997.

Par décret n°97-220/PRM du 19 juin 1997, il fut également créé une Commission Nationale de Coordination et de Suivi des Opérations de Rapatriement des Nigériens déplacés en Algérie et au Burkina Faso du fait de la Rébellion2. Celle-ci, présidée par le Ministère de l'intérieur, a supervisé, conformément aux Accords de Paix, le retour des populations nigériennes déplacées sur la base de leur libre consentement. A cet égard, deux Accords tripartites Niger-Algérie-HCRP et Niger-Burkina Faso-HCR furent conclus.

L'analyse de ces différents mécanismes montre d'abord que la gestion post-conflit a été une véritable « opération commando » car elle a mobilisé presque tout ce qui existe comme institution dans l'administration nigérienne3. Pratiquement tous les ministères ont été impliqués, de même que les représentants de la Rébellion. De par leur configuration, ces différentes commissions étaient de nature ad hoc, donc appelées à disparaître une fois leur travail accompli. C'est ainsi que la fin du cantonnement des ex-combattants intervenu le 30 octobre 1997 mettait également fin à la mission de la Commission de Cantonnement car le désarmement des Fronts eut lieu avec la cérémonie de Tchintabaraden le 28 octobre 19974.

De même, les travaux de la Commission Chargée des Intégrations et de la Réinsertion Socio-économique prenaient fin une fois que les intégrations avaient débuté sous la 4e République. L'option de l'Etat de faire participer toutes les administrations dans la mise en oeuvre des Accords de Paix s'explique par deux facteurs. D'une part, un processus inclusif mettant face à face l'ensemble l'administration publique et les représentants de la Rébellion avait la vertu de donner une présomption de légitimité aux décisions arrêtées. Cette procédure démocratique mettait le pouvoir politique à l'abri d'éventuels critiques pouvant émaner, soit de l'administration, soit de la Rébellion elle-même ; surtout quand on sait que beaucoup de cadres nigériens étaient très peu enthousiasmés par les mesures de discrimination positive que la politique de réinsertion impliquait.

D'autre part, cette option était aussi inévitable d'un point de vue technique. En effet, les intégrations, réinsertion socio-économique nécessitaient la maîtrise d'une certaine expertise qui déborde les capacités du HCRP. A ce stade de mise en oeuvre des Accords, le rôle des experts

1 Journal Officiel de la République du Niger, n°09 du 1er mai 1997, p. 459.

2 Journal Officiel de la République du Niger, n°14 du 15 juillet 1997.

3 On peut par exemple retenir la composition de la Sous-commission Intégration :

Président : Secrétaire Général du Ministère du Travail et de l'Emploi

Membres : un (1) représentant pour chacune des institutions suivantes : Cabinet du Premier ministre, Ministère Chargé de l'Education Nationale, Ministère de la Santé Publique, Ministère des Mines, Ministère du Développement Industriel et des Mines, Ministère du Commerce, Ministère du Plan, Ministère de l'Hydraulique et de l'Environnement, Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, deux (2) représentants du HCRP, deux (2) représentants du Ministère des Finances, trois (3) représentants du Ministère de l'Intérieur et enfin un (1) représentant pour chacune des trois coalitions rebelles (ORA, CRA, UFRA).

4 Mais il faut préciser que ce premier désarmement ne concernait que les Fronts de l'Azawak, le désarmement effectif n'interviendra que le 5 juin 2000.

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prenait toute son importance. Selon le modèle de John Kingdon, on dira qu'il s'agit là d'un «couplage serré» entre le courant des problèmes et le courant des solutions1. Ceci peut être illustré par les attributions des Sous-commissions Intégration et Réinsertion Socio-économique.

Au nombre des attributions de la première, on pouvait lire : « recenser les effectifs à intégrer, retenir suivant les critères qu'elle aura déterminés les éléments à affecter aux différents corps, évaluer l'incidence budgétaire des opérations d'intégration des effectifs retenus comprenant les équipements individuels, la formation et les salaires » etc. Pour la seconde Sous-commission, on peut retenir : « définir la stratégie, la politique, les critères de réinsertion et veiller à leur application, évaluer le processus de réinsertion, créer les bases de données sur la démobilisation et sur les opportunités existantes et potentielles dans les tones de réinsertion et plus particulièrement le Nord Niger» etc.

En juillet 1998, le HCRP procédait à une analyse à la fois juridique et financière des intégrations à incidence financière sur le Budget de l'Etat. Ces intégrations étaient planifiées en trois phases : une première étape de 1055 éléments déjà pris en compte dans le Budget et intégrés, une deuxième étape avec 771 éléments en attente d'intégration dont la disponibilité financière sur le Budget de l'Etat pour l'exercice 1998 était à confirmer par le Ministère des Finances et une troisième étape de 1081 éléments à intégrer avant fin 1998. Le coût global de toutes les intégrations pour une année était estimé à 3. 755.287. 000 F CFA2.

Du point de vue de la nature technique de ces questions, les mécanismes interministériels trouvaient donc leur justification. Mais à leur tour et par rétroaction, les mécanismes interministériels vont fortement modeler la politique de réinsertion des ex-combattants selon la logique et les valeurs propres aux institutions existantes. La discrimination positive crée des effets de dissonance cognitive pour les agents de l'État, imbus qu'ils étaient des valeurs bureaucratiques qu'ils ont fortement intériorisées. Pour l'administration, le processus de paix ne peut ignorer des principes élémentaires de recrutement à la Fonction Publique et dans les autres corps de l'Etat comme fournir un acte de nationalité, un casier judiciaire, un acte de naissance etc.3

Par contre, les ex-combattants trouvaient ces exigences excessives et contraires à l'esprit des Accords de paix. Les représentants de l'ex-Rébellion, à raison de trois personnes par Commission, n'eurent pas la tâche facile dans cette foule d'experts très peu enthousiasmés par l'idée de sacrifier les règles bureaucratiques sur l'autel du pragmatisme politique. Les compromis étaient difficiles entre ces deux pôles à logique divergente : les fonctionnaires qui incarnent la bureaucratie et les ex-combattants qui symbolisent la politique.

En encadrant le processus de mise en oeuvre de la politique de réinsertion, les procédures administratives inspirées par les institutions existantes ont permis de faire prévaloir un minimum

1 Vincent Lemieux, op cit. pp. 29-41.

2 HCRP, Estimation du coût du processus de paix, juillet 1998, pp. 4-5.

3 Dans le Procès-verbal de la Réunion du Comité de Pilotage du 3 septembre 1997, par exemple, les modalités d'intégration dans la Gendarmerie Nationale étaient fixées comme suit :

- être âgé de 20 à 30 ans

- être au minimum titulaire du CEPE ou du CFEPD

- être de nationalité nigérienne

- l'aptitude médicale est obligatoire, elle est constatée par un médecin militaire

- avoir un certificat de toise de un mètre soixante cinq (1,65)

- ne pas être en instance d'un procès civil

- être célibataire sans enfant et ne contracter mariage qu'après la formation ; à l'issue de laquelle il sera enclenché la procédure administrative appropriée.

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de rigueur technocratique dans le processus. C'est sans doute pour échapper à cette rigidité des institutions que les Chefs et Cadres ont préféré un traitement «politique » de leur réinsertion. Leur cas a été, en effet, laissé à la discrétion du Chef de l'Etat1.

De même, pour la réinsertion socio-économique, les experts de l'administration avaient leur propre logique. Celle-ci a conduit à commanditer sur le terrain des enquêtes afin de recenser les ex-combattants, évaluer leurs besoins et attentes, leurs niveaux d'instruction, etc. Toutes ces procédures propres aux institutions ont rendu le processus très lent. Ceci a, à maintes reprises, suscité des réactions hostiles de l'ex-Rébellion qui considérait de telles procédures comme des manoeuvres dilatoires.

En clair, en imprimant leur marque sur la définition des modalités pratiques de la politique de réinsertion, les institutions existantes démontrent éloquemment leur continuité historique. La logique institutionnelle prenait sa revanche sur la logique politique qui avait présidé à la conclusion des Accords de Paix. L'impact essentiel des modalités d'application des Accords a été d'introduire une dose de méritocratie dans cette politique de quota. De ce fait, elle a permis d'éviter des dysfonctionnements dans l'administration étatique.

C'est l'ensemble de ce processus, fait de jeux des acteurs et de logiques institutionnelles qui a donné toute son empreinte à la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs.

Paragraphe 2 : L'empreinte institutionnelle dans le output de la politique de réinsertion

Le output de la politique de réinsertion des ex-combattants a été influencé par la configuration institutionnelle post conflit. Cette réinsertion a revêtu deux modalités principales : la cooptation des Chefs et Cadres dans l'appareil d'État (A) et les diverses formes de réinsertion des ex-combattants marquées par de nombreux balbutiements (B).

A. La cooptation des élites dans l'appareil d'État

Phénomène naturel à toute organisation, le leadership au sein des différents Fronts et Mouvement armés est exercé par un Chef, à l'origine de la structure, et ses proches lieutenants appelés Cadres. A l'issue du processus de rétablissement de la paix, dix sept (17) structures ont été dénombrées dont onze (11) Fronts touaregs, deux (2) Fronts toubous et quatre (4) Mouvements d'Autodéfense (une Milice Peulh et trois Milices Arabes). Ceci donne ainsi dix sept (17) Chefs de Fronts et Mouvements. Ces derniers ont reçu avec leurs Cadres un traitement spécial différent de celui apporté à leurs combattants.

A l'issue de la session du Comité Interministériel de Pilotage du 22 avril 1998, il fut décidé que le cas de la réinsertion des Chefs et leurs Cadres soit laissé à l'appréciation du Président de la République2. De ce fait, ils échappent à la compétence des différents mécanismes interministériels mis en place. C'est plutôt le HCRP, en tant que démembrement de l'institution présidentielle, qui a impulsé la nature de leur réinsertion. Par son truchement, le Chef de l'État, à l'époque le Général Ibrahim Baré Mainassara, a apporté deux types traitements aux élites : il s'agit soit d'une

1 Voir infra, la réinsertion des élites.

2 Cette solution est une clause expresse des Accords de Paix, précisément le Protocole d'Accord d'Alger en son article 8 et l'Accord de N'Djaména dans son titre IV.

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nomination politique, soit l'octroi d'une prime correspondant au départ volontaire des fonctionnaires de l'Etat.

A ce jour, la situation des Chefs de Fronts et Mouvements peut être présentée dans le tableau n°3 à la page suivante. Des dix sept (17) Chefs de Fronts et Mouvements, neuf (9) occupent des postes politiques dont trois (3) ministres et un député national1. Ce résultat témoigne de la nature hautement politique de la réinsertion des élites. Cooptés dans les hautes sphères de l'État, la réinsertion de ces élites reflète la configuration institutionnelle de la gestion post conflit qui a fait de leur cas une prérogative présidentielle.

Mais avant ces traitements, le HCRP avait sollicité les voeux des Chefs et de leurs Cadres en termes de projet de réinsertion. L'analyse des fiches de voeux individuelles remplies par ceux-ci permet de les classer en trois catégories selon les activités souhaitées. La 1ère catégorie a opté pour des activités privées (commerce, élevage, agence de voyage, etc.) avec un montant précis du capital souhaité allant de sept (7) à cent quarante (140) millions de CFA. La 2e catégorie a souhaité des activités salariées. Parmi ceux-ci figuraient des ex-rebelles initialement agents de l'Etat. Ces derniers ont demandé soit une promotion au sein de leur institution d'origine, soit une formation continue. Enfin, une 3è catégorie des élites a sollicité des postes politiques (ambassadeur, sous-préfet, etc.).

Devant le caractère fantaisiste et irréaliste de certaines des doléances enregistrées2, le choix d'un traitement politique de la réinsertion des élites s'est imposé. En outre, bien avant le règlement définitif de leur cas, les Chefs et Cadres étaient pris en charge par le HCRP de façon informelle. Pour remédier à cette situation d'improvisation, une solution provisoire fut trouvée en 1998 consistant à accorder des pécules sur les « Fonds de Sécurité » du Budget National. Il s'agissait d'un pécule mensuel de cent cinquante mille (150 000) F CFA pour chaque Chef de Front, et un pécule mensuel pour deux de ses Cadres, à savoir cent mille (100 000) F CFA pour le premier et soixante cinq (75 000) F CFA pour le second3.

Par ailleurs, pour accompagner la réinsertion des Chefs et Cadres, le Gouvernement organisa avec le soutien du PNUD, un Atelier de Formation en Management à leur intention du 7 au 12 février 2000 à Tahoua. Les quarante cinq (45) participants issus de toutes les structures ont ainsi bénéficié d'une formation en Comptabilité Gestion, Fiscalité et Législation Douanière, Correspondance Commerciale et Administrative par le Cabinet d'Expert CEFA.

Dans la mise en oeuvre de cette réinsertion, on constate cependant que la politique n'a pas été respectée à la lettre.

Certains Chefs et Cadres ont en réalité cumulé les nominations politiques et les pécules correspondant au départ volontaire des fonctionnaires. C'est ainsi qu'en juin 2000, l'Etat a octroyé des pécules à sept (7) personnes par Front ou Mouvement, à savoir le Chef de la structure et six (6) de ses Cadres. Les Chefs ont bénéficié chacun de la somme de cinq millions deux cent mille (5 200 000) F CFA et les Cadres de deux millions neuf cent mille (2 900 000) F CFA chacun, alors que beaucoup d'entre eux occupaient déjà des postes politiques au titre de la réinsertion4.

1 Il existe de nombreux Cadres occupant d'autres postes politiques parmi lesquels on peut citer Issia Ag Kato, Cadre du FPLS, actuellement Ministre des Ressources Animales, Omar Sanda, Cadre de la Milice Peulh, Conseiller Technique du HCRP.

2 On a enregistré par exemple des doléances telles que «Villa + Voiture + 7 millions ».

3 HCRP, Procès-verbal de la Commission technique de la Réunion Préparatoire du Comité de Pilotage, 6 janvier 1998.

4 HCRP, La question du traitement des cadres de l'ex-Résistance armée et des Comités d'Autodéfense, juin 2006.

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Tableau n°3 : La réinsertion des dix sept (17) Chefs de Fronts et de Mouvements

Noms et Prénoms

Structure

Zone

Activité actuelle

Mohamed Ikta

FFL

Azawak

Lieutenant des Douanes

Hamad A. Halilou

APLN

Azawak

Conseiller à la Primature

Alhadi Alhadj

FPLN

Azawak

Conseiller à la Présiden ce de la
République

Bilal Islamane

ARLN

Azawak

Préposé des Douanes

Goumour Ibrahim

MRLN

Azawak

Chargé de Mission à la Présidence de la République

Najim Boujima

CVT

Azawak

Activités privées

Ahmed Boubacar

CAD

Azawak

Activités privées

Maazou Boukar

Mili ce Peulh

Manga

Conseiller à la Présiden ce de la
République

Sélim Hamed

Milice Arabe

Manga

Député National

Issa Lamine

FDR

Manga

Ministre de la Santé Publique

Ahmed W. Hounouna

MUR

Aïr

Activités privées

Silimane Hyard

FAR/UFRA

Aïr

Activités privées

Rhissa Ag Boula1

FLAA

Aïr

Ancien Ministre du Tourisme

Mohamed Anacko

FPLS

Aïr

Haut Commissaire (HCRP)

Mohamed Akotey

FLT

Aïr

Ministre de l'Environnement

Ousmane Ismaghril

FAR/ORA

Aïr

Activités privées

Ali Sidi Adam

FARS

Kawar

Conseiller à la Présiden ce de la
République

 

Source : Tableau issu de nos enquêtes.

En 2006, lors de la Réunion des Chefs de Fronts et Mouvements du 15 juin tenue à Niamey, la question des Cadres fut réactivée. Pour les Chefs rebelles, les traitements antérieurs n'ont concerné que les Cadres dits principaux, et il y aurait encore par Front et Mouvement, des dizaines de Cadres non encore désintéressés dont le nombre fut estimé à deux cent cinquante (250). La Réunion décida, sur proposition du HCRP, de leur octroyer chacun un million deux cent mille (1 200 000) F CFA, soit au total trois cent millions 300 000 000 F CFA pour l'ensemble des intéressés.

Mais le paiement de ces pécules fut annulé en 2007 sur instruction du Chef de l'Etat. La politique de réinsertion des Chefs et Cadres a été au fond, véritablement influencée par le cadre institutionnel. Le pouvoir discrétionnaire du Chef de l'Etat de décider du cas des élites a eu comme conséquence une incohérence dans la politique. La réinsertion des élites a ainsi fluctué selon les humeurs du Chef de l'Etat au pouvoir, et également au gré des circonstances, comme le

1 Rhissa Ag Boula fut ministre du Tourisme et de l'Artisanat de 1997 à son limogeage en 2004 suite au meurtre d'un de ses adversaires politiques, Adam Amagué, qu'il aurait commandité. Il bénéficia d'une liberté provisoire en 2005 grâce à l'intervention du colonel Kaddafi. Rhissa Ag Boula a créé un nouveau Front et repris les armes depuis janvier 2008.

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Aofit 2009

montre la réactivation de la question des Cadres en 2006. Celle-ci faisait suite à la résurgence de la rébellion au Mali voisin1.

L'annulation du paiement des pécules des Cadres promises en 2007 avait certainement son explication dans la gestion du conflit avec le MNJ. En outre, la réinsertion des Chefs et Cadres a révélé une lecture assez particulière des Accords de paix par les ex-combattants. Pour ceux-ci, les postes politiques sont des acquis qui relèvent de l'administration et non de la politique2.

En d'autres termes, ces quotas ne sont plus susceptibles de discussion ; et, par conséquent, chaque Gouvernement au Niger doit nécessairement compter en son sein des représentants de l'ex-Rébellion. Ceci explique pourquoi la majorité des Chefs occupent aujourd'hui des postes politiques de façon quasi-inamovible. Si le cas des élites, laissé à l'appréciation du Chef de l'Etat, a été mieux maîtrisé, celui des ex-combattants fut beaucoup plus complexe.

B. Les balbutiements de la réinsertion des ex-combattants

La politique de réinsertion des ex-combattants a essentiellement produit deux types de traitements. Il s'agit d'abord des intégrations qui ont consisté à recruter directement les ex-combattants dans divers corps de l'Etat et de la réinsertion socio-économique qui a permis de réinsérer à la vie civile des ex-combattants à travers l'octroi des subventions dans le cadre des projets communautaires. La réinsertion des ex-combattants a été faite sur fond de tension. En effet, si dans le cas des intégrations, le processus a été réalisé avec diligence, de nombreux cas de désertions ou de révocation des ex-combattants au sein des FNIS ont mis à mal le processus de paix.

Pour la réinsertion socio-économique, les dix ans de retard que sa réalisation a accusé n'étaient pas aussi pour apaiser les tensions. Les effectifs ont été déterminés à travers les différents Relevés de Conclusions issus des réunions entre les deux parties. Les recrutements au titre des intégrations furent déterminés non seulement par les critères de compétence, des besoins exprimés par les ex-combattants eux-mêmes, mais aussi en fonction des besoins de service exprimés par les administrations. Au total, trois mille quatorze (3014) ex-combattants ont été intégrés, comme illustré dans le tableau n°4 à la page suivante. Il est à noter que pour certains ex-combattants, il s'agissait des réintégrations.

En effet, l'article 16 de l'Accords de Paix du 24 avril 95 engageait le Gouvernement à réintégrer à la Fonction Publique et dans les Sociétés d'Etats, les éléments démobilisés de la Rébellion qui avaient quitté leurs postes. Il en a été de même pour les élèves et étudiants. Dans la

1 Les états de paiement étaient déjà préparés par le HCRP et transmis au Ministère des Finances. Certains ex-combattants s'étaient même endettés, convaincus qu'ils étaient que le paiement était acquis. En fait, il semble que le Chef de l'Etat a été dissuadé d'aller au bout de ce processus par les désertions de certains ex-combattants pour rejoindre le MNJ.

2 Cette distinction entre politique et administration est de Claude Ake. Il l'exprimait en ces termes : «reduced to the essentials, the difference is that politics refers to the process whereby members of the community arrive at decisions about the management of matters of common concern, administration refers to the implementation of these decisions (...) The political situation is one in which the issues are still in dispute, the administrative situation is highly structured because it is a matter of relating determinate rules and norms to standardized circumstances. So in a sense, administration begins where politics ends» in C. Ake, Social science as imperialism: the theory ofpolitical development, Ibadan, Ibadan University Press, 1979, p 107.

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pratique, ces réintégrations se sont passées sans heurt majeur par la médiation du HCRP qui introduisait les dossiers des ex-combattants aux institutions concernées. Mais, il est à relever que certains avaient opté pour d'autres emplois au lieu de reprendre leur activité d'origine.

C'est le cas surtout des Chefs et Cadres, qui, on l'a vu, ont bénéficié d'un traitement spécial. Les intégrations ont en même temps permis à l'Etat de répondre à une question centrale des Accords de Paix, à savoir la sécurité des zones touchées par le conflit. La mise en place des Unités Sahariennes de Sécurité (USS), corps constitué en majorité des ex-combattants et/ou des ressortissants des zones affectées par la Rébellion, a été considérée comme un des quatre (4) piliers des Accords de Paix par le HCRP. Ces Unités ont absorbé 1602 ex-combattants, soit 53,15% du total des ex-combattants intégrés. Ceux-ci ont été repartis dans les quatre compagnies créées par décret n°98-038/PRN/MI/AT du 23 janvier 1998 dans les zones touchées par le conflit (Kawar, Manga, Aïr et Azawak).

En ce qui concerne la réinsertion socio-économique, le processus accusa un long retard. Ce processus a concerné au total 4050 ex-combattants. Au début, le Relevé de Conclusions du 4 juillet 1996 prévoyait 3500 éléments. Par la suite s'étaient ajoutés 250 éléments consécutivement aux Relevés de Conclusions conclus entre le HCRP et le FDR, la Milice Peulh et la Milice Arabe de N'Guigmi. En plus, en septembre 2000, des 600 ex-combattants initialement destinés à un recrutement dans les Sociétés d'Etat, 300 avaient opté pour la réinsertion socio-économique.

Tableau n°4 : La situation des intégrations dans les corps de l'Etat

Corps

Effectifs prévus

Effectifs intégrés

Forces Armées Nigériennes (FAN)

274

274

Gendarmerie Nationale

66

66

Unités Sahariennes de Sécurité

1602

1602

Garde Républicaine

91

91

Police Nationale

107

107

Douanes

120

120

Forêt/Faune

112

112

Sous/total 1

2372

2372

Université

152

152

Lycées/Collèges

160

160

Ecoles Normales

85

85

Ecoles Nationale de Santé Publique

65

65

ENA-IFTIC-IPDR1

61

61

Fonction Publique

7

7

Auxiliaires Ministère de l'Education

73

73

Auxiliaires Ministère de la Santé
Publique

40

40

Sous/total 2

642

642

Total général

3014

3014

 

Source : HCRP, Bilan du processus de paix, août 2004, p. 6.

1 Ecole Nationale d'Administration, Institut de Formation aux Techniques de l'Information et de la Communication, Institut Pratique de Développement Rural (Kollo).

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Le Gouvernement n'a pu honorer ses engagements pour les 300 ex-combattants restants. Ceux-ci avaient reçu en compensation un pécule de un million cinq cent mille (1 500 000) F CFA chacun en 2006. Au total, la réinsertion socio-économique a permis de désintéresser 4050 ex-combattants repartis en trois zones, à savoir le Kawar (230 ex-combattants), le Manga (660 ex-combattants) et l'Aïr/l'Azawak (3160 ex-combattants). La réinsertion socio-économique des ex-combattants est inséparable du développement des zones touchées par le conflit qui fait l'objet du Titre V de l'Accord de Paix du 24 avril 1995.

Pour répondre à cette clause, le Gouvernement a adopté deux approches. L'une a consisté à prendre des mesures urgentes en vue de réhabiliter les zones touchées par le conflit et d'occuper temporairement les ex-combattants démobilisés. L'autre approche s'inscrit dans le long terme. Elle était censée aboutir à l'élaboration d'un vaste programme de développement de la zone pastorale. Au titre des mesures d'urgence, deux Projets à Haute Intensité de Main-d'oeuvre (HIMO) ont été réalisés en vue non seulement de réhabiliter les infrastructures de développement, mais aussi occuper les ex-combattants en attente de leurs intégrations ou réinsertion1.

En outre, une Table Ronde fut organisée du 30 au 31 octobre 1995 à Tahoua afin de mobiliser les Bailleurs de Fonds et relancer les projets de développement des zones concernées. Dans le cadre du long terme, des études avaient été commanditées par l'Etat à travers des experts afin de déterminer les opportunités d'emploi pour les ex-combattants.

C'est ainsi que le Cabinet Maina Boukar et Conseils a réalisé en août 1997 deux études : Etudes sur les opportunités d'emploi et d'occupation et les potentialités de réinsertion socio-économique des ex-combattants et le Rapport sur les quelques résultats de l'enquête relatifs au profil et aux attentes des ex-combattants et le rapport de l'informaticien sur le programme mis en place et sur le déroulement des enquêtes. Au mois de novembre 1997, une étude fut réalisée par un Expert du Bureau International du Travail (BIT) sur un programme de réinsertion des ex-combattants2.

Ce programme n'a pu être exécuté, faute de financement. La réinsertion socio-économique ne débutera qu'en 2002, soit sept (7) ans après les Accords de Paix. Dans le Kawar, elle fut exécutée par le Projet Consolidation de la Paix dans la Région de Bilma entre avril 2002 et le 31 mai 2004. Les ex-combattants furent organisés en Coopératives et Groupements selon les domaines économiques choisis et ont bénéficié des subventions et de l'encadrement technique du Projet.

Dans le Manga, le Projet Consolidation de la Paix dans la Région de Diffa exécuta la réinsertion des 660 ex-combattants entre mai 2001 et le 31 mai 2003. 95 Microprojets regroupés en 9 Groupements d'Intérêt Economique (GIE) ont été formés et financées. L'ensemble de ces Projets était financé grâce au soutien du PNUD, du Programme des Volontaires des Nations-Unies (PVNU) et de la Coopération Française (principal bailleur de fonds).

Pour la zone Aïr/Azawak, la réinsertion ne débuta qu'en 2006 avec le soutien de la France, des USA, du PNUD, du PVNU pour le grand contingent des ex-combattants. En termes de résultats obtenus, le Projet Consolidation de la Paix dans l'Aïr et l'Azawak (PCPAA) a constitué 298 coopératives, 298 Microprojets financés à hauteur de 1 042 800 $ US dans des

1 HCRP, Programme d'Intervention HIMO au profit des Ex-combattants dans l'Aïr et l'Arawak, Novembre 1997.

2 République du Niger, Proposition pour un programme d'urgence de réinsertion des ex-combattants, novembre 1997.

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domaines comme l'élevage, l'agriculture, le commerce général, etc.1 Le PCPAA a été prolongé pour une année supplémentaire lors de la dernière réunion du Comité de Pilotage2 du Projet tenue à Niamey le 17 mars 2008.

La réinsertion socio-économique fut très lente dans son application. Cette lenteur est d'autant plus paradoxale que la réinsertion socio-économique concerne l'écrasante majorité des ex-combattants dont le niveau d'instruction n'était pas compatible avec les intégrations3. Plusieurs facteurs expliquent ce paradoxe. Le plus important a été l'insuffisance du financement due en partie au boycott économique de certains pays suite au Coup d'Etat du Général Ibrahim Baré Mainassara en janvier 19964.

Certaines puissances comme les Etats-Unis avaient, en effet, combattu le régime de la 4è République à travers une suspension de leur coopération économique et financière5. Le problème de financement a failli remettre en cause le processus de paix à certaines périodes, comme le note Soumana Souley : « ...les requêtes de financement ont toujours tardé à être honorées au regard des difficultés financières de l'Etat. Cette situation pouvait compromettre le bon déroulement du processus. Au cantonnement des ex-combattants par exemple, n'eut été l'intervention rapide du partenaire français qui a déboursé plus d'une centaine de millions, des problèmes insurmontables auraient ramené le processus en arrière »6.

Selon Abdourahamane Mayaki, Expert en Bonne Gouvernance au PNUD/Niger, le démarrage tardif de la réinsertion des ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak s'explique du fait que « les partenaires voulaient d'abord intervenir dans un échantillon restreint avant d'élargir à l'Aïr et l'A atvak l'expérience née de la gestion de la question dans le Katvar et le Manga »7. On note également un manque d'enthousiasme dans la recherche de financement par le Gouvernement qui, par ailleurs, a toujours été le dernier à s'acquitter de sa contribution dans le financement des différents projets de réinsertion. Cette attitude a conduit la France à conditionner son appui au versement par le Gouvernement du Niger de sa contribution (10%) au titre du PCPAA en 2006.

En plus, la réinsertion des ex-combattants s'était heurtée au refus de certains partenaires dont les méthodes d'intervention étaient incompatibles avec la discrimination positive8.

1 PCPAA, Rapport annuel, janvier 2008.

2 C'est le Haut Commissaire qui préside le Comité de Pilotage du Projet en partenariat avec le Ministère du Développement Communautaire et de l'Aménagement du Territoire

3 Selon l'enquête du Cabinet Maina et Conseils d'août 1997 portant sur un échantillon de 1851 ex-combattants, il était ressorti que 57,15% n'avaient reçu aucune instruction scolaire tandis que 30,60% ont, soit suivi des cours d'alphabétisation, soit fréquenté l'école coranique, et donc appris à lire et à écrire. Les autres, qui ne sont que 245, soit 12,25% se repartissent entre le CFEPD/CAP (168), le BEPC (65), le Bac (8) et l'Université (4). Voir Etudes sur les opportunités d'emploi et d'occupation et les potentialités de réinsertion socio-économique des ex-combattants, août 1997, Page 3.

4 Voir Dodo Boukari AbdoulKarim, « La conditionnalité démocratique de l'aide au développement : le cas du Niger depuis le coup d'Etat du 27 janvier 1996 » in Actes du Premier Colloque International sur le thème «Armée et démocratie en Afrique : cas du Niger». Niamey, 6-9 décembre 1999.

5 L'Ambassadeur américain Joseph Wilson, alors en poste à Niamey, a révélé dans ses mémoires (The politics of truth, 2004) qu'il s'était personnellement investi pour la chute du régime de Baré Mainassara.Voir Africa International, n°378 juillet/août 2004, page 4.

6 Soumana Souley, op cit, p. 17.

7 Interview dans la revue Seeda consacrée à la rébellion touarègue, n°41-42, 2008, p. 14.

8 A la rencontre des Bailleurs de Fonds sur le financement du programme d'urgence de réinsertion socio-économique des ex-combattants tenue le 19 décembre 1997 à Niamey, la représentante de ECHO (Office Humanitaire de la Communauté Européenne) a estimé que son institution se veut communautaire, ses actions sont censées bénéficier à toute la population et non à une frange représentée par les ex-combattants. Voir HCRP, Rapport de synthèse de la

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Au total, en termes de policy output, le Gouvernement a réinséré à la vie civile plus de sept mille quatre cent quatre vingt trois (7483) ex-combattants, toutes catégories confondues. Il s'agit pour le traitement des Chefs et Cadres de cent dix neuf (119) personnes, à savoir les dix sept (17) Chefs et leurs Cadres (à raison de 6 par structure) estimés à cent deux (102) personnes. Pour les ex-combattants, trois mille quatorze (3014) ont bénéficié des intégrations, quatre mille cinquante (4050) de la réinsertion socio-économique et trois cent (300) ex-combattants initialement prévues pour les Sociétés d'Etat, bénéficiaires d'une réinsertion spéciale.

Réunion des Bailleurs de Fonds sur le Financement du Programme d'Urgence de Réinsertion Socio-économique des Ex-combattants tenue à Niamey le 19 décembre 1997, décembre 1997, p. 5.

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DEUXIEME PARTIE

L'IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA REINSERTION
ENTRE STRUCTURATION ET REPRODUCTION

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Le policy output résultant du processus de gestion post confit a été suffisamment modelé par le monde des institutions existantes. La politique de réinsertion des ex-combattants et le cadre institutionnel qui en a résulté ont à leur tour produit des effets structurants sur le processus. Cette deuxième partie examine les deux axes de recherche portant sur les relations entre institutions et comportements et la logique de reproduction des institutions. D'abord, l'analyse montre dans quelle mesure les institutions affectent les comportements des acteurs. A partir des institutions politiques existantes et du cadre institutionnel de la gestion post conflit, il est apparu que les stratégies déployées par les ex-combattants ont dans une large mesure été induites par les institutions (chapitre I). Ensuite, par des phénomènes de path dépendence, la politique de réinsertion et les institutions qui y sont liées ont engagé la dynamique de leur propre reproduction. Cette institutionnalisation de la politique est porteuse de logiques à la fois stabilisatrices et déstabilisatrices pour le système politique (chapitre II).

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CHAPITRE I : INSTITUTIONS ET LOGIQUES COMPORTEMENTALES DES EX-COMBATTANTS

Les institutions, une fois créées, deviennent des variables indépendantes capables d'expliquer les situations politiques. Pour employer l'expression de Paul Pierson, « l'e~~et devient la cause» en ce sens que les institutions induisent des changements qualitatifs dans leur environnement. D'une part, cette vertu explicative des institutions se perçoit dans la structuration des stratégies des ex-combattants (section 1) et d'autre part, dans les relations asymétriques de pouvoir qu'elles introduisent entre les différents acteurs (section 2).

Section 1 : La structuration des stratégies des ex-combattants

Les configurations institutionnelles « structurent les contextes et les choix qui y sont possibles »1. En ce sens, les institutions se présentent pour les ressortissants de la politique, tantôt comme une opportunité (paragraphe 1), tantôt comme une contrainte (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les institutions comme opportunité

Les institutions se présentent comme une opportunité dans leur dimension formelle qui peut être appréciée par le statut juridique du HCRP (A). Elles le sont aussi dans leur expression informelle tel que le montre le processus décisionnel au sein de cette même institution (B).

A. Le statut juridique du HCRP

Les normes formelles qui régissent le cadre institutionnel de la gestion post conflit induisent des résultats en termes de comportement des acteurs, notamment les ressortissants eux-mêmes. Ainsi, les institutions créées et leurs règles officielles de fonctionnement se présentent comme une opportunité pour les ex-combattants destinés à la réinsertion. Cette hypothèse se vérifie à travers l'administration du HCRP et le rattachement de celui-ci à la Présidence de la République.

En effet, l'alternance entre une administration militaire et civile n'est pas sans incidence sur l'exécution de la politique de réinsertion. Au terme du décret n°94-007/PRN du 14 janvier 1994 portant création et attributions du HCRP, le Haut Commissaire est nommé par le Chef de l'Etat de façon discrétionnaire, ce dernier pouvant choisir un civil ou un militaire. Le style de commandement propre aux militaires se présente comme une opportunité à cet égard. La discipline, la rigueur et le sens du travail bien fait qui caractérisent l'institution militaire ont permis de faciliter l'exécution de la politique de réinsertion. Le parcours des militaires au HCRP a été marqué par le travail rigoureux, le respect strict des normes de travail etc. bref, toutes choses qui ont largement contribué à accroître la capacité institutionnelle de l'institution.

Tous les agents du HCRP reconnaissent que le rythme de travail était plus rigoureux sous l'administration militaire.En outre, l'administration militaire a été d'un grand secours pour la facilitation des contacts entre le HCRP et les commandements militaires du Nord. Au sortir des Accords de Paix, la politique de réinsertion et beaucoup de questions liées à la gestion post conflit

1 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 209.

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en général, relevaient dans une large mesure des compétences des FAN. Les militaires étaient incontournables dans la gestion des processus de désarmement, de démobilisation et de cantonnement. Jusqu'à présent d'ailleurs, c'est un ancien militaire à la retraite, le sergent-chef Mamane Garba, qui occupe le poste d'opérateur radio au HCRP.

La détermination des quotas par Front et Mouvement qui tenait compte de l'armement des différentes structures fut essentiellement l'oeuvre des militaires. Dans la mise en oeuvre des Accords de la Paix, la présence des officiers à la tête du HCRP a été très déterminante pour débloquer certaines impasses. C'était, en effet, grâce à la nomination des militaires comme le colonel Seyni Garba (aujourd'hui général) que les problèmes de grades ont pu être surmontés, ainsi que les problèmes liés au transfert de grades.

Les militaires avaient la possibilité de conduire des missions difficiles dans des zones dangereuses du Nord et de l'Est du Niger et prendre contact avec les groupes dissidents. Ces facteurs ont largement induit des comportements favorables des ex-rebelles et favorisé leur adhésion aux Accords de Paix. Par ailleurs, le rattachement du HCRP à la présidence de la République est certainement un des facteurs structurants les plus importants. En effet, le Haut Commissaire ne rend compte qu'au Chef de l'Etat. L'institution du HCRP est ainsi partie intégrante d'une institution politiquement irresponsable. Car, de par ses attributions et son organisation formelle, le HCRP n'entretient avec les autres ministères que des rapports de coopération.

En 1995, sous la direction Mai Maigana, le Haut Commissaire, fort de sa position vis-à-vis du Chef de l'État, convoquait même des ministres pour régler certains problèmes relevant de leurs compétences. Il faut en plus souligner que l'organisation des pouvoirs est telle que le Parlement n'a pas la possibilité d'interpeller le Haut Commissaire pour s'expliquer sur l'exécution de la politique de réinsertion. Ce dernier a rang de ministre mais n'est pas membre du Gouvernement. L'impact de cette configuration a facilité la mise en oeuvre de la politique de réinsertion. Le HCRP avait ainsi la possibilité de traiter directement avec le Chef de l'Etat en se passant du Gouvernement.

L'institution était aussi, de par son statut juridique, à l'abri de tout contrôle direct du Parlement. C'est ainsi que beaucoup de dossiers pendants et controversés furent rapidement débloqués. C'est le cas de la question des trois cent (300) ex-combattants initialement destinés aux Sociétés d'État que le Chef de l'État a réglé en juin 2006. L'élément structurant a été pour les ressortissants de cette politique de redéployer toutes leurs stratégies sur la Présidence de la République. Car les autres institutions (le Parlement, la Primature par exemple) n'avaient aucune emprise sur le HCRP qui dispose d'une autonomie dans la gestion de la réinsertion. Les correspondances officielles du HCRP étaient traitées avec diligence dans tous les ministères1. Sur celles-ci, on pouvait lire couramment l'expression «sur instruction du Chef de l'État.... ».

En plus, l'institution dispose d'un mécanisme lui permettant administrativement de faire parvenir au Chef de l'Etat certaines informations directement, sans transiter par le circuit ordinaire de la Présidence2. La place centrale du Chef de l'Etat dans la gestion post conflit

1 Le HCRP utilise cette formule par exemple pour faire débloquer avec diligence des fonds destinés aux ex-combattants par le Ministère des Finances et de l'Economie.

2 Ces correspondances confidentielles et directes sont appelées «Note au Président de la République ». L'essentiel des demandes des ex-combattants dont le contenu semble controversé sont transmises par le truchement de ces «notes ».

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explique également que des fonctions politiques à la Présidence de la République soient attractives et perçues comme stratégiques. Mohamed Anacko, avant sa nomination au HCRP était Conseiller à la Présidence avec rang de ministre avant d'être ministre délégué aux Finances. C'est également le cas de Ali Sidi Adam, responsable des FARS, le front le plus puissant militairement, qui est Conseiller à la Présidence.

C'est dire que les perceptions des acteurs et leurs actions ont été construites et modelées par ce dispositif institutionnel de nature présidentialiste. Ceci était d'autant plus pertinent que la réinsertion des Chefs et Cadres était laissée à l'appréciation du Chef de l'Etat. Ce pouvoir discrétionnaire, à lui conféré par les Accords, a orienté toutes les stratégies des ex-Chefs et Cadres sur la Présidence. L'opportunité pour les ex-combattants, c'est aussi le bénéfice de discrétion que de tels arrangements institutionnels offraient.

En effet, l'autonomie du HCRP et son rattachement direct au Chef de l'Etat ont permis à beaucoup de demandes des ex-combattants suffisamment controversées d'être traitées sans heurt. La politique de réinsertion, avec le principe de discrimination positive qu'elle implique, n'a jamais fait l'unanimité au sein de l'opinion publique. Elle a même été farouchement combattue par beaucoup de nigériens. La procédure assez discrète de règlement de certaines difficultés nées de la réinsertion a évité au pouvoir politique de mettre à mal sa légitimité. C'est le cas par exemple de la réinsertion des Cadres.

Il est certain que si beaucoup de Cadres ont cumulé des avantages (contrairement aux Accords de Paix), c'est en partie en raison du dispositif institutionnel fermé, à l'abri de la curiosité du public. Toutes ces implications produites par les institutions ont favorisé une conception néo-patrimoniale de la politique de réinsertion. Le caractère fermé du cadre institutionnel explique pourquoi la résurgence de la rébellion en 2007 a surpris l'opinion publique.

Les multiples tractations secrètes qui ont été menées entre le HCRP et le premier noyau du MNJ depuis 2004 ne pouvaient être perçues par le public. Il suffit d'ailleurs de parcourir les articles de la presse écrite sur le conflit au nord pour constater ce déficit d'information. Il est fort probable que les limites de la gestion post conflit, les signes alarmants d'une reprise des hostilités auraient été perçues si le Haut Commissaire pouvait être interpellé par l'Assemblée Nationale pour s'expliquer sur la gestion des Accords de Paix.

Le HCRP est au Niger l'une des institutions qui communiquent le moins1. Cette situation a été savamment exploitée par les ex-combattants, notamment les élites résidant à Niamey, pour faire aboutir certaines demandes contestables au regard des prescriptions des Accords de Paix. Ces facteurs structurants sont également perceptibles au niveau de certaines normes informelles tel que le processus décisionnel du HCRP.

B. Le processus décisionnel au sein du HCRP

Indépendamment des normes officielles, les règles pragmatiques de fonctionnement des institutions ont concouru à élargir la marge de manoeuvre des ressortissants de la politique de réinsertion. Cette structuration des comportements des acteurs est liée au processus décisionnel du HCRP. Celui-ci peut être d'abord appréhendé par la localisation de cette institution à Niamey

1 Le HCRP disposait d'un Attaché de Presse en la personne de Mounkaila N'Goila nommé en 2002. Ce poste n'existe plus actuellement. Le HCRP n'organise plus des conférences de presse à l'occasion du 24 avril, comme cela se faisait au lendemain des Accords de Paix.

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(et non pas dans le Nord). L'emplacement du HCRP dans la capitale est essentiel, et il détermine dans une large mesure le processus décisionnel de cette institution. Cette localisation a eu une incidence sur les actions des ex-combattants.

En terme d'opportunité, cette concentration de la structure à Niamey a été, en partie, à l'origine de certains comportements des élites des Fronts et Mouvements, qui pour la plupart, résident dans la capitale. Contrairement à leurs combattants dont la majorité vit dans le Nord ou l'Est du pays, les Chefs et Cadres ont beaucoup bénéficié de la proximité physique avec le pouvoir central en général et le HCRP en particulier. Cet avantage de proximité leur offre des ressources informationnelles et relationnelles. L'institution n'a aucun démembrement dans le Nord et l'Est du pays1. Cette situation leur permet donc d'influencer le processus de décision du HCRP, souvent au mépris des attentes de leurs combattants.

En 2006, lors de l'examen du dossier des 300 ex-combattants que l'État devait intégrer dans les Sociétés d'État, c'étaient les Chefs des Fronts et Mouvements qui avaient convaincu le HCRP de remplacer les emplois promis par des pécules, soit un million cinq cent mille (1 500 000) FCFA chacun. Or, le HCRP était à pied d'oeuvre pour leur chercher des emplois dans les sociétés minières comme AREVA qui inauguraient de nouveaux chantiers dans le Nord, conformément d'ailleurs à leurs attentes. Aussi, dans beaucoup de cas, ces pécules ont été empochés par d'autres personnes totalement étrangères à la Rébellion. Il est clair que de telles pratiques seraient tempérées si le HCRP était directement en contact avec les ex-combattants.

Aussi, les différents projets de réinsertion socio-économique basés dans les zones concernées étaient pilotés de Niamey par le HCRP. Ce dernier joue un rôle central dans ce processus car c'est cette institution qui identifie et transmet les listes des ex-combattants destinés à la réinsertion aux différentes équipes des projets. C'est également le HCRP qui, à partir de Niamey, transmet aux équipes des projets les listes des ex-combattants désignés comme personnes ressources pour assister le staff du Projet. Les ex-combattants restés dans leurs zones sont devenus dépendants de ceux résidant à Niamey en matière d'information sur le processus.

Cette situation explique en partie pourquoi beaucoup de non-combattants ont pu bénéficier des intégrations dans divers corps de l'Etat au détriment de vrais combattants restés à des centaines de kilomètres dans le Nord. De ce fait, cet emplacement géographique apparaît comme un facteur structurant qui induit des comportements et accroît la marge de manoeuvre de certains acteurs. Ceci est d'autant plus évident que les rares missions que le HCRP effectue dans les zones touchées par le conflit ne permettent pas véritablement de répercuter les attentes des ex-combattants au niveau central.

On retrouve ici une des explications institutionnelles de la gestion néo-patrimoniale de la réinsertion par certains responsables de ces structures. Ceux-ci étaient à l'abri des pressions de leurs combattants restés au Nord et l'Est du pays. Leurs comportements étaient quelque peu dictés par ce dispositif institutionnel. Il est apparu que les leaders des Fronts et Mouvements étaient plus attentifs aux pressions et sollicitations de leurs proches (ex-combattants ou non) résidant à Niamey que de celles de leurs combattants restés très loin de la capitale. Cette

1 Il est à préciser cependant qu'au début du processus, les préfectures du Nord avaient créé des comités régionaux de suivi pour relayer le HCRP. A Tahoua, le Préfet créait par arrêté n°164/PTA du 2 octobre 1995, un comité régional chargé du « suivi et de l'évaluation des actions entreprises dans la cadre de la restauration de la paix ». Ce comité était chargé de « l'application des directives et des mesures ou actions arrêtées par le HCRP, de ses démembrements et des structures créées dans le cadre de la restauration de la paix ».

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concentration du HCRP à Niamey obéit à des visées politiques et stratégiques. Comme l'explique un cadre de cette institution, « un HCRP basé à Agade sera simplement une boite à accumuler des problèmes, vu la proximité avec les ex-combattants »1. En d'autres termes, il serait perçu comme une «maison des Touaregs » ; ce qui mettra à mal la logique universaliste que l'Etat prône.

En somme, il faut dire que cette structuration a créé un processus décisionnel qui fonctionne selon un modèle néo-corporatiste2. Selon ce mécanisme, « la décision publique est le produit d'une forte interaction entre le gouvernement et les intérêts sectoriels »3. Les modalités de mise en oeuvre de la politique de réinsertion n'ont jamais été le produit d'une décision unilatérale des autorités étatiques. Les relations personnelles qui se sont nouées pendant le processus entre les acteurs étatiques et les ex-combattants ont produit un mécanisme informel de décision en marge des normes officielles.

Ces interactions ont abouti à l'émergence d'une policy community constituée des cadres du HCRP et des ex-rebelles. Le concept de policy community désigne « des communautés fermées, ou relativement fermées, qui s'imposent comme parties prenantes incontournables dans le processus de définition d'une politique publique dans un secteur particulier »4. Cette policy community maintient un contrôle sur le processus de mise en oeuvre de la politique à telle enseigne qu'elle s'est finalement institutionnalisée. Ce mécanisme accroît la marge de manoeuvre des ressortissants dans la mesure où il permet des calculs rationnels.

Cette configuration néo-corporatiste du processus de décision constitue une source d'information pertinente, permet aux acteurs d'anticiper sur les actions des autres partenaires impliqués dans le processus. Ceci explique comment à partir d'un certain moment, le HCRP a cessé de travailler avec les quotas des Fronts et Mouvements, contrairement aux normes formelles arrêtées. Ce choix est issu d'un consensus entre les membres de la communauté décisionnelle et échappe totalement aux acteurs étatiques qui sont en dehors de ce cadre institutionnel (les ministères, le Cabinet du Premier ministre etc.). Egalement, les ex-rebelles étaient assurés, grâce à ce dispositif, de faire impunément entorse aux Accords de Paix.

C'est ainsi que des éléments intégrés dans certains corps ont pu à maintes occasions bénéficié de prestations que les Accords ne prévoyaient pas. Ces normes informelles de décision ont ainsi joué sur la conception que les ex-combattants se font de leurs intérêts et ont contribué à influencer certains de leurs comportements. Ce dispositif institutionnel qui fait des ressortissants des acteurs clés de ce processus est lui-même, dans une certaine mesure, le produit de la politique de réinsertion elle-même, notamment celle des élites.

Ces derniers contrôlent depuis lors des ressources politiques indépendamment de leur qualité d'ex-chefs rebelles. Les principaux Chefs rebelles, ceux occupant des fonctions ministérielles par exemple, disposent des mêmes ressources statutaires que le Haut Commissaire lui-même. De cette façon, ils sont apparus à la fois comme bénéficiaires des politiques publiques de gestion post conflit et co-concepteurs de celles-ci. Il ressort donc que l'organisation institutionnelle a favorisé une appropriation du système décisionnel par les anciens combattants.

1 Entretien à Niamey, mai 2008.

2 Le modèle néo-corporatiste en politiques publiques rend compte de «l'interpénétration des institutions de la démocratie représentative» et des groupes de pressions catégoriels dans le processus de décision. Voir Phillipe Braud, Sociologie politique, op cit, pp. 364-369.

3 Charlotte Halpern, «Décision» in Laurie Boussaguet et al, Dictionnaires des politiques publiques, op cit, p. 159.

4 Ce concept est proche mais plus étroit que celui de policy network , voir Guy Hermet et al, Dictionnaire de la science politique... op cit, p. 240 et svt.

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Cette appropriation du système HCRP par ces élites a dissuadé toute velléité contestataire de leur part. Ceci permet de comprendre pourquoi le HCRP, en dépit de certaines contraintes qu'il présente pour eux, a toujours été perçu par ceux-ci comme le cadre institutionnel le mieux indiqué pour la satisfaction de leurs intérêts. Cette attitude positive vis-à-vis de l'institution s'est matérialisée à plusieurs étapes du processus de paix, lorsqu'il s'est agit de désamorcer des crises.

L'impasse que le processus de paix a connu en 1997 avec la reprise des hostilités par l'UFRA, les problèmes de révocations au sein des FNIS, la question de la réinsertion socio-économique pour ne citer que ceux-ci, ont été l'occasion pour les deux parties d'actionner le système HCRP pour surmonter les crises.

En cela, on peut donc estimer que les institutions, dans leurs règles de fonctionnement pragmatiques, ont accru la marge de manoeuvre des ressortissants et contribué à structurer leurs attitudes et comportements. Ceci n'occulte pas les contraintes que les institutions présentent pour ces acteurs.

Paragraphe 2 : Les institutions comme contrainte

Les contraintes inhérentes au cadre institutionnel de gestion post conflit se mesurent également aussi bien par des normes formelles illustrées par la rigidité de l'administration publique (A) que par des normes informelles telles que les contraintes géographiques et linguistiques (B).

A. La rigidité de l'administration publique

Les institutions se présentent ici comme une limite de la capacité d'influence des ressortissants sur le processus de mise en oeuvre de la politique de réinsertion. En rétrécissant la marge de manoeuvre de ces acteurs, les institutions induisent d'autres attitudes et comportements. Cette réalité se lit dans les contraintes que constitue l'administration militaire du HCRP et également dans la rigidité des normes régissant les institutions dans lesquelles les ex-combattants ont été intégrés. Au-delà des significations que la nomination des militaires à la tête du HCRP a revêtues, l'administration militaire a rempli certaines fonctions latentes.

Le contexte issu de la signature des Accords de Paix était marqué par les relations de suspicion et de méfiance mutuelles entre les parties. Au HCRP, cette situation post conflit a mis à mal les relations entre le personnel civil et les ex-combattants directement sortis des maquis. Des incompréhensions entre les deux parties se sont ainsi soldées par des agressions physiques ou menaces verbales, toutes choses qui ont créé un contexte de travail tendu, voire dangereux pour le personnel civil.

Trois agents du HCRP ont fait les frais de ce climat de psychose. Un d'entre eux fut physiquement agressé par un Cadre de l'ex-Rébellion dans les locaux du HCRP, les deux autres furent menacés de mort, dont un avec arme à feu. L'arrivée des militaires à partir de mai 19961 a permis de mettre en confiance les agents du HCRP en leur offrant un cadre de travail plus sécurisé. Cette situation conduit le colonel Laouel Chékou Koré, (à l'époque chef d'escadron) alors Haut Commissaire, à placer des sentinelles à l'entrée des locaux.

1 Bien avant la nomination du Chef d'Escadron Laouel C. Koré, c'est le Chef d'Escadron Yayé Garba qui fut nommé Conseiller Technique du Haut Commissaire le 25 mars 1996.

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La sécurisation du cadre de travail apparaît ici non pas comme une cause de l'arrivée des militaires, mais comme une fonction latente que l'institution militaire remplit pour le HCRP. Si pour les cadres du HCRP, l'administration militaire est facteur de sécurité et de sérénité, il n'en est pas de même pour les ex-rebelles. Pour ces derniers, la gestion des militaires, en dépit de certains atouts qu'elle présente, apparaît plutôt comme une contrainte, une limitation de leur pouvoir d'influence. Ainsi, le dispositif militaire dans les locaux de l'institution a eu un impact dissuasif sur les ex-combattants. Les comportements violents ont cessé avec le temps au profit des rapports plus empreints de compréhension et de civilité.

De ce point de vue, l'administration militaire a eu une incidence sur les attitudes et les comportements des acteurs, notamment les ex-combattants. Cette incidence a été ainsi structurante car l'administration militaire a changé le contexte et les options qui y étaient disponibles. Une action violente, verbale ou physique, de la part des ex-combattants envers le personnel entraînerait certainement des mesures de représailles immédiates de la part des militaires. La prise en compte de ce changement de données conduit à un changement d'attitude et de comportement.

L'institution fournit donc une information aux acteurs quand aux conséquences de leurs actes, c'est-à-dire les réactions possibles qui peuvent en résulter. Cette réalité confirme la vertu structurante des institutions. Pour Peter Hall et Rosemary Taylor, en effet, « le point central est qu'elles (institutions) a~~ectent les comportements des individus en jouant sur les attentes d'un acteur donné concernant les actions que les autres acteurs sont susceptibles d'accomplir en réaction à ses propres actions ou même en même temps qu'elles »1.

Une autre dimension de l'impact militaire sur les comportements est la rigidité et la fermeté des officiers quand au respect de certains principes. Très peu prédisposés à transiger sur les principes (contrairement aux civils), les militaires se sont surtout distingués par leur conception stricte des Accords de Paix. Beaucoup de demandes des ex-combattants manifestement en marge des clauses des Accords de Paix se sont heurtées au refus catégorique des militaires. C'est le cas des problèmes nés de l'intégration des ex-combattants dans les corps militaires et para militaires.

Les demandes des ex-combattants en faveur d'une réintégration des éléments déserteurs ou révoqués n'ont été admises dans l'agenda du HCRP qu'en 2006 avec l'avènement d'une administration civile. Les normes régissant les institutions d'accueil des ex-combattants intégrés ont produit les mêmes contraintes et induit des attitudes et des comportements. Comme nous l'avons souligné, les Accords de Paix n'ont pas consacré une rupture totale avec les institutions antérieures.

Les conditions d'accès dans les différents corps de l'Etat n'ont pas substantiellement changé, à l'exception bien sûr, du fait que les ex-combattants sont dispensés de passer les concours d'entrée, là où cela était exigé. Dans l'esprit des Accords de Paix, les ex-combattants intégrés ne sont pas censés, en vertu de leur situation, bénéficier d'un traitement particulier. Une fois admis dans la Fonction Publique par exemple, l'ex-combattant est censé être régi par les mêmes textes que les autres fonctionnaires travaillant dans ce même corps. Il en est de même dans toutes les institutions.

En général, l'adaptation au nouvel emploi s'est faite sans heurt dans les corps civils. C'est surtout au sein des corps militaires et para militaires que la rigidité des normes a été difficile à

1 Op cit, p. 472.

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assimiler pour les ex-combattants, comme en témoignent les désertions et révocations au sein des FNIS. Les normes encadrant les comportements des acteurs ont eu des incidences sur les attitudes et les comportements des ex-combattants de deux manières.

D'abord, par leur rigidité et leur portée universelle, les normes ont conduit à des comportements d'auto discipline de la part des ex-combattants. Celle-ci fut dictée par un calcul rationnel que les institutions, en fournissant des informations fiables aux acteurs, ont favorisé. Il est bien connu que dans les corps militaires et paramilitaires, la hiérarchie est très stricte sur le respect des normes.

En plus, le pouvoir des autorités politiques sur ces corps n'est pas si important qu'il puisse permettre une interférence de celles-ci sur les affaires internes à ceux-ci. Il en découle une conséquence de taille : il est difficile, voire impossible pour un ex-combattant frappé par une sanction au sein de son corps de bénéficier d'un traitement complaisant en se servant de ses relations politiques.

Dans la même perspective, un ex-combattant intégré à l'Université ne peut espérer bénéficier des faveurs en sa qualité d'ancien rebelle. Bref, les institutions d'accueil des ex-combattants ignorent la discrimination positive. L'auto discipline, c'est-à-dire la conformité aux règles par l'appropriation et l'intériorisation extérieures de celles-ci, est ainsi une conséquence de la force structurante des institutions.

Dans un second lieu, l'on a assisté à des comportements qu'Albert Hirs chman appelle «comportements de sortie» (exit) dictés par le refus d'intérioriser les régulations contraignantes des institutions1. Les désertions des ex-combattants au sein des FNIS en sont des manifestations tangibles. Dès juillet 1997, 56 ex-combattants destinés aux FAN avaient démissionné2. Dans une logique compréhensive, ces « comportements de sortie» ne sont pas uniquement imputables à la rigidité des normes et à l'incapacité ou le refus des ex-combattants de s'y adapter.

Ils procèdent également d'une «frustration relative» (T. Gurr) que les ex-combattants ont développée au sein de ces institutions. Selon plusieurs témoignages de ces derniers, il n'y aurait une méfiance et une suspicion contre tous les éléments intégrés. Et l'accès à des postes stratégiques leur serait interdit quelque soit leur rang. D'après un ancien Cadre de l'ex-Rébellion, « on ne donne jamais à un ex-combattant intégré la responsabilité de gérer un magasin de munitions ou les clés d'un véhicule 4X4. On est intégrés que de manière mécanique, on pense que nous sommes toujours prêts à reprendre la guerre »3.

En juin 2006, dans la déclaration sanctionnant leur rencontre avec le HCRP, les Chefs de Fronts et Mouvements avaient fustigé les « renvois complaisants» et les « révocations planifiées »4 de leurs combattants dans les FDS. Mais l'argument de la «frustration relative» n'occulte pas celui de la logique utilitaire. Pour certains, la désertion était rationnelle dans la mesure où elle leur ouvrait des perspectives plus prometteuses. C'est ainsi que beaucoup sont retournés en Libye ou en Algérie, pays dont beaucoup d'entre eux détiennent la nationalité d'ailleurs.

1 Selon cet auteur, trois options se présentent pour un acteur face à un changement de contexte : la « défection » (exit), « la loyauté » (loyality) et « la prise de parole » (voice). Voir Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, 302 ; Phillipe Braud, op cit, p. 47

2 HCRP, Estimation du coût du processus de paix, juillet 1997, p. 4.

3 Il s'exprimait pendant la réunion des Chefs de Fronts et Mouvements du 15 juin 2006 au HCRP.

4 HCRP, Conclusions de la Réunion des Chefs et Cadres de l'ex-Résistance Armée et Comités d'Autodéfense, juin 2006, p. 2.

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En clair, la rigidité de l'administration, militaire comme civile, explique certains comportements des ex-combattants intégrés, même si ces comportements obéissent également à d'autres logiques. Cette hypothèse se vérifie avec les normes informelles.

B. Les contraintes géographiques et linguistiques

Les institutions se présentent comme une contrainte et un facteur structurant des comportements des acteurs dans leur dimension informelle. Cette capacité des normes informelles à modeler les attitudes et comportements peut s'apprécier à travers l'impact de la situation géographique du HCRP et le rôle de la langue de travail. L'implantation du HCRP dans la capitale, outre qu'elle répond à des nécessités pratiques, est porteuse d'une valeur symbolique. Contrairement au modèle malien et à l'expérience nigérienne sous la 1ère République, le Niger a créé un HCRP dont les attributions ne font référence à aucune ethnie ou région spécifiques.

Cette démarcation avec toute référence particulariste témoigne une fois encore de la continuité historique, du poids des institutions antérieures qui s'observe dans la nature des institutions de gestion post conflit. Mais le facteur structurant est surtout lié à la distance géographique entre l'institution et la majorité des ex-combattants. Si cette distance a été une opportunité pour les ex-combattants résidant à Niamey, elle apparaît comme une contrainte pour ceux résidant dans les zones reculées.

En plus d'être à des centaines de kilomètres de la capitale, les ex-combattants sont également dispersés non seulement dans les quatre régions (Kawar, Manga, Aïr, Azawak) mais aussi disséminés à l'intérieur de celles-ci. Ce cumul de facteurs objectifs et handicapants amenuise la capacité des ex-combattants à influer sur la politique de réinsertion. Le HCRP ne dispose pas d'antenne régionale ou autre structure déconcentrée chargée de mettre en oeuvre sa politique sur place. Cette situation met les ex-combattants en position de dépendance vis-à-vis de leurs Chefs installés à Niamey.

C'est à ces derniers qu'il appartient par exemple de constituer les listes de leurs éléments candidats à l'intégration ou à la réinsertion socio-économique. Dans certains cas, les listes sont dressées sans tenir compte des ex-combattants résidant dans les zones reculées. C'est ainsi pour la réinsertion socio-économique dans l'Aïr et l'Azawak, les deux cent vingt (220) ex-combattants par Front ou Mouvement ont été déterminés par la direction de chaque structure basée à Niamey. L'instabilité qui caractérise ces listes témoigne des tensions qu'elles soulèvent au sein de ces structures1. Les ex-combattants n'ont jamais manqué une occasion pour demander une déconcentration du HCRP dans les zones touchées par le conflit.

En juillet 1997, les ex-combattants avaient demandé une restructuration du HCRP et une intégration de leurs représentants dans la gestion de cette structure2. Ils l'ont également exprimé avec force pendant le Forum d'Agadez de février 2005 en demandant que le HCRP « transfère carrément ses bureaux à Agade pour permettre aux ex-combattants de s'adresser directement à cette

1 Nous avons été chargé au HCRP en 2006 de tenir le fichier des 3160 ex-combattants de l'Aïr/Azawak. Nous étions à ce titre fréquemment sollicité pour, soit retirer un nom pour le remplacer par un autre, soit pour un ex-combattant de vérifier par lui-même son nom ou celui d'un de ses proches sur la liste etc.

2 Ministère du Plan et de la Privatisation (Cellule Zone pastorale), Rapport d'activités du mois de juillet 1997, p. 6.

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institution »1. En dépit de ces multiples revendications, aucune mesure n'a été prise dans ce sens ou même envisagée par le Gouvernement.

L'impact de cette contrainte géographique a été structurant car elle réduit la marge de manoeuvre des ex-combattants. Certains ont adopté des «comportements de sortie » (exit), d'autres se sont contentés des protestations verbales (voice). Dans le premier cas, les ex-combattants désillusionnés par le processus ont préféré vaguer à d'autres occupations ou émigrer dans les pays voisins. C'est le cas dans l'Aïr et l'Azawak de ceux ayant été programmés pour la réinsertion socio-économique. Ils ont attendu dix (10) ans pour voir leurs projets démarrer.

Dans le deuxième cas, les ex-combattants se sont saisi des rares occasions qui se sont présentées à eux pour exprimer leur mécontentement. Il s'agit en particulier des missions du HCRP dans leurs zones ou de celles des autorités politiques. Certains se sont souvent organisés pour créer une insécurité à travers des attaques armées afin d'attirer l'attention des autorités.

Par ailleurs, la langue du travail, le Français, a été une variable importante dans la structuration des attitudes et comportements des ex-combattants. En effet, pour un ex-combattant, la maîtrise de la langue française est une ressource stratégique. Au contraire, pour l'analphabète, l'usage du Français dans le processus devient une contrainte qui réduit les options à lui offertes. L'ex-combattant analphabète ne peut lire les Accords de Paix, ni les autres documents de travail de sa structure ou de l'Etat, de même qu'il ne peut prétendre à certaines responsabilités, quelque soit son rang dans sa structure. C'est tout le sens de la distinction utilisée par le HCRP entre le « Chef » et le « Responsable » pour qualifier les différents acteurs.

Le premier est le chef de guerre et fondateur de la structure, tandis que le second n'est pas forcément le chef, mais le cadre, « l'évolué » vivant à Niamey et qui représente sa structure dans les réunions avec le HCRP2. Dans les cas où le Chef est analphabète, le responsable arrive avec le temps à le supplanter en termes d'influence dans le processus en raison de son bagage intellectuel. Cette contrainte linguistique amenuise donc le pouvoir du Chef analphabète ainsi que ses combattants étant dans la même situation. Ceci renverse avec le temps les rapports de force au sein de la structure car, en temps de paix, les ressources intellectuelles et éducationnelles supplantent celles liées à la maîtrise du canon.

Au-delà de la rupture d'autorité qu'elle induit au plan interne, la contrainte linguistique et éducationnelle a, à certains égards, changé les rapports de force entre les structures existantes, c'est-à-dire les Fronts et Mouvements. Il est ainsi apparu qu'un Mouvement d'Autodéfense, moins influent qu'un Front en termes de capacité de nuisance, peut mettre en valeur ses ressources intellectuelles pour modifier les rapports de force.

A titre d'illustration, la Milice Peulh de Diffa a été l'une des structures qui a réalisé les meilleurs « investissements ». Mr Saidou Omar Sanda, un de ses responsables, ingénieur en Informatique de formation, est depuis 2008 Conseiller Technique au HCRP, position qui le met au coeur du système décisionnel. Il tient son poste non pas à la puissance de sa structure, mais à son niveau intellectuel et à son expérience en matière de gestion conflit. Très réputé pour son

1 HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la région d'Agade~, (synthèse des travaux avec la coordination des ex-combattants), mars 2005 (document non paginé).

2 Pour les FARS par exemple, le Responsable est Ali Sidi Adam, Conseiller à la Présidence de la République, les Chefs de guerre étaient Barka Wardougou et le feu Chahaï Barkaï. Pour le FLAA, le responsable est le «Commandant» Amadou N'Gadé, «Chef d'Etat-major» du Front et propriétaire d'une société de gardiennage à Niamey. Le Chef de Front était Rhissa Ag Boula.

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expertise en informatique, il a pu faire valoir ses compétences à un moment où le HCRP cherchait justement des technocrates.

Dans toutes les autres structures, les Chefs analphabètes se sont contentés de la réinsertion sous forme de pécules ou de postes protocolaires (Chargé de mission, Conseiller etc.) pendant que les autres se sont taillés des portefeuilles ministériels. Le tableau n°5 ci-dessous montre que huit (8) sur les dix sept (17) leaders de ces Fronts et Mouvements n'ont pas fréquenté l'école moderne.

Mais il faut préciser que certains ont effectué des études en Arabe de niveau secondaire ou supérieure en Libye. C'est le cas d'Ali Sidi Adam des FARS. Aussi, certains des Chefs rebelles, à l'exemple du ministre Issiad Ag Kato, ancien « Chef d'État-major » du FPLS, se sont formés après les Accords de Paix.

Tableau n°5 : Les ex-Chefs de Fronts et de Mouvements par niveau d'instruction

Noms et Prénoms

Structure

Niveau d'instruction

Activité actuelle

Mohamed Ikta Abdoulaye

FFL

Etudes secondaires

Lieutenant des Douanes

Hamad Ahmed Halilou

APLN

Études coraniques

Conseiller à la Primature

Alhadi Alhadj

FPLN

Études coraniques

Conseiller à la Présidence

Bilal Islamane

ARLN

Etudes secondaires

Préposé des Douanes

Goumour Ibrahim

MRLN

Études coraniques

Chargé de Mission à la
Présidence

Najim Boujima

CVT

Études coraniques

Activités privées

Ahmed Boubacar

CAD

Études secondaires

Activités privées

Maazou Boukar

Milice Peulh

Études coraniques

Conseiller à la Présidence

Sélim Hamed

Milice Arabe

Etudes secondaires

Député national

Issa Lamine

FDR

Études supérieures

Ministre de la Santé

Ahmed W. Hounouna

MUR

Etudes coraniques

Activités privées

Silimane Hyard

FAR/UFRA

Etudes coraniques

Activités privées

Rhissa Ag Boula

FLAA

Etudes supérieures

En rébellion

Mohamed Anacko

FPLS

Études supérieures

Haut Commissaire
(HCRP)

Mohamed Akotey

FLT

Etudes supérieures

Ministre de
l'Environnement

Ousmane Ismaghril

FAR/ORA

Etudes secondaires

Activités privées

Ali Sidi Adam

FARS

Études coraniques

Conseiller à la Présidence

 

Source : Tableau établi par nous.

Celui-ci a non seulement passé le bac, mais aussi obtenu une licence et une maîtrise en Gestion des Ressources Humaines, puis un Master en Affaires Internationales en France. Lors des réunions de travail au HCRP, les ex-combattants analphabètes, lorsqu'ils sont invités, n'ont pas la possibilité de participer qualitativement aux débats car les documents de travail sont en Français. En général, les débats se déroulent également en Français, surtout lorsque les représentants des bailleurs de fond sont présents. Or, c'est justement pendant ces rencontres que les vraies décisions sont arrêtées.

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Lors de la réunion du Comité de pilotage du Projet Aïr/Azawak du 5 février 2007, c'est après les discussions en plénière que les représentants des ex-combattants se sont isolés pour faire leurs recommandations, en se débrouillant au passage pour les faire rédiger et saisir en Français. La seconde réunion du Comité de Pilotage le 17 mars 2008 (à laquelle nous avons pris part), aurait entraîné le même scénario n'eut été l'intervention du Haut Commissaire Mohamed Anacko, touareg lui-même. Ce dernier s'était efforcé de traduire en tamasheq les débats pour les représentants de la Rébellion présents dans la salle, et restituer en retour leurs points de vue à la plénière.

Ces variables linguistiques et éducationnelles ont des effets structurants dans la mesure où elles déterminent la conception que les acteurs se font de leurs intérêts. Souvent, même lorsque les réunions se font en tamasheq et en haoussa, la substance des débats n'est pas toujours celle que l'on retrouve dans les rapports administratifs officiels. Autrement dit, les rapports de synthèse ne reflètent pas toujours les points de vue exprimés par les ex-combattants dans leurs langues. En juin 2006, pendant la rencontre entre le HCRP et les anciens Chefs rebelles et de Mouvements, l'essentiel des débats se sont déroulés en tamasheq et en haoussa car les ex-combattants étaient majoritaires dans la salle.

Pourtant, au moment de lire la déclaration finale devant les journalistes, certaines des décisions arrêtées ont été délibérément occultées dans le communiqué final. Ainsi, alors que les ex-combattants avaient à l'unanimité conclu à « l'insuffisance des fonds destinés à la réinsertion socio-économique », le communiqué a retenu simplement que « la réunion a évoqué la question de la réinsertion socio-économique »1. En plus, le point relatif au « déplacement des ex-chefs de Fronts ainsi que de leurs biens dans les tones touchées par le conflit »2 a été purement et simplement supprimé, quelques minutes avant la lecture du communiqué.

Toutefois, il existe des cas exceptionnels où les ex-rebelles refusent délibérément d'user du Français même lorsqu'ils le parlent. L'ancien Chef Toubou des FARS, Chahaï Barkaï utilisait un interprète lors des réunions de travail avec les cadres du HCRP alors qu'il parlait bien Français, ce que ses interlocuteurs ne savaient pas. Sans doute s'agit-il d'une autre stratégie de combat[

La reprise en main du processus par les anciens combattants instruits au détriment de leurs frères d'armes analphabètes, la forte dépendance de ces derniers vis-à-vis des premiers sont ainsi des manifestations tangibles de la structuration des situations politiques par les institutions informelles, notamment la langue et le niveau d'instruction.

Section 2 : Les relations de pouvoir asymétriques entre acteurs

L'organisation institutionnelle de l'Etat et de toute entité produit des inégalités de pouvoir et de ressources entre acteurs. Pour M. Gazibo et J. Jenson, « c'est l'organisation institutionnelle qui détermine les rapports de force entre acteurs »3. Cette hypothèse de l'institutionnalisme historique est testée dans

1 Les ex-combattants avaient rejeté le montant des subventions (165 000 FCFA par ex-combattant) que le projet leur proposait. Selon le témoignage d'un d'entre eux à cette occasion, en 1995, quand il déposa les armes, alors célibataire, il pouvait accepter cette somme. Mais dix ans après, devenu père de famille, cette subvention est inacceptable.

2 Les anciens rebelles des zones de l'Aïr et de l'Azawak exigeaient un statut d'ancien chef de Front qui leur permette de circuler dans leurs zones comme des «autorités» pour échapper aux contrôles de routines des Forces de Défense et de Sécurité qu'ils qualifient de « tracasseries ».

3Op cit, p. 209.

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les relations institutionnelles entre les acteurs étatiques (Paragraphe 1) et les relations de pouvoir entre les ex-combattants (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les relations entre acteurs étatiques

Les relations au niveau des acteurs étatiques sont examinées d'abord dans l'organisation interne du HCRP (A) et ensuite dans les rapports que celui-ci entretient avec les autres institutions de l'Etat (B).

A. L'organisation interne du HCRP

Au terme de l'arrêté n°005/PRN du 24 février 1994 portant organisation et fonctionnement du HCRP, cette institution est organisé comme suit :

- le Cabinet du Haut Commissaire composé du Chef de Cabinet, de un ou deux Conseillers Techniques et du Secrétariat Particulier ;

- le Secrétariat Général comprenant un Service des Etudes et de la Documentation, un Bureau d'Ordre et un Secrétariat ;

- le Département des Affaires Politiques et Juridiques ;

- le Département des Affaires Economiques et Sociales.

L'arrêté crée également auprès du HCRP une Commission de Restauration de la Paix composée de «personnalités représentatives de la société civile issues de toutes les régions du pays ». Organisé sur le modèle des ministères, le HCRP est avant tout une institution administrative. Le Haut Commissaire qui a rang de ministre, dispose administrativement d'un pouvoir hiérarchique, c'est-à-dire, d'un pouvoir d'injonction institutionnalisé1. De par cette configuration institutionnelle, le Haut Commissaire dispose d'un pouvoir de dernier ressort sur les politiques de l'institution.

Cette suprématie peut être illustrée par le traitement des correspondances. Selon le circuit de transmission des informations, c'est le Secrétaire Général qui examine le premier les correspondances, donne un avis consultatif et transmet au Haut Commissaire à qui il revient de prendre la décision finale. Ce dernier peut éventuellement se faire assister par ses Conseillers ou les Chefs de Départements selon la nature de la question. Le Secrétaire Général assure l'intérim du Haut Commissaire en cas d'absence ou d'empêchement.

Dans le fonctionnement réel de l'institution, les pouvoirs du Haut Commissaire et du Secrétaire Général s'exercent en collaboration avec les Chefs des Départements et le Conseiller Technique. La décision est également influencée par les groupes extérieurs à l'institution, notamment les ressortissants de la politique de réinsertion des ex-combattants. D'où le caractère néo-corporatiste du processus décisionnel. En fait, la détention par le Haut Commissaire des ressources statutaires est contrebalancée par les ressources politiques diverses (informationnelles, statutaires etc.) que détiennent les cadres techniques de l'institution.

L'analyse des politiques publiques distingue trois types de fonctions exercées par l'administration dans l'action publique : la «mise en forme » des normes, la «mise en oeuvre» des

1 Phillipe Braud distingue le pouvoir d'influence qui repose sur la séduction (et exclut la contrainte) et le pouvoir d'injonction. Ce dernier s'appuie sur la menace de sanction et revêt trois modalités : injonction de fait, injonction morale et injonction basée sur la règle de droit. Cette dernière modalité est la forme la plus institutionnalisée. Voir Sociologie politique, op cit, p. 41.

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politiques arrêtées et l'intermédiation entre l'État et les groupes d'intérêts.1 L'existence de ces règles pragmatiques réduit considérablement la marge de manoeuvre du politique. Toutefois, en dépit de ces contrepoids, il demeure que l'organisation institutionnelle place le Haut Commissaire au centre de la décision. Cette asymétrie de pouvoir entre acteurs institutionnels internes entraîne des conséquences pratiques en termes de comportements des acteurs.

Ainsi, le Haut Commissaire, en tant que principal décideur, imprime sa marque sur le processus de mise en oeuvre de la politique de réinsertion. Son Cabinet devient le lieu d'articulation des demandes des ex-combattants car étant perçu par ceux-ci comme le lieu stratégique de la décision. Cette réalité est empirique car l'absence du Haut Commissaire peut se savoir à la seule observation du niveau d'affluence des visiteurs dans l'enceinte de l'institution.

D'ailleurs, l'intérim du Haut Commissaire ne traite jamais des questions sensibles, d'où une paralysie de l'institution pendant ses périodes d'absence. Les stratégies des ressortissants ont donc consisté à établir et entretenir de bonnes relations avec les Haut Commissaires afin de sauvegarder le système de décision néo-corporatiste qui s'est établi avec le temps.

Cette stratégie de « séduction » du Haut Commissaire par les ressortissants est d'autant plus aisée que les élites de la Rébellion occupent des postes politiques aussi importants et stratégiques que le sien. C'est le cas des ex-Chefs rebelles siégeant au Gouvernement comme Mohamed Akotey et Issiad Ag Kato, respectivement ministre de l'Environnement et de la Lutte contre la Désertification et ministre des Ressources Animales.

Cependant, par réalisme, et pour se mettre à l'abri des aléas liés au changement de direction à la tête de l'institution, les ex-combattants ont noué des rapports étroits avec les principaux cadres de l'institution. La fidélisation de ces cadres était d'autant plus aisée qu'il y a eu très peu de rotation des agents au sein du HCRP. A titre d'exemple, Mr Sani Gonda et Mr Soumana Souley, respectivement Secrétaire Général et Conseiller Technique du HCRP sont en poste depuis la création de l'institution en 1994.

Ces cadres sont les véritables architectes des politiques du HCRP par leur maîtrise de l'information et leur expérience. Si les successions entre militaires et civils à la tête de l'institution ont eu des impacts en termes de style de commandement, il demeure que l'orientation de la politique de l'institution est restée la même.

En clair, l'organisation institutionnelle, en instituant une asymétrie de pouvoir entre acteurs institutionnels, n'a pas entraîné une monopolisation totale de la décision par le Haut Commissaire. Dans la réalité, c'est surtout la perception des acteurs extérieurs à l'institution qui explique le déploiement des stratégies en direction du Haut Commissaire.

D'autres variables interviennent pour expliquer le niveau d'intérêt inégal que les ex-combattants accordent aux cadres de l'institution. D'abord, par leur origine ethnique, certains cadres sont jugés « peu recommandables», indignes de confiance par certains anciens rebelles. Ces préjugés s'expliquent en réalité, non pas par l'origine ethnique de ces agents, mais par leur conception des Accords de Paix.

Par une démarche manichéenne, les membres du personnel du HCRP sont catégorisés en deux groupes selon qu'ils soient favorables ou non à la discrimination positive. Les ex-combattants désireux de faire aboutir leurs revendications ciblent leur interlocuteur selon la rigidité de ses positions sur la politique de réinsertion, c'est-à-dire selon son degré de sympathie pour la cause touarègue.

1 Philippe Bezez, «Administration» in Laurie Boussaguet et al, op cit, pp. 32-41.

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Ce degré de sympathie est apprécié par la propension à faire de concessions, à passer des compromis, voire à fermer les yeux sur les abus. Le Secrétaire Général Sani Gonda par exemple, malgré l'importance de son poste dans l'organisation institutionnelle, est très peu fréquenté par les ex-combattants à cause de sa fermeté, de son refus de transiger sur des principes. Il en est de même pour le Conseiller Technique Soumana Souley. En 2006, un ex-combattant touareg nous a confié que celui-ci était « responsable de tous les blocages que connaît la réinsertion des ex-combattants depuis le début »1.

Par contre, le Directeur des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C), Chipkaou Oumarou semble plus chanceux. Il est mieux courtisé pour deux raisons. D'abord en raison de la centralité de son poste, ensuite grâce à la souplesse de sa personnalité et de son fair play. De par sa fonction, il s'occupe, entre autres, de l'identification des ex-combattants destinés à la réinsertion socio-économique. C'est lui qui reçoit les listes des ex-combattants établies par les responsables des différentes structures et gère la base de données. Il s'agit d'un poste stratégique dans la mesure où, le plus souvent, au gré des intérêts, ces listes sont modifiées par les responsables des structures concernées.

De tels agissements et abus se seraient heurtés à des rejets complets, n'eut été le fairplay et le sens de modération qui caractérisent le personnage. Mais la complexité du processus décisionnel au HCRP entraîne une diversification des partenaires qui conduit à traiter, malgré soi, avec les autres cadres. En effet, le Secrétaire Général reste formellement incontournable par ses ressources statutaires. A l'exception du Haut Commissaire, aucun cadre ne peut expédier une correspondance à l'extérieur sans son avis, et toutes les correspondances extérieures passent obligatoirement par lui.

Ce contrôle de l'information dans l'administration est une ressource politique importante, surtout lorsqu'il s'agit des questions controversées sur lesquelles les agents ne partagent pas les mêmes opinions. Les cadres reconnus pour leur intransigeance sont souvent contournés malgré leur position statutaire. L'une des stratégies consiste à solliciter directement l'intervention du Haut Commissaire qui peut, à partir de son Cabinet, expédier certaines correspondances.

Un exemple de ces questions controversées était le cas des 33 ex-combattants diplômés de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA). Ces derniers avaient sollicité en 2006 une intervention du HCRP pour une intégration directe à la Fonction Publique « dans le cadre de la consolidation de la paix ». Or, de l'avis de la majorité des cadres du HCRP, les Accords de Paix n'ont jamais prévu que les ex-combattants admis dans les écoles professionnelles au titre de l'intégration devaient être intégrés directement à la Fonction Publique après leur formation.

Ce point de vue n'est pas partagé par certains cadres du HCRP qui épousent la position des ex-combattants. Ceux-ci invoquent l'argument que l'intégration reste inachevée tant que les ex-combattants formés n'ont pas bénéficié d'une intégration professionnelle dans un corps de l'Etat. Pour répondre à cette sollicitation, le HCRP est amené à expédier des correspondances aux ministères concernés (Finances, Fonction publique etc.) avec une argumentation solide. Il va de soi qu'une telle démarche n'est pas pour enthousiasmer les cadres défendant l'avis contraire. D'où la nécessité de les contourner...

Ces phénomènes de pouvoir en marge du cadre institutionnel formelle appellent donc à reconnaître le poids des variables extra institutionnelles dans l'explication des comportements des acteurs. Au-delà de l'asymétrie des pouvoirs que consacrent les institutions, les acteurs disposent

1 C'était lors de la réunion des ex-Chefs de Fronts et de Mouvements des 15 et 15 juin 2006 au HCRP à Niamey.

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toujours d'une marge de manoeuvre. La science politique a toujours démontré que les relations de pouvoirs ne sont jamais unidirectionnelles. Les relations que le HCRP entretient avec les institutions extérieures confirment cette réalité.

B. Les relations avec les autres institutions

Dans le cadre de l'exécution de la politique de réinsertion des ex-combattants, le HCRP entretient de relations fonctionnelles avec plusieurs institutions et ministères concernés. L'organisation de l'institution sur le modèle des ministères ne donne à celle-ci aucune prééminence sur ces derniers. Elle suggère plutôt des rapports de pure coopération. Mais malgré l'absence de pouvoir hiérarchique sur le plan institutionnel, le HCRP dispose de certains atouts qui lui confèrent un pouvoir d'influence sur les ministères.

Au lendemain des Accords de Paix, les mécanismes interministériels ad hoc mis en place plaçaient le HCRP au coeur du processus de paix. En matière de réinsertion des ex-combattants, le HCRP présidait le Comité Spécial de Paix (CSP) en 1995 et la Commission chargée de l'intégration et de la réinsertion socio-économique des ex-combattants mise en place en 1997. Il était également représenté dans tous les autres mécanismes mis en place à cet effet. A partir de la Flamme de la Paix, ces mécanismes ont disparu.

Le HCRP est resté ainsi la seule institution compétente en matière de suivi de la politique de réinsertion des ex-combattants. Les rapports que l'institution entretient avec les autres ministères portent essentiellement sur le traitement des ex-combattants bénéficiaires de l'intégration. Le HCRP est seul à détenir les données relatives aux Fronts et Mouvements, notamment l'identité des ex-combattants, leur structure d'appartenance, leurs attentes en matière de réinsertion etc.

Ainsi, s'agissant des ex-combattants à réintégrer dans leurs corps d'origine (Société d'Etat, Fonction Publique, etc.), c'est le HCRP qui certifie à travers des correspondances officielles que les concernés sont effectivement ex-combattants et soumet leurs dossiers à l'institution concernée. Il en est de même pour les intégrations où, en fonction des besoins exprimés par les différentes institutions, le HCRP introduit les dossiers de recrutement des ex-combattants. Si le traitement de ces cas s'est passé sans heurt, certaines questions assez complexes ont entraîné des incompréhensions entre le HCRP et certaines structures. Et avec les conflits de compétence ainsi générés, chaque institution déploie ses ressources politiques pour s'affirmer et défendre ses principes.

Plusieurs cas permettent d'illustrer cette réalité. On peut citer celui des « transferts de grades » au sein des Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Il s'agit des grades d'officiers ou sous-officiers alloués à chaque structure en fonction de son quota. Et il arrive que ces postes soient vacants en cas, par exemple, de démission ou de révocation du candidat au grade désigné par sa structure et remplissant les critères d'admission.

Dans ces cas, les responsables de la structure concernée sollicitent la médiation du HCRP pour obtenir le transfert du grade en question au profit d'un autre ex-combattant qu'elle aura désigné. Il existe un deuxième type de transfert de grade qui se passe d'un corps à un autre. Par exemple, le transfert d'un grade de lieutenant de la Gendarmerie Nationale au FNIS, ou vice-versa. C'est ainsi qu'en 2007, un ex-combattant de la Milice Arabe devant bénéficier d'un poste d'officier dans la Gendarmerie Nationale « s'est vu refusé cette faveur par suite d'indiscipline lors d'un stage

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de formation d'officier »1. La Milice Arabe avait sollicité que ledit poste, « étant un acquis », soit transféré dans le corps des FNIS au profit d'un autre ex-combattant de la Milice intégré dans ce corps.

Sur ces questions délicates qui dérogent aux normes établies, les ministères concernés résistent en faisant valoir les textes en vigueur. C'est le cas en février 2000, d'un ex-combattant dont le HCRP a demandé l'inscription au Lycée kassai de Niamey. Le Ministère de l'Education Nationale rejeta la demande en faisant valoir que l'intéressé, ayant déjà redoublé une fois, ne peut plus s'inscrire dans un lycée public conformément aux textes en vigueur2.

Souvent, face aux résistances des ministères, le HCRP fait intervenir un de ses atouts majeurs à savoir, son rattachement à la Présidence de la République. C'est ainsi qu'en 2007, deux officiers intégrés l'un dans les FAN et l'autre dans la Gendarmerie Nationale ayant tous les deux écopé de sanctions dans leurs corps respectifs, ont demandé l'intervention du HCRP pour obtenir une «grâce »3. L'institution adressa une « demande de grâce » « à titre humanitaire » directement au Chef de l'Etat. Une telle démarche ne serait certainement pas recevable au Ministère de la Défense Nationale ou à l'Etat-major des FAN.

En réalité, lorsque les problèmes touchent aux FDS, les chances sont toujours minces que le Chef de l'Etat intervienne. Militaire lui-même, le président Mamadou Tandja s'est montré très réticent sur ces questions, et en cela, moins entreprenant que son prédécesseur Ibrahim Baré Mainassara que les ex-combattants regrettent beaucoup d'ailleurs. Il est très difficile pour le Chef de l'État de braver le règlement militaire dans un pays où l'armée continue à jouer un rôle politique important.

Une autre forme d'intervention du HCRP pour les ex-combattants a consisté à plaider en leur faveur pour l'obtention de certaines prestations. Par exemple, à maintes reprises, le HCRP écrit au Ministère du Tourisme pour solliciter la délivrance au profit d'un ex-combattant d'une autorisation de création d'agence de voyage dans la région d'Agadez. C'est le cas aussi des demandes de port d'armes à feu. Suite à la réunion du Comité de Pilotage des 22 et 23 avril 1998, il fut décidé de permettre aux ex-combattants, selon des conditions pré cises4, de porter des armes à feu.A cet effet, le HCRP a introduit toutes les demandes de port d'arme des candidats auprès du Ministère de l'Intérieur.

Ces différentes interventions du HCRP pour régler certaines difficultés nées de la réinsertion s'expliquent par le fait que les autres institutions ignorent dans leur logique la politique de deux poids deux mesures issue des Accords de Paix. Pour utiliser le langage systémique, on dira que ces institutions sont des entités autoréférentielles (N. Luhmann) qui rejettent toute demande étrangère aux normes du système. Pour le Ministère de la Défense par exemple, le cas d'un ex-combattant sanctionné selon les textes en vigueur dans les FAN n'est pas un problème politique, voire une menace pour le processus de paix. Il s'agit plutôt d'un cas d'indiscipline ordinaire qui

1 Ce sont les termes utilisés par le HCRP dans sa lettre adressée au Chef de l'État à cet effet.

2 MEN, Lettre N°0342/MEN/DESG du 9 mars 2000.

3 Le premier relevant de la Gendarmerie Nationale a écopé de « 60 jours d'arrêt de rigueur et 6 mois de mise en non activité » ; le deuxième est sous-officier des FAN et a écopé « de 60 jours d'arrêt de rigueur suivi d'un an de mise en non activité avec effacement au tableau d'avancement».

4 Il s'agit de « trois autorisations de port d'armes par Front, Mouvement ou ComitéCes autorisations seront délivrées par le Ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire à titre provisoire pour une durée d'une année et concerneront uniquement les armes de poing (PA » in HCRP, Procès-verbal du Comité Technique de la réunion préparatoire du Comité de Pilotage, 6 janvier 1998, p. 5.

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doit être traité conformément aux textes en vigueur. Cette réaction institutionnelle contraste avec la logique du HCRP qui se charge de traduire ces problèmes dans un langage politique, condition indispensable pour leur admission dans l'agenda institutionnel.

Une autre illustration est celle de quatre (4) ex-combattants inscrits à l'Université de Niamey. Ces derniers avaient sollicité l'intervention du HCRP afin de s'inscrire à l'Université de Ouagadougou au Burkina Faso en bénéficiant du statut de réfugiés politiques. Le Haut Commissaire adressa une lettre à la Présidence de la dite Université pour introduire leur candidature. Ces étudiants se plaignaient de l'instabilité qui paralyse les années universitaires à Niamey. Il est bien clair qu'une telle demande serait bloquée par les gate keepers (filtres) du « système » du Ministère de l'Enseignement supérieur.

En général, les rapports entre le HCRP et les autres institutions de l'Etat n'ont pas été influencés outre mesure par l'inégalité consacrée par l'organisation institutionnelle. Même si le HCRP, en tant que prolongement de la Présidence de la République, bénéficie d'une autorité supérieure sur certaines institutions, l'expérience a montré que chaque institution déploie des mécanismes de résistances en faisant valoir les textes qui la régissent. L'analyse des relations de pouvoir entre les ex-combattants confirme aussi la capacité des acteurs à résister aux inégalités induites par les institutions.

Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les ex-combattants

Les institutions consacrent des rapports asymétriques de pouvoir entre les ex-combattants d'une part à travers la primauté des Fronts rebelles sur les Mouvements d'autodéfense (A), et d'autre part à travers la capacité distributive des élites au sein de chacune de ses structures (B).

A. La primauté des Fronts sur les Mouvements

La mise en oeuvre de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs a fait apparaître d'énormes disparités entre les dix sept (17) structures en termes de ressources politiques. Ces disproportions résultent en partie des institutions, c'est-à-dire des normes à partir desquelles les différentes structures armées ont été classées sur un continuum. Ces normes reposent sur le poids des Fronts et Mouvements, lui-même déterminé à partir de la puissance militaire et de l'effectif théorique.

En fait, ces normes dissimulent un autre critère de classification qui aurait donné des résultats différents, s'il avait été pris en compte. Il s'agit de la distinction entre les organisations rebelles, appelées Fronts et les organisations communautaires d'auto défense appelées Mouvements. Du point de vue de l'Etat, les Fronts sont considérés comme les plus dangereux car, en tant que rébellion, ils s'attaquent aux intérêts de l'Etat et défendent des revendications politiques et identitaires qui menacent l'unité nationale et l'intégrité territoriale.

Quand aux Mouvements d'auto défense, ils apparaissent plutôt comme des alliés du pouvoir contre les rébellions, même s'ils lui disputent le monopole de la violence sur son territoire, critère essentiel de l'Etat selon Max Weber. En effet, les Mouvements d'auto défense ont fortement contribué à affaiblir les rébellions armées touarègues et toubous. C'est pourquoi, dès les Accords du 9 octobre 1994, la CRA tenait fermement au désarmement des Comités d'auto

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défense de Tassara dans l'Azawak1. Le désarmement de ces Mouvements fut un des points de discorde entre les parties pendant cette période.

Il faut dire que l'implication de ces Mouvements d'auto défense dans la politique de réinsertion des ex-combattants relève d'un paradoxe car les communautés concernées n'ont jamais pris les armes contre l'Etat. En plus, ces Mouvements n'étaient pas constitués de personnes désoeuvrées et sans perspective à l'image de la majorité des combattants touaregs et toubous. Aussi bien dans les communautés arabes que peulh, les combattants de ces milices étaient des citoyens ordinaires qui vaquaient à des occupations précises. Leur « réinsertion » ne fait donc pas sens.

Dans l'Azawak, l'explication de leur implication réside dans le fait que la rébellion touarègue a fait de leur désarmement une condition essentielle de son propre désarmement. Et ces miliciens ont négocié en retour des prestations de la part de l'État. Ce schéma a été reproduit à l'Est avec les milices arabe et peulh opérant dans cette zone. Mais certains ex-rebelles touaregs contestent énergiquement l'attribution des postes aux milices arabes.

Pour Goumour Ibrahim, Chef du MRLN, « le vrai vol dans tout ce processus, c'est le fait qu'on ait donné des postes aux miliciens Arabes. C'est nous qui avons fait la rébellion, et c'est d'autres qui bénéficient des retombées de notre combat. En fait, le Gouvernement voulait simplement récompenser ses alliés »2. Si dans l'Azawak, les Touaregs et les Arabes se sont réellement affrontés, il n'en est pas de même à l'Est. En effet, selon les rebelles toubous, les Arabes de N'guigmi se sont constitués en une milice fictive avec leur consentement bien après les Accords de Paix, tout juste pour bénéficier des mêmes avantages que leurs frères de l'Azawak.

C'est du moins ce que nous a confié Moustapha Issoufou, Cadre du FDR : «Nous n'avons jamais eu de conflit avec les Arabes de N'guigmi avec lesquels nous avons beaucoup de liens socioculturels. Certains d'entre eux nous ont approché pour nous faire savoir qu'ils voulaient constituer une milice afin de bénéficier des avantages du processus de paix, et nous n'avons pas opposé de résistance. Nous nous sommes affrontés avec les Arabes Mohamides qui sont Tchadiens. Avec les miliciens Peulh, nous nous sommes affrontés, mais de façon très modérée »3.

Le processus de paix était d'abord une affaire entre le Gouvernement et les Fronts rebelles. Mais dans la définition de critères et des modalités de réinsertion, cette suprématie des Fronts sur les Mouvements s'est quelque peu atténuée. Avec l'adoption des critères de détermination des poids des structures basées sur l'armement, on s'est rendu compte que certains Mouvements d'auto défense étaient plus puissants que beaucoup des Fronts rebelles.

En conséquence de quoi, certains de ces Mouvements ont été paradoxalement mieux « servis » que ces Fronts rebelles. A titre d'illustration, deux des Mouvements Arabes de l'Azawak, à savoir le CAD (5,58%) et le CVT (7,76%), étaient militairement plus forts que certains Fronts touaregs comme le FPLN (2,8%), l'ARLN (3,35%), le MRLN (5,45%), le FFL (4,12%) et les FAR/ORA (2,11%). Les Mouvements sont d'autant plus été avantagés par ces normes de répartition que celles-ci donnaient moins de poids aux effectifs des structures (80% armement, 20% effectif).

Le continuum de pouvoir entre structures armées qui crée une inégalité entre celles-ci est donc une conséquence des institutions, des normes retenues pour attribuer les quotas. Mais dans

1 Voir HCRP, Note sur la question de la rébellion armée, mars 1995, p. 4.

2 Entretien à Niamey le 25 septembre 2008.

3 Entretien à Niamey le 2 octobre 2008.

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la mise en oeuvre de la politique de réinsertion, cette asymétrie théorique de pouvoir engendrée par les institutions fut minimisée par l'intervention d'autres variables. Il s'agit des stratégies des acteurs. La réinsertion des Chefs et Cadres a permis à ces derniers d'investir les sphères du pouvoir et, à certains devenus entrepreneurs politiques efficaces, d'accumuler un capital social (P. Bourdieu) considérable.

La réinsertion des élites, étant laissée à l'application du Chef de l'Etat, le degré de proximité avec ce dernier était devenu une ressource valorisée. En plus des Chefs ou Cadres occupant des postes ministériels, quatre (4) Chefs occupent des fonctions politiques à la Présidence de la République1. Mohamed Anacko par exemple, l'actuel Haut Commissaire, était avant sa nomination en 2005 à ce poste, Conseiller à la Présidence avec rang de ministre. Aujourd'hui, à la tête du HCRP, il devient le Chef le plus influent sur la politique de gestion post conflit en général, et la politique de réinsertion des ex-combattants en particulier.

L'impact de ces luttes de positionnement a été de rompre, dans une certaine mesure, les hiérarchies établies par le poids des Fronts et Mouvements. D'ailleurs, depuis quelques années, le HCRP ne travaille plus avec les poids des différentes structures déterminés pour servir de critère de répartition des postes. Pour la réinsertion socio-économique des ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak par exemple, chaque Front ou Mouvement dispose d'un quota de 220 ex-combattants. De même pour la réinsertion des 250 Cadres en 2006, chaque structure était invitée à fournir une liste de 14 ex-combattants.

Cette rupture avec les normes est le résultat des stratégies de certains Chefs qui, s'estimant «lésés» par les institutions, ont toujours plaidé pour un traitement égal dans le partage des avantages. Outre les ressources liées à la position politique qu'ils occupent, le réalisme politique de certains Chefs et Cadres les a conduits à s'engager activement dans les partis politiques. Ainsi, en plus des ressources liées à leur statut d'ancien Chef de guerre, bénéficiant de poste politique à vie, certains ont accru leur capacité d'influence en intégrant le « système » des partis politiques.

Il est bien connu qu'au Niger comme ailleurs en Afrique, selon des lois non écrites, la distribution des postes politiques importants s'est toujours faite sur la base de l'équilibre ethno régional. Tous les Gouvernements tentent d'apparaître comme un échantillon de la nation. Si au temps des régimes autoritaires, ce dosage ethno régional se faisait par pure cooptation, avec l'avènement de la démocratie, il est réalisé à partir des logiques internes aux partis politiques composant la coalition au pouvoir.

A ces deux critères s'est ajouté l'exigence pour tout régime politique de respecter le quota accordé aux représentants de l'ex-Rébellion depuis les Accords de Paix2. De ce point de vue, le cumul de ces trois ressources par un acteur devient une source d'influence potentielle qui peut se traduire en pouvoir réel lorsqu'elle est savamment mobilisée par celui-ci. Parmi les élites de la Rébellion, certains se sont avérés être de vrais entrepreneurs politiques.

1 Il s'agit de Alhadi Alhadji (FPLN), Maazou Boukar (Milice Peulh) et Ali Sidi Adam (FARS) tous les trois Conseillers à la Présidence et de Goumour Ibrahim (MRLN), Chargé de mission à la Présidence. Voir supra tableau N°3, première partie, chapitre 2.

2 C'est du moins ce qu'en pensent les anciens Chefs rebelles touaregs. Si les décideurs politiques respectent ces quotas, c'est moins parce qu'ils les considèrent comme une clause des Accords de paix que pour améliorer la légitimité de leurs partis auprès des ex-combattants et sympathisants de la rébellion. C'est pourquoi d'ailleurs ils tentent d'enrôler les anciens rebelles dans leurs partis afin de les assimiler à la logique partisane.

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On peut citer deux exemples. Celui d'abord de Issa Lamine, Chef du FDR, actuel ministre de la Santé Publique et militant actif de la Convention Démocratique et Sociale (CDS Rahama). Il cumule trois ressources : Chef de la seule rébellion armée de l'est du pays, représentant de cette région et d'un groupe ethnique minoritaire (les Toubous), membre du Bureau Politique National du deuxième parti membre de la coalition au pouvoir.

Il en est de même pour le Chef de l'ORA, Rhissa Ag Boula. Celui-ci avait milité dans le Mouvement National pour la Société de Développement (MNSD Nassara), le parti au pouvoir depuis 1999. Sa présence au Gouvernement sept (7) durant (1997-2004) s'expliquait aussi par ses ressources politiques incontestables : il était assurément le plus charismatique des Chefs rebelles touaregs, il incarnait les intérêts de la région d'Agadez et enfin, défendait les couleurs du parti au pouvoir dans cette même région.

Toutes ces logiques stratégiques des acteurs ont finalement rompu les disparités établies à partir de la puissance militaire des Fronts et Mouvements. Ceci confirme une fois encore, qu'en temps de paix, les rapports de forces au sein et entre les structures armées changent. Ces développements montrent également que les institutions interagissent toujours avec d'autres variables explicatives pour engendrer des résultats politiques. L'analyse des pouvoirs conférés aux élites par les institutions procède de cette même logique.

B. La capacité distributive des élites

La capacité distributive désigne « le contrôle de l'attribution d'emploi, de prébendes ou de privilèges »1. Ce concept traduit parfaitement le pouvoir de médiation dont avaient bénéficié les Chefs et Cadres dans le processus de réinsertion des ex-combattants. Cette capacité distributive apparaît comme une véritable ressource politique pour ces acteurs. Elle a consisté à leur accorder la faculté exclusive d'identifier leurs combattants et d'en transmettre les listes au HCRP dans toutes les étapes de la politique.

C'était à eux qu'il appartenait d'établir la liste nominative de leurs combattants destinés à une prestation quelconque (intégration, réinsertion socio-économique, etc.). L'authenticité de ces listes est ainsi certifiée par la signature du Chef de Front ou de Mouvement. Il s'agit là d'une institution, d'une norme de travail entre le HCRP et les différentes structures armées. Cette loi non écrite a eu pour implication d'établir des rapports de pouvoir asymétriques entre les Chefs et leurs combattants.

En effet, c'est grace à cette capacité distributive que les élites ont pu se constituer une clientèle. Ils ont ainsi intégré beaucoup de personnes totalement étrangères à la rébellion ou, en tout cas, ne répondant à aucune acceptation de la notion de combattant2. A ce stade de la politique, les ressources politiques des combattants au sens actif du terme qui reposaient sur les capacités militaires s'étaient vues supplantées par d'autres ressources qui reposent sur le degré de parenté avec le Chef de Front ou Mouvement et/ou sur le niveau d'instruction. Ce changement

1 Op cit, p. 59.

2 Beaucoup d'ex-combattants font valoir que le combattant n'est pas seulement celui qui se bat sur le terrain, la notion recouvre tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, ont contribué à la défense de la cause touarègue. Il peut s'agir par exemple des agents de renseignements, des bailleurs de fonds, des rédacteurs de tracts etc.

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de rapport de forces internes à ces structures rend compte de la nature dynamique du phénomène du pouvoir.1

Comme le constate Frédéric Deycard, «pour les chefs de front, les nominations sont vite devenues un moyen d'asseoir leur pouvoir sur leurs tribus et sur leurs hommes. Le processus d'intégration leur a en effet donné un rôle central, puisqu'ils sont chargés de l'élaboration des listes des noms. Ces listes sont rapidement devenues l'enjeu des négociations au sein des tribus et entre fronts, chacun jouant de son influence pour négocier l'ajout d'un nom et le faire valider auprès des instances en charge de l'organisation de l'intégration.»2.

Mais outre la souplesse de la notion de combattant, d'autres facteurs ont expliqué l'attribution des postes à des non-combattants. D'abord, au regard des modalités de détermination des quotas, certaines structures ont pu acquérir plus de quotas qu'ils n'ont de combattants, particulièrement grâce à la puissance de leur armement. Ces places vacantes ont été ainsi attribuées et même vendues à des non-combattants selon plusieurs témoignages.

Une autre explication de ce phénomène réside dans le fait que certaines structures n'avaient pas dans leurs rangs des éléments instruits capables d'occuper certains postes à elles attribués (officiers, fonction publique, université, etc.). Les Chefs ont alors fait appel, en toute indépendance, à d'autres nigériens ressortissants ou non de leur région. En outre, il faut souligner que beaucoup de combattants sont rentrés en Libye après les Accords de Paix. C'est le cas des combattants des FARS, le Front le plus puissant dont environ 70% des combattants sont rentrés en Libye. Ces départs, ou du moins ces retours s'expliquent par des logiques à la fois utilitaires et axiologiques.

La logique utilitaire procède d'une rationalité en finalité8 car, établis en Libye depuis des années et bénéficiant d'une situation matérielle meilleure dans ce pays, ces combattants ne pouvaient accepter l'offre de l'Etat qu'ils estimaient dérisoire. La logique axiologique se rapporte à une rationalité en valeur qui résulte d'une forte intégration de l'individu dans sa communauté. Pour beaucoup, la lutte armée n'était pas un acte intéressé, elle s'inscrit plutôt dans l'accomplissement d'un rôle sociologique.

Bref, tous ces facteurs ont accru la capacité distributive des Chefs qui ont eu les mains libres pour déterminer leurs « combattants » et faire de bons « investissements » selon le mot d'un responsable de la Milice Peulh. La conséquence de cette gestion patrimoniale a été également d'exclure certains combattants au sens strict du terme. En effet, il y a eu certains combattants qui ont eu maille à partir avec leur «hiérarchie» ou «Etat-major» et ont été ainsi exclus du processus par les Chefs. Ces derniers ont la capacité de modifier à tout moment les listes qu'ils transmettent au HCRP. Ce sont les Chefs qui définissent le combattant. Et pendant tout le processus, ils ont fait et défait les combattants au gré de leurs humeurs et de leurs intérêts4. C'est ainsi qu'en 2006,

1 Ce phénomène est aussi réel dans le champ des relations internationales où comme le soutient P. de Senerclens, « la puissance se comptabilise alors en termes de divisions, de chars, d'avions, d'artillerie, mais aussi de stratégies, de ressources économiques, de logistique, de commandement et de géographie. En temps de paix, lorsque les risques d'un engagement militaire, lorsque le recours à la guerre n'est plus d'actualité, ces facteurs de puissances peuvent devenir d'un faible apport», in P. de Senerclens, La politique internationale, Paris, Arman Colin (compact), 11è édition, 2002, p. 32.

2 F. Deycard, « Le Niger entre deux feux. La nouvelle rébellion du MNJ face à Niamey » in Politique africaine, n°108, décembre 2007, p. 134.

3 La distinction entre rationalité en finalité et rationalité en valeur est de Max Weber. Voir R. Boudon et F. Bourricaud, Dictionnaire critique de sociologie, Paris, PUF, 2004, pp.471-488.

4 Certains ex-combattants en brouille avec leurs Chefs et exclus du processus par ces derniers étaient obligés de prendre contact directement avec les agents du HCRP à Niamey. Pour justifier leur qualité de combattant, ils

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lorsque la réunion des Chefs et Cadres du 15 juin 2006 décida de remplacer les emplois promis à 300 ex-combattants dans les Sociétés d'Etat par des pécules (1 500 000 F CFA chacun), les listes ont automatiquement changé. En fait, ces ex-combattants devaient bénéficier des emplois subalternes dans les Sociétés d'Etat (gardiens, planton, etc.), ce qui était peu attrayant. La promesse de l'argent frais aiguisa les appétits, les Chefs firent ainsi bénéficier à leurs proches les pécules au détriment des vrais combattants qui attendaient ces prestations depuis dix (10) ans.

D'ailleurs, la décision d'octroyer des pécules en lieu et place des emplois a été fortement influencée par les Chefs de Fronts et de Mouvements. L'approche du HCRP a consisté dans un premier temps à concevoir un programme de réinsertion socio-économique au profit de ces ex-combattants1 ; programme qui n'a pu être exécuté, faute de financement. Ensuite, le HCRP a cherché des opportunités d'emplois pour ces ex-combattants dans les sociétés exploitant les ressources minières dans le Nord à l'exemple de Areva. Des démarches auprès de cette société avaient même été engagées à cet effet par le Haut Commissaire.

Cette institution qui donne carte blanche aux Chefs fut également appliquée dans le traitement des problèmes de révocations d'ex-combattants au sein des FNIS. Lorsqu'il fut décidé de réintégrer, si possible, les ex-combattants « révoqués pourfautes mineures», c'était aux Chefs qu'il fut demandé de transmettre les listes de leurs éléments. Dans la correspondance que le HCRP adressa aux Fronts et Mouvements en 2006, on pouvait lire : « ... vous voudrez bien me faire parvenir pour examen la liste des éléments des USS révoqués dont vous estimez que la réintégration est souhaitable2 avec les motifs et dates des actes ».

En termes clairs, le Chef a la possibilité d'exclure, selon ses humeurs, certains des éléments de sa structure concernés par la révocation. Il peut ainsi faire réintégrer celui qui est coupable de la pire des fautes et refuser celui qui en a commis la plus légère. Dans le fond, cette norme de travail donne une partie de l'explication de la résurgence de la rébellion depuis début 2007 avec l'avènement du MNJ. L'émergence de cette nouvelle rébellion a été précipitée par les conflits internes au FLAA qui était divisé en deux parties rivales : le clan de Rhissa Ag Boula, Chef de Front et celui des Frères Alambo (Boubacar et Aghali3).

Ce dernier clan s'estimait marginalisé dans la réinsertion, arguant que Rhissa Ag Boula se taillait la part belle sans que l'Etat n'intervienne pour l'en empêcher. La faction Alambo fut, en effet, exclue dans le traitement des 300 ex-combattants initialement destinés aux Sociétés d'Etat (soit 25 500 000 F par structure) et également pour la réinsertion socio-économique dans l'Aïr et l'Azawak où le FLAA avait un quota de 220 places.

En signe de protestation, les Alambo adressèrent une lettre au HCRP signé par 146 ex-combattants (n'est ce pas l'embryon du MNJ ?) demandant à l'Etat de prendre des dispositions pour arrêter la gestion patrimoniale de leur Front par Rhissa Ag Boula. Les tentatives de

présentent souvent les armes ou tout autre matériel de guerre qu'ils détiennent (radio de transmission par exemple) et tentent de les échanger contre une prestation quelconque du HCRP.

1 Voir HCRP, Programme de réinsertion socio-économique de trois cent (300) ex-combattants initialement prévus dans les Sociétés et les Projets de Développement, février 2006.

2 Souligné par nous.

3 Aghali Alambo est le chef du MNJ. Son frère Boubacar a trouvé la mort dans l'attaque la plus sanglante qu'ils ont menée contre les FAN le 22 juin 2007 à Tizerzet.

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médiation du Haut Commissaire ne donnèrent aucun résultat1. Aghali Alambo finit par rejoindre son frère qui avait déjà pris le maquis. Ainsi, la rupture entre les deux factions rivales du FLAA fut la goûte d'eau qui fit déborder le vase. L'explication de ce conflit interne réside fondamentalement dans l'institution qui donne au Chef de Front le pouvoir discrétionnaire de partager seul le « gâteau ».

Mais pourquoi l'Etat, à travers le HCRP, n'a-t-il pas tenté de pénétrer ces Fronts et Mouvements afin de traiter directement avec les combattants ? Pour le Colonel Laouel Chékou Koré, ancien Haut Commissaire, « il était pratiquement impossible de connaître ni le nombre, ni l'identité des combattants sans la médiation des Chefs »2. En plus, selon cet officier, l'Etat a dû fermer les yeux sur les logiques internes aux Fronts afin de créer un cadre apaisé pour le processus de paix.

Les institutions, en rendant certaines options possibles et d'autres impossibles ou difficiles, structurent les choix et les comportements des acteurs. Les comportements de type clientéliste des Chefs rebelles témoignent éloquemment de la pertinence de cette hypothèse. De même, les institutions, en limitant les options et marges de manoeuvre de la faction Alambo ont conduit celle-ci à recourir aux armes. Selon certaines sources, Aghali Alambo aurait même tenté vainement de rencontrer le Chef de l'Etat sur cette question.

Les institutions donnent aux acteurs l'information fiable qui autorise le calcul rationnel. Le Chef de Front a l'intime conviction que seule sa signature fait autorité au HCRP, il peut ainsi faire fi des réactions de ses rivaux. Les Alambo avaient, en effet, transmis une liste pour les dix sept (17) ex-combattants devant bénéficier des pécules, contre la liste « officielle » transmise par le Chef de Front. C'était finalement celle-ci qui fut admise. D'ailleurs, Rhissa Ag Boula, contrairement à son habitude, se déplaça en personne au HCRP pour rappeler que le FLAA n'a qu'un seul Chef...

1 Une des pistes envisagée était de proposer à Aghali Alambo, qui fut sous-préfet de Tchirozérine suite aux Accords de Paix, un poste politique comme Conseiller à la Primature. Quand à son frère Boubacar accusé d'être responsable de la mort d'éléments des FDS, le HCRP envisageait de lui faire accorder une amnistie.

2 Entretien à Niamey, 26 mars 2008.

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CHAPITRE II : POLITIQUE DE REINSERTION ET PHENOMENES DE PATH DEPENDENCE

Outre la structuration des stratégies des acteurs, les institutions engagent la dynamique de leur permanence par des phénomènes de reproduction. La réinsertion des ex-combattants permet de tester cette hypothèse de l'institutionnalisme historique en mettant en exergue le processus de reproduction des institutions (Section 1) et l'impact de cette dynamique d'institutionnalisation (section 2).

Section 1 : La cristallisation de la logique reproductrice

La reproduction des institutions de gestion post conflit peut être appréhendée à travers la contrainte institutionnelle qu'elles incarnent (Paragraphe 1) et les mécanismes de résistances qu'elles déploient face à un environnement politique hostile (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le HCRP comme contrainte institutionnelle

L'analyse montre que si la politique de réinsertion a engagé le processus de sa reproduction telle qu'elle apparaît dans la dynamique d'auto renforcement du HCRP (A), certains éléments indiquent des changements de choix politiques de la part du Gouvernement (B).

A. La dynamique d'auto renforcement

Dans l'explication des dynamiques de reproduction institutionnelle, les auteurs néo-institutionnalistes s'appuient sur la notion de « dépendance au sentier» ou path dépendence1. La dynamique d'auto renforcement désigne le processus par lequel le HCRP et la politique de discrimination positive qu'il conduit deviennent des contraintes pour les pouvoirs publics, à telle enseigne que leur suppression brutale s'avère difficile.

En effet, sans être impossible, une rupture brutale est extrêmement coûteuse politiquement. L'institutionnalisme historique soutient que « lorsqu'un point tournant lance une société dans une voie institutionnelle, tout changement subséquent sera balisé par le contexte institutionnel ainsi formé »2. A la suite des travaux de P. Pierson, nous retenons deux processus politiques qui concourent à rendre toute option de rupture coûteuse : le processus d'action collective et les processus cognitifs d'interprétation et de légitimation des enjeux de la vie politique3.

Le premier processus rend compte de la place centrale de l'action collective dans la vie politique et de la capacité de résistance des groupes sociaux lorsque leurs intérêts sont menacés. Cette posture nous permet d'appréhender les stratégies des ex-combattants pour sauvegarder

1 Cette notion est susceptible de deux acceptations. Une acceptation large qui met l'accent sur l'importance de la continuité historique dans l'explication des situations politiques présentes et une conception étroite et plus précise que traduit l'expression «increasing returns » (avantages croissants) en science économique. Cf Paul Pierson, « Increasing return, path dependence and the study of politics » in American Political Science Review, vol 94, n°2, juin 2000, p. 251.

2 André Lecours, op cit, p. 13.

3 Voir à cet effet, Bruno Palier et Guiliano Bonoli, «Phénomènes de path dependence et réformes des systèmes de protection sociale », Revue Française de Science Politique, vol 49, n°3, 1999, p.400

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leurs intérêts issus de la gestion post conflit. Ces derniers s'organisent en groupes de pressions puissants, prompts à faire échec à toute éventuelle remise en cause de ces acquis sociaux conquis de haute lutte1.

La politique de réinsertion a permis à certains ex-combattants d'occuper des positions stratégiques dans les sphères de l'Etat et même de l'économie. En même temps, en leur conférant une capacité distributive importante, les institutions ont accru leur pouvoir d'influence et ainsi créé les conditions de la constitution d'un réseau clientéliste. Cette politique de l'Etat a paradoxalement favorisé l'émergence d'une communauté d'intérêts soudée entre des acteurs qui se combattaient (conflits entre Fronts et Mouvements) ou étaient divisés sur des questions de leadership (conflits au sein des structures).

Bref, la réinsertion a favorisé la formation d'un groupe de pression des ex-combattants en même temps qu'une policy community que celui-ci constitue avec les cadres du HCRP. La « force de frappe » des ex-combattants s'explique aussi bien par l'usage de leurs ressources politiques que par les opportunités offertes par les institutions. Bénéficiant de positions stratégiques dans l'appareil d'Etat, les ex-combattants ont également tiré profit d'un cadre institutionnel favorable. Au niveau interne, il faut souligner que, malgré la dissolution officielle des Fronts et Mouvements depuis 2000, ces structures continuent d'exister de façon informelle. Bien que très peu institutionnalisés et officiellement désarmés, ces structures disposent encore d'une organisation stable avec une direction, des ressources et des objectifs...

Mais l'action collective des ex-combattants ne se traduit pas par des manifestations ou déclarations publiques. Au contraire, elle se manifeste par des actions discrètes de lobbying par le truchement du HCRP. Ainsi, par leur promptitude à s'organiser, les ex-combattants ont réussi à préserver l'essentiel des acquis obtenus à la faveur de la réinsertion. C'est ainsi que les quotas obtenus au sein des différents corps de l'Etat ont pu être préservés par les actions de la policy community ainsi créée.

Dans le traitement des révoqués des FNIS, les ex-combattants ont obtenu le respect des quotas alloués à l'ex-Résistance au sein de ce corps à travers les remplacements des éléments révoqués ou ceux ayant déserté. Cette décision est une clause expresse des Accords de Paix2. Il en est de même pour les autres corps militaires et para militaires où chaque vacance de poste provoque automatiquement une réaction des ex-combattants qui proposent un remplacement. Ces actions de lobbying des ex-combattants se traduisent par des rencontres périodiques des acteurs au HCRP en vue d'évaluer le processus de paix et formuler des revendications à l'intention des pouvoirs publics.

En 2006, grâce aux pressions des ex-combattants, la question des Cadres des ex-Fronts et Mouvements a été réactivée et a donné lieu à des décisions concrètes. Cette vigilance des ex-combattants sur la politique de réinsertion explique en partie la permanence du HCRP en tant qu'institution de gestion post conflit, malgré qu'il soit considéré (à tort) par beaucoup d'acteurs

1 Dans son ouvrage Dismantling the welfare State ? Reagan,Thatcher and the politics of retrenchment (Cambridge, Cambridge University Press, 1994), Paul Pierson montre comment les acquis sociaux de l'Etat-Providence ont survécu aux politiques néo-libérales. Dans une perspective similaire, Theda Skocpol a analysé l'origine et le maintien des politiques sociales aux Etats-Unis dans son Protecting Soldiers and Mothers: The political origins of social policy in the United States (Cambridge, Belknap Press, 1992).

2 Elle est contenue précisément dans un relevé de conclusion. Voir HCRP, Le Relevé de Conclusions de la Réunion des 4 et 5 mai 2000 relatif aux intégrations, au désarmement et à la réinsertion des ex-combattants (mai 2000), page 2.

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comme un organe ad hoc, le Chef de l'Etat y compris1. La gestion de la nouvelle rébellion du MNJ a donné l'occasion pour les ex-combattants de réactiver certaines de leurs demandes en souffrance depuis des années.

Cet activisme des ex-combattants contribue beaucoup à dissuader toute tentative de changement de cap de la part de l'Etat. Ceci est d'autant plus réel que la politique de discrimination positive en faveur des ex-combattants, en tant qu'acquis important pour ces derniers, a été fortement intériorisée et banalisée par une partie de la population, ainsi que le soutient Soumana Souley : « Pour procéder aux intégrations, il a fallu faire des entorses à plusieurs lois et règlements. Ilfaut relever que cette discrimination dite positive a été bien acceptée par les Nigériens en général qui ont su accompagner le processus de paix de leur adhésion sans faille même dans les travers de la discrimination positive »2.

Par ailleurs, comme le montre P. Pierson, pour rompre avec une politique ou institution établie, « les gouvernements doivent d'abord chercher à changer les points de vue avant de changer de politique publique ou d'institution de protection sociale »3. Il s'agit de la dimension cognitive de la dynamique d'institutionnalisation des politiques sociales. Au Niger, comme souligné, la réinsertion des ex-combattants a soulevé à ses débuts de sentiments de rejet de la part des citoyens, mais ceux-ci s'en sont accommodés avec le temps, en partie grâce au discours conciliateur des autorités qui assimilent la réinsertion à la réconciliation nationale. Pour les ex-combattants, cette politique est perçue comme légitime parce qu'elle corrigeait une « injustice ».

En outre, dans leur compréhension des Accords de Paix, les ex-combattants considèrent la réinsertion comme un processus continu. En d'autres termes, les problèmes nés de la réinsertion ne sont pas susceptibles de traitement par les institutions normales, mais devront être traités comme une composante du processus de paix. A titre d'exemple, le problème d'un ex-combattant touareg intégré dans la Fonction Publique ne doit pas être traité conformément au Statut Général de la Fonction Publique, mais doit faire l'objet d'un « traitement politique ».

La tendance à la politisation des questions sociales s'observe aussi dans le traitement de certaines affaires judiciaires dans lesquelles se trouvent impliqués des ex-combattants4. Cette lecture des Accords de Paix n'est pas partagée par les acteurs étatiques et témoigne des divergences d'interprétation des Accords entre les parties. D'ailleurs, dans le but de circonscrire autant que faire se peut ces Accords extrêmement vastes et vagues, le HCRP les a réduits à quatre piliers5.

En réalité, une lecture attentive des Accords montre que ces quatre politiques ne sont que les conditions du désarmement (art 13 Accord du 24 avril) ; beaucoup d'autres engagements de l'Etat sont occultés par cette simplification. La conséquence, c'est que les ex-combattants ont la possibilité à chaque moment, au gré de leurs intérêts, de « puiser » dans les Accords pour

1 Le président Mamadou Tandja désignait le HCRP comme un organe de mission dans son Discours à la Nation du 23 avril 2008.

2 Soumana Souley, Le processus de paix au Niger (document non daté), p. 6.

3 Bruno Palier, Guiliano Bonoli, op cit, p. 401

4 Il en est ainsi par exemple de l'affaire Rhissa Ag Boula arrêté en 2004 pour une affaire de meurtre. Son arrestation fut politisée par ses partisans qui ont repris les armes pour exiger sa libération. Voir infra, chapitre 2, section 2, paragraphe 2 (point B, le recours à la violence).

5 Il s'agit, rappelons-le, de la décentralisation, de la réinsertion des ex-combattants, du développement et de la sécurité des zones touchées par le conflit.

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légitimer une reprise des hostilités ou simplement formuler d'autres demandes. Les discours et pratiques du MNJ procèdent de cette logique.

De l'avis de Soumana Souley, «Les Accords de Paix sont extrêmes vastes, il est impossible de les appliquer à la lettre. C'est pourquoi, nous les avons limités à quatre piliers essentiels qui en représentent la substance. C'est pour éviter de tomber dans un cercle vicieux qu'il nous parait nécessaire de répéter à chaque occasion que la réinsertion socio-économique dans l'Aïr et l'A atvak consacre la~in du processus de paix»1.

Bref, ces développements révèlent la difficulté pour le Gouvernement de délégitimer aux yeux des ex-combattants une politique qu'ils interprètent d'abord différemment et surtout qu'ils ont fortement intériorisée. Le même investissement idéologique qui a été réalisé par le Gouvernement pour légitimer la discrimination positive aux yeux des citoyens doit être déployé pour cette fois-ci déconstruire et délégitimer cette pratique aux yeux des bénéficiaires. Depuis quelques années déjà, la réinsertion des ex-combattants a été dépolitisée, elle a intégré la sphère de l'administration2. C'est donc sur une question taboue que le Gouvernement est appelé à provoquer un débat.

En fait, les autorités politiques ne peuvent s'aventurer à introduire cette controverse dans le débat public au risque de se compromettre. Une publicisation de ces débats révélerait les divergences d'interprétation des Accords entre les parties, mettrait aussi à nu les abus auxquels la réinsertion a donné lieu en même temps qu'elle donnerait aux ex-combattants l'opportunité de réactiver les clauses non satisfaites des Accords. Toutes ces contraintes traduisent des effets d'auto renforcement qui élèvent le coût d'une action radicale de l'État pour mettre fin à cette politique dont le HCRP est devenu le symbole.

Il est clair que toute velléité de suppression du HCRP sera interprétée par les ex-combattants comme une déclaration de guerre. Une telle hypothèse est très peu envisageable du fait de la vigilance des ex-combattants. L'hypothèse d'un débat public pour déconstruire la réalité et imposer une nouvelle grille de lecture n'est pas pour autant praticable, vu ses implications politiques dangereuses.

Ces contraintes maintiennent la politique dans une situation de policy lock in. Mais au regard de certaines mesures initiées par le président Mamadou Tandja, cette conclusion mérite d'être relativisée.

B. Le changement des choix politiques

Les développements précédents suggèrent bien que la gestion post conflit est devenue un véritable secteur d'action publique tel que le conçoit l'analyse des politiques publiques3. Si la politique de réinsertion et le cadre institutionnel de sa mise en oeuvre apparaissent comme des contraintes, il n'en demeure pas moins que l'Etat déploie des stratégies de rupture qui indiquent

1 Entretien à Niamey, avril 2006.

2 Par exemple, interpellés sur le recrutement sans concours des ex-combattants, le réflexe de tous les ministres de la Fonction Publique depuis 2000 a été de répondre qu'il s'agit d'une clause des Accords de Paix, ils ne font qu'appliquer la « loi ». C'est donc une question purement administrative qui n'est pas sujette à discussion.

3 Pierre Muller distingue trois dimensions constitutives d'un secteur de politiques publiques : l'existence d'acteurs exprimant des intérêts spécifiques (les ex-combattants), l'émergence d'un cadre institutionnel (le HCRP) et la dimension cognitive qui exprime la vision des acteurs (les perceptions des ex-combattants). Cf Pierre Muller, « Secteur » in Laurie Boussaguet et al, op cit, pp. 407-414.

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une volonté de changement. L'explication de ce changement de cap déborde les limites de la présente étude.

On retiendra simplement qu'il s'inscrit dans une vaste politique de diversification des partenaires stratégiques engagée par le président Mamadou Tandja dont les enjeux sont liés à l'exploitation des ressources minières. Cette politique de rupture se traduit notamment par l'abolition du quasi-monopole français en la matière et une plus grande implication de nouveaux partenaires dont la Chine prin cipalement1. Une telle politique exige donc de la fermeté vis-à-vis des dissidents Touaregs accusés d'être instrumentalisés par la France et la Libye2.

Deux indicateurs principaux et intimement imbriqués permettent d'accréditer l'hypothèse de changement de la politique de réinsertion. Il s'agit d'abord de la tendance à la marginalisation du HCRP qui procède d'un choix politique de rupture avec les options antérieures en matière de gestion post conflit. Ce changement de cap politique se traduit ensuite dans le choix de l'option militaire face à la rébellion du MNJ.

A travers la destruction graduelle du HCRP, la logique de perpétuation des acquis de la discrimination positive autour desquels se sont cristallisés les intérêts des ex-combattants se trouve ainsi menacée. La marginalisation du HCRP se mesure par une lecture simpliste et réductrice de ses attributions, et par l'affaiblissement de sa capacité institutionnelle. Réduite à un rôle d'institution de mission, le HCRP est de facto dessaisi de certaines de ses autres attributions que sont, entre autres, la recherche et la consolidation de l'unité nationale, le raffermissement de la paix sociale etc.

Les réactions du HCRP pour rentrer dans la plénitude de ses attributions se sont souvent heurtées à des résistances diffuses mais farouches3. Déjà en 1995, les cadres du HCRP ont vainement tenté de faire intervenir l'institution dans la gestion du conflit institutionnel et politique né de la Cohabitation ; ce qui aurait certainement modifié la perception de l'opinion publique sur les missions du HCRP. De par son rattachement à la Présidence de la République, le HCRP ne pouvait être perçu comme une institution neutre et au dessus des considérations partisanes.

Cette perception du HCRP comme la main du Chef de l'Etat résulte de son rôle dans le règlement de la rébellion armée où cet organe a été contesté au début par les rebelles touaregs. Ces derniers ont en effet considéré le HCRP comme une institution partisane incapable de se placer au dessus de la mêlée. Soumana Souley en témoigne : « Cet état d'esprit s'est installé et cristallisé; ainsi transposé aux crises politiques qui ont défrayé la chronique en 1995-1996 pendant la cohabitation, il est évident que le Haut Commissariat ne pouvait pas dès lors se déployer sur le terrain de la gestion

1 La Chine a lancé le 27 octobre 2008 la construction d'une raffinerie de pétrole à Zinder qui aura une capacité de 20 000 barils/jour. Le bloc d'Agadem d'où la raffinerie sera alimentée dispose d'une réserve estimée à 328 millions de barils et 10 milliards de m3 de gaz. Cf Le republicain n°849 du 30 octobre au 5 novembre 2008, p. 9.

2 En 2007, le président Mamadou Tandja a accusé le Libye et Areva d'être derrière la rébellion du MNJ. Le DG de Areva Niger et son Attaché en Sécurité furent expulsés du territoire nigérien en juillet 2007. Les rapports avec Areva se sont depuis normalisés avec la reconduction du partenariat minier entre les deux parties le 13 janvier 2009 qui s'est traduit par une revalorisation du prix de l'uranium.

3 A titre d'exemple, en 2007 le ministère de l'Intérieur n'a pas apprécié l'implication du HCRP dans le règlement du problème d'insécurité au nord Tillabéri qu'il estime comme relevant de ses seules attributions. Il l'a fait savoir dans une lettre adressée au HCRP. Ce conflit meurtrier oppose les éleveurs peulhs du Niger aux touaregs maliens le long de la frontière commune. Le Ministère de la Défense Nationale, pour sa part, boycottait les réunions tenues sur cette question au HCRP.

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des tensions politiques alors même que l'article premier de son décret de création lui ouvrait ce terrain de par la consolidation de l'unité nationale et de l'a~~ermissement de la paix sociale »1.

Aussi, plusieurs autres mécanismes de gestion des conflits sont nés avec le temps selon les domaines. C'est ainsi qu'un Conseil National de Dialogue Politique a été institué en 2004 pour le règlement des conflits à caractère politique. C'est également le cas de la Commission Nationale du Dialogue Social pour la gestion des conflits entre l'Etat et les partenaires sociaux, du Secrétariat Permanent du Code Rural pour les conflits agriculteurs/éleveurs etc. Toutes ces institutions occupent aujourd'hui des terrains dans lesquels le HCRP ne peut intervenir.

La politique de rupture se laisse voir depuis quelques années à travers l'affaiblissement de la capacité institutionnelle du HCRP. Cette institution a vu ses moyens d'actions en termes de ressources humaines, matérielles et financières, s'amenuiser d'année en année, à telle enseigne que l'institution n'est plus en mesure aujourd'hui d'assumer pleinement sa mission.

D'abord, cette politique a consisté en la suppression de certains postes comme l'Attaché militaire, l'Attaché de Presse, la Cellule d'Appui, etc. En plus, les vacances de postes ne donnent pas lieu à des remplacements, histoire d'étouffer l'institution par extinction. C'est ainsi que le poste de Directeur des Affaires Juridiques et Politiques (DAPJ), malgré sa place stratégique dans le dispositif institutionnel, est resté vacant pendant cinq (5) ans (2002-2007). Le poste de Conseiller Technique du HCRP est également resté vacant toute l'année 2007, l'année de naissance du MNJ...

Depuis sa création, certains de ses mécanismes n'ont jamais été mis en place, comme par exemple, la Commission de Restauration de la Paix et de la Consolidation de l'Unité Nationale. Cette commission est placée sous la présidence du Haut Commissaire et est composée au terme de l'article 7 de l'arrêté n°005/PRN du 24 février 1994 « de personnalités représentatives de la société civile issues de toutes les régions du pays ». Elle était censée assister le HCRP dans sa mission à travers un modèle participatif.

Aussi, dans les dispositions déterminant l'organisation interne du HCRP, notamment en ce qui concerne les Attributions des Départements des Affaires Juridiques et Politiques (DAPJ) et des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C), il est prévu certains services techniques comme celui des Affaires Politiques, des Affaires Sociales censés renforcer la capacité institutionnelle de l'Institution, mais ces services n'ont jamais existé dans la réalité2.

Toutes les tentatives de l'institution pour s'adapter à son environnement et améliorer la qualité de son travail se sont heurtées à des rejets complets. Depuis quelques années déjà, le HCRP a soumis au Secrétariat Général du Gouvernement un ambitieux projet de réforme institutionnelle qui prévoit, entre autres, des postes de Chargés de Missions dans les zones sensibles, un Service de la Documentation, un Chargé des Relations Publiques3.

Cet input n'a donné lieu à ce jour à aucune réponse malgré l'insistance du Haut Commissaire en 2006 et 2007. Il s'agissait dans ces réformes de corriger certaines incohérences juridiques et administratives. Comme on l'a noté, il existe des services existant dans les textes,

1 Soumana Souley, Le processus de paix au Niger, op cit, p. 3.

2 Il en est ainsi du Service des Etudes et de la Documentation prévu dans l'Arrêté N°005/PRN du 24 février 1994 portant organisation et fonctionnement du HCRP en son article 3.

3 HCRP, Rapport de présentation du projet de décret portant organisation du HCRP et du projet d'arrêté~ixant les avantages à allouer à certains agents du HCRP, 2007.

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mais qui n'ont jamais vu le jour et des services ayant une existence de facto, c'est-à-dire existant dans la réalité sans être prévus par les textes1.

D'autres incohérences ont trait aux textes. Par exemple, le décret n°94/105/PRN du 22 juin 1994 fixant les avantages alloués à certains responsables du HCRP cite le décret n°93/160/PRN du 12 novembre 1993 portant création d'une Commission de Restauration de la Paix (CRP), alors même que ce dernier décret a été expressément abrogé par le décret n°94/007 du 14 janvier 1994 portant création du HCRP en son article 7.

La politique d'extinction du HCRP s'apprécie aussi éloquemment à travers la baisse drastique de son budget. Le budget de l'institution est passé de 40 millions en 2005 à 25 millions en 2006 alors que même le HCRP budgétisait ses activités en 20062 à 326 millions, soit un écart de 301 millions ! Un indicateur aussi éloquent de la rupture d'option entre le Chef de l'Etat et le HCRP est l'écart profond entre le projet de discours que l'institution propose à l'occasion de la Fête de la Concorde et le discours final lu par le Chef de l'Etat.3 De plus en plus, en effet, le projet de discours du HCRP est vidé de sa substance à la Présidence de la République en ce qui concerne l'appréciation du HCRP sur le processus de paix.

Autre preuve du désintérêt de la Présidence envers le HCRP : en janvier 2008, le personnel de l'institution a même failli être oublié par le protocole de la Présidence pour la présentation des voeux de nouvel an au Chef de l'État. Cette politique hostile de l'Etat vis-à-vis du HCRP n'est que le reflet de la nouvelle conception de la politique de réinsertion des ex-combattants des autorités politiques.

Au-delà de la lecture réductrice des attributions de l'institution, cette attitude procède d'une logique de rupture in crémentale, de changement de cap dans la conduite de la réinsertion dont la terminaison brutale s'avère impossible. Ceci permet de nuancer l'effet de la path dépendance en matière de possibilité de changement. Bruno Palier et Giuliano Bonoli attirent l'attention sur le fait que des changements fondamentaux peuvent être induits, même « derrière une stabilité de surface »4. Autrement dit, les élites politiques ne sont pas toujours prisonnières des choix antérieurs.

Depuis 2007, avec la gestion de la nouvelle rébellion du MNJ, la politique de rupture s'est radicalisée. Le Chef de l'Etat a rejeté un plan de négociation soumis par le HCRP en 2007 et opté en faveur de l'option militaire. Le gouvernement nigérien refuse toujours la qualité de rébellion au MNJ. En plus, dans les tentatives de négociation et de dialogue tacites avec les rebelles, le Gouvernement a carrément écarté le HCRP au profit des personnalités dites personnes ressources (députés de la région d'Agadez, chefs traditionnels, etc.).

Cette politique de path shifting s'observe également dans le traitement des combattants du MNJ ayant accepté de déposer les armes. Contrairement au processus antérieurs de réinsertion, ces derniers sont directement reçus à la Présidence de la République où ils bénéficient de sommes d'argent en échange de leur « acte patriotique ». La volonté politique est claire, il s'agit d'éviter les

1 Il en est ainsi du Service Financier du HCRP qui n'a aucune existence juridique.

2 HCRP, Planning d'activités du HCRP 2006, décembre 2005

3 Chaque année, c'est le HCRP qui propose au Chef de l'Etat le discours du 24 avril.

4 Bruno Palier, Guiliano Bonoli, op cit, p.408. Voir également sur les limites de la path dependence, Dénis Saint Martin, «Apprentissage social et changement institutionnel : la politique de `l'investissement dans l'enfance' au Canada et en Grande Bretagne » in Politique et Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 41-67.

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« erreurs du passé »1 en refusant toute perspective de signature d'un accord additionnel. Ainsi, la réinsertion des ex-combattants du MNJ par le HCRP risquerait d'être un cercle vicieux, d'autant plus qu'il existe le risque de dissension au sein du cette rébellion ; ce qui conduirait éventuellement à la reprise des hostilités par des factions dissidentes et la conclusion de protocoles d'accords interminables2. Bref, le même scénario des années 90 risquerait de se répéter.

Le HCRP est soupçonné de vouloir maintenir le cercle vicieux autour de la gestion post conflit. D'ailleurs, la signature en Libye d'un protocole d'accord avec le MNJ est la troisième étape du plan de négociation que le HCRP a soumis au président Tandja. Le refus du Gouvernement de négocier peut donc être interprété comme une volonté politique de tourner la page. Le Gouvernement nigérien a ainsi depuis 2007 engagé une nouvelle dynamique en matière de gestion du problème touareg en général censée dépasser le cercle vicieux créé par l'expérience antérieure.

Le HCRP, institution perçue comme le principal « reproducteur » de cette politique de réinsertion, ne peut que faire les frais de cette nouvelle option politique. Mais l'institution ne reste pas inactive, elle déploie des résistances farouches pour survivre dans cet environnement hostile.

Paragraphe 2 : Les mécanismes de résistance de l'institution

Le cadre institutionnel de la gestion post conflit et la politique de réinsertion qu'il conduit résistent à la politique de rupture de l'État non seulement par les stratégies de survie du HCRP (A), mais aussi par l'engagement des ex-combattants eux-mêmes à défendre les acquis de la gestion post conflit (B).

A. Les stratégies de survie du HCRP

Depuis sa création, le HCRP a tenté, malgré les résistances, de remplir la plénitude de ses attributions, ou du moins à diversifier ses missions si l'on accepte la conception réductrice qui le confine au seul dossier de la rébellion. L'institution s'est beaucoup investie dans la promotion de la culture de la paix. Plusieurs rencontres intercommunautaires ont été organisées à travers le pays afin de consolider la paix et la quiétude sociale. C'est le cas du Forum de Tesker dans l'est du pays en 2005 pour une coexistence pacifique entre les différentes communautés de cette localité. Le HCRP a également tenté de se déployer dans le règlement des conflits fonciers opposant chaque année agriculteurs et éleveurs sans grand succès.

Dans le planning de ses activités 2006 et 2007, le HCRP prévoit dans le cadre de l'accomplissement de sa mission des actions comme la résolution des conflits intercommunautaires liés à la gestion des ressources naturelles, les sensibilisations des élus locaux sur la gestion et la prévention des conflits, la multiplication des manuels scolaires sur la culture de la paix, des ateliers de formation des inspecteurs de l'enseignement primaires, etc. En réalité,

1 C'est-à-dire les processus de cantonnement, désarmement et réinsertion avec tous les abus qui en ont résulté, notamment la manipulation des effectifs par l'ex-rébellion, le coût exorbitant du processus etc.

2 Cette appréhension est d'autant plus justifiée que le MNJ n'est pas un groupe homogène. A côté des ex-rebelles touaregs, il y aurait des anciens militaires fidèles au président Baré, des trafiquants et bandits opérant dans le Sahara etc.

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l'institution cherche à élargir son champ d'action, à se créer une raison d'exister dans la mesure où les options du Chef de l'Etat sur la politique de réinsertion indiquent une volonté de rupture.

Cependant, ces tentatives de diversification de ses missions furent bloquées par l'absence de financement. C'est seulement en 2006 que l'institution a pu marquer un tournant décisif avec son implication dans le traitement de l'insécurité au nord Tillabéri. Ce conflit meurtrier opposant éleveurs peulh nigériens et éleveurs touaregs maliens le long de la frontière était jusqu'ici géré par le ministère de l'Intérieur. Le HCRP organisa du 17 au 18 mars 2007, à Tillabéri au Niger, un Forum sur l'insécurité transfrontalière et le Pastoralisme avec la partie malienne.

Mieux, le HCRP a lancé en septembre 2007 sous sa tutelle un Projet Pilote d'Appui à la Transhumance Transfrontalière (PAGTT) entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso pour une période de dix huit (18) mois. Ce projet a pour objectif global la sauvegarde et l'accroissement de la production pastorale au Sahel1. De manière plus précise, il vise à sécuriser durablement l'accès aux ressources naturelles aux éleveurs transhumants dans les zones transfrontalières. Les cadres du HCRP impliqués dans le projet s'occupent de la composante intitulée «prévention, gestion des conflits et promotion d'une culture de la paix »2.

A travers ces deux initiatives, le HCRP élargit ses compétences au delà de la seule politique de mise en oeuvre des Accords de Paix en général et de la réinsertion des ex-combattants en particulier. Mais si cette logique de reproduction donne à l'institution des raisons objectives d'exister, il n'en demeure pas moins qu'elle révèle des paradoxes. Le premier paradoxe est inhérent à l'origine de ces deux initiatives.

En effet, aussi bien pour le problème d'insécurité au nord Tillabéri que pour le Projet sur la Transhumance Transfrontalière, l'initiative est venue de l'extérieur. Pour le premier cas, ce sont les organisations de la société civile de la zone, à savoir le Conseil des Eleveurs Nord Tillabéri (CENT) et l'Association pour la Redynamisation de l'Elevage au Niger (AREN) à travers Dr Gandou Zakara et Boubacar Diallo qui en étaient les initiateurs. En bons entrepreneurs politiques, ces derniers avaient saisi le HCRP en réaction à la gestion purement militaire de ce conflit par le Ministère de l'Intérieur. Ils ont ainsi trouvé un accueil favorable auprès du HCRP qui se cherchait une raison d'exister. Une «fenêtre d'opportunité» était donc ouverte.

Le projet sur la transhumance est issu d'une discussion entre le Haut Commissaire et le Délégué de la Commission Européenne en 2006. Le Haut Commissaire sollicitait au début un appui pour la réinsertion des ex-combattants. Le Délégué de la Commission Européenne indiqua que son institution était plus disposée à intervenir dans le domaine de la transhumance transfrontalière. C'est ainsi donc que l'idée germa au HCRP d'intégrer cette dimension dans ses

activités3.

Ces deux exemples de reproductions institutionnelles témoignent de la nature hasardeuse des politiques étatiques en général et de celles du HCRP en particulier. Ils confirment toute la complexité de la décision et participent à la déconstruction du mythe de la rationalité de l'Etat

1 République du Niger (HCRP/MEF), U. E., Etude d'identification d'un projet d'appui à la gestion de la transhumance dans les nones transfrontalières du Niger (phase 1 : Mali, Burkina Faso), décembre 2006.

2 Le Secrétaire Général du HCRP est coordonnateur du Projet, le Chef du Service Financier en est le gestionnaire-comptable et le DAES/C, l'expert en matière de conflits. Un des Secrétaires du HCRP est également recruté dans la cellule de gestion du Projet qui est logée dans les locaux du HCRP.

3 Pourtant, dans tous les documents officiels, il est écrit que c'est sur instruction du Chef de l'Etat que l'étude sur l'insécurité transfrontalière a été lancée...

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que la science politique doit à Hegel et M. Weber. Ce processus décisionnel est mieux appréhendé par le modèle développé par John Kindgon qui remet en cause le modèle séquentielle.

Dans notre contexte, il apparaît donc que l'intervention du HCRP sur ces deux questions (transhumance, insécurité nord Tillabéri) n'est nullement une politique pensée par l'institution elle-même. Le HCRP s'appropriait et exécutait des priorités définies par d'autres institutions. De ce point de vue, ces interventions procèdent plutôt de processus parallèles et autonomes ayant conduit au couplage entre trois courants : les problèmes (insécurité), les solutions (CENT, AREN, Union Européenne) et la politique (HCRP).

Le deuxième paradoxe de cette dynamique de reproduction est lié à son impact. Le projet sur la transhumance a permis à l'institution, certes, d'améliorer sa situation financière et matérielle, mais aussi, il a contribué à affaiblir sa capacité institutionnelle. Cette capacité de l'institution était mise à rude épreuve avec une érosion des relations professionnelles entre les agents du HCRP impliqués dans l'équipe du projet et les autres agents, lesquels ont développé un sentiment de frustration.

L'avènement de ce projet a « créé un climat de travail malsain» selon le mot d'un cadre du HCRP. Les agents non impliqués dans la cellule du projet estimaient que celui-ci était taillé sur mesure pour des considérations matérielles et se plaignaient de «l'opacité» qui entoure son management. Ces effets pervers ont quelque peu ralenti l'élan du HCRP par rapport à sa mission en matière de gestion conflit, puisque c'étaient justement les chevilles ouvrières de l'institution qui s'occupaient de la cellule de gestion du projet1.

Deux « clans» se sont ainsi constitués au HCRP autour de ces enjeux : celui des cadres membres de la cellule de gestion du projet et celui des autres agents. Les relations étaient devenues plus étroites et soudées entre les membres de la cellule du projet, créant du coup une distance avec les autres agents. Ces incompréhensions se sont manifestées jusque dans les taches les plus élémentaires de l'administration (enregistrement de courrier, livraison de lettres etc.)2. Ainsi, tout en renforçant les capacités matérielles et financières du HCRP3, le projet a aussi affaibli à un moment donné cette institution au plan des rapports humains.

Au-delà de cela, il faut relever que la diversification des attributions du HCRP révèle un dilemme pour les cadres de l'institution. Ces derniers ont d'abord le souci de défendre leur « mandat » en démontrant que le HCRP a achevé sa mission d'application des Accords de paix. Tous les documents de l'institution répètent que la réinsertion socio-économique des ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak (censée finir en 2008) était la dernière phase de la politique de réinsertion en particulier et du processus de paix en général.

Mais ce bilan positif est aujourd'hui contrarié par le discours du MNJ qui considère la gestion post conflit comme un échec. Ce que conteste Mr Chipkaou Oumarou qui affirme : « Le MNJ nous a poignardé dans le dos. Le HCRP envisageait de se déployer sur d'autres champs, notamment sur les

1 Les quatre cadres du HCRP membres de l'équipe du Projet bénéficient des indemnités en argent et en nature qu'ils cumulent avec tous leurs avantages au titre du HCRP.

2 Par exemple, le planton refusait de livrer le courrier du Projet prétextant qu'il n'est payé que par le HCRP, le Projet ne lui donne rien. Il en est de même pour la Secrétaire qui refuse de toucher à tout travail du Projet. Les membres de l'équipe du Projet font appel en cas de besoin au concours des Appelés du Service Civique, dont nous même.

3 Le Projet a mis à la disposition du HCRP un véhicule 4X4, des ordinateurs et lui fournit régulièrement du carburant.

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actions de développement dans les tones à risque et la promotion de la culture de la paix. Le MNJ est venu comme un désaveu, une négation de toutes les actions que le HCRP a menées depuis sa création »1.

C'est pourquoi, depuis que le HCRP a été dessaisi du dossier MNJ par le Chef de l'Etat, les actions de l'institution s'inscrivent uniquement dans le parachèvement des Accords de Paix antérieurs, c'est-à-dire ignorant l'existence du MNJ, comme si de rien n'était... C'est le sens que Mr Omar Sanda, Conseiller Technique au HCRP, donne au projet d'extension du Projet Aïr/Azawak : «Notre politique actuelle consiste à ignorer le MNJ. Il s'agit pour nous de poursuivre les actions de réinsertion des 3160 ex-combattants de l'Aïr/Aatvak conformément aux engagements pris par le Gouvernement 2». Mais tout en se souciant de leur bilan, les cadres de l'institution aspirent en même temps à préserver le HCRP pour des considérations «corporatistes ».

Le rattachement du HCRP à la Présidence de la République fait des agents de l'institution des privilégiés par rapport aux agents des autres ministères. Outre le fait symbolique de la valorisation sociale du statut d'agent de la Présidence de la République, le personnel de cette haute institution bénéficie de nombreuses gratifications matérielles et financières. La suppression du HCRP entraînerait le redéploiement de ses cadres dans leurs ministères d'origine et donc, consacrerait la fin des privilèges. En plus, aucun des agents de l'institution ne peut espérer obtenir un poste plus « juteux » que celui qu'il occupe au HCRP avec l'emprise des partis politiques sur la haute administration3.

Les cadres du HCRP sont les premiers militants de la préservation du cadre institutionnel de la gestion post conflit et, en conséquence, de la politique de discrimination positive qu'il symbolise. Les ex-combattants partagent les mêmes intérêts pour le maintien du HCRP, mais sont très réservés sur la nouvelle orientation que les cadres veulent donner à l'institution. Les ex-combattants estiment que le HCRP est très loin d'avoir achevé sa mission de gestion post conflit au point de songer à se déployer sur d'autres champs. Ceci explique l'inflation de leurs revendications.

B. L'inflation des demandes des ex-combattants

Le processus de mise en oeuvre des Accords de Paix, particulièrement de la politique de réinsertion des ex-combattants, a engendré beaucoup de contradictions qui rendent sa terminaison aléatoire. En plus de la dynamique reproductrice engagée par le HCRP lui-même, les ex-combattants contribuent, par l'articulation des demandes, à maintenir les institutions de gestion post conflit. Et de ce fait, ils participent à consolider les acquis de la discrimination positive. Profitant à la fois de leurs ressources politiques et d'un cadre institutionnel favorable, les ex-combattants ont contribué à créer un cercle vicieux autour de la politique de réinsertion. Il en a résulté un processus circulaire interminable par lequel chaque demande satisfaite conduit à la formulation d'une autre demande.

Il est donc tout à fait justifié de parler de capture de la politique ou de policy lock in. Cette inflation des revendications s'observe d'abord par le traitement de la question des Chefs et Cadres. Depuis septembre 2000, la réinsertion des élites fut réalisée selon les modalités convenues entre les parties. Ce traitement des Chefs et Cadres, laissé à l'appréciation du Chef de

1 Entretien à Niamey, 25 juillet 2008.

2 Entretien à Niamey, 16 mars 2008.

3 Aucun des cadres du HCRP ne milite activement dans un parti politique.

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l'Etat, était donc achevé. Mais en 2006, cette question fut curieusement réactivée lors de la réunion des Chefs des Mouvements et Fronts du 15 juin. L'explication donnée par les Chefs et Cadres était que « ce premier traitement ne couvrait pas l'ensemble des Cadres mais ceux dits principaux »1. Les Fronts et Mouvements disposeraient encore chacun d'une «quinzaine, voire d'une quarantaine de Cadres »2 en attente. Le nombre de « nouveaux Cadres» fut estimé à 250 personnes auquel le Chef de l'Etat promis un pécule de 1 200 000 F CFA chacun.

A y regarder de très près, la distinction Chef/Cadre/Combattant est un leurre. La

distinction sert uniquement aux élites d'accumuler les privilèges en gonflant les effectifs. Beaucoup d'éléments permettent d'attester que ces « nouveaux cadres» sont en réalité fictifs. Dans le traitement de cette question, le FLAA avait par exemple demandé au Haut Commissaire d'intercéder auprès du Trésorier Général pour que le mandatement des 25 500 000 F CFA lui revenant soit fait au profit du Trésorier du FLAA et non pas directement aux dix sept (17) « Cadres ».

Le FLAA avait en effet « décidé de faire bénéficier le montant revenant aux dix sept (17) ex-combattants à autant d'ex-combattants qui sont actuellement dans le dénuement total... »3. Ces fonds devaient aussi servir à désintéresser les « martyrs et victimes de guerre »4 du FLAA. En clair, la réinsertion des Cadres visait donc autre chose, faute de Cadres...

D'ailleurs, il suffit de consulter les listes transmises par les différents Fronts et Mouvements pour constater que les mêmes noms se sont répétés depuis le début du processus. En fait, c'est au gré des intérêts et des circonstances que l'on devient Chef, Cadre ou Combattant5. Un Chef de Front ou de Mouvement peut ainsi se « rabaisser » au statut de Combattant lorsqu'il s'agit d'empocher des sommes d'argent importantes. De même, un Combattant peut être auréolé du statut de « Cadre » ou « Chef » lorsqu'on décide de lui faire bénéficier de certains avantages.

Une autre revendication, cette fois-ci pour les Chefs, était l'élaboration du statut pour ex-

Chefs de rébellion ou de mouvement d'autodéfense afin de « leurfaciliter les rapports de travail avec les représentants de l'Etats à tous les niveaux et déterminer un statut leur permettant une vie décente »6. Il s'agit là d'une revendication inédite et qui va certainement au delà des clauses des Accords de Paix. Les Chefs estiment être ignorés officiellement par les institutions. Le HCRP est la seule institution qui les reconnaît comme interlocuteurs.

En effet, dans tous les Ministères, un Chef de Front est un citoyen ordinaire et ne peut être reçu qu'en cette qualité. Or, les Chefs estiment être des « autorités »7. Et pour cette raison, ils revendiquent un statut qui leur permette d'accéder à toutes les institutions en cette qualité. Dans une note adressée au Chef de l'Etat en date du 12 juin 2007, les Chefs de Fronts et Mouvements

1 HCRP, Traitement de la question des Cadres...op cit, p. 1.

2 Ibid.

3 Lettre du FLAA au HCRP, 2006.

4 Ibid.

5 Sur les listes des 250 cadres et des 300 ex-combattants (initialement destinés aux Société d'Etat) bénéficiaires des pécules à titre compensatoire, se trouvaient de nombreux ex-combattants, cadres et chefs occupant déjà des postes dans les corps de l'Etat.

6 HCRP, Conclusions de la réunion des Chefs...op cit, juin 2006, p. 1.

7 C'est le mot utilisé par le «commandant» A. N'Gadé, «Chef d'État-major» du FLAA pendant la réunion du 15 juin 2006 au HCRP.

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réitéraient également leur revendication sur « la nomination des responsables des ex-Fronts et de leurs principaux Cadres »1, question qui était censée être réglée...

D'autres demandes formulées par l'ex- Rébellion ont trait à leurs combattants. A ce sujet, les ex-combattants ayant bénéficié de bourses d'études dans les écoles professionnelles ont réclamé une intégration directe dans la Fonction Publique. Ceci n'a pourtant jamais été prévu dans les Accords de Paix et leurs modalités d'application. C'est le cas de trente trois (33) «ex-combattants » diplômés de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA) pour lesquels les Chefs avaient demandé une intégration directe « conformément aux accords de paix ». Pour les ex-combattants intégrés dans les corps militaires et para militaires, révoqués conformément aux textes en vigueur ou ayant déserté, les Chefs avaient sollicité « la réintégration des éléments sur lesquels desfautes graves ne pèsentpas 2».

En termes clairs, il est demandé aux pouvoirs publics de faire dérogation aux lois et règlements de l'Etat pour le traitement des problèmes relatifs aux ex-combattants. Mieux, l'ex-Rébellion demande que le recrutement des ex-combattants dans les corps militaires et para militaires soit annuel. Cette requête suppose l'existence d'un « stock » important d'ex-combattants non encore intégrés, ce qui est naturellement inexact.

Dans le fond, l'ex-Rébellion cherche à travers la perpétuation de cette politique clientéliste à conserver sa capacité distributive, et ainsi continuer à faire des « bons investissements ». Cette logique reproductrice est aussi évidente dans la réinsertion socio-économique des ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak concernant 3 160 éléments. Le Projet Consolidation de la Paix dans l'Aïr et l'Azawak (PCPAA), censé clôturer ses activités en 2007 démontre toute la réalité de ce cercle vicieux autour de la politique de réinsertion. La réunion du Comité de Pilotage de ce Projet tenue le 17 mars 2008 à Niamey a décidé de l'extension pour une année supplémentaire du Projet. Deux raisons majeures ont été invoquées pour justifier cette extension. Il s'agit d'abord de la nécessité d'impliquer les femmes dans le processus de réinsertion et de la conception d'un document pour une deuxième phase.

L'introduction de la composante féminine est justifiée par l'équipe du Projet en raison « des problèmes d'identification des bénéficiaires » lors de l'établissement des listes des ex-combattants. Il est ainsi indiqué que « les femmes qui constituent les premières victimes en matière de conflits, ont été sous-représentées sur les listes des ex- combattants bénéficiaires des actions du Projet. C'est ainsi que, sur les 3 160 ex-combattants ayant bénéficié déjà de la subvention, figurent seulement 156 femmes, soit un taux de représentativité de 4,93%. On ne compte que huit (8) coopératives féminines sur les 298 coopératives d'ex-combattants appuyés par le Projet soit 3,10% »3.

Quand à la conception d'un document de projet pour une seconde phase, elle vise à « consolider les acquis de la première phase du PCPAA à travers la poursuite des activités de consolidation de la paix et d'amélioration de lagouvernance locale »4 et à «promouvoir un développement durable des tones pastorales touchées par les conflits armés, notamment l'AïrlAawak, le Kawar et le Manga ». Avec ces deux nouvelles dimensions, le Projet de réinsertion assure sa propre reproduction et s'enlisera certainement dans un cercle vicieux.

1 HCRP, Déclaration des Chefs de Fronts, Mouvements et Comités d'Autodéfense et Milices, 12 juin 2007.

2 HCRP, Conclusions de la réunion des Chefs...op cit, juin 2006, p. 2.

3 République du Niger, PNUD, (Document de projet Niger), Consolidation de la Paix dans l'Aïr et l'ADawak, mars 2007, p. 9.

4 Ibid, p. 14.

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Comment expliquer que c'est seulement douze (12) années après les Accords de la Paix que l'on se préoccupe du sort des femmes ? Comment expliquer aussi que la réinsertion socio-économique se confonde avec le « développement des zones touchées par le conflit » ? Cette clause est, en effet, officiellement honorée depuis longtemps1. Cette extension de la réinsertion traduit une volonté de perpétuer les acquis de la politique de gestion post conflit. La communauté d'intérêts entre les acteurs autour de cette question s'explique par les velléités de rupture radicale du Gouvernement. Il est paradoxal de constater que ce sont les bailleurs de fonds (PNUD notamment) qui se montrent plus entreprenants que le Gouvernement lui-même sur des questions liées à sa propre sécurité.

Ce manque d'intérêt explique pourquoi le Gouvernement n'a rien prévu dans son budget 2007 pour soutenir la réinsertion. En ressuscitant la question du développement des zones touchées par le conflit, ces acteurs s'assurent ainsi du maintien de la politique ; surtout que le Projet parle explicitement des zones de l'Aïr, de l'Azawak, du Kawar et du Manga pour éviter la controverse autour du Programme de Développement de la Zone Pastorale élaboré en 2000 par le HCRP2.

Ainsi, à travers tous ces processus de reproduction activés par les acteurs, la politique de réinsertion des ex-combattants devient un éternel recommencement, un cercle vicieux savamment entretenu par des acteurs intéressés. Ce processus d'institutionnalisation révèle des effets ambivalents sur le système politique en général.

Section 2 : Le double impact de la dynamique d'institutionnalisation

L'analyse du processus d'institutionnalisation induit par la logique de reproduction de la politique de réinsertion montre qu'il a eu un impact double et ambivalent. Il a d'abord engendré des dynamiques de stabilisation à travers une fonction tribunitienne (Paragraphe 1), mais a produit en même temps des effets pervers par la consolidation d'une culture politique aristocratique (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le développement d'une fonction tribunitienne

Les ex-combattants ont été intégrés au système politique par le processus de leur réinsertion à travers un cadre institutionnel qui canalise leur propension à la violence (A) et une recomposition du champ politique induite par la reconversion politique des élites (B).

1 Selon Chipkaou Oumarou, Directeur des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C) au HCRP, « toute la complexité de cette clause réside dans cette question : à partir de quel critère peut-on estimer que l'Etat a satisfait cette clause du «développement» ? En d'autres termes, quel indicateurpermet de certifier que le Nord est «développé» ?

2 Cette controverse est la suivante : selon certains ex-rebelles, dans l'esprit des Accords de Paix, le Gouvernement doit «développer» les zones touchées par le conflit (Aïr, Azawak, Manga et Kawar) et non pas la zone pastorale dans son ensemble. Pour eux, le concept zone pastorale a été inventé pour détourner le programme vers d'autres zones du Sud ; surtout quand on sait que l'écrasante majorité de la population pastorale du Niger réside à Tillabéri et Maradi. La population pastorale du Niger était estimée en 1997 à 3.364.507 habitants dont 1.235 611 à Tillabéri, 1.005.827 à Maradi contre 310.079 à Agadez et 108.666 à Tahoua. Voir HCRP, Programme de développement de la Ione pastorale (résumé), septembre 2000, p. 6.

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A. La canalisation des frustrations des ex-combattants

La science politique doit la notion de fonction tribunitienne aux travaux de George Lavau sur le Parti Communiste Français. Son analyse est résumée par A. Loada et L.M. Ibriga en ces termes : «Ce parti, à l'instar des tribuns de la plèbe à Rome, intégrerait de façon latente, inattendue au système capitaliste et de « démocratie bourgeoise» qu'il combat les couches et classes défavorisées qu'il représente et défend. Ce faisant, le PCF renforce indirectement le système en lui permettant de fonctionner avec les groupes défavorisés et mal intégrés et en canalisant leur potentiel subversif au profit de revendications plus limitées, compatibles avec la survie du système »1.

L'expérience de la réinsertion des ex-combattants touaregs montre que les institutions de gestion post conflit, notamment le HCRP, ont rempli cette fonction latente à l'égard des anciens guérilleros touaregs. Cette fonction d'intégration a été remplie non seulement par le HCRP, mais aussi par le mécanisme de self help propre aux Touaregs. Le HCRP offre aux ex-combattants un cadre d'expression, d'articulation de leurs revendications dont le contenu s'avère souvent incompatible avec la logique des autres institutions étatiques.

La recherche de l'adéquation entre ces revendications et les normes du système politique exige cependant un important travail politique de la part du HCRP. C'est ainsi que celui-ci remplit une fonction d'agrégation des demandes qui se présente sous un double angle. Dans un premier temps, ce travail politique a consisté à filtrer les exigences articulées par les ex-combattants afin de les rendre compatibles les unes des autres. Et en second lieu, ces demandes sont traduites dans un langage politique adapté au système politique. On peut illustrer ce processus par le traitement de la réinsertion des Chefs et Cadres où le HCRP s'est efforcé de rendre compatibles les exigences articulées par ceux-ci avec les principes de l'État2. Les nominations à des postes purement politiques (Conseiller, Chargé de mission etc.) avaient servi à concilier leurs inputs avec les normes en vigueur.

De par sa vocation, le HCRP s'est toujours montré hostile aux solutions militaires pour régler les problèmes de la gestion post conflit, contrairement aux institutions régaliennes (Ministère de l'Intérieur, Ministère de la Défense Nationale, FAN). L'institution privilégie le dialogue avec tout individu ou groupe armé défendant des revendications politiques. Le HCRP a toujours privilégié un « règlement politique» face à des mouvements insurrectionnels, là où d'autres institutions auraient invoqué la loi, c'est-à-dire la répression. Les institutions de l'État, imbues des valeurs bureaucratiques, ignorent dans leur logique toute notion de discrimination positive.

Le HCRP est la courroie de transmission qui permet aux inputs des ex-combattants d'intégrer l'agenda institutionnel du système. Cette fonction a contribué à canaliser le potentiel de violence des ex-combattants, car ces derniers se sont approprié les mécanismes du HCRP pour faire admettre leurs demandes dans la « boite noire » du système politique. Plusieurs cas concourent à démontrer la vertu pacificatrice de cette fonction tribunitienne. Le HCRP a eu à maintes reprises à ramener dans le processus de paix des groupes dissidents. Ce fut le cas en 1996 avec la CRA de Mohamed Akotey et en novembre 1997 de l'UFRA de Mohamed Anacko.

1 Augustin Loada et Ibriga Luc Marius, Droit constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou, UFR/SJP, Université de Ouagadougou, 2007, p. 288.

2 Il suffit pour cela de se rappeler des doléances irréalistes et fantaisistes comme «Villa + Voiture + 7 millions» introduites par un Cadre de l'ex-Rébellion.

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Depuis lors, les ex-combattants se sont parfaitement accommodés du cadre institutionnel

de gestion post conflit pour faire valoir leurs intérêts. Le traitement apporté aux ex-combattants révoqués au sein des FNIS illustre cette procédure d'étiquetage qui consiste en « la désignation d'un enjeu comme relevant d'une autorité publique... »1, impliquant donc la production de outputs. Les ex-combattants avaient vainement tenté d'introduire ce problème au niveau du Ministère de l'Intérieur. Le «système» de ce Ministère est tel que ce type de revendications n'est pas susceptible d'admission, à fortiori de traitement devant aboutir à des décisions. Il a fallu l'intervention du HCRP qui s'est employé à traduire ces revendications dans un langage politique. Ce travail cognitif d'interprétation du réel consiste à analyser les problèmes des révoqués comme une menace pour la sécurité du pays.

Cette question a été érigée en un problème politique qui touche à l'unité nationale et à

l'intégrité du territoire. A travers une argumentation solide, et puisant aussi bien dans les Accords de Paix que la constitution du pays, le HCRP était parvenu à faire de ce problème une partie intégrante du processus de paix. C'est à ce prix que ces problèmes des ex-combattants au sein des FNIS ont été soumis et traités par le Chef de l'Etat lui-même en juin 2006.

En 2007, nous avons rencontré au HCRP un ex-combattant révoqué des USS du Manga (Est) qui estimait être victime d'une injustice. Son réflexe a été de parcourir des centaines de

kilomètres pour venir s'adresser au HCRP et faire valoir ses droits. Sur place à Niamey, il tenta vainement d'intégrer le « système » du Ministère de l'Intérieur dont relève son corps. C'est au HCRP qu'il trouva un accueil, un cadre d'expression pour soumettre ses doléances. Ce cas n'est pas isolé. Il témoigne de la singularité du rôle politique latent que le HCRP joue dans le système politique nigérien. Le problème d'insécurité au nord Tillabéri offre également un bel exemple de cette fonction d'intégration des groupes à potentiel violent dans le système politique.

Les populations peulh de Tillabéri qui se battaient contre les touaregs maliens n'ont

jamais été reconnues comme des milices par le Ministère de l'Intérieur qui, dans sa logique, ne reconnaît à aucun groupe le droit de s'auto défendre et prône une politique de fermeté à l'égard de toute milice. Toute autre est l'approche du HCRP. Les deux logiques se sont confrontées lors d'une réunion au HCRP sur l'organisation d'un forum de réconciliation avec la partie malienne en 2006.

Le représentant du Ministère de l'Intérieur récusa le terme « milice » employé pour

désigner les organisations d'auto défense peulh qui, selon lui, n'ont aucune existence officielle. Le Haut Commissaire Mohamed Anacko fit valoir l'approche du HCRP qui peut se résumer en ceci : Il faut accepter de reconnaître les milices armées et dialoguer avec elles pour restaurer la paix. On ne peut pas fermer lesyeux sur des faits, qu'ils soient officiellement reconnus ou non, ces groupes sont armés. Ilfaut regarder la réalité en face. Cette controverse traduit toute la quintessence de la fonction tribunitienne. En ce sens, le HCRP intègre les groupes armés dans le système en les reconnaissant d'abord comme interlocuteurs et en engageant un dialogue avec eux.

Pendant que le Ministère de l'Intérieur cherche fermement à désarmer les milices peulhs au nom du principe wébérien du monopole de la violence par l'Etat, le HCRP leur propose une

1 Guy Hermet et al, Dictionnaire de la science politique..., op cit, p. 241.

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réinsertion socio-économique en échange de leur désarmement sur le modèle initié avec les rébellions armées1. Mais ces actions n'épuisent pas les fonctions latentes du HCRP.

Cette institution offre aux ex-combattants beaucoup de services, notamment ceux résidant à Niamey. C'est ainsi que ces derniers utilisent souvent les locaux de HCRP pour tenir leurs rencontres et évaluer le processus de paix. Beaucoup d'ex-combattants utilisent également les services du HCRP pour des affaires privées, qui pour faire saisir des documents au Secrétariat, qui pour faire des photocopies, ou encore passer des coups de téléphone.

En poste au HCRP entre 2006 et 2008, nous avons eu personnellement à saisir à maintes occasions les documents d'un Cadre de la Rébellion travaillant dans le privé dont l'entreprise ne dispose pas de Secrétariat. Il faut noter aussi que les rencontres des Chefs de Fronts et Mouvements organisées dans les locaux du HCRP périodiquement sont bien « arrosées »2. A ces gratifications matérielles s'ajoutent des gratifications symboliques. Il arrive, en effet, que le HCRP délivre à certains ex-combattants des attestations certifiant qu'ils ont oeuvré pour la consolidation de la paix et l'unité nationale au Niger.

Mais les Chefs des Fronts et Mouvements, à leur tour aussi, travaillent à la canalisation de la violence de leurs combattants à travers les solidarités communautaires. Il est bien connu que les touaregs constituent une société fortement intégrée et solidaire qui est un bel exemple de communauté (M. Weber). Grâce à cette solidarité, les élites touarègues bien positionnées dans les sphères du pouvoir soutiennent leurs combattants et proches en difficulté à travers plusieurs prestations.

Il est un fait empirique que bon nombre d'anciens Chefs rebelles accueillent chez eux nombreux des leurs qui sont dans la nécessité. Beaucoup d'ex-combattants apprécient leurs anciens Chefs sur la base de leur capacité à redistribuer. Expliquant l'émergence du MNJ, F. Deycard soutient que « les solidarités familiales ont modéré les mécontentements, mais l'absence des perspectives de progression sociale de combattants de la première heure, alors qu'ils se montraient dé<4 peu satis faits de la qualité des postes réservés, a produit un fort sentiment de frustration »3. C'est aussi le sens qu'il faut donner à la requête du FLAA en 2006 qui demandait que les 25 500 000 F CFA destinés à ses dix sept (17) Cadres soient partagés entre plusieurs personnes en difficultés (martyrs, victimes de guerre, femmes, etc.).

Ces gestes de solidarité, de redistribution des richesses, ont fortement contribué à contenir les frustrations des ex-combattants. Et de façon latente, ces prestations sociales ont facilité leur intégration dans le système qu'ils ont combattu. Cette fonction tribunitienne porte donc en elle une dynamique de stabilisation du système politique. Il en est de même de la reconversion des élites politiques.

B. La reconversion politique des élites

La réinsertion des élites de l'ex-Rébellion et des Mouvements d'Autodéfense a indiscutablement engendré des mutations qualitatives sur le système politique. La politique de

1 Le HCRP a pu imposer sa démarche en faisant adopter la solution de la réinsertion aux miliciens peulh telle qu'elle fut appliquée aux rebelles touaregs. Voir HCRP, Rapport du Forum de Tillabéri sur l'insécurité trans frontalière et le Pastoralisme, mars 2007.

2 Le HCRP organise des festins dans ses locaux à la fin de chaque rencontre. Les Chefs sont ensuite reçus par le Chef de l'Etat et repartent avec d'importantes sommes d'argent.

3 Frédéric Deycard, «Le Niger entre deux feux... », op cit, p. 134.

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réinsertion des ex-combattants qui s'est institutionnalisée avec le temps a entraîné une recomposition du champ politique. Cette mutation s'est concrétisée par le changement de la configuration des rapports de forces entre les élites politiques nationales.

Si ce processus visait manifestement à restaurer la paix dans le Nord, il a aussi de façon indirecte contribué à intégrer les ex-combattants dans le système que leur « révolution » entendait briser. La fonction tribunitienne des institutions fut favorisée par la recomposition sociologique du personnel politique au sommet de l'État à la faveur de l'ascension politique des ex-Chefs de la rébellion armée.

La théorie des élites en science politique1 appréhende ces phénomènes sous deux angles.2 Selon la conception moniste, le pouvoir politique est concentré entre les mains d'une élite dirigeante dont les différentes fractions s'interpénètrent et partagent une communauté de valeurs et d'intérêt. A cette perspective s'oppose une vision pluraliste qui repose sur la théorie polyarchique. Cette approche met l'accent sur la pluralité des élites plutôt que son homogénéité. Mais ces deux visions ne sont pas antagoniques car chacune élucide un aspect de la réalité politique empirique.

Les anciens chefs de l'ex-rébellion constituent une fraction de l'élite politique nigérienne qui partage certains intérêts avec les autres fractions, mais son influence se limite essentiellement aux politiques publiques de gestion post conflit. En outre, la loyauté de cette élite à l'égard de la communauté politique est sujette à caution. Bref, en dépit de la recomposition politique par l'ascension des ex-rebelles, l'élite politique reste partagée entre unité et pluralité.

La réinsertion de ces élites a consacré la constitution d'une nouvelle classe d'entrepreneurs politiques dont la particularité réside dans son origine conflictuelle. Ces nouveaux acteurs du jeu politique doivent tous leur ascension à la lutte armée. L'impact de leur réinsertion a été de consolider la dynamique de stabilisation du système politique qui leur a offert une alternative pacifique pour défendre leurs intérêts. Depuis les Accords de Paix, tous les gouvernements qui se sont succédé au Niger ont compté en leur sein des représentants de l'ex-Rébellion reconvertis en politiciens ordinaires.

Les nominations de ces derniers ne relèvent pas de la politique, mais de l'administration. En d'autres termes, les quotas au profit de l'ex-Rébellion étant acquis, le débat ne peut que se poser en termes de la personnalité à nommer, mais jamais sur l'opportunité du quota lui-même. Cette question du quota a été réglée par la guerre qui est « la continuation de la politique par d'autres moyens» comme l'enseigne V. Clausewitz. Même si certains militent au sein des partis politiques, il n'en demeure pas moins que l'essentiel de leurs ressources politiques se situent dans leur qualité d'anciens rebelles.

Aussi, le degré de reconversion politique est variable selon les acteurs. Certains à l'exemple d'Issiad Ag Kato sont des « militants debout »3. Ils se sont tellement investis dans les partis politiques que seule leur origine ethnique rappelle leur passé d'anciens rebelles. D'autres par

1 Iain McLean, Oxford dictionary ofpolitics, Oxford, Oxford University Press, 1996, pp. 154-155., V.P. Varma, Modern political theory, New Delhi, Vikas Publishing House Ltd, 1975, pp.143-221.

2 Phillipe Braud, Sociologie politique, op cit, pp.583-596.

3 C'est le mot utilisé par l'intéressé lors de notre entretien (Niamey, 2 octobre 2008) pour se définir politiquement. Il est actuellement ministre des Ressources Animales moins en raison de son passé d'ex-combattant que de son engagement partisan au sein de la CDS Rahama dont il est le premier responsable au niveau de la région d'Agadez. Par contre, son ancien chef Mohamed Anacko ne s'affiche jamais publiquement sur la scène partisane bien qu'il soit militant du MNSD Nassara au pouvoir.

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contre s'appuient toujours sur leur qualité d'anciens rebelles et se contentent d'un militantisme de figuration, voire clandestin. Mais l'invariant qui se dégage de cette configuration est que tous ont eu pour capital initial les acquis de la lutte armée.

L'analyse des comportements partisans des anciens Chefs rebelles plaide pour la thèse de la déviation idéologique. Presque tous ont rejoint le parti au pouvoir depuis fin 1999, à savoir le MNSD Nassara de Mamadou Tandja qu'ils ont combattu au prix de leur vie. Dans le fond, le système politique nigérien post rébellion est proche dans certains de ses aspects du modèle consociatif analysé par Arend Lijphart1. La similitude tient surtout à la prise en compte du facteur ethnique dans l'organisation institutionnelle et l'exercice du pouvoir. Cette organisation pragmatique du pouvoir n'est pas nouvelle en Afrique où la recherche de la stabilité politique a conduit à une approche minimaliste de la théorie individualiste de l'Etat2. L'innovation apportée par la rébellion touarègue au Niger a été de consacrer la primauté du critère de l'appartenance à la rébellion sur celui de l'origine ethno régionale.

L'analyse de la rotation du personnel politique au sein du Gouvernement depuis la fin de la rébellion montre bien que les anciens rebelles touaregs se sont taillé le monopole de la représentation de leur région au sein de l'exécutif. Ceci implique que, désormais, être seulement ressortissant de la région d'Agadez (Touareg ou non) est une condition nécessaire, mais pas suffisante pour bénéficier d'un tel privilège. La conséquence de ce parachutage des ex-rebelles dans les sphères du pouvoir est qu'ils sont à l'abri de tous les aléas politiques allant des changements de mouvance présidentielle, de majorité parlementaire et même des coups d'Etat3 !

En Afrique, l'application du modèle consociatif dans certains pays comme le Nigeria a entraîné selon O. Nnoli une mentalité de « ethnic watchers »4, c'est-à-dire un réflexe parochial consistant à apprécier toute politique ou institution publique sur des bases ethniques. Par exemple, au moindre changement de la composition d'un gouvernement ou même d'une équipe nationale de football, ces « ethnic watchers 1 apprécient d'abord le dosage ethnique et seulement ensuite le mérite.

L'inamovibilité des ex-rebelles au sein du pouvoir a fortement aidé à intégrer dans le

5

système les élites touarègues qui rejetaient « la prétendue démocratie en vogue au Niger » et qui estimaient que le Niger devait «prendre le chemin d'une nouvelle forme d'Etat »6, s'il veut « sauver les meubles »7. Ces ex-rebelles semblent aujourd'hui acquis au système, sinon en sont parmi les plus ardents défenseurs. Toutefois, cette adhésion au système politique est purement extérieure, elle n'implique aucunement identification à la communauté politique et aux valeurs universalistes de l'Etat.

1 Sur la théorie consociative, voir Dauda Abubakar, «The federal character principle, consociationalism and democratic stabiliy in Nigeria» in Kunle Amuwo et al (eds), Federalism andpolitical restructuring in Nigeria, op cit, p. 169.

2 Au Niger par exemple, il existe depuis 1993 des circonscriptions dites spéciales qui assurent la représentation des minorités toubou, arabe et gourmantché dans l'Assemblé Nationale.

3 Rhissa Ag Boula est resté ministre de 1997 à 2004 et a travaillé ainsi avec trois régimes : la 4è République du président Baré, le CRN de Wanké et la 5è République du président Tandja.

4 O. Nnoli, Ethnicity and democracy in Africa, Lagos, Malthouse Press Limited, p. 24. Selon cet auteur, sur l'autel de la stabilité, des valeurs comme la méritocratie, l'excellence, l'égalité des citoyens ont été sacrifiées. Cette politique conduit aussi les bénéficiaires de la discrimination positive à demeurer «sous-développés» pour continuer à en bénéficier.

5 CRA, Programme Cadre de la Résistance, op cit, p.28.

6 ibid.

7 ibid.

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En termes plus explicites, les ex-combattants adhèrent au système par nécessité et réalisme car, tout en jugeant l'ordre politique actuel illégitime, ils n'espèrent pas obtenir mieux par la confrontation armée. Le rêve d'un Etat touareg indépendant s'est estompé, tout comme en 1958, où selon la Rébellion, « les mirages d'une indépendance dans un cadre touareg, comme nous étions en droit d'y aspirer, s'envolait en éclat »1. Ce réalisme des anciens rebelles est entretenu par les facilités d'accès aux ressources matérielles et symboliques de l'Etat grâce aux positions politiques qu'ils occupent. La rébellion a été une sorte de raccourci aux sphères du pouvoir.

Etre ministre dans le contexte démocratique actuel du Niger demande un investissement politique énorme et difficile qui implique le militantisme partisan, un capital de sympathie, un minimum de ressources financières et même peut-être de ressources mystiques ! Les plus influents des ex-rebelles sont « dispensés » de ce parcours de combattant car ils ont déjà fini leur « politique » dans le maquis.

La situation des ex-combattants peut être comparée à celle du mouvement ouvrier du 19è siècle en Europe de l'ouest. Les ouvriers, mobilisés par les slogans révolutionnaires marxistes, aspiraient à une révolution. Mais le système capitaliste, par ses réformes sociales, a étouffé le radicalisme marxiste et entraîné le révisionnisme ou « l'économisme » (V. Lénine) qui s'accommode du système capitaliste. Aujourd'hui, aussi bien pour les Chefs et Cadres touaregs occupant des postes politiques que pour leurs combattants intégrés dans les différents corps de l'Etat, les perspectives d'un changement radical, d'une « révolution touarègue» ont perdu leurs vertus mobilisatrices d'antan.

Ce « révisionnisme touareg » se manifeste dans la position des anciens rebelles face à la nouvelle rébellion du MNJ. Ces derniers ont dès le début fait part de leur option pour le dialogue avec le MNJ et se sont engagés à apporter leur concours «pour la réussite du dialogue entre les deux parties »2. Tout comme les partis socialistes appelaient les Communistes à abandonner le slogan maoïste « le pouvoir est au bout du fusil» et à intégrer le système libéral, les ex-rebelles reconvertis exhortent leurs anciens frères d'armes à dialoguer et envisager des solutions dans le cadre du « système ».

Dans l'ensemble, les transformations engendrées par la réinsertion des élites ont considérablement conforté la stabilité extérieure du système politique. Mais cette conclusion doit être nuancée car l'analyse révèle également que cette politique induit des dynamiques de déstabilisation par ses effets pervers.

Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture politique aristocratique

Le renforcement de cette culture aristocratique produit par l'effet d'institutionnalisation de la politique de réinsertion se manifeste à travers une tendance au rejet de la citoyenneté universaliste (A) et le recours à la violence (B).

A. Le rejet de la citoyenneté universaliste

La réinsertion des ex-combattants touaregs a eu comme impact de mettre à mal un processus d'institutionnalisation de l'Etat de droit timidement engagé depuis la Conférence

1 Ibid, p. 3.

2 HCRP, Déclaration des Chefs de Fronts, Mouvements et Comités d'Autodéfense et Milices, 12 juin 2007.

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Nationale Souveraine en 1991. En légitimant la discrimination positive en faveur d'une frange de la population, cette politique fait ainsi dérogation au principe de l'égalité des citoyens devant la loi que l'Etat de droit implique. Elle s'écarte donc de la conception individualiste de la citoyenneté jusqu'ici affirmée avec force par l'Etat. Les principes de l'Etat de droit ont été sacrifiés sur l'autel du pragmatisme inspiré par la volonté de restaurer la paix et préserver l'unité nationale. C'est ce qui justifie les dérogations accordées aux ex-combattants dans l'accès aux emplois de l'Etat et aux postes politiques.

Cependant, cette discrimination positive n'était pas censée se perpétuer. Par des effets pervers, la réinsertion a enclenché de manière implicite une dynamique de déstabilisation de l'État. En cherchant à apaiser les tensions, elle a entretenu et consolidé une culture politique aristocratique hostile à toute notion de droit. En d'autres termes, à force de bénéficier de la discrimination positive, les ex-combattants ont développé des réflexes de « super citoyen » qui tranchent avec le discours sur l'État de droit. Beaucoup d'ex-combattants intégrés ont brillé par leur incapacité à se reconvertir en citoyens ordinaires, à se soumettre à des normes universelles.

Cette attitude déviante explique dans une large mesure les contradictions qui ont émaillé le processus des intégrations au sein des institutions étatiques. Le problème des révoqués et des déserteurs au sein des FNIS en est une illustration. Les décisions prises par la hiérarchie militaire de révoquer certains agents des FNIS (dont des ex-combattants) en vertu des textes en vigueur ont été qualifiées par les ex-Chefs rebelles de « renvois complaisants »1 et « révocations planifiées »2, sans qu'ils ne soient capables d'en apporter les preuves.

En fait, la faiblesse des arguments mobilisés pour justifier la demande de réintégration des éléments révoqués cachait mal l'esprit aristocratique qui motivait la démarche : les ex-combattants touaregs ne sont pas des citoyens ordinaires, ce sont des citoyens supérieurs qui ne peuvent être régis par les mêmes lois que les autres. Cette culture politique explique donc la répugnance des ex-combattants à s'approprier les institutions officielles, c'est-à-dire saisir les juridictions compétentes en la matière.

En effet, depuis la signature des Accords de Paix, il n'a jamais été enregistré de cas où l'ex-Résistance ou certains de ses éléments ont saisi une juridiction pour faire valoir leurs droits. Au contraire, la tendance a toujours été de chercher des solutions «politiques », c'est-à-dire dérogatoires aux textes en vigueur. La demande de réintégration des agents des FNIS révoqués ou déserteurs par le seul fait qu'ils sont ex-combattants apparaît de ce point de vue comme un rejet, voire un mépris des institutions ; surtout, lorsqu'on sait que beaucoup d'autres nigériens dans ces corps ont écopé des mêmes sanctions pour les mêmes fautes.

Certains ex-combattants intégrés dans des établissements scolaires ont également développé les mêmes réflexes aristocratiques. C'est ainsi que, très souvent, certains d'entre eux ont sollicité du HCRP des mesures dérogatoires lorsque leurs intérêts ne cadrent pas avec les normes officielles. A titre d'exemple, il est arrivé, on l'a noté, que des ex-combattants ayant redoublé à deux reprises une classe, demandent une réinscription dans un établissement public, ce qui n'est pas autorisé par les textes en vigueur.

Les ex-combattants destinés aux corps militaires et para militaires, en plus de la dérogation à eux concédée pour l'accès à ces corps, ont également bénéficié des mesures exceptionnelles pendant leur formation. A l'E cole Nationale de Police de Niamey par exemple, beaucoup d'éléments intégrés se sont distingués par leur indiscipline sans qu'ils ne soient frappés

1 HCRP, Conclusions de la Réunion...op cit, p. 2.

2 Ibid.

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d'une quelconque sanction. Convaincus de leur «immunité », les ex-combattants pouvaient s'autoriser le mépris des règles disciplinaires.

De tels comportements tendent à créer une situation d'amnistie perpétuelle où chaque manquement aux lois est systématiquement pardonné lorsqu'il s'agit d'un ex-combattant. Cette politique de deux poids deux mesures s'explique aussi bien par le contexte d'émergence des politiques publiques de gestion post conflit que par l'effet structurant des institutions.

Issu d'un rapport de force, la politique de réinsertion était l'expression d'un affaiblissement de l'institution étatique qui, pour des impératifs de survie, fut contrainte de faire des concessions. Mais pour les ex-rebelles la discrimination positive en leur faveur est une correction apportée à un système injuste dans un pays où « la situation du peuple touareg peut se résumer par ces quelques mots : marginalisation politique, pauvreté absolue, persécution »1. En d'autres termes, la politique est perçue comme légitime car elle est la condition indispensable pour freiner «toute forme de recolonisation du Nordpar le Sud »2.

Cette perception de la politique de réinsertion, qui fait de la discrimination positive une condition de justice sociale, permet de cerner les comportements déviants développés par les anciens rebelles. Le cadre institutionnel a été en partie un facteur explicatif majeur dans ce processus. Par sa seule existence, le HCRP contribue au développement de cette culture aristocratique car c'est la seule institution au Niger par laquelle les inputs des ex-combattants intègrent la « boite noire » du système politique.

Intégrés dans les différents corps (FAN, Fonction Publique, Université etc.) par une procédure exceptionnelle mise en oeuvre par le HCRP, les ex-combattants se sont montrés incapables de s'affranchir de la tutelle de cette institution. Il est vrai que de par sa fonction tribunitienne, le HCRP a pu contenir les propensions à la violence des ex-combattants.

Mais cette canalisation des révoltes s'est faite au prix d'une rupture avec les lois universelles de l'Etat. Dans toutes les institutions où ont été intégrés les ex-combattants, l'Etat a souvent fonctionné à deux vitesses : aux normes officielles appliquées aux nigériens ordinaires se greffent des normes « politiques » appliquées aux ex-combattants « au nom de la consolidation de la paix ». Si beaucoup d'institutions avaient brandi la loi pour refuser de telles pratiques, les démarches du HCRP, fort de son rattachement à la Présidence de la République, ont eu souvent raison de leur résistance.

En servant d'instrument de politisation des problèmes des ex-combattants intégrés, le HCRP a ainsi été le cadre institutionnel de l'éclosion, du moins du maintien et du renforcement d'une culture aristocratique. Les ex-combattants ont ainsi cultivé un réflexe de déviance qui n'est pas sans conséquence sur le processus d'institutionnalisation de l'Etat.

Ainsi, face à un problème banal, certains ex-combattants préfèrent faire valoir leurs revendications par le truchement du HCRP que d'emprunter la voie offerte par les institutions classiques de l'Etat. Bref, il se dégage clairement l'impression que la réinsertion a participé à consolider un sentiment de supériorité des ex-combattants par rapport à leurs concitoyens.

Le recours à la violence est une des manifestations tangibles de cette culture politique aristocratique.

1 CRA, Programme Cadre...op cit, p. 1.

2 Ibid, p. 31.

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B. Le recours à la violence

Le recours à la violence est la manifestation violente des dynamiques de déstabilisation de l'État engendrées par la politique de réinsertion des ex-combattants. L'explication institutionnelle du passage à la violence peut s'insérer dans un cadre plus éclectique emprunté au sociologue Ted Gurr1. Cet auteur utilise la notion de frustration relative qui « résulte du sentiment d'une différence (négative) entre les biens que l'individu se sent autorisé à convoiter et les biens qu'il peut effectivement se procurer (P). Les potentialités de violence sociale sont à leur sommet lorsqu'un maximum d'individus se trouvent placés dans une situation identique »2.

Selon ce schéma, le passage à la violence n'est pas automatique. Il nécessite deux conditions essentielles, à savoir la diffusion des «normes éthiques justificatrices» et la conviction en l'efficacité de la violence. Les recours à la violence par les ex-combattants dans la phase post conflit répondent pertinemment à cette grille d'analyse. Ces derniers ont fortement intériorisé une culture aristocratique alimentée par l'institutionnalisation des institutions de discrimination positive. Ce processus a paradoxalement contribué à consolider un sentiment subjectif de marginalisation qui, de facto, légitime la perpétuation de la discrimination positive.

La politique de réinsertion est venue renforcer un particularisme touareg que ni le discours universaliste de l'Etat, ni le réalisme politique n'ont pu ébranler. Pour justifier la lutte armée, les ex-combattants puisent, soit de manière diffuse dans le registre nationaliste touareg, soit de manière rationnelle en démontrant des défaillances dans l'application des Accords de Paix. Il en est ainsi de la reprise des hostilités dès septembre 1997 par l'UFRA de Mohamed Anacko. La rébellion toubou des FARS avait également repris les combats en février 1997 s'estimant agressée par les FAN.

En 2004, après l'arrestation de Rhissa Ag Boula en rapport avec l'assassinat de Adam Amagué, un de ses rivaux politiques, son frère Mohamed Ag Boula avait repris le maquis et opéré plusieurs opérations meurtrières contre l'Etat et les populations civiles3. Jusqu'à cette période, ces violences sporadiques ont été contenues. C'est avec le MNJ depuis 2007 qu'on a assisté à la résurgence d'une véritable rébellion.

Les sources de légitimation de ces différentes insurrections n'ont jamais changé, même si le MNJ tente de se démarquer du particularisme ethnique touareg4. Outre la facilité de légitimation de la violence, ces phénomènes sont confortés par la conviction de l'efficacité de la lutte armée. Celle-ci s'explique par la vulnérabilité militaire de l'Etat, la facilité d'obtenir des soutiens actifs (politiques, matériels, financiers, etc.) à l'extérieur et aussi l'existence d'un cadre institutionnel (le HCRP) dont la vocation est justement de négocier avec les rebellions armées.

En effet, les pratiques déstabilisatrices des dissidents touaregs illustrent l'interpénétration entre les variables psychosociologiques et les institutions dans l'explication du recours à la violence. L'hypothèse « frustration agression » de Ted Gurr n'explique pas tout. Le néo-institutionnalisme en science politique a montré la vertu explicative des institutions dans

1 Cette théorie est exposée dans son ouvrage Why men rebel (Princeton, Princeton University Press, 1970).

2 Phillipe Braud, Sociologie politique, op cit, p. 427.

3 Rhissa Ag Boula était alors ministre du Tourisme. Il bénéficia en 2005 d'une liberté provisoire en réalité pour calmer la tension dans le Nord. En fuite depuis janvier 2008, il dirige un nouveau Front, le Front des Forces du Redressement (FFR). Le 14 juillet 2008, la Cour d'Assises de Niamey l'a condamné par contumace à la peine de mort pour l'assassinat d'Adam Amagué.

4 Pour les revendications du MNJ, voir journal Le Témoin, N°214 du 5 septembre 2007, pp. 6-8.

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l'engendrement de la violence protestataire1. Le cadre institutionnel de gestion post conflit entretient une culture aristocratique en fournissant à tout candidat à la rébellion le cadre d'expression de ses revendications.

C'est dans ce sens qu'il faudra interpréter l'approche du HCRP face au MNJ, c'est-à-dire la proposition d'un plan de négociation au Chef de l'Etat devant aboutir à un protocole d'accord additionnel. Il est vrai que grâce à la politique de dialogue du HCRP, beaucoup de dissidents ont été ramenés dans le processus de paix. C'est le cas de certains éléments des FARS en janvier 2007. Mais de manière latente, cette politique de «main tendue » a conforté les dissidents dans le choix de la violence comme moyen de contestation. Aussi, le passage à la violence est stimulé par la perspective d'obtenir de la part de l'État des concessions par la médiation du HCRP.

Les négociations antérieures avec les groupes dissidents sont donc devenues des précédents dangereux. En 2005, le HCRP a pu trouver un « règlement politique » à l'insécurité dans l'Aïr consécutive à l'arrestation de l'ancien ministre Rhissa Ag Boula pour une affaire de meurtre. Au Forum d'Agadez de 2005 organisé à cet effet, cette affaire judiciaire de droit commun a été politisée. Les ex-combattants avaient alors demandé et obtenu sa libération pour « calmer le jeu ». Selon eux, il ne s'agirait pas d'une affaire judiciaire, mais d'une « affaire politique qui doit être réglée au niveau national »2.

En termes plus clairs, de l'avis de ses ex-compagnons d'armes, Rhissa Ag Boula n'est pas un citoyen ordinaire en vertu de son statut d'ancien chef de la rébellion touarègue. Il n'est donc pas susceptible de poursuite par la justice nigérienne. Ce fut une véritable opération de chantage, d'instrumentalisation des identités pour les intérêts des ex-rebelles. L'avènement du MNJ procède de cette même logique de pérennisation d'une discrimination positive au profit des ex-combattants. Chaque fois que l'Etat de droit est invoqué, les ex-combattants réagissent violemment pour protéger leur statut de privilégiés et d'aristocrates conquis de haute lutte.

Ces comportements montrent toute la difficulté d'institutionnaliser un Etat démocratique au Niger, c'est-à-dire un système où la violence reste le monopole de l'Etat, et où les citoyens sont traités sur le même pied d'égalité en toute circonstance. Le recours à la violence par les ex-combattants est symptomatique d'une faible assimilation des valeurs démocratiques et d'un déficit de loyauté envers la communauté politique. De toute évidence, la nouvelle rébellion du MNJ se présente comme une opportunité pour les anciens Chefs de Fronts.

D'abord en affaiblissant l'Etat, le MNJ créé des conditions de négociations plus favorables aux ex-Chefs de Fronts pour faire aboutir certaines de leurs demandes. C'est ainsi qu'ils ont profité d'une rencontre le 12 juin 2007 à Niamey pour formuler et adresser au Chef de l'Etat certaines revendications controversées, qu'ils ont pris soin de ne pas évoquer dans la déclaration qu'ils ont rendue publique à cet effet3. A analyser les revendications de ces anciens rebelles reconvertis, on est frappé par les similitudes, sinon la filiation avec les exigences du MNJ.

Avec l'avènement du MNJ, le pouvoir s'est montré plus sensible aux doléances de l'ex-rébellion. Le cas de la question des 250 Cadres des Fronts et Mouvements le démontre. Le

1 Marco Giugni, «Ancien et nouvel institutionnalisme dans l'étude de la politique contestataire » in Politique et Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 69-90.

2 HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la région d'AgadeD, mars 2005, (document non paginé).

3 Ces revendications tournent autour du « recrutement annuel dans les corps militaires et para militaires, l'intégration des ex-combattants formés dans les écoles professionnelles, le remplacement ou la réintégration des éléments révoqués pour des fautes mineures dans les différents corps militaires et para militaires, la nomination des responsables des ex-fronts et mouvements et leurs cadres » etc.

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traitement de ce dossier a connu une accélération impressionnante en 2007 grâce à l'émergence du MNJ, alors qu'il était en souffrance huit (8) ans durant.

En outre, les anciens rebelles soutenaient l'option du dialogue avec le MNJ parce qu'ils voulaient saisir l'opportunité pour réintégrer certains de leurs éléments révoqués au sein des FNIS. Beaucoup de ces éléments se sont d'ailleurs empressés de rejoindre le MNJ espérant des négociations avec le Gouvernement. Entre 1999 et 2006, cent quarante quatre (144) ex-combattants ont été révoqués des FNIS (dont quatre (4) de la Garde Républicaine) et trois (3) de la Gendarmerie.

Les déclarations des ex-combattants lors de la rencontre des 15 et 16 juin 2006 étaient révélatrices de l'impasse qui bloquait le processus de paix. Ils rappelaient alors au Chef de l'Etat que « le quota alloué aux ex-Fronts et Mouvements d'Autodéfense reste et demeure la garantie de la paix »1 et que les révocations des ex-combattants des FNIS « n'étaient pas sans conséquence sur la gestion du processus de paix »2... Le HCRP proposa au Chef de l'Etat un « traitement politique » qui consistait à réintégrer les ex-combattants sur qui « il ne pesaitpas de fautes lourdes ».

Mais cette solution qui risquait de provoquer la résistance de l'armée n'a pas abouti. Et certains des éléments concernés ont rejoint le MNJ. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la disponibilité au dialogue des ex-Chefs de Fronts et Mouvements. Il s'agit d'une logique utilitaire dont la finalité est de préserver la politique de discrimination positive conquise par la lutte armée. Devant la politique de rupture avec les choix antérieurs initiée par le président Tandja, l'usage de la méthode forte par les ex-rebelles s'avérait nécessaire.

Par ailleurs, un accord avec le MNJ aurait l'avantage aussi de renforcer les raisons d'exister du HCRP désormais rompu dans la gestion post conflit. Le pouvoir était ainsi devant le dilemme de savoir s'il fallait réintégrer les ex-combattants révoqués pour apaiser les tensions ou respecter le principe d'égalité des citoyens devant la loi. Le recours à la violence est une manifestation tangible de la culture politique aristocratique que la politique de réinsertion a consolidée. Cette violence remplit des fonctions pour des puissances étrangères ; ce qui ne signifie aucunement que celles-ci soient à l'origine de celle-ci.

Nous soutenions que « d'un point de vue épistémologique, l'analyse des causes de ce conflit démontre la valeur heuristique de la distinction entre les fonctions remplies par une institution et les causes efficientes à l'origine de celle-ci »3 (...). Si le MNJ sert les intérêts de puissances impérialistes (fonction), cela ne veut nullement dire que celles-ci sont à l'origine de l'émergence de celui-ci (cause) »4. Il ressort de ce fait que l'explication de la résurgence de l'insécurité au nord Niger est plus à rechercher dans l'impasse de la gestion post conflit que dans des « complots impérialistes» dont nous ne minimisons pas pour autant l'importance.

1 HCRP, Conclusions de la Réunion ...., op cit, p 2.

2 Ibid.

3 Saidou Abdoulkarim « Conflit au nord Niger : esquisse d'explication... » op cit, P. 29.

4 Ibid.

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CONCLUSION

Au terme de cette analyse, de nombreux apports de connaissances aussi bien sur l'objet d'étude que sur la problématique adoptée sont à mettre en évidence1. Cette recherche, faut-il le rappeler, était basée sur cette question principale : quel est l'impact des institutions sur la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs? Pour répondre à cette question, nous avons adopté une problématique institutionnelle basée sur la théorie de l'institutionnalisme historique qui s'est développée comme perspective analytique majeure en science politique depuis le début des années 80. Ce cadre théorique d'analyse est lui-même appliqué selon une démarche hypothético-déductive dans le champ de l'analyse des politiques publiques.

En effet, pour aborder la question touarègue sous cet angle, nous avons dû dépasser les approches classiques du problème touareg au Niger dont la particularité réside dans une lecture holiste du phénomène. Cette rupture épistémologique était d'autant plus nécessaire que depuis la conclusion des Accords de Paix, la gestion post conflit n'a pas suscité au sein de la communauté scientifique un engouement à la hauteur de sa portée politique. Aussi, les grilles d'analyse jusqu'ici utilisées n'étaient plus en mesure de rendre compte des nouveaux développements dans la crise au nord Niger qui sont largement induits par la gestion post conflit.

L'analyse de la résurgence des tensions et de l'insécurité dans le nord du Niger ne saurait faire l'économie de l'étude du processus de réinsertion des ex-combattants engagé depuis une dizaine d'années déjà. Dans sa dimension interne, le conflit au nord Niger doit s'analyser à partir des politiques publiques issues du règlement de la première rébellion armée. Notre travail répond donc à un besoin, non seulement d'approfondir la connaissance du problème touareg au Niger, mais aussi de relativiser les approches classiques quand à l'explication des tensions issues de la gestion post conflit. L'idée générale que notre problématique introduit est que le problème du nord Niger doit s'analyser désormais à partir des contradictions de la gestion post conflit.

Dans ce cadre, nous avons isolé certaines propositions principales du néo-institutionnalisme historique pour construire un modèle d'analyse et dégager des hypothèses de recherche. Cette d'opérationnalisation du cadre théorique a consisté à identifier trois hypothèses développées par le néo-institutionnalisme historique à partir desquelles les axes de la recherche ont été fixés. Ces hypothèses se rapportent aussi à trois séquences d'une politique publique, à savoir l'émergence, la mise en oeuvre et l'impact de la politique sur son environnement.

C'est ainsi grâce à ces hypothèses que nous avons filtré la foule des données existantes sur la gestion post conflit et la question touarègue en général en fonction de leur «pertinence ». La collecte des données a été réalisée grâce à la technique de l'entretien, de l'analyse documentaire et de l'observation participante. La confrontation de nos hypothèses avec la réalité positive a mis en évidence la valeur heuristique de celles-ci, mais aussi a permis d'apprécier les écarts qui les séparent avec les faits empiriques.

Avec la première hypothèse, nos enquêtes ont largement confirmé la pertinence de la proposition de l'institutionnalisme historique sur la continuité historique et le poids des institutions existantes sur tout processus de changement institutionnel. L'impact des institutions s'est manifesté de la phase de gestion du conflit à la gestion post conflit. Aussi bien dans la

1 Le plan de la conclusion est inspiré de la méthode proposée par Raymond Quivy et L. Van Campenhoudt dans leur Manuel de recherches en sciences sociales, (Paris, Dunod, 2006, pp. 215-219).

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configuration des institutions nées de la gestion de la Rébellion que dans l'orientation de la politique gouvernementale, les institutions formelles et informelles ont considérablement structuré les options et les résultats obtenus. Mais cette influence historique n'occulte pas l'existence d'éléments de rupture qui se sont manifestés dans la substance des Accords de Paix et les institutions de gestion post conflit.

L'élément central dans la politique de réinsertion des ex-combattants est certainement le principe de la discrimination positive qui contraste avec les logiques d'un Etat à prétention universaliste. Même si dans les modalités d'application des Accords de Paix, les normes universelles de l'Etat, c'est-à-dire les institutions existantes, ont imprimé leur marque pour amoindrir son effet, il n'en demeure pas moins que cette politique a consacré une rupture avec celles-ci. En outre, notre hypothèse ne rend pas compte de l'effet d'autres variables, particulièrement celles liées aux intérêts socio-économiques des acteurs, à la dimension internationale de la rébellion touarègue et aussi aux relations interpersonnelles. Dans leur émergence, les institutions de gestion post conflit ont été influencées, en plus des institutions existantes, par ces variables que notre cadre théorique appréhende mal ou minimise. C'est le cas des relations personnelles entre acteurs politiques.

Avec la deuxième hypothèse, nous avons mis en évidence l'effet structurant des institutions sur les comportements des acteurs. Dans la phase de mise en oeuvre de la réinsertion, les institutions se sont ainsi présentées à la fois comme des contraintes et des opportunités pour les ressortissants. Ces effets institutionnels ont engendré des attitudes et des comportements de la part des ex-combattants, attestant de ce fait de l'influence structurante des institutions de gestion post conflit. A analyser l'ossature institutionnelle du HCRP, il est clairement apparu que les choix opérés antérieurement en matière de design institutionnel (ses normes de fonctionnement, sa localisation géographique, ses attributions etc.) expliquent dans une large mesure les choix stratégiques des acteurs.

Une des conclusions importantes à cet égard est certainement l'explication institutionnelle du patrimonialisme dans la gestion interne des Fronts et Mouvements par les anciens combattants. Aussi, l'analyse a mis en exergue les changements de pouvoir induits par les institutions entre et au sein des Fronts et Mouvements dans la phase post conflit. Mais à ce niveau également, la problématique institutionnelle n'explique pas tout, d'où le recours à des explications relevant d'un registre de type culturaliste pour rendre compte de certains comportements des acteurs.

La troisième hypothèse est certainement la plus pertinente. L'expérience de la gestion post conflit au Niger a confirmé l'hypothèse de l'institutionnalisme historique sur le maintien des institutions. La notion de path dependence rend parfaitement compte du phénomène de « capture » de la politique de réinsertion des ex-combattants en montrant le processus d'institutionnalisation de celle-ci et sa transformation en une contrainte institutionnelle qui a rendu toute tentative de rupture problématique.

En outre, la confrontation de cette hypothèse avec la réalité a montré certains paradoxes. C'est le cas du caractère hasardeux des initiatives de reproduction des institutions qui ont échappé souvent aux agents du HCRP pourtant intéressés par celles-ci. Ce paradoxe corrobore l'idée de

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l'irrationalité de la décision publique et, en général, atteste de la pertinence d'une conception « désenchantée » de l'Etat que l'analyse des politiques publiques a contribué à révéler1.

En plus, avec le processus de reproduction des institutions, il est ressorti que les ressortissants ne sont pas les seuls militants du maintien du statu quo et acteurs du policy lock in. On a noté également une forte implication des agents de l'Administration, en particulier du HCRP, partagés entre deux logiques contradictoires : celle de justifier le bilan de l'exécution d'une mission et celle de sauvegarder les intérêts symboliques et matériels que celle-ci a contribué à cristalliser.

La particularité de ce policy lock in est le caractère discret, voire secret du processus de reproduction institutionnelle, compte tenu du caractère « dépolitisé » des Accords de Paix en général et de la réinsertion des ex-combattants en particulier2. Il se dégage que l'enjeu principal autour de ce conflit entre institutions de gestion post conflit et les nouvelles orientations politiques de l'Etat touche à un des fondamentaux de l'État, à savoir l'idéologie universaliste.

En général, on peut estimer que les hypothèses de recherche se sont dans l'ensemble révélées pertinentes dans l'explication des phénomènes observés. Les écarts constatés ne sont pas aussi profonds pour conclure à une faiblesse heuristique de la théorie à laquelle ces hypothèses se rattachent. Le recours sporadique à d'autres grilles inspirées de paradigmes différents, voire concurrents, n'altère nullement la vertu heuristique des institutions. Au contraire, cette analyse cadre parfaitement avec la démarche très souvent éclectique des sciences sociales.

Ceci est d'autant plus évident que les institutionnalistes historiques n'ont jamais considéré les institutions comme les seules variables explicatives, ainsi que le soutiennent Peter Hall et Rosemary Taylor : « ...Bien qu'ils attirent l'attention sur le rôle des institutions dans la vie politique, il est rare que les théoriciens de l'institutionnalisme historique affirment que les institutions sont l'unique facteur qui influence la vie politique. Ils cherchent en général à situer les institutions dans une chaîne causale qui laisse une place à d'autresfacteurs en particulier les développements socio-économiques et la diffusion des idées »3.

En termes d'apport de connaissances, cette étude peut être évaluée d'abord selon ce qu'elle ajoute à l'état de connaissances sur la question touarègue (ce que nous savons de plus) et ensuite, ce qu'elle nuance, corrige ou remet en question (ce que nous savons d'autre). Sur le premier aspect, cette recherche apporte une analyse sur un chantier laissé en friche, insuffisamment étudié dans une perspective scientifique, du moins politologique. De par la problématique adoptée, le problème touareg est analysé autrement que par l'Histoire, le Droit ou l'Anthropologie.

La démarche de l'analyse des politiques publiques a ainsi permis de « sociologiser » notre regard sur cette question par l'examen d'une politique concrète, de son émergence à son impact

1 Des auteurs comme Patrice Duran considèrent l'analyse des politiques publiques comme une «pensée de crise» car cette discipline a connu son essor pendant les crises de l'Etat-providence en Occident. Plusieurs travaux ont contribué à déconstruire le mythe de la rationalité absolue dans la décision publique. Le modèle de la poubelle ou garbage can model de Michael Cohen et James March, l'incrémentalisme de Charles Lindblom ou encore le modèle de la «fenêtre d'opportunité» de John Kingdon en sont des illustrations. Voir Charlotte Halpern, «Décision» in Laurie Boussaguet et al, op cit, pp. 153-160.

2 Les Accords de Paix sont dans sa sphère de l'administration, ils ne sont donc pas susceptibles de débats publics, car il s'agit avant tout pour le Gouvernement d'honorer des engagements souscrits à l'issue d'un processus politique exceptionnel. Le cadre institutionnel (le HCRP), de par son organisation et son fonctionnement, a contribué faire de la question de la réinsertion une des politiques les moins discutées en public.

3 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p.476.

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sur son environnement en passant par sa mise en oeuvre. Contrairement aux travaux antérieurs se sont concentrés sur les causes de la rébellion touarègue, notre travail a eu pour ambition de compléter la littérature savante par l'étude de la gestion post conflit issue de cette rébellion. Cette recherche a mis en lumière les processus politiques qui ont suivi les Accords de Paix et analysé leurs impacts sur le champ politique nigérien. A cet effet, l'élucidation des fonctions manifestes et latentes du HCRP dans ces processus est un apport substantiel pour appréhender l'impact de la gestion post conflit sur le système politique.

Sur le second angle, cette étude constitue une esquisse d'explication de la résurgence du conflit au nord Niger, même si celle-ci n'est pas au centre de notre réflexion. Notre étude sur la réinsertion relativise certaines perspectives analytiques sur cette question. L'analyse institutionnelle montre que le recours à la violence est en partie le résultat d'une structuration institutionnelle. Cette approche se démarque en cela des explications culturalistes qui établissent un lien de causalité entre la propension culturelle (postulée) à la violence des touaregs et la lutte armée. L'analyse institutionnelle démontre l'existence d'un lien d'engendrement entre les institutions et le recours à la lutte armée. Le MNJ est une des expressions de cette dynamique.

Cette recherche permet aussi de nuancer les explications simplistes inspirées de la sociologie dépendantiste réduisant la rébellion armée à de simples conspirations impérialistes. Nous avons rappelé la nécessité de distinguer la cause à l'origine d'un phénomène de la fonction que celui-ci peut être amené à remplir après sa naissance1. Le MNJ résultent essentiellement d'une impasse de la politique de gestion post conflit (cause). Mais une fois constituée, cette rébellion a très vite été récupérée par des acteurs opportunistes internes et externes (fonction).

Le processus de reproduction des institutions est un apport important car il met en exergue la logique intrinsèque du cadre institutionnel à se reproduire ainsi que les acteurs impliqués et leurs rôles respectifs dans le processus. L'étude de l'impact de cette institutionnalisation révèle que la réinsertion des ex-combattants a engendré des dynamiques à la fois stabilisatrices et déstabilisatrices. C'est dans cet effet ambivalent que réside le paradoxe de cette politique.

La réinsertion des ex-combattants a été un champ d'affrontement entre universalisme et particularisme. Les contradictions qu'elle suscite constituent la manifestation tangible d'une crise de légitimité de l'Etat dont l'analyse déborde le champ des politiques publiques et sollicite les outils conceptuels la sociologie politique. Le problème touareg au Niger et au Mali rappelle encore une fois la pertinence du débat posée par le Pr Basile Guissou sur la crise de l'Etat en Afrique, notamment sur la nécessité de concevoir « d'autres constructions politiques et institutionnelles plus endogènes »2.

Derrière le refus des ex-combattants touaregs d'admettre l'universalisme et le radicalisme de l'Etat contre la discrimination positive se révèle une contradiction structurelle du système politique nigérien. Le déficit d'intériorisation des valeurs universelles par les ex-combattants, le refus par ces derniers de s'approprier le cadre démocratique pour faire valoir leurs droits, sapent la dynamique d'institutionnalisation de l'Etat de droit et de la démocratie au Niger.

Du point de vue de l'analyse des politiques publiques, cette tension peut être appréhendée par la notion de référentiel que développent les approches cognitives. Comme le montre Pierre

1 Saidou Abdoulkarim, «Conflit dans le nord : esquisse d'explication à partir de la gestion post conflit» op cit.

2 Basile Guissou, De l'Etat patrimonial à l'Etat de droit moderne au Burkina Faso. Esquisse d'une théorie de la construction de l'Etat en Afrique, Thèse de Doctorat d'Etat en Sociologie Politique, Université de Cocody, Côte d'Ivoire, 2002.

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Muller, « les politiques publiques ne servent pas (en tout cas pas seulement) à résoudre les problèmes »1, mais plutôt à imposer des représentations sur les problèmes. Il n'existe jamais de consensus aussi bien sur la nature des problèmes, sur la chaîne causale qui les produit que sur les effets de l'action publique au plan sociétal.

Les problèmes soulevés par la réinsertion des ex-combattants confirment cette hypothèse. L'adoption de la politique de réinsertion est issue d'un rapport de forces, elle n'a jamais signifié pour l'Etat nigérien la reconnaissance d'un problème de marginalisation des touaregs. Les Accords de Paix incarnent l'imposition par les rebelles touaregs d'une interprétation du réel, d'une lecture particulariste de la réalité positive que le Gouvernement a accepté par pragmatisme2. Le Gouvernement a toujours rejeté l'idée que les touaregs seraient les « véritables Turcs de l'Afrique» (Mano Dayak). Cette position est toujours vivace dans les sphères du pouvoir et au sein de l'opinion publique.

Tout aussi vivace est la conviction des ex-rebelles quand au bien-fondé de la discrimination positive pour qui le maintien d'un Etat à deux vitesses, qui ignore le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, est la condition de survie de la communauté politique. Cette culture aristocratique de l'Etat est réelle et demeure. Mieux, elle a été renforcée paradoxalement par l'expérience de la gestion post conflit et en constitue, d'ailleurs, un des effets pervers. En somme, le problème touareg reste entier3.

Ces réflexions nous conduisent aux apports de connaissances théoriques. A travers cette recherche, c'est la pertinence de l'analyse institutionnelle que la science politique behavioriste et le marxisme, entre autres, ont contribué à marginaliser, qui se trouve confirmée et confortée. Ce travail procède d'un effort de réhabilitation des institutions et de l'Etat en général dans l'analyse politique4.Cependant, en dépit de la qualité de cette problématique, il faut reconnaître que celle-ci mérite encore d'être affinée afin de mieux saisir les faits sociaux.

La complexité de la question touarègue, notamment l'imbrication d'une multitude de variables à la fois conjoncturelles et structurelles devrait conduire à des analyses beaucoup plus éclectiques. En cela, le modèle des « trois I » est intéressant car il combine à la fois les intérêts, les idées et les institutions dans l'analyse des politiques publiques. Ces trois concepts se rapportent aux trois formes de néo-institutionnalismes, à savoir l'institutionnalisme du choix rationnel, l'institutionnalisme sociologique et l'institutionnalisme historique. Il est ressorti des travaux en

1 Pierre Muller, «L'analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie de l'action publique» op cit, p. 194.

2 Ce problème rappelle l'expérience historique du Nigeria où les Nordistes musulmans (Haoussas) bénéficient des quotas dans les universités pour rattraper le retard accusé dans le domaine de l'éducation par rapport au Sudistes chrétiens. Pourtant, historiquement, c'était les Emirs du Nord qui avaient bloqué l'éducation dans leurs zones (indirect rule) pour sauvegarder leur culture. Voir Chris O. Uroh, « On the ethics of ethnic balancing: federal character reconsidered » in Kunle Amuwo (ed), Federalism and political restructuring in Nigeria, (Ibadan, Spectrum Books Limited, 2004, p.196). Le parallèle peut être fait au Niger. Les Touaregs avaient bénéficié des mêmes «faveurs» que les Haoussas du Nigeria sous la colonisation ; ils ont été épargnés de l'école, de l'armée et des travaux forcés.

3 Voyons par exemple comment les ex-rebelles apprécient la décentralisation. Lors de la réunion des Chefs de Fronts et Mouvements du 15 juin 2006 à Niamey, un Chef de Front déclarait : « 80% des élus locaux de la région d'AgadeD étaient des détracteurs de la Rébellion, le sens de notre rébellion, c'était le pouvoir». Autrement dit, ils ont combattu pour leurs ennemis...

4 Des travaux dans ce sens abondent de plus en plus. Sur le cas du Niger, on peut citer l'article de Mamoudou Gazibo « La force des institutions : la CENI comme site d'institutionnalisation au Niger » in Patrick Quantin (dir), Gouverner les sociétés africaines, Paris, Karthala, pp. 65-84.

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politiques publiques que chacun de ces trois courants tend à minimiser les autres variables qui ne relèvent pas de son champ.

C'est pour remédier à cette faiblesse que la combinaison de ces trois outils a été pensée. Comme le constate Yves Surel, «parler des «trois I » peut alors se concevoir comme une façon de croiser plusieurs approches pour comprendre les dynamiques propres à l'action publique et comme un bon moyen de tester des hypothèses alternatives ou complémentaires sur un même objet »1.Dans le sens de cette nouvelle articulation théorique, Daniel Beland propose de « réintégrer certaines variables socio-économiques dans l'analyse institutionnelle »2 afin de combler les lacunes de ce cadre théorique.

Cette articulation doit aussi prendre en compte la place des idées et des paradigmes politiques, très souvent en marge des analyses institutionnelles. Dénis Saint Martin montre également que la logique intrinsèque des institutions à se maintenir que la notion de path dependence met en exergue n'est pas la seule explication de la continuité institutionnelle. L'approche cognitive a permis de mettre en lumière les changements qualitatifs induits par les idées et les processus d'apprentissage so cial3.

En outre, il faut relever la faiblesse du néo-institutionnalisme dans l'explication du changement. La politique de rupture engagée par le président Mamadou Tandja avec les politiques antérieures trouve son explication moins dans le cadre institutionnel que dans d'autres facteurs sociopolitiques internes et externes au système politique. A cet effet d'ailleurs, André Lecours estime que la diversité de la théorie institutionnelle n'est pas mauvaise en soi. Le vrai problème réside dans la propension à privilégier la continuité au détriment du changement institutionnel4.

L'analyse institutionnelle doit également, dans la modélisation de la problématique, préciser le contenu du concept d'institution. S'il est vrai que ce concept a gagné en complexité à la faveur de l'avènement du néo-institutionnalisme, il n'en demeure pas moins qu'il est devenu depuis lors une sorte de « fourre-tout ». Ce qui fait dire à M. Gazibo et J. Jenson que « la multitude de définitions et la faiblesse du consensus à ce sujet ont conduit àfaire naître des critiques telles que celles émises par Erhard Friedberg qui considère cette diversité des significations données à la notion d'institution comme une preuve de la confusion qui entoure le néo-institutionnalisme »S. L'institutionnalisme historique gagnerait donc à concevoir une définition plus précise et opérationnelle de cette notion centrale.

Enfin, pour approfondir notre objet d'étude, l'analyse de problématique de la reconversion politique des anciens rebelles nous parait pertinente. A cet égard, les partis politiques constituent des sites d'observations privilégiés. Le recours à la violence par des ex-combattants pourtant intégrés dans divers corps de l'État indique que la question de la reconversion reste posée. L'ambivalence des comportements politiques de ces acteurs, partagés entre les valeurs démocratiques et l'attachement à une culture aristocratique qui nourrit des pratiques «hors système », appelle une élucidation scientifique plus élaborée.

1 Yves Surel, «Trois I », in Laurie Boussaguet et al, op cit, p. 456.

2 Daniel Beland, «Néo-institutionnalisme historique et politiques sociales : une perspective sociologique» in Politique et Sociétés, vol 21, n°3, 2002, p. 29.

3 Dénis Saint Martin, op cit, p. 45. Hugh Heclo introduit le concept de policy puDDling pour montrer que les changements de politiques publiques ne sont pas seulement une affaire de lutte de pouvoir (powering), mais peuvent aussi être analysés sous leur dimension cognitive. Cf Jacques De Maillard, «Apprentissage» in Laurie Boussaguet et al, op cit, pp. 59-66.

4 André Lecours, op cit, p. 14.

5 Op cit, p.198.

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Annexes

Annexe 1 : Accord établissant une paix définitive entre le Gouvernement de la République du Niger et l'Organisation de la Résistance Armée (ORA)

Annexe 2 : Protocole d'Accord Additionnel entre le Gouvernement de la République du Niger et l'Union des Forces de la Résistance Armée (FPLS, MUR, FAR) et les Forces Armées Révolutionnaires du Sahara

Annexe 3 : Accord de N'Djaména entre le Gouvernement de la République du Niger et le Front Démocratique pour le Renouveau (FDR).

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ANNEXE 1

ACCORD ETABLISSANT UNE PAIX DEFINITIVE ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE DU NIGER ET L'ORGANISATION DE LA RESISTANCE ARMEE (ORA)

Préambule

Le Gouvernement de la République du Niger et l'Organisation de la Résistance Armée (ORA), dénommées les deux parties dans le cadre du présent accord :

- Convaincus de la nécessité de retrouver et de préserver la paix dans leurs pays, de consolider l'unité nationale, et de se consacrer aux tâches de développement socio-économique ;

- Soucieux de parachever le processus de paix engagé par l'Accord de Paix signé à Ouagadougou le 19 octobre 1994 et consacré par le présent accord ;

- Réaffirmant leur attachement à la constitution du 26 décembre 1992 ;

- Respectueux de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 et de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de 1981 ;

- Désireux de donner aux populations la responsabilité de gérer leurs propres affaires par une libre administration des collectivités territoriales reposant sur les principes de la décentralisation et de la déconcentration contenus dans la constitution du 26 décembre 1992 :

Sont convenus sous la médiation de la République Algérienne Démocratique et Populaire, du Burkina Faso et de la République française de ce qui suit :

TITRE I : DES PRINCIPES DIRECTEURS

Article premier: Le présent Accord dont les dispositions sont irréversibles engage solennellement le Gouvernement de la République du Niger et l'Organisation de la Résistance Armée (ORA) à ramener la paix d'une manière globale et définitive sur le territoire de la République.

Article 2 : Les dispositions du présent Accord lient tous les Nigériens et leurs institutions. TITRE II : DE L'ORGANISATION TERRITORIALE ET ADMINSTRATIVE

Article 3 : Le découpage territorial, l'organisation et les pouvoirs des collectivités territoriales seront définis par la loi sur la base des travaux de la commission spéciale chargée de réfléchir sur le découpage administratif de la République du Niger, en conformité avec l'Accord de Paix signé à Ouagadougou le 19 octobre 1994, en ses articles I, II et III ainsi libellés :

A) DECOUPAGE TERRITORIAL

Article 4 : La République du Niger est divisée en circonscriptions administratives qui sont :

- La région

- Le département

- L'arrondissement

- La commune

Article 5 : La région, le département et la commune sont érigés en collectivités territoriales.

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Article 6 : La création et les limites des collectivités territoriales (régions, départements, communes) et celles des arrondissements sont fixés par la loi sur la proposition de la commission spéciale dont seront les membres les représentants de la CRA.

B) DE L'ORGANISATION ET DES POUVOIRS DES COLLECTIVITES TERRITORIALES

Article 7 : Les collectivités territoriales seront dotées de conseils ou d'assemblées élus au suffrage universel direct et dont les présidents élus en leur sein seront les chefs des exécutifs régionaux, départementaux et communaux.

Article 8 : Dans le cadre de leur libre administration, les conseils ou les assemblée élus règleront par voix délibérative leurs propres affaires dans les domaines prévus par la loi notamment le budget, la conception, la programmation, la mise en oeuvre, le suivi et l'évaluation des actions de développement économique, social et culturel d'intérêt régional ou local.

C) DES REPRESENTANTS DE L'ÉTAT

Article 9 : La représentation de l'État sera assurée par :

- un représentant au niveau de la région

- un représentant dans le département

- un représentant dans l'arrondissement

- un maire élu dans la commune.

La dénomination de ces représentants sera déterminée par la loi.

Article 10 : Les représentants de l'État auront pour mission :

a) de veiller à l'application des lois et règlements en vigueur

b) d'assurer le contrôle de la légalité à postériori des décisions et actions des collectivités territoriales

c) d'apporter aux collectivités territoriales, à leur demande, conseils et assistance des services techniques de l'État.

TITRE III: DE LA RESTAURATION DE LA PAIX ET DE LA RECONCILIATION NATIONALE

Article 11 : Un cessez-le --feu définitif entrera en vigueur à zéro heure (heure de Niamey) le lendemain de la signature du présent Accord.

Article 12 : En vue de la restauration d'une sécurité définitive, de la restauration et de la consolidation de la paix, les deux parties décident de créer et d'établir à Niamey dans les 15 jours qui suivent la signature du présent Accord un Comité Spécial de Paix composé de chacune des deux parties sur une base paritaire et de la médiation. L'effectif de ce comité ne pourra dépasser 20 dont 14 pour les deux parties. La présidence du Comité Spécial de Paix sera confiée au Haut Commissaire à la Restauration de la Paix et la vice-présidence à un représentant de l'ORA.

Les moyens nécessaires au fonctionnement du Comité seront assurés par l'État.

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La problématique de la gestion post con~lit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

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Le Comité tiendra des réunions périodiques. Il pourra aussi être convoqué par son président à la demande de l'une ou de l'autre des parties. Les réunions du Comité feront l'objet de procès-verbaux.

Le Comité aura pour mission :

1) de veiller à l'application de l'Accord et du calendrier établi par celui-ci

2) de veiller à ce que les dispositions de l'Accord fassent l'objet d'une large diffusion et d'une campagne d'explication auprès des populations nigériennes

3) de veiller à l'exécution des opérations de désarmement et de récupération de toutes les armes, minutions et matériels de guerre

4) de déterminer les effectifs avant le début des intégrations.

A cet effet, il recevra notamment :

- les listes des éléments démobilisés de l'ORA dont il procédera au décompte

- la liste des armes, munitions et matériels de guerre qui devront être rendus et dont il contrôlera la

récupération et le stockage, et décidera de la destination.

Le Comité Spécial de Paix aura sous son autorité un groupe d'observateurs militaires pour la composition duquel il sera fait appel essentiellement aux pays médiateurs.

Le groupe d'observateurs militaires aura pout tâches pendant son mandat :

- de contrôler l'application du cessez-le-feu et de rendre compte de ses violations éventuelles

- de contrôler dans le cadre du présent Accord la récupération, la remise et le stockage des armes.

Les fonctions de ce groupe seront définies par un document qui devra être arrêté avant l'arrivée des observateurs et qui précisera les modalités de leur emploi.

Sa mission sera d'une durée de trois (3) mois, renouvelable en cas de nécessité.

Le groupe dont le poste de commandement sera à Niamey disposera d'antennes dans les régions touchées par le conflit.

Article 13 : Le Comité Spécial de Paix veillera à l'exécution des opérations de désarmement et de récupération de toutes les armes, munitions et matériel de guerre lorsque le Gouvernement :

- aura mis en place la loi sur la décentralisation avec un calendrier détaillé d'application

- aura adopté le statut des unités à statut militaire particulier avec un calendrier de création et d'organisation de ces unités et aura mis en place ces unités

- aura mis en place avec l'appui des partenaires du Niger l'exécution du programme d'urgence et des stratégies de développement économique, social et culturel prévues dans le présent Accord afin de permettre la création d'emploi dans la zone touchée par le conflit

- aura démarré l'intégration, la réintégration, le recrutement d'éléments démobilisés de l'ORA dans l'Administration Publique, les Forces de Défense et de Sécurité, les lycées et à l'Université, et dans les projets de développement.

Pour sa part, l'ORA s'engage à désarmer et démobiliser ses éléments.

Article 14 : Le Gouvernement s'engage à mettre fin à l'action de tous les groupes et bandes armées (milices, brigades etc.) susceptibles d'aggraver le climat d'insécurité et de compromettre les efforts de paix. A cet effet ; il procédera à leur désarmement.

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Article 15 : Una amnistie générale sera décidée en faveur des éléments de l'ORA et des éléments des Forces de Défense et de Sécurité ainsi que des autres agents de l'État pour tous les actes commis du fait du conflit antérieurement à la date de la signature du présent Accord.

Le Gouvernement instituera une journée commémorative de réconciliation nationale à la mémoire des victimes du conflit et des évènements de Mai 1990 et prendra des mesures d'apaisement en leur faveur.

Article 16 : Le Gouvernement procédera à la réintégration à la Fonction Publique et dans les Sociétés d'État des éléments démobilisés de l'ORA qui avaient le statut de fonctionnaires ou d'agents publics. Le Gouvernement procédera également à la réintégration dans les établissements scolaires et universitaires des éléments démobilisés de l'ORA qui avaient le statut d'élève ou d'étudiant.

TITRE IV : DE L'ORGANISATION DES FORCES DE DEFENSE ET DE SECURITE Article 17 : a) Unités à Statut Militaire particulier

Il sera créé des unités à statut militaire particulier dans les régions de l'Aïr, de l'Azawak et du Kawar.

Le statut particulier de ces unités (commandement, gestion des personnels, recrutement, formation, avancement) sera déterminé par les textes réglementaires sur proposition d'une commission interministérielle dont seront membres en outre des représentants de l'ORA.

Ces unités auront pour mission d'assurer le maintien de l'ordre et de la sécurité publique.

Dans le cadre de leur mission, elles devront agir de façon coordonnées et en complémentarité avec les forces classiques de défense et de sécurité.

Le personnel de ces unités sera composé d'éléments démobilisés de l'ORA et de ressortissants des régions concernées.

b) Forces Armées Nigériennes et Gendarmerie Nationale

Dans le cadre de la restauration de la paix et de la confiance, le Gouvernement s'engage à intégrer dans l'armée des éléments démobilisés de l'ORA qui recevront une formation appropriée. Ces éléments souscriront un engagement conformément aux dispositions réglementaires.

En plus, dans le cadre du recrutement annuel, le contingent de recrues, ressortissants de la zone touchée par le conflit sera revue à la hausse.

A cet effet, les textes réglementaires y afférents seront réaménagés.

Par ailleurs, la loi 62-10 du 16 mars 1962 sur proposition du comité interministériel prévu à l'alinéa a) du présent article sera soumise à l'Assemblée Nationale.

c) Forces paramilitaires

Le Gouvernement intégrera selon les textes en vigueur au sein des Forces paramilitaires (gardes républicains, police nationale, douane), des éléments démobilisés de l'ORA qui recevront une formation appropriée.

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Pour la protection de l'environnement, de la faune et de la flore, un accent sera mis sur le recrutement du personnel local.

En cas de nécessité, les dispositions seront prises pour réaménager les textes en vigueur. TITRE V : DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, SOCIAL ET CULTUREL

Article 18 : Dans le cadre de l'application de l'article 8 du présent Accord, le Gouvernement prendra dans les domaines prévus par la loi toutes les mesures nécessaires pour assurer aux collectivités territoriales la libre gestion de leurs affaires dans les actions de développement économique, social et culturel d'intérêt régional et local.

Article 19 : En vue de permettre le retour librement consenti et la réinsertion des personnes déplacées, le Gouvernement s'engage, en liaison avec l'ORA, les pays amis et les organisations humanitaires internationales concernées, à mettre en place, d'une part, des centres d'accueil et d'orientation où le séjour sera des plus brefs possibles et, d'autre part des sites de réinsertion dans lesquels seront développées des activités socio-économiques adéquates.

Article 20 : En vue du renforcement et de l'élargissement à la zone touchée par le conflit des actions déjà entreprises dans le cadre des aides d'urgence au plan alimentaire, sanitaire et scolaire prévues dans l'Accord de Paix de Ouagadougou du 9 octobre 1994, le Gouvernement s'engage, en liaison avec l'ORA et les populations concernées, à établir à partir des statistiques disponibles des populations déplacées et celles déjà en place, les besoins réels de l'aide d'urgence à insérer dans le programme global. Ce programme sera soumis par le Gouvernement aux bailleurs de fonds en temps opportun.

Article 21 : Dans le cadre du programme de réinsertion sociale des éléments démobilisés de l'ORA, le Gouvernement prendra des dispositions en vue de leur recrutement dans les projets à haute intensité de main d'oeuvre dans la zone touchée par le conflit.

Article 22 : Sans préjudice des dispositions de l'article 8 du présent Accord, le Gouvernement s'engage à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de poursuivre et d'accélérer les efforts d'investissements dans la zone pastorale par la mise en oeuvre des nouvelles stratégies de développement visant :

A. Dans le domaine du développement rural

1) L'élevage

Une politique de rentabilisation de l'élevage prenant en compte :

- la santé animale

- la reconstitution du cheptel

- la commercialisation du bétail et des produits dérivés de l'élevage

- l'implantation d'unités de transformation et de conservation des produits

- une meilleure gestion des pâturages

- l'aménagement des points d'eau et la multiplication des puits pastoraux

- la constitution des banques céréalières

2) L'agriculture

Une mise en oeuvre des potentialités agricoles que recèlent les régions en assurant leur exploitation tout au long de l'année et une transformation locale des produits par :

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- l'encadrement technique des paysans

- l'appui au service d'encadrement des collectivités

- la commercialisation des produits agricoles

- la lutte contre les éléments de culture

- la création des unités de transformation et de conservation des produits agricoles

- l'exploitation des eaux souterraines

- le renforcement des potentialités maraichères par la mise en exploitation de périmètres hydro

agricoles.

B. Dans le domaine des mines et industries

Les mines resteront une richesse nationale dont les bénéfices doivent permettre le développement de toutes les régions. Pour cela, il faut :

- diversifier la production minière

- valoriser les matières premières locales à travers l'industrialisation

- favoriser le développement de l'économie régionale par la mise en oeuvre pour l'ensemble du secteur industriel et minier des mesures incitatives à la création d'emplois en faveur des populations locales qui bénéficieront d'une priorité dans le recrutement

- transférer aux collectivités territoriales une partie des ressources nationales générées par l'exploitation minière et industrielle. Le taux et les modalités de transfert de ces ressources seront déterminés par la loi sur la décentralisation.

C. Dans le domaine du développement social et culturel

1. Santé

- la réhabilitation des infrastructures déjà existantes

- la construction et l'équipement de nouvelles unités sanitaires

- la multiplication des pharmacies et des dépôts de médicaments

- la formation du personnel

- la mise en place d'équipes mobiles de santé dans les zones nomades

2. Education

- adapter les programmes d'enseignement selon les réalités socioculturelles des régions

- promouvoir les langues et écritures nationales notamment le tamachèque et le tifinar

- envisager la création d'institutions d'enseignement supérieur dans les régions du Nord

- réhabiliter, construire et multiplier les écoles et cantines scolaires

- former le personnel enseignant

- affecter dans la mesure du possible dans les régions, le personnel enseignant ressortissant de ces

régions pour s'assurer d'une meilleure sensibilisation des populations sur les problèmes de

l'éducation afin de résoudre les problèmes inhérents au recrutement scolaire.

- Accroître le taux de scolarisation

3. Culture

- la création des centres culturels et musées régionaux valorisant les cultures, l'histoire et les traditions orales

- la multiplication d'échanges culturels et sportifs interrégionaux et extérieurs

D. Dans le domaine des services

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1. Transports et communications

- l'entretien, la gestion et la construction des routes, pistes, aéroports, auto gares

- l'ouverture et le développement du trafic aérien afin de désenclaver les régions

- l'assouplissement des contrôles et formalités de police

- la création, dans la mesure du possible, de stations de radio et de télévision régionales émettant en

langues nationales et reprenant les programmes nationaux

- l'installation des moyens de communication BLU (bandes latérales uniques) dans les centres les

plus reculés.

2. Tourisme, hôtellerie et artisanat

- envisager la suppression des visas pour les ressortissants de l'Union Européenne

- mettre en place des vols charters directs

- assouplir les formalités d'accueil et de circulation des personnes

- réhabiliter et promouvoir les unités hôtelières

- prendre les mesures d'accompagnement pour relancer les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et

de l'artisanat générateurs de recettes, devises et emplois.

3. Administration Publique

Le Gouvernement, soucieux d'une participation active de toutes les composantes de la population nigérienne à la gestion des affaires de l'État et dans la cadre de la consolidation de la paix, s'engage à intégrer des éléments démobilisés de l'ORA à tous les niveaux de l'Administration publique selon les critères de compétences et les nécessités de l'État.

Il en sera de même pour les fonctions politiques.

E. La liste des actions ci-dessus énumérées n'est pas limitative

Article 23 : Le Gouvernement organisera une table ronde regroupant les pays amis du Niger et les organisations internationales pour le financement du programme économique et social du présent Accord.

Article 24 : Dans le souci d'une meilleure répartition géographique des infrastructures et des équipements, le Gouvernement s'engage à appuyer la politique de décentralisation par une politique d'aménagement du territoire. Cette répartition devra tenir compte des potentialités économiques de chaque région.

Article 25 : Les dispositions du présent Accord seront mise en oeuvre ainsi qu'il suit :

1. 15 avril 1995 : Paraphe de l'Accord définitif de paix de Ouagadougou

2. 24 avril 1995 : Signature solennelle de l'Accord définitif de paix de Niamey

3. 25 avril 1995 : Entrée en vigueur du cessez-le-feu définitif à zéro heure (heure de Niamey)

4. 9 mai 1995 : Installation du Comité Spécial de Paix

5. 31 mai 1995 : Installation d'une commission interministérielle

6. 30 juin 1995 : Adoption du statut des unités à statut militaire particulier

7. 1er juillet 1995 : Démarrage de l'intégration, de la réintégration et du recrutement dans les forces paramilitaires, les sociétés d'État, lycées, l'Université, l'Administration publique et les projets de développement.

8. 1er juillet 1995 : Installation du groupe d'observateurs militaires

9. 15 juillet 1995 : Mise en place de la loi sur la décentralisation

10. 15 juillet 1995 : Démarrage du programme d'aide d'urgence et des projets de développement

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11. 1er septembre 1995 : Début des travaux de détermination des effectifs

12. 1er octobre 1995 : Mise en place des unités à statut militaire particulier

13. 1er octobre 1995 : Désarmement/Démobilisation des éléments de l'ORA

14. 1er octobre 1995 : Démarrage de la formation et de l'intégration des éléments de l'ORA dans les forces de défense et de sécurité.

15. 15 octobre 1995 : Table Ronde sur le programme d'urgence. NB : Ce calendrier n'étantpas exhaustif, le comité en déterminera la suite.

TITRE VI : DISPOSITIONS FINALES

Article 26 : Le présent Accord est établi en 5 exemplaires originaux rédigés en langue française et signés par chacune des deux parties, ainsi que chacun des 3 médiateurs.

Un exemplaire original sera conservé par chacun des signataires.

Article 27 : Le présent Accord qui entre en vigueur à compter de sa date de signature, sera publié au Journal Officiel de la République du Niger.

Fait à Ouagadougou, le 15 avri11995

ONT SIGNE

Pour le Gouvernement de la République du Niger Monsieur MAI MAIGANA

Pour l'Organisation de la Résistance Armée Monsieur RHISSA AG BOULA

La Médiation

Pour la République Algérienne Démocratique et Populaire Monsieur LALA MOHAMDED

Pour la République Française

Monsieur ALAIN DESCHAMPS

Pour le Burkina Faso

Monsieur ABLASSE OUEDRAOGO

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ANNEXE 2

PROTOCOLE D'ACCORD ADDITIONNEL ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE DU NIGER ET L'UNION DES FORCES DE LA RESISTANCE ARMEE (FPLS, MUR, FAR) ET LES FORCES ARMEES REVOLUTIONNAIRES DU SAHARA

En application de l'Accord de Paix du 24 avril 1995, le Gouvernement de la République du Niger, l'Union des Forces de la Résistance Armée (UFRA/FPFS, MUR, FAR) et les Forces Armée révolutionnaires du Sahara (FARS),

- Convaincus de la nécessité de retrouver la paix dans leur pays

- Soucieux de préserver l'unité nationale et l'intégrité du territoire de la république

- Réaffirmant leur attachement à la constitution du 12 mai 1996 et au respect des institutions de la République

Sont convenus, sous les auspices de la République Algérienne Démocratique et Populaire, de ce qui suit :

Article premier: Un cessez-le-feu définitif entrera en vigueur le 29 novembre 1997 à 00 H 00 heure de Niamey.

Le Gouvernement, l'UFRA et les FARS doivent tout mettre en oeuvre afin d'éviter toute action susceptible d'engendrer des confrontations dans les zones touchées par le conflit.

Article 2 : L'entrée en vigueur du cessez-le-feu sera suivie de la libération des personnes détenues de part et d'autre, selon les modalités arrêtées par les deux parties.

Article 3 : Dès l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, les deux parties s'engagent, chacune en ce qui la concerne, à procéder aux opérations de déminage.

A l'issue de cette opération dont la durée ne saurait excéder deux semaines, les deux parties constitueront une équipe conjointe qui aura pour mission de vérifier l'effectivité du déminage.

Article 4 : Le cantonnement des ex-combattants prendra effet à compter du 1er janvier 1998 et prendra fin le 31 janvier 1998. Une commission mixte procédera aux opérations de recensement à compter du 10 janvier 1998.

Article 5 : Les intégrations dans les unités sahariennes de sécurité et les corps militaires et paramilitaires seront effectives le 25 janvier 1998.

Une action sera menée en direction des sociétés d'État et d'économie mixte en vue de permettre l'intégration des ex-combattants démobilisés.

Dans les domaines de l'éducation et de la santé, les intégrations se feront en fonction des dossiers présentés et au moment opportun.

Article 6 : Il sera créé un cadre approprié pour la recherche du financement du programme de réinsertion socio-économique des ex-combattants.

Article 7 : Le désarmement des ex-combattants interviendra le 30 janvier 1998.

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DISPOSITIONS PARTICULIERES

Article 8 : Les Unités Sahariennes de Sécurité doivent être opérationnelles après leur formation. Pour le cas spécifique des zones à risque, elles seront opérationnelles à la même période. L'ex-Résistance sera pleinement associée à la gestion du processus de décentralisation.

L'intégration et la nomination des cadres des Fronts et Mouvements dans les emplois de l'État sont laissés à l'appréciation du Président de la République.

Une amnistie générale sera décidée en faveur des personnes impliquées dans les actes commis du fait du conflit antérieurement à la date d signature du présent protocole d'accord. Des mesures d'apaisement seront prises en faveur des populations affectées par le conflit et l'immortalisation de toutes les victimes.

DISPOSITIONS FINALES

Article 9 : L'UFRA (FPLS, MUR, FAR) et les FARS, à l'instar du Gouvernement nigérien, demandent à l'Algérie de poursuivre ses bons offices pour la restauration de la paix au Niger.

A ce titre, l'Algérie assurera en étroite coordination avec les deux parties le suivi de la mise en oeuvre des dispositions du présent protocole d'accord.

RECOMMANDATION

La réunion recommande au Gouvernement et au Front Démocratique pour le Renouveau (FDR) de tout mettre en oeuvre pour aboutir à un dénouement heureux de la situation qui prévaut actuellement à l'Est du pays pour rétablir la paix et la sécurité dans les meilleurs délais.

Fait à Alger, le 23 novembre 1997 ONT SIGNE

Pour le Gouvernement de la République du Niger ISSOUFOU OUBANDAWAKI

Pour l'Union des Forces de la Résistance Armée (FPLS, MUR, FAR) MOHAMED ANACKO

Pour les Forces Armées Révolutionnaires du Sahara (FARS) BARKA WARDOUGOU

Pour le Gouvernement de la République Algérienne Démocratique et Populaire MADJID BOUGUERRA

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ANNEXE 3

ACCORD DE N'DJAMENA ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE DU NIGER ET LE FRONT DEMOCRATIQUE POUR LE RENOUVEAU (FDR)

Le Gouvernement de la République du Niger et le FDR,

- Convaincus de la nécessité de retrouver et de préserver la paix dans leur pays, soucieux de

consolider l'unité nationale et de se consacrer aux tâches de développement économique et social - Réaffirmant leur attachement à la constitution du 12 mai 1996 et au respect des institutions de la

République

Sont convenus, sous les auspices du Gouvernement de la République du Tchad de ce qui suit :

I. DU CESSEZ LE FEU

Cessez-le-feu entre les Forces de Défense et de Sécurité de la République du Niger et le Front Démocratique pour le Renouveau par l'arrêt de toutes les activités militaires hostiles à l'une ou l'autre des parties.

Le cessez-le-feu entre en vigueur dès la signature du présent accord.

L'entrée en vigueur du cessez-le-feu sera suivie de la libération de toutes les personnes détenues de part et d'autre pour faits de guerre.

II. DES AFFAIRES POLITIQUES ET ADMINSTRATIVES

Le Gouvernement de la République du Niger s'engage à prendre en compte les préoccupations du FDR en matière de décentralisation administrative ainsi que celles de la question des minorités nationales.

III. DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL

Le Gouvernement du Niger s'engage à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de poursuivre et d'accélérer les efforts d'investissement dans la zone de Kawar-Manga.

IV. DE LA PARTICIPATION A LA GESTION DES AFFAIRES PUBLIQUES

Le Gouvernement de la République du Niger s'engage à reprendre dans les services respectifs les fonctionnaires et agents de l'État ayant quitté leurs services pour raisons d'ordre politique.

Le Gouvernement de la République du Niger s'engage à recruter de nouveaux cadres du FDR en fonction des diplômes et de ses engagements vis-à-vis de ses partenaires au développement.

Le Gouvernement de la République du Niger s'engage à faire inscrire les étudiants et scolaires en vue de parachever leurs études dans les établissements secondaires, lycées, écoles professionnelles, les instituts et universités. Les nominations des cadres dans les emplois de l'État sont laissées à l'appréciation du Président de la République.

V. DES AFFAIRES MILITAIRES

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Le FDR s'engage à regrouper avec le concours du Gouvernement les ex-combattants à Silla (Département de Diffa). Le recensement, le désarmement et le tri se feront à Silla dans un délai n'excédant pas deux mois à partir de la signature du présent accord.

Les éléments des Forces de Défense et de Sécurité ayant regagné les rangs du FDR seront réintégrés dans leurs corps d'origine et leur situation individuelle sera régularisée conformément aux textes régissant les grades et fonctions dans les différents corps militaires et para militaires.

Ceux des ex-combattants retenus après le tri seront intégrés dans les Unités Sahariennes de Sécurité et les corps para militaires. Le Gouvernement prendra les mesures nécessaires en vue de la réinsertion dans la vie active des ex-combattants démobilisés.

VI. DES REFUGIES

Le Gouvernement de la République du Niger s'engage à organiser le retour volontaire des refugiés par le CONARAP avec le concours du HCR et assurer leur réinsertion socio-économique.

VII. DISPOSITIONS PARTICULIERES

Une amnistie générale sera proclamée par le Gouvernement en faveur des personnes impliquées dans les actes commis du fait du conflit antérieurement à la date de signature du présent accord.

Le Gouvernement de la République du Niger s'engage à accélérer par la procédure d'urgence l'érection du FDR en parti politique après son désarmement.

VIII. DISPOSITIONS FINALES

Le présent accord est établi en trois exemplaires originaux rédigés en langues française et signés par chacune des deux parties ainsi que le Médiateur.

Fait à N'Djamena, le 21 août 1998 ONT SIGNE

Pour le Gouvernement de la République du Niger

Le Haut Commissaire à la Restauration de la Paix Monsieur MOUSTAPHA TAHI

Pour le Front Démocratique pour le Renouveau Le Vice-président

GOUKOUNI MAHAMAN ZENE

Pour le Gouvernement de la République du Tchad

Le Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération MAHAMAT SALEH ANNADIF

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La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

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Table des matières

AVERTISSEMENT I

REMERCIEMENTS II

SIGLES ET ABREVIATIONS III

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE 12

LA CRISE DE CONSTRUCTION NATIONALE : SITE D'EMERGENCE DES

POLITIQUES PUBLIQUES 12

CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DU PROBLEME TOUAREG 14

SECTION 1 : L'ORIGINE COLONIALE DU PROBLEME TOUAREG 14

Paragraphe 1 : La configuration politique précoloniale 14

A. Une diversité de configurations et trajectoires politiques 14

B. La primauté de la coopération sur le conflit 16

Paragraphe 2 : La politisation de l'ethnicité 19

A. L'invention coloniale du clivage Est-Ouest 19

A. L'ambivalence de la politique touarègue du pouvoir colonial 21

SECTION 2 : L'ETAT POST COLONIAL ET LE DEFI DU PROBLEME TOUAREG 23

Paragraphe 1 : Les limites des politiques de construction nationale 23

A. La gestion autoritaire des clivages politiques 23

B. La dimension géopolitique du conflit touareg 26

Paragraphe 2 : Le règlement du conflit touareg 29

A. Le laborieux processus de paix 29

B. La double signification des Accords de Paix 32

CHAPITRE II : EMERGENCE DES POLITIQUES DE GESTION POST CONFLIT

ET CONTINUITE HISTORIQUE 36

SECTION 1 : LA DIMENSION INSTITUTIONNELLE DES REPONSES ETATIQUES AU PHENOMENE

REBELLIONNAIRE 36

Paragraphe 1 : La structuration institutionnelle de la gestion du conflit 36

A. L'orientation de la politique gouvernementale 36

B. La prolifération d'institutions 39

Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des Accords de Paix 41

A. Les principes de base des Accords de Paix 42

B. Les modalités d'application des Accords de Paix 44
SECTION 2 : LE MODELAGE INSTITUTIONNEL DANS L'ELABORATION DE LA POLITIQUE DE

REINSERTION 47

Paragraphe 1 : La configuration institutionnelle de la gestion post conflit 47

A. L'existence d'un cadre permanent : Le HCRP 48

B. Les mécanismes ad hoc ou interministériels 51

Paragraphe 2 : L'empreinte institutionnelle dans le output de la politique de réinsertion 54

A. La cooptation des élites dans l'appareil d'Etat 54

B. Les balbutiements de la réinsertion des ex-combattants 57

DEUXIEME PARTIE : 62

14

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

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"1I.PA!T DES INSTITUTIONS SUR "A REINSERTION ENTRE

STRU!TURATION ET REPRODU!TION 62

!-APITRE I INSTITUTIONS ET "OGI#UES !O.PORTE.ENTA"ES DES 23

!. 64

SECTION 1 : LA STRUCTURATION DES STRATEGIES DES EX-COMBATTANTS 64

Paragraphe 1 : Les institutions comme opportunité 64

A. Le statut juridique du HCRP 64

B. Le processus décisionnel au sein du HCRP 66

Paragraphe 2 : Les institutions comme contrainte 69

A. La rigidité de l'administration publique 69

B. Les contraintes géographiques et linguistiques 72

SECTION 2 : LES RELATIONS DE POUVOIR ASYMETRIQUES ENTRE ACTEURS 75

Paragraphe 1 :Les relations entre acteurs étatiques 76

A. L'organisation interne du HCRP 76

B. Les relations avec les autres institutions 79

Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les ex-combattants 81

A. La primauté des Fronts sur les Mouvements 81

B. La capacité distributive des élites 84

!-APITRE II PO"ITI#UE DE REINSERTION ET P-ENO.ENES DE PAT-

DEPENDEN!E 88

SECTION 1 : LA CRISTALLISATION DE LA LOGIQUE REPRODUCTRICE 88

Paragraphe 1 : Le HCRP comme contrainte institutionnelle 88

A. La dynamique d'auto renforcement 88

B. Le changement des choix politiques 91

Paragraphe 2 :Les mécanismes de résistance de l'institution 95

A. Les stratégies de survie du HCRP 95

B. L'inflation des demandes des ex-combattants 98

SECTION 2 : LE DOUBLE IMPACT DE LA DYNAMIQUE D'INSTITUTIONNALISATION 101

Paragraphe 1 : Le développement d'une fonction tribunitienne 101

A. La canalisation desfrustrations des ex-combattants 102

B. La reconversion politique des élites 104

Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture politique aristocratique 107

A. Le re jet de la citoyenneté universaliste 107

B. Le recours à la violence 110

!ON!"USION 113

BIB"IOGRAP-IE 119

ANNE2ES 127

ANNE2E 4 1

ANNE2E ' 9

ANNE2E 5 11






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