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Les pouvoirs publics camerounais et la santé des détenus: le cas des prisons de Dschang et de Mantoum, période 1960- 1992

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par Guy Roger Voufo
Université de Dschang Cameroun - Master II en histoire 2009
  

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C. Les décès

L'univers carcéral quel que soit le régime appliqué, génère non seulement des maladies, mais aussi des décès qui apparaissent comme un révélateur de l'impuissance et un malaise des autorités pénitentiaires face à ce drame tragique51. Dans l'ensemble, les décès sont causés par la permanence des pathologies liées à l'environnement carcéral. A la prison de Dschang, les risques de maladies provoqués par le froid intense de la saison de pluie se trouvaient accrus par l'absence quasi-permanente de lits, et quand bien même il y en avait, la literie faisait défaut. Les détenus s'entassaient sur des lits en bambou et ceux qui ne trouvaient pas de place dormaient à même le sol52. On comprend dès lors qu'une telle situation conjuguée avec une alimentation insuffisante en quantité et en qualité débouche sur des maladies dont les unes soient aussi meurtrières que les autres. Aussi, les méthodes élémentaires d'hygiène appliquées de manière approximative et le trop plein des cellules ne pouvaient que contribuer à créer un terrain propice aux maladies- Les épidémies carcérales de gale de 1976 et de diarrhée de 1984 en sont des preuves évocatrices- diverses parmi lesquelles la diarrhée, le paludisme et la pneumonie.

Outre la diarrhée et le paludisme, la santé des détenus à Dschang était menacée en permanence par d'autres maladies telles que les infections gonococciques, la hernie, la bilharziose intestinale et de nombreuses maladies hautement contagieuses. Le tableau ci-dessous donne une vue panoramique des décès enregistrés à la prison de Dschang pour les années dont nous avons retrouvé les données.

51 Alioum : "Les prisons au ...", 2006, p.168.

52 Entretien avec Martin Djoufack, 67 ans, détenu, PPD, 03.02.2010. De nos jours, l'inflation carcérale garde les détenus dans ce même état.

98

Tableau n°8 : Prison de Dschang : Origines des décès des détenus de 1974 à 1990.

Année
pathologies

1974

1976

1980

1982

1983

1984

1990

Total

Diabète

/

/

/

/

/

/

01

01

Pneumonie

02

02

01

01

01

/

/

07

MST

/

02

01

/

/

01

/

04

Epilepsie

01

/

/

/

/

/

01

02

Bilharsiose(sic)

02

/

/

/

/

/

/

02

Paludisme

01

/

02

01

02

01

02

09

Otites

/

/

/

01

/

/

/

01

Mort subite

/

/

/

01

/

/

/

01

Hernie

/

/

/

01

01

/

/

02

Tuberculose

/

/

/

02

/

/

/

02

Varicelle

/

/

/

01

/

01

/

02

Prurit

généralisé

/

/

/

/

01

/

/

01

Diarrhée

/

04

01

/

/

06

01

12

Blennorragie

/

/

/

/

01

/

01

02

Total

06

08

05

08

06

09

06

48

Source : Compilation faite à partir des données contenues dans les registres de consultations médicales et d'écrou de la prison de Dschang pour les années suivantes : 1974, 1976, 1980, 1982, 1983, 1984, 1990.

Mis à part les années dont nous n'avons pu retrouver les données, la prison de Dschang enregistre entre 1974 et 1990, 48 décès parmi les détenus ; ce qui donne une moyenne annuelle de 6, 85 décès. 12 de ces décès, soit 25 % sont causés par la diarrhée. Le paludisme et la pneumonie sont aussi responsables respectivement de la mort de 09 et 07 détenus au cours de ces années indiquées. Nous ne négligeons par les maladies sexuellement transmissibles qui figurent pour 8, 33% dans la colonne des causes ayant provoqué la mort des pensionnaires. Les taux de décès les plus élevés se recensent en 1976, 1982 et 1984. Les années 1974, 1983 et 1990 occupent respectivement la quatrième, la cinquième et la sixième position de ce macabre palmarès.

La prison de Mantoum quant à elle présente les mêmes types de pathologies qui ont conduit au décès d'un grand nombre de ses pensionnaires. A

99

la différence du pénitencier de Dschang, certaines pathologies, à l'instar des hémorroïdes, de l'hypertension artérielle et de la gastro-entérite y sont particulières, car elles ne relèvent pas directement des mauvaises conditions de détention. D'autres par contre sont intimement liées à la précarité des conditions de vie et leur prévalence est source de nombreux décès survenus dans la prison. Le tableau ci-après présentant l'état des décès dans cette prison de 1976 à 1992 illustre à suffisance nos propos.

Tableau n°9 : Prison de Mantoum : pathologies ayant causé les décès des détenus de 1976 à 1992.

Année
pathologie

1976

1977

1978

1982

1984

1987

1988

1990

1992

Total

Hémorroïde

01

/

02

01

/

/

01

/

01

06

Syndrome infectieux

01

/

/

/

/

01

01

/

/

03

Phtisie

01

/

/

/

/

/

/

/

01

02

Paludisme

01

02

02

/

02

01

/

01

01

10

Douleurs pulmonaires

/

01

/

/

/

01

/

/

/

02

Coliques

/

03

/

/

/

/

01

 

02

06

Rétrécissement urétrale (sic)

/

/

01

/

/

/

/

/

01

02

Diarrhée

/

/

03

02

02

01

01

02

/

11

Epilepsie

/

/

/

/

/

01

01

01

/

03

Amibiase

/

/

/

/

01

01

/

02

/

04

Tuberculose

/

/

/

/

02

/

01

02

/

05

Toux

quintense (sic)

/

/

/

01

/

01

01

/

/

03

MST

/

/

/

02

/

01

01

/

01

05

Pneumonie

/

01

/

01

/

01

02

/

/

05

Hypertension artérielle

/

/

/

/

/

/

01

/

01

02

Gastro-entérite

/

/

/

01

/

01

/

/

01

03

Anémie

/

/

/

/

01

/

01

/

01

03

Total

04

07

08

08

08

10

12

08

10

75

Source : Compilation faite à partir des données contenues dans les registres de consultations médicales, de main courante et d'écrou de la prison de Mantoum pour les années suivantes : 1976, 1977, 1978, 1982, 1984, 1987, 1988, 1990, 1992.

Une observation attentive du tableau qui précède montre que de 1976 à 1992, la prison de Mantoum a enregistré 75 décès parmi la population carcérale. Il se dégage donc une moyenne annuelle de 8, 33 % décès dont 11 et 10 sont

100

causés respectivement par la diarrhée et le paludisme. Ces deux pathologies sont liées aux conditions d'hygiène et de couchage somme toute médiocres. Les années 1987, 1988 et 1992 enregistrent les taux de décès les plus élevés.

Au total, la crise du personnel médical conjuguée à des conditions de détention déplorables expliqueraient et justifieraient tous ces décès. De plus, la méfiance et la peur des évasions sont à mettre à l'actif des décès. En effet, "les prévenus ne peuvent bénéficier d'une consultation en dehors de la prison ou d'une évacuation sanitaire qu'après accord du procureur. Du fait des lenteurs administratives, l'autorisation arrive parfois après le décès du malade".53

En définitive, de 1960 à 1992, les prisons de Dschang et de Mantoum ont fait face à des maladies diverses auxquelles étaient exposés les détenus. Les nombreuses pathologies recensées, bien qu'ayant fait l'objet de consultations et d'hospitalisations, étaient liées à l'hygiène approximative, à la promiscuité dans les cellules, aux mauvaises conditions de couchage, à l'alimentation et à l'eau. A la prison de Mantoum par exemple, ce sont les détenus corvéables à merci qui ravitaillaient la prison en eau au cours de la décennie 1990 du fait que la prison ne disposait pas de point d'eau. La crise de l'eau a d'ailleurs fait l'objet de la correspondance N° 114/L/REG/PP/MANT du 28 décembre 1992 du régisseur Gabriel Tchamani à Monsieur le Vice premier Ministre chargé de l'Administration Territoriale à Yaoundé. Dans cette correspondance, le régisseur sollicitait un crédit spécial de renforcement du pénitencier et d'aménagement de point d'eau à hauteur de 800.000 F CFA54. Comme quoi, l'eau était une denrée rare dans l'enceinte de la prison de Mantoum. En plus des maladies de la peau comme la gale - Kotomalongo en Jargon carcéral- et celles liées au froid comme la pneumonie, l'otite et le rhume, s'ajoutent les maladies vénériennes (syphilis, blennorragie etc....) la hernie, la diarrhée et le paludisme qui témoignent du mauvais état général de la santé des pensionnaires. La dure

53 Fabien Tsafack, entretien du 03.02.2010 à la PPD.

54 APM, Correspondance n°114/L/REG/PP/MANT du 28.12.1992.

101

réalité carcérale et l'absence totale du suivi psychiatrique ont généré aussi des tentatives de suicide et la consommation des drogues pouvant induire des troubles de comportement chez les détenus.

La prise en charge médicale des détenus des deux prisons, malgré l'aide constante des bonnes volontés s'est le plus souvent montrée défaillante, ce qui a conduit à l'enregistrement de nombreux décès qui symbolisent l'impuissance du système pénitentiaire au Cameroun post-colonial. Toutes ces défaillances et lacunes conjuguées aux conditions précaires de détention ne font que renforcer l'idée d'après laquelle "les prisons camerounaises sont puantes et sales. On y meurt bien souvent avant d'avoir fini de purger sa peine. On ne souhaite à personne d'y séjourner"55.

Aussi, l'étude du cadre global du droit à la santé des détenus dans les prisons de Dschang et de Mantoum à travers l'etude des différentes structures des soins médicaux et le régime des inspections sanitaires renseigne sur leurs caractères communs et distinctifs.

55 RJ. Lique, in Africa International 1991, p16, cité par Krystelle Ntegomo, "les droits de l'homme dans le milieu carcéral de Dschang", Mémoire de Maîtrise en droit, Université de Dschang, 1997-1998, p.22.

102

CHAPITRE IV : ETUDE DES STRUCTURES DE SOINS MEDICAUX ET DU REGIME DES INSPECTIONS SANITAIRES DE 1960 A 1992

103

Dans la classification générale des droits de l'homme, le droit à la santé appartient aux droits de la seconde génération encore appelés des droits créances, c'est-à-dire des "droits dont la réalisation est subordonnée à l'organisation des services publics par l'Etat"1. Prosaïquement, ils n'exigent pas de l'Etat une abstention mais plutôt une action et généralement une prestation2. Mais, cette vision globalement adoptée ne doit pas occulter le fait que c'est à l'individu de prendre d'abord soin de sa santé avant de faire appel à l'Etat. Tel semble être ce que doit faire le détenu des prisons de Dschang et de Mantoum de 1960 à 1992. Le cadre général de ces pénitenciers est organisé après 1960 par l'arrêté du 08 juillet 1933 et le décret du 11 décembre 1973 portant régime pénitentiaire au Cameroun et offre l'essentiel des infrastructures indispensables au droit à la santé des détenus.

Dans l'ensemble, ces textes organiques prescrivent l'aménagement des structures de soins médicaux à l'usage des détenus et prévoient, parallèlement, des inspections sanitaires à divers niveaux pour assurer la santé des détenus. Faisant de la santé des détenus une préoccupation particulière, ces textes sont proches par leur esprit des règles minima relatives au traitement des détenus - objet de la résolution du Conseil Economique et Social de l'Organisation des Nations Unies du 13 Juillet 1955-. Ainsi, ce chapitre ambitionne de revisiter dans leur ensemble les structures de soins médicaux des prisons de Dschang et de Mantoum d'une part et d'autre part, le régime des inspections sanitaires au sein de ces pénitenciers.

1 Jean Rivero, Les libertés publiques, Tome 1, Paris, PUF, 1981, p.111.

2 Benjamin Boumakani, Démocratie, droits de l'Homme et Etat de droit, annales de la FSJP, Université de Dschang, Tome 1, volume 2, 1997, p.6.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote