WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

( Télécharger le fichier original )
par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture politique aristocratique

Le renforcement de cette culture aristocratique produit par l'effet d'institutionnalisation de la politique de réinsertion se manifeste à travers une tendance au rejet de la citoyenneté universaliste (A) et le recours à la violence (B).

A. Le rejet de la citoyenneté universaliste

La réinsertion des ex-combattants touaregs a eu comme impact de mettre à mal un processus d'institutionnalisation de l'Etat de droit timidement engagé depuis la Conférence

1 Ibid, p. 3.

2 HCRP, Déclaration des Chefs de Fronts, Mouvements et Comités d'Autodéfense et Milices, 12 juin 2007.

108

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

Nationale Souveraine en 1991. En légitimant la discrimination positive en faveur d'une frange de la population, cette politique fait ainsi dérogation au principe de l'égalité des citoyens devant la loi que l'Etat de droit implique. Elle s'écarte donc de la conception individualiste de la citoyenneté jusqu'ici affirmée avec force par l'Etat. Les principes de l'Etat de droit ont été sacrifiés sur l'autel du pragmatisme inspiré par la volonté de restaurer la paix et préserver l'unité nationale. C'est ce qui justifie les dérogations accordées aux ex-combattants dans l'accès aux emplois de l'Etat et aux postes politiques.

Cependant, cette discrimination positive n'était pas censée se perpétuer. Par des effets pervers, la réinsertion a enclenché de manière implicite une dynamique de déstabilisation de l'État. En cherchant à apaiser les tensions, elle a entretenu et consolidé une culture politique aristocratique hostile à toute notion de droit. En d'autres termes, à force de bénéficier de la discrimination positive, les ex-combattants ont développé des réflexes de « super citoyen » qui tranchent avec le discours sur l'État de droit. Beaucoup d'ex-combattants intégrés ont brillé par leur incapacité à se reconvertir en citoyens ordinaires, à se soumettre à des normes universelles.

Cette attitude déviante explique dans une large mesure les contradictions qui ont émaillé le processus des intégrations au sein des institutions étatiques. Le problème des révoqués et des déserteurs au sein des FNIS en est une illustration. Les décisions prises par la hiérarchie militaire de révoquer certains agents des FNIS (dont des ex-combattants) en vertu des textes en vigueur ont été qualifiées par les ex-Chefs rebelles de « renvois complaisants »1 et « révocations planifiées »2, sans qu'ils ne soient capables d'en apporter les preuves.

En fait, la faiblesse des arguments mobilisés pour justifier la demande de réintégration des éléments révoqués cachait mal l'esprit aristocratique qui motivait la démarche : les ex-combattants touaregs ne sont pas des citoyens ordinaires, ce sont des citoyens supérieurs qui ne peuvent être régis par les mêmes lois que les autres. Cette culture politique explique donc la répugnance des ex-combattants à s'approprier les institutions officielles, c'est-à-dire saisir les juridictions compétentes en la matière.

En effet, depuis la signature des Accords de Paix, il n'a jamais été enregistré de cas où l'ex-Résistance ou certains de ses éléments ont saisi une juridiction pour faire valoir leurs droits. Au contraire, la tendance a toujours été de chercher des solutions «politiques », c'est-à-dire dérogatoires aux textes en vigueur. La demande de réintégration des agents des FNIS révoqués ou déserteurs par le seul fait qu'ils sont ex-combattants apparaît de ce point de vue comme un rejet, voire un mépris des institutions ; surtout, lorsqu'on sait que beaucoup d'autres nigériens dans ces corps ont écopé des mêmes sanctions pour les mêmes fautes.

Certains ex-combattants intégrés dans des établissements scolaires ont également développé les mêmes réflexes aristocratiques. C'est ainsi que, très souvent, certains d'entre eux ont sollicité du HCRP des mesures dérogatoires lorsque leurs intérêts ne cadrent pas avec les normes officielles. A titre d'exemple, il est arrivé, on l'a noté, que des ex-combattants ayant redoublé à deux reprises une classe, demandent une réinscription dans un établissement public, ce qui n'est pas autorisé par les textes en vigueur.

Les ex-combattants destinés aux corps militaires et para militaires, en plus de la dérogation à eux concédée pour l'accès à ces corps, ont également bénéficié des mesures exceptionnelles pendant leur formation. A l'E cole Nationale de Police de Niamey par exemple, beaucoup d'éléments intégrés se sont distingués par leur indiscipline sans qu'ils ne soient frappés

1 HCRP, Conclusions de la Réunion...op cit, p. 2.

2 Ibid.

109

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

d'une quelconque sanction. Convaincus de leur «immunité », les ex-combattants pouvaient s'autoriser le mépris des règles disciplinaires.

De tels comportements tendent à créer une situation d'amnistie perpétuelle où chaque manquement aux lois est systématiquement pardonné lorsqu'il s'agit d'un ex-combattant. Cette politique de deux poids deux mesures s'explique aussi bien par le contexte d'émergence des politiques publiques de gestion post conflit que par l'effet structurant des institutions.

Issu d'un rapport de force, la politique de réinsertion était l'expression d'un affaiblissement de l'institution étatique qui, pour des impératifs de survie, fut contrainte de faire des concessions. Mais pour les ex-rebelles la discrimination positive en leur faveur est une correction apportée à un système injuste dans un pays où « la situation du peuple touareg peut se résumer par ces quelques mots : marginalisation politique, pauvreté absolue, persécution »1. En d'autres termes, la politique est perçue comme légitime car elle est la condition indispensable pour freiner «toute forme de recolonisation du Nordpar le Sud »2.

Cette perception de la politique de réinsertion, qui fait de la discrimination positive une condition de justice sociale, permet de cerner les comportements déviants développés par les anciens rebelles. Le cadre institutionnel a été en partie un facteur explicatif majeur dans ce processus. Par sa seule existence, le HCRP contribue au développement de cette culture aristocratique car c'est la seule institution au Niger par laquelle les inputs des ex-combattants intègrent la « boite noire » du système politique.

Intégrés dans les différents corps (FAN, Fonction Publique, Université etc.) par une procédure exceptionnelle mise en oeuvre par le HCRP, les ex-combattants se sont montrés incapables de s'affranchir de la tutelle de cette institution. Il est vrai que de par sa fonction tribunitienne, le HCRP a pu contenir les propensions à la violence des ex-combattants.

Mais cette canalisation des révoltes s'est faite au prix d'une rupture avec les lois universelles de l'Etat. Dans toutes les institutions où ont été intégrés les ex-combattants, l'Etat a souvent fonctionné à deux vitesses : aux normes officielles appliquées aux nigériens ordinaires se greffent des normes « politiques » appliquées aux ex-combattants « au nom de la consolidation de la paix ». Si beaucoup d'institutions avaient brandi la loi pour refuser de telles pratiques, les démarches du HCRP, fort de son rattachement à la Présidence de la République, ont eu souvent raison de leur résistance.

En servant d'instrument de politisation des problèmes des ex-combattants intégrés, le HCRP a ainsi été le cadre institutionnel de l'éclosion, du moins du maintien et du renforcement d'une culture aristocratique. Les ex-combattants ont ainsi cultivé un réflexe de déviance qui n'est pas sans conséquence sur le processus d'institutionnalisation de l'Etat.

Ainsi, face à un problème banal, certains ex-combattants préfèrent faire valoir leurs revendications par le truchement du HCRP que d'emprunter la voie offerte par les institutions classiques de l'Etat. Bref, il se dégage clairement l'impression que la réinsertion a participé à consolider un sentiment de supériorité des ex-combattants par rapport à leurs concitoyens.

Le recours à la violence est une des manifestations tangibles de cette culture politique aristocratique.

1 CRA, Programme Cadre...op cit, p. 1.

2 Ibid, p. 31.

110

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry