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Les pouvoirs publics camerounais et la santé des détenus: le cas des prisons de Dschang et de Mantoum, période 1960- 1992

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par Guy Roger Voufo
Université de Dschang Cameroun - Master II en histoire 2009
  

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B. La typologie des pathologies affectant les détenus

Les conditions dans lesquelles les détenus sont incarcérés ont un grand impact sur leur santé et leur bien-être. Dans l'ensemble, les conditions de vie et d'hygiène, somme toutes effarantes, favorisent toutes sortes de maladies et leur propagation en prison. Tel semble être le propre des prisons de Dschang et de Mantoum où les registres de consultations et de soins disponibles montrent que

80

les pensionnaires souffrent de plusieurs types de maladies durant leur incarcération.

Dresser un répertoire des maladies carcérales revient dans cette rubrique à faire un inventaire des différentes sortes de maladies auxquelles sont confrontés les pensionnaires. En fait, les détenus des prisons de Dschang et de Mantoum sont victimes de plusieurs maladies. Les données plus détaillées contenues dans le tableau suivant renseignent sur les pathologies dont sont victimes la population des détenus de la prison de Dschang.

Tableau n°6 : Prison de Dschang : relevé des pathologies carcérales

enregistrées du 28 décembre 1989 au 14 mars 1991.

Pathologie

Nombre de cas

Total

Période indiquée

 

28.12.89

31.01.90

1er .02.90

03.03.90

06.03.90

07.05.90

15.04.90

07.05.90

08.05.90

09.07.90

10.07.90

10.09.90

11.09.90

09.11.90

12.11.90

21.01.91

24.01.91

14.03.91

 

Diarrhées

06

08

06

02

16

10

11

03

/

61

Paludisme

32

24

23

15

32

13

57

13

05

215

Affections cavité

buccale

09

08

10

06

08

10

08

10

07

76

Infection

gonococciques

15

10

20

10

17

11

11

05

05

104

Dysenterie amibienne

02

02

/

/

/

/

01

14

05

24

Vers intestinaux

05

14

10

10

11

08

17

14

02

91

Rhumatisme

02

/

/

/

04

/

/

12

/

18

Otites

04

03

01

02

01

02

02

16

/

31

Fractures/entorses

04

07

/

01

02

09

02

15

01

41

Malnutrition

02

01

/

/

/

/

04

05

/

12

Pneumonie

02

12

09

05

-

08

08

19

03

66

Maladie de la peau

48

17

18

24

25

36

46

58

10

252

Troubles mentaux

01

/

/

/

/

/

/

/

/

01

Conjonctivite

/

02

/

01

01

02

/

16

/

22

Occlusion intestinale

01

/

/

/

01

/

/

/

/

02

Anémie

/

/

01

/

01

04

/

20

02

28

Filariose

/

/

01

/

05

/

03

09

/

18

Hernie

/

/

/

01

/

/

01

05

/

07

Epilepsie

/

/

/

/

02

/

/

/

/

02

Syphilis

/

/

/

/

/

01

03

03

/

07

Diabète

/

/

/

/

/

/

06

/

/

06

Varicelle

/

/

/

/

/

/

/

07

/

07

Rhumes/angines

/

/

/

/

/

/

/

/

19

19

Tuberculose pulmonaire

/

/

/

05

/

/

/

/

/

05

Source : Compilation faite à partir des données contenues dans les registres de consultations médicales, prison de Dschang, 1989, 1990, 1991. pp 3, 6, 8, 10, 13, 14, 17, 21 et 23.

81

Il se dégage du tableau qui précède que les détenus de la geôle de Dschang sont confrontés à plusieurs maladies allant des plus simples aux plus graves. Il apparaît donc nettement que les maladies de la peau, le paludisme, les infections gonococciques, les fractures/entorses s'imposent comme étant les pathologies carcérales les plus récurrentes. Aussi, les rares recensements des pathologies traitées ne permettent pas d'opérer une généralisation, mais donnent la possibilité d'établir de manière assez précise les tendances quant aux maladies les plus fréquemment traitées par l'infirmier de la prison. La prédominance des maladies de la peau est très nette dans les consultations médicales -252 cas - et s'explique par les mauvaises conditions d'hygiène dans lesquelles vivent les pensionnaires. En effet, les détenus dorment dans des lits en bambou qui ne connaissent pas le plus souvent de désinfection avant toute nouvelle utilisation ; l'état des couchettes laisse à désirer. D'où la présence des poux, puces et punaises. Cette maladie de la peau est consécutive au manque du savon qui est le maillon essentiel le plus simple et le moins onéreux de l'hygiène des pensionnaires. De ce point de vue, le manque de savon pour le bain accentue la présence quasi-permanente de la gale - principale affection - et d'autres maladies de la peau au sein de la population carcérale.

Les maladies paludéennes sont elles aussi liées aux conditions de couchage accentuées par le climat généralement pluvieux dans la ville de Dschang. Aussi, les détenus ne disposent-ils pas de moustiquaire et les couvertures qu'ils utilisent sont le plus souvent délabrées, ce qui les expose aux multiples piqûres des moustiques.

Les infections gonococciques de même que la syphilis sont liées aux pratiques homosexuelles de certains détenus19. Marie Louise Eteki Otabela remarquait d'ailleurs que cette orientation sexuelle est également présente dans

19 Antoinette Noubouwo, 66 ans, ex détenue, Fongo-Tongo, 06.02.2010.

82

les prisons camerounaises et constitue "l'un des fléaux majeurs qui minent nos espaces carcéraux...l'un des maux les plus épiques qui minent nos prisons20".

L'importance des maladies gastriques et hydriques - vers intestinaux, diarrhées, dysenterie amibienne - est à lier au régime alimentaire et aux conditions d'hygiène déplorables dans tous les aspects. Comme en témoigne également le tableau, le régime alimentaire, bien que réglementé par les textes, est particulièrement déficient au pénitencier de Dschang. D'où la permanence de la malnutrition et de l'anémie - sensiblement 12 et 28 cas - ceci est d'autant plus préoccupant quand on sait que l'alimentation, clef de voûte de la santé du détenu, peut le fragiliser à tout moment. L'enfermement de ce dernier, synonyme d'inactivité et d'ennui est au demeurant susceptible d'entraîner une dégradation rapide de son état physique et mental. C'est pourquoi, dans un tel contexte, l'équilibre alimentaire doit représenter un facteur essentiel qui permet d'éviter les risques de maladie21. Parlant de l'ampleur de la diarrhée, l'infirmier ne ménage pas sa langue : "Nous déplorons la terreur que la diarrhée continue à faire planer sur la population carcérale...pendant la nuit, les éléments de garde se hâtent d'envoyer à l'hôpital un ou deux prisonniers souffrant de diarrhée grave"22.

La pneumonie et les affections de la cavité buccale sont généralement liées aux mauvaises conditions d'hygiène des locaux et du physique des pensionnaires. La pneumonie est surtout causée par l'absence des vêtements

20 Marie Louise Eteki Otabela ; le totalitarisme des Etats africains : le cas du Cameroun, Paris, l'Harmattan, 2001, p 498.

21 Au pénitencier de Dschang, cet équilibre est une denrée rare. En effet, les détenus condamnés à vie et ayant déjà purgé prés de quinze ans d'emprisonnement et certains ex-pensionnaires nous ont révélé au cours de nos enquêtes que la ration pénale est insuffisante en qualité et en quantité. Selon eux, elle se résume à une boule de couscous de maïs accompagnée d'une sauce vulgairement constituée d'eau avec de l'huile de palme sans sel. (Confère les entretiens avec Gabriel Tsafack, 89 ans, ex-détenu, Foreké, 19.12.2009. Antoinette Noubouwo, 66 ans, ex détenue, Fongo-Tongo, 06.02.2010. Jean Teumo, 60 ans, planteur incarcéré en 1986, PPD, 04.01.10.)

22 APD, registre de consultations médicales, 1990.

83

chauds chez la plupart des pensionnaires qui souffrent d'ailleurs des effets du climat toujours pluvieux qui les plonge dans l'humidité permanente.

Les fractures et les entorses sont quant à elles contractées lors des corvées les plus souvent externes et aussi pendant des rencontres sportives organisées dans le cadre des activités récréatives dans l'enceinte de la prison23.

D'autres pathologies comme la varicelle, la tuberculose pulmonaire, le rhume et la conjonctivite qui sont des maladies hautement contagieuses justifient la réputation de la prison de Dschang comme terrain fertile pour maladies contagieuses, du fait de la promiscuité dans les cellules et surtout de la faiblesse des soins prodigués. Concernant la prison de Mantoum, bien que les données soient parcellaires et éparses, les " assignés" souffrent aussi de nombreuses maladies. Le tableau ci-dessous donne des indications sur les pathologies carcérales sur la base des années indiquées.

Tableau n°7 : Prison de Mantoum : Liste des pathologies enregistrées de 1964 à 1990.

Pathologies

Nombre de cas

Total

Années indiquées

 

196

4

1970

1972

1974

1977

1978

1981

1984

1989

1990

 

Asthénie

02

/

/

04

/

/

/

/

/

/

06

Syndrome diarrhéique

04

03

02

/

06

/

07

/

/

/

22

Filariose

02

/

06

/

/

/

03

/

/

/

11

Blennorragie

03

/

/

04

/

/

06

/

/

/

13

Mal du ventre

02

/

04

/

18

01

07

02

01

/

35

Paludisme

03

/

06

/

09

/

01

/

02

04

25

Hémorroïde

01

/

03

/

05

/

/

04

/

01

14

Dermatose

04

/

08

/

/

10

/

05

/

02

29

Algies musculaires

/

02

/

/

/

02

/

/

/

01

05

Déchirure crânienne

/

/

/

/

/

/

/

/

01

/

01

Tuberculose

/

03

04

/

02

/

/

01

/

/

10

Plaies/blessures

/

01

03

/

01

02

/

04

/

03

14

Etat carentiel

/

/

/

/

02

/

/

/

/

/

02

Toux

04

/

02

/

01

01

/

02

/

/

10

Homosexualité

/

/

/

/

01

/

/

/

/

/

01

Morsure serpent

/

/

/

/

01

/

/

/

/

/

01

épilepsie

/

01

/

04

/

/

/

02

/

/

07

23 Entretien avec Jean Teumo, 60 ans, planteur incarcéré en 1986, PPD, 04.01.10.

84

Source : Compilation faite à partir des données contenues dans les documents suivants : Main courante, sécurité CRC de Mantoum, 1964-1970. Registre de consultations médicales du CRC puis de la prison de production de Mantoum pour les années 1964, 1970, 1972, 1974, 1977, 1978, 1981, 1984, 1989 et 1990. Registres de main courante des mêmes années indiquées.

Ce tableau montre que les pensionnaires du CRC puis de la prison de production de Mantoum sont la proie de plusieurs maladies durant leur incarcération. Une observation attentive révèle que le mal de ventre ou colique, les dermatoses, le paludisme, les diarrhées, les hémorroïdes, les plaies diverses et la blennorragie constituent les principales pathologies de cette prison dite de "haute sécurité". Dans l'ensemble, elles sont liées aux conditions de couchage, à l'hygiène approximative des locaux et des corps des pensionnaires ainsi qu'au régime alimentaire déficient sous toutes les formes.

La forte proportion des détenus souffrant des coliques s'explique par la mauvaise alimentation et surtout par les incidents relatifs au maïs empoisonné et à la consommation de la viande contenant l'insecticide par les détenus - voir supra, événements du 27 mars 1977 et du 07 novembre 1977 -

Etant donné que la privation de la liberté entraîne les privations sexuelles, le phénomène d'homosexualité signalé par le tableau est lié à la place que la sexualité revêt pour les individus incarcérés. A cet égard, il n'est pas étonnant que certaines situations telles que l'incarcération exposent certains détenus aux pratiques sexuelles déviantes. Le constat suivant du gardien de prison Nkoa Zouga, chef de poste descendant lors de la garde du 03 mars 1977 au pénitencier de Mantoum, en dit long sur les tendances homosexuelles en prison :

A 14 heures, il est survenu une affaire : Monsieur Malam Issufou Djoumaré et Ebambou Salomon ont été surpris en train de faire la pédéracie (sic) au nouveau quartier femme par le chef cellule A. Monsieur Malam Issufou Djoumaré étant comme mari ; la vérité a été nue d'après les constats de l'infirmier chef ; les deux détenus précités sont mis en cellule disciplinaire par le gardien chef24.

24 APM, registre de main courante, 1977. Les deux détenus concernés seront par ailleurs évacués à l'hôpital départemental de Foumban le 09 juillet 1977 pour intolérance au fil de

85

Cette observation montre que l'incarcération a ainsi pour conséquence de déposséder les individus de leur liberté sexuelle en leur imposant un univers confiné qui est parfois très différent de celui dans lequel ils évoluaient avant l'emprisonnement. Ils sont donc contraints de se fabriquer une nouvelle identité conditionnée par le contexte pénitentiaire. Ainsi, l'homosexualité est la conséquence directe de la frustration sexuelle qui constitue un des principaux supplices de la prison.25

Nous ne saurons clore cette facette de la prison de Mantoum sans faire allusion aux tentatives de suicide et des violences exercées sur le personnel par certains pensionnaires. Ces actes dénotent, à n'en point douter, de la fragilité de la santé mentale des détenus et surtout des potentielles difficultés de survie dans un tel environnement.

Dans la gestion quotidienne de la maladie en prison, les autorités pénitentiaires ont été confrontées aussi aux problèmes de la santé mentale qui s'est caractérisée par des formes réelles de tentatives de suicide. Les informations disponibles nous permettent de relever trois cas au pénitencier de Mantoum au cours des décennies 1970 et 1980. Le premier cas est signalé au cours du service de garde du 09 novembre 1977. Le chef de poste du jour, le gardien de prison Moïse Nkouo Abou faisait remarquer que :

A 18h 25mn, on cogne à la porte de la cellule 7. Partis aux nouvelles, nous découvrons que le détenu Zougabé Paul a avalé la poudre provenant d'une bouteille écrasée. L'ayant transporté à l'infirmerie de la prison, le docteur atteste que ce n'est pas dangereux après un bref examen. Nous le ramenons dans sa cellule sans protestation de sa part. Les renseignements recueillis auprès de ces (sic) camarades de cellule. Il dis (sic) "J'en ai assez de la prison, mieux vaut que je meure"26.

suture pour le premier et état carentiel pour le second. (Confère le registre de main courante de la prison de Mantoum de l'année 1977.)

25 Petit, ces peines obscures..., 1990, p.503.

26 APM, Registre de main courante, 1977.

86

Ce détenu incarcéré en date du 10 Août 1977 pour co-action de vol n'avait purgé que deux mois de sa peine de cinq ans. Son attitude désinvolte montre que "les tentatives de suicide interviennent le plus souvent au début de l'internement, lorsque des sujets en grande précarité au dehors sont brutalement privés de liberté. Ils ne supportent pas cette mise à l'index".27

Parallèlement, il y a les tentatives de suicide qui interviennent après dégradation de l'état psychologique des pensionnaires. Le deuxième cas de figure relatif à la tentative de suicide par pendaison dans sa cellule est celui du détenu Kamgué Jean-Marie. Ce dernier n'a eu la vie sauve que grâce à la vigilance de ses camarades de cellule et quelques gardiens éveillés pendant la garde du 13 mars 198128.

Plus édifiants encore sont les propos ci-dessous du chef de garde sortant Pierre Brazet en date du 22 février 1985. Ils sont consécutifs aux frustrations du détenu Moussa Poutignigni. Meurtri dans sa chair, il apprend que sa lettre déposée aux responsables de la prison pour expédition à sa soeur n'a pas été envoyée comme il le souhaitait. Débordé, il tente de se donner la mort par pendaison. Ecoutons le chef de poste de garde :

Etant dans le poste les détenus viennent m'appeler que le détenu Poutignigni Moussa veut se pendre. Arrivé sur le lieu, j'avais trouvé Moussa assis dans le lavabeau (sic) portant deux draps. C'est donc avec ces draps qu'il voulait se prendre. J'ai pris les draps alors qu'il avait détaché. J'ai accouru vers le gardien-chef qui est venu à l'instant. Il a appelé Moussa et l'interrogea, pourquoi il voulait se pendre ? Il dit qu'il voulait envoyer une lettre à sa soeur à Foumbot et qu'il avait remis la lettre à Ewoé, chef intérieur en ce moment, il était chef de poste qu'il devait transmettre au gardien chef. Tous les dirigeants n'étant pas sur place ce jour là, il a trouvé mieux de laisser. Une semaine après Moussa apprend que la lettre n'est pas partie.... Et toute la nuit, il ne faisait que pleurer...le chef de cellule Mama dit qu'il était dans la cuisine quand Sangué Jean l'appelle de venir voir Moussa qui veut se pendre. Quand il est arrivé, il a trouvé le pagne de Moussa attaché sur la latte et en bas du pagne, il y avait un noeud et c'est là qu'il devait mettre sa tête...29.

27 www. santé.fr/htm/détenus/rapport. Consulté le 09 mai 2010.

28 APM, registre de Main courante, 1981.

29 Ibid, 1985.

87

Il ressort de la présentation de ces différentes tentatives de suicide que les conditions de détention ont un impact important sur le bien-être mental des détenus. Ainsi, sans la vigilance des codétenus et du service de garde, la prison de Mantoum aurait enregistré des vagues de suicides de certains de ses locataires. Toujours est-il que dans cette prison, certains gardiens ont parfois été victimes des violences de la part des détenus consommateurs de drogue.

Si la lutte contre la toxicomanie en milieu carcéral fait partie des préoccupations du gouvernement camerounais et participe du souci d'améliorer la santé mentale des personnes incarcérées, de même que la sécurité dans les établissements pénitentiaires, force est de constater qu'elle rencontre la résistance de certains détenus, adeptes par exemple de la consommation des stupéfiants. C'est le cas de deux détenus que les effets du chanvre indien qu'ils ont consommé ont poussé à s'en prendre violemment aux gardiens de prison. Les sources disponibles nous permettent de dégager deux actes de violence : le premier se déroule pendant la garde du 19 février 1978 et le second au cours de la garde du 27 août 1984.

Pour le premier cas, le chef de poste du jour, principale victime, le nommé Jean de dieu Beko Mballa raconte :

A 9h15 mn, les détenus Balomé Luc Paul et Elangué David ont été arrêté ayant 4 paquets de chanvre indien chacun. Selon les déclarations de Balomé Luc Paul, ces paquets qu'il avait appartenaient au détenu Makong Joseph de la cellule 11. Pour l'autre, ça l'appartenait. En tant que chef de poste j'ai appelé ce dernier pour qu'il vienne me donner les explications. Le bon monsieur a complètement refusé en me disant qu'il peut se déplacer de sa cellule à moins si c'est le chef gardien qui l'appelle. Je vais alors pour le faire sortir de sa cellule, il va sous son mandat prendre son couteau et un bâton ; il vient me donner un coup de bâton sur la tête. Me laissant, il rejoint le chef Moriba ayant le couteau à main. .Quand alors les camarades ont entendu les cris, ils sont venus ensemble avec le patron lui-même. ..30

Il n'est donc guère surprenant que les détenus tentent d'instaurer à leur manière une politique pénitentiaire qui épouse leur point de vue, contre laquelle

30 APM, Registre de Main courante, 1978.

88

il faut employer la force. Utilisant plusieurs techniques de dissimulation des drogues, les détenus se sont heurtés néanmoins à la ténacité des gardiens qui font montre d'une extrême vigilance malgré les pratiques violentes aux quelles ils sont exposés. En témoignent, ces propos du chef de poste de garde, le sieur Pougnong en date du 27 août 1984 :

A 18h30 min, nous recevons au poste de garde de détenu Wirkar Boniface qui s'amène avec un sac de vivres. J'ordonne à ma sentinelle de le fouiller minutieusement. Dans un premier temps, il a découvert dans un sac de farine de maïs 6 bâtons de cigarettes. Red club. En nous voyant strict, il nous a dit qu'il voulait prendre un sachet contenant ses bijoux à quelques pas du poste. Ayant remarqué son attitude, j'ai demandé à ma sentinelle d'aller voir. Tout juste quand il partait, le détenu le suivait à toute vitesse. Brusquement, il a prit un paquet pour mettre dans sa bouche, voulant avaler. Au moment où on voulait savoir de quoi il s'agissait, il nous allongea les coups de poing et retira ce paquet dans sa bouche pour lancer à quelques mètres dans les herbes. Nous l'avions maîtrisé en sifflant l'alerte...Nous avons fouillé dans les herbes et trouvé un paquet où il confirme que c'est du chanvre indien qu'il a ramené...31

Deux observations émanent de ces propos des deux chefs de poste du jour à la prison de Mantoum :

- L'évidence de la vigilance du service de garde qui est prêt à barrer la voie à l'introduction des stupéfiants en prison ;

- La ténacité voilée des détenus à introduire dans le pénitencier des substances toxiques dont la consommation pourra à coup sur atténuer les effets de l'incarcération, même au prix de la violence exercée sur les gardiens.

Comme on peut bien le constater, l'absorption des stupéfiants porte sérieusement atteinte aux facultés mentales des détenus avec induction de troubles du comportement pouvant entraîner l'agressivité. Les agressions contre les gardiens relevées précédemment constituent une illustration parfaite des maux qui minent les prisons camerounaises. En gros, l'introduction des stupéfiants en prison constitue un danger pour la santé mentale des détenus et du personnel pénitentiaire du point de vue du respect des prescriptions disciplinaires.

31 APM, Registre de main courante, 1984.

89

De façon générale, les pensionnaires souffrent de nombreuses maladies qui sont à mettre à l'actif des conditions de couchage, de l'hygiène approximative, de l'état des locaux et bien sûr du régime alimentaire de la prison. Aussi, les détenus connaissent des désordres psychologiques et psychiques qui témoignent de la précarité de leurs conditions de vie. Malgré toutes ces difficultés, des associations privées et publiques se déploient dans tous les sens pour une prise en charge rationnelle des détenus malades des deux pénitenciers.

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