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"L'appropriation" des enjeux d'un projet par les habitants: cas de l'Agrocité à  Colombes

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par Hadrien Basch
Université Lille 1 - Master de sciences et technologies spécialité ECODEV montage de projets en éco- territoires 2012
  

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B) L'appropriation du projet par les habitants

1. Les enjeux d'une appropriation du projet

1.1 Quelle compréhension du projet par les habitants ?

Après avoir détaillé les enjeux de la production d'une subjectivité pour la théorie écosophique et les implications possibles pour le projet R-urban et en particulier l'Agrocité, nous allons nous pencher sur une partie fondamentale à la compréhension globale de mon sujet. Il apparaît très intéressant de comparer les vues des concepteurs du projet de l'Agrocité avec la réalité au quotidien, sur le moyen et le long terme. Comme nous l'avons vu, le projet R-urban, même si il ne cherche pas d'emblée à révolutionner le fonctionnement global de la société, entend néanmoins susciter « une démarche susceptible d'apporter, à partir du micro, une autre vision de la ville »141 tel que définie dans le numéro 31 de la revue Multitudes, intitulé une micropolitique de la ville: l'Agir Urbain, Doina Petrescu, Constantin Petcou et Anne Querrien142. Cette autre vision de la ville s'établie à partir de nouveaux dispositifs écologiques et d'un espace collectif partagé co-construit et co-développé par les habitants et l'association de l'Atelier d'Architecture Autogérée. Dans le projet initial, tel qu'il a été présenté par l'AAA aux décideurs politiques et à la commission de subventions de l'Union Européenne, les questions relatives à la crise écologique, sociale et économique sont très présentes. En effet, cet espace veut, entre autres, constituer un relais pour une prise de conscience sur l'urgence et l'importance des crises qui traversent notre monde contemporain. Cette prise de conscience universelle est à même de relier les individus entre eux, au travers de discussions et d'actions concrètes. Celles ci suscitent une dynamique, en amont comme en aval de l'évocation de cette problématique environnementale.

Dans cette partie nous allons dès lors évaluer, à travers l'utilisation et l'analyse d'entretiens longs menés avec six habitants du quartier, usagers quotidiens ou occasionnels, de longue date ou récemment arrivés sur l'espace de l'Agrocité, l'impact de ce projet. Par impact nous entendons les répercutions du projet sur les individus. Il ne s'agit pas de catégoriser en positif ou négatif ni de voir si les objectifs affichés par les concepteurs du projet ont été

141 Doina Petrescu, Anne Querrien, et Constantin Petcou, « Agir urbain », Multitudes n° 31, no 4 (7 janvier 2008): 11?15, doi:10.3917/mult.031.0011.

142 « Multitudes Web - 32. Multitudes 31, hiver 2008 », 31, consulté le 13 septembre 2013, http://multitudes.samizdat.net/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=932.

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remplis, le projet n'en étant qu'a la moitié de sa durée de vie et suivant de toute façon un processus de très long terme. Il est plutôt question de relater et d'analyser les conséquences de l'émergence de cet espace sur un groupe limité d'individus. De même, prétendre à l'exhaustivité est impossible car l'exercice de l'entretien est nécessairement limité à un nombre réduit d'habitants, non représentatifs de la diversité des opinions existantes, dont les entretiens seront biaisés par ma présence et les réponses données selon la compréhension des questions. J'ai volontairement choisi d'interroger des habitants avec des parcours différents afin de donner une image la plus complète possible en fonction de mes moyens et de mon temps. Certains sont là depuis près de deux ans et ont des parcelles depuis le départ, un couple a une parcelle depuis peu et viens très régulièrement tandis qu'une autre, qui habite le quartier depuis longtemps, vient juste de connaître le projet de l'Agrocité. Il m'est malheureusement impossible d'en dire plus sur leurs profils sans trahir l'anonymat que je leur ai promis. Ces entretiens permettent de saisir la complexité des processus à l'oeuvre et de comprendre la nature de l'implication des habitants.

Lors de la confection de la grille d'entretiens, j'ai choisi de questionner longuement les individus sur des thèmes qui me paraissaient cruciaux par rapport au projet: leur compréhension du projet global et de ses enjeux, leur place et leur rôle au sein du groupe d'habitants, leur implication au quotidien comme sur le long terme et la « capacitation » qui a pu en résulter143. Ces questions rejoignent la théorie écosophique en ce qu'elles envisagent un questionnement sur l'implication globale des individus.

Il est difficile de synthétiser ces entretiens sans transformer la parole des habitants. Néanmoins nous pouvons dresser un constat, un bilan, à partir de leurs expériences et de leurs récits.

Les habitants interrogés sont dans la grande majorité très satisfait de l'émergence du projet de l'Agrocité et de la vie qu'il a apporté au quartier: « c'est merveilleux »144 selon E., une enseignante qui n'a pas de parcelle mais viens régulièrement acheter des légumes. Tous ont été poussés par « la curiosité » pour entrer dans cet espace bien que l'ayant tous découvert à des époques et à des stades de développement très différents, de « plus de 2 ans »145 à « un mois »146. En entrant chacun avait une idée sur les origines et la nature du

143 Grille d'entretien, s. d.

144 Entretien anonyme avec E., s. d.

145 Entretien anonyme avec B., s. d.

146 Entretien anonyme avec E.

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projet. Mais peu sont ceux qui connaisse, même aujourd'hui, la réalité: « On comprenait pas trop »147, « Au début je savais pas trop je pensais que c'était la mairie et c'est après que j'ai compris finalement que c'est l'association et que finalement c'est pas vraiment la mairie.. euh... maintenant je penses pas que c'est la mairie mais je ne sais pas trop.. On m'a dit que c'était un programme européen et après je sais pas trop, je sais que c'est l'association pour les trucs bio mais.. je sais pas trop.. »148. En effet la majorité des habitants interrogés connaissent les principaux acteurs institutionnels ( Mairie, association et Union Européenne) mais l'incompréhension domine et les avis différent sur l'origine et le fonctionnement (financement, prise de décision globale, chantier etc..) de l'espace. Le manque ou la faible communication est pointé par certains habitants: « j'ai cru comprendre que... »149, « je pensais que »150 etc..

Pourtant un long panneau est affiché à l'entrée de l'espace avec un schéma résumant le rôle des principaux acteurs et les étapes du projet. Il apparaît donc que les habitants sont surtout intéressés par les rencontres et l'espace de sociabilité plus que par connaître et comprendre la genèse du projet et les étapes de son développement.

De même, concernant les enjeux du projet et les intentions explicites ou implicites des concepteurs, par rapport à la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité ou la raréfaction des ressources fossiles, peu d'habitants voient un rapport directe entre la conduite de ce projet et ces questions d'écologie dont nous avons montré l'urgence: « Pour toi l'Agrocité est reliée aux enjeux plus large comme le changement climatique, la perte de la biodiversité, la raréfaction des ressources ? Je sais pas, peut être que oui, ah oui peut être. » 151. « Quels sont pour toi les raisons de la mise en oeuvre d'un tel projet?: Pourquoi un tel projet ? Moi je sais pas »152. Une autre cite l'enjeu de la biodiversité sans aller plus loin: « Quels sont les enjeux de ce projet ? Pour faire découvrir la biodiversité, j'en apprends tous les jours, y'a des gamins qui viennent ici pour apprendre, ca me fait plaisir de voir ca... vous essayez de faire découvrir aux personnes qui ont leur parcelle et même les autres, le compost, le truc des guêpes, vous voulez montrer que y'a pas que ce qu'on achète a Leclerc

147 Entretien anonyme avec B.

148 Entretien anonyme avec A.

149 Entretien anonyme avec E.

150 Entretien anonyme avec C.

151 Entretien anonyme avec B.

152 Entretien anonyme avec D., s. d.

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qui est bon.. » 153. On peut dès lors observer un changement de mentalité quant au système traditionnel où les habitants envisagent la possibilité de fonctionner autrement. Même si les thématiques évoquées par l'Atelier d'Architecture Autogérée ne sont pas explicitement mentionnées, on observe néanmoins une certaine prise de conscience qui se double d'une envie de prolonger et de faire perpétuer ce projet: « Je suis prête à me battre pour le projet »154. En quoi ce lieu est il important pour les habitants?

Les habitants interrogés mettent en avant l'aspect qui leur semble fondamental du lien social et expliquent la construction progressive de leur attachement à cet espace. Selon eux ces rencontres et cet espace partagé sont le vecteur d'un renouveau de la vie du quartier: « je trouve que c'est bien que les gens soient plus unis... les gens dans la rue sont trop pressés. Il faut vraiment avoir des espaces comme ca.. Y'a des gens dans le métro ils se sentent agressés quand tu leur parle, ici ça n'a rien à voir »155. Cet espace commun fonde une sociabilité particulière par rapport aux autres espaces plus « institutionnalisés ». Pour l'instant certains habitants ne se considèrent pas comme des amis mais sentent que des relations plus profondes pourraient se nouer: « Est ce que tu rencontres souvent des gens dans ta vie quotidienne ? Oui oui mais bon ca ne deviens pas des amis.. Avec les gens ici y'a un petit truc qui se passe entre nous.. »156. En effet, la plupart des habitants ont de l'estime pour les autres membres du groupe qui viennent régulièrement. A l'inverse, un des habitants interrogés a un ton très méprisant vis à vis des autres personnes du jardin: « Les gens que tu as rencontré sont ils du même monde que toi ? : Non non pas du tout.. Y'a des gens intermédiaires, une personne très cultivée et puis bon le reste c'est pff.. »157. D'autres professent un respect mutuel et sont ravis de la diversité du lieu: « y'a des nationalités différentes, réunionnaises et Martinique par exemple... on a pas le même vécu c'est ca qui est très bien »158. Une habitante analyse même le lieu en termes psychologiques puisqu'elle affirme que le jardin qui libère la parole évite d'aller chez le « psy » : « j'aime bien le contact avec les gens je crois que c'est important parce qu'après cette histoire de pas parler on est obligé d'aller voir le psy.. il faut mieux faire le psy en groupe entre nous.. c'est presque comme a la télé ou ils parlent devant tout le monde et ils sont pas capable de parler entre eux.. il faut mieux parler avec son voisin ou quelqu'un en qui on a

153 Entretien anonyme avec C.

154 Entretien anonyme avec A.

155 Ibid.

156 Ibid.

157 Entretien anonyme avec D.

158 Entretien anonyme avec B.

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confiance que aller chez le psy.. Ici c'est un moyen pour qu'on se parle.. on se parle de tout. »159. Ce lieu permet ainsi aux individus de s'exprimer sur leurs problèmes personnels et de partager leurs expériences de la vie dans ce quartier. Néanmoins il est possible que le point de vue de cette habitante ne soit pas partagé par tout le monde et moins par ceux qui ont plus de difficultés à s'exprimer. Malgré cette joie partagée et l'utilité sociale évidente de ce lieu, les relations peuvent être conflictuelles, principalement autour de questions pratiques d'organisation, comme la gestion de l'eau par exemple.

Pour autant la vision de la ville de la plupart habitants interrogés semble avoir changé au contact avec ce projet: « Ta vision de la ville à t'elle changé ? Ah oui parce que les jardins dans la ville, c'est faisable je l'avais pas envisagé avant. »160. « Je trouve que la ville a pas mal bougé par rapport au jardin »161 « c'est très agréable d'avoir un espace comme ca mais ca change pas ma vision de la ville car c'est éphémère mais évidement si ca durait et si ca se multipliait je serais la personne la plus heureuse du monde »162. Ces habitants ont mieux conscience des potentialités de ce jardin et du rôle qu'il acquiert dans une ville comme Colombes. De même, la plupart se sentent prêts pour défendre le projet: « je serais prête à envoyer des lettres », ou encore « Si un jour la mairie basculait ca me fait peur mais je suis prête à faire signer des pétitions devant Leclerc pour qu'on garde cet endroit.. je l'ai déjà fait plusieurs fois.. »163. Ainsi, dans un temps limité, moins de deux ans, l'existence de ce lieu a transformé la vie du quartier pour de nombreux habitants.

Pour la plupart il a véritablement apporté une valeur ajoutée à leur quotidien, surtout en été pour ceux qui ne sont pas partis en vacances par exemple. Il a donné une forme de consistance à cette partie du quartier où les habitants autrefois étrangers se côtoient et diffuse leurs relations à différents lieu du quartier: le café, la boulangerie etc.. Cette image d'un espace en construction, en train d'acquérir une identité, contrevient à celle dénoncée par Michel Certeau, citant une habitante de Rouen: « on y'a aucun endroit spécial, à part chez moi ici y'a rien, rien de spécial, rien de marqué, d'ouvert par un signe ou un conte de signé par de l'autre »164. En effet, on pourrait dire à l'inverse que ce lieu est devenu « quelque chose »

159 Entretien anonyme avec A.

160 Entretien anonyme avec B.

161 Entretien anonyme avec E.

162 Ibid.

163 Entretien anonyme avec A.

164 Certeau et Mayol, L'invention du quotidien. p.160

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et que cet espace se gonfle peu à peu d'une histoire particulière, identifiée au quartier et à ses habitants. A cet égard, Michel Maffesoli, sociologue français, évoque l'existence d'un « sensualisme local » qui définirait la poésie d'un lieu et serait en même temps l'« affirmation d'une solidarité de base qui unit ceux qui habitent dans un même lieu »165. Cette solidarité est renforcée ici par les évènements qui ont lieu presque chaque semaine, sous la forme d'ateliers ou de réunions organisés par les jardiniers eux mêmes comme le montre cette newsletter insérée en annexe (Image 2).

Une habitante cite par exemple l'organisation d'une petite fête alors qu'elle n'est arrivée au jardin que depuis quelques mois: « quand je suis parti à la retraite ils ont tous signés une carte, ca m'a fait plaisir on se sent bien accueilli dans le groupe je trouve que c'est bien que les gens soient plus unis... ». Avec la réception du chantier qui doit avoir lieu dès le 16 septembre, les possibilités d'initier ces évènements vont se multiplier et amener une dynamique nouvelle au quartier.

Ce « désir d'altérité » est rendu possible par l'existence de ces espaces. Les habitants engagent des discussions et gèrent de fait une partie du lieu. Pour certains, une reterritorialisation de leur l'imaginaire et de leur « désir d'altérité » se produit. Les rencontres se font plus facilement et le fait d'avoir des préoccupations communes, du moins à l'intérieur du jardin, permet aux individus de se sentir intégrés à un groupe.

Grâce à ces entretiens semi-directifs certains habitants ont pu mettre en relief leur expérience au sein du jardin. Par exemple une habitante s'est exclamée: « Ah tu m'en poses de ces questions ! »166, sous entendu qu'elle n'avait pas vu certains aspects du jardin comme je lui avais présentés. Cette sous-partie nous a permis de comprendre certains processus de transformation et les conséquences sur ce groupe d'habitant interrogé. Nous allons désormais analyser les entretiens sous l'angle de la « micro-politique ».

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille