Aux côtés du HCRP ont été
institués certains mécanismes interministériels dans la
définition des politiques issues des Accords de Paix. Si le HCRP,
nonobstant l'influence de l'institution militaire sur son fonctionnement
apparaît comme une institution originale, les mécanismes
interministériels incarnent avec plus de netteté l'emprise des
institutions sur le pro cessus3. C'est ainsi qu'il fut
créé auprès du Haut Commissaire à la Restauration
de la Paix par arrêté n°34/PM du 20 mars 1997, une
Commission Chargée des Intégrations et de la
Réinsertion Socio-économique des Ex-combattants de la
Résistance Armée.
1 L'arrestation de Mohamed Aghali, Agent des FNIS, Chauffeur
et Garde du Corps de Mohamed Anacko, le 28 mai 2008 par la Gendarmerie
Nationale n'est pour pas pour dissiper ces suspicions.
L'intéressé est poursuivi pour contacts présumés
avec le MNJ...
2 Voir HCRP, Forum de consolidation de la paix dans
la région d'Agade , mars 2005 (document non
paginé).
3 Nous ne retenons ici que les institutions liées
à la politique de réinsertion des ex-combattants, d'autres
institutions ont été crées, notamment en ce qui concerne
la politique de décentralisation. Il s'agit de la Commission
Spéciale sur le Redécoupage Administratif de la République
du Niger installée le 3 janvier 1995 et un
Haut Commissariat à la Réforme Administrative et
à la Décentralisation (HCRA/D) créé
le 15 août 1995 conformément à l'article 6 de l'Accord du
24 avril 1995.
52
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Cette Commission fut subdivisée en deux
sous-commissions, la Sous-commission Intégration
présidée par le Secrétaire
Général du Ministère du Travail et la Sous-commission
Réinsertion Socio-économique présidée par le
Secrétaire Général du Ministère du Plan. Ensuite,
il fut créé par décret n°9-54/PRN du 9 avril 1997 une
Commission Chargée du Cantonnement des Ex-combattants de la
Résistance Armée et du Comité de Vigilance de Tassara
(CVT) présidée par le Ministre de la Défense
Nationale.1 Les travaux de ces deux commissions étaient
supervisés par un Comité interministériel de
Pilotage présidé par le Premier Ministre
créé par arrêté n°035/PM du 20 mars 1997.
Par décret n°97-220/PRM du 19 juin 1997, il fut
également créé une Commission Nationale de
Coordination et de Suivi des Opérations de Rapatriement des
Nigériens déplacés en Algérie et au Burkina Faso du
fait de la Rébellion2. Celle-ci,
présidée par le Ministère de l'intérieur, a
supervisé, conformément aux Accords de Paix, le retour des
populations nigériennes déplacées sur la base de leur
libre consentement. A cet égard, deux Accords tripartites
Niger-Algérie-HCRP et Niger-Burkina Faso-HCR furent conclus.
L'analyse de ces différents mécanismes montre
d'abord que la gestion post-conflit a été une véritable
« opération commando » car elle a
mobilisé presque tout ce qui existe comme institution dans
l'administration nigérienne3. Pratiquement tous les
ministères ont été impliqués, de même que les
représentants de la Rébellion. De par leur configuration, ces
différentes commissions étaient de nature ad hoc, donc
appelées à disparaître une fois leur travail accompli.
C'est ainsi que la fin du cantonnement des ex-combattants intervenu le 30
octobre 1997 mettait également fin à la mission de la
Commission de Cantonnement car le désarmement
des Fronts eut lieu avec la cérémonie de Tchintabaraden le 28
octobre 19974.
De même, les travaux de la Commission
Chargée des Intégrations et de la Réinsertion
Socio-économique prenaient fin une fois que les
intégrations avaient débuté sous la 4e
République. L'option de l'Etat de faire participer toutes les
administrations dans la mise en oeuvre des Accords de Paix s'explique par deux
facteurs. D'une part, un processus inclusif mettant face à face
l'ensemble l'administration publique et les représentants de la
Rébellion avait la vertu de donner une présomption de
légitimité aux décisions arrêtées. Cette
procédure démocratique mettait le pouvoir politique à
l'abri d'éventuels critiques pouvant émaner, soit de
l'administration, soit de la Rébellion elle-même ; surtout quand
on sait que beaucoup de cadres nigériens étaient très peu
enthousiasmés par les mesures de discrimination positive que la
politique de réinsertion impliquait.
D'autre part, cette option était aussi
inévitable d'un point de vue technique. En effet, les
intégrations, réinsertion socio-économique
nécessitaient la maîtrise d'une certaine expertise qui
déborde les capacités du HCRP. A ce stade de mise en oeuvre des
Accords, le rôle des experts
1 Journal Officiel de la République du Niger,
n°09 du 1er mai 1997, p. 459.
2 Journal Officiel de la République du
Niger, n°14 du 15 juillet 1997.
3 On peut par exemple retenir la composition de la
Sous-commission Intégration :
Président : Secrétaire
Général du Ministère du Travail et de l'Emploi
Membres : un (1) représentant pour chacune des
institutions suivantes : Cabinet du Premier ministre, Ministère
Chargé de l'Education Nationale, Ministère de la Santé
Publique, Ministère des Mines, Ministère du Développement
Industriel et des Mines, Ministère du Commerce, Ministère du
Plan, Ministère de l'Hydraulique et de l'Environnement, Ministère
de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, deux (2)
représentants du HCRP, deux (2) représentants du Ministère
des Finances, trois (3) représentants du Ministère de
l'Intérieur et enfin un (1) représentant pour chacune des trois
coalitions rebelles (ORA, CRA, UFRA).
4 Mais il faut préciser que ce premier
désarmement ne concernait que les Fronts de l'Azawak, le
désarmement effectif n'interviendra que le 5 juin 2000.
53
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Août 2009
prenait toute son importance. Selon le modèle de John
Kingdon, on dira qu'il s'agit là d'un «couplage
serré» entre le courant des problèmes et le
courant des solutions1. Ceci peut être illustré par les
attributions des Sous-commissions Intégration
et Réinsertion
Socio-économique.
Au nombre des attributions de la première, on pouvait
lire : « recenser les effectifs à intégrer,
retenir suivant les critères qu'elle aura déterminés les
éléments à affecter aux différents corps,
évaluer l'incidence budgétaire des opérations
d'intégration des effectifs retenus comprenant les équipements
individuels, la formation et les salaires » etc. Pour la
seconde Sous-commission, on peut retenir : «
définir la stratégie, la politique, les
critères de réinsertion et veiller à leur application,
évaluer le processus de réinsertion, créer les bases de
données sur la démobilisation et sur les opportunités
existantes et potentielles dans les tones de réinsertion et plus
particulièrement le Nord Niger» etc.
En juillet 1998, le HCRP procédait à une
analyse à la fois juridique et financière des intégrations
à incidence financière sur le Budget de l'Etat. Ces
intégrations étaient planifiées en trois phases : une
première étape de 1055 éléments déjà
pris en compte dans le Budget et intégrés, une deuxième
étape avec 771 éléments en attente d'intégration
dont la disponibilité financière sur le Budget de l'Etat pour
l'exercice 1998 était à confirmer par le Ministère des
Finances et une troisième étape de 1081 éléments
à intégrer avant fin 1998. Le coût global de toutes les
intégrations pour une année était estimé à
3. 755.287. 000 F CFA2.
Du point de vue de la nature technique de ces questions, les
mécanismes interministériels trouvaient donc leur justification.
Mais à leur tour et par rétroaction, les mécanismes
interministériels vont fortement modeler la politique de
réinsertion des ex-combattants selon la logique et les valeurs propres
aux institutions existantes. La discrimination positive crée des effets
de dissonance cognitive pour les agents de l'État, imbus qu'ils
étaient des valeurs bureaucratiques qu'ils ont fortement
intériorisées. Pour l'administration, le processus de paix ne
peut ignorer des principes élémentaires de recrutement à
la Fonction Publique et dans les autres corps de l'Etat comme fournir un acte
de nationalité, un casier judiciaire, un acte de naissance
etc.3
Par contre, les ex-combattants trouvaient ces exigences
excessives et contraires à l'esprit des Accords de paix. Les
représentants de l'ex-Rébellion, à raison de trois
personnes par Commission, n'eurent pas la tâche facile dans cette foule
d'experts très peu enthousiasmés par l'idée de sacrifier
les règles bureaucratiques sur l'autel du pragmatisme politique. Les
compromis étaient difficiles entre ces deux pôles à logique
divergente : les fonctionnaires qui incarnent la bureaucratie
et les ex-combattants qui symbolisent la
politique.
En encadrant le processus de mise en oeuvre de la politique
de réinsertion, les procédures administratives inspirées
par les institutions existantes ont permis de faire prévaloir un
minimum
1 Vincent Lemieux, op cit. pp. 29-41.
2 HCRP, Estimation du coût du processus de
paix, juillet 1998, pp. 4-5.
3 Dans le Procès-verbal de la Réunion du
Comité de Pilotage du 3 septembre 1997, par
exemple, les modalités d'intégration dans la Gendarmerie
Nationale étaient fixées comme suit :
- être âgé de 20 à 30 ans
- être au minimum titulaire du CEPE ou du CFEPD
- être de nationalité nigérienne
- l'aptitude médicale est obligatoire, elle est
constatée par un médecin militaire
- avoir un certificat de toise de un mètre soixante cinq
(1,65)
- ne pas être en instance d'un procès civil
- être célibataire sans enfant et ne contracter
mariage qu'après la formation ; à l'issue de laquelle il sera
enclenché la procédure administrative appropriée.
54
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
de rigueur technocratique dans le processus. C'est sans doute
pour échapper à cette rigidité des institutions que les
Chefs et Cadres ont préféré un traitement
«politique » de leur réinsertion.
Leur cas a été, en effet, laissé à la
discrétion du Chef de l'Etat1.
De même, pour la réinsertion
socio-économique, les experts de l'administration avaient leur propre
logique. Celle-ci a conduit à commanditer sur le terrain des
enquêtes afin de recenser les ex-combattants, évaluer leurs
besoins et attentes, leurs niveaux d'instruction, etc. Toutes ces
procédures propres aux institutions ont rendu le processus très
lent. Ceci a, à maintes reprises, suscité des réactions
hostiles de l'ex-Rébellion qui considérait de telles
procédures comme des manoeuvres dilatoires.
En clair, en imprimant leur marque sur la définition
des modalités pratiques de la politique de réinsertion, les
institutions existantes démontrent éloquemment leur
continuité historique. La logique institutionnelle prenait sa revanche
sur la logique politique qui avait présidé à la conclusion
des Accords de Paix. L'impact essentiel des modalités d'application des
Accords a été d'introduire une dose de méritocratie dans
cette politique de quota. De ce fait, elle a permis d'éviter des
dysfonctionnements dans l'administration étatique.
C'est l'ensemble de ce processus, fait de jeux des acteurs et
de logiques institutionnelles qui a donné toute son empreinte à
la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs.