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"L'appropriation" des enjeux d'un projet par les habitants: cas de l'Agrocité à  Colombes

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par Hadrien Basch
Université Lille 1 - Master de sciences et technologies spécialité ECODEV montage de projets en éco- territoires 2012
  

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2. La production de subjectivité

2.1 La construction progressive d'une subjectivité

La théorie écosophique postule un changement des mentalités sur le long terme. Le dispositif qui peut permettre cette transformation, unique pour chaque individu, est une mise en avant de la notion de sujet par une réappropriation des normes et des valeurs proposée par le système capitaliste.

Comme nous l'avons vu dans les parties précédentes un des objectifs majeurs du projet R-- urban, et en particulier de l'Agrocité, est la construction d'une subjectivité ou du moins la suggestion qu'un autre monde est possible.

Nous nous pencherons ici sur la possibilité qu'offre ce projet d'amener les individus à élaborer un autre rapport au monde, une autre subjectivité, à partir de dynamiques de groupe sur le temps long. L'utilisation du terme de subjectivité est très fréquente dans l'oeuvre de F. Guattari, en résonnance de celle de Gilles Deleuze122. En effet ce concept permet à ces auteurs de mettre en avant la nécessité pour les individus de s'approprier des « territoires existentiels » 123 face à l'hégémonie d'une société qui cherche à créer du consensus et qui, au final détruit les identités non conformes.

Selon ces auteurs, chaque institution majeure de la société (Etat, Ecole, Famille, Médias...) propose une subjectivité qui peut aller à l'encontre de la liberté individuelle.

En effet, l'étymologie de celui ci renvoi d'abord au thème de la soumission124. Cet usage, toujours en vigueur a peu a peu été remplacé par celui de l'expression d'une opinion personnelle face à un fait dit « objectif». Pourtant la soit disant objectivité revendiquée par les médias comme par l'éducation nationale est un leurre125. En effet l'objectivité absolue est impossible. Comme l'affirme F. Guattari : « Un rejet systématique de la subjectivité, au nom d'une mythique objectivité scientifique, continue de régner dans l'Université. »126. Il apparaît

122 « Villani -- Sasso. Vocabulaire de Gilles Deleuze ».

123 Guattari, Les trois écologies.

124 « SUJET: Etymologie de SUJET », consulté le 2 septembre 2013, http://www.cnrtl.fr/etymologie/sujet.

125 Manuel Castells, « Emergence des « médias de masse individuels » », Le Monde diplomatique n°629, no 8 (1 août 2006): 16?16.

126 « Chaosmose / Félix Guattari », Le silence qui parle, 11 juillet 2013, http://lesilencequiparle.unblog.fr/2013/04/25/chaosmose--felix--guattari/.

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dès lors essentiel de prendre position pour défendre un point de vue, même si celui ci est nécessairement biaisé.

La subjectivation est ainsi, pour ces penseurs, une condition d'un positionnement sur le monde et globalement d'une transformation sociale plus large. Ainsi chaque institution crée sa subjectivation pour les individus, sans pour autant l'assumer.

Cette importance d'une re--subjectivation et d'une territorialisation existentielles émane en effet de la critique d'une société monochrome:

L'Etat est une « machine a dé--subjectiver, c'est à dire comme une machine qui brouille toutes le identités classiques »127 afin de les fondre dans un moule commun.

De même les « mass médias » sont un outil très efficace pour produire une « subjectivité collective »128 qui se refuse à mettre en cause l'ordre établi. Selon F. Guattari les médias distancient les individus des véritables questionnements qui auraient le pouvoir de transformer la société en profondeur.

Il paraît dès lors indispensable de remettre en cause le fonctionnement de ces institutions et leur but masqué pour y substituer un véritable questionnement. Cette remise en question ne peut être qu'intellectuelle et doit permettre un passage à l'action autour d'objectifs communs.

La re--subjectivation apparaît ainsi comme une condition sine qua none de l'émergence d'un nouveau système et de modes de vie repensés. Celle ci doit s'inscrire dans des territoires porteurs de transformations et d'espoir.

L'espace est ainsi un « lieu » incontournable de ce changement. Dans son article « Une approche écosophique de l'espace urbain », Ji--Eun Shin, anthropologue, écrit : « Dans cet espace senti, vécu par le corps, l'homme s'unit à son lieu de vie et construit sa propre réalité en articulant le fonctionnel et le symbolique, le réel et l'imaginaire. Pour comprendre cet espace, il nous faudrait nous rendre compte de l'expérience unique que chaque homme vit dans ses rapports au territoire (rapport sensible, de la contemplation à l'intuition) »129. Ici chaque individu produit un rapport à l'espace qui interfère sur son quotidien. On voit ici l'importance de la prise en compte de la subjectivité des individus au travers de leurs expériences sociales et sensorielles et dans leur relation à l'espace et au monde.

127 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.

128 Guattari, Les trois écologies. p.20

129 Ji--Eun Shin, « Une approche écosophique de l'espace urbain », Sociétés 119, no 1 (2013): 19, doi:10.3917/soc.119.0019.

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Cette subjectivité se manifeste dans la création d'un espace partagé et vécu. En effet, selon H. Lefebvre, théoricien du droit à la ville, « l'espace de l'usager est vécu, non pas représenté (conçu). Par rapport à l'espace abstrait des compétences (architectes, urbanistes, planificateurs), l'espace des performances qu'accomplissent quotidiennement les usagers est un espace concret. Ce qui veut dire subjectif. C'est un espace des «sujets» et non des calculs... »130. La subjectivité passe en effet par une appropriation tangible de lieux communs contre la rationalité de certaines planifications urbaines. Ce constat de H. Lefebvre rejoint en plusieurs points notre analyse de l'importance que revêt la participation des habitants à la création des espaces de la ville et notamment celle de la maitrise d'usage.

Cette conception de l'espace est un tournant majeur dans la pensée du fait urbain.

H. Lefebvre revendique un pouvoir réservé à l'habitant qui créerait son espace à partir de ses gestes quotidiens. De même, Michel de Certeau, philosophe et historien français du milieu du XXème siècle, dans son ouvrage l'invention du quotidien: 1. Arts de faire, insiste sur le rôle de l'individu dans la construction de son espace vital et la réappropriation permanente des usages de cet espace131. Le sujet est ainsi considéré comme un moteur de l'histoire à même de redéfinir son habitat. Le terme de « sujet » met en avant le caractère individuel de la démarche même si celui ci s'articule avec les projets collectifs. Ces projets remettent en cause de nombreux usages traditionnellement vécus au sein de la société capitaliste et notamment l'individualisme qui y est associé.

Ils peuvent devenir les relais d'autres façons d'être au monde: « Les espaces « de l'agir » se transforment en espaces interrogatifs du quotidien, de ses potentialités, de ses blocages et de ses temporalités imposées. Mettant en cause le fonctionnement stéréotypé des espaces normés, ces espaces de l'agir peuvent devenir des espaces de désapprentissage des usages assujettis au capitalisme et de réapprentissage d'usages singularisés, en produisant une subjectivité collective et spatiale propre aux sujets investis. »132. Ici la création d'espaces de remise en cause de l'idéologie capitaliste rejoint la théorie écosophique et postule la mise en place d'une « subjectivité spatiale » qui permettrait la construction d'une identité propre à un lieu puis se diffuser progressivement à un quartier. Le projet R-urban postule que cette transformation est possible malgré tous les aléas qui caractérisent la mise en oeuvre de tels

130 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.

131 Michel de Certeau et Pierre Mayol, L'invention du quotidien, éd. par Luce Auteur Giard, 2 vol., Folio. Essais, ISSN 0769-6418 ; 146Folio. Essais, ISSN 0769-6418 238 (Paris, France: Gallimard, 1990).

132 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.p.104

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projets. De même les problèmes rencontrés au quotidien ( retards dans la construction, conflits entre les habitants, délais de réception des subventions par exemple) peuvent altérer considérablement la durabilité du projet sur le temps long. Or les transformations en cours ne peuvent être que pensées et articulées sur le long terme. Bien sur des changements ont lieu au quotidien, mais ils ne s'intègrent véritablement dans une trame et dans un cycle qu'en prenant le recul nécessaire.

Mais C. Petcou et D. Petrescu mettent en avant la nécessité de prendre en compte ce changement sur le temps long:

«L'« agir spatial » exige du temps. Il faut donner du temps pour réinvestir activement l'espace; passer du temps sur place, rencontrer d'autres gens, réinventer des usages du temps libre, se donner de plus en plus de temps à partager avec d'autres. Suite à ces « temps partagés » peuvent apparaître des désirs communs, des dynamiques collectives, des projets à venir. »133.

Cette question du partage de l'espace avec un autre fonde la pratique de l'Atelier d'Architecture Autogérée car elle seule est à même d'amener les individus à confronter leurs histoires personnelles puis à la relativiser en prenant du recul sur leur position dans la société. Michel Foucault a abordé cette question « le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles »134 Ce sont des lieux qui créent une forme de refuge pour les individus qui cherchent à exprimer leurs différences, à se sentir libéré du poids du contrôle social que peuvent revêtir certaines institutions traditionnelles (associations, syndicats, groupes de pairs ou de collègues etc...). Comme l'affirme Gilles Clement, certains lieux forment ce qu'il nomme le tiers paysage135 : « un territoire pour les multiples espèces ne trouvant place ailleurs». En effet un espace prend sens avec les individus qui le peuplent, qui l'habitent au fur et à mesure. Pour ses projets précédents l'AAA a « initié des espaces autogérés (comportant des jardins, etc), ou celles et ceux qui y participent peuvent voir, tester, leur mise en relation avec les autres, les effets de leurs actions, l'usage plutôt que la possession, des manières de partager, la responsabilité vis-à-vis de ce qui est à partager, etc... »

133 Ibid. p.105

134 Michel Foucault et Jacques Lagrange, Dits et écrits, 1954-1988, éd. par Daniel Defert et François Ewald, Quarto (Paris), ISSN 1264-1715 2001 (Paris, France: Gallimard, 2001).

135 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, 1 vol., L'Autre fable, ISSN 1765-761X 2 (Paris, France: Sujet-objet éd., 2004).

En effet ces espaces peuvent devenir le creuset d'une nouvelle prise de parole pour des individus qui ont des moyens d'expression réduits et ainsi réveiller une envie de transformation du monde. Selon Paul Ariès, un des penseurs majeurs de la décroissance : « Il ne peut pas y avoir de socialisme gourmand sans appel à la subjectivité, or la subjectivation requiert le langage, mieux, la prise de parole. »136

Ce socialisme gourmand qu'il évoque serait une solution à l'apathie des citoyens face à la politique. La parole et la discussion sont les outils, selon lui, pour parvenir à une re-politisation. Mais celle ci a besoin d'espaces pour se matérialiser. Le projet R-urban, dans la lignée des autres projets d'AAA, est créateur d'une dynamique qui peut accompagner l'émergence d'ouvertures à la parole puis à un nouveau discours sur la ville et la société, qui peut participer à la transformer: « Par cette pratique des altérotopie translocales, nous pouvons peut-être réintroduire « le politique » dans l'espace quotidien. L'« agir » est toujours un agencement. »137

Comme l'a écrit K. Marx « les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, il s'agit désormais de le transformer ». Ainsi, cette subjectivité doit nécessairement être comprise comme une dynamique d'un groupe uni par la solidarité, porteur de valeurs communes et d'une ouverture sur l'autre, sur les différentes entités qui pourraient venir se greffer à cet espace. Comme l'affirme les auteurs de l'article Agir l'espace: « En surmontant la condition anonyme que nous retrouvons habituellement dès que nous sortons de chez nous, nous pouvons

contribuer à résub- jectiver l'espace.

À

un certain moment, il y a le risque de se contenter de

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cette dimension sociale retrouvée et de se limiter à un cercle social local et fermé. Les espaces d'action que nous développons restent, en effet, ouverts aux passages, aux croisements avec des subjectivités et dynamiques venues d'ailleurs; à partir du local nous oeuvrons à mettre en place et faire fonctionner des réseaux spatiaux translocaux »138. Cette ouverture sur l'autre est une des conditions nécessaires à un développement sain et au refus d'une position xénophobe, ou refus de l'étranger. En effet, il est important de souligner la diversité qui coexiste dans ces espaces. Même si elle est préexistante dans certains quartiers, ces espaces collectifs viennent bousculer et mélanger les différents groupes qui n'ont a priori pas ou plus de lieux pour interagir et échanger: « Ce sont, comme dirait Guattari, « des foyers locaux de subjectivation

136 « Paul Ariès : un «socialisme gourmand» pour en finir avec la gauche triste », bastamag.net, consulté le 31 juillet 2013, http://www.bastamag.net/article2273.html.

137 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.

138 Ibid. p.107

collective ».139

Au travers de cette partie nous avons vu un des aspects fondamentaux de la théorie écosophique et la façon dont elle peut transformer radicalement l'imaginaire commun et réinventer de nouvelles pratiques pour construire la ville et le lien social. Comme nous l'avons vu plus haut, le projet R-urban s'inspire de cette théorie pour constituer un espace propice au partage et à l'action citoyenne qui permette de redéfinir les cadres de la vie urbaine moderne. Quelles sont ainsi les applications de la théorie écosophique que l'on peu déceler dans le projet R-urban et quelles limites à cette théorie?

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway