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Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons

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par Emeline WYNANTS
Université de Liège - Master en histoire 2012
  

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2.2.2.3. La seconde phase de l'ère officielle : 1933-1939.

Ces quelques années sont teintées de troubles : les effets du krach boursier américain se font sentir, les querelles linguistiques autour de la flamandisation des administrations publiques battent leur plein et la guerre civile espagnole rappelle de sombres souvenirs mais aussi divise un peu plus encore la population belge. C'est donc dans une atmosphère tendue que continue à se dérouler ce qui est de plus en plus perçu comme une tradition qui doit perdurer. De manière générale, les notions de délivrance et de libération sont remises à l'honneur à travers les souvenirs glorieux de 1918. Malgré le contexte tant intérieur qu'extérieur, le 11 novembre reste une fête célébrant le sacrifice de milliers de personne : « La commémoration de l'Armistice est la célébration d'une libération tant pour le vainqueur que pour le vaincu : le ciel recouvre sa pacifique sérénité et les hommes renoncent à l'oeuvre de dévastation et de mort {...}Si l'anniversaire de l'Armistice nous appelle au pieux devoir d'honorer leur héroïsme {les millions de morts de la guerre}, il nous induit aussi, hélas ! à la décevante constatation que cet héroïsme n'a pas produit les fruits qui devaient être sa récompense, et que le « soldat inconnu » fait aujourd'hui douloureusement figure de soldat méconnu. »303(*)

Les célébrations et la presse continuent donc à s'axer sur le souvenir des soldats. Ce souvenir commencent, à cette époque, à s'articuler beaucoup plus autour des morts et de leur nombre, présentant ainsi le 11 novembre comme le prolongement de la Toussaint. Nous avons d'ailleurs constaté que les articles dédiés à la Toussaint devenaient de plus en plus long, abordant chaque fois, une vingtaine de cimetières locaux. Cette notion de souvenir pose question. En effet, selon l'analyse de Mathieu Brasseur, les articles historiques ou évoquant la joie du 11 novembre 1918 tendent à disparaître au profit d'articles évoquant des faits contemporains pour toucher la population jeune.304(*) Or, nos recherches vont dans un tout autre sens. Des articles consacrés à la guerre, aux batailles, aux souvenirs de guerres ou encore au 11 novembre 1918 partagent les premières et deuxièmes pages des journaux avec des articles relatifs à la conférence du désarmement305(*) - surtout à partir du moment où Hitler quitte la table des négociations et la Société des Nations-, aux évènements hitlériens306(*), à l'initiative du Roi Léopold 3 et de la Reine Wilhelmine307(*),...La Libre Belgique illustre bien cette ambivalence : « Comme chaque année, l'aube du 11 novembre marque une date fatidique et mémorable {...} C'est une grande fête, une cérémonie nationale, un rite patriotique. On célèbre le souvenir de la belle délivrance, de l'immortelle victoire. {...} Les canons qui tonnent pour rappeler légitimement nos hauts succès, il faut, hélas ! les tenir prêts à toute éventualité »308(*).

La notion de victoire309(*) présente dans cette citation est une idée qui perd du terrain au profit du concept d'union qui l'a permise et qui doit renaître face au danger imminent : «  L'anniversaire de l'armistice ne doit pas être compté pour une fête joyeuse et depuis des années, comme d'instinct, nous avons pris d'ailleurs l'habitude d'en faire une commémoration aussi funèbre que glorieuse. C'est le souvenir des morts pour la Patrie que l'on commémore surtout aujourd'hui, souvenir inexprimablement (sic.) plus pur que celui de l'incomplète et de la boiteuse Victoire. En bref, c'est la fête des Anciens Combattants, morts ou survivants, et c'est par ces derniers que le 11 novembre garde néanmoins- malgré toutes les réserves qu'il faut faire sur l'événement qu'il rappelle- un aspect réconfortant. {...} Plus que les pompes triomphales, plus que les guirlandes de l'éloquence officielle, c'est une leçon d'union, c'est une conscience plus nette de leurs nouveaux devoirs - non moins impérieux que les anciens- que les vétérans iront chercher dans l'air du 11 novembre où les cloches, le canon et les trompettes de l'armistice font encore planer leur écho. {...} Le seul fait que la roue du destin a tourné, que l'atmosphère de 1914 est en train de se reconstituer autour de nous, qu'il est de nouveau question de guerre, au même point de nos frontières, pour les mêmes raisons, dans des conditions presque identiques, doit être, aux yeux des anciens combattants, un sujet d'indignation d'abord, un puissant stimulant ensuite.».310(*) Cet extrait de La Nation Belge illustre parfaitement l'ambiance régnant aux commémorations de 1933-1939 : les morts sont plus que jamais mis à l'honneur, la victoire a été balayée et dans l'atmosphère renaissante de 1914, il faut que le peuple Belge s'unisse. Ce journal présentera d'ailleurs souvent des images de la Belgique du temps où l'union était inébranlable. En 1936, par exemple, il déclare que : « Pour rester dignes de la guerre et de l'Armistice, il nous aurait fallut demeurer tel que la guerre nous avait fait ».311(*)En 1938, il dit encore : « Au-dessus de tout ce qui nous divise, il y a la Belgique qui doit vivre et pour laquelle sont morts tous nos soldats de Liège, d'Anvers, de l'Yser et de l'offensive libératrice »312(*). Le journal des combattants, lui aussi, appelle à l'union : « Que cet anniversaire du 11 novembre soit la consécration de l'union de tous les hommes de bonne volonté. L'heure est grave, partout à la fois et dans tous les domaines. Ceux qui sont morts pour nous exigent que nous soyons dignes d'eux. C'est la seule façon qui nous reste de leur prouver que nous ne les avons pas oubliés »313(*), « C'est un retour à cette union des âmes, en vue d'un nouvel effort, pour une suite de l'oeuvre de salut qui leur est demandé »314(*). C'est donc par l'union que le pays éviterait les dangers,... Pourtant la guerre est bel et bien à ses portes et l'opinion publique le sent.

Pour les journaux de gauche que sont La Wallonie, Le Drapeau Rouge et La Voix du Peuple, l'imminence de la guerre fait peur et doit faire peur. Les célébrations du 11 novembre passent donc au second plan au profit de mise en garde : « La préparation actuelle à la guerre européenne fait frémir. La Société des Nations veut travailler, mais elle se débat au milieu d'intrigues obscures ou même avouées, la classe ouvrière, anémiée par une misère sans nom dur à la crise, manque de réaction »315(*), de titres accrocheurs : « La guerre ou la paix »316(*),...

Figure 6 La Voix du Peuple, 11 novembre 1939, p.1.

Si à gauche, l'on agite le hochet de la peur, le reste de la presse tente de demander la paix et de renier la guerre. Dans cet optique, nous voyons apparaître des articles consacrés à la Société des Nations où elle est présentée comme une institution faite pour empêcher que l'Armistice ne soit effacé. De plus en plus, l'Armistice est considérée comme une fête où la guerre est condamnée et où la paix est un objectif à atteindre. Il est évident que les groupes de gauche veulent le même objectif mais le reste de la presse l'appelle sur un ton moins violent, moins effrayant comme le montre cet extrait de La Libre Belgique : « Le 11 novembre 1918 fut une journée délirante. Qu'elle le reste aux années à suivre, le délire peut-être en moins, mais de dessous nos déboires, rendue à sa haute signification, fête de la paix revenue »317(*).

Outre le souvenir, la paix et la guerre, le 11 novembre est dans ces années difficiles l'occasion de saluer et d'affirmer la confiance de la population envers la monarchie. Que ce soit en 1934, après la mort du Roi Albert 1e , ou en 1935, après la mort de la Reine Astrid, les messes officielles leur sont dédiées, des articles paraissent sur le rôle de la famille royale au plus profond de la guerre. La présence du Roi en 1935 est saluée par l'ensemble de la presse. Il est considéré comme honorable et hautement symbolique que la première action officielle du Roi après le décès de sa femme soit de rendre hommage aux morts de la Grande Guerre.318(*)Comme l'ont montré Alexis Schwarzenbach ainsi que Dumoulin Michel, Dujardin Vincent et Van den Wijngaert Mark, le décès de laReine Astrid fait naitre au sein du peuple un puissant sentiment de sympathie et de compassion pour le jeune veuf. 319(*)

Il ressort des différents articles consacrés au sujet que le Roi et la monarchie sont perçus comme des éléments de stabilité, d'unité ce qui permet de tenir dans les moments difficiles : « En ce jour anniversaire, une voix s'élève qui ranime la confiance, celle du Souverain qui, fidèle à la tradition de la monarchie en Belgique, s'efforce, en toute occasion, de ranimer les vertus foncières de la race, d'exalter les coeurs, d'atténuer le choc des idées, et de rapprocher les tâches constructives qui les sollicitent »320(*). Il est intéressant de voir que cet extrait est daté de 1936, ce qui montre bien que dans l'esprit d'une partie de la population, la déclaration de neutralité n'est pas mal perçue, seuls les cercles wallingants et francophiles en font grands cas puisque cela signe la fin de l'accord militaire franco-belge.321(*)

Figure 7La Défense Wallonne, 11 novembre 1939, p.1.

Ajoutons encore qu'en 1936, les déportés économiques sont mis à l'honneur à l'occasion des vingt ans des déportations. Toutefois, cette cérémonie ne se fond pas dans celle du 11 novembre comme cela avait été le cas notamment pour les mutilés et invalides.322(*) Cela peut s'expliquer par le fait que cette même année, le Soldat Inconnu reçoit la Croix du Feu.323(*) L'élément militaire prime alors sur l'élément civil puisque ce sont les soldats qui ont défendu et libéré le pays.

Nous conclurons cette partie sur quelques remarques au sujet du « devoir de mémoire ». Entre 1933 et 1939, la notion d'obligation du souvenir et du devoir est moins perceptible. Mis à part Le Journal du Combattant, la presse n'insiste plus sur ces notions. L'atmosphère lourde et tendue de ces six années semblent suffire, aux yeux des journalistes, à la ferveur populaire. Comme nous l'avons dit, l'accent est particulièrement mis sur les souvenirs de guerre et sur le culte des morts mais d'une façon, que nous avons ressentie, comme plus spontanée.

Après cette analyse générale, nous allons maintenant explorer quelques années marquantes pour l'histoire des commémorations du 11 novembre en Belgique francophone.

* 303La Libre Belgique, 11 novembre 1939, p.1.

* 304BRASSEUR M., La représentation des fêtes à travers la presse francophone bruxelloise de l'entre-deux-guerres (1919-1939), Mémoire de Master en Histoire, inédit, Université Catholique de Louvain, année académique 2004-2005, p.140.

* 305Conférence du désarmement: est un effort par les États membres de la Société des Nations, en collaboration avec les États-Unis et l'Union soviétique, pour la réalisation de l'idéologie du désarmement. Elle eut lieu à Genève, publiquement entre 1932 et 1934, puis plus discrètement jusqu'à mai 1937. Au moment de l'ouverture de cette conférence mondiale, l'atmosphère est sombre puisque ls troupes japonaises occupent la Mandchourie. Avec l'arrivée et le départ d'Hitler en 1933, les travaux de la conférence sont minés, les puissances ne s'entendent pas sur la question du désarmement. Que ce soit pour la presse ou pour l'historiographie, cette conférence est perçue comme la dernière chance de la paix : ou elle mènera au désarmement, ou elle mènera à la guerre. Au cours des années suivantes, l'Allemagne fut pressée plusieurs fois, notamment par les Britanniques, de réintégrer la Conférence du Désarmement. Les Français, de leur côté, débutèrent une politique de réarmement, tout en continuant à participer à la Conférence.

BOUCHARD C., «  La SDN comme outil de réconciliation », in MARTENS S. et DE WAELE M. (éds.), Vivre ensemble, vivres avec les autres : conflits et résolution de conflits à travers les âges, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012, p.121-133 ; VAÏSSE M., « La Société des Nations et le désarmement », in ANGENENDT A. (éd.), The League of Nations in Retrospect, Berlin/New York, De Gruyter, 1983, p.245-265.

* 306 Accords de Munich et Anschluss notamment.

* 307L'Initiative de Léopold 3 et Wilhelmine: Le 7 novembre 1939, le Roi des Belges et la Reine des Pays-Bas renouvellent l'offre qu'ils avaient lancé en août : servir d'intermédiaires pour faciliter un accord éventuel. La France et l'Angleterre, dans leur réponse du 12 novembre, admettent le principe de garanties effectives de la liberté de toutes les nations. Hitler considère dès le 13 novembre que l'initiative des souverains a échoué.

DUMOULIN M., VAN DE WIJNGAERT M. et DUJARDIN V., Léopold III, Bruxelles, Editions Complexe, 2001, p. 99 et 174 ; VANWELKENHUYZEN J., L'agonie de la paix : 31 août-3 septembre 1939, Bruxelles, Editions Duculot, 1989, p.106-109.

* 308La Libre Belgique, 11 novembre 1934, p.2.

* 309 Lorsque le mot victoire apparait, ce n'est que dans des articles tristes, désabusés:

« De la victoire de 1919, il ne reste rien ; qu'une douloureuse leçon d'héroïsme » (Le Pays Réel, 11 novembre 1937, p.1) ; « Mais nous, les survivants de la guerre, avons-nous fait notre devoir depuis 19 ans que la tourmente a cessé ? Eux, ils sont morts pour une grande cause. Ils ont tout sacrifié pour que la paix, la paix bienfaisante puise vaincre à jamais la guerre. Ils avaient dans leurs yeux en rendant le dernier soupir, l'image d'un monde meilleur d'un monde régénéré par eux. Hélas ! 19 ans après leur victoire, que reste-t-il de leur leçon et de leur sacrifice ? La guerre sévit en Europe et en Asie, plus âpre et plus meurtrière que jamais et elle nous menace. Elle n'a jamais été aussi menaçante ! {...} Prêchons la croisade bienfaitrice des survivants de la guerre en faveur de la paix et que de Belgique, terre généreuse et où les hommes sont épris d'idées humanitaires, porte cette croisade pour le monde». (Le Journal des combattants, 28 novembre 1937, p.1).

Nous pourrions citer pléthore d'exemple mais ceux-ci nous semblent suffisamment significatifs.

* 310La Nation Belge, 11 novembre 1934, p.1.

* 311La Nation Belge, 12 novembre 1936, p.1.

* 312La Nation Belge, 12 novembre 1938, p.6.

* 313Le Journal des combattants, 10 novembre 1935, p.1.

* 314Le Journal des combattants, 8 novembre 1936, p.1. 

* 315La Wallonie, 9 novembre 1935, p.7. 

* 316La Voix du Peuple, 11 novembre 1937, p.1.

* 317La Libre Belgique, 11 novembre 1938, p.2.

* 318La Dernière Heure, 12 novembre 1935, p. 3 ; La Libre Belgique, 11 novembre 1935, p.1 ; La Libre Belgique, 12 novembre 1935, p.1-4 ; La Nation Belge, 12 novembre 1935, p.2 ; Le Journal des combattants, 13 novembre 1935, p.1. 

* 319DUMOULIN M., VAN DE WIJNGAERT M. et DUJARDIN V., Léopold III, Bruxelles, Editions Complexe, 2001, p.173 ; SCHWARZENBACH A., « Rêves royaux : Réactions à la mort de la Reine Astrid de Belgique, 1905-1935 », in Cahiers d'histoire du temps présent - n° 5 - 1999, p. 10.

* 320La Nation Belge, 11 novembre 1936, p.1. 

* 321 La Défense Wallonne, 13 novembre 1936, p.3 ; La Défense Wallonne, 12 novembre 1939, p.1 ; L'Action Wallonne, 15 novembre 1938, p.2 ; L'Action Wallonne, 15 novembre 1939, p.1.

* 322La Dernière Heure, 9 novembre 1936, p. 1 ; La Libre Belgique, 9 novembre 1936, p.1 ; La Nation Belge, 10 novembre 1936, p.1-2 ; La Voix du Peuple, 9 novembre 1936, p.3. 

* 323La Nation Belge, 12 novembre 1936, P.1-9 ; Le Pays Réel, 13 novembre 1936, p.1 ; La Dernière Heure, 12 novembre 1936, p.1 ; La Libre Belgique, 12 novembre 1936, p.2.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote