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La focalisation caméra, le renouvellement du champ des visibles

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par Gildas Madelénat
Université de Poitiers - Master recherche cinéma 2012
  

Disponible en mode multipage

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La Focalisation Caméra

Le renouvellement du champ des visibles

Gildas MADELÉNAT

La Focalisation Caméra

UNIVERSITÉ DE POITIERS

Faculté des Lettres et Langues

MÉMOIRE

La Focalisation Caméra

Le renouvellement du champ des visibles

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Soutenu le 10 septembre 2012
Par : Gildas MADELÉNAT

Direction : Madame Marie MARTIN et Monsieur François-
Xavier MOLIA

Membres du Jury :

Madame Marie MARTIN
Monsieur Francisco FERREIRA

Gildas MADELÉNAT

The television screen is the retina of the mind's eye. Therefore, the television screen is part of the physical structure of the brain. Therefore, whatever appears on the television screen emerges as raw experience for those who watch it. Therefore, television is reality, and reality is less than television.1

David Cronenberg, Videodrome, 1983

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1 L'écran de télévision est la rétine de l'oeil de l'esprit. C'est pourquoi l'écran de télévision fait partie de la structure physique du cerveau. Et c'est pourquoi tout ce qui apparaît sur l'écran de télévision est vécu par le spectateur comme une expérience primaire. Et c'est pourquoi la télévision est la réalité et la réalité est moins que la télévision.

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La Focalisation Caméra

Sommaire

Introduction p5

Partie 1 : Confidences de la fiction p11

Amateurs de cinéma, de la production à la destination des images p11

De la réalité des images fictionnelles p17

Partie 2 : A la croisée des mondes, l'image p25

Les reliques du found footage ou le patrimoine de l'esprit p25

Le spectateur victime et la capture des regards p34

Partie 3 : Caméra et phénomènes spirituels p45

La focalisation caméra ou l'image intérieure p45

Caméra au coeur du surnaturel, l'image comme phénomène p53

Conclusion p64

Bibliographie p66

Filmographie p68

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Gildas MADELÉNAT

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Le renouvellement du champ des visibles

Depuis le début des années 2000, l'émergence d'un certain type de film d'horreur a quelque peu dérouté les spectateurs et critiques de cinéma. Formule found footage déclenchée par le succès de The Blair Witch Project (de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, 1999), il fut rapidement possible d'aller voir dans ces salles devenues un peu plus obscures, de nombreux films héritiers de ce qui est aujourd'hui résumé à un effet de mode. Trouvant son apogée avec la sortie de REC (Paco Plaza et Jaume Balagueró, 2007), Paranormal Activity (Oren Peli, présenté en 2007 au Screamfest Horror Film Festival), Diary of the Dead (George Romero, présenté également en 2007 au Screamfest Horror Film Festival) et Cloverfield (Matt Reeves, Janvier 2008), cette vogue n'en était alors qu'à ses balbutiements. De moins en moins passagère, cette dernière est aujourd'hui surexploitée, exsangue, même si de plus en plus approfondie par les réalisateurs qui la mettent en jeu (nous pensons notamment à Chronicle de Josh Trank sortie cette année), et pourtant en grande partie mise de côté par la critique et les théoriciens. Néanmoins, de nombreuses choses ont été dites sur ces films, dans la précipitation, presque dans l'urgence, sur leur mode de fonctionnement tout d'abord, et surtout sur ce qu'ils paraissaient emprunter, à droite et à gauche. Sans pour autant présager de l'intérêt que pouvait constituer The Blair Witch Project, les poursuivants ont souvent été la cible de raccourcis dépréciatifs, et aujourd'hui même dévalorisés alors que si peu appréhendés, étudiés. Nous verrons alors que les six films présentés ont mis en place l'évolution d'un dispositif bien particulier, et en ont véritablement relancé l'intérêt. Nous partirons ici de deux idées reçues, qui même si elles ne se révèleront peut-être pas totalement fausses, semblent au début de notre propos pour le moins simplistes, voire réductrices. La première est de considérer ce type de film en tant qu'il utiliserait la caméra subjective d'une manière conventionnelle (« je vois à travers les yeux d'un personnage ») ; la seconde, que le caractère immersif serait une pâle copie du système vidéoludique, des First Person Shooter (FPS) et autres jeux à la première personne. L'ensemble lui octroie une sentence immédiate, celle d'une tentative d'immersion considérée comme archaïque : je m'identifie au monde du personnage car je vois « comme » lui, et devenu « spectateur-acteur », je peux désormais m'impliquer complètement dans le processus filmique. Il est vrai que la volonté d'établir un

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La Focalisation Caméra

rapport immersif profond, entre le spectateur et l'univers représenté, est depuis longtemps l'une des ambitions de la production cinématographique, de nombreux films ayant pris part à la quête d'intégration du spectateur à l'intérieur du « système film », comme ceux du cinéma dit de la « transparence » ou encore des films ayant recours à la caméra subjective de manière plus ou moins spontanée. Pour certains, le cinéma s'évertuerait donc à jouer d'une ressemblance avec un système précis du jeu vidéo, même si l'on oublie un peu vite que des films ont depuis longtemps exploré les voies de la subjectivité totale (La Dame du Lac, Robert Montgomery en 1947 ou La Femme défendue de Philippe Harel en 1997). Le jeu vidéo semble quant à lui avoir réussi son pari en permettant au spectateur (acteur éventuel) de mettre à bas les frontières entre deux niveaux de réalité distincts (ici le réel et le virtuel), puisque l'acte même de jouer rend l'un et l'autre de ces espaces concomitants. Créant même un nouvel espace, celui institué d'abord par l'acte de jouer (espace en apparence inaccessible pour le spectateur de film).

Il serait alors bien aisé de dire que les différents films qui nous intéressent (The Blair Witch Project, REC, Cloverfield, Diary of the Dead, Paranormal Activity et Chronicle) utilisent pleinement ces procédés. Et pourtant n'importe lequel de ces films, que l'on peut facilement regrouper compte tenu de leurs modes de fonctionnement, nous permet de reconsidérer toutes ces données sous un nouvel angle. Si bien sûr il est ici question de subjectivité, d'immersion, de perception, ils mettent avant tout en forme un nouveau dispositif interne : il s'agit de suivre les différents protagonistes d'une fiction grâce à des caméras référencées comme telles par le récit, et uniquement grâce à elles (contrairement à des films comme Redacted réalisé par Brian de Palma en 2007 ou District 9, de Neill Blomkamp en 2009). Nous voyons ainsi grâce et à travers la caméra diégétiquement identifiée, sans pour autant que ce regard soit rattaché à un personnage, sans que le point de vue de quelqu'un d'autre n'entache notre vision. C'est comme s'il s'agissait alors d'une nouvelle forme de subjectivité, bien loin de celle mise en avant dans le système vidéoludique et d'autant plus éloignée de celle de la caméra subjective habituelle, puisqu'il se joue un double regard, du moins le pense t-on, celui de la caméra d'abord, du protagoniste ensuite (bien que les deux soient simultanés). De ces premières propositions, nous dégagerons deux hypothèses : la première serait que l'utilisation de la caméra subjective trouverait ici une tout autre spécificité, et que l'on aurait aussitôt omis certains aspects primordiaux de ce nouveau dispositif en préférant y voir l'utilisation d'un procédé et d'un concept qui ne lui semblent pas tout à fait adaptés. En d'autres termes, il ne s'agirait plus de caméra subjective, notre regard de spectateur n'étant plus concentré sur la vision du personnage à proprement parler, mais induit

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par celle de la caméra. La seconde, à la lumière des aspects dégagés de notre première idée, serait de voir comment ce que nous désignons pour le moment comme une nouvelle forme de « subjectivité caméra » permettrait la création d'une toute autre expression des modalités de l'immersion. Les nouvelles dimensions octroyées à ce que Pascal Bonitzer définissait comme un « oeil sans âme »2, sont tout autant édifiantes que les facultés induites par cette disposition inhabituelle. La caméra est au coeur de cette mutation, et dans la pleine responsabilité de ce potentiel. Mais alors comment, et cela sera la problématique qui englobera la totalité de notre travail, le devenir physique de l'entité-caméra dans l'espace filmique, son accession au pouvoir des grandes instances, pourrait-il induire un bouleversement des conditions de vision ? Comment la focalisation sur, et par la caméra amorce-t-elle la transition vers d'autres expressions du visible ?

Ce type de cinéma a permis, et nous le verrons en détail, de réhabiliter les fonctions et attributs cinématographiques. Que cela soit dans la visibilité des procédés de création, ou dans la nouvelle place dédiée à celui qui filme et celui qui voit, un retour à la source s'opère, et bien qu'il s'agisse toujours dans l'histoire d'un film en train de se faire, il en résulte la création d'une nouvelle image, différente de celle que l'on côtoie habituellement. En termes d'immersion, de définition de la place de spectateur par rapport à l'image, il sera nécessaire de voir l'impact de cette image « contemporaine » sur les spectateurs de notre époque. Car même si nous vivons dans une société saturée par l'image, notre rapport à elle évolue, ce que révèle la création de cet « entre-deux monde » propre au jeu vidéo et que semblent atteindre les films de notre corpus, d'une manière bien différente. Cette tentative de créer un nouvel espace où spectateur et image cinématographique parviennent à se rejoindre n'a jamais été aussi vraie qu'aujourd'hui, la force étant que cette mutation se fait en pleine considération du médium cinématographique (il nous faudra caractériser cette jonction). On pourrait donc se demander comment l'évolution des liens entre spectateur et image permet au cinéma d'étendre ses frontières jusqu'à notre réalité, bien plus que par le simple biais de la zone écranique, dans une société où réel et virtuel tendent à se confondre.

Désormais sensibles à établir une différence entre l'objectivité et la subjectivité de l'« appareil », il nous faudra revenir sur la capacité que peut avoir la caméra à entretenir ou non un rapport objectif avec le réel et donc sur l'aptitude du cinéma à parler du réel dans notre monde. Peut-il rester le plus « réaliste » des arts dans cette époque du tout visible ? Tout en connaissant la difficulté de cet art en pleine reconsidération de son potentiel et devoir réaliste,

2 Pascal Bonitzer, Le champ aveugle, Essais sur le réalisme au cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 1982, rééd. Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 1999, p. 65.

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ayant la volonté de ne plus simplement « faire croire » à la réalité de ses images. Nous ne tenterons d'ailleurs pas de savoir s'il faut croire à la réalité de cette image ou bien à l'image de la réalité, débat depuis longtemps épuisé, car le problème semble désormais bien plus complexe : faut-il croire à l'image comme réalité ? C'est-à-dire croire à l'efficience du visible comme système, comme quelque chose qui engendrerait une réalité dans son sens le plus pragmatique. D'où l'intérêt de soumettre notre étude à une échelle du paraître vrai que le film peut fournir. Émergence donc d'une nouvelle dimension du cinéma, avec une caméra oscillant à la fois entre une vérité cinématographique potentielle et une trahison fictionnelle assurée (une fiction met en oeuvre par principe une feintise, sauf qu'ici la fiction semble profondément rejetée) : on sait très bien que ce qui se joue devant nous n'est pas réel et pourtant il semble se révéler quelque chose. C'est d'ailleurs sur ce double point qu'il faudra nous arrêter, celui du cinéma-vérité et du faux documentaire (désigné par Agnès Varda par le mot valise « documenteur ») en travaillant sur les différences fondamentales entre notre corpus et ces types de cinéma, les deux ayant des frontières poreuses ; de même que des films comme Borat (Larry Charles, 2006) ou C'est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, 1992) se rapprochent ostensiblement des films de notre corpus, en ce qu'ils prennent en compte la caméra dans leur dispositif. Même si, et c'est là où se tient peut-être l'enjeu principal, les effets de caméra, de « faux-montages », les questions de temporalité et d'espace sont bien différentes, tant la présence et l'importance de la caméra dans notre corpus rendent la forme particulièrement originale.

Il nous faudra impérativement passer par la question du cinéma de genre, entendu comme cinéma d'horreur et fantastique, puisque les questions de visibilité et de perception y sont usuelles. Partir ainsi d'études sur ce type de cinéma, de la question de la suggestion et de la monstration, pour établir les bases d'une forme iconographique qui dépasserait ces deux caractères, et supposerait l'exploration d'une nouvelle part du champ. S'arrêter enfin sur l'enjeu du visible et de l'invisible, du « montré » et du « suggéré » dans le cinéma fantastique et d'horreur, pour tenter de voir comment ce genre de dispositif parvient à retravailler les limites de ce qui est « donné à voir », du perçu et de ce qui sera « donné à vivre ». Alors, plus que de traiter de la question du point de vue, il nous faudra traiter de la question de la visibilité, de ce que l'on voit, ce que l'on ne voit pas, que l'on ne peut pas voir, sans omettre le rapprochement entre voir et savoir, et donc d'un rapport à la connaissance qui passerait par la vision. Sans oublier que l'on voit ce que l'autre (le personnage) ne peut pas voir, tout en sachant ce que la caméra nous permet de voir ou ce qu'au contraire elle dérobe.

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Parallèlement à notre étude du genre horrifique (surtout pour tenter de trouver un point de convergence), nous traiterons de la question du cinéma amateur, en ce qu'il s'exécute ici comme un style à part entière. Complétant les différents points abordés précédemment, cette étude du cinéma amateur permettra de comprendre quelle forme peut revêtir la contamination de l'espace spectatoriel. Nous pourrons de ce fait commencer à saisir le dynamisme et la vitalité inhérents à la volonté de filmer de ces « amateurs de la réalité », et créer un lien intense avec le cinéma, et ce qu'il peut être profondément. Nous verrons dès lors si l'aspect found footage3 ne serait pas cet état conjoint du film d'horreur et amateur, à même de générer un espace cinématographique à la « frontière ». Un espace où, à la lumière des spécificités de cette « focalisation caméra », de simples gestes comme un regard caméra ou un décadrage prendraient un sens nouveau dans un espace entre différents types de réalité. L'image acquiert alors un statut bien différent, en lien avec l'indépendance et l'efficience de la caméra, comme le seul objet à même d'améliorer la vision, d'offrir la vérité à son détenteur. En effet, les films du corpus s'attachent à garder une trace (rushes retrouvés), à revenir sur l'image en tant qu'elle conserve (retour en arrière) et en ce qu'elle vérifie (vaut pour preuve). L'utilisation faite de la caméra dans ces films permettant de réaliser le vieux rêve du film impossible : celui d'un cinéma qui n'atteint la perfection qu'en s'identifiant totalement avec l'aventure de son tournage. Même si notre sujet ici n'est pas entièrement consacré au procédé du found footage, il est indéniable qu'il permet de considérer certains éléments primordiaux à notre démonstration, et nous amène à soulever un dernier problème : comment se forment les images ?

Comment se forment les images, et où se forment-elles ? Comment la place de cette nouvelle « entité-caméra » peut-elle intervenir dans la création de cette image ? Ce type de cinéma ne semble plus refléter la réalité, mais en inventer une part non négligeable, ou plutôt la réinventer. La caméra déclencherait-elle le phénomène, engendrerait-elle le paranormal ? La focalisation caméra permettrait dès lors d'entrevoir un au-delà des frontières, où il ne serait plus simplement question de réalité et de fiction, de vrai ou de faux, de réel ou d'irréel. En effet, dans ce nouveau mode de consommation de l'image, la structure du cadre, de l'écran, de l'image, d'entrée de jeu suppose un choix, une séparation entre ce qui est montré et ce qui est caché, une organisation de l'espace visible, et plus largement une mise en place de ce que nous appellerons le « territoire de vision ». Peut-être que les films de notre corpus parviennent à tendre vers une toute nouvelle forme de lien avec le spectateur, une nouvelle forme

3 Littéralement « séquence trouvée ».

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d'échange. Ce territoire de vision, espace de rencontre entre le film et son spectateur, où le trajet et la place de ce dernier seront à préciser, nous permettra aussi de chercher dans les champs de l'énonciation. Pour caractériser la relation entre le sujet et l'objet de la perception, la vision du cinéaste et le regard du spectateur, nous tenterons de savoir si le regard que nous portons sur le monde du film est le nôtre, celui du cinéaste, ou celui d'un autre personnage ? Tout en s'attachant à ce que François Jost définit comme l'« ocularisation »4, en étudiant la relation entre ce que montre la caméra et les instances du récit, narrateur ou personnage.

Entre visible et invisible, les films de notre corpus travaillent sur ces zones mortes de l'image, ce qui nous permet d'émettre une dernière hypothèse sur notre travail : le cinéma, avec la focalisation caméra, deviendrait un instrument fantastique, pas seulement du fait que son histoire et son mécanisme soient en lien étroit avec la peur de la vision, l'horreur de voir, mais par la suggestion d'un arrière monde, puis sa présentation là où la caméra semble devenir le personnage central du film. Cette « nouvelle » caméra se tient au coeur de l'altérité des mondes représentés où ce qui fait peur, ce n'est plus de ne pas voir, mais savoir que l'on va voir ce qu'il nous est impossible de voir habituellement : l'objet à la frontière, le phénomène5. Avec une caméra devenue lentille, super oeil, mais pas seulement vu sa capacité à être indépendante, à connaître et à révéler en fin de compte les faiblesses de son porteur. Plus encore, c'est cette ouverture sur ce qui semble être un au-delà du regard que nous tenterons de cerner, sur ce que nous révèle le regard médiatisé, sur les dimensions qu'il offre, aux personnages et plus généralement à nous spectateurs, devenus intermédiaires et exécutants principaux du dispositif. Comme nous l'avons précédemment avancé, notre intérêt ne portera pas sur la caméra subjective (communément entendue comme le fait qu'un spectateur s'identifie au regard d'un personnage), mais sur le fait de savoir réellement ce que peut nous offrir ce nouveau mécanisme, avec une caméra comme nouveau mandataire du visible et des connaissances, comme nouvelle forme des possibles, et ainsi voir ce qui dans l'image nous regarde.

4 François Jost, L'oeil-caméra : Entre film et roman, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, coll. Regards et Ecoutes, 1987, 2ième édition 1989, p. 18.

5 C'est-à-dire ce qui apparaît dans l'horizon perceptif, mais qu'on ne peut identifier, déterminer.

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1 : Confidences de la fiction

A : Amateurs de cinéma, de la production à la destination des images

L'intégration de la caméra dans le récit se fait par une modalité toute particulière, assimilée à celle du cinéma amateur (entendu comme film de famille, non professionnel et qui n'est pas dirigé vers la fiction) et qui va induire le reste des dispositions (à savoir la mise en place du penchant documentaire et de la fiction, l'aménagement des conditions found footage). Bien qu'entreprenant des développements divergeant (il n'y a pas de surnaturel dans The Blair Witch Project, le montage est actif dans Diary of the Dead, il n'y a pas de found footage dans Chronicle, etc.), tous les films de notre corpus proposent un premier dispositif similaire. Ces fictions mettent en place un tournage live avec en règle générale une ou deux caméras diégétiquement introduites, une prise de vue caméra-épaule et donc une fluidité plus ou moins tenue (décadrage, tremblement, flou, etc.), et une prise son direct (il n'y a normalement pas de sons extradiégétiques). Cinéma direct muté par les agencements du cinéma amateur, les films apparaissent comme le résultat d'une entreprise personnelle, intime ; de ce fait, même si REC et Diary of the Dead suivent une équipe de professionnels, la vision des à côtés du tournage les englobe dans cette forme amateur. L'enregistrement cinématographique, de la même façon que la captation photographique, est un mode très ancré dans le milieu de l'amateurisme. Sa facilité d'accès et son coût très accessible (notamment depuis l'avènement du numérique) en font depuis une dizaine d'années un outil incomparable et indispensable dans tous les domaines, d'une ampleur incroyable dans l'environnement amateur, familial, et cela dès le plus jeune âge. La jeunesse des personnages et la volonté de filmer leurs environnements proches amorcent le projet de tous ces films. La situation de départ tient toujours en une affaire assez inintéressante (une fête, film de famille, journal intime), d'autant plus qu'elle ne nous est pas destinée en apparence, ou réalisée avec peu d'ambition (documentaire, film d'étude ou reportage). Des « amateurs » anonymes 6 se lancent dans une entreprise cinématographique, quelle soit d'ordre particulier ou spécialiste (il y a toujours un revers à ce professionnalisme), et ils seront amenés à un moment ou à un autre à modifier l'appréhension de leur propre réalité tout autant que leur mode de captation.

6 Nous ne déclinerons pas les identités des acteurs au fur et à mesure de notre étude, car justement les films jouent sur cet anonymat et sur le fait que les acteurs soient inconnus ou peu connus. Il arrive d'ailleurs que le nom d'un personnage soit le même que le nom de celui qui tient le rôle.

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Quelle que soit la situation de départ, celle-ci est toujours liée aux images de leur vie, que cela soit dans le milieu professionnel ou familial, et elle sera toujours amenée à être remaniée, transformant par la même occasion le destinataire des images et la manière de tenir tête aux évènements. Dans Cloverfield, l'arrivée d'un monstre dans New York oblige ces jeunes gens à errer dans la ville, continuant à filmer pour avoir des preuves de ce qu'ils vivent afin que les autres puissent voir. Alors que pour Paranormal Activity, les manifestations paranormales s'avèrent être effectives, il s'agit dès lors de filmer pour rentrer en contact avec l'entité et ainsi avoir une preuve à fournir au monde. Du côté de Diary of the Dead, le tournage est interrompu par des évènements étranges qui interviennent partout dans le monde, les morts reviennent à la vie, les étudiants continuent de filmer pour créer un guide de survie destiné à tous les internautes. Quant à REC, le reportage tourne mal alors qu'une quarantaine est déclarée dans un immeuble lors de l'intervention des pompiers. Le monde extérieur doit savoir ce qu'il se passe ici, le reportage se transformant en information de l'extrême. Dans cette optique, le cinéma amateur opère sa transition vers le cinéma documentaire lorsque celui-ci inaugure un passage de l'intime à l'universel, lorsque celui-ci prend en compte le spectateur à venir dans chacun de ses plans. Avec The Blair Witch Project, l'équipe se perd dans la forêt et se voit obligée de mettre fin au documentaire. Des phénomènes étranges les obligent à tourner pour tenter de comprendre ce qu'ils se passent autour d'eux. Et même si les images ne nous sont pas directement destinées (comme pour Chronicle), le procédé ou l'effet found footage remédie à cette question, en désignant le film comme étant dévolu au spectateur.

Généralement, le film met en forme son changement de statut, ce glissement du home-movie vers un ailleurs universel qui dépasse de loin ses premières exigences. En effet, il faut maintenant prendre en compte les autres, ne plus simplement tourner pour nous mais aussi pour eux, de façon à construire notre expérience comme quelque chose d'utile ; d'autre part, et cela peut paraître contradictoire au premier abord, les protagonistes doivent parvenir à faire rentrer leur individualité dans l'universalité qu'ils tentent de saisir pour poursuivre sur un mode adapté. Pourquoi toujours filmer ? Quelle nécessité et quel besoin ? Pour faire face aux différents phénomènes qui marquent notre réalité, il faut parvenir à passer de l'intime et du familial à l'universel et aux collectifs (l'activité professionnelle étant perçu à cet égard comme une activité personnelle), en un mot, joindre sa réalité d'amateur à une entreprise plus large que soi. Rassembler les deux, l'intime et l'universel afin de pallier à l'inattendu de la situation, car c'est le fait d'exister pour les autres et avec les autres qui les fait vivre et les pousse à survivre. Bien entendu, intégrées au domaine de la fiction (là où le film raconte une fiction), ces interrogations n'ont que peu de valeur, mais une fois mobilisées à l'intérieur de

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l'environnement diégétique (là où le film présente une réalité), elles restent très certainement les plus importantes, et renvoient dès lors à une revendication primordiale : si les personnages veulent continuer à filmer, c'est pour nous montrer tout autant que pour voir. Le véritable film advient dès lors que cette métamorphose de l'amateur en un spectateur du monde s'accomplie.

Devenir un observateur c'est avant tout faire acte de son infériorité face à une réalité qui nous dépasse et par rapport à un élément tout autre que nous ne maîtrisons pas totalement : la caméra. Advenir comme spectateur (en continuant à filmer alors que beaucoup auraient décidés de fuir) est donc parfois le seul moyen de réagir activement face à une situation en apparence mystérieuse et de parvenir ainsi à persister dans ce monde, avec les autres. Car le film de famille, s'il se manifeste clairement par l'intégration de la caméra dans la l'espace filmant et filmé (il n'y a pas de diégèse au sens classique), trouve très rapidement racine dans les besoins dont il rend compte. Notamment par la nécessité que peut avoir l'image à faire valoir une envie de communication ; entre les protagonistes du film, et plus généralement entre les protagonistes et des destinataires lointains, plongeant ainsi ceux qui montrent et ceux qui voient dans une même intimité. Surtout que le spectateur du film « s'identifie au personnage qui tient la caméra, plus à celui qu'il voit, celui avec qui la communication-partage de l'intimité se fait directement, au-delà de la caméra.»7. Un trop-plein d'intimité que l'on offre au partage et qui se rapproche d'une forme impudique du tout voir et du tout montrer, une forme de pornographie du familier, où la nudité des gestes à caractères documentaires deviendrait objet érotique car intime et supposant le regard d'autrui. Mais « cette façon de filmer correspond à la façon subjective dont il ressent ce qu'il filme, indépendamment de l'exposition et de la netteté de l'image. La lumière, l'exposition, les mouvements de caméra ne sont que les moyens lui permettant de s'immerger indirectement dans la réalité qu'il filme. »8 Tenter de capturer la réalité qui est la sienne, pour mieux se projeter dans ce qui fait son intimité en même temps qu'essayer de l'offrir aux autres. Ces « Diaries » ainsi créés (non pas sans rappeler différents travaux de Jonas Mekas), affirment aux spectateurs que l'intimité présentée peut aussi être la leur, et que c'est dans son universalisation que cette dernière peut prendre sens : « Ici, bien sûr, la vision familiale se dépasse : elle constitue un lien, précisément défini, entre le particulier et l'universel »9. Et c'est dans le partage de réalité que le dispositif du film est tout entier inscrit, car lorsque l'on parvient à « faire du monde notre famille » (The River, Oren Peli et Michael R. Perry en 2012),

7Roger Odin (sous la direction de). Le film de famille : usage privé, usage public, Paris, Klincksieck, 1995, p. 19.

8 Ibid. p. 116.

9 Ibid. p. 223.

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cette intimité devient le sujet et l'objet du film, amenant au fait que c'est elle qui compte toujours, quelle que soit l'universalisation vers laquelle elle tend.

Dorénavant tout semble tourner autour de ces « amateurs de la réalité »10 et de la dérive du procédé qu'ils tentent de mettre en forme, le passage du film pour la famille, du journal intime, au film pour la collectivité, au journal du monde. Et même si les images tournées ne sont pas toujours à destination du simple cercle familial, que cela soit dans le cadre d'un documentaire (The Blair Witch Project), d'un reportage (REC) ou d'un film (Diary of the Dead), les penchants professionnels tendent à s'amateuriser. En effet, la volonté de toujours mettre en image le processus filmique ou de ne pas faire la différence entre le moment du film et les images qui ne seront pas intégrées (dans REC il y a toujours un avant et un après le plan du reportage), font que la production initiale perd peu à peu de sa consistance. Encore une fois, ce qui importe dans un premier temps, ce sont les images destinées aux seuls commissionnaires du film, et la façon dont les protagonistes réintègrent cette position de spectateur du monde, d'amateur de la réalité. Non pas tant par la capacité qu'ils ont ou non à construire l'image que part leur inaptitude à conserver un réel qu'ils tentent de retranscrire en l'état. Car en dehors de l'entreprise professionnelle, les spécialistes sont des amateurs de la réalité comme les autres, et le fait de ne pouvoir y échapper amène leur mission à perdre immanquablement en qualité intrinsèque. Ce qui compte (à cette étape de la démonstration), ce n'est pas la réalité que l'on tente de représenter, mais c'est celle qui va venir mettre en déroute notre activité, obligeant les protagonistes à recouvrer leur place initiale, celle non pas d'opérateur mais de spectateur. Le cinéma « amateurisé » (celui qui fait suite au phénomène) ne l'est plus simplement dans l'optique d'occuper une fonction identitaire, où filmer serait un processus à même de faire comprendre, d'appréhender sa propre vie, mais parce que la fiction oblige à se conduire comme tel. La plupart des images produites (pour le vrai film) sont faites par certains acteurs eux-mêmes, de purs amateurs donc. Le film est tourné à travers ce que la caméra voit, sans qu'il n'y ait forcément de cadreur professionnel, pour approfondir cet effet d'être là par accident, le chaos du tournage se reflétant dans le film de telle sorte que la mise en scène s'affiche non pas dans l'agencement des procédés cinématographiques mais dans la mise en forme appliquée de sa propre déchéance.

Étant donné le système dans lequel est introduit le film, l'effet amateur est bien sûr un élément indissociable, cependant, se trouvant immédiatement cerné par les limites induites par ce type de procédé, il est une exigence de constituer cet effet comme un style. Ceci permettant

10 Marie-Thérèse Journot. Films amateurs, dans le cinéma de fiction, Paris, Armand Colin, coll. Cinéma/Arts Visuels, 2001, p. 7.

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que la mise en scène ne soit plus constituée à la marge du dispositif. Sous des considérations stylistiques, Sarah Leperchey pose les bases d'une « esthétique de la maladresse » que revendiquent ces quelques films à l'ambition plus vaste que l'on imagine ; la maladresse de l'amateur n'étant plus la simple manifestation d'une prise de risque répréhensible ou d'un manque ostensible d'expérience : « La maladresse devient le signe d'une originalité vraie, le signe d'une oeuvre réellement consistante : le créateur est maladroit dans la mesure où il ne peut se reposer sur un savoir-faire appris, maîtrisé, mais doit inventer, défricher, tâtonner, pour trouver sa propre façon de s'exprimer »11. Appréciée en ce qu'elle dessinerait les traits d'une subjectivité qui tente de tenir compte de son monde tout autant que de la manière de l'appréhender, si cette maladresse peut se faire valoir par son originalité, elle est avant tout le signe d'un regard qui ne repose plus sur un savoir préalable car appris, mais inexistant ou abandonné (dans REG ou Diary of the Dead, il ne s'agit pas vraiment d'amateur). Cette maladresse montre à quel point les protagonistes sont incapables de répondre correctement à ce qui se déroule ou va se dérouler sous leurs yeux, ils sont incapables de maintenir la réalité lorsque celle-ci s'offre à eux et ne peuvent accorder de temps à sa mise en scène. Cela ne veux pas dire que les plans fixes sont impossibles ou que la caméra est collée à tout jamais à l'épaule de son porteur12, simplement que l'urgence et la précipitation qui prévalent la plupart du temps rendent délicate la prise de position réfléchie face au monde. La maladresse est la conséquence d'une évolution du monde qui empêche justement de trouver sa propre façon de s'exprimer. Il semble dès lors que cet effet de maladresse, cette soumission physique au monde en ébullition, soit la modalité par laquelle s'agence une partie non négligeable des ajustements fictionnels :

En effet, la maladresse amateur a permis de mettre en crise les règles du bien-filmer classique, or ces règles visaient, pour une grande part, à l'élaboration d'une image réaliste évidente, pleine, sans accrocs, immédiatement recevable par le spectateur. De sorte que les transgressions, les " fautes " introduites par le style reportage opèrent une subversion du réalisme classique, dénoncé comme une illusion.13

Il s'agit de quitter les tentatives réalistes classiques pour atteindre une véracité plus forte car prononcée, perçue comme telle, la maladresse devenant le signe d'une plus grande implication à la fois du protagoniste dans son intimité et du surgissement de la réalité dans cette même intimité. Dire, comme à pu le faire le cinéma direct, que le réalisme classique est

11 Sarah Leperchey. L'esthétique de la maladresse, Paris, L'Harmattan, coll. Champs visuels, 2011, p. 42.

12 Le terme de caméraman (homme-caméra) rapporte trop l'image à la subjectivité humaine.

13 Ibid. p. 112.

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une illusion n'est plus d'un intérêt majeur, il faut maintenant fictionnaliser cette démarche pour avouer que tout réalisme n'est qu'illusion, la preuve en image, dans l'image, dans tout ce qui la constitue. C'est ainsi que l'on voit à quel point cette tendance lo-fi relève d'un effet très contrôlé : « La lo-fi actuelle est bien une rhétorique : les anciennes figures du " mal fait " sont devenues tout à fait banales, admises, et servent l'illusion de la transparence »14. C'est pour cette raison que la fiction peut s'emparer de ces « nouveaux » procédés, pour les redéfinir et pour rendre ces films réalistes dans le sens où le principe de fabrication serait familier au spectateur. La négation abrupte des présupposés de la mise en scène permet la création d'une forme unique, le cinéma amateurisé devenant le coeur même de cet élan. Et c'est dans la reconnaissance de cette forme que la fiction va pouvoir se détacher d'un procédé qu'elle a elle-même mis en place : reconnaître la forme empruntée permet son détournement.

Tout ceci n'est a priori pas nouveau. Si les films jouent sur cette intimité hors norme, puisque commune suite à son universalisation, c'est justement parce que c'est ici que peut naître la fiction, dans sa forme la plus efficace, la plus prégnante. Sauf qu'ici, c'est cette même familiarité que le film tente à la fois de construire et de détruire, pour voir comment les protagonistes réagissent lorsque les limites de leurs milieux personnels sont brisées. De sorte que le cinéma puisse encore intervenir dans une réalité où les spectateurs du monde ont produit tant d'images clandestines : « Son objectif (en tant qu'il assume une fonction essentielle d'altérité) est de reconquérir cette image du monde que l'excès d'images insignifiantes et de discours audiovisuels formatés ont effacés »15. Le subterfuge des films qui nous intéressent étant très justement de parvenir à reconquérir cette image du monde par des impressions issues de cette saturation. La retrouver dans cette effusion, être submergé pour retrouver l'essence même de ce qu'elle peut être. L'image trop pleine semble la seule à même de saisir le trop-plein d'image, dans un univers où elle est, tout de suite, tout le temps, partout. Aujourd'hui plus que jamais, l'acte de filmer implique une réflexion sur la nature des images, sur leur intensité, et sur les limites de la vérité qu'elles mettent en forme, plus que sur leur vraisemblance. Car si le film devient un documentaire, c'est avant tout pour saisir l'avènement de la fiction dans l'univers des spectateurs du monde, dans la pleine considération des domaines cinématographiques. Les protagonistes devenant eux même les spectateurs d'une intimité qui leur échappe, puisqu'elle est appelée à s'extérioriser, ou plutôt à s'intérioriser au-delà d'un objectif qui les guette.

14 Ibid. p. 161.

15 Angel Quintana. Virtuel ? A l'ère du numérique, le cinéma est toujours le plus réaliste des arts, Paris, éditions Cahiers du cinéma, coll.21e siècle, 2008, p. 124.

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B : De la réalité des images fictionnelles

Ces questionnements sur l'organisation et la disposition des images face à la réalité ont été mis à jour depuis longtemps par les cinéastes du documentaire, et par ceux des sous-catégories affiliées. Et si ces spécificités nous intéressent tant, c'est pour tenter de répondre à l'évolution qui se joue dans ces oeuvres, le passage du film amateur à la tentative documentaire, et la mise en forme de vérités toutes particulières. D'un côté celle que tente de percevoir les protagonistes et qu'ils tentent de capturer (une vérité à découvrir puis à exposer), de l'autre, celle dessinée par l'apanage fictionnel et au coeur du procédé found footage (l'image comme détentrice d'une vérité à exhumer puis retenir). Il s'établit une double quête, celle des spectateurs du monde, à l'intérieur du film, celle des spectateurs du film, à l'extérieur. S'il se place en ligne de mire de la tentative documentaire, en plus de s'approprier les codes du cinéma-direct, c'est que son dispositif dans le domaine de la fiction réinvite principalement à repenser ce que le cinéma peut offrir ou non de la réalité, tout autant que de connaître la véracité de ce qu'il s'approprie. Le documentaire est en ce sens la spécialité la plus controversée, tant sur les questions liées à la nature même du cinéma que sur le travail de référenciation. Mais dans cette optique, les divergences entre cinéma de fiction et cinéma documentaire ne tiennent pas tant dans l'aptitude même des textes à répondre de la véracité de leurs référents que dans le mode discursif développé et le contrat de lecture établit avec le spectateur. Sauf qu'ici, on voit ces deux formes se confondre et le texte afficher clairement des intentions qui vont à contresens de ses facultés (à la fois par les protagonistes qu'il met en jeu et par l'utilisation du found footage). Avant d'aller plus loin et d'entrevoir les limites du réalisme des images fictionnelles, il semble nécessaire de redéfinir les bases et les nécessités de cette réalité, afin de considérer ces suppositions d'une meilleure manière.

Fonctionnant comme révélateur du réel, le cinéma pour André Bazin16 serait un art de la réalité en ce qu'il la reproduirait, cette dernière se manifestant, se réalisant à travers les images. Toutefois, ce caractère se jouerait dans la conservation du réel comme élément brut, immédiat car se présentant sans médiation artistique, dans un refus d'interprétation empêchant l'artiste de remplacer la réalité du monde par une vérité toute autre. Ce qui est spectaculaire dans l'image, c'est le monde, son essence et pas la manière de le mettre en scène. En ce sens, le cinéma pur pour Bazin est un cinéma transparent, se faisant totalement oublier, un cinéma sans point de vue permettant d'accéder à une certaine forme d'objectivité. Ici, paradoxalement,

16 André Bazin. Qu'est ce que le cinéma ?, Paris, 1958-1962, rééd. Editions du Cerf, collection "Septième Art", 1985.

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c'est le fait même que le cinéma se montre, que le processus soit en cours et que la mise en scène soit annexée, qui permet à cette objectivité tant recherchée de trouver sa résolution (nous verrons par la suite que cet dénouement n'est que passager). En anéantissant la transparence formelle, il n'est plus possible de nous cacher qu'il s'agit là d'un film, ceci étant, la réalité reste bien trop forte pour que celle-ci se constitue par une médiation parfaitement maîtrisée : afficher le dispositif de captation et ne pas réussir à mettre en scène le monde c'est aller au plus loin des fondements de l'esthétique de la transparence. La brutalité de ce réel est toujours supérieure à la possibilité qu'ont les protagonistes de changer la vérité de ce qu'ils voient et de ce qui les dépassent (Diary of the Dead reste à la limite de cette supposition). D'autant plus que dans les cas qui nous concernent, s'il doit y avoir la constitution d'un point de vue, il s'agira très certainement de celui de l'appareil, dont l'objectivité dans le mode de captation semble caractéristique. Sauf que la fiction ici est entièrement construite autour de l'objectivité de l'appareil, ou plutôt de ce qu'il y a au-delà de cette objectivité. Cet au-delà de l'objectivité, c'est ce que présente Mitry17 lorsqu'il affirme, contrairement à Bazin, que le cinéma est un langage et nécessairement un signe, qui tente de représenter le réel avec une intention artistique absolue. Le représenté est perçu à travers une représentation qui le transforme puisque le cinéma n'est pas un réceptacle neutre au monde, il est un processus actif qui induit une métamorphose particulière du monde. Le cinéma n'est pas un discours du monde mais à propos du monde, et le cinéma doit assumer la médiatisation de cette allocution. Il n'y a pas de monde en soi mais que du monde perçu, on ne peut donc parler d'objectivité. Notre corpus fait donc le lien entre la théorie bazinienne (l'image comme miroir du réel), et la démonstration de Mitry (l'image comme transformation du réel), car c'est en assumant la médiation par l'appareil cinématographique qu'il s'inscrit justement dans la transparence, dans cette objectivité fictive, et que peut se mouvoir la fiction. Faire face au monde dans ces fictions, c'est faire acte de la subjectivité de l'appareil et passer de la production d'effets de réel et la dénonciation de leurs caractères illusoires à une tentative d'exploration d'une vérité purement cinématographique ; l'histoire du film documentaire reflète cette conversion.

Le cinéma-vérité, sous-genre du documentaire est un mouvement ayant pour vocation de se positionner de manière éthique et théorique sur la relation du cinéma au réel, notamment sur les enjeux liés à l'objectivité de l'appareil, de l'existence ou non d'une vérité émanant de la réalité, des propriétés de la représentation et de sa propre fonction de médiateur. Par l'entreprise d'une forme directe de cinéma, ce type de documentaire offre consciencieusement

17 Jean Mitry. La Sémiologie en question. Langage et cinéma, Paris, Éditions du Cerf.

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une vision médiatisée du monde puisque c'est en utilisant la caméra que l'on peut être susceptible de provoquer le sujet afin de lui faire dire sa propre vérité tout en réfléchissant au procédé mis en place et à la consistance des images produites :

La réflexion sur la réalité des images, (leur objectivité, leur vérité) se joint à la fonction de représentation des images du réel. Mais celle-ci met nécessairement la représentation à distance : les images ne sont plus seulement prises au premier niveau pour ce qu'elles représentent, mais elles apparaissent en même temps dans leur réalité d'images dont la fonction première est de rendre visible.18

Rendre visible, c'est supposer que la vérité du monde serait cachée et que le simple fait de représenter est insuffisant pour donner à voir cette même vérité. Il paraît simple d'accéder à cette divulgation lorsque le film est une fiction, dans le sens où la vérité qui transparait ne serait pas celle du réel mais du film, une vérité qui cherche donc à se faire voir (le monde étant à cet égard bien moins démonstratif). Les réalisateurs de ce cinéma-vérité admettaient la nécessité de ne pas intervenir, de telle sorte que l'image puisse être présentée pour ce qu'elle est, avec l'affirmation d'un accès direct et fiable à la réalité. Cette fenêtre ouverte sur le monde affirme donc que le réalisateur se place lui même comme un spectateur de la réalité affirmant par la même occasion que l'image est apte à offrir la vérité sans interprétation préalable. Dans le cas de notre corpus, il semble se produire un effet inverse puisque c'est le réel qui aurait une fenêtre sur les protagonistes, lui permettant d'investir cette intimité que les personnages tentent de conserver à tout prix. Parce que la fiction appelle à ce que le monde réel se présente ainsi, parce que la fiction accentue la réalité de l'image, pour ne pas oublier que le point de vue reste celui adopté par l'appareil et que la vérité amenée soit avant tout cinématographique. Le monde pénètre dans l'image pour que le cinéma puisse construire la vérité sur ce monde et donc permettre à tous les spectateurs de voir ce qui est habituellement invisible (et ce que l'on voit à l'image n'est pas forcément ce que l'on voit dans la réalité). Cette vérité est donc indissociable de l'oeuvre, surtout si l'on considère que tout film est une fiction, puisqu'il induit une représentation du réel et non le réel lui-même. Plus encore, si le film parvient à rendre visible des portions du réel qui ne l'étaient pas avant son intervention, c'est que cette représentation est elle-même dépassée. Ainsi, la réalité qu'il parvient à mettre en forme, c'est la sienne, celle de son processus, c'est la vérité iconographique. Parvenant à trouver une réalité non pas dans le représenté mais dans l'acte même de représentation.

18 Marie Jo Pierron-Moinel. Modernité et documentaires : Une mise en cause de la représentation, Paris, L'Harmattan, coll. Champs visuels, 2010, p. 65.

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Le documentaire est souvent là pour faire découvrir au spectateur une portion du monde qui lui est inaccessible, car inconnue, lointaine, emportant ce regardeur par sa volonté de savoir, de connaître un évènement particulier, visible par d'autres que lui. C'est sur cela que joue aussi le corpus, sur cette interaction liée au « besoin » de savoir du spectateur. Sauf qu'ici, ce que l'on essaie de voir, c'est justement « Tout ce qui sort de l'ordinaire », tous ces phénomènes qui font que notre réalité rejette sa banalité. Issue de Paranormal Activity 3 (Henry Joost et Ariel Schulman en 2011), cette réplique permet de voir que si le cinéma ne capte pas autre chose que l'ordinaire, il est bien incapable de récupérer quoi que ce soit. D'autant que le peu qu'il récupère est transformé en extraordinaire, par la simple présence de la caméra (et cela n'est pas uniquement valable pour notre cas d'étude). Alors pour fonctionner, le cinéma de fiction doit mettre en place un approfondissement du réel, de telle sorte qu'il puisse faire surgir des phénomènes identifiables : « La notion vertovienne de la " ciné-perception " comme une ouverture sur le monde proclame, d'une manière qui rappelle la théorie réaliste, que le cinéma a une fonction essentielle : l'exploration du " réel " »19. Le ciné-oeil (formule que nous n'utiliserons pas dans le cas de notre corpus, puisse que celle-ci rejette dans sa définition la construction fictionnelle) permet donc cette exploration du réel, et si l'on explore c'est qu'il y a très certainement des choses à découvrir. Mais les protagonistes n'ont pas conscience de cette propriété. En cela, le ciné-oeil ne correspond qu'à la première phase de ces films, lorsque cette exploration du réel malmenée s'ouvre vers des profondeurs de la réalité insoupçonnées. À cet instant précis, le cinéma ne permet plus seulement l'exploration du réel, mais de ce qui se tient au-delà et la caméra devient l'outil et l'agent de cette nouvelle prospection.

C'est cette seconde phase consciente d'exploration qui va faire que la fiction va délaisser de manière claire les barrières du documentaire, la fictionnalisation de ses procédés ou du moins de sa démarche initiale (rendre vaporeuse la frontière entre les faits et la fiction), le faisant alors tendre vers le « mock-documentary », terme utilisé pour deux raisons :

Parce que cela suggère qu'il s'amorce en copiant une forme préexistante dans le but de reconstruire une forme que le public est supposé connaître. Parce que l'autre signification du mot " mock " (renverser ou ridiculiser par l'imitation) suggère qu'une partie de cette forme filmique parodique est tournée vers le documentaire.20

19 William Guynn. Un cinéma de Non-Fiction : Le documentaire classique à l'épreuve de la théorie, Aix en Provence, Publications de l'Université de Provence, 1990, p. 28.

20 «Because it suggests it origins in copying a pre-existing form in an effort to construct (or more accurately, reconstruct) a screen form with which the audience is assumed to be familiar. Because the other meaning of the

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Bien entendu, le documentaire n'est pas la seule forme que ces films investissent de manière perceptible (on l'a bien vu avec le cinéma amateur), mais ces apparences tendent à se dissoudre au fur et à mesure que le phénomène prend la place sur la réalité qu'il investit. Dans tous les cas, il s'agit de mettre en forme une construction préexistante et de trouver de nouvelles profondeurs dans le détour de cet élément même. De plus, le documentaire, qui comme nous l'avons vu serait lui aussi basé sur un système de représentation du monde, ne s'avoue pas meilleur dans le sens où il donnera accès au monde tel quel, mais dans l'hypothèse où il offrirait une « bonne » représentation de ce monde : « il y a une relation directe entre l'image et son référent, que seul le documentaire peut établir »21. Et c'est justement sur cette référentialité que joue le faux-documentaire : « Cette relation entre l'image et le référent n'est pas simplement rompue, elle est en fait totalement détruite dès lors que l'on démontre que l'image n'a aucun référent dans le monde réel »22. Le faux documentaire fonctionne donc au mieux lorsque celui-ci parvient un tant soit peu à conserver cette référentialité, ou à jouer de cette impression. Borat fonctionne sur ce mode, amenant le spectateur a ne plus très bien savoir ce qui est référencé, ou référençable, ce personnage de fiction évoluant au milieu d'autres personnages dont on ne parvient jamais à désigner la véritable implication. Dans une autre tournure, C'est arrivé près de chez vous met en scène le fantasme d'une interaction avec le réel, en abolissant la distance spatiale et temporelle entre l'image et son référent. Là non plus, nous ne passons pas à côté de la présence de la caméra, mais en insistant sur le statut documentaire des images on en vient souvent à oublier qu'il se passe aussi quelque chose derrière la caméra. Le documenteur offre ainsi au public la possibilité de réfléchir sur l'acceptation culturelle des discours factuels, déplaçant alors le spectateur sur une position critique toute particulière à l'égard du film et sur sa propre expérience de spectateur.

Dans notre cas pourtant, les films affichent très rapidement la vérité de leurs intentions. En effet, le mock-documentary n'est pas un faux-documentaire, il ne cherche pas à se faire passer pour ce qu'il n'est pas, il révèle progressivement qu'il a réussi à en produire l'illusion mais qu'il n'en est justement pas un. Il dissimule pour mieux dévoiler et c'est une fois reconnu dans cette circonstance que l'on peut l'apprécier. L'exercice de référenciation

word « mock » (to subvert or ridicule by imitation) suggests something of this screen form's parodic agenda towards the documentary genre. » Craig Hight et Jane Roscoe. Faking it, Mock Documentary and the subversion of factuality, Manchester, Manchester University Press, 2001, p. 1.

21 «That there is a direct Relationship between the image and the referent, end further that is only documentary that can construct such a direct relationship with the real.» Ibid. p. 181.

22 «The Relationship between the image and the referent is not only broken, it is in fact completely destroyed when the images can be shown to have no referent in the real world.» Ibid. p. 188.

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s'écroule, puisque ce qui advient est extra-ordinaire et que l'on ne peut aucunement le rapporter à quelque chose que l'on connaît. Le fait que le phénomène échappe à cette référentialité, alors que le monde construit autour de lui semble correspondre au monde tel qu'on le connaît montre à quel point s'il se passe quelque chose derrière (ou dans) la caméra, il se passera toujours quelque chose devant, d'autre que ce que l'on connait. Il est alors impossible d'« éviter les clichés, juste présenter de la manière la plus simple. La légende pour elle-même » comme le souhaite tant Heather, car la légende ne reste jamais ce qu'elle est tantôt qu'on lui offre la possibilité de « devenir » par l'image, de telle sorte que notre croyance évolue en même temps que celle des protagonistes.

La diffusion d'un film est toujours tenue par un contrat d'ordre implicite avec le spectateur: « La fiction est définie à partir du contrat de réception : les spectateurs de ces films en font une lecture fictionnalisante dans la mesure où leur croyance ne se construit pas, comme ce serait le cas avec un documentaire, sur une obligation de vérité »23. Dans le cas présent, la lecture fictionnalisante serait une position de second degré, la quête de vérité étant justement l'une de ses principales obligations. Et même si le spectateur sait raisonnablement qu'il ne quitte jamais la fiction, c'est très justement cette prévision que viennent définir les premières marques des films (found footage ou autres expositions) : ceci est une fiction, sans aucun doute, mais nous vous demandons d'y croire non pas comme si c'était vrai, mais comme s'il s'agissait d'une réalité (susceptible de devenir la vôtre). Sauf qu'ici le régime de croyance demandé ne correspond pas au mode de réalisation des films, et c'est en ces termes que l'on peut considérer cette entreprise comme trompeuse, car elles restent des oeuvres qui détournent la réalité. Ce point est la différence majeure entre la fiction et le documentaire, parallèlement au régime de croyance suivi par le spectateur et qui est induit par le film même. Habituellement, le film s'engage à faire croire qu'il n'est pas qu'une fiction (de manière implicite), mais paradoxalement, la fiction doit initialement être perçue comme telle pour fonctionner. Nous devons savoir que la fiction en est une, pour modifier notre système de croyances et ne pas être brusqués par les éléments non référençables. Ici, la fiction s'engage à faire croire qu'elle n'est pas qu'un film (de manière explicite). Pour bien agir, elle doit laisser un doute quant à savoir si la réalité initialement présentée est la nôtre ou non. Cette feintise ne tient pas (et n'est pas faite pour tenir), compte tenu de son mode de diffusion d'abord, par ce qu'elle met en forme, puis toujours par la présence du générique. Elle n'est là que pour induire un double mouvement d'identification et de mise à distance, l'univers crée par la fiction

23 Marie-Thérèse Journot, op. cit., p 17.

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s'amorçant par une analogie à notre monde réel que le film détruira au fur et à mesure de son avancée. L'univers fictionnel est ainsi toujours le seul à valider les phénomènes qui lui sont constitutifs : « En effet, la fiction artistique ne s'oppose pas au vrai mais au vrai et au faux, c'est-à-dire qu'elle échappe à la pertinence de la véridiction comme telle »24. Il est donc bien étrange de dire que le film serait un mensonge à l'adresse du spectateur, ou uniquement cela, car même s'il ne parvient pas à conserver la réalité à laquelle il demande une reconnaissance préalable, il ne demande que de croire à la réalité du système de représentation, d'adhérer à la réalité de l'image fictionnelle.

Tous ces détours n'entament qu'une seule chose, le retour irrémédiable à la fiction. Rejeter la fiction pour mieux l'investir, et ainsi lui offrir une nouvelle « force », dans cette non-fiction utopique, où vivre avec une caméra se révèle toujours l'élément le plus irréaliste. Il ne s'agit pas au fond d'échapper à la fiction mais précisément de la mettre en jeu, dans sa création, dans son aboutissement. Et si ces films jouent à être des documentaires, c'est principalement dans cet axe : comment faire apparaître la fiction ? Quel est donc l'héritage de la réalité ? Et cela dans un élan toujours destructeur, d'où le fait qu'il s'agisse de film d'horreur, fantastique, des films d'épouvantes. On comprend qu'il est précisément impossible d'atteindre un état de « non fiction », car la présence « cinéma » rend tout bonnement impossible le raccord à la réalité perçue. Il ne peut que la dérégler, la dégrader, et en laisser ainsi percevoir la substance. Il ne s'agit pas de dire qu'il est impossible de parler de notre réalité, ou de manière réaliste, il s'agit de voir à quel point la caméra (dans sa forme la plus « basique » : film amateur, documentaire, film de famille) ne parviendra jamais à retranscrire la réalité telle qu'on la voit, telle qu'on la vit. Comment l'exercice de la fiction peut-il rendre compte du réel ? La question est bien sûr tout aussi légitime pour le documentaire, mais elle semble bien vite dépassée, amenant à une seconde interrogation : comment la fiction peut-elle rendre compte de la fiction ? En approchant un autre type de vérité, pas la vérité vraie, mais celle induite par le procédé. Le système crée sa propre vérité, là où la quête du réel, du vrai est une quête sans fin et sans intérêt véritable ; la vérité que l'on va chercher est plus passionnante que la vérité authentique. D'autant que fictif ne veut pas dire faux, « Cette histoire est vraie puisque je l'ai inventée d'un bout à l'autre » affirmait Boris Vian au sujet de L'écume des jours. L'oeuvre incarne, fait surgir, émerger une vérité, même si cette dernière va à l'encontre de la véracité. Il s'agit d'aller plus loin que ce que semblent dire les choses, de donner une dimension supplémentaire à cette exploration du réel. L'art nous détourne peut-

24 Nathalie Heinich et François Flahault (sous la direction de). Vérités de la fiction, L'Homme n°175-176, Editions de l'école des hautes études en sciences sociales, 2005, p. 31.

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être de la vérité (c'est le grand problème de Platon), mais pour nous ramener à une vérité bien plus intérieure, au film ou à l'appareil, à celui qui filme, comme si le cinéma personnel parvenait dans cet espace fictionnel à trouver une légitimité à sa subjectivité :

L'hypothèse ontologique du cinéma personnel est que le cinéaste choisisse et juxtapose des images afin de révéler certains aspects de son Moi. La condition préalable à l'investissement personnel et émotionnel est donc très forte ; et derrière cette ontologie du cinéma personnel, se trouve en fait la conviction que le cinéma peut révéler des vérités intérieures.25

Il ne s'agit plus de dénoncer le fait que tout régime médiatique émotionnellement intériorisé soit un mensonge, mais de voir comment on peut gérer la difficulté du trauma, de l'indicible, de ce que l'on ne peut expliquer, même si on l'a vu. L'homme qui est face à l'image de la mort, se retrouve sans mots, traumatisé, exclu de l'humain pour n'être que devant cette image. Car il n'y a pas de mot pour exprimer cette peur que les autres ne peuvent entendre (comprendre), car il n'y pas de mots pour dire l'horreur, il n'y a que des images. Excès du dispositif, dont la visibilité permet de plonger dans une autre intimité, celle du film, par une autre subjectivité, celle de l'appareil, dont les images et plus globalement le film sont l'extériorisation physique concrète, matière de la subjectivité. La réalité du système de représentation prend la place sur la réalité elle-même. Pour finir, Bazin distinguait deux types de cinéastes, d'un côté ceux qui croient à la réalité et de l'autre ceux qui croient à l'image. D'un côté ceux qui croient au monde, de l'autre ceux qui croient au cinéma (et peut-être pas assez au monde). Ces films amènent à repenser cette dualité non plus dans un rapport de force, mais dans une cohésion particulière. L'image n'est jamais détachée du monde mais n'est jamais le monde tel quel. Elle est la continuité de ce monde, à elle seule un univers qui peut se faire valoir. Mais surtout, elle est toujours destinée à réapparaître dans le monde initial, celui-ci devant faire acte de cette présence. La réalité se destine à l'image, l'image se destine à être réalité. Cette réalité n'étant plus la même au début et à la fin de ce processus.

25 Marie Danniel-Grognier. Formes et manifestations de la subjectivité dans le cinéma documentaire personnel américain (1960-1990), Poitiers, Université de Poitiers, 2008, p. 76.

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2 : A la croisée des mondes, l'image

A : Les reliques du found footage ou le patrimoine de l'esprit

Dans cette recherche des images fictionnelles se met en place un usage tout particulier d'incarnation, un artifice tout entier tourné vers la fiction, le found footage. Bien loin de la pratique mise en lumière par Nicole Brenez dans sa Cartographie du Found Footage26, où un film produit le serait grâce à la réutilisation plus ou moins partielle d'images d'autres films, l'enregistrement est montré ici comme un élément retrouvé et non modifié, donnant à la fois une consistance et une préexistence aux images. Ainsi la totalité du visionnage est portée par cet acte préalable déterminant la nature des images et notre lecture du film, la nécessité étant de faire la distinction entre ce qui relève du dispositif, et ce qui relève de l'intention dans lequel on en fait usage. Dans The Blair Witch Project, un intertitre précède le film pour indiquer les éléments suivants : « En octobre 1994, trois étudiants disparaissaient dans la forêt près de Burkittsville, dans le Maryland pendant qu'ils tournaient un documentaire. Un an après, leurs enregistrements furent trouvés ». Cet intertitre sobre précise donc que les évènements se sont produits cinq ans avant la « présentation » du film en salle, cet écart créant un premier effet d'antériorité. Arrivent ensuite les premières images du film, indiscernables, floues, c'est la préparation et la présentation du film à venir (le documentaire et son making-of). Avant même de savoir de quoi va traiter l'« histoire », le spectateur s'engage dans le film de manière bien particulière. Il s'agit pour lui de savoir comment les protagonistes ont disparu, s'ils ont bien disparu et si l'on peut obtenir des indices sur une survie hypothétique. Les premières instances du film gagnent alors en consistance, portant tout le film sous ce regard documentaire et dans le but de trouver les marques d'une vérité plus globale. Le moindre détail de ces moments insignifiants peut avoir son importance, il ne faut rien perdre de cette ébauche d'intimité. Pour Cloverfield, les images sont proposées comme étant un élément source du département de la défense américaine ; on peut lire d'ailleurs en arrière-plan de ces premières images : « Propriété du gouvernement américain, ne pas copier ». Issue d'un dossier confidentiel nommé « Cloverfield », l'enregistrement est issu d'une caméra retrouvée sur le lieu de l'incident « US-447 », zone autrefois connue comme « Central Park ». Outre le fait que le film se détache un tant soit peu de notre réalité

26 http://archives.arte.tv/cinema/court_metrage/courtcircuit/lemagfilms/010901_film3bis.htm

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(Central Park est toujours connu comme étant Central Park), cette présentation fait directement le lien avec la fin du film. En effet, dans une dernière tentative de survie Rob et Beth se réfugient sous un pont du parc new-yorkais, mais ne survivrons pas aux attaques de l'armée contre le monstre. Ces premières annonces construisent notre lecture du film de deux façons. Tout d'abord, nous voyons ces images presque à l'insu du gouvernement, comme si un acte malveillant nous avait fait parvenir l'enregistrement. Nous (spectateurs) avons la possibilité de voir un film auquel nous n'aurions pas dû avoir accès, alors ces images doivent témoigner de quelque chose de sérieux et que l'on essaye de nous cacher, ce qui bien sûr affecte l'image d'une authenticité singulière. Nous voyons des images qui ne devraient par être vues, et elles n'auraient pas cette caractéristique s'il s'agissait d'une fiction. Ensuite, de la même manière que nous connaissons le destin d'Heather et de ses acolytes, nous obtenons un certain nombre d'informations sur l'histoire. Nous savons précisément que Central Park est la zone à éviter, qu'il s'agit de la zone de non-retour (pour la caméra au moins, mais l'espoir que les protagonistes survivent sans la caméra est très mince dans ce genre de configuration). Ces annonces en ouverture de film transforment donc notre ligne de conduite en nous fournissant des informations préalables, de telle sorte que nous ne verrions pas le même film si l'on venait à manquer ces informations (on peut supposer par ailleurs que les premières séquences manqueraient d'intérêt sans l'attente du phénomène affilié). On sait très bien comment tout cela va finir, l'important ne réside donc pas dans le drame à venir, mais dans l'annonce même de ce drame, dans le fait que nous allons voir des gens succomber, puisque déjà morts ou disparus quoi qu'il arrive par la suite ; même si le spectateur sait qu'il voit une fiction, le found footage relie avec le fantasme du snuff movie 27. L'intimité ainsi bafouée se retrouve dans l'attente de l'événement mortifère.

Pour ce qui est de Paranormal Activity, la Paramount Pictures remercie ouvertement les familles de Micah Sloat et Katie Featherston ainsi que la police de San Diego. Cette attention, sous forme de condoléances, inscrit le groupe policier comme une instance capable à elle seule d'authentifier la démarche found footage. La Paramount a eu accès à ces images, la police est au courant et naturellement la justice ne peut vous mentir (de même que la défense américaine dans Cloverfield ne garderait pas d'images si ce n'étaient pas des preuves) ; un accord avec la famille a été trouvé, on imagine alors que « l'image » des deux jeunes ne doit pas être ternie ou altérée par la production et donc la vérité modifiée (on ne nous confirme leur disparition qu'à la fin du film, mais le message de la Paramount Pictures amorce déjà

27 Film clandestin où la torture et la mort ne sont pas simulées.

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cette destination). Pourtant, cette fois-ci, le groupe à la base du film (la Paramount est une grande maison de production dont l'existence n'est plus à démontrer) s'identifie comme celle qui à la fois trouve les images (dans la fiction) et les réalise (dans la réalité). La plupart du temps ce n'est pas le cas, l'entité à la base du found footage (celui qui trouve les images dans la fiction) et celle à la base du film réel (le réalisateur connu et reconnu) ne sont pas rapprochées, ne sont pas mises sur le même plan (même si dans le cas présent Oren Peli n'est vraiment rattaché à la fiction que par le générique). De cette façon, le mystère plane autour de ceux qui trouvent les images, pas au-dessus de ceux qui les tournent (dans la fiction ou dans la réalité), allant à déployer certains masques de l'énonciation jusqu'alors insoupçonnés :

Tout film peut susciter la construction par le spectateur de quatre " masques " de l'énonciation : - Le supposé-réalisateur, instance que l'on crédite d'une intention discursive : celle de " parler cinéma " (...) - Le narrateur implicite. Ici, il s'agit bien d'une instance construite à partir du système filmique seul. Relèvent de l'énonciation narrative, tout plan, tout son, toute combinaison audiovisuelle nécessaire au spectateur pour comprendre le récit. (...) - Le filmeur empirique. La distance qui sépare cette instance des précédentes est celle qui oppose l'intention et l'aléa, la nécessité et le hasard. Est renvoyé à cette instance tout élément visuel ou sonore qui n'est pas considéré comme intentionnel : tremblé, faute de scripte, bruit d'avion qui passe dans le lointain, etc. - L'auteur construit. En fonction de l'idée qu'il se fait de l'auteur, (...) de la place et du rôle qu'il lui attribue.28

On envisage ici deux instances d'énonciation supplémentaires. D'un côté, le narrateur explicite, la caméra comme instance de tournage immanquable, dont l'image récupérée est la substance (nous n'utiliserons pas l'expression de narrateur formel car l'image émanerait plutôt du « fond » de la caméra, mais nous verrons ça ultérieurement). De l'autre, le réalisateur tiers : celui qui parviendrait à mettre à jour les images afin de les rendre présentables, il ne s'agit donc ni du supposé-réalisateur et encore moins de l'auteur construit, il est le grand inconnu de la plupart des films (il n'entre pas en compte dans Diary of the Dead). Ces deux autorités s'intègrent dans deux espaces différents, ils sont les seuls à avoir une consistance dans la fiction et dans notre réalité. Le narrateur explicite demeure puisque l'image en est l'émanation, le réalisateur tiers existe puisque l'image est la preuve de sa participation. On pénètre alors dans cette intimité abrupte par une instance extérieure au film en train de se faire, un personnage fictif dont la place est clairement inscrite dans notre réalité. Ces deux instances sont primordiales, étant donné qu'avec la naissance de l'image elles agencent la réalité du film à notre réalité de telle sorte que l'on voit se dessiner un espace

28 François Jost. Le Temps d'un Regard, Du spectateur aux images, Paris, Klincksieck, 1998.

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commun (ces deux instances ont une existence fictive mais inscrite dans notre espace de réception). C'est dans ce même espace qu'interviennent les sites internet relatifs aux films (comme pour The Devil Inside 29 de William Brent Bell sorti en 2012 et Appollo 18 30 de Gonzalo López-Gallego sorti en 2011) ou encore les avis de disparition des protagonistes, qui augmentent l'impression d'être dans notre réalité. Cet espace commun, espace-tiers est le seul capable de mettre à niveau les deux réalités.

Pour autant, les films de notre corpus ne sont pas tous aussi clairs dans cette défictionnalisation que met en place l'exposition. Dans Diary of the Dead, les images n'ont pas été retrouvées mais montées au fur et à mesure de leur captation afin d'être mises à disposition sur la toile (dans la diégèse). Malgré cela, l'antériorité ainsi créée est la même que les autres oeuvres tout autant que sa validation par des caractères de l'énonciation. Si les images ne sont pas retrouvées à proprement parler, la réalité affichée des protagonistes elle, l'est complètement. Dans les deux derniers cas (REC et Chronicle), la démarche n'est pas clairement avouée, de telle sorte que l'on hésite un instant entre une forme abstraite de cinéma en direct ou pour un found footage inavoué par une fiction qui aurait du mal à transcrire les limites de son champ d'action. Nonobstant, ces fictions se dirigent inexorablement vers la tendance found footage, même si celles-ci ne se cachent pas derrière d'obscurs intertitres. En effet, on délaisse vite la possibilité du direct, car le temps du film n'est pas celui du récit et si notre entêtement balance une nouvelle fois vers cette pratique d'exhumation, c'est parce que si les images ne sont pas présentées comme retrouvées elles sont définitivement appelées à l'être : les caméras sont là aussi abandonnées et donc possiblement récupérées. Que le found footage fonctionne un coup comme origine, de l'autre comme aboutissement, tous ces films traitent du destin des images, de la nécessité qu'elles ont d'être et d'exister. Cette structure dépasse les limites de sa simple démarche, en parvenant en fin de compte à rassembler des films sous une autre orientation. L'image appelle et conduit à l'acte de renaissance. Dans cette mesure, cette entreprise est irréalisable en dehors des considérations précédemment développées, car si l'image existe en tant que telle, alors la caméra ne peut rester sous silence, le film à voir étant la trace de sa participation dans tous les espaces relatifs au territoire de vision. Mais ce que nous n'oublions pas, c'est que l'aventure que présentent ces productions est toujours une histoire de cinéma, d'un film en cours, nous irons même jusqu'à dire que la fiction se fait au détriment de ses protagonistes. Film en train de se faire, il sera amené à être considéré par les exécutants, ces derniers ayant toujours accès à celui-ci en cours de route

29 http://www.therossifiles.com/site/

30 http://lunatruth.com/

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(deuxième caméra dans The Blair Witch Project, retour en arrière pour REC et Cloverfield, montage pour Chronicle, Diary of the Dead et Paranormal Activity). Ces instants où nous voyons des images sur un écran relève d'une mise en abyme bien particulière où le film second renvoie toujours au film premier, puisqu'il s'avère être le même, renfermant constamment les protagonistes dans ce qu'ils tentent d'attraper. Dans cet espace de réflexivité cinématographique, le dispositif est mis à nu par ses dépositaires même, par ceux qui ont entre les mains le « pouvoir » de filmer. Et s'ils ne mettent jamais en scène le véritable hors cadre (celui-ci étant parfois inexistant), c'est la fiction qui surgit encore et toujours, vivant au-delà de ce que le film premier parvient à mettre en place : elle réfléchit le film lui-même tout autant que le mode de sa propre apparition. C'est aussi pour cela que tant d'images sont captées, et que les protagonistes se penchent sur les images, qu'elles soient celles tournées, ou tout simplement les autres images du monde (médias, téléphone, etc.). Toutefois, cette mise en abyme s'exécute à un tout autre niveau, qui ne se détache pas du film premier, dans la mesure ou s'exécutent conjointement deux autres agencements : une tentative de montage qui prend forme pendant ou à la suite de l'acte filmique, et des données graphiques qui indiquent toujours que le film est en train d'être.

Dans ces films, la place accordée au montage est plus ou moins effective et coordonne la manière dont se donnent à voir les images, et la façon dont elles sont censées se donner à nous. Dans The Blair Witch Project, un montage a été effectué, et l'on a de nombreuses preuves de cette intervention. Le fait, tout d'abord que l'on voit les images des deux caméras, non pas l'une après l'autre, mais de façon à ce que l'une et l'autre se répondent. Nous devons construire la recherche de vérité sur le rassemblement de ces deux images. On retrouve certains effets chers au style documentaire : une voix qui précède le changement de séquence, intégrer une voix-off alors que le protagoniste en question ne parle pas, etc. Bien entendu la présence des intertitres est un indice de ce montage, mais ce qui est intéressant ici, c'est la manière dont peuvent être appréhendées les images montées. On nous donne l'impression que le film se présente à nous sans interventions extérieures sur la matière filmique, la continuité temporelle laissant l'impression d'un direct ou le montage deviendrait impossible. Mais il y a bien une intervention sur le film qui n'est pas seulement la conversion de la mémoire-caméra en un fichier utilisable et visionnable. Et ces films regorgent de preuves de cette agression, notamment pour ce qui est des sautes intempestives, celles qui ont lieu au beau milieu d'un plan, sans que quelqu'un ne puisse les déclencher, puisqu'à ces moments précis personne n'est derrière la caméra. Ce qui est important ici, c'est de se rendre compte que toutes les images tournées ne sont pas les images montrées, il y a eu une sélection particulière, une

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tentative de faire devenir le film un film. Dans Paranormal Activity, le found footage est là aussi pleinement avoué, il est donc tout à fait logique que le montage soit perçu par les intertitres, les coupures intempestives au milieu du plan (comme s'il s'agissait de le raccourcir). Néanmoins, même si un choix à été fourni pour savoir quelles images utiliser, un fondu enchainé fait s'agencer la plupart des séquences. Ici clairement, ce qu'il y a dans la coupe n'a plus d'importance, seul compte ce que l'on voit, le reste n'ayant plus d'existence. Reste à savoir si tout est monté, et à reconnaître ce qui de ce montage relève d'une action intérieure ou extérieure au dispositif filmique de premier ordre (celui réalisé dans la fiction). Reste à savoir si celui-ci est entièrement dû au réalisateur tiers ou à une autre instance du récit, tout ceci amenant à reconsidérer les modalités de création d'une fiction ; même si au final, le film n'est que le produit du supposé-réalisateur.

Pour Diary of the Dead, la situation est toute autre car toutes les images que l'on voit sont des images récupérées (le found footage est interne) ou produites et montées de manière active dans la fiction même. Alors qu'il y a habituellement trois niveaux filmiques dans ces mises en abyme : Niveau 1 - Le film en train d'être fait (la diégèse). Niveau 2 - le film défictionnalisé (résultat du found footage). Niveau 3 - le film de fiction (notre réalité). Ici il existe un niveau supplémentaire : Niveau 2.5 - Le film fait (le film dans la fiction). Le film et surtout son groupe de protagonistes s'intéressent tout particulièrement à chacun de ces niveaux et à leur mode de communication. Tout de suite après la première séquence, une voix-off vient présenter le film (Niveau 2.5). Des images ont été récupérées et montées, « on a fait un film, celui que l'on va vous montrer ». Et ce film, The death of death, a un réalisateur, Jason Credd, crédité de telle façon que la réalisation complète du projet est rattachée à l'un des protagonistes de la fiction. Après une courte présentation des appareils utilisés pendant le tournage, chose assez rare pour être notée, Debra (voix-off et compagne de Jason) annonce la volonté qu'ils ont de nous faire peur, pour nous ouvrir les yeux et que l'on ne fasse pas les mêmes erreurs qu'eux. Dans toutes ces oeuvres, les protagonistes savent qu'ils seront dans un film, même s'ils n'ont pas conscience du Niveau 3 de la mise en abyme. Sauf qu'ici ils ont tout à fait conscience de l'artificialité de leur démarche et que le montage est nécessaire pour changer l'image d'un monde qui en soi n'est pas assez explicite (intégration de musiques extradiégétiques). Capter la réalité telle qu'elle est ne serait pas assez efficace pour nous faire réagir, l'artificialité du cinéma, la mise en scène est donc une nécessité, en cela que le faux deviendrait symptomatique du vrai. Ainsi, le film passe d'une image provenant d'un appareil à une autre, dans un montage invraisemblable qui alterne toutes sortes de documents et multiplie les points de vue (média, appareil photo, téléphone, internet, etc.)

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Diary of the Dead : caméra de Diary of the Dead : image enregistrée à Chronicle : caméra de surveillance dans

surveillance dans un hangar partir d'un téléphone portable une chambre d'hôpital

La création du film fictionnel est elle-même mise en jeu, de sorte que Romero (nous aurions presque envie de dire Jason et Debra) pousse un peu plus loin la reconnaissance de l'image dans l'entreprise fictionnelle. Dans un premier temps, on retrouve les images tournées par Jason de façon cinéma-direct et qui amènent à délibérer autour de questions éthiques liées au cinéma, notamment sur l'horreur à laquelle fait face le réalisateur et l'image qu'il en constitue. Dans un second moment, on délaisse le direct pour retrouver le montage effectué par Debra avec un commentaire off. Ces pauses dans le récit permettent d'adopter une position de recul par rapport aux événements : « Immersion et distanciation constituent par conséquent deux positionnements opposés rendus simultanément possibles par la posture du faux documentaire »31. Même si l'on a vu précédemment que ce type de film ne relevait pas réellement du faux-documentaire, Romero montre qu'il faut se détacher de l'image pour échapper à son entreprise, afin de tenter une immersion qui ne soit pas fatale. La seule raison pour laquelle Debra parvient à survivre, c'est justement parce qu'elle ne se soumet pas à la primauté de l'image, qu'elle la contrôle et qu'elle ne passe pas exclusivement par la caméra pour produire une illusion de maîtrise et accéder au monde qui l'entoure.

Dans d'autres cas, le montage semble s'effacer pour laisser place à un découpage au « cut », le cinéma s'absente pour n'être plus que captation, comme semblent le produire REC et Cloverfield. C'est très justement dans ces moments-là que l'image parvient à se dégager des limites produites par le montage (des délimitations de son « réalisateur »). S'évertuant à suivre image par image ce que les journalistes de REC ont réussis à tourner (il semble qu'il n'y ait pas eu d'images tournées qui ne soient pas vues, sans pour autant que cela soit un plan séquence) certains instants compliquent considérablement cette position non-interventionniste. De la même manière que l'on perçoit l'accéléré dans Paranormal Activity (lors des séances nocturnes), l'image rend compte d'un retour en arrière, sauf que ce dernier se fait précisément

31 Franck Lafond (sous la direction de). George A. Romero un cinéma crépusculaire, Paris, Michel Houdiard Editeur, 2008, p. 187.

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en même temps que le caméraman rembobine l'image pour voir sur la caméra si tout a bien été enregistré. Il ne s'agit donc pas d'un simple retour en arrière mais d'un rembobinage. À cet instant précis, on ne voit plus ce que la caméra a enregistré mais l'action de la caméra et du porteur en direct, et dans le cadre found footage cette représentation devrait être impossible, d'autant qu'à l'image on identifie bien cet effet comme un rembobinage et non comme un retour en arrière de postproduction (l'effet est bien moins forcé dans ce dernier cas). La caméra ne peut avoir enregistré cet acte justement parce qu'à ce moment-là, le porteur cherche sur la « bande » des images antérieures. La séquence ainsi recherchée est perçue une seconde fois par le spectateur, explosant par la même occasion les limites induites pas le « montage cut » et laissant percevoir l'implication et le traumatisme des protagonistes : « Pablo dis moi que tu as tout eu ». Cette dernière parole extradiégétique puisqu'entendue dans le noir du générique est celle qui soutient le film dans son ensemble. Même s'il n'est pas mis en forme par un montage de postproduction, ce cinéma n'est pas que captation, il n'est pas qu'enregistrement. L'image est modulable, pendant le temps même du tournage, de manière à ce que le montage (comme la mise en scène) soit rejetée par la fiction, et que dans cet abandon de nouvelles formes d'agencements puissent advenir.

Un autre film semble aller plus loin dans cette démarche. Comme on l'a vu précédemment, si, de la même manière que dans REC, la pratique du found footage n'est pas clairement annoncée pour Chronicle, on se retrouve face à l'apparition d'un montage très particulier. En effet, même s'il se veut le garant d'une formule de prise de vue directe, le film parvient à accéder à une continuité sans pour autant conserver un point de vue unique ; il atteint la continuité en jouant avec la discontinuité des points de vue, le montage devenant dans cette forme interne au processus filmique (c'est comme ça qu'on le perçoit dans la fiction). En utilisant plusieurs caméras, notamment pour effectuer des champs-contrechamps, le film parvient à créer une continuité, à suivre l'action en cours sans pour autant dépendre d'une seule ou de deux caméras. On pense ainsi à la scène de l'hôpital, ou pour suivre Andrew après son accident et donc sans le support de la caméra, il est nécessaire de passer d'une caméra de sécurité à l'autre afin d'arriver dans la chambre du blessé. Détourné du montage intégral et délibéré que mettait en forme Diary of Dead, ce film constitue l'image comme s'il s'agissait de passer d'un appareil de captation à un autre, sans qu'un montage ne soit effectué véritablement. Comme si l'image se constituait comme un flux, à l'intérieur d'un système où la totalité des caméras est diégétiquement affirmée (caméra de surveillance, caméra de police, téléphone, médias, etc.).

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Chronicle : image d'un hélicoptère de Chronicle : image d'un anonyme lors de Chronicle : image des médias lors de

police lors de l'affrontement l'affrontement l'affrontement

La logique mise en place dès le début du film voudrait que l'on ne puisse pas avoir accès à ces images, mais ce trop-plein engendre un certain nombre de disfonctionnements, les images se répètent ou se coupent sans raisons apparentes, du moins le pense-t-on. Car si la temporalité ne parvient pas à se constituer dans une pleine continuité, c'est très justement parce que le film en train de se faire ne parvient pas à peser le poids des images qu'il emploie. On passe ainsi d'une image à une autre, répétant parfois certaines actions (l'explosion de la station-service ou la mort d'Andrew), comme si la redite était le signe d'un trop grand nombre d'émissions de la part des appareils environnants. En plus de cela, le film ne cesse lui d'être réglé par d'incessantes coupures, une saute visuelle, qui comme un sursaut, fait se couper la caméra ou alors retire quelques secondes du plan bien que personne ne puisse réaliser cette action. Cette représentation syncopée n'offre plus de véritable plénitude ou ininterruption, car même dans un effort de représentation, le cinéma ne parvient à être que fragmentaire (que cela soit dans son incapacité à conserver une séquence pleine ou à ne pas la répéter). Car en filmant, la caméra ne parvient qu'à prélever des morceaux d'un monde, qui existait en dehors de l'image, et qui dans l'image se dérègle. Il y a toujours du montage, et la place de la caméra elle-même dans le champ, parce qu'elle découpe de façon intéressée un morceau de l'espace visuel, est déjà un montage. Dans ce découpage, se trouve la possibilité d'appréhender une toute autre forme de captation, qui serait à considérer comme l'intervention d'un élément non plus extérieur au processus, mais intérieur et relatif à une subjectivité, celle de l'appareil, comme spiritualité autonome.

Le document cinématographique ainsi engendré modifie en profondeur la relation du spectateur au film. Par son aspect physique, son historicité et son rapport à une mémoire qui n'est plus seulement celle du monde ou de celui qui filme, l'image survivante affirme l'incertitude quant à savoir s'il persiste encore quelqu'un derrière l'objectif. L'image peut bien être à la fois la trace, le document et le supplément du monde, mais elle n'en est jamais la

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représentation fidèle, quel que soit l'effet d'existence préalable ou de réel qu'on peut lui rattacher. L'image se déplace ainsi pour advenir entièrement comme ce qu'elle est et non plus comme simulacre d'un évènement qui lui serait extérieur ; elle est la marque, le résidu empirique de la relation entre la caméra et le monde, et c'est dans cette intimité là que s'exécute le film, aux dépens des protagonistes. Reste à espérer que quelqu'un puisse voir ces images.

B : Le spectateur victime et la capture des regards

Cette illusion de réalité que tentent de mettre en place ces films est très vite dépassée, dépendamment de la position des films par ailleurs. De sorte que l'illusion ne concerne plus que notre place dans le film et non plus une réalité que l'on croirait percevoir, puisque tout est mis en place pour que les protagonistes comme les spectateurs puissent revenir à l'image :

Le cinéma demande ainsi une perception seconde, le cinéma commence vraiment lorsqu'on commence à prendre en considération " les moyens de la mise en scène ". Il faut toujours passer par-delà l'image, et d'autant si celle-ci se donne pour la réalité même, et réfléchir sur l'agencement c'est-à-dire sur l'acte que comporte l'enregistrement apparemment passif de l'événement. 32

Cette passivité apparente est très vite mise de côté compte tenu du dispositif, afin que la conscience que l'on a de l'objet filmique et de sa place dans le monde de la diégèse réaffirme de manière édifiante notre place de spectateur. Le spectateur de cinéma est à cet égard un ressortissant tout à fait complexe, puisque celui-ci est totalement intégré au processus diégétique et diégétisant. Il est le dernier détenteur des pouvoirs de la fiction, bien plus qu'à l'accoutumée étant donné qu'il est amené à répondre aux attentes que le film inscrit dans sa conscience (c'est la force du found footage) et à y répondre en temps que spectateur, sans régression passagère. Ces caractéristiques tendent donc à élargir la réactivité de ce sujet-spectateur, de manière à ce que le dispositif de projection soit lui aussi complètement intégré au processus filmique. Le visionnage n'est plus à percevoir comme une suspension particulière, mais comme lieu transitoire, un passage obligé, une clé dans la résolution de l'énigme globale. Il doit répondre à ce qu'il reste du film, dialogue d'autant plus impossible

32 Jacques Aumont et al. Esthétique du film, Paris, Nathan Université, coll. Cinéma, 1983, 3ième édition, 1999, p. 84-85.

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que les protagonistes sont morts, que le film ne cache pas cet état des choses, et pourtant le spectateur est assujetti dans ces images du passé, il est inscrit dans la scène mortuaire :

C'est cette inscription du spectateur dans la scène que Jean-Pierre Oudard définit comme effet de réel, en le distinguant de l'effet de réalité. Pour lui l'effet de réalité tient au système de représentation, et plus particulièrement au système perspectif hérité par le cinéma de la peinture occidentale, alors que l'effet de réel tient, quant à lui, au fait que la place du sujet-spectateur est marquée, inscrite à l'intérieur même du système représentatif, comme s'il participait du même espace. 33

Cet effet de réel en vient très justement à déplacer les limites du système représentatif, en offrant l'illusion que la représentation n'est plus tout, mais surtout en intégrant dans la fiction le spectateur pour ce qu'il est, faisant advenir le monde représenté en temps que monde représentant (non pas comme représentation réaliste du monde). Tour à tour, les protagonistes regardent vers la caméra, interagissent avec elle (ils lui parlent comme à une personne), souvent pour établir une connexion avec le futur regardeur. Mais c'est en ce qu'il est un monde représentant que les « personnages » peuvent trouver leur place, et que par incidence nous pourrons trouver la nôtre, c'est par l'articulation des rapports à la caméra que peuvent s'organiser les identités ; dans un même espace, plutôt un nouvel espace, qui n'est ni totalement du côté du représentant, ni tout à fait du côté du représenté, mais entre les deux (l'espace-tiers). Cet assemblage se fait donc par un certain nombre d'interventions, nous avons vu plus tôt les différentes interjections auditives ou écrites, qui appellent le spectateur à occuper telle ou telle place, mais il semblerait que les plus édifiantes soit celles qui sont visuellement assimilables car en rapport direct avec la spécificité de tous ces regardeurs.

Tout d'abord, intéressons nous aux images qui semblent intégrer le spectateur par un regard, tous ces instants où quelqu'un se met devant la caméra pour nous y associer plus ou moins directement. Quatre pratiques semblent se dessiner, établissant une précision ou une distinction au regard-caméra habituel34, dans le but de conduire la fiction et de renouveler les places attitrées :

33 Ibid. p.107.

34 Entendu comme une manifestation accusant un dispositif camouflé, cette fixation de l'objectif n'étant pas une intégration du spectateur diégétiquement stimulé mais servirait à dévoiler les modalités d'énonciations.

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- Usage 1 : Le Témoignage. Un individu est amené devant la caméra pour parler d'un fait particulier (un évènement passé ou à venir, parler de soi, etc.), lors d'une interview et dans le but d'être examiné par un futur spectateur. Celui qui parle a conscience de la présence de la caméra et du porteur, mais ceux-ci ne sont pas visés dans cet acte, car ici, seule compte la personne qui sera amenée à voir les images. Le spectateur est ainsi désigné comme une présence non sous-jacente, même s'il ne s'agit pas d'une conscience de Niveau 3. Pour autant, ce regard renvoie toujours à une place et à un temps qui ne sont pas ceux de l'enregistrement, de même qu'il est toujours extériorisé du reste du récit, car les protagonistes sont sur le mode de l'interview et donc de la mise en représentation (ils ne sont pas naturels).

Cloverfield : maladroite, Beth laisse un dernier message à Rob

Diary of the Dead : Eliot se présente et annonce ses projets

REC : Angela enregistre son émission avec assurance

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- Usage 2 : Le Testament. Le porteur prend à partie le spectateur, il n'y a plus d'oeil derrière la caméra mais la dénaturalisation du protagoniste subsiste puisque la conversation ne va que dans un sens. Même si le dialogue est impossible, le film met en place un cadre de communication (à la manière d'une discussion Skype), afin qu'il n'existe plus que celui qui parle et celui qui écoute. Souvent réalisé lorsque le porteur est en danger, le but est encore une fois de souligner la conscience que le personnage peut avoir du spectateur à venir, sans pour autant que cela se fasse sous le regard d'un autre qui tiendrait la caméra. On remarque par ailleurs que dans Paranormal Activity le regard n'est pas marqué mais la nature de l'image est la même que pour les autres exemples : elle suscite un rapport direct entre porteur et spectateur.

Cloverfield (fin): dernière parole au Paranormal Activity : Micah présente l'un Diary of the Dead (fin): cet aparté avec

monde, Rob sait que sa fin est proche des phénomènes Jason intervient après sa mort

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Dans ces deux premières occurrences, l'énonciation en tant qu'acte de langage est présente et inscrite diégétiquement par la référence d'un énonciateur et d'un énonciataire. Le film a pleinement conscience de la présence d'un spectateur, et le spectateur de cette même implication, lui permettant ainsi de devenir un interlocuteur transcendant les limites habituelles de l'énonciation. L'hypothèse de Francesco Casetti serait la suivante : « Le film construit son spectateur plutôt que l'inverse : le film " désigne " son spectateur, il lui assigne une " place " et lui fait parcourir un " trajet " »35. Il semblerait pourtant que même si le film construit son spectateur, ce dernier est présenté comme celui qui aurait les clés de cette construction, comme le seul ayant le pouvoir de faire valoir le film. Et même si ce principe semble tenir lieu dans toute oeuvre, il est rare que cette place soit assignée de manière si concrète, la fictionnalisation des ressorts de notre réalité nous incrustant de force dans la diégèse. Surtout que cette place construite est accentuée par les procédés du found footage. Nous sommes spectateurs dans notre monde (nous regardons une fiction), dans le film (la réalité du film nous est adressée) et pour le film (l'image physique induit un spectateur physique). Être spectateur pour le film, c'est rejoindre l'espace dans lequel évolue le réalisateur tiers, espace d'entre-deux, qui permet d'inscrire dans un même temps deux espaces différents (espace du film et espace de réception). Rejoindre cet espace-tiers, c'est être amené à jouer un rôle que nous désigne le film et ses intervenants extérieurs. Attribution passive puisqu'elle ne fait que doubler un rôle que l'on tient déjà, mais qui trouve son importance lorsque le spectateur dans notre monde est appelé à devenir actif, lorsque nous parvenons à être ceux que le film demande et attend. Il est vrai que la frontière entre ces trois types de regards (chacun rapporté à un des trois espaces qui composent le territoire de vision, c'est-à-dire espace filmique, espace-tiers et espace de réception) est poreuse étant donné que ces modèles renvoient à une seule et même vision, à une seule et même personne. Mais c'est en faisant acte de cette pluralité, que le spectateur pourra intensifier la place qui est la sienne et supprimer les limites induites par la suspension de la séance cinématographique. Sans oublier que si le film capture l'un de ces regards, il asservira automatiquement les autres. Plus que d'intégrer l'espace du film dans notre réalité ou de nous immerger dans la fiction, c'est le film (même s'il s'exécute au passé) qui tente de nous intégrer dans sa réalité. Le film dramatise la réception, en la rendant responsable de ce qui est montré, le récepteur naissant à l'intérieur du film mais agissant à l'extérieur ; il est lui-même appelé à pénétrer dans l'intimité que la fiction construit (avant que celle-ci ne soit appelée à déborder dans notre monde).

35 Francesco Casetti. D'un regard l'autre, Le film et son spectateur, Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. Regards et écoutes, 1990, p. 30.

La Focalisation Caméra

- Usage 3 : L'Attestation. Le porteur est une fois de plus devant la caméra sauf que les regards ou les paroles échangées ne sont pas à destination d'un autre spectateur que ceux qui sont filmés. Mis à l'écart, le spectateur ne retrouve pas pour autant une position de voyeur. S'il quitte sa position construite par la réalité diégétique, il retrouve le regard induit par l'espace-tiers (un regard d'enquêteur), la distance avec l'intime étant abolie. Dans ces moments-là, seul compte le lien entre les protagonistes et l'entité-caméra, ce type de plans attestant sa présence, son existence sans pour autant considérer ce qu'elle sera amenée à retranscrire. Ce qui importe, ce n'est pas l'image à venir, mais le fait que la caméra puisse permettre et s'inscrire dans ce moment.

Cloverfield : la caméra les rassemble pour Cloverfield : un nouveau caméraman Paranormal Activity : Micah fait une

conserver une trace personnelle apprend à utiliser l'appareil promesse que la caméra doit certifier

- Usage 4 : L'Omission. Ces regards-caméra sont en réalité des regards adressés au porteur. Le spectateur n'est à aucun moment visé, la caméra ne fait qu'acte de présence et fonctionne comme un masque que l'on a tendance à oublier (« tu as une caméra devant le visage » lance l'une des protagonistes de Cloverfield au porteur un peu distrait qu'elle essaye de reconnaitre). La caméra se trouve dans l'axe du regard entre deux personnages sans être véritablement considérée, de sorte qu'elle et le spectateur se retrouvent entre deux regards qui marquent leurs aspects superflus, qui les rejettent.

The Blair Witch Project : un passant parle avec Heather

The Blair Witch Project : Mike regarde en direction de celle qui lui parle

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REC : Angela parle à Pablo et ces images ne sont pas destinées à être utilisées

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Gildas MADELÉNAT

Dans ces deux derniers cas, le film ne met plus en jeu une réception qui reste complètement extérieure ; l'oeuvre se tourne vers elle-même. Ce qui prend sens ici, c'est le regard-tiers que peut revêtir le spectateur (celui amorcé par le found footage), afin qu'il puisse toujours considérer ces images comme lui étant en partie destinées. Cette intimité qui s'offre à nous ne trouve donc de justification que dans la présence plus ou moins avouée de la caméra et dans le fait que quoiqu'il arrive il subsistera une image. Alors que les premiers cas mettent en forme une immersion bien spécifique du spectateur dans la diégèse, on voit ici que cette immersion fonctionne tout autant. Car même si le spectateur est rejeté un temps du film, celui-ci ne s'identifie plus à un ressortissant spécifique de la fiction mais à sa seule place de spectateur. Créant avec l'image engendrée un rapport profond, qui n'est pas celui que pouvaient avoir les protagonistes avec la caméra, le spectateur renouvèle sa place en l'investissant bien plus qu'à l'accoutumée et relativement à la manière dont il voit ou se voit dans le récit. La perspective de « voir » et de « se voir », correspondant à une dimension d'extériorité et d'intériorité du sujet, est développée par Esquenazi :

Le " voir " est la dimension de l'extériorité : elle renvoie au monde du film, où s'agite un " sujet ", le plus souvent multiple et hétérogène, produit par le film et investi par le spectateur. La dimension du " se voir " est celle de l'intériorité de ce sujet, sujet rendu perceptible, devenu un monde à voir et à entendre, et surtout vécu par le spectateur comme un dédoublement tangible de lui-même. 36

Voir le sujet du film et se voir en lui, c'est ce que met en forme Esquenazi sauf qu'ici le protagoniste voit et se voit, nous le voyons voir et se voir, sans que jamais l'intériorité de ce sujet perçu ne soit celle du film dans son entier. S'il y a toutefois un dédoublement, c'est dans la place de regardeur que les protagonistes prennent régulièrement sans pour autant que cette vision en soit doublée par notre regard. La dimension du « se voir » s'amorce par le fait que nous sommes vus et que nous avons la possibilité de ressentir le poids de ce regard : si je me vois dans l'image c'est parce que l'on tente de me voir (à travers la caméra). Me voir dans l'image, c'est faire partie du dispositif, du film et évoluer dans cette même intériorité, dans ce même espace cinématographique. Appelés à devenir l'une des composantes de l'image, les spectateurs forment alors un lien profond avec la caméra, mais dans une autre perspective que celle des protagonistes : il ne s'agit pas de s'inscrire physiquement dans l'image pour exister. Nous n'oublions pas notre corps et ne tentons pas d'investir le corps de celui que l'on voit ou de celui qui se tient derrière la caméra puisqu'ils ne sont plus les véritables médiateurs de la

36 Jean-Pierre Esquenazi. Film, perception et mémoire, Paris, L'Harmattan, coll. Logiques Sociales, 1994, p. 13.

La Focalisation Caméra

perception. Le seul entremetteur, c'est la caméra et l'image qui en ressort en ce qu'elles parviennent à concilier ces deux mondes de regardeur.

Intéressons-nous maintenant aux images qui intègrent le spectateur précisément parce qu'il est le seul à voir. Ces autres cas peuvent être séparés en trois types de situations :

- Situation 1 : Chute de la caméra. Dans la précipitation ou l'énervement, il arrive parfois que l'appareil soit lâché par son porteur sans que celui-ci n'ait eu le temps de l'éteindre ou de se demander s'il fallait continuer à tourner. La caméra continue donc son enregistrement sans que l'image ne soit validée ou construite par une pré-vision diégétique. Malmenés tout comme peut l'être la caméra, nous sommes oubliés pour un temps et ne parvenons à voir que ce que l'appareil parvient à capter.

Chronicle : lors d'une dispute, la caméra tombe et glisse sur le sol

Cloverfield : le caméraman jette la caméra au sol pour aider un blessé

Paranormal Activity : Micah laisse
tomber la caméra pour s'occuper de

Katie

- Situation 2 : Caméra solitaire. Tous ces moments où la caméra fonctionne sans que le porteur ne s'en aperçoive, sans qu'on le veuille, ou que le phénomène surgit sans personne pour le voir. En ce sens, le statut de ces enregistrements se rapproche de la nature des images issues des caméras de surveillance. L'image n'est « directement » visible par personne d'autre que nous, ou à postériori et ne vaut que pour le fait qu'elle enregistre seule ; offrant la possibilité de voir des choses qui avaient échappé aux protagonistes, justement parce qu'ils étaient absents.

Paranormal Activity : le ouija prend feu subitement alors que Micah est parti

Cloverfield : suite à un accident
d'hélicoptère la caméra redémarre seule

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REC : sans s'en apercevoir, Pablo se tient devant la caméra qui tourne

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Gildas MADELÉNAT

- Situation 3 : Caméra écartée. Les protagonistes ont bien conscience de la présence de la caméra et du fait qu'elle est en train de tourner, mais ne se soucient guère qu'elle puisse faire avancer l'« intrigue ». Elle tourne parce qu'elle tourne et l'intérêt de cette captation est déplacé, le temps suspendu, que cela soit de manière diégétique ou extradiégétique. Un mode d'attente qui pourtant affirme la dimension que peut avoir l'image à se faire valoir par le seul fait qu'elle existe. Elle n'a pas d'autre importance dans la fiction que de montrer qu'il n'y a rien d'autre, plus rien à montrer, ou plus de la même manière. Il n'y a pas non plus ici de destinataire désigné, juste une image.

Chronicle : Matt abandonne la caméra et The Blair Witch Project : alors qu'ils Diary of the Dead: pendant qu'il monte le

la laisse enregistrer cette vue endeuillée montent leur tente, la caméra tourne film, Jason laisse la camera tourner

« En raison de l'absence d'un sujet de l'énonciation identifiable, l'énonciateur devient le film, " le film en tant que foyer, agissant comme tel, orienté comme tel, le film comme activité ". Pour Christian Metz, l'énonciation cinématographique se produit sans énonciateur véritable »37. Par les différentes situations proposées, le film se met à l'écart des protagonistes, de façon à ce que le spectateur devienne la cible du film et qu'eux ne soient plus les énonciateurs véritables. En effet, dans les cas qui nous intéressent, ce n'est pas tant l'absence du porteur comme médiateur de la perception qui modifie cette énonciation, que le fait que le film tienne compte de ce vide et parvienne à le combler par une présence véritable. Le film nous affirme ainsi quelque chose : « regardez, moi j'ai quelque chose à vous montrer ». C'est là que la caméra peut advenir en tant que personnage et détenteur des instances fictionnelles, pour montrer que nous sommes les seuls destinataires du film, mais surtout pour nous faire comprendre que la caméra est la seule à pouvoir nous montrer quelque chose. Et cette chose ne relève pas d'une subjectivité ou de l'intériorité d'un des protagonistes, mais justement de celle du film en cours. Il n'y a d'énonciateur que le film, les autres ne sont que des spectateurs.

Nous sommes tous des spectateurs. Mais ceux du film de manière un peu particulière puisqu'ils portent une caméra à bout de bras et que l'image produite semble liée à ce qu'ils

37 Sébastien Fevry. La mise en abyme filmique, Essai de typologie, Liège, Editions du Céfal, coll. Essais Grand écran Petit écran, 2000, p. 99.

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La Focalisation Caméra

sont, ou plutôt à ce qu'ils cherchent à être; ceci redéfinissant le geste de captation. Il ne s'agirait plus de tenter de partager son intimité, sa réalité avec les autres spectateurs, mais d'être le spectateur de sa propre vie, avec tout ce que cela engendre. « Comment se peut-il qu'un art dont le principe repose sur le travail d'une caméra qu'on tourne vers le monde, puisse se retourner, inverser sa vision et révéler la personne qui se tient derrière la caméra ? (...). Filmer est une activité différente de celle de (se) regarder dans un miroir »38. Pourtant, ces films retombent à l'échelle du simple sujet et parviennent à lever le voile sur celui qui tient la caméra, tout autant que sur la volonté qui est la sienne : ne pas filmer le monde, mais capter mon intimité et le phénomène qui vient y mettre fin.

The Blair Witch Project: Heather filme la
chambre d'hôtel

Diary of the Dead : Jason se surprend
alors qu'il cherche une sortie

Paranormal Activity : Micah fait des
essais avec la caméra

Ces images sont édifiantes puisqu'elles montrent celui qui se tient derrière la caméra, dans la recherche qu'il peut avoir de son image, de la preuve de son existence et de l'assurance que la réalité qu'il filme est bien la sienne et pas celle d'un autre. Eux se voient en train de voir, et se renferment complètement dans l'identité du spectateur qu'ils tentent de suppléer. Le dispositif matérialise ainsi le fait que quelqu'un se trouve derrière la caméra et que cette personne est bien celle que la fiction prétend. Dans ces exemples la place du regardant est ainsi doublée et le « je » qui conduit le film devient problématique. Car si la caméra subjective allait vers une assimilation de ces deux entités spectatorielles, où « je » et « nous » étaient le même regardant, ici ces deux spectateurs conservent leur singularité :

À la différence de la caméra subjective personnage, à laquelle elle ressemble stylistiquement, cette modalité ne recherche pas l'identification du spectateur, son absorption dans le champ, mais au contraire le vise dans son altérité, dans un échange de regards conscient et un va-et-vient critique entre moi qui filme et toi qui regardes. 39

38 Marie Danniel-Grognier, op. cit., p. 72.

39 François Niney, Le documentaire et ses faux-semblants, Paris, Klincksieck, coll. 50 questions, 2009, p. 85-86.

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Gildas MADELÉNAT

Nous voyons bien que celui qui se tient derrière la caméra n'est pas nous, et nous le reconnaissons de par ses apparitions dans le champ. Ceux qui sont dans le film sont aussi des spectateurs, mais ils ne sont pas moi, et nous ne voyons pas la même chose (Paranormal Activity est tout à fait clair sur ce point, Micah ne gardant pas son oeil sur l'objectif, il ne voit pas l'image telle que l'enregistre la caméra, il voit l'écran, le dos de la caméra, etc.). Je vois simplement la recherche qu'ils mettent en forme et je la vois par la manière dont la caméra perçoit cette reconnaissance. On comprend alors que l'image créée ne vaut pas comme miroir du monde, mais de son monde et que le porteur (qui à ce moment-là se prend précisément pour un caméraman) cherche dans cette image la preuve de son existence: je produis l'image pour me chercher et trouver dans le monde ainsi capté ce qui fait qu'il est mon monde. Sauf qu'une erreur semble se dissimuler derrière ce constat. En passant par une autre vision, il trouvera un monde forcément différent du sien puisqu'il ne l'aura pas vu à travers ses propres yeux, mais aura dédié cette tache à l'appareil. Comment pourrait-il retranscrire l'image de sa propre intimité ? Quelle nécessité a-t-il à modeler le monde à son image ? Nous, spectateurs du film, voyons à quel point nous sommes obligés de nous détacher de ce reflet, pour ne plus être que spectateurs. Pour éviter de faire comme les personnages, c'est-à-dire de ne pouvoir échapper au film en restant confrontés à notre image. Car c'est bien cela que produit la captation, un emprisonnement duquel les protagonistes ne peuvent sortir ; l'image se retrouve toujours confrontée à l'image de telle sorte que celui qui commence à filmer ne peut se sortir des impressions de sa réalité, il ne peut rester que spectateur.

A1 Chronicle : vision de la caméra 1 B1 The Blair Witch Project : vision de la

C

caméra 1

C1 Diary of the Dead: vision de la caméra

1

A2 Chronicle : vision de la caméra 2 et B2 The Blair Witch Project : vision de la Diary of the Dead : vision de la

« reflet » de la caméra 1 caméra 2 et « reflet » de la caméra 1 caméra 2 et « reflet » de la caméra 1

La Focalisation Caméra

Rattrapé par la représentation que l'on tente de faire du monde, il est impossible pour les protagonistes d'échapper à l'image quand cette dernière devient le monde lui-même, ou qu'ils deviennent l'image d'autres protagonistes. Il est impossible d'échapper à l'image lorsque le monde en devient une à son tour et que la représentation s'émancipe pour devenir à son tour l'élément représenté. Le dispositif filmique qui semblait favoriser la double identification (à la caméra d'abord, au personnage dans le cas de configurations subjectives) permettait au spectateur de se sentir impliqué dans la scène représentée puisque celui-ci voyait comme quelqu'un d'autre. Sauf qu'ici, il est conscient de ce qu'est le film et de ce qu'il est lui. Conscient de la fiction, de l'artifice, d'une construction et de sa position de spectateur. Il sait aussi que les images qu'on lui montre sont là justement pour qu'il ne répète pas les même erreurs, elles sont là pour lui dire : « ne reste pas la, comme eux qui n'ont pas réussi à être autre chose qu'un spectateur ». De sorte que l'on ne soit pas nous-mêmes le simple reflet du film, que l'on ne soit pas à notre tour la victime du film qui se joue devant nous.

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REC : Night Shot lors de la dernière Séance de REC où le Night Shot est

séquence utilisé pour voir la réaction du public

Retrouver sa place de spectateur pour avoir la possibilité de mieux s'en défaire. On voit quelqu'un en train de voir, et même si l'on voit la même image que lui on ne voit jamais à sa place. Puisque le film nous est toujours présenté comme le résidu de quelque chose, d'un événement lointain, un témoignage dont nous sommes les défricheurs. Plus question d'identification, mais au contraire de pleinement considérer sa place de spectateur. Le regard devient alors participatif, un acte tout particulier et en puissance, car en devenir, qui nous permettrait de répondre à un impératif : « Est-ce que c'est crédible : c'est à vous de décider » (question posée par Mila Jovowitch au début de Phénomènes Paranormaux, réalisé par Olatunde Osunsanmi et sortie en 2009).

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Gildas MADELÉNAT

3 : Caméra et phénomènes spirituels

A : La focalisation caméra ou l'image intérieure

Nous avons vu la manière dont le film intégrait le spectateur dans la fiction, surtout la capacité qu'il pouvait avoir à l'intégrer sans pour autant essayer de lui faire quitter sa place ; la conscience de cette position étant favorable à la bonne évolution du film. Il est maintenant nécessaire de déployer les notions abordées jusqu'alors pour voir à quel point la caméra se proclame dans l'ensemble de ces processus, créant ainsi un point de vue inhabituel et remarquable. Point de vue entendu comme agencement d'un regard et d'un savoir, d'une ocularisation et d'une focalisation. Tout d'abord, François Jost traite de l'ocularisation afin d'établir un ordre dans les schémas de vision :

Pour caractériser la relation entre ce que la caméra montre et ce que le héros est sensé voir, je propose de parler d'ocularisation : ce terme a en effet l'avantage d'évoquer l'oculaire et l'oeil qui y regarde le champ que va " prendre " la caméra. Quand celle-ci semblera être à la place de l'oeil du personnage, je parlerai d'ocularisation interne ; lorsque, à l'inverse, elle semblera être placée en dehors de lui, j'utiliserai l'expression ocularisation zéro. 40

En ces termes, le spectateur se rapproche plus ou moins de la vision du personnage, sans pour autant que l'on puisse établir un rapport de savoir direct à cette modalité ; la vision n'est pas le savoir, du moins dans l'immédiat. Car plus on se rapproche du regard d'un personnage, plus on sait comme lui, mais on ne sait pas forcément plus de chose ou de manière similaire. Néanmoins, dans les deux cas que Jost présente, la caméra ne vaut pas pour une instance interne au récit, elle n'est pas un personnage mais un narrateur, et nous avons depuis longtemps amorcé le fait que la caméra serait à considérer comme un personnage à part entière. Elle ne vaut plus comme la fiction d'un regard, et si ocularisation interne il doit y avoir c'est dans l'hypothèse où la caméra affirmerait tout simplement ce qu'elle voit, sans faire de distinction entre ce qu'elle montre et ce qu'elle raconte (il n'y a rien d'autre à savoir que ce que l'on voit). Nous sommes pleinement concentrés sur ce que la caméra est amenée à savoir, c'est sur elle que le récit se focalise : « Je conserverai le terme de focalisation pour

40 François Jost, L'oeil-caméra : Entre film et roman, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, coll. Regards et Ecoutes, 1987, 2ième édition 1989, p. 22.

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La Focalisation Caméra

désigner ce que sait le personnage (malgré l'ambiguïté de ce terme qui, en matière de cinéma, connote le choix de la focale) »41. Traitant du point de vue cognitif adopté par le récit, cette focalisation peut être de trois sortes : zéro (narrateur omniscient et extérieur), interne (vision par : plan subjectif ou semi-subjectif) ou externe (le spectateur en sait moins que les personnages). Le processus qui nous concerne déconstruit justement le domaine de focalisation interne. D'une part, le plan semi-subjectif devient hasardeux car lorsque le porteur est dans le champ, c'est souvent pour regarder l'objectif et donc avoir un regard antagoniste au nôtre. Lorsqu'il est dans le champ mais ne regarde pas la caméra, c'est que celle-ci lui a échappé (Chute de la caméra) et donc qu'elle ne parvient justement plus à le suivre. Dans de rares cas de Caméra écartée une semi-subjectivité peut se mettre en place, sauf que le sentiment de désaffectation est bien trop fort pour que l'on puisse encore se rattacher au protagoniste. D'autre part, le plan subjectif est quant à lui bien incommode, puisque même si cette subjectivité est rapportée à un protagoniste humain nous ne savons pas pour autant ce qu'il pense, et dans le cas présent, nous ne voyons pas ce qu'il voit, mais ce qu'il va voir : celui-ci se trouve non pas devant mais derrière nous. Nous ne voyons pas avant lui car il s'agit d'un temps différé, mais nous visualisons l'image à l'instant où elle se crée et pas au moment où elle se donne à voir (à travers l'appareil). Notre point de vue est interne au dispositif de captation comme espace « habitable » ; il s'agit d'un plan extra-subjectif, le regard ne s'exerce plus « par » ou « à travers » mais « dans ». Le plan neutre devient impossible puisque nous voyons et savons toujours à partir du point de vue d'un personnage (la caméra) et plus seulement par celui d'une caméra-oeil où le « regard subjectif du personnage s'exerce non pas directement mais à travers l'objectif d'une caméra, amateur ou pro »42. Notre regard de spectateur ne trouve plus sa place dans les éléments extérieurs à l'appareil de captation, il s'organise uniquement par lui, il se constitue depuis et dans l'« en-deçà ».

Marc Vernet remarque au sujet des hors-champs que : « Les cinq autres (= les 4 côtés +

l' " arrière "), sont des prolongements de la diégèse, alors que l'en-deçà, le " devant " de l'écran, est un vide, un non-lieu. Mais il arrive aussi que ce trou béant soit clairement désigné, voire lourdement peuplé, quand un personnage-regardeur l'investit et lui donne densité »43. Notre regard, rattaché à celui de la caméra, se constitue dans cette zone invisible dont les limites entre elle et le monde sont constitués par l'optique de l'appareil et s'étendent jusqu'à

41 Ibid.

42 François Niney, op. cit., p. 85-86.

43 Christian Metz. L'énonciation impersonnelle, ou le site du film, Paris, Méridiens Klincksieck, 1991, p. 127.

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Gildas MADELÉNAT

l'écran sur lequel est diffusé le film. C'est dans cet en-deçà que se crée et que surgit l'image, de telle sorte que le point de vue ne se constitue plus dans le champ, mais en dehors de lui : « Avec l'en-deçà, la vision traditionnelle des choses se trouve, d'une certaine façon, inversée, puisque c'est le champ qui nous « tire » vers le hors-champ et qui fait exister son regardeur »44. Cet en-deçà trouve consistance dans la diégèse au fur et à mesure que les protagonistes interagissent avec la caméra, et qu'ils la désignent comme un corps présent et indépendant ; dans le sens où l'ocularisation et la focalisation ne se rapportent à personne d'autre qu'à elle. Le regardeur que cet espace fait exister, c'est la caméra, appelée si ce n'est à devenir le personnage central du film, celui par lequel se constitue un point de vue unique. Comment alors parler de cette individualité ? Certes ces images ne peuvent plus être considérées comme objectives, dans la mesure où leur orientation procède directement de la caméra, dans un mode assuré d'ocularisation et de focalisation interne, mais Christian Metz précise que : « L'image subjective n'aurait pas grand-chose de subjectif, car elle ne nous apprend rien sur le personnage qui regarde ; elle le réduit, au contraire, à un pur regard. L'identification du spectateur au personnage-regardeur est purement spatiale, et non psychologique, affective ou humaine »45. Pourtant cette subjectivité s'avère valable non pas en ce qu'elle permettrait l'identification à un personnage-regardeur, mais justement par le rejet de cette position : cette subjectivité-caméra existe bel et bien, puisque ce n'est pas le point de vue de quelqu'un d'autre qu'elle, et que ce corps n'est pas le nôtre.

C'est dans le rejet de corps physiques extérieurs que l'appareil peut constituer une intériorité valable pour elle-même. Pas besoin de s'identifier au personnage pour s'attacher à son regard, et c'est au final en ressentant ces images comme objectives que le film parvient à piéger le spectateur. Et si ce dernier considère qu'il s'agit de la subjectivité d'un autre personnage, réduisant la distance entre son regard et celui de l'énonciation, il pourrait être amené à considérer l'image subjective comme relevant d'une vision physique et non d'un mécanisme intérieur. Alors que persister dans l'en-deçà, ne pas s'intégrer physiquement au champ (le reflet dans le miroir de la caméra n'est pas le reflet du lieu où se crée l'image), c'est avant tout montrer que cette vision n'est pas totalement physique et qu'elle relève de l'intériorité de l'appareil. En cela, et du fait que notre vision ne s'arrête pas devant l'objectif de la caméra, il n'y a pas de distance entre ce qu'elle voit et ce qu'elle sait. La focalisation prend ainsi le pas sur l'ocularisation, car même si l'un et l'autre de ces processus sont liés, l'image ne vaut plus simplement comme le reflet de quelque chose de perçu, mais comme le

44 Ibid. p128.

45 Christian Metz, op. cit., p.129.

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La Focalisation Caméra

résidu d'un évènement que la caméra a ancrée en elle : l'image comme l'impression de cette connaissance.

Cette subjectivité-caméra est authentique, car l'appareil devient enfin le sujet, l'élément central, tout autant du point de vue de la narration que de la mise en scène. D'autant que dans les cas de subjectivité normalement envisagés, on ne voit jamais vraiment dans les yeux d'un personnage (puisque celui-ci s'avère toujours être la caméra). Et c'est le fait que cette dernière ne puisse conserver sa neutralité, que cette partialité soit en mesure de se faire valoir comme une intervention qui différencie notre corpus de n'importe quels autres films, où la aussi nous voyons l'image enregistrée en elle. Ici, la confusion entre subjectif et focalisation est d'abord provoquée par le dispositif de tournage et le fait que le regard adopté semble être celui du porteur. La caméra subjective communément définie paraît se vérifier : « Image ou série d'images rapportées au point de vue physique d'un personnage, vu par ses yeux. Ne pas confondre avec une image mentale ou onirique, qui présente une vision intérieure virtuelle, le rêve d'un personnage » 46 . Les images qui suivent sont à cet égard particulièrement instructives, car si la première rend bien compte de cette tension liée à la subjectivité, elles viennent immédiatement déconstruire cet effet.

REC : Pablo utilise la caméra pour voir dans le noir et retrouver Angela

Diary of the Dead : un caméraman prend
soin de son matériel

The Blair Witch Project : le testament
d'Heather se fait en gros plan

Bien que cette première illustration soit, par l'intégration d'une partie du corps de celui qui filme, susceptible de nous faire croire que l'on voit par les yeux d'un protagoniste, il reste improbable de renvoyer l'utilisation du Night Shot à la vision physique d'un personnage. Ensuite, même si des adresses renvoient à la présence de la caméra, certaines actions des porteurs ne laissent aucun doute quant à cette compagnie. Le geste de nettoyer l'écran insiste en plus sur le fait que notre point de vue se constitue bien derrière l'objectif, certifiant que ce qui est perçu ne l'est pas grâce à une vision « par » mais une vision « dans ». Notre dernier exemple va un peu plus loin. En effet, c'est le film qui affiche lui-même l'existence de cette

46 Joël Magny. Le point de vue : de la vision du cinéaste au regard du spectateur, Paris, Editions Cahiers du cinéma, coll. Les petits Cahiers, 2001, p. 86-87.

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Gildas MADELÉNAT

particularité, comme subjectivité autonome, sans qu'une intervention extérieure ne vienne suppléer cette tâche. Elle montre que le porteur est là tout près et n'est donc pas derrière elle. Et même si l'appareil reste toujours dans ses mains, cette manifestation s'amorce comme un cri en notre direction : « Voyez cet oeil qui n'est pas le mien, qui n'est pas le vôtre, qui ne vous montre rien ». Enfin, la définition de la caméra subjective avancée ne considère pas ce point de vue au-delà de la simple vision physique, de telle sorte que l'image ainsi créée ne puisse être la preuve d'une intériorité ou d'un autre phénomène mental. Alors qu'ici, elle se rapporte bien au point de vue d'un personnage, à une image intérieure, nous irions jusqu'à dire mentale, la focalisation prenant ainsi l'ascendant sur l'ocularisation. En d'autres termes, préférer le terme de focalisation à celui de subjectivité, c'est prendre en compte que le phénomène de vision n'est pas qu'une modalité physique. Dans son rapport au monde, la machine peut dépasser sa simple matérialité et faire valoir une représentation intériorisée des choses. En cela, la focalisation caméra s'exécute, et nous retiendrons cette définition, lorsque la vision du monde engendre un savoir machinique intime et particulier, une mémoire dont l'image est le fruit. Relative à l'existence de la caméra dans la diégèse et à ce que Jost présente de la focalisation, cette définition affirme que l'important ne réside plus dans ce que les autres protagonistes sont censés voir ou savoir. Ce qui compte, c'est que ce que l'on voit tient bien de la relation empirique de l'appareil au monde tel qu'il le perçoit ; l'image devenant la preuve de l'intériorisation de cette vision, mais plus de la vision elle-même (comme peut l'être la caméra subjective). Jean Epstein affirmait que la caméra avait les capacités nécessaires pour devenir une véritable machine à penser :

Par ce pouvoir d'effectuer des combinaisons diverses, pour purement mécanique qu'il soit, le cinématographe se montre être plus que l'instrument de remplacement ou d'extension d'un ou même de plusieurs organes des sens ; par ce pouvoir qui est l'une des caractéristiques fondamentales de toute activité intellectuelle chez les êtres vivants, le cinématographe apparaît comme un succédané, une annexe de l'organe où généralement on situe la faculté qui coordonne les perceptions, c'est-à-dire du cerveau, principal siège supposé de l'intelligence.47

Ainsi, l'incarnation produite et offerte au spectateur n'est plus le fait direct de cette vision, mais le résultat d'une interprétation, d'une possible intériorisation des évènements. Une activité « mentale » qui pourrait conduire à une forme de pensée, même si la passivité de cette conscience n'affirme qu'une altérité par rapport au mode de réflexion humain. Ce n'est pas

47 Jean Epstein. L'Intelligence d'une machine, Paris, Editions Jacques Melot, 1946, p. 150.

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La Focalisation Caméra

qu'il n'y ait pas de conscience dans l'appareil, c'est que cette conscience apparaît vide, ou encore, problématique, énigmatique. Ce qui est sûr, c'est que le pouvoir de la mémoire devient effectif, du fait du found footage et de la considération du simulacre comme souvenir. Ce que permet la fiction, c'est d'intégrer ses souvenirs à une machine qui habituellement n'oublie pas mais ne pense pas qu'elle se souvient. En plus de cela, cette mémoire ne s'apparente plus à un ensemble d'impressions accolées les unes aux autres (The Blair Witch Project est le seul à utiliser une caméra à pellicule). L'image ce n'est plus le photogramme, le fragment d'un monde de toute façon irreprésentable, c'est ce qui fait partie du flux d'informations numériques, de la même manière que la masse des souvenirs aurait bien du mal à s'apparenter à un corps en fonction. En cela, l'activité de la caméra serait bien plus proche de celle de l'esprit, avec pour matière intellectuelle des vues et des sons composant une image qui ne reste que l'extrait d'une mémoire plus globale et en fonction.

Cloverfield est sur ce point tout à fait représentatif. Alors que les amis de Rob tournent un film pour son départ (Film 2), ils se rendent compte qu'ils enregistrent sur une cassette qui n'était pas vierge. Les images déjà présentes (Film 1) retracent le weekend de Rob et de sa petite amie Beth et sont le seul souvenir de ces quelques jours passés ensemble. Pour autant, les protagonistes ne vont pas seulement effacer ces images au fur et à mesure qu'ils enregistrent par-dessus. En effet, la fiction est réalisée de telle manière que l'on voit la cassette sans que celle-ci ne soit remaniée, de la première à la dernière seconde, avec un passage régulier entre les images de l'une ou l'autre des deux couches. Les informations relatives à la catastrophe sont donc ponctuées par de cours instants relatant la vie amoureuse du jeune couple. Mais alors comment se fait-il que l'on ait accès à ces images ? À quel moment interviennent-elles ? La plupart du temps, les « souvenirs » du jeune couple émergent lorsque les protagonistes de la catastrophe décident ou sont obligés d'arrêter l'enregistrement en cours (pour faire une pause, montrer des images, ou tout simplement lorsque la caméra se coupe par accident). On comprend alors que lorsque l'on voit les images du Film 1, c'est que l'enregistrement du Film 2 s'est arrêté et qu'une partie de la bande n'est pas réécrite. Mais que cela soit dans le cas où le porteur rembobine la cassette (pour montrer des images aux autres), qu'il mette en pause ou coupe la caméra avant de filmer à nouveau, il paraît impossible d'avoir accès aux images de Rob et Beth. À moins que le protagoniste qui gère la caméra fasse l'effort d'avancer la bande avant de tourner à nouveau ; hypothèse ridicule compte tenu de la précipitation dans laquelle se trouvent les personnages. Les séquences du Film 1 ouvrent et ferment la fiction, englobent le phénomène monstrueux comme si cela donnait aux protagonistes la force de se battre ; Rob va chercher Beth, comme

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si le souvenir de ces merveilleux moments l'obligeait à se dépasser. Comme si la caméra cherchait à protéger les souvenirs de son premier porteur, ses souvenirs à elle aussi, et qu'elle empêchait l'effacement de données indispensables. Contrairement à REG où le rembobinage de la cassette apparaît à l'écran (manière de faire comprendre que l'on voit précisément ce que voit la caméra, non plus ce qu'elle enregistre), ici le rembobinage fait surgir un de ses moments passés. Chercher dans la mémoire de la caméra refera toujours apparaître des images, l'important étant de savoir quelles images sont conservées et pour quelles raisons. Cette mémoire émerge en prenant le peu de place disponible, comme une expiration qui tente de renverser le film en cours pour montrer que derrière la mort (Film 2) il y a eu de la vie (Film 1) et que pour cela il faut continuer à se battre. Comme s'il s'agissait de revoir les beaux moments de sa vie avant de mourir, comme si la caméra elle-même avait un flash de ses instants vécus (notamment lors du crash de l'hélicoptère) : « J'ai vu ma vie défiler devant mes yeux ». Et c'est le temps de cette vie qu'il est nécessaire de soulever, comme le prouve la présence de la date sur les images du Film 1 alors que sur celles du Film 2 elle tend à disparaître. Ce qui prévaut dans Gloverfield, ce n'est pas de voir le monstre, mais de voir ce qu'il a anéanti, c'est cela que tente de protéger et de faire valoir la caméra. Les évènements extérieurs ne parviendront jamais à atteindre ce que l'on est à l'intérieur, et c'est dans la protection de ses images « mentales » que l'on peut survivre, ou au moins porter ce qui mérite de survivre. Mais la caméra ne semble pas toujours apte à gouverner ces images. C'est de cette manière que le présente d'ailleurs REG2 (Jaume Balagueró et Paco Plaza, 2009), à la toute fin du film. Alors que l'on apprend que la journaliste survivante (celle présente dans le premier opus) est en réalité possédée, celle-ci va tenter de s'échapper pour répandre le mal à l'extérieur de l'immeuble. Elle utilise ainsi la voix d'un homme décédé pour que des secours viennent sauver la jeune fille encore en vie (elle donc). Mais la personne qui lui répond semble méfiante et demande « Gomment a-t-elle pu survivre ? ». Un simple regard du « monstre » vers l'objectif entraînera la résurgence de certaines images (en l'occurrence une séquence qui fait directement suite au premier opus). On apprend que la jeune femme n'est pas morte mais qu'une bête est rentrée à l'intérieur d'elle pour la posséder. Par cette intervention démoniaque, la caméra fait renaitre, ressurgir un temps oublié qu'elle a conservé dans sa mémoire, dans un brouillage qui ne laisse aucun doute quant à la nature de l'agression. Le flash-back, l'ordonnance des temps, est entièrement construit par le fait qu'une mémoire qui semblait nous manquer puisse surgir de cette intériorité, la faisant ainsi apparaître dans une continuité qui n'est plus celle mise en place par la fiction.

La Focalisation Caméra

Avec une intériorité souple et variable, la caméra ne permet pas de fixer une pensée mais d'amener par l'agencement des images enregistrées, une perspective particulière de l'observation du monde qui a été faite et au terme duquel un raisonnement à été produit. Le monde pénètre dans l'appareil et n'a donc plus rien d'objectif (intériorisation) et l'image produite est appelée à s'extérioriser. Les films du corpus (The Blair Witch Project et Chronicle sont à cet égard moins développés) gardent un certain nombre de traces de ce passage en profondeur.

Diary of the Dead : entre certaines images d'autres images

Cloverfield : avant que le film ne commence, une image (mire)

Diary of the Dead : la batterie de la caméra est à plat

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REC : le fameux retour en arrière Paranormal Activity : première nuit

enregistrée pour Micah et Katie

À de nombreuses reprises, nous sommes face à des vues ou à des sonorités (sons qui accompagnent les coupures ou le rembobinage) qui ne sont pas des signes, qui ne représentent rien, si ce n'est la nature même de l'image. Rien dans le sens où elles ne renvoient pas à un référent réel, mais ces images (notamment la mire de Cloverfield) ont une signification et une utilité, qui appartiennent à un certain langage technique audiovisuel. Toutes ces coupures, ces moments de non-captation où des écrans noirs (REC) ou bleus viennent montrer justement que l'on ne filme rien, mais que ce vide lui aussi à le droit à une image. Ces vides assurent qu'il se passe quelque chose à l'intérieur, puisque même si à l'extérieur on ne filme plus ou qu'un évènement vient compromettre cet enregistrement, il y a toujours une image qui se crée. Ces ruptures interviennent comme une pause, l'image revenant à elle-même pour se protéger des évènements extérieurs, ou bien pour faire valoir une absence qui serait la trace d'un souvenir, qu'il était préférable d'effacer. Dans Diary of the Dead, ces interruptions prouvent à

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quel point même en montant un film, on ne peut pas aller à l'encontre d'éléments intérieurs que l'on tente de réduire. Il reste toujours quelque chose qui nous dépasse, des cicatrices que l'on ne peut retirer (de même que le retour en arrière dans REG n'est pas enregistré tel quel sur la bande, comme si la caméra se souvenait des demandes du porteur, qu'elle était marquée par une action et non par une vision). Ces plans qui caractérisent une présence intérieure se voient complétés par d'autres informations, notamment ce plan, où un voyant rouge indique que la batterie de la caméra est en train de se vider (ce genre de données ne sont pas enregistrables à l'accoutumée). Bien sûr le protagoniste le voit lui, puisque la caméra expose cette urgence, mais l'image qui en ressort est marquée par cette même urgence à tel point que ce que l'on voit n'est plus l'image captée, mais l'image communiquée par une intériorité toute particulière. Enfin, l'heure affichée marque le passage d'un état particulier à un autre (on vient de le voir dans Gloverfield) et cela s'avère juste aussi dans Paranormal Activity. Même s'il n'est pas rare de voir un compteur sur les films de famille, ici il n'est présent que lorsque l'ordinateur est branché en Firewire, alors que s'affiche une date pour marquer l'avancée de leurs chroniques nocturnes. Bien que cette dernière donnée reste la preuve d'un montage extérieur, le compteur n'étant pas tout le temps présent il ne peut être considéré comme l'affirmation d'un enregistrement. Cette donnée temporaire et temporelle marque encore une vision « dans » la caméra, mais surtout la capacité de l'appareil à signifier l'importance des marqueurs internes du temps. En cela, l'accéléré qui survient toutes les nuits n'est pas plus la marque d'un montage extérieur que la transcription d'un temps, d'une action intégrée par la caméra de manière adéquate. Est-ce que l'image a été accélérée et donc fait avancer le compteur, ou est-ce que la caméra avance le compteur pour faire précipiter ce temps si particulier ? Comme si la gestion des manifestations intérieures pouvait induire la transformation du monde extérieur. L'image pourrait altérer la vision du monde mais pourrait-elle ébranler le monde lui-même, de telle sorte que traiter du réel à partir d'une subjectivité favoriserait l'agencement fantastique, la transformation du monde perçu.

B : Caméra au coeur du surnaturel, l'image comme phénomène

L'horreur s'évertue évidemment à jouer de la confusion du spectateur entre la réalité et la représentation (d'où l'importance d'utiliser une forme connue et qui pousse au partage de l'intimité), mais cette confusion n'est ni univoque ni tout à fait singulière. Films d'horreur entièrement tournés vers le style amateur, ils n'innovent pas tant du point de vue des

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procédés de création de la peur (multiplicité des points de vue, vision à la première personne, esthétique de la maladresse, etc.) que de celui de la manière avec laquelle l'image parvient à s'intégrer dans le processus horrifique. Sur ce point la distinction que fait Eric Dufour entre le cinéma fantastique et le cinéma d'horreur est éclairante :

L'horreur se caractérise par la suspension de l'action au profit d'une situation bloquée qui demeure la même du début à la fin. Dans le cinéma traditionnel et donc aussi le cinéma fantastique : la situation initiale est modifiée par l'action des protagonistes qui engendre une nouvelle situation, de sorte qu'il y a une progression et que le point d'arrivée ne ressemble plus du tout au point de départ. 48

Il semble pourtant se mettre en place une double déviation. Effectivement, la situation initiale des films est altérée, obligeant les protagonistes à faire face à la transformation de leur intimité, de leur monde. Celui-ci n'est pas le même au moment où la caméra commence à tourner et à l'instant où elle s'arrête ; emportant la plupart du temps le porteur dans cette extinction. Sauf que cette position finale est parfaitement connue, et ce, dès le départ : les protagonistes que nous allons voir sont mort. La situation est donc bloquée du début à la fin dans un sens plus complexe que celui présenté par Dufour ; le point de départ du film est aussi son point d'arrivée, avant même que celui-ci ne commence. Si l'issue du film est fixée et ne suppose pas de remaniement, c'est uniquement dans la connaissance que l'on a de la nature de l'image, du procédé found footage ; la situation n'est donc pas bloquée en soit mais en amont. Il n'y a pas de suspension d'action à proprement parler (les protagonistes ont une évolution certaine dans la diégèse), mais une action présentée comme inutile, puisque les personnages sont condamnés par l'image et par le simple fait de son existence. Si le fantastique est bien dans le film, dans l'histoire présentée, l'horreur elle, se tient au coeur même de l'image. Cette dernière ne permettant pas le retour à la vie de Rob, Jason ou des autres, mais l'apparition d'un fantôme, et le souvenir de sa mort. En d'autres termes, et le procédé du found footage en est le principal agent, ces films ne peuvent montrer des vivants ; ils ne montrent que des fantômes, des personnes mortes dans un temps mort. La vocation du cinéma est unique, il « filme la mort au travail » affirmait Jean Cocteau, il montre le long et interminable dépérissement du vivant, là où les tranches de vie deviennent des tranches de mort. Il devient impossible de maintenir des choses en vie, cependant les ressusciter ce n'est pas les faire revivre mais montrer leur absence, et ainsi toujours porter le deuil. Mais ce qui reste primordial ici, est de bien faire la distinction entre résurrection et remémoration car : « Dans

48 Eric Dufour. Le cinéma d'horreur et ses figures, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Lignes d'art, 2006, p. 56-57.

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la Chambre claire, Roland Barthes affirme que la question clé des images ne réside pas dans le fait de se remémorer le passé, puisqu'elles ne restituent pas ce qui est annulé, mais plutôt de ce qui a été vu dans ce passé »49. L'image ne restitue-t-elle que l'image ? Ne mémorise-t-elle que ce qui est visible ? En tout cas, la facilité avec laquelle elle rend la mort visible, et la connaissance de cette vision est construite comme une promesse qui fait tendre vers un fétichisme bien particulier : on va savoir ce que c'est que mourir. La volonté d'échapper à sa disparition (c'est le complexe de la momie d'André Bazin) n'est plus que le désir d'amateurs qui filment une mort à laquelle ils ne pourront pas échapper ; le cinéma appelle et construit cette disparition, tout autant que la faculté de l'image à être retrouvée. De ce fait, le deuil est au coeur du système de captation, non plus parce que l'on voit ce qui n'est plus ou ne sera plus, mais parce que l'image même que l'on récupère est le résidu de cette disparition.

Quelle nécessité y a-t-il vraiment à continuer de tourner ? Heather l'a bien compris, elle continue à faire son film contre l'avis de ses camarades car c'est tout ce qui lui reste, elle se raccroche à l'image pour ne pas disparaître. Il faut vivre pour filmer, c'est indéniable, mais ici il faut avant tout filmer pour vivre, pour échapper au mal de celui qui reste aveugle. Voir pour survivre, pour annexer le phénomène mais surtout pour continuer à avoir conscience de nôtre propre existence quitte à mettre le groupe en danger pour accéder à ces preuves : « On va tous mourir à cause de ta putain de vidéo » (REC2). Car ce que ne comprend pas celui qui filme, c'est que c'est en continuant de tourner qu'il court à sa perte (et très certainement que c'est en commençant à filmer que le phénomène surgit). Ainsi, la captation est une activité bien moins ouverte sur le monde qu'a priori, puisque le protagoniste s'enferme dans cette image qu'il tente d'avoir, pour être sûr d'y être encore pleinement inscrit (c'est ce que l'on à vu en traitant des « spectateurs du monde »)50. Chronicle montre bien comment la caméra n'est pas un instrument de socialisation, Andrew se renfermant dans les images qu'il filme puisqu'il ne parvient pas à vivre parmi les autres. Il utilise la caméra comme « un dispositif de défense posé entre soi et les autres qui permet de ne jamais être dans le même cadre qu'eux, ou comme une prothèse : filmer au lieu de vivre »51. Ou plutôt vivre sur le mode de l'image, et dans ce cas, c'est en se voyant vivre ou en voyant sa vie que l'on se persuade de son existence. Cependant, cette formule induit toujours la mort de son sujet. Les personnages veulent utiliser la captation pour devenir immortels, ou au moins survivre, mais il est nécessaire pour le film de « tuer » son sujet pour en imprimer sa force vitale (c'est seulement ainsi que l'image

49 Angel Quintana, op.cit., p. 36.

50 C'est pour cette raison que le monstre tente de faire sortir le protagoniste du cadre (REC et Paranormal Activity).

51 Marie-Thérèse Journot, op. cit., p 66.

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conserve) : « Si les images des films ont une âme, c'est que ceux qu'elles ont captés ont donné la leur dans l'opération »52. Si l'horreur tient à la nature de l'image, c'est parce qu'elle est l'évidence d'un trépas mais surtout parce que si elle a pu être vivante un jour, ce fut au détriment de quelqu'un ; c'est ce que l'on perçoit de manière un peu spectaculaire dans The River, où l'âme d'une personne est distinctement absorbée par un appareil en train de filmer. Ce qui résiste dans la caméra, se sont les souvenirs mis en forme et la vie emmagasinée. Ce qu'elle redonne de cette mémoire (la remémoration) c'est le contenu des images, ce qu'elle redonne de cette vie (résurrection) ce sont les images elle-même. C'est le sujet de Ring d'Hideo Nakata sorti en 1997, avec une image qui parvient à prendre vie au fur et à mesure que décèdent ses spectateurs. Ces dernières ne sont pas vivantes en soi, elles ont besoin de cette vitalité pour se former, elles sont le résidu d'une autre extinction, car retrouver une mémoire c'est « déterrer » une caméra (au sens propre dans Chronicle). Alors que dans les films d'horreur classiques, la victime est celui qui ne sait pas voir, ici, celui qui meurt c'est celui qui cherche à visionner et qui voit. Éprouvant ainsi le mal qui est dans l'image, il ne s'agit plus simplement de mourir de voir, mais mourir de ne pas avoir su fermer les yeux, d'avoir cherché à voir pour vivre et d'avoir trop vu.

Trop voir ou pas assez, c'est tout le problème de ces jeunes qui ne parviennent pas à aller au bout de leur entreprise : « j'ai peur de fermer les yeux, j'ai peur de les ouvrir » affirme Heather qui se retrouve dans une situation bien délicate. Continuer à ouvrir les yeux pour avancer, au risque de tomber nez à nez avec l'horreur, ou fermer les yeux, rester dans le coin du mur, laisser l'horreur venir à soi et mourir. Pour montrer à quel point la mort les préoccupe et comment l'image prend en compte cette implication, les films prennent toujours à un moment le fil testamentaire. Le protagoniste sait qu'il va mourir ou est conscient du danger qui le guette ; nous prévenant ainsi que « si c'est la dernière chose que vous voyez, c'est que je suis mort » (Cloverfield). Même s'il n'y pas de testament direct (celui-ci clos Cloverfield, Diary of the Dead, The Blair Witch Project et sous une certaine forme Chronicle et REC), il s'agit d'un acte, presque d'une forme qui rempli le film de bout en bout. Faire l'état d'une vie soumise à l'apparition d'un phénomène qui, véridique ou supposé, prend le pas sur son existence, c'est prendre conscience de sa possible disparition. Ces mock-documentary portent au plus loin le travail d'introspection, car si l'on ne parvient pas à rester en vie, il ne reste plus qu'une seule chose à faire : « Dis-leur juste qui tu es » (c'est ce que propose Rob à Beth) ; pour que les autres continuent à nous faire vivre, plus que pour leur apporter quelque chose de

52 Jean-Louis Leutrat. Un autre visible : Le fantastique du cinéma, Grenoble, De l'incidence éditeur, 2009, p. 2728.

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notre monde. Si on ne parvient pas à rester en vie, peut-être que quelqu'un d'autre y arrivera, qu'il soit caméra, image, ou autre spectateur. Cette illusion, cette urgence d'existence s'amplifie et la caméra l'amorce tout autant qu'elle l'accompagne.

En effet, bien que l'on ait vu à maintes reprises la possibilité que la caméra avait de se détacher de son porteur, elle ne coupe pas totalement les liens avec celui-ci. Surtout que son intériorité ne se construit que par ce qu'elle capte de ce qui lui est extérieur, la vie qu'aspire la caméra n'étant pas sans conséquence sur les modalités de captation. La création d'une image, élément intérieur puis extérieur, n'est plus la simple représentation des éléments mais leur intégration.

The Blair Witch Project : Mike considère la situation comme désespérée

Paranormal Activity : Katie semble ne plus être elle-même

REC : Pablo vient d'être touché par un « monstre » caché dans l'appartement

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On pourrait percevoir ces effets comme la simple réitération de l'état du porteur, et donc se dire que l'image met en forme la subjectivité de ce dernier. Mais cela ne serait pas prendre acte du détachement de la caméra tout autant que dans ce type de situation (Chute de la caméra et Caméra écartée), personne n'est censé intervenir sur le plan, de telle sorte qu'il est la transcription pure et simple de la manière dont la caméra perçoit l'évènement. Ces décadrages paraissent assez simples au premier abord, comme s'ils marquaient le fait que le protagoniste, compte tenu de son état, avait posé l'appareil en désordre. Comme s'ils étaient la preuve que l'esthétique de la maladresse place le cadrage au second plan (en apparence). En réalité, la plupart de ces plans commencent ainsi, sans personne derrière la caméra, comme si cet instant était capté à leurs dépens. De ce fait, ce décadrage n'est pas tant le signe d'un état que la traduction produite par la caméra, une fois cette vision transformée en image : un reflet qui ne serait pas le monde mais son interprétation. Dans les deux premiers cas, la caméra intègre l'état des personnages qui sont dans le champ, cette altération étant d'ordre mental (avant tout). Ce que la caméra capte, ce que l'image, signe de son intériorité, représente, c'est le trouble psychologique dans lequel s'isolent ceux qui sont filmés. Dans cette optique, le décadrage est le résultat d'une interprétation amenant au fait que la mise en scène (cadrage) comme le montage (cut brutal et flash-back) seraient de l'ordre du spirituel. Chronicle est entièrement tourné vers cette question. Après avoir été témoins d'un phénomène

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étrange, Andrew et ses acolytes obtiennent des pouvoirs télékinésiques53. Suite à l'acquisition d'une nouvelle caméra, la dernière étant restée dans la grotte (une nouvelle caméra pour une nouvelle vie), Andrew commence à utiliser ses pouvoirs sur l'appareil. Celui-ci le suit désormais dans ses péripéties sans qu'il n'ait besoin de se tenir derrière l'objectif. La mise en scène de sa vie passe par la force de son esprit, amenant un lien entre l'appareil et le protagoniste de l'ordre de l'immatériel ; elle devient un phénomène fantastique à part entière. Si au début Andrew semble gérer complètement les actions de la machine, son intervention est de plus en plus imperceptible avant de devenir complètement invisible. Auparavant, la caméra était devant ou en face de lui et il la dirigeait avec la main. Dorénavant, elle le suit dans ses déplacements et se tient derrière lui, comme pour un plan semi-subjectif, et se détache de son regard de manière parfois impromptue. Ces mouvements particulièrement complexes sont effectués sans même qu'Andrew ne regarde l'appareil (peut-il voir l'image dans son esprit ?). De plus, ceci s'effectue avec une telle fluidité, même dans des moments de pression intense (braquage de la station, bagarre, etc.) qu'il semblerait qu'il n'est même plus besoin de la diriger, comme si la mise en scène se faisait d'elle-même. Sauf que désormais, ce qu'il y a dans la caméra, c'est un peu de lui, les pensées projetées dans l'appareil prenant une autonomie certaine. Une part non négligeable de sa conscience, qui dans le flux d'image que constitue le film engendre la prise d'indépendance de certains appareils de captation : alors qu'il est sur son lit d'hôpital, inconscient, la caméra qui est en face de lui opère un très léger zoom avant.

Le découpage des plans dans la durée ou dans l'espace pourrait être une capacité interne à l'appareil et relative à une pensée. La caméra ne récupère pas seulement du protagoniste une portion de sa vitalité physique, énergie nécessaire pour créer l'image, elle saisit une partie de ses facultés psychiques, puissance essentielle pour modeler l'image. Mais cela va encore plus loin. Car si Andrew administre une partie de ses capacités psychiques dans la caméra, celle-ci parvient à utiliser cette « énergie » comme un ensemble d'informations lui permettant deux choses : la possibilité de prendre le contrôle d'elle-même, tout en restant fidèle à son porteur (on ne sait plus très bien si c'est toujours Andrew qui dirige la caméra), et la capacité de constituer une mémoire à partir de cette énergie. Ainsi, la plongée zénithale effectuée alors qu'Andrew retourne sur les lieux où la première caméra est enterrée ne tient pas tant à la volonté du jeune homme de mettre en scène son désarroi qu'à une position effective de l'appareil. Si la caméra se tient ainsi à distance, c'est que la mémoire qu'elle a reconstruite de

53 Capacité d'agir sur la matière par l'esprit.

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cette force spirituelle lui indique qu'il s'agit de la tombe d'une autre machine, que c'est un endroit dangereux pour « elle ». Preuve que la caméra se détache partiellement de son porteur, de la puissance qu'il lui a donné. Il la regarde en l'air d'ailleurs, semblant se demander ce qu'elle peut bien faire là.

Dans les cas extrêmes, le décadrage est la marque d'un évènement bien plus grave et qui n'est pas forcément intègre au champ : la mort du porteur. Passage obligé dans ces fictions où celui qui voit est destiné à mourir, ce qui importe ici, c'est de se rendre compte que la vie physique de la caméra est calquée sur celle de son porteur et que pourtant sans ce corps, elle continue à vivre, avec ses propres moyens. Et parfois, cet état partagé, intégré, peut être complété par une toute autre profondeur relative à l'appareil.

Chronicle : la caméra d'Andrew Cloverfield : le porteur vient de subir une Diary of the Dead : cette journaliste

« pleure » à chaude larmes attaque mortelle décède avant de devenir un zombie

Accompagnant les mésaventures de son porteur, elle peut-être amenée à assimiler son état de manière un peu plus sensible, pénétrant peu à peu vers cette profondeur que l'on tente de cerner. Dans Chronicle, alors qu'Andrew et sa caméra sont rejetés de la soirée à laquelle ils accompagnaient son cousin Matt, le jeune homme décide de s'isoler à l'extérieur (même si avec la caméra il n'est jamais vraiment seul). Restant dans un premier temps hors-champ, on peut l'entendre sangloter et sur l'objectif de l'appareil on décèle une fine pellicule d'eau. De la même manière que des gouttes de sang recouvrent l'optique dans nombre de ces films, cette buée que viendra essuyer avec un mouchoir Andrew explicite l'état dans lequel se trouve le jeune homme. Sans pour autant être le monde même, mais une émanation de ce monde, les données de cet état pénètrent peu à peu la caméra. Et cette appréhension se fait de manière plus délicate qu'on ne le pense, contrairement à En Quarantaine (John Erick Dowdle, 2008) où le caméraman fait pénétrer le monde de force dans la l'appareil (notamment lorsqu'il l'utilise pour frapper à mort un infecté au visage). Dans les deux autres exemples, il s'agit de s'imprégner du décès d'un des protagonistes. Agitation de focale, flous ou symptôme colorimétrique sont les marques d'un appareil qui éprouve et tente de cerner un phénomène très particulier. Même si cet effet peut être rapporté au corps de l'appareil même, au fait que

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lui aussi est malmené, le résultat est que la compréhension du monde passe encore par des informations internes. Dans Cloverfield, cette oscillation de focale va s'accompagner d'une coupure, d'un temps vide, où l'écran noir est la considération du décès. Le plus étonnant ici, c'est que dans ce noir, dans ce temps où l'enregistrement est interrompu, il n'y a pas d'image du Film 1. Précisément parce que cela ne concerne pas ce protagoniste, que ce souvenir n'est pas commun, et qu'ici, il n'y a pas de raison de le faire surgir. Enfin, ce genre de plan amorce une propriété d'importance. Les images que l'on voit, si elles sont à ce point des « créations » de la caméra, modifient la perception que l'on a de l'objet représenté. Elles ne s'attachent pas simplement à le reproduire, celui-ci n'est plus le même, il est réarrangé : « L'art ne reproduit pas le visible : il rend visible »54. Le visible n'a aucune évidence particulière, elle est le résultat d'une recherche, d'une pensée et la ressemblance n'est non seulement pas nécessaire au réalisme, mais est tout à fait dispensable. L'appartenance à cette minorité du « less is more » est donc bien plus stupéfiante, car en plus de se rapprocher de notre réalité plus efficacement que les films estampillés « bigger than life », elle parvient à dépasser ses propres restrictions : le « moins » du film permet d'accéder au « plus » de la réalité. Et si l'image rend visible, c'est bien pour montrer que le « plus » qu'elle rajoute dépasse la représentation fidèle pour révéler une vérité cachée. Cette découverte est celle du « more is life », le « plus » du monde est le monde tel qu'il est vraiment.

On passe ainsi d'un naturel dépouillé que la machine ne peut entretenir à un revers du monde qui ne peut s'exécuter dans la simple reproduction. Entre les deux, une transition est effectuée dans l'appareil de captation. Il en ressort donc une image qui ne sera jamais une représentation fidèle et objective ; dans l'image même se meut l'identité fantastique, dans une réalité fictive où le problème n'est plus tant le monstre que « toi et ta caméra » (Paranormal Activity). Sauf que maintenant « La caméra c'est tout ce qui compte » et « Si ça n'a pas eu lieu devant la caméra alors ça n'a pas eu vraiment lieu » (Diary of the Dead). On pourrait même dire que l'image ne montre pas vraiment ce qui a eu lieu pour de vrai, ou n'enregistre pas les choses telles qu'elles existent. Que cela soit lorsque l'appareil chute, que le cadrage n'est plus maîtrisé ou qu'il se passe quelque chose qui n'est pas de notre monde, la caméra met en forme le fantastique à l'intérieur même des efforts de focalisation qui sont les siens. Ce que l'on sait du monde extérieur et la transcription que l'on est censé en faire sont appelés à changer.

54 Paul Klee. Théorie de l'art moderne, Paris, Gallimard, Folio essais, 1924, réed. 1998.

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Cloverfield : trace du passage du Film 2 au Film 1, marque du trafic temporel

The Blair Witch Project : le surnaturel à venir prend source dans la chute

The Blair Witch Project : lorsque la plus petite part de réel amorce l'étrangeté

Diary of the Dead : c'est de la caméra que surgit parfois l'inquiétant

Chronicle : l'altération se propage jusque dans le coeur de la caméra

REC : la caméra ne parvient pas toujours à saisir le monde

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L'étrangeté survient dans l'impossibilité de traiter le monde de manière objective et automatique. Ce qui est inquiétant, ce n'est plus le monde lui-même, mais cette expression si particulière que l'image fait valoir. C'est-à-dire non pas le reflet trait pour trait d'une réalité, mais une transcription qui n'atteint pas toujours sa fonction première (l'enregistrement objectif). Et lorsque l'image atteint un si haut niveau de présence, les agents du monde se dispersent au point de cesser de faire sens, d'exister en tant qu'éléments représentés :

Un cinéma " abstrait " devient possible, qui à la fois rejoint la plus grande modernité artistique et touche de près à la nature éclatée, catastrophique et fondamentalement irreprésentable du tissu des événements dans le monde contemporain. La limite, la tentation et le grain de réel, ou de la folie, du gros plan, c'est l'évanouissement de toute représentation puisque la fonction optique n'assure plus la cohésion.55

Ce cinéma n'est pas tant « abstrait » par l'impossibilité qu'il a de référencer une partie des images qu'il nous donne à voir, que par l'expérience des intériorités mécaniques qu'il nous donne à percevoir. La défaillance représentationnelle, l'absence de cohésion s'en tenant au fait de l'esprit et de la perception interne. Le cinéma serait un procédé fantastique en ce qu'il serait l'indice d'un autre visible, un second champ de donnée ou ce que Jean-Louis Leutrat présente comme un « invisible relatif » : « Mais peut-être devrait-on dire inconnu relatif,

55 Pascal Bonitzer, op. cit., p 26.

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l'inconnu étant la présomption de quelque chose d'autre dont la perception " réarrange le monde " »56. Grâce à la caméra peut advenir cet inconnu relatif, cet autre visible, cet au-delà du monde alors perçu comme un effet, l'exercice sur notre perception d'un médium qu'on ne voit pas lui-même.

C'est seulement lorsque la caméra trouve une place dans notre monde que la transformation de notre environnement devient effective. Car si le champ permet de faire exister ce qui se tient dans le hors-champ, sans que celui-ci ne soit identifiable, ce qui se trouve dans cet en-deçà permet de rendre visible des choses qui se tiennent cachées dans le champ. C'est en cela que le cinéma (dans notre cas précis) peut être désigné comme « miroir du monde ». Un miroir du monde qui ne le transforme pas, ni ne le répète ou le réarrange mais le fait advenir. Il conserve ainsi cette impression de réalité qui anime le reflet de toute chose, mais en affine le résultat, l'aiguise pour dégager de ces sutures une image. La vision même de ce qui semblait nous échapper. C'est ainsi que tente de le cerner Josh : « Ça ne filme pas tout à fait la réalité. Ça filme une sorte de réalité filtrée. Ça te permet de faire comme si les choses n'étaient pas vraiment ce qu'elles sont ». L'optique de la caméra fonctionne ainsi comme une lentille, une nouvelle rétine (qui ne capte pas la même chose que l'oeil des protagonistes)57, et c'est pour cela que le porteur se rattache toujours à cette vision. S'il s'intéressait à la réalité, il regarderait le monde sans la médiation de l'appareil cinématographique. Mais s'il regarde à travers la caméra c'est aussi et avant tout car les choses ne sont pas vraiment ce qu'elles paraissent être, et la médiation oculaire devient nécessaire pour accéder à un savoir qui va au-delà de la simple manifestation des choses. Cette lentille révèle les choses telles qu'elles sont réellement, elle va au-delà apparences : elle rend visible ce qui ne l'était pas, elle fait exister. La caméra s'attache à transcrire ces quelques éléments pour redéfinir complètement les limites du sensible, affirmant l'image comme facteur d'âme. Cet effet, que l'on retrouve dans la photographie transcendantale, est un de ceux dont traite François Jost :

Cet homme soutient que la photographie est bien plus fidèle que l'oeil et qu'elle nous permet de capter et de retenir ce qui n'est pas visible, en particulier des phénomènes psychiques : " Voici donc la clef du mystère de la propriété qu'a le cerveau humain de se projeter et de rendre sensible dans le monde visible les formes que sa puissante matrice a générées et fait surgir des éléments du monde invisible ".58

56 Jean-Louis Leutrat, op. cit., p 22-23.

57 Invisible à l'oeil nu, le bon chemin est révélé par la caméra dans REC2. C'est surtout que ce chemin n'a pas d'existence pour notre vision physique (il surgit dans la nuit et avec l'utilisation du Night Shot).

58 François Jost. Le Temps d'un Regard, Du spectateur aux images, Paris, Klincksieck, 1998, p. 74.

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Donner à ces apparitions une autre objectivité que les rêves ou les hallucinations, c'est donner à ces phénomènes une existence dans notre monde, à partir d'un psychisme qui ne tient pas de l'être humain. Si le phénomène advient, entraîne un changement du mode de captation et la transformation du monde dans lequel évolue le porteur, c'est parce que la subjectivation du monde à laquelle procède la caméra n'est pas sans heurt pour le monde représenté. Les photographies spirites ou transcendantales donnent une preuve de l'existence des fantômes et entraînent leur acceptation dans le monde du photographe. La focalisation caméra va entraîner dans le monde du porteur la validation d'éléments qui ont préalablement émergé dans sa psyché et dont l'image est le stigmate. C'est parce que cela existe à l'image que cela existe dans notre monde : « On ne peut croire que ce que l'on voit, surtout si on le voit grâce à la caméra ». Mais la caméra n'est pas là pour confirmer cette existence, elle est très justement celle qui lui donne naissance : je ne filme pas pour voir si c'est tangible, mais c'est en filmant que cela le devient. Car si le film est un miroir, l'image est un reflet appelé à revenir dans le monde qui l'a produit. Bien entendu, le phénomène surgit avant l'image, mais l'image appelle ce phénomène. Ainsi, quel que soit le monde initial (et celui-ci ne nous est jamais accessible), les protagonistes n'évoluent qu'en fonction d'un reflet psychique appelé à prendre forme dans le monde et a le transformer. Et ce reflet conserve à leurs yeux plus de valeur que le monde lui-même. L'image devient le monde, et celui-ci n'est plus le monde initial. Mais cette issue n'est pas irrévocable, car si le film fait apparaître une face étrange du monde : « le cinéma se doit de tendre le miroir pour déceler les traces de l'emprise du mal, mais aussi pour trouver le remède : comment on vainc le mal par le mal, c'est quelquefois par l'image qu'on l'exorcise »59. L'image devient à la fois celle qui annexe et celle qui libère, celle qui nous ouvre les yeux et nous oblige à les fermer. Désormais attirés vers elle nous sommes obligés de nous y soumettre, notre destruction entraînant sa création, et inversement. Et si l'image nous interpelle, c'est pour mieux nous enfermer dans le monde qu'elle a capturé et soumis à sa cause ; afin que cette image devienne également le reflet d'un monde amené à s'actualiser dans l'espace de diffusion. Dans ce cas, la peur ne se crée plus parce que le phénomène sort de l'ordinaire, mais par le fait que cet évènement extraordinaire soit appelé à devenir notre nouvelle référence, l'image étant elle-même à percevoir comme la réminiscence de cet univers fantastique.

59 Marie-Thérèse Journot, op. cit., p 66.

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Conclusion

« Il y a de la magie à l'extérieur ». Ce leitmotiv de la série The River pourrait être celui de tout notre corpus et il tient à peu de choses que cette magie devienne un phénomène perceptible. L'horreur dans ces cas-là tient au fait que ces manifestations ne sont pas destinées à rendre le monde meilleur. Il n'est pas toujours bon d'explorer des zones aussi mystérieuses sans préparation préalable, sans même avoir pris conscience que le dispositif cinématographique appelle tout évènement à devenir extraordinaire. Entrevoir ainsi la face cachée de notre monde, « lever le voile »60 sur la frontière entre la réalité et un au-delà inconnu car invisible, c'est mettre en route la destruction de notre espace intime. De l'arrivée d'évènements paranormaux dans une maison de quartier chic à la destruction d'une ville tout entière, ces tragédies sont le plus souvent minimisées à l'échelle d'un seul individu ; l'image n'est là que pour ancrer cette personnalité dans le monde. Sauf que ce n'est pas ce protagoniste qui voit et qui sait, mais un corps encore plus limité aux conditions « psychiques » démesurées. La caméra est un cerveau pleinement tourné vers la compréhension des mystères du monde. Cependant, si tous ces phénomènes sont amenés à devenir tangibles, c'est que la magie a bien eu lieu à l'intérieur d'un autre espace. La focalisation caméra est le signe, peut-être avant tout, que le potentiel de la caméra et les aspects présentés relèvent eux aussi de ces anomalies. La connaissance très partielle du dispositif de focalisation caméra a engendré de nombreuses confusions liées à la production cinématographique actuelle. En effet, comme le montrent très bien les critiques de Chernobyl Diaries (Bradley Parker, 2012), beaucoup assimilent le film comme étant un nouvel héritier de cette tendance « Blair Witch » et le jugent à la lumière de cet amalgame. Outre le fait que le titre fasse lui aussi l'état d'une chronique et qu'Oren Peli61 en soit le producteur, peu de choses peuvent rattacher ce film au corpus que nous venons de traiter. Pour autant, et la bande-annonce est parfaitement trompeuse à cet égard, la caméra portée laisse un temps présager qu'un personnage tourne le film de leur expédition. Mais comme il n'en est rien, la mise en scène est constamment bafouée par cette impression et le film peine à trouver les véritables marques de son dispositif. Ainsi, beaucoup de critiques ont crié au scandale, déclarant qu'il en était assez du found footage, des films « à la Blair Witch » et des faux documentaires. Alors qu'il n'en était rien. Dans notre cas, il faut capturer le monde (cet

60 C'est une traduction possible du mot apocalypse, qui étymologiquement est la transcription d'un terme grecque.

61 Nous rappelons qu'il est le réalisateur de Paranormal Activity.

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extérieur intériorisé amorce une objectivité plausible) pour que celui-ci soit métamorphosé une fois passé par l'intériorité de l'appareil (cet intérieur extériorisé n'est autre qu'une subjectivité avérée). C'est de ce passage, de cette conversion que résulte l'image, puis la prise en compte de cet avènement. Quelle est alors cette éclosion ? Quelle est la finalité de ce processus ? Il s'agit de la création de la fiction elle-même. C'est ainsi et seulement ainsi que la magie opère. Faire dire la vérité au monde et projeter cette connaissance dans ce même univers, de façon à ce que l'image retentisse pour le spectateur comme la marque d'une authenticité. Pas plus celle d'une réalité que celle du dispositif cinématographique mis en place. Tout film est un film de fiction, puisque toute oeuvre est issue d'un imaginaire, celui de l'appareil. Ce qui finit par être vraiment surnaturel est le fonctionnement de cette intériorité. Car les phénomènes ne sont pas vraiment paranormaux, mais « supranormaux », ils restent une composante initiale du réel. Alors que cette focalisation caméra, qui montre que le vrai cinéma est un cinéma vivant, affirme que l'objet de ses représentations n'est autre que cette profondeur machinique. Un subconscient qui annexe sous sa puissance les images du monde. Celle qui conserve a posteriori les mystères liés à son existence, à sa nature, n'est autre que la caméra. Le véritable monstre de ces films, celui à cause de qui tout survient, c'est l'appareil de captation. Si le dispositif filmique est un système vampirique qui capte la vie, l'image, elle n'a pourtant rien d'un être vivant. Au contraire elle n'est qu'une substance morte, une essence prélevée sur un corps esquinté lors d'une autopsie. Elle est ce qui contamine les mondes, détruit les êtres. Ce qui est étrange, c'est d'avoir retrouvé ces images, qu'elles s'offrent à nous aussi simplement et si nous ne prenons pas garde à ce que l'on voit, elles entraîneront là aussi la destruction de notre espace. En cela, elles ne peuvent être utilisées pour exorciser totalement les monstruosités qui persistent face aux protagonistes, puisqu'elles font partie de la même altération. C'est pour cette raison que les « démons » ont autant conscience de la présence de l'appareil (nombreux regards ou attaques à son égard) et que la caméra parvient à rendre compte de leur existence.62 Renouveler le regard grâce à la focalisation caméra, c'est découvrir que la vision et les connaissances acquises de cette perception ne sont plus des capacités passives de la captation. La caméra s'engouffre dans le monde physiquement, intellectuellement, et ce n'est pas tant les choses de la réalité qui nous intéressent que l'esprit qui se tient dans et derrière l'objectif. Pour enfin savoir ce qui se cache derrière ce monstre qui ne nous voit pas, mais nous regarde.

62 Dans une des fins alternatives de Cloverfield, Rob et Beth sont dans un manège et filment la mer. Au moment où Rob change l'axe de la caméra on aperçoit quelque chose tomber dans l'océan. Il s'agit du monstre à venir et si le cadre reste aussi longtemps dans cette direction c'est pour mettre en place cette apparition.

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Filmographie

(Les titres en gras font l'objet d'un développement ou d'une analyse approfondie)

Apollo 18, Gonzalo López-Gallego, 2011 -

Borat: leçons culturelles sur l'Amérique au profit glorieuse nation Kazakhstan, Larry Charles, 2006 -

C'est arrive près de chez vous, Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, 1992 -

Chronicle, Josh Trank, 2012 -

Chroniques de Tchernobyl (Chernobyl Diaries), Bradley Parker, 2012 -

Cloverfield, Matt Reeves, 2008 -

Dame du Lac (La) (Lady of the Lake), Robert Montgomery, 1947 -

Devil Inside (The), William Brent Bell, 2012 -

Diary of the Dead, George Romero, 2008 -

District 9, Neill Blomkamp, 2009 -

Femme défendue (La), Philippe Harel, 1997 -

Phénomènes Paranormaux, (The Fourth Kind), Olatunde Osunsanmi, 2009 -

Paranormal Activity, Oren Peli, 2009 -

Paranormal Activity 3, Henry Joost et Ariel Schulman, 2011 -

Projet Blair Witch (Le) (The Blair Witch Project), Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, 1999 -

En Quarantaine, (Quarantine), John Erick Dowdle, 2008 -

REC, Jaume Balagueró et Paco Plaza, 2007 -

REC2, Jaume Balagueró et Paco Plaza, 2009 -

Redacted, Brian de Palma, 2007 -

Ring, Hideo Nakata, 1997 -

River (The), Oren Peli et Michael R. Perry, 2012 -

Videodrome, David Cronenberg, 1983 -






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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway